La Seconde Lutte de Frédéric II et de Marie-Thérèse/02

La bibliothèque libre.
La Seconde Lutte de Frédéric II et de Marie-Thérèse
Revue des Deux Mondes3e période, tome 81 (p. 49-90).
◄  01
03  ►
ETUDES DIPLOMATIQUES

LA SECONDE LUTTE DE FREDERIC II ET DE MARIE-THERESE, D'APRES DES DOCUMENS INEDITS.

II.
CAPTIVITE DE BELLE-ISLE. — VACANCE DE L’EMPIRE. — MINISTÈRE DU MARQUIS D’ARGENSON.[1]

Était-ce seulement à une illustre amitié que Belle-Isle, à demi disgracié, tenu à distance et presque en suspicion depuis deux années, devait le retour momentané de la confiance royale ? Je soupçonnerais volontiers qu’un motif de nature plus intime, le souvenir de la conduite chevaleresque qu’il avait tenue envers Mme de Châteauroux et de l’asile qu’il lui avait offert dans son malheur, plaida secrètement en sa faveur, dans l’esprit de Louis XV. Quoi qu’il en soit, travaillé comme il l’était par une infatigable activité d’esprit et par le regret amer d’une grande ambition déçue, Belle-Isle, malgré sa santé défaillante et la rigueur de la saison, ne pouvait manquer d’accepter avec enthousiasme une mission qui lui semblait rouvrir le cours de ses jours de gloire. Plein de ces souvenirs, et se rappelant l’effet qu’avait produit l’éclat de sa première entrée en Allemagne, il se flatta, sous l’empire d’une illusion un peu puérile, d’en reproduire au moins quelque image par le faste, cette fois aussi déplacé qu’inutile, du cortège dont il s’entoura. Il traversa la frontière dans les premiers jours de décembre, avec trois voitures de poste, un chariot d’équipage escorté par deux cavaliers, et une suite composée de trois gentilshommes, deux secrétaires, deux pages, un chirurgien, un cuisinier, deux fourriers pour préparer les logemens et cinq laquais. Son frère le chevalier l’accompagnait, prêt comme autrefois à lui servir de confident et de conseil dans la carrière nouvelle qu’il dévorait déjà en imagination[2].

Mais à peine eurent-ils mis le pied l’un et l’autre sur le sol d’Allemagne qu’ils durent s’apercevoir combien les temps étaient changés. Ils y entraient, en effet, au moment même où les incidens de la campagne de Frédéric en Bohême et son issue désastreuse faisaient le sujet de toutes les conversations et causaient une émotion générale. C’était, dans toutes les cours et tous les centres politiques favorables à Marie-Thérèse, un chant de triomphe auquel faisait écho une explosion de patriotisme germanique. Rien n’était mieux fait pour exalter ce sentiment populaire que l’apparence triomphale imprudemment donnée au passage de l’homme en qui s’incarnaient tous les souvenirs de l’invasion et de la domination étrangère : nulle part l’accueil fait à l’envoyé français ne devait être plus hostile que sur les bords du Rhin, dans ces principautés ecclésiastiques qu’il avait su entraîner un jour par intimidation dans l’orbite de sa politique, mais qui s’en échappaient avec passion pour retourner, suivant leur penchant naturel, vers la maison apostolique d’Autriche.

L’arrivée de Belle-Isle coïncidait d’ailleurs avec l’apparition dans ces régions du corps d’armée du maréchal de Maillebois, venant, comme on l’avait promis à Frédéric, y prendre ses quartiers d’hiver pour garder et menacer l’entrée de la Westphalie. On sait quelles sont les exigences des troupes qui prennent leurs cantonnemens. C’était une véritable pluie de réquisitions de toute espèce : — vivres, logemens et fourrages, — qui fondait inopinément sur les habitans désolés. Le murmure était général en haut comme en bas, dans les villes comme dans la campagne. L’irritation était telle qu’en plusieurs endroits les magistrats durent avertir les officiers français que la sécurité de leurs soldats était menacée et que des violences étaient à craindre. Les diètes locales protestaient contre la violation du territoire de l’empire, les archevêques électeurs réclamaient les privilèges de la neutralité dans laquelle ils avaient le droit de se renfermer. Qu’exigeait-on d’eux ? C’était donc une prise de possession indéfinie de l’Allemagne par la France ! Les Français se croyaient dorénavant en Allemagne comme chez eux, et, de gré ou de force, ils voulaient contraindre tout le monde à combattre avec eux et pour eux ! Aussi bien n’était-ce pas le dessein annoncé dans ces lettres du maréchal de Schmettau qu’avait si à propos interceptées Marie-Thérèse et dont retentissaient toutes les gazettes ? « Voilà donc l’abcès crevé, écrivait à l’électeur de Cologne son confrère de Trêves, ce pauvre personnage que Belle-Isle avait tenu un jour tremblant et presque pleurant à ses pieds : « Si nous subissons cet affront, il ne nous reste plus qu’à enterrer honteusement, aux yeux de tout l’univers, la liberté germanique ! » Quand celui-là se révoltait, on peut juger ce que faisaient les autres. « Voyez-vous, disait le jeune duc de Wurtemberg (un des confédérés de Francfort qui continuait à nous rester fidèle), l’empire, accoutumé à la domination de l’Autriche, est un ours apprivoisé qui ne sait danser que sur un seul air. Si on veut lui en apprendre un nouveau, il commence par grogner et finira par dévorer celui qui lui change sa musique[3]. »

Ce fut au milieu de populations animées de ces sentimens d’irritation, et qui le regardaient passer d’un air sombre et menaçant, que Belle-Isle dut faire route pour arriver à Munich, où il avait à conférer avec l’empereur. Là, un autre spectacle l’attendait. C’étaient l’effroi et la consternation. Les événemens de Bohême arrachaient, par un triste réveil, le pauvre Charles VII à ses rêves de gloire, au plaisir de dormir sous son propre toit, de se promener dans ses beaux jardins et de vivre avec les siens dans son palais. Du moment, en effet, que la Bohême était reconquise et l’Autriche à l’abri de tout péril, le prince de Lorraine, redevenant libre de ses mouvemens, pouvait à toute heure reparaître en force sur la frontière bavaroise, et rien ne l’empêchait de marcher droit sur Munich. Charles, regardant autour de lui, reconnaissait, mais trop tard, qu’il était sans défense, dans une ville tout ouverte, protégée seulement par une armée aussi faible moralement que numériquement, et aussi mal équipée que mal commandée. Passant de la présomption au désespoir, le faible prince se voyait déjà obligé de fuir de nouveau, ne sachant où reposer sa tête, au milieu de l’Allemagne soulevée, et replongé dans toutes les amertumes de l’exil et de l’indigence. Le ministre de France, Chavigny, ne le quittant plus ni jour ni nuit, avait peine à lui faire reprendre ses sens.

Il reçut Belle-Isle comme un sauveur et se jeta en pleurant dans ses bras. Belle-Isle, bien que très surpris lui-même et très alarmé, fort pressé d’ailleurs d’arriver à Berlin et inquiet de l’accueil qui l’y attendait, dut passer plusieurs jours à le réconforter de son mieux. Il tint de longues conférences avec le général bavarois Seckendorf, pour rectifier et préparer les mesures de défense. Mais il avait peine à mener à fin ces conversations, parce que l’empereur, qui tenait à y assister, les interrompait constamment par une suite incohérente de gémissemens et de plaintes. A tout prix, il lui fallait un secours immédiat, — quinze escadrons et quarante bataillons, — pas un homme de moins, et détachés au plus tôt du corps d’armée le plus voisin, celui qui était resté à Strasbourg avec le maréchal de Coigny. On eut beaucoup de peine à lui persuader que la première chose à faire était de régulariser, par des lettres de commission impériale, la présence des Français dans l’empire. C’était, disait-il, le rendre odieux à ses peuples, en le faisant responsable de l’entrée des étrangers, et ensuite on l’abandonnerait, après avoir terni sa gloire. Belle-Isle ne réussit à le calmer qu’en lui promettant de s’associer à sa demande de secours et de la transmettre lui-même à Versailles.

En s’acquittant de cette commission, dans une lettre directement adressée au roi, il s’excusait de s’en être chargé en raison de l’étrange état d’esprit où il voyait l’empereur. Quand on l’entendait pousser de véritables cris de terreur, à la seule pensée de se préparer des moyens de retraite ou d’éloigner, par précaution, l’impératrice et ses enfans, on ne pouvait se défendre, disait Belle-Isle, d’une secrète inquiétude. Si on laissait arriver les Autrichiens victorieux jusqu’aux portes de Munich, il n’était peut-être pas de capitulation ou d’abdication si humiliante que cette âme débile ne fût prête à subir plutôt que d’affronter de nouveau les épreuves morales et les souffrances matérielles dont le seul souvenir la faisait ainsi frémir. « Qui sait même, ajoutait Belle-Isle en post-scriptum (car on pouvait tout craindre d’un tel caractère), si une négociation avec Vienne n’était pas déjà entamée, et si l’appel si bruyant fait aux troupes françaises n’était pas un moyen d’en appuyer et d’en accélérer la conclusion ? Enfin, Votre Majesté voudra bien envoyer ses ordres, et je ne puis lui cacher que l’empereur sera dans un état violent jusqu’à ce qu’ils soient arrivés. »

Il n’était pourtant pas possible de les attendre, car il fallait atteindre au plus tôt au but véritable du voyage, et de Munich à Berlin, c’était l’Allemagne entière à parcourir du sud au nord dans sa plus grande dimension, par des routes défoncées et encombrées de neige, à travers des contrées où régnaient depuis quatre années tous les désordres que la guerre entraîne à sa suite. Avec le train dont Belle-Isle s’était embarrassé, ce n’était pas une petite affaire ; il en sentait lui-même, un peu tard, toute la difficulté, car il écrivait à l’un de ses amis : « Je dois quitter l’empereur pour rejoindre le roi de Prusse ; hoc opus, hic labor est. Je ne sais, en vérité, par où je pourrais passer avec sécurité pour joindre ce prince… Si vous voulez regarder la carte ; vous verrez l’étendue de cette promenade, et dans quelle saison et par quels chemins ! »

Il arriva pourtant sans encombre jusqu’à Hanau, dans le duché de Hesse-Cassel, où il devait rencontrer le prince Guillaume, régent de ce petit État, un des associés de l’union de Francfort, et qui, grâce à ses six mille soldats, dont il savait faire trafic à tout propos et à tout venant, était toujours un homme à ménager. Après l’avoir entretenu des propositions qu’il comptait soumettre à Frédéric, le maréchal lui demanda, par occasion, son avis sur la meilleure voie à suivre pour arriver à Berlin sans délai et sans obstacle. L’itinéraire que le prince lui conseilla ne fut ni le plus direct ni le plus commode, car il l’engagea, au lieu d’entrer en Prusse par Halberstadt et Magdebourg, ce qui eût été suivre la ligne droite, à remonter au nord, à travers les montagnes du Hartz, pour atteindre le point où la province de Brandebourg touchait à l’électorat de Hanovre. La raison qu’il donna de cette préférence fut que cette route, servant au roi de Prusse pour communiquer avec les parties détachées de ses états, était desservie par des relais de poste prussiens, et qu’on serait sûr ainsi, en dépêchant d’avance une estafette, d’y trouver à l’heure dite le nombre considérable de chevaux dont le maréchal avait besoin[4].

Seulement, le prince Guillaume n’avait probablement pas présente à la mémoire une circonstance effectivement singulière, c’est qu’en vertu de conventions qui dataient de loin, un des relais de poste de cette route était placé sur le territoire même du Hanovre, dans la petite ville d’Elbingerode, qui faisait partie de cet électorat. On pouvait bien oublier cette particularité, car rien ne la rappelait aux voyageurs ; la maison de poste, qui était la seule un peu apparente de cette bourgade, appartenait à la couronne de Prusse, comme l’attestait l’écusson royal qui en surmontait la porte principale.

Aussi, ce fut en pleine confiance que, le 20 décembre au matin, le maréchal, ayant envoyé en avant, comme d’habitude, une chaise qui contenait deux de ses gentilshommes, fit son entrée avec tous ses équipages dans la cour de la maison de poste d’Elbingerode, s’attendant à trouver ses chevaux tout garnis et les postillons prêts à partir. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant, au contraire, cette petite enceinte à peu près remplie par cent cinquante hommes de mauvaise mine, dont quelques-uns à peine portaient l’uniforme de gardiens de police ; le plus grand nombre étaient des paysans armés de fusils de chasse. A peine la dernière voiture eut-elle passé le seuil que la porte fut fermée avec bruit ; et, dans un coin de la cour, Belle Isle put apercevoir ses courriers arrêtés et gardés à vue. Un homme s’approcha alors de lui d’un air rogue et insolent, et, se faisant connaître pour le bailli d’Elbingerode, lui demanda qui il était et s’il était muni d’un passeport. « Je n’ai que faire de passeport, dit le maréchal avec indignation, et vous savez bien qui je suis. — Je n’ai rien à savoir, répliqua le bailli ; mes ordres sont d’arrêter toute personne qui essaiera de traverser le pays sans passeport. Si vous n’en avez pas, vous trouverez bon que je fasse ce qui m’est commandé. — Mais je suis Français, prince de l’empire, maréchal de France et ambassadeur. — Monsieur, un passeport vaudrait mieux que tous ces titres. Si vous n’en avez pas, je vous demande votre épée. — Mon épée, y songez-vous ? — Oui, monsieur, votre épée ; ces gens que vous voyez sont tous chasseurs et très bons tireurs. Je vous avertis qu’ils ne visent pas deux fois au blanc : si vous résistez, ils tireront, et je ne réponds de rien. »

La résistance était impossible. « Prenez-la donc, dit le maréchal en tendant l’épée, et me voilà prisonnier de guerre de Sa Majesté britannique. » C’était un moyen honorable de céder à la force, mais la parole était inexacte et imprudente, car c’était le roi d’Angleterre qui était en guerre avec la France et non l’électeur de Hanovre, prince de l’empire et neutre en cette qualité. De plus, Belle-Isle avait en poche des lettres, non-seulement du roi de France, mais de l’empereur, qui l’accréditaient et lui donnaient pouvoir pour traiter avec le roi de Prusse et divers états d’Allemagne ; un ambassadeur ne peut être un homme de guerre, et sa liberté tout au moins est sous la sauvegarde des immunités diplomatiques[5].

