La Société mourante et l’Anarchie/9

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Tresse & Stock (p. 101-116).

IX

LE DROIT DE PUNIR ET LES SAVANTS


La science, aujourd’hui, admet sans contestation que l’homme est le jouet d’une multitude de forces dont il subit la pression et que le libre arbitre n’existe pas : Le milieu, l’hérédité, l’éducation, les influences climatologique et atmosphérique, agissent tour à tour sur l’homme, se heurtant, se combinant, mais exerçant une action réelle sur son cerveau, et le faisant tourner sous leur impulsion, comme tourne le toton sous l’action giratoire des doigts du joueur qui le lance.

Selon son hérédité, son éducation et le milieu où il vit, l’individu sera plus ou moins docile aux incitations de certaines forces, plus ou moins réfractaire à certaines autres ; mais il n’en est pas moins acquis que sa personnalité n’est que le produit de ces forces.

Après avoir constaté ces faits, certains savants, dont le chef reconnu est M. C. Lombroso, ont voulu établir l’existence d’un type criminel. Ils se sont appliqués à rechercher les anomalies qui pouvaient caractériser le type qu’ils ont la prétention de reconnaître, et, après avoir bien ergoté sur le type par eux créé, ils concluent à la répression énergique, à l’emprisonnement perpétuel, etc. — L’homme agit sous l’influence de causes extérieures à lui, il n’est donc pas responsable de ses actes ? les savants le reconnaissent, et ils concluent à la… répression !

Nous aurons l’occasion d’expliquer ci-après cette contradiction, examinons pour le moment les principales anomalies signalées par les criminalistes comme caractéristiques de criminalité :

Anciennes blessures ;

Anomalies de la peau ;

Anomalies des oreilles ou du nez ;

Tatouages.

Il y en a bien d’autres qui ne nous semblent pas avoir un plus grand rapport, que celles ci-dessus, avec la mentalité de l’individu, mais notre ignorance en anatomie ne nous permet pas de les discuter à fond. Contentons-nous de celles que nous venons d’énumérer.

Les blessures : Il est bien évident qu’un individu qui porte la marque d’anciennes blessures ne peut être qu’un criminel fieffé, surtout s’il a reçu ces blessures dans un accident de travail ou en risquant sa vie pour sauver un de ses semblables ! — Jusqu’à présent nous avions cru que la criminalité consistait plutôt à donner des coups qu’à en recevoir, il paraît que pour la science c’est le contraire : le criminel est celui qui se laisse blesser ! Inclinons-nous, mes frères !

Quant aux anomalies du nez et des oreilles, nous avons cherché vainement quel rapport elles pouvaient avoir avec le cerveau, nous ne l’avons pas trouvé ; mais il y a mieux. M. Lombroso convient que beaucoup des cas, qu’il cite comme anomalies, se retrouvent en quantité chez ce qu’il appelle les honnêtes gens ! ce sont alors des anomalies qui tendraient à devenir des généralités ! Nous avions été, jusqu’ici, portés à croire qu’une anomalie était un cas qui sortait de la généralité ! La science de M. Lombroso tend à nous prouver le contraire. Triste inconséquence qui prouve par-dessus tout que les gens qui ont enfourché un dada, se sont confinés dans un coin de la science, finissent par perdre la notion exacte de l’ensemble des choses et n’ont qu’un objectif : tout ramener à la portion d’études qu’ils ont embrassée.

Avoir une oreille ou un nez mal fait — le nez principalement — rien de plus désagréable, surtout si cette conformation défectueuse est poussée à l’extrême limite du ridicule. Rien de bien gracieux à porter une couenne de lard, ou une tache de vin sur un côté de la figure, cela est souvent aussi désagréable à ceux qui les regardent qu’à ceux qui les portent ; nous aurions cru cependant que ceux qui en étaient affligés étaient assez péniblement affectés sans vouloir encore les regarder comme criminels !

Mais puisque M. Lombroso l’affirme, poussant sa théorie jusque dans ses conséquences, nous sommes amenés à demander que les sages-femmes et les médecins-accoucheurs soient tenus de mettre à mort tous les nouveau-nés qui viendront au monde avec un nez de travers ou une oreille mal faite. Toute tache pigmentaire ne peut être, évidemment, que l’indice de la plus noire perversité. Ainsi, moi, il me semble me rappeler avoir de ces taches… quelque part, je suis anarchiste — ce qui est considéré, déjà, par certains comme un indice de criminalité, ça concorde bien, je suis destiné à n’être qu’un vulgaire criminel. À mort ! À mort ! la théorie prédit que je dois périr sur « les échafauds ».

