La Mer élégante/Un matin sur la plage

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La Mer éléganteAlphonse Lemerre, éditeur (p. 18-23).

Un Matin sur la Plage


Il est huit heures. Le village
Sommeille encor, le paresseux !
J’étais le premier de tous ceux
Qui sont maintenant sur la plage.

Ici bien vite on s’amollit,
Et comme on a dansé la veille
Bien qu’il soit tard lorsqu’on s’éveille,
On reste à rêver dans son lit.


Moi je rêve sur la jetée
À voir dans l’horizon lointain
Des voiles au vent du matin
Frémir sur la mer argentée.

La lune comme un arc bandé
Se recourbe dans les nuées,
Et les vagues exténuées
Meurent sur le sable ridé.

Les villas ouvrent leurs persiennes
Et montrent leurs salons coquets
Où chantent parmi des bouquets
D’invisibles musiciennes.

Voici que tout s’anime et rit,
Et les oisifs ont sur le sable
Une joie indéfinissable
À laisser dormir leur esprit,

Et dans une place choisie,
— Comme au soleil font les lézards —
À s’abandonner aux hasards
Du rêve et de la fantaisie !…


Tout près des flots sont les enfants ;
En vain leur mère les rappelle,
Ils font des forts à coups de pelle
Et poussent des cris triomphants,

Quand la mer docile et fidèle
Remplit d’eau leurs canaux étroits,
Et qu’ils plantent, comme des rois,
Des drapeaux sur leur citadelle,

Jusqu’à ce que le flot grincheux
Les repousse au pied de la digue
Comme un aïeul qui se fatigue
De leurs clameurs et de leurs jeux.

D’autres plus bruns que des Arabes,
Pieds nus, de l’eau jusqu’aux mollets,
Prennent dans leurs petits filets
Des crevettes et quelques crabes ;

D’autres ramassent, vagabonds,
Des coquillages à charnières
Qu’on prendrait pour des bonbonnières
Fleurant l’aigreur d’anciens bonbons.


Et tandis qu’à la mer montante
Fuit l’avant-garde des blondins
L’armée heureuse des mondains
Bivaque au seuil de chaque tente.

Voilà les journaux du matin !
On lit, on crochette, on tricote ;
Un gommeux suit une cocotte
Qui lui sourit d’un air mutin.

Des fleurs ! des fleurs ! qui veut des roses ?
Et l’amoureux timide et cher
Offre un bouquet payé très cher
Qu’on prend avec de fins doigts roses.

Là-bas les joueurs de croquet
Poussent de grands cris de victoire :
Hourra ! Hourra ! Hourra ! la noire
Revient la première au piquet.

Et tant que la marée est basse
Sous les arceaux, par petits bonds,
Comme des barques sous des ponts,
Chaque boule à son tour repasse.


Mais c’est l’heure du bain. Holà !…
Toutes les cabines sont pleines ;
Et ce n’est qu’après bien des peines
Qu’on peut s’habiller en gala.

Oh ! le costume drôlatique !
Dieu qu’on est laid ! Dieu qu’on est sot !
N’importe ! on court, on fait le saut
Comme un clown au corps élastique.

La mer est calme ! c’est un lac !
On plonge, on nage, on fait la planche,
Et l’on a sur la vague blanche
Comme un bercement de hamac ;

Et quand le vent gonfle les lames
La mer dans ses emportements
Semble rouler des diamants
Et les attache au cou des femmes.

C’est si charmant qu’au bord de l’eau
Un jeune peintre aquarelliste
Épris d’art franc et réaliste
Contemple en rêvant ce tableau,


Puis s’abritant sous une ombrelle,
Dans son album plein de croquis
Il peint avec un art exquis
Ce coin de plage — à l’aquarelle.