Quel que fût le droit, le fait était là ; il fallait obéir. Le bailli, ne voulant pas rester chargé de sa capture, enjoignit au maréchal, qui avait mis pied à terre, de remonter en voiture, en donnant tout haut à ses gens l’ordre de l’y placer de force, s’il faisait mine de s’y refuser. La berline où on le fit entrer n’était pas celle qu’il avait occupée, et on ne lui donna le temps de rechercher ni la canne dont sa sciatique lui rendait l’usage nécessaire, ni les couvertures qui le défendaient du froid, ni le chapeau que, dans sa tenue de voyage, ii remplaçait par un bonnet de fourrure. Ni son frère, ni le chirurgien, qu’une infirmité grave l’obligeait de tenir constamment attaché à sa personne, ni aucun de ses domestiques n’eurent permission de l’accompagner. Ce fut le greffier du bailli qui vint s’asseoir à ses côtés, sur la banquette du fond de la berline, tenant à la main sa carabine toute armée et prête à faire feu à la moindre alerte. En face se placèrent deux estafiers également armés et serrant de si près le maréchal, que la baguette de leurs fusils touchait presque son visage et pouvait le blesser au moindre cahot. Le carrosse, ainsi chargé, se mit en mouvement d’un pas assez lent pour ne pas prendre l’avance sur un chariot bondé de soldats qui suivait en guise d’escorte. Le chevalier, relégué dans une voiture de suite, fut encore plus maltraité. Les gardes, chargés de s’assurer de sa personne, avaient fait venir des vivres et de la bière, et faisaient bombance tout le long de la route, buvant, fumant, envoyant des bouffées de tabac au nez de leur prisonnier et entonnant à ses oreilles des chansons grossières contre la France et les Français. Un détail qui a son prix a été consigné dans les mémoires rédigés plus tard pour appuyer les plaintes du maréchal. Quinze ducats avaient été consignés d’avance par ses courriers pour les frais de poste des chevaux qu’ils venaient retenir. On refusa de les restituer, sous prétexte que le voyage continuait toujours, bien que dans de nouvelles conditions.

Ce fut dans cet appareil, mieux fait pour des malfaiteurs que pour des prisonniers d’état, que le cortège entier fit route vers la petite ville d’Osterode, où résidait le commandant militaire du district. Le trajet, bien qu’assez court, ne prit pas moins de vingt-quatre heures, parce que, pour le parcourir, il fallut emprunter, pendant quelques lieues, le territoire du duché de Brunswick, petit état indépendant qui ne dépendait pas du Hanovre et où des voisins n’avaient pas le droit de pénétrer en armes. Pour passer dans l’ombre sans être vu, on fit station au milieu des bois, par un froid rigoureux, jusqu’à une heure avancée de la nuit. A plusieurs reprises, il fallut aussi s’arrêter dans de méchantes auberges pour prendre quelque nourriture. Ces maigres repas étaient servis dans la salle commune du public (le poêle, suivant l’expression allemande), au milieu de buveurs attablés, qui ne se dérangeaient que pour venir regarder dans le blanc des yeux des convives tels qu’ils n’en avaient jamais vus. Belle-Isle entendit plus d’une fois demander qui il était, et la réponse ne manquait jamais d’être accompagnée de quelque injurieuse épithète.

A moitié gelés et morts de fatigue, les captifs arrivèrent enfin à Osterode, et leurs gardiens firent remise de leur prise entre les mains du commandant de la place, le baron de Münnchausen. Le baron était un gentilhomme de bonne maison et de bonne façon, qui avait connu Belle-Isle à Francfort. Il se montra aussi surpris que contrarié de l’aventure. Très honteux des procédés grossiers de ses compatriotes il se confondit en excuses ; la main sur la conscience, il jurait qu’il n’avait ni donné, ni reçu, ni transmis aucun ordre pareil. Il fallait que le bailli eût été avisé directement par quelque autorité supérieure, car tout s’était passé sans son concours et même sans sa connaissance. L’affaire pourtant était trop importante et trop mystérieuse pour qu’il se crût en droit de mettre en liberté de si grands personnages. D’ailleurs, le maréchal s’était déclaré prisonnier de guerre, et par là même, en quelque sorte, avait régularisé le fait dont il était victime. En tout cas, il fallait en référer à la régence de Hanovre et de là, probablement, au roi d’Angleterre. Mais, en attendant, Münnchausen promit que ses prisonniers, gardés dans un logis convenable, n’auraient à se plaindre de manquer d’aucun des égards dus à leur qualité. La preuve que Münnchausen était sincère dans ses protestations d’ignorance, c’est qu’il négligea la seule mesure dont l’intérêt eût pu justifier la violence du procédé. Il ne songea pas tout de suite à mettre la main sur le portefeuille de Belle-Isle, où il aurait trouvé pourtant de précieuses correspondances, tout le détail des relations des cours alliées entre elles, leurs plans de campagne et l’état actuel de leurs ressources. Ce ne fut que deux jours plus tard et après réflexion qu’il s’avisa qu’on lui reprocherait peut-être cet oubli, et qu’il ordonna une perquisition qui fut, à la vérité, très rigoureuse, puisqu’on fouilla même les poches des secrétaires. Il était trop tard, et Belle Isle avait eu le temps d’anéantir tous les papiers compromettans[6].

Mais si ce n’était pas d’Osterode que partait le coup, d’où était-ce donc ? Car on n’avait pu ni à Hanovre, ni encore moins à Londres, prévoir l’imprudente direction donnée au voyage d’un envoyé français, il faut donc croire que ce fut le maître de poste d’Elbingerode qui, à lui seul et interprétant à sa guise un ordre général de police, se flatta de populariser son nom en Allemagne, en mettant la main au collet de l’ennemi juré de son maître et de sa patrie. Au degré d’irritation où le sentiment public était monté en Allemagne, cet excès d’audace n’a rien d’incroyable.

On peut juger quelles furent, pendant les mortelles journées de détention qui suivirent, les sentimens de Belle-Isle, encore plus mortifié qu’irrité de l’incident tragi-comique qui mettait fin à la reprise de ses espérances. Aucun des maux qu’il avait endurés, pas même les souffrances de Prague, ne le piquait au vif comme une mésaventure qui prêtait à rire. Aussi se mit-il tout de suite à l’œuvre pour épancher sa bile dans une série de dépêches adressées à Versailles, à Berlin et à Munich, où il racontait, avec sa verve et son éloquence accoutumées, les indignités dont il avait été l’objet, et conjurait tous les souverains de venger le droit des gens offensé en exigeant sa liberté immédiate.

Du roi de France directement atteint dans la personne de son ambassadeur, mais en hostilité ouverte avec l’Angleterre, il n’avait guère à attendre que des protestations impuissantes, qui iraient rejoindre le dossier des autres griefs déjà énumérés dans la déclaration de guerre. Il ne doutait ni de l’indignation ni de la sympathie de l’empereur, mais il se défiait de sa fermeté et de sa puissance. Frédéric seul, qui avait encore un ministre accrédité à Londres, où on tenait à le ménager, et qui ne plaisantait pas habituellement quand il s’agissait de faire respecter ses droits, pouvait apporter une intervention efficace. Belle-Isle ne négligeait, pour l’y presser, aucun genre de moyen oratoire. A défaut d’une affection sur laquelle, malgré beaucoup d’assurances, il ne pouvait compter qu’à moitié, il pressait Valori de faire valoir sans délai toutes les considérations d’amour-propre et d’intérêt qui pouvaient émouvoir le prince.

Après tout, n’était-ce pas dans l’enceinte d’une propriété prussienne que l’arrestation avait eu lieu et sous les yeux d’un employé qui portait la livrée des gens de la maison de Brandebourg ? Que ce maître de poste d’Elbingerode eût été complice de l’attentat, ou simplement coupable d’une indiscrétion imprudente, Frédéric pouvait-il souffrir qu’on se jouât ainsi de son nom ? « Je ne saurais trop exprimer à Sa Majesté, ajoutait Belle-Isle, combien est fâcheux et nuisible à la cause commune que je ne puisse pas avoir l’occasion d’entretenir le roi de Prusse. Je suis instruit de la volonté du roi et de ses projets, je le suis même de tous ceux de l’empereur, et j’aurais pu lui faire connaître jusqu’où se portaient la vivacité et la fidélité de Sa Majesté, les dépenses qu’elle fait, et d’autres articles plus importans encore les uns que les autres. »

Une fois la lettre écrite, on eut quelque peine à la faire partir, car Münnchausen, toujours inquiet de sa responsabilité, avait interdit toute communication avec le dehors. Mais, soit que sa vigilance fût trompée, soit qu’il ne tînt pas bien sévèrement la main lui-même à l’exécution de ses ordres, on trouva un messager qui se chargea d’aller en droiture à Berlin remettre l’épître soigneusement chiffrée aux mains de l’ambassadeur de France[7].

Quelque hâte que fît le porteur, il trouva déjà Berlin tout rempli de l’étrange nouvelle, répétée par tous les échos de l’Allemagne. Tout ce qui tenait à la cour et au ministère était consterné (mais, chose remarquable, qui prouve à quel point le sentiment allemand était surexcité et que les dépêches anglaises font ressortir avec un malicieux plaisir), dans la ville, la surprise était mêlée de joie, et on raillait tout haut, sans se gêner, l’illustre Français, le vieux routier politique qui s’était laissé niaisement prendre au piège comme un écolier. Quant à Valori, il était moins étonné qu’affligé, car aussitôt qu’il avait connu le détour conseillé à Belle-Isle, il l’avait fait avertir par un avis, malheureusement parti trop tard, de prendre garde de toucher à la frontière hanovrienne. Il n’eût pas attendu la demande de Belle-Isle pour courir au palais et y faire entendre ses réclamations ; mais, par malheur, le jour où l’arrestation fut connue, Frédéric était absent. Après une semaine seulement passée à Berlin, il venait de repartir pour la Silésie[8].

Le motif de ce prompt départ était l’avis qu’on avait reçu de l’apparition d’un corps autrichien dans cette province. Cette agression, dans une saison aussi avancée de l’année, était inattendue et en réalité assez imprudente. Sans doute, si le prince Charles eût été libre de suivre son propre sentiment et les conseils du maréchal Traun, satisfait de son succès, il se fût gardé de le compromettre en venant chercher les Prussiens chez eux, dans des cantonnemens où ils étaient pourvus de toutes les ressources qui leur avaient manqué en Bohême ; mais Marie-Thérèse ne l’entendait pas de la sorte. Pour elle, la Silésie, violemment arrachée de ses mains dans un jour de malheur, lui appartenait toujours en propre, et l’occasion de rentrer dans son bien lui semblait trop propice pour qu’elle se résignât à la laisser échapper. Elle envoya au prince l’ordre, cette fois tout à fait impérieux, de passer la frontière et d’entrer dans la principauté de Clutz. En même temps, elle y faisait répandre une protestation ardente et passionnée, comme elle savait les écrire, où, faisant appel au dévoûment héréditaire de ses anciens sujets, elle les déclarait déliés devant Dieu de tout devoir de fidélité envers leur conquérant, comme elle l’était elle-même de tout engagement envers le perfide violateur du traité de Breslau. Elle leur promettait de les délivrer au plus tôt du joug odieux de ce régime militaire prussien, véritable esclavage, disait-elle, qui ôtait aux pères le droit de disposer librement de leurs enfans.

Le prince obéit très à regret et en avertissant que l’expédition lui déplaisait ; mais elle plaisait moins encore à Frédéric, qui y vit une bravade de son vainqueur propre à mettre le comble à son humiliation. Pour le coup, c’en était trop, et il fallait tenir tête à tant d’audace : « Je défendrai la Silésie jusqu’à la mort, comme le Brandebourg lui-même, » s’écriait-il, et il y courut à toute bride, prêt à payer de sa personne. Il se montrait aussi très irrité contre ses généraux, qui ne savaient rien prévoir et ne pouvaient pas se passer de lui : « Que dites-vous de ces gens-là ? disait-il à Valori en partant, je n’en ai pas un seul qui vaille ! » L’alerte était vive, mais elle ne fut pas de longue durée. Il ne fallut pas longtemps à l’œil exercé de Frédéric pour reconnaître que les positions où il avait laissé son armée étaient fortes, très bien gardées (quoi qu’il en dît) et suffisantes pour assurer la défense, tandis que l’attaque était très mollement poussée et avec une répugnance visible chez les généraux autrichiens comme chez les soldats. Le prince Charles ne disposait même pas de toutes ses forces, la reine, qui voulait reprendre tout ce que la guerre lui avait enlevé, lui ayant enjoint aussi d’en détacher une partie vers la Bavière : on ne lui laissait que les levées hongroises, qui avaient fait à la vérité la principale force de l’armée autrichienne ; mais ces troupes mal réglées, passant de l’ardeur à la défaillance avec cette mobilité d’impression propre aux hommes chez qui l’enthousiasme tient lieu d’expérience et de discipline, ne soupiraient plus qu’après le moment de rentrer dans leurs foyers et ne se prêtaient qu’à regret à toute entreprise qui les en éloignait. Des compagnies tout entières abandonnaient les drapeaux pour reprendre le chemin de la Hongrie. Quand Frédéric eut donné les ordres nécessaires pour prévenir toute surprise, il laissa sans inquiétude le commandement à son cousin, le vieux prince d’Anhalt, en qui il avait au fond toute confiance, et revint tranquille dans sa capitale[9].