En appliquant la doctrine à tous ceux qui en sont justiciables, il y aurait probablement très peu de survivants, mais combien l’humanité serait parfaite au moral et au physique ! Il ne faut jamais reculer devant les conséquences d’une théorie fondée sur l’observation comme l’est celle-ci !


Quant aux tatouages, nous ne les avions pas pris, jusqu’à présent, pour l’indice d’une esthétique bien élevée, oh ! non ; c’est un restant d’atavisme qui porte certains hommes à rehausser « leur beauté naturelle » au moyen d’enjolivements pratiqués sur la peau, absolument comme pouvaient le faire nos ancêtres de l’âge de pierre. Ce même atavisme amène encore bien des femmes à se faire percer les oreilles pour y suspendre des morceaux de métal ou des cailloux brillants, absolument comme les Botocudos du Brésil, ou certaines peuplades australiennes ou africaines s’incisent les lèvres, les cartilages du nez ou les lobes de l’oreille pour y introduire des rondelles de bois ou de métal, ce qui a pour effet, il leur semble du moins, de les rendre d’une beauté sans égale.

Nous envisagions bien ces procédés comme un peu primitifs, mais nous n’avions vu, en cette pratique, aucun caractère de férocité ; cependant, puisque Lombroso nous apprend ce qu’il en est nous espérons bien que l’on nous débarrassera non-seulement de ceux qui se tatouent, mais aussi de celles qui se font percer les oreilles ou se teignent les cheveux.

M. C. Lombroso a bien aussi essayé de reconnaître un type de criminel politique en s’appuyant sur des données tout aussi fantaisistes, mais le suivre sur ce terrain nous écarterait trop de notre sujet ; nous nous en tenons à la critique du criminalisme proprement dit.


Du reste, quelques savants, plus éclairés, n’ont pas tardé à faire eux-mêmes la critique des théories par trop fantaisistes de l’école criminaliste et ont démontré victorieusement le peu de consistance des caractères prétendus criminels dont on voulait faire l’apanage de ceux que l’on tenait à désigner par cette étiquette.

Le Dr Manouvrier, entre autres, dans son cours d’anthropologie criminelle, en 90-91, à la Société d’anthropologie, a réfuté d’une manière admirable les théories de Lombroso et de l’école criminaliste sur les prétendus criminels-nés. Après avoir démontré la fausseté des observations sur lesquelles le savant italien et ses imitateurs tablaient pour arriver à créer le type criminel, en ne prenant pour sujets d’observations que des individus déjà déformés par la vie de prison ou un genre d’existence anormal, M. Manouvrier constatait que les individus peuvent avoir telles ou telles aptitudes qui les rendent propres à tels ou tels actes, mais qu’ils ne sont pas, de par la conformation de leur cerveau ou de leur squelette, destinés fatalement à accomplir ces actes et devenir ce que l’on appelle des criminels. Tel genre d’aptitudes peut indifféremment, selon les circonstances, entraîner l’individu à un acte réputé honorable aussi bien qu’à un acte réputé criminel.

Par exemple, une forte musculature peut, dans un moment de fureur, faire de cet homme vigoureux un étrangleur, mais, tout aussi bien, le gendarme qui arrêtera le criminel ; des instincts violents, le mépris du danger, l’insouciance de la mort, à la recevoir ou à la donner, sont indifféremment ou les vices du criminel, ou la vertu que l’on réclame du soldat ; un esprit fourbe, enclin à la tromperie, insinuant, cauteleux, peuvent faire le pégriot qui ne pense qu’à échafauder vols et escroqueries, mais ce sont aussi les qualités requises pour faire un admirable policier ou un excellent juge d’instruction.


Entraîné par la vérité de son argumentation, le professeur n’hésitait pas, du reste, à reconnaître qu’il était souvent bien difficile de discerner le prétendu criminel du prétendu honnête homme ; et que maint individu qui est hors de prison devrait être dedans et réciproquement.

