La Mer élégante/La Villa Pompadour

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La Mer éléganteAlphonse Lemerre, éditeur (p. 24-26).

La villa Pompadour


Dans la villa meublée en style Pompadour,
Dans la villa meublée avec un goût extrême,
Des poufs de satin rose alternent tour à tour
Avec d’autres plus grands couverts de satin crème,

Le salon reflété dans un double miroir
S’y mire avec son lustre éclatant de dorure
Comme une femme belle, en toilette du soir,
Debout devant sa glace, admire sa parure.


Sur le piano neuf aux rythmes assoupis
S’étale, large ouvert, un cahier de solfège ;
Et des coussins brodés encombrent le tapis
Plus souple et plus moëlleux aux pieds que de la neige,

Sur la console en marbre adossée au trumeau
S’aiment depuis longtemps deux amoureux en Sèvres :
C’est un berger Watteau jouant du chalumeau
Et sa belle aux baisers offrant toujours ses lèvres.

Dans cette villa riche habite un vieux marquis,
Un vieux célibataire adoré des familles,
Car il a le défaut que chacun trouve exquis
De vouloir marier toutes les jeunes filles.

C’est pourquoi vous voyez chez lui ce monde-là :
Il invite et reçoit des saisons tout entières,
Et rien qu’à s’arrêter un jour dans sa villa
Les fils de ses amis trouvent des héritières.

C’est pourquoi vous voyez ce soir même, assemblés
Dans sa vérandah tiède où fleurissent des roses,
Tant de couples charmants, ingénus et troublés
Qui regardent le ciel plein de nuages roses.


Pour qu’ils s’aiment à l’aise et bâtissent leurs nids
C’est lui qui sur leur route écarte les broussailles,
Si bien qu’avant l’hiver ils seront tous unis
Puisqu’il leur glisse au doigt l’anneau des fiançailles.

Mais par une bizarre anomalie, il dit
Que le charme d’amour sur lui jamais n’opère ;
Si les autres ont faim, lui n’a pas d’appétit,
Et mourra vieux garçon — aimé comme un grand-père !