Mais quoique son absence n’eût guère duré que quelques jours, pendant ce court intervalle, la première impression causée par l’arrestation de Belle-Isle s’était calmée. On avait eu le temps d’apprendre que le gouvernement anglais, tout en déclarant que le fait s’était accompli sans ses ordres, était très résolu à en tirer parti. On s’estimait trop heureux à Londres d’avoir mis la main sur l’instigateur et le confident de tous les desseins ambitieux de la France, le perturbateur du repos public, l’auteur de tous les maux dans lesquels l’Europe se débattait. Non-seulement on ne le lâcherait pas, mais on allait s’assurer tout à fait de sa personne en le faisant conduire en Angleterre. « C’est mon ennemi personnel et celui de ma maison, avait dit le roi George ; je connais ses ruses et ses desseins, et je sais comment je dois le traiter. » Tous les ministres de ses alliés à sa cour, et particulièrement celui d’Autriche, insistaient vivement pour qu’il ne se dessaisît pas d’une si bonne prise. Il devenait très grave pour Frédéric de faire, par voie diplomatique, des réclamations qu’il savait repoussées d’avance. Aussi Valori eut-il le regret de trouver que le roi, qu’il avait laissé si désireux, si impatient de voir arriver Belle-Isle, prenait avec une froideur indifférente la déception qui le privait de sa présence. Loin de s’irriter ou de s’attendrir, il s’étendait avec une pointe de raillerie sur les circonstances étranges de l’incident. « Pourquoi donc avoir pris par le Hanovre quand tout le monde l’aurait averti de n’en rien faire ? Et pourquoi s’être déclaré prisonnier de guerre et s’être dépouillé ainsi soi-même du caractère diplomatique ? D’ailleurs, si Belle-Isle était ambassadeur de quelqu’un, c’était de l’empereur ; c’était à l’empereur à réclamer : lui, roi de Prusse, n’avait pas à s’en mêler, » et comme Valori, insistant avec chaleur, représentait que le maréchal prisonnier n’était encore qu’à quelques lieues de la frontière prussienne, et que, pour le conduire à un port d’embarquement, le gouvernement électoral ne disposait probablement que d’une faible escorte qu’il serait aisé d’arrêter au passage, ce qui ne serait, après tout, qu’user de représailles et opposer la force à la force : « J’ai bien assez d’affaires et d’ennemis, dit le roi d’un ton sec ; quand on n’est pas en état de frapper, il ne faut pas menacer. » A grand’peine put-on le décider à faire écrire une lettre de chancellerie, très froide et où le plus grand soin était apporté à ne blesser en rien le roi d’Angleterre ; mais en même temps il prenait la plume pour écrire lui-même au roi de France, afin de lui demander, à la place de Belle-Isle, l’envoi d’un autre officier supérieur avec qui il pût concerter leurs desseins communs. « Je suspends, d’ailleurs, mon jugement, sur l’affaire du maréchal de Belle-Isle ; Votre Majesté saura mieux que personne comment il lui convient de la prendre[10]. » La tournure de cette dernière phrase était singulière, et Valori, qui, en transmettant la lettre, en prit certainement lecture, dut y voir la confirmation d’une idée bizarre qu’il n’hésite pas, dans sa correspondance, à prêter à Frédéric. Quand un acte d’un homme très en vue paraît étrange et ne s’explique pas de lui-même, au lieu de l’imputer tout simplement au hasard ou à l’imprévoyance, il ne manque jamais de profonds politiques pour y découvrir complaisamment un calcul machiavélique. Dans le cas présent, tout le monde s’était demandé pourquoi Belle-Isle s’était détourné de son chemin direct pour aller, comme à plaisir, se faire prendre en terre ennemie. Pour expliquer un acte d’imprudence qui paraissait si peu vraisemblable, plusieurs conjectures, qui l’étaient encore moins, furent mises en avant.

On s’était plu d’abord à supposer qu’en s’approchant du territoire de Hanovre, Belle-Isle avait eu le dessein de reconnaître sur quel point la frontière de ce petit état pourrait être le plus facilement accessible à l’attaque que préparait le maréchal de Maillebois, et des gens bien avisés prétendaient même qu’on avait reconnu, dans la suite si nombreuse du maréchal, des officiers et des ingénieurs déguisés prêts à lever des plans et à prendre des notes. Le lieu d’observation, en ce cas, aurait été singulièrement choisi, car de tous les chemins qu’une armée pouvait suivre, pour aborder le patrimoine chéri de George III, les défilés des montagnes du Hartz étaient assurément le moins commode. Aussi d’autres nouvellistes, plus ingénieux et doués surtout d’une bonne mémoire, en vinrent-ils à se rappeler que, quelque quarante années auparavant, un autre maréchal de France avait été fait prisonnier à la bataille d’Hochstedt, et conduit à Londres comme Belle-Isle allait l’être. Tallard avait profité de sa situation, qui n’inspirait pas d’ombrage, pour entrer en relation avec les principaux personnages de la cour et du parlement, et amener ainsi le revirement de partis qui, en éloignant Marlborough du pouvoir, prépara la paix d’Utrecht. Belle-Isle, instruit par cet exemple, n’avait-il pas conçu le dessein ou reçu l’ordre de le reproduire ? Ce prisonnier bénévole n’était-il pas un négociateur occulte, chargé d’instructions secrètes ? Ici encore la supposition ne supportait pas un instant d’examen. On oubliait tout simplement qu’avant d’être emmené captif en Angleterre, Tallard y avait résidé plusieurs années comme ambassadeur, et avait même rédigé, avec Guillaume, un projet de partage pour la succession espagnole. C’étaient donc des relations anciennes, faites de longue date, que Tallard avait mises à profit, genre d’avantages que Belle-Isle, qui n’avait jamais mis le pied sur le sol britannique, ne pouvait se flatter de trouver à son service. Il n’importe, l’idée fit fortune par sa singularité même, et trouva rapidement son chemin dans les gazettes de Londres et de Hollande[11].

Frédéric fut-il, comme Valori le suppose, accessible à un soupçon si peu justifié par le caractère de Belle-Isle, qui lui était si bien connu ? On peut tout croire d’un esprit naturellement ombrageux et toujours prêt à supposer chez autrui les artifices dont lui-même se sentait capable. Il y a pourtant, à la froideur de son attitude, une explication plus naturelle. Attaqué en Silésie, il venait de faire appel à la garantie promise par l’Angleterre au traité de Breslau, et, par occasion, il avait laissé entendre que, si l’on pouvait remettre toutes choses sur le pied antérieur aux derniers événemens militaires, il était disposé à toutes les concessions pour le rétablissement de la paix. A la vérité, cette offre ne lui coûtait pas grand’chose, puisqu’il n’avait rien gagné à la guerre ; mais il s’offrait de plus à conseiller à son allié de France de renoncer à ses conquêtes des Pays-Bas. Une modification ministérielle, survenue récemment à Londres, dans un sens qu’on regardait généralement comme pacifique, lui donnait l’espérance de se faire écouter. Ce n’était pas le moment de chercher une nouvelle querelle à son oncle George, en paraissant contester ou menacer l’indépendance de son cher électorat[12].

La raison était bonne, et nul doute que, chez un souverain, l’intérêt politique ne doive l’emporter sur tous les souvenirs de reconnaissance et d’affection particulières. Belle-Isle, d’ailleurs, n’avait à s’en prendre qu’à lui-même de sa propre imprudence ; mais, s’il était permis de l’abandonner, il n’était ni généreux ni même décent de se joindre à ceux qui se raillaient de son infortune. C’est pourtant ce que fit Frédéric, et même, si l’on en croit une dépêche anglaise, avec un éclat vraiment cruel. Peu de jours après l’incident, il y eut à la cour, à l’occasion de la nouvelle année, un de ces divertissemens qu’on appelle encore en Allemagne des redoutes, et auxquels les plus grands personnages prennent part sons des déguisemens qui rendent difficile de les reconnaître. Frédéric, affublé d’un domino, vint se promener au milieu des danseurs ; et, apercevant un gentilhomme français, il l’arrêta au passage : « Me reconnaissez-vous monsieur, dit-il ? Je suis le bailli d’Elbingerode, celui qui a arrêté M. de Belle-Isle, » Puis, se tournant vers un officier de haute stature qui l’accompagnait : « Et voici, ajoute-t-il, le dragon qui le garde à Osterode. Demandez-le-lui plutôt, ne dis-je pas vrai[13] ? »

Si Frédéric, pourtant, avait pu prendre sur lui de faire trêve un seul jour à sa cruelle habitude de plaisanter de tout, même aux dépens de ses amis, il aurait réfléchi que l’incident où il ne voyait qu’une occasion de se divertir était un coup rude et presque mortel pour tout ce qui, en dehors de Berlin, portait intérêt à sa politique et à sa personne. En France, d’abord, tout le parti belliqueux, c’est-à-dire prussien, à qui la perspective d’une campagne nouvelle à entreprendre en Allemagne faisait perdre chaque jour du terrain dans l’opinion, s’en montra consterné. Belle-Isle était le héros de l’alliance prussienne, et la mauvaise chance qui, dorénavant, s’attachait à lui, semblait la condamnation de la cause elle-même. Le roi, qui, malgré ses tristes distractions, restait plus fidèle qu’il n’en avait l’air à la suite des idées qu’il avait une fois conçues, et dont le coup d’œil indifférent, mais toujours juste, démêlait très vite la conséquence des événemens, ne s’y trompa pas. Le soir du jour où la nouvelle de l’arrestation fut connue, comme on disait devant lui que ce qu’il y avait de plus grave dans ce malheur, c’était la prise par l’ennemi de papiers dont la connaissance pouvait tout compromettre : « Il s’agit de bien autre chose que des papiers, » dit-il. Mais le plus ému de tous fut le cardinal de Tencin, celui qui, dans les derniers conseils, avait opiné le plus résolument, et pour l’action la plus vive, et pour le choix de l’agent le plus actif. « C’est le plus grand malheur, disait-il à Chambrier, qui pût nous arriver, et la perte d’une bataille ne nous serait peut-être pas si fatale. » Et comme le ministre de Prusse paraissait croire qu’à défaut de Belle-Isle on pourrait encore compter sur le concours et le crédit du maréchal de Noailles, le nom de ce collègue, qui ne lui plaisait guère, parut accroître encore le chagrin du cardinal. « Ne vous y trompez pas, dit-il, le temps passé n’est plus : on se trompe si on croit que le roi a la même confiance dans ce maréchal qu’il a eue ci-devant… Le roi aurait cinq cents armées qu’il n’en donnerait pas une à conduire à M. de Noailles. — Le cardinal, ajoute Chambrier, me dit cela avec vivacité et du rouge sur les joues[14]. »

Mais où la plaisanterie de Frédéric aurait été particulièrement mal reçue, c’était à Munich, où le souverain désolé perdait avec Belle-Isle son consolateur et sa suprême espérance. « Cet événement est un coup de foudre pour l’empereur, » écrivait Chavigny. Aussi les réclamations que la chancellerie impériale s’empressa d’envoyer à l’adresse du cabinet britannique avaient-elles tout le caractère d’un véritable cri de douleur ; mais en Bavière même, et jusque dans l’antichambre du prince, elles ne trouvaient aucun écho. Là comme ailleurs, peuple aussi bien que courtisans et ministres, non moins que généraux, la passion antifrançaise envahissait tout le monde, et on n’était pas éloigné de penser que Belle-Isle de moins, c’était une chance de plus en faveur de la paix, ardemment et à tout prix sollicitée. C’était chez les uns lassitude de souffrir et de combattre ; et, chez les autres, sympathie pour des compatriotes gémissant sous le poids de l’invasion étrangère. L’empereur, assourdi de ces plaintes, qu’on ne se gênait pas pour faire arriver à ses oreilles, se voyait déjà voué à l’exécration de la postérité, comme le traître qui avait vendu sa patrie. « Il me montre, disait encore Chavigny, les notes véritablement empoisonnées qu’il reçoit. Lui et le comte de Torrins sont les seuls Français que nous ayons ici[15]. »

Comment le trouble d’ailleurs n’eût-il pas été général, quand le plus empressé à le répandre était le commandant même de l’armée bavaroise, le maréchal Seckendorf, Autrichien de naissance, éloigné de son pays par une disgrâce, toujours désireux d’y rentrer et peu confiant (non sans raison), soit dans la valeur de ses troupes, soit dans les ressources qu’il pouvait trouver en lui-même pour en tirer parti. Celui-là poussait tout au noir et déclarait tout haut que tout était perdu et qu’il faudrait capituler sans merci, si le secours réclamé de la France n’arrivait pas à marches forcées. Ses pronostics durent paraître réalisés quand, dans les premiers jours de janvier, le général autrichien Thungen avec un petit corps détaché, comme je l’ai dit, de l’armée du prince de Lorraine, passa la frontière bavaroise et vint mettre le siège devant la petite ville d’Amberg. Les forces dont disposait Thungen, n’étant pas considérables, si Seckendorf s’était porté à sa rencontre, il l’aurait assez aisément fait reculer ; mais se croyant nécessaire pour la défense de Munich, il laissa le marquis de Ségur, avec le petit corps français qu’il commandait, tenter seul de faire lever le siège. Ségur fut repoussé avec perte, et les Autrichiens restèrent maîtres d’Amberg et de la contrée environnante[16].

Ce premier revers, qui semblait justifier les plus sinistres pressentimens, fut appris à l’empereur au moment où une lettre de Louis XV lui refusait positivement, en s’appuyant, il faut bien le dire, sur d’assez bonnes raisons, l’aide que Belle-Isle avait implorée en son nom. « Si j’écoutais, disait le roi, toutes les demandes qui me sont faites, je n’aurais plus d’armée au printemps prochain… Je ne dois pourtant pas négliger la sûreté de mes frontières, et quand j’en aurais écarté tous les moyens de défense, s’il arrivait quelque revers, elles demeureraient exposées aux effets de la fureur de mes ennemis… On n’a fait que trop souvent des pointes qui ont toutes mal réussi. Le roi de Prusse, notre allié, reconnaît qu’il vient de faire cette faute et projette de faire la guerre dans une autre méthode… J’entre dans la prédilection que Votre Majesté marque pour le séjour de sa capitale, mais je voudrais qu’elle n’en fût pas si absolument et si uniquement affectée. Les affections les plus fortes doivent quelquefois céder à ce qu’exigent les principes de guerre, de politique et les besoins pressans[17]. »

Ce langage était un peu dur et touchait sans ménagement à la plaie sensible du cœur de l’empereur, en ne lui laissant apercevoir d’autre ressource que l’horrible extrémité d’une nouvelle fuite. Ce fut un coup trop rude, après tant d’autres, pour sa santé déjà ébranlée par ces émotions successives ; un accès de goutte dont il était atteint remonta violemment vers le cœur et présenta bientôt des caractères très alarmans. Bien que se sentant défaillir, il voulut encore, de son lit de souffrance, dicter une dernière prière au roi de France, afin d’arracher de sa compassion pour un mourant, ce qu’il n’avait pu obtenir même des conseils et de la puissante intervention de Belle-Isle.