Et, après avoir, avec les autres savants, reconnu que l’homme n’est que le jouet de toutes les circonstances suivant la résultante desquelles il agit à chaque moment ; après avoir nié le libre arbitre, après avoir reconnu que la justice n’est qu’une entité et n’est, en fait, que la vengeance exercée par la société qui se substitue à l’individu lésé, le professeur, malheureusement, s’arrête en route, après avoir énoncé des aperçus qui le rapprochent de ce que prétendent les anarchistes, il en arrive à conclure que la pénalité n’est pas assez forte, et qu’il faut l’élever ! Il se retranche, il est vrai, derrière la conservation sociale ; les actes réputés criminels, dit-il, ébranlent la société, celle-ci a le droit de se défendre en se substituant à la vengeance individuelle, en frappant ceux qui la gênent d’une peine assez forte pour leur ôter l’envie de continuer.


D’où vient cette contradiction flagrante entre des aperçus si larges et des conclusions si étroites, puisqu’elles demandent le maintien de ce qui est démontré absurde par les prémisses ? Cette contradiction, hélas ! n’est pas imputable à leurs auteurs, elle tient essentiellement à l’imperfection humaine.

L’homme n’est pas universel, le savant qui s’est livré passionnément à une étude arrive à des prodiges de sagacité dans le sillon de la science qu’il a creusé. De déductions en déductions il arrive à résoudre les problèmes les plus ardus faisant partie du domaine qu’il a pris à tâche de cultiver ; mais comme il n’a pu mener de front l’étude de toutes les sciences, de tous les phénomènes sociaux, il arrive qu’il reste en arrière des progrès des autres sciences ; aussi, lorsqu’il veut appliquer les découvertes admirables qu’il a faites aux autres conceptions humaines, il s’ensuit qu’il les applique le plus souvent à faux et qu’il tire une conclusion erronée d’une vérité qu’il a démontrée.

En effet, si les anthropologistes qui ont étudié l’homme, l’ont analysé et sont arrivés à reconnaître sa véritable nature, avaient étudié avec un égal succès la sociologie, passé au crible du raisonnement toutes les institutions sociales qui nous régissent, nul doute que leurs conclusions eussent été différentes.


Puisqu’ils ont admis que l’homme agit sous l’impulsion d’influences extérieures, ils doivent être amenés à rechercher quelles sont ces causes ; en étudiant l’homme réputé criminel et ses actes, l’étude de la nature de ces actes doit forcément s’imposer à leur esprit et leur faire rechercher pourquoi ils sont en antagonisme avec les lois de la société. C’est ici que les influences de milieu, les préjugés d’éducation, leur ignorance relative des questions scientifiques qu’ils n’ont pas étudiées, se combinent pour leur dicter, à leur insu, des conclusions si favorables à l’ordre de choses existant qui font que, tout en le reconnaissant mauvais, tout en demandant une amélioration pour les déshérités, ils ne peuvent concevoir rien de mieux en dehors de l’autorité ! Habitués à ne se mouvoir que la chaîne au cou et sous les morsures du fouet du pouvoir, les plus indépendants voudraient bien en être débarrassés pour eux-mêmes, pour une petite minorité, mais leur conception ne peut admettre que l’humanité marche sans lisières, sans cachots et sans chaînes.


Si nous étudions quels sont les crimes les plus anti-sociaux, les plus visés par le code et les plus fréquents, nous ne tarderons pas à reconnaître qu’en dehors de quelques crimes passionnels, très rares et sur lesquels juges et médecins sont d’accord pour user d’indulgence, c’est l’atteinte à la propriété qui fournit le plus fort contingent de crimes ou de délits. C’est alors que se pose la question, à laquelle peuvent seuls répondre ceux qui ont bien étudié la Société dans sa nature et ses effets : « La propriété est-elle juste ? Une organisation qui engendre un tel nombre de crimes est-elle défendable ? »

Si ce régime entraîne avec lui tant d’actes qui sont une réaction inéluctable, il faut qu’il soit bien illogique, qu’il froisse bien des intérêts, et que le pacte social, loin d’avoir été unanimement et librement consenti, soit dénaturé par l’arbitraire et l’oppression. C’est ce que nous avons pris à tâche de démontrer dans cet ouvrage, et le vice fondamental de l’organisation sociale reconnu, nous constatons avec évidence que pour détruire les criminels, il faut détruire l’état social qui les engendre.

Faites que dans la société chaque individu soit assuré de la satisfaction de tous ses besoins ; que rien ne vienne l’entraver dans sa libre évolution ; que dans l’organisation sociale, il n’y ait pas d’institutions dont il puisse se servir pour entraver ses semblables, vous verrez les crimes disparaître ; s’il restait quelques natures isolées assez corrompues ou abâtardies par notre société actuelle pour commettre quelques-uns de ces crimes auxquels on ne peut trouver d’autres causes que la folie, ces individus ne relèveraient plus que de la science et non du bourreau, cet assassin à gages de la société capitaliste et autoritaire.


Vous faites la guerre aux voleurs et aux assassins, dites-vous ? mais qu’est-ce qu’un voleur et un assassin ? — Des individus, direz-vous, qui prétendent vivre à ne rien faire, aux dépens de la société. Mais jetez donc un coup d’œil sur votre société, vous reconnaîtrez qu’elle fourmille de voleurs et que, loin de les punir, vos lois ne sont faites que pour les protéger. Loin de punir la paresse, elle présente comme idéal et récompense le plaisir de ne rien faire à ceux qui peuvent arriver, par n’importe quels moyens, à bien vivre sans rien produire.

Vous punissez comme voleur le malheureux qui, n’ayant pas de travail, risque le bagne pour s’emparer du morceau de pain qui doit apaiser sa faim ; mais vous vous inclinerez chapeau bas devant l’accapareur millionnaire qui, à l’aide de ses capitaux, aura raflé sur le marché les objets nécessaires à la consommation de tous, pour les leur revendre avec une majoration de 50 pour 100 ; vous irez vous presser bien humbles et bien soumis dans les antichambres du financier qui, d’un coup de bourse, aura ruiné quelques centaines de familles pour s’enrichir de leurs dépouilles.

Vous punissez le criminel qui, pour satisfaire ses goûts de paresse et de débauche, aura suriné une victime quelconque ; mais cette paresse, ce goût de la débauche qui les lui a inculqués, si ce n’est encore votre société ? Vous le punissez lui qui opère en petit, mais vous entretenez des armées pour les envoyer, outre-mer, opérer en grand contre des peuples incapables de se défendre. Mais les exploiteurs qui tuent non pas seulement un, dix individus, mais usent des générations entières en les brisant de travail, en leur rognant tous les jours leurs salaires, les acculant à la misère la plus sordide, oh ! à ceux-là vous leur réservez vos sympathies, vous savez mettre, au besoin, toutes les forces de votre société à leur service. Et la loi, dont vous êtes les gardiens farouches, lorsque leurs exploités, las de souffrir, relèvent la tête et réclament un peu plus de pain, un peu moins de travail, vous en faites l’humble servante des privilégiés, contre les réclamations intempestives des va-nu-pieds.

Vous punissez l’imbécile qui se laisse prendre à vos filets, mais le roublard assez fort pour en rompre les mailles, vous le laissez filer en paix. Vous emprisonnez le trimardeur qui aura volé une pomme en passant, mais vous mettez au service du propriétaire tous les rouages de votre procédure pour lui permettre de voler au pauvre diable qui lui devra cinquante francs le mobilier qui en aura coûté quatre ou cinq cents, et représente les économies d’une partie de son existence.

Votre justice n’a pas assez de rigueurs pour le voleur en haillons, mais elle protège ceux qui opèrent sur une classe, sur une nation tout entière. Toutes vos institutions n’ont-elles pas été établies pour assurer aux possédants la libre possession de ce qu’ils ont pris aux dépossédés.


Mais ce qui nous révolte encore plus, ce sont toutes ces formes hypocrites que l’on emploie pour nous faire considérer comme choses sacrées toutes ces bouffonneries théâtrales dont les bourgeois entourent leurs sinistres comédies et qu’ils n’ont pas le courage d’avouer franchement.

Et encore, non, ce qui nous révolte le plus, c’est l’attitude de tous ces saltimbanques qui, sous prétexte d’attaquer le régime existant, l’attaquent dans les hommes qui appliquent les textes, dans la manière dont ils les appliquent, mais ont soin d’en respecter l’essence même, de façon à faire croire qu’il peut y avoir trente-six manières d’appliquer la loi, et que, parmi ces trente-six manières, il peut y en avoir une bonne, que parmi les hommes qui escaladeront le pouvoir, il pourra s’en trouver d’assez honnêtes, d’assez larges dans leurs vues, des hommes, enfin, comme il n’en existe pas, qui pourront démêler cette bonne manière et s’en servir à la satisfaction de tous.