« L’habitude, disait-il, où je suis de parler à cœur ouvert à Votre Majesté ne me permet pas de lui cacher la vérité. Les momens sont précieux, et si elle veut prévenir les conséquences affreuses de l’entreprise des ennemis, elle n’a pas un moment à perdre. Je prie Votre Majesté, au nom de son amitié pour moi, dont j’ai ressenti tant de fois les effets, de ne pas me refuser le secours que je lui demande. Je suis bien fâché que l’état de ma santé ne me permette pas d’écrire de ma main à Votre Majesté, je m’expliquerais encore avec une plus grande effusion. » Quand on lui présenta la plume pour apposer sa signature, il eut à peine la force de la prendre. Le lendemain, la mort approchant à grands pas, il fit venir près de lui son jeune fils à peine sorti de l’enfance ; il l’engagea à rester fidèle à l’alliance de la France ; puis, se tournant vers son médecin, il lui dit : « Allez trouver Chavigny et dites-lui, mais à lui seul, de se ressouvenir que j’ai mis toute ma confiance en lui et dans son cher roi, et que j’espère qu’il continuera à mon fils son attachement et ses conseils. »

Puis, il recommanda au prêtre qui lui donnait les derniers secours religieux de faire demander publiquement, du haut de la chaire, pardon pour lui, à ses peuples, des maux dont il n’avait pas su les défendre. Le 21 janvier au matin, il expira. Il n’avait pas achevé sa quarante-huitième année, et cette dignité impériale, objet depuis plus d’un siècle de l’ambition de sa race, il ne l’avait portée que trois ans, au travers des plus douloureuses épreuves[18].

Presque à la même heure, par une étrange et instructive coïncidence, celui qui avait posé sur son front cette couronne d’épines s’acheminait lentement, gardé à vue par des soldats, vers les côtes de la Baltique, où l’attendait un vaisseau de guerre sous pavillon britannique. Le voyage, bien que conduit cette fois avec convenance, grâce aux soins d’un seigneur anglais, lord Douglas, envoyé tout exprès pour y veiller, fut cependant encore long et pénible. On dut faire station toute une semaine dans la petite ville de Guttenberg, le maréchal souffrant d’un redoublement de sa goutte sciatique, dû aux mauvais traitemens qu’il avait subis, et qui l’empêchait de supporter le mouvement de la voiture. Arrivé à Neuhaus, petit port situé à l’embouchure de l’Elbe, un nouvel arrêt fut nécessaire : l’encombrement des glaces charriées par le fleuve rendit, pendant plusieurs jours, l’accès de la haute mer impossible. La traversée, qui eut lieu ensuite, ne dura pas moins de treize jours, par un temps détestable, et ne fut pas exempte de périls, car le bâtiment, avarié par le choc des glaçons, faisait eau de plusieurs côtés. Enfin on ne put entrer dans la Tamise ni atteindre le port de Greenwich, où le vaisseau de guerre était attendu : une embarcation fut mise à flot et alla prendre terre sur les côtes du comté d’Essex, dans le petit port d’Harwick. Les habitans, surpris de cette visite et ne sachant pas bien à qui ils avaient affaire, rendirent, par une courtoisie qui pouvait paraître dérisoire, les honneurs militaires au prisonnier.

Mais, averti de l’arrivée des voyageurs, le ministère anglais envoya sur-le-champ une escorte de cavalerie pour les conduire à Windsor, où leurs logemens étaient préparés. La précaution fut nécessaire encore plus pour protéger que pour garder leurs personnes ; car dès que leur qualité fut connue, on vit ce jour-là, dit une correspondance du temps, toute la férocité de la populace anglaise. Dans toutes les petites villes où passait le cortège, et à Windsor à l’arrivée, la foule ameutée l’accueillit avec des huées et (suivant la mode anglaise) des grognemens sinistres. Des pierres, des ordures et de la boue étaient lancées contre les équipages, et dans le carrosse où était le maréchal, une glace fut brisée en morceaux. Les ministres, au nombre desquels figuraient, avec leur chef, le duc de Newcastle, plusieurs membres de l’aristocratie anglaise qui avaient connu Belle-Isle à Paris, honteux de ces manifestations indécentes, s’efforcèrent d’en atténuer le récit dans les journaux ; mais eux-mêmes étaient intimidés par ce déchaînement de passions populaires. Le souvenir des intrigues de Tallard, si sottement rappelé, mais très facilement accepté par la crédulité publique, leur faisait craindre d’être accusés à leur tour, comme l’avaient été les conseillers de la reine Anne, de négociations clandestines avec l’ennemi de la patrie. C’était le thème favori de la presse opposante. « Belle-Isle arrive, disait l’un de ces écrits dont on se disputait la lecture, c’est le cheval de bois qui entre dans Troie et qui porte notre ruine dans ses flancs. — Point de ménagement pour l’espion, disait un autre ; si l’honnête bailli qui l’a arrêté l’avait fait pendre au premier arbre du chemin, il n’aurait fait que justice. » Dans une caricature intitulée : Cortège funèbre de l’empereur, et où tous les souverains d’Europe paraissent ridiculement travestis, Belle-Isle est représenté montant un grand cheval de Hanovre dont son frère est occupé par derrière à couper la queue, et de sa bouche sort une bande portant ces mots : « Je saurai bien les entallarder » (I’ll entallard’ them), et au-dessous : « Belle-Isle est-il un assassin ou un espion ? C’est ce qui n’est pas clair ; mais ce qui est sûr, c’est que sa présence ne nous apporte rien de bon[19]. »

On avait fait espérer au maréchal qu’une fois rendu à Windsor il serait mis en liberté sur parole ; mais, dans la crainte de surexciter le sentiment public, on n’osa pas lui témoigner cette confiance. On le renferma, au contraire, très étroitement au secret dans la grosse tour du palais, dont la garde fut confiée à un officier qui ne le quittait ni jour ni nuit, et on l’avait choisi sachant le français, de manière que pas un mot ne fût perdu de tout ce que l’illustre captif pouvait dire, soit à son frère, soit à ses domestiques. Des fournisseurs de Londres, qu’il fit demander pour renouveler sa garde-robe fort endommagée par le voyage, durent se soumettre à être fouillés à l’entrée comme à la sortie. En revanche, on lui prodigua sous main tous les ménagemens qui pouvaient adoucir matériellement sa détention. Un crédit de 50 livres sterling par jour était alloué pour sa dépense et celle de ses gens.

La correspondance dans laquelle je lis ces détails affirme qu’en arrivant à Windsor Belle-Isle ne savait rien de ce qui s’était passé dans le monde depuis le 20 décembre, jour de son arrestation, et que la première faveur qu’il demanda fut d’avoir connaissance des papiers publics qui avaient paru à partir de cette date. Si le fait est vrai (et malgré la rareté et l’insuffisance des moyens de publicité d’alors, il paraît si peu croyable, que je ne voudrais pas le garantir), la première nouvelle qui dut frapper ses yeux fut celle de la mort du souverain qu’il avait placé sur le trône. Ainsi tout était dit, et c’en était fait de l’œuvre dont il attendait sa gloire.

Belle-Isle en captivité et Charles VII dans la tombe, la Bohême reconquise, la Bavière menacée, la dignité impériale de nouveau promise à l’ambition de Marie-Thérèse, que restait-il du grand dessein qui avait mis l’Europe en feu et coûté tant de sang à la France ? A peine un souvenir dans l’esprit de celui qui l’avait conçu, et qui s’en allait maintenant, condamné à l’impuissance et rongeant son frein, languir sur la terre étrangère. Jamais naufrage ne fut plus complet ; jamais erreur politique ne fut plus cruellement châtiée. Ceux qui remplaçaient Belle-Isle dans les conseils de la France sauraient-ils du moins profiter de la leçon[20] ?


II
La nuit du vingt au vingt et un,
Monsieur l’empereur est défunt.
Il est mort d’avoir rendu l’âme ;
Et, par ce coup du sort malin,
Veuve est restée sa pauvre femme,
Et monsieur son fils orphelin.
Savoir s’il a bien ou mal fait,
On en jugera par l’effet.
S’il donne la paix à la France,
Il ne peut qu’en être approuvé ;
Mais s’il nous remet en dépense,
C’est bien le tour d’un réprouvé.

Il n’y a pas au fond grande différence entre cette burlesque oraison funèbre, due à la muse d’un chansonnier inconnu, et le jugement que porte un témoin sagace et bien informé sur l’impression que causa à Paris, aussi bien qu’à Versailles, la mort inattendue de Charles VII. « Ce grand événement, écrit à Frédéric le ministre de Prusse, Chambrier, a produit à peu près le même effet sur tous les Français, tant de la cour que de la ville : ils ont tous envisagé cette mort comme un moyen qui leur procurerait la paix et qui, par conséquent, leur était plus favorable que contraire. Tous les ministres pensent de la même manière, si on en excepte le cardinal de Tencin… Ils sont tous unanimes sur le sentiment que la France se trouve dégagée d’une alliance qui lui était infiniment onéreuse par la mauvaise conduite de l’empereur, de ses ministres et de ses généraux ; en sorte que tout le fardeau se trouvait sur les épaules de la France, qu’elle était obligée de soutenir avec des dépenses immenses, la plupart à pure perte, par le mauvais usage qui se faisait de l’argent qu’elle donnait et des troupes qu’elle fournissait. On croit donc avoir beaucoup gagné ici par la mort de l’empereur, et quelques-uns même penchent à croire que la France sera maîtresse de reprendre les premières idées qu’elle avait d’abord après la mort de Charles VI, mais dont elle fut dérangée, dit-elle, malheureusement, par l’entrée de Votre Majesté en Silésie, qui était de se tenir simple spectatrice sur les frontières, entretenir le feu qui serait allumé en Allemagne, et laisser en surplus l’empire se chamailler et s’affaiblir par ses divisions… L’état du jeune prince (le fils de l’empereur) excite une certaine compassion, mais la crainte qu’a ce ministère est de se jeter dans un gouffre aussi profond avec le fils qu’avec le père et de se trouver dans le même embarras… La détention du maréchal de Belle-Isle fait ici un vide immense pour les projets qu’il convient de prendre dans une conjoncture aussi capitale ; personne n’y peut suppléer avec la même supériorité. Ces gens-ci vont d’un jour à l’autre, sans plan ni principe ; aussi ne peut-on savoir ce qu’ils feront[21]. »

La vérité, c’est que l’opinion publique, éclairée par l’expérience et revenue d’un premier enthousiasme, n’hésitait plus à reconnaître qu’en s’aventurant au fond de l’Allemagne pour y créer à grand’peine et y soutenir à grands frais un empereur de son choix, la politique française s’était engagée dans une voie contraire à ses intérêts, où les embarras et les périls de toute sorte renaissaient sans cesse sous ses pas. Combien n’eût-il pas été (chacun le sentait maintenant) à la fois plus simple et plus loyal, au lendemain de la mort de Charles VI, de tenir fidèlement parole à son héritière et au besoin même de lui venir en aide, sauf à réclamer d’elle, en retour, quelque témoignage de reconnaissance ? Cette vérité, qui ressortait tardivement des faits, venait même de subir, comme par une opération mathématique, le contrôle de la preuve et de la contre-épreuve. En quatre ans, en effet, trois grandes armées expédiées ou plutôt engouffrées en Allemagne, s’y étaient fondues de misère et d’impuissance, et trois généraux estimés, Belle-Isle, Maillebois et Noailles, avaient consumé leurs forces et compromis leur renommée dans cette tâche ingrate. Et voilà qu’en moins de six mois, un jeune roi qui n’entendait rien à La guerre, et Maurice de Saxe, un étranger inconnu la veille, par le seul fait qu’ils combattaient aux portes de la France, avaient relevé l’honneur du nom français, mené à fin une série d’heureuses et brillantes opérations, et mis la main sur d’importantes conquêtes ! Rien ne pouvait mieux démontrer que, s’il était dangereux pour la France de s’engager elle-même dans les divisions de l’Allemagne, il lui était aisé de profiter de la défaillance qui en était la suite pour étendre le rayon naturel de son action politique et militaire, et fortifier autour d’elle ses défenses nationales ? Et c’est au moment même où le sentiment des fautes commises, comme le regret de s’y être laissé entraîner, était général, où la perspective de nouveaux sacrifices à faire, — probablement aussi peu payés de retour, — entretenait dans les esprits les plus sombres préoccupations, que, par un coup inattendu de la Providence, on se retrouvait subitement reporté de quatre ans en arrière, et la France pouvait se croire délivrée des liens dont elle s’était laissé si imprudemment enchaîner. Quoi d’étonnant, alors, que la fin de cet empereur inerte et impuissant, qu’il fallait, la veille encore, non-seulement faire régner, mais faire vivre, — non-seulement protéger, mais nourrir, — parut décharger la conscience publique d’un poids qui pesait sur elle ? Puisque le trône impérial était de nouveau vacant, quoi de plus simple et de plus indiqué que de profiter de l’expérience, et de se tenir cette fois en dehors de toute compétition, en faisant payer à Marie-Thérèse, par une paix avantageuse, une abstention dont, plus que tout autre, le grand-duc, son cher époux, le candidat préféré de son orgueil et de son amour, serait en mesure de profiter !

À certains égards même, il semblait que, si on oubliait un instant le sang versé et l’or prodigué pendant quatre années de souffrances et de combats, la position de la France, pour entamer une négociation pacifique de ce genre, fût plus forte qu’au premier jour. Bien que la fin de la dernière campagne n’eût pas complètement répondu à l’éclat du début, nos armées restaient cependant maîtresses d’une notable partie des Pays-Bas et de toutes les possessions autrichiennes du Rhin. La barrière de forteresses qu’un traité jaloux avait élevée autour de nous pour contenir l’ambition des successeurs de Louis XIV était entamée, et plusieurs des citadelles qui formaient comme les anneaux de cette chaîne continue restaient entre nos mains. A l’extrémité d’une autre frontière, la prise de Fribourg nous livrait les clés d’une des portes du saint-empire. Ces succès partiels étaient de peu d’importance et surtout de peu d’efficacité si on s’obstinait à vouloir régenter l’Allemagne : Frédéric avait raison de dire qu’on ne pouvait conquérir l’Autriche en faisant la guerre sur les bords du Rhin, et qu’on n’arriverait pas à Vienne en passant par Bruxelles. Mais si, au lieu de disputer à Marie-Thérèse le patrimoine de ses aïeux, on ne songeait qu’à traiter avec elle à des conditions honorables et fructueuses, ces conquêtes, en elles-mêmes insignifiantes, étaient pourtant d’excellens gages dont on se trouvait nanti d’avance et qui formaient des objets d’échange nullement à dédaigner. En Italie, les faits d’armes brillans du prince de Conti nous laissaient un avantage, sinon matériellement, au moins moralement égal. L’hiver, il est vrai, en avait interrompu le cours, et le prince avait dû repasser les Alpes sans pouvoir achever le siège de l’importante place de Coni : mais ce n’était que partie remise, car il restait maître, à l’Argentière, d’une voie de communication ouverte qui lui permettait de reparaître, pour reprendre l’œuvre inachevée, au premier souffle du printemps ; et, en attendant, les troupes françaises demeuraient campées dans le comté de Nice et les troupes espagnoles en Savoie, ayant peu souffert et pleines de confiance dans leur supériorité. Entamer une transaction diplomatique en offrant la paix avec des moyens d’action qui auraient pu permettre de l’imposer, c’était, pour emprunter à un politique du temps une expression juridique alors consacrée, plaider les mains garnies.

A la vérité, si on était plus fort qu’au point de départ, on était aussi moins libre. La France ne se présentait plus seule, pas plus sur le terrain diplomatique que sur le militaire. Elle avait lié sa partie avec des alliés et ne pouvait se retirer du jeu sans les prévenir : un traité spécial l’obligeait envers Frédéric ; l’honneur et la loyauté ne lui permettaient pas d’abandonner sans défense le jeune héritier de la Bavière, compromis pour la cause commune et menacé dans sa capitale l’union des confédérés de Francfort avait été négociée par son ambassadeur et revêtue de sa garantie : c’était là une série d’obligations solidaires l’une de l’autre et dont aucune ne pouvait être isolément répudiée. Mais quelque respectables que fussent ces engagemens, il était possible, cependant, d’en sortir avec honneur sans manquer de parole ni faire tort à personne, car après tout, en les contractant, personne, pas plus la France que ses alliés, n’avait promis autre chose que de défendre les droits de l’empereur contre ceux qui contestaient la légitimité de son élection.

L’union de Francfort n’était qu’une levée de boucliers de vassaux fidèles répondant à l’appel de leur suzerain légitime. Frédéric, lui-même, avait mis du prix à établir, dans tous ses manifestes, que, s’il entrait en armes sur le sol autrichien, ce n’était pas comme ennemi ni personnel ni déclaré de l’Autriche, mais en qualité de simple auxiliaire de l’empereur, et comme un membre loyal du corps germanique tenu de venir en aide à son chef. La gageure, j’en conviens, était assez difficile à soutenir, et personne ne la prenait tout à fait au sérieux ; mais la prétention n’en attestait que mieux le caractère qu’il voulait donner à sa prise d’armes, et c’est sur cette distinction même qu’il se fondait pour invoquer à Londres et à Pétersbourg les garanties du traité de Breslau, au moment où il en violait toutes les dispositions. On pouvait donc le prendre au mot, lui aussi bien que tous ses associés, et soutenir que, par la mort de l’empereur le litige étant clos, toutes les alliances tombaient avec l’objet même qu’elles poursuivaient. Pour se servir encore du langage technique des jurisconsultes, tous les contrats étant devenus nuls et caducs par défaut de cause, chacun pouvait se dire en droit de rentrer dans sa liberté.

Laissant même de côté ces questions de forme qui, devant les chancelleries diplomatiques comme devant les tribunaux, ont pourtant leur valeur, et en allant au fond des choses avec le coup d’œil juste de la politique, on eût aisément aperçu que la vraie difficulté pour la France n’était pas de se dégager des alliances qu’elle avait conclues, c’était, au contraire, de les maintenir et d’empêcher le lien qui les retenait de se dissoudre par une série de défections individuelles. La situation, en réalité, pesait sur tout le monde, et, le soulagement intérieur que causait aux politiques de Paris l’espoir de s’en affranchir, il n’était personne en Allemagne qui, au fond de l’âme, ne le partageât. Toute la question était de savoir qui serait le premier à confesser ce sentiment tout haut et à y donner libre cours. Il n’était pas un des confédérés de Francfort qui n’eût trouvé à l’épreuve très incommode de défendre un empereur si maladroit à se défendre lui-même, et qui, à peine sa tombe ouverte, ne fût tenté de porter ses regards du côté de l’horizon si visiblement favorisé par ce coup de fortune. Tous allaient songer tout de suite (il fallait s’y attendre) au moyen de faire, chacun pour son compte et à son profit, sa paix particulière avec Marie-Thérèse. Ne disait-on pas que Charles VII lui-même, à la veille de sa mort, ouvrait l’oreille à quelque capitulation de ce genre, et Belle-Isle, à son passage à Munich, n’en avait-il pas conçu le soupçon et exprimé la crainte ? Pouvait-on espérer plus de fidélité et de constance d’un enfant de dix-huit ans, soumis à l’influence maternelle d’une fille d’Autriche, entouré des plus lâches conseils, et pénétré lui-même des terreurs qui avaient assiégé le lit de mort de son père ? La suite ne fera que trop voir qu’à Munich la France n’avait pas à craindre de n’être point suivie par le jeune électeur dans des voies pacifiques, mais, au contraire, à le détourner de s’y précipiter tête baissée et sans conditions. Restait Frédéric, de tous nos compagnons d’armes le plus exigeant, le plus impérieux, le plus âpre à sommer à tout moment Louis XV de sa parole, et le plus résolu, en général, à ne pas lâcher prise. Mais celui-là, non plus, si récemment éprouvé par le sort des armes, n’était pas cette fois inaccessible aux conseils de la prudence : là aussi, ce qu’on avait le plus à redouter du caractère qu’on lui connaissait, c’est que, pour peu qu’il y trouvât son avantage, il faussât compagnie à tout le monde sans prévenir personne ; et ses correspondances qu’on va lire nous montreront, par des preuves irrécusables, que la France, en réclamant de lui sa liberté, aurait, non pas devancé, mais simplement pressenti et deviné l’exemple qu’en cachette et à son insu il avait déjà donné lui-même.

Il est donc permis d’affirmer que si, à ce moment critique, le cabinet français eût pris sans précipitation, sans défaillance, en réservant tous ses avantages, l’initiative d’une proposition de paix générale dont la base eût été l’abandon, de sa part, de toute prétention à intervenir dans le choix du nouvel empereur, cet acte d’abnégation eût été approuvé par tous les vrais politiques d’Europe, et sa voix généreuse eût trouvé de l’écho dans le cœur de toutes les populations souffrantes. Loin que la France eût à encourir le reproche d’un égoïste abandon, tous ses alliés lui auraient su gré de les diriger elle-même dans le sens où ils étaient pressés de se porter et d’acquérir, par un sacrifice personnel d’amour-propre, le droit de plaider la cause commune avec plus d’autorité. Ils l’eussent vue figurer bien plus volontiers à leur tête dans un congrès pacifique que sur un champ de bataille. Les conditions d’une telle paix semblaient d’ailleurs (une fois la question épineuse de l’élection impériale écartée) préparées et comme posées d’avance par les événemens mêmes de la guerre, et la situation respective des puissances comme des armées belligérantes. La Prusse et l’Autriche restaient campées en face l’une de l’autre, après avoir éprouvé leur impuissance, celle-ci à conquérir la Bohême, et celle-là à reprendre la Silésie. La fortune des combats prenait soin ainsi de confirmer et de consacrer le partage fait entre elles par le traité de Breslau. C’était, pour parler le langage des chancelleries, un uti possidetis, tout naturellement préparé. En restituant à Marie-Thérèse Fribourg et l’Autriche antérieure, nul doute qu’on eût obtenu d’elle de respecter la sécurité et l’intégrité de la Bavière. On aurait eu plus de peine, sans doute, à trouver quelque satisfaction en Italie pour l’ambition maternelle d’Elisabeth Farnèse ; et ni l’Angleterre, ni la Hollande n’auraient accepté sans murmurer une extension de notre frontière de Flandre, que les succès de la dernière campagne nous donnaient pourtant le droit d’exiger. Mais de telles difficultés se rencontrent au début de toutes les négociations et finissent toujours par être surmontées quand ceux qui sont chargés de les résoudre savent apporter, à l’appui du droit et de l’intérêt commun, un suffisant degré d’adresse et de fermeté. Depuis le commencement du siècle, on avait vu à plusieurs reprises des complications bien plus graves dénouées par l’habileté des diplomates. Il n’était pas même nécessaire, pour trouver de tels exemples, de remonter jusqu’au souvenir des négociateurs d’Utrecht qui, à travers le feu des passions les plus ardentes et le jeu des intérêts les plus complexes, avaient pourtant su renouveler, par une série de transactions équitables, toute la répartition des territoires en Europe. Il suffisait de se rappeler la paix beaucoup plus modeste conclue dix années auparavant, après la guerre de la succession de Pologne, et qui avait assuré la Lorraine à la France ; ce souvenir, qui honorait la mémoire de Fleury, n’était pas fait pour décourager ses successeurs.

Si, cependant, le roi de France et ses conseillers, au lieu de suivre les avis de la raison, de la politique et même de l’humanité, n’écoutaient que le faux point d’honneur qui pouvait les détourner de reconnaître leur erreur, — s’ils persistaient à vouloir continuer ou plutôt renouveler la tentative que la mort, en se jouant, venait de mettre à néant ; — alors, un autre devoir bien plus sérieux encore leur était imposé : c’était d’envisager en face toutes les conséquences d’une résolution si hasardeuse pour les aborder ensuite avec fermeté. Pour en mesurer toute la gravité, il fallait commencer par se rappeler par quels efforts de courage, d’habileté et presque de génie, Belle-Isle était parvenu à déplacer pour un jour l’axe de l’empire germanique, et quels sacrifices d’hommes et d’argent il n’avait cessé de réclamer pour atteindre ce but, en se plaignant toujours de ne les obtenir jamais dans une mesure suffisante. Puis, ce compte fait, il fallait se bien mettre en tête que tout ce labeur maintenant dépensé en pure perte, n’était rien auprès de ce qu’allait coûter la même opération, reprise à nouveau dans des conditions bien moins favorables.

Le temps était passé, en effet, où Belle-Isle, faisant sa première tournée électorale dans le majestueux appareil de son ambassade, captivait tous les suffrages par le double ascendant de la force et de l’éloquence. Depuis lors, candidat aussi bien qu’électeurs avaient bien changé de situation comme de sentimens. Le prince, que Belle-Isle prenait ce jour-là par la main pour le porter au trône impérial, était dans la force de l’âge, préparé de longue dite à cette haute prétention, issu d’une race illustre et guerrière dont on se plaisait encore à croire qu’il avait hérité le courage en même temps que l’ambition et le pouvoir. En face de lui se présentait timidement un jeune homme inconnu, étranger à l’Allemagne par sa naissance, n’ayant d’autres titres à invoquer que la tendresse et les larmes de son épouse ; genre d’intercession plus propre à lui attirer la compassion que l’estime. Aujourd’hui, tous les rôles étaient renversés ; c’était le pupille de la France qui n’était qu’un enfant, et si François de Lorraine n’avait pas beaucoup grandi dans l’opinion de ses compatriotes, l’éclat des vertus viriles déployées par sa compagne rejaillissait sur lui ; en plaçant la couronne sur son front, on pouvait être assuré de trouver, à ses côtés, une main ferme qui saurait l’y maintenir.

En se bornant même à établir matériellement un calcul de suffrages (très aisé à faire, dans l’auguste mais petit collège dont l’élection impériale dépendait), non-seulement l’unanimité obtenue par Charles VII ne pouvait plus être espérée, mais la majorité numérique semblait perdue d’avance. Les deux rois électeurs de Pologne et de Hanovre, — dont Belle-Isle avait arraché le concours en flattant l’ambition de l’un, en assurant à l’autre la sécurité de son patrimoine, — s’étaient décidément émancipés. Des conventions expresses les baient à l’Autriche ; leurs armées réunies combattaient ensemble contre les nôtres, soit en Flandre soit en Bohême. Des trois sièges ecclésiastiques, Mayence, le plus important, puisque la présidence de la diète y était attachée, était dévolu à une créature de Marie-Thérèse : les titulaires des deux autres se renfermaient dans une neutralité de jour en jour plus malveillante et qui déguisait à peine l’hostilité ; la Bohême étant définitivement rentrée sous la main de ses anciens maîtres, il n’y avait plus de prétexte pour tenir en suspens la voix électorale de ce royaume, comme on s’y était décidé, non sans peine, à la précédente épreuve. Mais ce qui était bien plus décourageant que le hasard d’une majorité toujours mobile, c’était la défaveur qui s’attachait désormais à toute recommandation de la France. Sa protection avait si mal servi ceux qui s’y étaient confiés, que personne ne se souciait plus d’y faire honneur et encore moins de s’en prévaloir. Les actes avaient si peu répondu aux paroles, que ni promesses ni menaces de sa part ne comptaient plus. L’idée même s’était généralement répandue que si la France retrouvait encore quelque trace de sa vertu guerrière quand elle combattait chez elle (sur son fumier, comme disait dédaigneusement l’évêque de Cologne), en Allemagne, ses armées avaient désespéré non-seulement de pouvoir vaincre, mais de pouvoir vivre, et loin de chercher à s’y maintenir avaient peine à s’y supporter. Le joug et même l’appui de la France avaient toujours été acceptés à regret en Allemagne, mais pour la première fois son nom y était méprisé. Tout avait contribué à ce discrédit, dont nos dernières victoires n’avaient pas réussi à nous relever : les souffrances prolongées de Prague, l’évacuation désastreuse et précipitée de la Bavière, les plaintes, les gémissemens de nos soldats dans leurs longues stations d’hiver, les récriminations et les lamentations de Charles VII, plus que tout, peut-être, les plaisanteries acérées dont Frédéric, à toute heure, devant tout le monde, à sa table, dans son camp, dans sa cour et par des lettres qui circulaient dans toute l’Europe, ne cessait de harceler les généraux, les politiques et même le souverain de la France.

Un puissant effort militaire, promptement suivi d’une rapide série de victoires, pouvait seul faire renaître la confiance perdue, en rabattant les discours orgueilleux des adversaires et en remontant le cœur des cliens découragés. S’emparer hardiment de Francfort pour retarder l’élection jusqu’à l’heure de sa convenance, monter la garde à la porte des petits électeurs rhénans qu’on avait sous la main pour les empêcher de bouger, puis marcher hardiment sur Vienne en tendant la main à Frédéric, faire trembler Marie-Thérèse à Schœnbrunn et enlever à la pointe de l’épée le désistement de son époux, c’était pour la France le violent, mais unique moyen de rétablir une situation si compromise, et de racheter par la vigueur de l’exécution la témérité de l’entreprise. Supposez Frédéric à la place de Louis XV, c’est avec cette hardiesse de main et ce défaut de scrupule qu’il n’eût pas manqué de procéder. Mais pour tenter une telle aventure et même pour en concevoir la pensée, la première disposition à prendre, c’était de concentrer sur l’Allemagne tout ce qu’on avait de forces et de ressources. La division des armées françaises en trois corps, agissant sur trois champs d’opération différens, prêtait déjà à de justes critiques et nous exposait, même victorieux partout, à n’être maîtres nulle part. Mais si cette dispersion de forces pouvait encore se justifier quand on avait à défendre en Allemagne un souverain en possession, appuyé sur une puissance propre, au moins nominale, et rangeant autour de lui un parti d’amis et d’alliés tout constitué, c’était une imprudence inexcusable quand il s’agissait, au contraire, d’y créer de toutes pièces une souveraineté et des alliances nouvelles. A l’appui d’une telle prétention, il ne fallait épargner ni un bataillon ni un écu. Donc plus de regards tournés vers les Pays-Bas ou vers l’Italie, dût-on même abandonner les positions déjà prises. C’est sur le Rhin et le Danube qu’il fallait fondre avec tout ce qu’on avait de troupes à mettre en ligne, sous la conduite du meilleur général qu’on pût désigner.