Vraiment, nous ne savons ce que nous devons admirer le plus ; ou de la coquinerie de ceux qui nous débitent ces fadaises, ou de la naïveté de ceux qui continuent à respecter cette mise en scène, dont ils sont les seuls à supporter tout le poids. Il est difficile de comprendre comment, parmi cette foule innombrable d’individus qui ont passé par les étamines de la justice, il ne s’en est pas encore trouvé un, assez débarrassé de préjugés, pour aller relever les jupons d’un de ceux qui l’avaient frappé, démontrant ainsi au public que toutes ces loques ne servent qu’à masquer des hommes sujets aux mêmes faiblesses et aux mêmes erreurs que le restant de l’humanité, sans compter les crimes inspirés par leurs intérêts de caste.


Aussi, pour nous, anarchistes, qui attaquons l’autorité, la légalité est une de ces formes hypocrites auxquelles nous devons le plus nous attaquer pour en arracher tous les oripeaux qui servent à cacher les palinodies et les hontes de ceux qui nous gouvernent.

Trop longtemps l’on a respecté ces momeries ; trop longtemps les peuples ont cru que ces institutions émanaient d’une essence supérieure qui, les faisant flotter dans une sphère éthérée, les laissait planer au-dessus des passions humaines ; trop longtemps on a cru à l’existence d’hommes à part, d’une pâte spéciale, chargés de distribuer ici-bas, à chacun selon ses mérites, à chacun selon ses œuvres, cette justice idéale que chacun envisage à son point de vue, selon la condition où il est placé et qu’eux ont codifiée en s’inspirant des idées les plus arriérées, les plus surannées, pour protéger l’exploitation et l’asservissement des faibles par ceux qui ont su créer et imposer leur domination.

Il est temps de rompre avec ces absurdités et d’attaquer franchement les institutions véreuses qui ont pour but d’amoindrir la personnalité humaine ; l’homme libre n’admet pas cette prétention d’individus s’arrogeant le droit de juger et de condamner d’autres individus. L’idée de justice, telle que la comportent les institutions actuelles, est tombée avec la divinité ; l’une a entraîné l’autre. L’idée de Dieu inspirant aux magistrats le verdict à prononcer pouvait faire accepter l’infaillibilité de la justice des hommes, alors que les masses étaient assez arriérées pour croire à une existence ultra-terrestre, à un bonhomme quelconque, existant en dehors du monde matériel, s’occupant de tout ce qui se passe sur notre planète et réglant les actions de tous les individus qui l’habitent.

Mais la croyance en Dieu étant détruite, la foi au surnaturel ayant disparu, la personnalité humaine restant seule, avec tous ses défauts et ses passions, cette inviolabilité et ce caractère suprême qui sont l’essence de la Divinité, et dont s’était revêtue la magistrature pour se maintenir au-dessus de la société, doivent disparaître à leur tour pour laisser, aux yeux dessillés, voir ce qu’ils cachaient réellement : l’oppression et l’exploitation d’une classe par une autre, la fraude et la violence élevées à la hauteur d’un principe et transformées en institutions sociales.


La science nous a aidés à lever le voile, elle nous a fourni les armes qui ont contribué à mettre le colosse à nu, il est trop tard pour qu’elle puisse efficacement retourner en arrière et essayer de reconstituer, au nom de l’Entité-Société, ce qu’elle a brisé avec l’Entité-Divinité. Il faut que les savants arrivent à éliminer complètement en eux l’éducation bourgeoise reçue et qu’ils étudient les phénomènes sociaux avec la même âpreté, avec le même désintéressement qu’ils peuvent avoir porté dans les études d’une connaissance spéciale. Alors, quand ils ne seront plus influencés par des considérations ou des préjugés étrangers à la science, ce ne sera plus à la condamnation des criminels qu’ils concluront, mais bien, comme nous, à la destruction d’un état social qui fait que dans son sein, de par son organisation vicieuse, il peut y avoir des individus réputés honnêtes, et d’autres réputés criminels.