Mais où était-il, le capitaine en état de commander une telle expédition ? Où était-il, même le politique en état d’en concevoir le plan ? Il est douteux que Belle-Isle lui-même, s’il eût été présent au conseil, au lieu d’être traîné en captif à cette heure décisive, sous la garde des dragons hanovriens, eût eu l’audace d’en réclamer l’honneur et d’en prendre la charge. En tout cas, il n’eût pas joué une telle partie, — éclairé comme il l’était par une douloureuse expérience, — sans se faire munir d’avance de tous les moyens suffisans pour ramener et dompter la fortune, c’est-à-dire sans exiger qu’on mît entre ses mains, à l’exclusion de tout autre objet, toutes les ressources pécuniaires et militaires que le trésor et la population de la France pouvaient fournir et que quatre années de guerre n’avaient point épuisées. Il n’aurait pas consenti à franchir de nouveau le Rhin sans qu’on lui eût promis de mettre sous ses ordres Saxe et Conti, ramenant avec eux tout ce qu’il y avait encore de soldats français dans les plaines de Flandre ou au-delà des Alpes. Peut-être qu’alors, effrayé de cette perspective, tout le conseil eût reculé devant l’étendue de l’effort et du sacrifice. Mais en l’absence du seul homme qui pût mesurer les difficultés de la tâche, personne ne se trouva pour mettre ainsi, en quelque sorte, le marché à la main à Louis XV et poser nettement l’alternative entre deux lignes de conduite qu’il n’était plus possible de concilier sans les compromettre l’une et l’autre. Ceux qui, au fond, désiraient la paix, n’osèrent pas dire tout haut que le seul moyen de l’acheter à bon compte de Marie-Thérèse, c’était de renoncer tout de suite à lui disputer l’empire ; ceux qui persistaient à vouloir combattre la candidature autrichienne osèrent peut-être encore moins provoquer l’énergique concentration de forces, qui seule pouvait lui barrer le chemin. Comme, des deux parts, il y avait une responsabilité grave à assumer, personne, pas plus pacifiques que belliqueux, n’osa aller hardiment jusqu’au bout de sa pensée. Le maréchal de Noailles assure bien, par exemple, dans ses mémoires, qu’il aperçut tout de suite la difficulté de trouver, en place de Charles VII, un autre candidat présentable pour l’empire et le profit qu’on pouvait tirer de cette impuissance même pour entrer en conversation avec Marie-Thérèse, et il cite une lettre par lui adressée au ministre de France à Munich, Chavigny, où ces considérations sont en effet assez judicieusement exposées. — « Il me paraît bien difficile, y est-il dit, de soutenir, sans avoir un empereur pour chef, un système dont le succès a rencontré de grands obstacles, lorsque l’électeur de Bavière était revêtu de la dignité impériale. Voici un jeune prince qu’on ne doit point abandonner, mais qui est sans troupes, sans argent, sans crédit et peut-être sans conseil. Peut-on espérer de lui former un parti capable de l’élever et de le maintenir sur le trône ? .. Reste à examiner s’il ne vaudrait pas mieux concourir à ce qu’on ne pourrait empêcher, et la manière de le faire pour en tirer une paix convenable au roi et à ses alliés. » — C’était le langage du bon sens ; mais si Noailles le tint sous cette forme timide et dubitative, il n’est pas surprenant qu’il n’ait pas produit une grande impression sur l’esprit de ses auditeurs. A dire le vrai, pour faire prévaloir un bon conseil, Noailles n’avait plus ni l’assurance ni l’autorité nécessaires. Il ne sentait pas seulement son crédit diminué, il avait perdu la confiance en lui-même depuis que la mollesse de sa conduite en Alsace, si vertement incriminée par Frédéric, le rendait l’objet des railleries de tous les plaisans de Paris. Au moment de plaider une cause qui avait une couleur pacifique, il se souvint peut-être qu’en rentrant à l’hôtel de Noailles il avait trouvé à la porte une épée de bois suspendue, avec cette inscription burlesque : « Homicide point ne seras, » et s’attendant à être combattu par Tencin, qui restait fidèle à l’alliance et à la politique prussiennes, il craignit de paraître moins belliqueux qu’un cardinal.

Chez Tencin, qui défendit le parti opposé, ce fut la même défaillance en sens contraire. Fidèle au souvenir de Belle-Isle et suivant les conseils de l’envoyé de Frédéric, le prélat continua bien à soutenir que tout devait céder à l’intérêt de prévenir la résurrection de l’influence autrichienne en Allemagne ; mais du changement complet de stratégie et de tactique, que la vacance nouvelle de l’empire rendait nécessaire, la pensée même ne paraît pas l’avoir traversé. A la vérité, dès qu’il s’agissait d’opérations militaires, il sentait qu’il était ridicule à lui de s’en mêler et sa robe l’embarrassait. Eût-il proposé d’ailleurs au roi des mesures dont lui-même n’apercevait probablement pas bien la nécessité, il n’eût pas réussi à les faire agréer. C’était le roi, en effet, qui, plus que tout autre, flottait entre des partis contraires, ou plutôt entre des préférences et des répugnances dont il n’avait pas le courage de faire le sacrifice. D’une part, sa fierté royale se sentait blessée à la seule pensée de voir un petit prince de Lorraine, la veille son humble voisin, presque son vassal, devenir empereur, et empereur malgré lui, et acquérir par là une dignité dont le titre était supérieur au sien. C’était comme si un des seigneurs de sa cour, qui portaient le manteau de son sacre, fut sorti du rang pour se placer auprès de lui et marcher son égal[22]. Mais, d’un autre côté, rien ne lui tenait plus à cœur que de reprendre lui-même, à la tête de son armée de Flandre, la suite des opérations interrompues l’année précédente par sa maladie. De toutes les prétentions à une action personnelle qu’il avait conçues après la mort de Fleury, celle de commander les armées était la seule dont il ne fut pas découragé. L’assistance aux délibérations du conseil et plus encore le travail du cabinet avaient promptement fatigué son indolence. Mais au feu et dans les camps, le fils de tant de héros se sentait à son aise et comme chez lui. Il était donc très impatient de reparaître sur les champs de bataille. Peut-être aussi que le sentiment des justes censures qu’avaient méritées ses faiblesses, le désir de se réhabiliter aux yeux de ses sujets et d’entendre de nouveau le murmure flatteur des acclamations populaires, accroissaient secrètement son impatience. Mais d’aller guerroyer en Allemagne, c’est ce que ni ministre ni courtisan n’auraient osé conseiller au souverain de la France. La guerre de Flandre était la seule à laquelle il pût raisonnablement se proposer de prendre part, et lui demander d’y renoncer, c’eût été le condamner de nouveau à un régime d’obscurité et de repos où il n’était pas encore résigné à rentrer.

Le roi ne voulant ainsi se décider au sacrifice d’aucune prétention et ne trouvant personne devant lui pour lui montrer la nécessité de faire un choix, le parti fut pris tout naturellement, même sans être discuté, de poursuivre tous les genres de succès à la fois, au risque d’aller ainsi à la dérive au-devant de tous les échecs et de tous les périls. La lutte matérielle dut être continuée sur tous les théâtres, tandis qu’une nouvelle lutte électorale allait s’engager à Francfort. Seulement, ce plan ambitieux, adopté par complaisance plutôt que par conviction, n’était hardi qu’en apparence : on le vit bien à l’exécution, qui ne se trouva dirigée par aucune vue d’ensemble. En Flandre seulement, les préparatifs de guerre durent être poursuivis avec le soin et l’ardeur que mettent des serviteurs travaillant sous les yeux de leur maître à contenter ses passions personnelles ; la campagne diplomatique et militaire d’Allemagne allait être menée, au contraire, avec mollesse, avec dégoût, par des agens mal secondés dans une tâche ingrate et que décourageait d’avance le sentiment de leur impuissance.


III

Il y avait pourtant dans le conseil un ministre qui, par le devoir de sa charge, avait un avis à émettre, et dont l’autorité aurait dû être prépondérante, puisque c’était à lui d’appliquer les résolutions qu’on allait prendre : c’était celui qu’une nomination récente venait d’appeler à la direction des affaires étrangères. Si le marquis d’Argenson n’eut pas à ce moment décisif (comme il le confesse lui-même dans ses mémoires) toute l’influence qui appartenait à sa situation, ce n’est pas que, depuis le peu de temps qu’il avait pris possession de son ministère, il se fût montré aussi dépourvu de capacité propre et de jugement personnel qu’on l’avait cru à la première heure et quelques-uns peut-être l’avaient espéré. Si ceux qui l’avaient désigné au choix du roi avaient pensé s’assurer un écho de leur propre voix dans le conseil et un instrument aveugle de leurs volontés, ils devaient déjà être désabusés. Le marquis, sortant de sa retraite, apportait aux affaires des vues qui étaient le fruit de longues réflexions et dont le moindre défaut assurément était de manquer d’originalité. Comme le nom de d’Argenson est du petit nombre des ministres de Louis XV dont la postérité a gardé le souvenir, et que, de nos jours mêmes, des historiens de renom comme Michelet et des critiques sagaces tel que Sainte-Beuve lui ont fait un regain de popularité ; comme d’ailleurs un rôle important lui est réservé dans le cours des événemens dont le récit va suivre, le lecteur ne sera pas surpris qu’avant de le voir à l’œuvre, je m’arrête un instant pour essayer de pénétrer un caractère dont la singularité même présente une étude qui n’est pas sans intérêt.

J’ai dit quelle surprise avait causée la nomination, à un poste pour lequel la bonne grâce et la finesse d’esprit ont toujours paru nécessaires, d’un homme connu seulement par la rudesse de ses manières et son humeur sombre. L’étonnement eût été bien plus grand encore si l’on avait su que ce solitaire taciturne venait, depuis des années, de consacrer ses loisirs non-seulement à tenir un journal quotidien où tous les événemens et les personnages du jour étaient jugés avec une sévérité mordante et chagrine, mais à rédiger un vaste plan de réforme politique, embrassant toutes les parties de l’état. La découverte aurait paru d’autant plus étrange que rien dans l’origine ou dans les antécédens du nouveau ministre n’était fait pour y préparer. Bien qu’issu d’une souche de bonne noblesse de Touraine, Louis-René de Voyer d’Argenson était surtout en relation, par ses alliances et par les derniers emplois qu’avait remplis sa famille, avec cette haute bourgeoisie, pépinière des secrétaires et des conseillers d’état, où, depuis longtemps, nos rois avaient coutume de recruter leurs instrumens les plus dociles et leurs serviteurs les plus dévoués. Son père, lieutenant de police avant d’être garde des sceaux, avait fait régner l’ordre dans la capitale en usant très largement de la Bastille et des lettres de cachet. Lui-même avait exercé quelque temps ce redoutable pouvoir de l’intendance qui tenait à sa discrétion la personne et les biens de tous les Français et réalisait l’idéal même de l’arbitraire. Depuis lors, appelé au conseil d’état, il s’y faisait remarquer par l’assiduité de son travail et la variété de ses connaissances, mais sans que jamais, dans les luttes déjà très fréquentes qui s’élevaient entre cette juridiction administrative et celle des parlemens, il eût paru incliner dans le sens de la résistance au pouvoir royal. Le seul symptôme d’un esprit d’indépendance ou d’opposition qu’il eût donné, c’était son assistance à de petites réunions de beaux esprits et de nouvellistes qui se tenaient chez un membre de l’Académie française, l’abbé Alary, et où l’on discutait assez librement des nouvelles du jour ; mais sur un signe de mécontentement du cardinal de Fleury, la société de l’Entresol, comme on l’appelait, s’était séparée sans murmure, et d’Argenson, pas plus qu’aucun autre de ses amis, ne se l’était fait dire à deux fois.

Ce n’était pas là, on en conviendra, l’apprentissage de ce que nous appellerions aujourd’hui un révolutionnaire, ou seulement un libéral. C’était le fait pourtant : instruit peut-être par l’expérience des inconvéniens d’un pouvoir sans contrôle, l’ancien intendant du Hainaut avait conçu à lui seul, dans le silence du cabinet, un projet de constitution qui faisait passer la France, d’un saut et sans transition, de l’état de monarchie absolue à celui d’une démocratie pure, fondée sur la base de libertés municipales illimitées. Assurément, d’Argenson n’était pas le seul qui, frappé de l’affaiblissement visible de l’antique royauté, et craignant son effondrement prochain, eût médité de lui venir en aide en appuyant sa grandeur trop isolée sur des institutions qui auraient pu la soutenir en la contenant. Fénelon avait rêvé longtemps à cette restauration des libertés publiques dans le mélancolique exil de Cambray, et pendant les jours trop rapides où son royal élève, le duc de Bourgogne, s’était cru à la veille de gouverner la France, il n’avait pas craint de lui soumettre les linéamens d’une nouvelle organisation politique, dont le but était de limiter la puissance royale et de rendre à la nation une part légitime dans le gouvernement de ses destinées. Mais, loin de vouloir rompre avec le passé de la France, Fénelon, dans ses plans, moins chimériques peut-être qu’on ne l’a dit, songeait, au contraire, à rattacher ses projets d’innovation à d’antiques franchises nationales, et, en particulier, à rendre à la noblesse le rôle politique dont elle s’était laissé dépouiller. Tout autre était le plan de d’Argenson, tel que nous le trouvons développé dans un document intitulé : Considérations sur le gouvernement de la France, déjà rédigé tout entier avant son entrée au ministère, bien qu’il n’ait vu le jour qu’après sa mort. Admirateur enthousiaste de l’œuvre de nivellement accomplie par la main vigoureuse de Richelieu, il ne s’y montre pressé que de l’achever. Il a hâte de balayer du sol tout ce qui survivait encore de distinctions, de classes et d’immunités privilégiées pour les remplacer par des libertés nouvelles largement puisées à des sources populaires. Assemblées de paroisses, de districts et de provinces librement élues par un suffrage très étendu, et chargées de percevoir les impôts, puis de les répartir proportionnellement entre tous les citoyens, — suppression de toute exemption ecclésiastique ou nobiliaire, — abolition de la vénalité des charges de la magistrature, — tous ces points sont abordés de front et toutes des questions tranchées sans hésitation par une solution radicale. En fait d’audace à fouler aux pieds toutes les traditions, en fait de confiance dans la valeur absolue et la puissance logique des principes, les constituans de 1789 n’auraient pu mieux dire et n’ont pas fait plus. Le mot lui-même ne fait pas peur au hardi novateur ; c’est bien la démocratie qu’il appelle par son nom et qu’il veut greffer sur la monarchie de Louis XIV. Seulement à un point qui pourrait paraître la conclusion du système, la pensée s’arrête et tourne court ; au-dessus des assemblées provinciales, on s’attend à voir élever une assemblée nationale provenant également de l’élection et décidant des intérêts généraux du pays. Ce couronnement manque à l’édifice, et le roi, dans l’écrit de d’Argenson, garde la prérogative de faire les lois en son conseil et de les promulguer sous forme impérative ; c’est lui aussi qui fixe le montant des contributions, et à qui même, en certains cas, est attribué le droit de casser les arrêts de la justice.

D’où vient cette inconséquence ? Est-ce défaut de logique ou timidité d’esprit ? On ne peut guère en soupçonner un penseur qui ne reculait pas devant des exécutions en apparence moins téméraires. Je croirais plutôt que ce fut chez d’Argenson une précaution prise pour rassurer le souverain sur la diminution que l’étendue et l’intégrité de son pouvoir pourraient souffrir de l’introduction du principe démocratique dans l’état ; car, on a peine à le croire, mais il n’y a pas à en douter, ce plan gigantesque de réforme, qui touchait à la base de la société monarchique tout entière, ce n’était pas chez d’Argenson une œuvre d’imagination, une république de Salente ou d’Utopie destinée à rester toujours à l’état de rêve. Très sérieusement, il avait conçu le dessein et n’abandonnait pas l’espérance de le faire adopter de bonne grâce, non-seulement par Louis XV, mais par Fleury en personne, qui vivait encore quand le document fut écrit. Tout le travail, en effet, est préparé comme s’il devait être présenté le lendemain à la signature royale. C’est un édit en trente-cinq articles, portant en tête un préambule tout rédigé où Louis, quinzième du nom, roi de France et de Navarre, au nom de l’autorité qu’il tient de Dieu seul, fait connaître à ses peuples ses intentions pour assurer leur bonheur. Le lieu et l’heure de la promulgation solennelle sont également prévus ; ce doit être à Reims, dans la cathédrale, avec tout l’éclat et toute la solennité des cérémonies du sacre. Puis une série de notes détachées indique la voie qu’il faudra suivre pour amener le roi, sans lui dire où on le conduit, à souhaiter lui-même l’émancipation de ses sujets. C’est par l’intérêt que le roi prend à l’agriculture qu’il faut le conduire insensiblement à des mesures dont l’effet sera de la faire fleurir. Viennent ensuite les objections prévues et leur réfutation : entre autres cette difficulté que l’auteur se pose consciencieusement à lui-même : un état quasi-républicain, établi sur la surface d’un pays, peut-il être compatible avec l’autorité souveraine d’un monarque héréditaire ? A quoi l’auteur ne trouve guère à faire d’autre réponse que d’affirmer qu’un roi ne peut jamais souffrir de ce qui fait le bonheur de ses peuples, et que, pour qu’un règne soit florissant, il faut que

Rome soit toujours libre et César tout-puissant[23].

Ce qui prouverait d’ailleurs, au besoin, qu’en s’élevant par l’imagination dans ces régions d’une politique idéale, il n’entendait nullement y passer sa vie, mais qu’il comptait bien, au contraire, en descendre le plus tôt possible pour arriver à l’application de ses idées, c’est le soin qu’il mettait en même temps à se tenir au fait, dans le moindre détail, des affaires courantes et des incidens de la cour. D’une part, grâce à une activité infatigable, il ne laissait passer devant ses yeux aucune question importante de diplomatie, d’administration ou de finance, — ni déclaration de guerre, ni traité de paix, — ni édit d’impôt, ni constitution de rente publique, — ni débats du parlement avec l’église ou la royauté, sans en faire l’objet d’un mémoire qu’on retrouve dans ses papiers. Ces documens présentent, comme son plan général, un mélange d’études sérieuses et de solutions aventurées ; mais la forme est celle même qu’un commis donnerait à un mémoire destiné à éclairer un ministre en place sur une décision qu’il aurait à prendre. Puis, dans le journal qu’il tenait quotidiennement depuis plus de vingt années, on le voit attentif à toutes les nouvelles de Versailles et à l’affût de tous les changemens ministériels, comme s’il attendait à chaque instant qu’une porte s’ouvrît par où il pourrait passer lui-même. Dans cette espérance vague, mais toujours en éveil, malgré son humeur grave et frondeuse, il ne laisse fermer devant lui aucune des entrées de la faveur ; il sait à un jour près ce que pense et pour qui penche le valet de chambre Bachelier, de quelles amours le roi s’éprend ou se lasse, et quelle beauté nouvelle réveille sa curiosité et ses sens. Sur ce dernier point, en particulier, il obtient des confidences d’une intimité surprenante qui figureraient à leur place dans les historiettes de Tallemant des Réaux, et qu’il exprime avec une crudité de termes que Rabelais n’eût pas désavouée ; car c’est encore une des singularités de cette nature pleine de contrastes que, tandis que dans ses discours d’apparat il affectait volontiers le beau ton et s’élève même parfois jusqu’à l’emphase, dans ses conversations et dans ses correspondances privées, au contraire, on l’accusait de rechercher les expressions triviales et les gros mots. Probablement il pensait que la philosophie a partout son franc-parler et doit appeler les choses par leur nom. Cette attitude de liberté philosophique, il y tient non-seulement parce qu’elle l’honore, mais parce qu’elle peut être mise à profit pour l’état et au besoin pour lui-même. « Je passerai, dit-il quelque part, dans ce siècle-ci, pour un homme modéré, philosophe attaché à mes devoirs, éclairé cependant et capable, plus digne de places que ceux qui y sont. Ce rôle a sa beauté, et, si l’ambition le nourrissait, il pourrait aboutir à une grande élévation. » Quelques pages plus loin, il revient à cette considération, mais c’est pour la faire valoir auprès de son frère devenu ministre et lui faire sentir l’avantage qu’il trouverait à prendre un sage comme lui pour collègue. Je lui ai dit : « Croyez-moi, je vous serai utile dans cette place ; je pourrai vous aider par les endroits qui peuvent vous manquer… Ma petite naïveté, ma petite vérité, dont j’ai même quelque réputation, manquent aujourd’hui à nos affaires : tout le monde nous attaque parce que toute confiance à la France manque aujourd’hui. » Et, un peu plus loin, vient un véritable rêve où il se voit appelé à gouverner la France et à jouer auprès de Louis XV (les noms y sont en toutes lettres) le rôle de Sully auprès d’Henri IV[24].

Par malheur, Louis XV ressemblait encore moins à Henri IV que d’Argenson à Sully, et ce n’était ni l’amitié ni la confiance réciproque, mais une rencontre fortuite qui avait rapproché cette fois le souverain et le ministre. Il est plus que douteux que Louis XV, s’il eût bien su à qui il avait affaire, eût fait un tel choix, à une telle date, et pour la tâche à laquelle il avait à pourvoir. Assurément, si l’on examine les écrits de d’Argenson avec nos sentimens d’aujourd’hui et à la lumière des événemens qui ont suivi, on y reconnaît des mérites qu’il serait injuste de contester. Ce n’était pas un esprit d’une portée commune que celui qui saluait, cinquante ans avant 89, et vingt-cinq ans avant le Contrat social, l’avènement de la démocratie, et qui condamnait d’avance toutes les institutions que la génération suivante devait voir disparaître. Savoir faire maison nette, dans son propre cerveau, de toutes ses habitudes d’enfance et de tous ses préjugés héréditaires ; offrir généreusement en sacrifice les privilèges dont sa naissance lui assurait une part, c’était aussi, de la part d’un homme bien né et pouvant aspirer à tout, faire preuve d’une largeur d’idées et d’un désintéressement personnel auxquels il convient de rendre hommage. Mais ces qualités, qu’on peut estimer chez le publiciste ou chez le philosophe, si elles ne sont pas incompatibles, n’ont pourtant rien de commun avec celles qui conviennent à l’homme d’état et surtout au négociateur. En dehors de là, que de signes et d’indications contraires ! Dans l’agencement même du plan de réforme conçu par d’Argenson, dans cette confusion d’élémens contradictoires, — liberté en bas, pouvoir absolu au sommet, — quelle inexpérience, quelle ignorance de la nature humaine, aussi bien de celle des peuples que de celle des princes ! Quel mélange de naïveté et de présomption ! S’imaginer gravement qu’on pourra amener en douceur, et par la voie de la persuasion, un souverain du tempérament de Louis XV à se lancer à l’aventure dans des voies inconnues ! Et un vieux routier comme Fleury, se flatter qu’on pourra le convertir sans même l’avertir ! Puis quelle facilité à se payer de mots et à se débarrasser des objections qui importunent, par des considérations sentimentales doublées de citations classiques ! Cette façon de terminer des débats sérieux par des effusions de sensibilité et d’emphase constitue un genre oratoire dont d’Argenson ne devait pas longtemps garder le monopole. On allait le retrouver chez la plupart des écrivains politiques de la fin du siècle : les Raynal, les Mably, chez Rousseau lui-même, et les derniers accens en viendront retentir à la tribune de nos assemblées révolutionnaires. En ce genre, et pour les formes de langage comme pour le tour des pensées, si l’on a voulu voir dans d’Argenson le précurseur de nos philosophes constituans et législateurs, c’est un litre qu’on ne peut pas lui refuser. Mais, en vérité, une chose, pour la beauté du fait, me paraît regrettable : c’est que d’Argenson n’ait pas en l’occasion de mettre à exécution la pensée qu’il paraît avoir conçue de faire confidence à Fleury de ses vues novatrices. Entre le théoricien qui entreprenait de changer la face de la France avec des idées systématiques et le politique nonagénaire qui, traitant la monarchie comme lui-même, ne songeait qu’à prolonger son existence en la faisant vivre de régime, de silence et de repos, l’entretien, qui n’aurait pas été long, eût été des plus curieux. Depuis le renard et la cigogne de La Fontaine, jamais dialogue n’eût été engagé entre gens moins faits pour s’entendre ; et la conclusion la moins sévère que Fleury en aurait tirée, c’est que, le sens pratique et la connaissance du monde étant des dons indispensables à un diplomate, un rêveur qui en était à ce point dépourvu était, de tous les hommes, le dernier à qui il fallût confier le ministère des affaires étrangères.

Au demeurant, sans qu’il fût besoin de cette communication, qui ne pouvait guère avoir lieu, Fleury, avec la divination instinctive, le flair, si on peut ainsi parler, qui était chez lui une qualité naturelle aiguisée par l’exercice jaloux du pouvoir, avait compris de bonne heure le caractère du personnage et s’était mis sans affectation sur ses gardes. Tandis qu’il traitait avec faveur le cadet des d’Argenson, qu’il fit même entrer au conseil, la veille de sa mort, il tenait l’aîné à distance avec une froideur malveillante. Un instant, le ministre Chauvelin, lié d’amitié et de parenté avec toute la famille, et trouvant chez le marquis une faculté de travail et des connaissances variées dont il faisait cas, l’avait fait désigner pour une ambassade ; mais Chauvelin lui-même étant tombé en disgrâce, le protégé voulut partager la fortune de son patron, et nul effort ne fut fait pour le retenir. Depuis lors, toutes les fois qu’on prononçait son nom pour un emploi ou une dignité quelconque, le cardinal l’écartait dédaigneusement, et quand on lui demandait le motif de cette défaveur : « Il est l’ami de Voltaire, disait-il, et Voltaire est son digne ami. »

D’intimes relations avec Voltaire, tel était, en effet, le seul indice extérieur que d’Argenson eût donné de son penchant pour les idées nouvelles, dont le travail souterrain agitait déjà la société. Comment cette intimité avait commencé, c’est ce qu’il serait difficile de savoir exactement, aucun biographe de d’Argenson ne donnant de détails à cet égard. Il avait fallu revenir de loin, puisque l’un des premiers poèmes du jeune Arouet, encore inconnu, contenait une satire virulente contre le lieutenant de police, qui, pour un méfait de jeunesse, l’avait fait claquemurer quelques jours à la Bastille. Il est vrai que, rendu à la liberté, le captif avait écrit à son persécuteur pour le remercier de lui avoir donné une leçon utile dont il promettait de profiter. Mais ces excuses banales faites au père n’expliquent pas l’amitié contractée avec le fils. Je n’oserais affirmer non plus que ce fût à Voltaire que d’Argenson dut la première inspiration de ses projets de réformes politiques. Rien ne le prouve, et je serais même disposé à penser le contraire : Voltaire était à cette époque, comme du reste dans tout le cours de sa vie, moins désireux de faire des révolutions en politique qu’en religion et de réformer l’état que de détruire l’église. Dans les écrits de d’Argenson, d’ailleurs, règnent un esprit égalitaire et comme une saveur démocratique qu’on ne retrouve nulle part dans ceux du gentilhomme de la chambre de Louis XV, nullement ennemi pour son compte de la cour et de ses grandeurs, et qui n’a jamais témoigné que peu d’attrait et même un certain dédain pour le populaire. Mais il est certain que le manuscrit du Gouvernement de la France, s’il ne fut pas dicté par Voltaire, lui fut communiqué de bonne heure, et que des lectures mystérieuses en furent faites à huis-clos, à Cirey, avec Mme du Châtelet. L’accueil était assuré d’avance. Dans la situation déjà très brillante, mais encore incertaine et menacée, où était Voltaire, trouver un marquis philosophe, fils et frère de ministre, qui le prenait pour conseiller et pour confident, c’était une bonne fortune qu’il ne pouvait laisser échapper ; c’était acquérir, en même temps qu’une relation très flatteuse pour son amour-propre, le plus utile des auxiliaires pour ses idées et, au besoin même, un défenseur pour sa personne. Il n’aurait eu garde de lui chercher querelle sur des principes dont l’application très éloignée n’avait pas besoin d’être examinée de trop près. Aussi, dans les lettres datées de Cirey qui accusent réception du précieux dépôt, c’est d’abord une expression de reconnaissance, puis un élan d’admiration qui s’élève jusqu’à l’enthousiasme. Le marquis est un citoyen doué des vertus d’Aristide et un penseur qui égale le génie de Platon. On peut dire de cet ouvrage, à plus juste titre que du Télémaque, « que le bonheur du genre humain naîtrait de ce livre, si un livre pouvait le faire naître. »

Mais personne n’a jamais égalé, on le sait, Voltaire dans l’art de comprendre les faiblesses humaines et de les caresser quand il voulait plaire. Aussi, avant de fermer la lettre, l’idée lui vient que ce souvenir de Télémaque pourrait ne sourire qu’à moitié à son noble ami, en paraissant mettre son œuvre sur le rang d’une simple vision poétique, sans rapport avec la réalité. Il faut se hâter de le rassurer et lui bien montrer qu’on voit en lui un homme d’état et un poète ; aussi Voltaire se hâte d’ajouter :

« Ce ne sont point ici les rêves d’un homme de bien, comme les chimériques projets du bon abbé de Saint-Pierre… Ce n’est pas ici un projet de paix perpétuelle qu’Henri IV n’a jamais eue… Ce n’est pas non plus la colonie, de Salente, où M. de Fénelon veut qu’il n’y ait pas de pâtissier et sept façons de s’habiller. C’est ici quelque chose de très réel et que l’expérience prouve de la manière la plus éclatante ; car, si vous en exceptez le pouvoir monarchique, auquel un homme de votre nom et de votre état ne peut que souhaiter un pouvoir immense, — aux bornes près, dis-je, de ce pouvoir monarchique aimé et respecté par nous, — l’Angleterre n’est-elle pas un témoignage subsistant de la sagesse de vos idées ? Le roi avec son parlement est législateur comme il l’est ici avec son conseil ; tout le reste de la nation se gouverne selon les lois municipales, aussi sacrées que celles du parlement même. »

Voltaire ayant vu à l’œuvre et très bien analysé dans d’autres écrits la constitution anglaise, je ne lui ferai pas l’injure de croire qu’il ne comprenait pas la différence du rôle imposé au roi d’Angleterre par un parlement élu et une chambre des pairs héréditaires, et celui que d’Argenson assignait au roi de France, législateur tout-puissant dans un conseil de magistrats nommés par lui. L’assimilation à ses yeux mêmes ne pouvait donc avoir aucune valeur. Mais d’Argenson voulait à tout prix passer pour un esprit pratique, tenant en poche un plan prêt à être mis en œuvre du soir au lendemain. Il fallait le flatter à ce point sensible, et dût-on feindre la confiance sans la partager, le rassurer, par un exemple bien ou mal choisi, sur le côté faible de son œuvre de prédilection.

D’autres complimens non moins vifs, portant sur la grandeur d’âme dont un seigneur faisait preuve en s’élevant au-dessus des préjugés de sa naissance, bien que mieux mérités, ne furent peut-être pas aussi sensibles à d’Argenson que celui-là ; mais ce qui dut le toucher plus que toutes choses, ce furent des vœux discrètement exprimés pour que l’auteur d’un plan si généreux fût rais le plus tôt possible en mesure d’en poursuivre l’application. « Plût à Dieu que vous fussiez dans ta place que vous méritez ! Ce n’est pas pour moi, c’est pour le bonheur de l’état que je le désire… Soyez chancelier de France, monsieur, si vous voulez que j’y revienne. » — De telles exclamations se retrouvent à toutes les lignes, dans une correspondance qui, de 1740 à 1745, ne cessa pas d’être très active entre l’auteur inconnu et son illustre confident. Une autre pensée paraît s’être aussi emparée de l’esprit de Voltaire et ne l’avait plus quitté : c’était de rapprocher, malgré la distance qui séparait Berlin de Paris, d’Argenson de Frédéric, et d’établir ainsi, sous les auspices des idées philosophiques qui leur étaient communes, un lien d’estime et de correspondance entre les deux grandes amitiés dont il s’honorait. Ce dessein paraît dater même chez lui de l’époque où Frédéric, encore prince royal, lui témoignait toute la déférence d’un écolier pour son professeur. Puis, quand le nouveau roi de Prusse lui fit, comme je l’ai raconté, la galanterie de lui adresser, avant toute autre visite, l’envoyé qui allait faire part à Louis XV de son avènement. Voltaire n’eut rien de plus pressé que de partager cette politesse avec d’Argenson.

« Il n’est pas juste, monsieur, lui écrivait-il, que je laisse partir le digne envoyé de Marc-Aurèle sans saisir cette occasion de dire encore combien je suis enchanté qu’il y ait un tel roi sur la terre, et sans le dire à vous, monsieur, qui étiez né pour être son premier ministre. Je crois que M. de Camas (l’envoyé de Frédéric) aimera mieux la France quand il vous aura vu. » — Un peu plus tard, revenu d’une entrevue avec Frédéric : « Le Salomon du Nord, écrit-il,.. m’a parlé souvent de ceux qui font le plus d’honneur à la France : il a voulu connaître leur caractère et leur façon de penser. Je vous ai mis à la tête de ceux dont on doit rechercher les suffrages ; je voudrais que vous me marquassiez si on ne désire pas qu’après avoir écrit comme Antonin, l’auteur vive comme lui. Je voudrais enfin quelque chose que je pusse lui montrer. » — Valori, ami personnel de d’Argenson, entrait volontiers dans la pensée de ce rapprochement, et se lit à plus d’une reprise l’intermédiaire d’un échange de complimens entre ceux que Voltaire nommait ses protecteurs et qu’au fond de l’âme il regardait comme ses élèves. Il ne paraît pourtant pas que ce jugement du poète ait fait grande impression sur l’esprit de Frédéric : j’en ai du moins cherché vainement la trace dans ses mémoires et dans sa correspondance. Quant à d’Argenson, au contraire, il semble bien s’être laissé convaincre qu’avec Frédéric la vertu et le génie étaient montés sur le trône, et Chambrier, au moment de la nomination, rapporte qu’on lui avait entendu dire qu’il fallait vivre en intimité avec un si grand prince et le regarder comme un oracle[25]. On peut aisément s’imaginer de quelle joie Voltaire l’ut comblé par le choix imprévu, pour lui comme pour tout le monde, qui chargeait d’Argenson de diriger la politique extérieure de la France. C’était le plus beau de ses rêves subitement réalisé ; l’année précédente, il avait essayé, sans y réussir, de se faire l’intermédiaire d’une alliance entre la France et la Prusse, et il avait eu le désagrément de la voir conclure, dès le lendemain, sans lui et en quelque sorte par-dessus sa tête. Cette fois, les deux états se trouvant gouvernés par des hommes qui l’admettaient dans leur intimité, il devenait par là même leur lien naturel, et allait tenir entre ses mains le nœud de leur union. Ami du roi à Berlin, et d’un ministre dirigeant à Paris, quel rôle ne lui était pas réservé ! Vainement lui aurait-on rappelé ce qu’il avait déjà pu éprouver, c’est que les disciples couronnés changent souvent d’humeur, et ne gardent pas longtemps l’oreille ouverte aux avis de leurs premiers maîtres. Sa joie était trop grande pour être tempérée même par ce fâcheux souvenir, et, d’ailleurs, l’amitié de d’Argenson (je dois le dire par avance) ne lui réservait pas de telles déceptions ; aussi quel transport dans ce billet écrit à l’arrivée même de la bonne nouvelle : — « Vous voilà cocher, monseigneur, menez-nous à la paix tout droit par le chemin de la gloire ; et quand vous verrez en passant votre ancien attaché dans les broussailles, donnez-lui un coup d’œil… Vous allez embrasser, être embrassé, remercier, promettre, vous installer, travailler comme un chien, mais surtout portez-vous bien et aimez toujours Voltaire. »

Sans partager l’enthousiasme de Voltaire il est permis de trouver, comme lui, très curieuse la coïncidence inattendue qui livrait le pouvoir, dans deux grands états, à deux sectateurs des doctrines dont il était l’apôtre, avant même qu’elles eussent complètement prévalu dans l’esprit public ; et il sera triste de constater que de ces deux apprentis philosophes, élevés à la même école, celui qui s’est tiré le mieux de l’épreuve toujours redoutable du pouvoir, c’est celui qui se piquait le moins de rester fidèle aux maximes de la philosophie.


DUC DE BROGLIE.

  1. Voyez la Revue du 15 avril.
  2. Journal de l’arrestation du maréchal de Belle-Isle, tenu par ses ordres. — Ce document se trouve au ministère de la guerre dans l’un des volumes des Correspondances diverses.
  3. L’Électeur de Trêves à l’Électeur de Cologne, 28 novembre 1744. (Ministère de la guerre. — Correspondances diverses.) — Correspondance de Lanoue, ministre résident auprès de la diète de Francfort, novembre 1744, passim. — Chavigny au roi, 27 novembre 1744. — Belle-Isle à Vauréal, 29 novembre 1744. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.) — Correspondance de Laurence, chargé d’affaires d’Angleterre à Berlin, 15 janvier 1745. Record Office.
  4. Belle-Isle à Vauréal, ambassadeur de France en Espagne. — (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.)
  5. Belle-Isle au roi de Prusse, 34 décembre 1744. — Journal de l’arrestation du maréchal de Belle-Isle, tenu par ses ordres. — Récit de l’arrestation du maréchal de Belle-Isle, dans un mémoire présenté pour sa défense au gouvernement anglais. (Ministère de la guerre.)
  6. M. Droysen, t. II, p. 482, conteste que cette destruction des papiers de Belle-Isle ait été complète, et assure qu’on garde un résumé intéressant de ce qui fut trouvé dans son portefeuille aux archives de Hanovre. Il fallait cependant que les plus importans de ces papiers eussent disparu pour qu’il n’ait été fait aucun usage ni aucun bruit de cette découverte, et que Frédéric lui-même, qui avait témoigné son inquiétude à ce sujet, paraisse l’avoir ignorée.
  7. Belle-Isle à Valori, 21 décembre 1744. (Ministère de la guerre. — Correspondances diverses.)
  8. Valori, Mémoires, t. I, p. 206-207.
  9. Histoire de mon temps, chap. XI. — D’Arneth, t. II, p. 445-560 — Valori au roi, 22 décembre 1744. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Frédéric à Podewils, 20 décembre 1744. Pol. Cor., t. III, p. 370. — Droysen, t. II, p. 368-411.
  10. Valori au roi, 26 décembre 1744. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Mémoires de Valori, t. I, p. 208-209. — Frédéric à Louis XV, 26 décembre 1744. Pol. Corr., t. III, p. 208-209. — Droysen, t.III, p. 402.
  11. Vatori, loc. cit. Correspondance de Lanoue, ministère à Francfort, 21-24 janvier 1745. (Ministère des affaires étrangères.)
  12. Frédéric au roi d’Angleterre et à Andrié, ministre de Prusse à Londres, 20, 29 décembre 1744. Pol. Corr., t. III, p. 366 et suiv.
  13. Correspondance de Laurence, chargé d’affaires d’Angleterre. Berlin, 23 janvier 1745. (Correspondance de Prusse. — Record Office.)
  14. Journal de Luynes, t. VI, p. 257. — Chambrier à Frédéric, 5 janvier 1745. (Ministère des affaires étrangères.)
  15. Chavigny à d’Argenson, 26, 30 décembre 1744, 17 Janvier 1745. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.)
  16. D’Arneth, t II.
  17. Louis XV à Charles VII, 31 janvier 1745. (Correspondances diverses de Bavière. — Bibliothèque nationale. Fonds de nouvelles acquisitions.)
  18. Charles VII au roi, 17 janvier 1745. — Chavigny à d’Argenson, 20 janvier 1745. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères). Le ministre anglais à Vienne, Robinson, affirme que sur son lit de mort Charles VII recommanda à son fils de renoncer à l’ambition qui l’avait perdu et de se réconcilier avec l’Autriche. Le récit de Chavigny, présent à Munich, contredit cette opinion, et si elle avait été répandue autour de lui, il en aurait eu connaissance et l’aurait mentionnée dans sa correspondance, au moins pour la combattre.
  19. Belle-Isle whether bravo or spy is not clear, but this is certain, he’ll do no good here. (Correspondance de Londres, 26 février, 2, 5, 9 mars 1745. — Ministère des affaires étrangères.) — Il n’y a point, pour cette année, de dépêches d’Angleterre au ministère des affaires étrangères, la guerre étant déclarée et les communications diplomatiques interrompues ; mais un agent secret. La Touche, faisait passer régulièrement à l’abbé de La Ville, en Hollande, un bulletin hebdomadaire relatant tous les événemens de la semaine.
  20. Journal de l’arrestation de Belle-Isle. (Correspondances diverses. — Ministère de la guerre.)
  21. Chambrier à Frédéric, 27 janvier 1745. (Correspondance interceptée. — Ministère des affaires étrangères.) — Droysen, t. II, p. 423.
  22. « L’aversion qu’on a ici pour le grand-duc est plus grande dans le maître que dans ses ministres ; il y a dans le cœur du roi de France une jalousie et une haine telles que ces deux passions se font sentir dans un supérieur pour un inférieur. (Chambrier à Frédéric, 20 février 1745.)
  23. Considérations sur le gouvernement ancien et présent de la France, par le marquis d’Argenson. Amsterdam, 1784, p. 196 à 200, et passim. — Mémoires de d’Argenson, publiés par son petit-neveu chez Janet, 1758, t. V, p. 301 et suiv. — Cette édition, assez fautive, et en général beaucoup moins complète que celle qui a été publiée par la Société de l’histoire de France, renferme pourtant des notes et des correspondances tirées d’archives de famille qui ne se trouvent pas dans cette dernière.
  24. Journal de d’Argenson, t. IV, p. 55, 75, 107.
  25. Voltaire à Frédéric, à d’Argenson. (Correspondance générale, 8 mai 1739, 8 janvier, 18 juin, 6 juillet 1740 ; 8 janvier 1741 ; 8 août 1743.) — Chambrier à Frédéric, 20 novembre 1744. (Ministère des affaires étrangères.) — Droysen, t. II, p. 399.