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La Vie du Bouddha (Herold)/Partie III/Chapitre 16

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L’Édition d’art (p. 251-254).



XVI


Le Maître arriva, sur les bords de la Gangâ, au lieu où l’on construisait la ville de Pâtalipoutra. Il salua les murs qui commençaient à sortir de terre, et il s’écria :

« Cette ville sera grande un jour, elle sera illustre, de nombreux héros y naîtront, un roi, fameux entre tous, y règnera. Tu seras prospère, ô Pâtalipoutra, et ton nom sera célébré par les hommes, à jamais. »

Il passa le fleuve. Il allait vers Vaiçâlî ; mais, dans le village de Bailva, il fut frappé d’une grave maladie. Il souffrait d’horribles douleurs ; Ananda pleurait, le voyant déjà mort. Mais il se souvint qu’il avait à visiter encore de nombreux disciples ; il ne lui convenait pas d’entrer dans le nirvâna sans leur avoir donné les derniers enseignements, et, par la force de sa volonté, il dompta la maladie, et la vie ne l’abandonna pas. Il recouvra la santé.

Dès qu’il fut guéri, il sortit de la maison où il avait trouvé un asile, et il s’assit sur un siège qui lui avait été préparé devant la porte. Ananda vint près de lui ; il s’assit à ses côtés, et il dit :

« Je vois, Seigneur, que tu as retrouvé la santé. Quand je t’ai vu malade, j’ai perdu toute énergie ; j’étais en proie au vertige, je ne pouvais accepter l’idée que le Maître fut malade ; et pourtant je me rassurais, en me rappelant que tu n’avais pas fait connaître tes intentions sur la communauté, or tu n’entreras pas dans le nirvâna tant que nous les ignorerons. »

Le Bienheureux parla ainsi :

« Que veut encore de moi la communauté, Ananda ? J’ai dit la doctrine, je l’ai enseignée ; il n’en est aucun point que je n’aie éclairé ! Celui qui pense : « Je veux régner sur la communauté, » celui-là peut faire connaître ses intentions touchant la communauté. Mais, Ananda, le Bienheureux n’a jamais pensé : « Je veux régner sur la communauté. » Pourquoi ferait-il connaître ses intentions ? Je suis vieux, Ananda, je suis blanc, je suis faible ; j’ai quatre-vingts ans, j’arrive au bout de mon chemin. Soyez, vous, votre propre flambeau, ne cherchez pas qui vous éclaire. Celui qui, après que j’aurai quitté ce monde, sera son propre flambeau, prouvera qu’il a pénétré tout le sens de mes paroles ; il sera mon vrai disciple, Ananda ; il connaîtra la droite manière de vivre. »

Il reprit sa route, et il arriva à Vaiçâlî. Il alla à travers la ville, de porte en porte, quêtant sa nourriture. Et, tout à coup, il vit Mâra qui s’était dressé devant lui.

« Voici l’heure, dit le Malin ; entre dans le nirvâna, ô Bienheureux.

— Non pas, répondit le Bouddha. Mieux que toi, Malin, je connais l’heure où il faudra que j’entre dans le nirvâna. Quelques mois encore, et l’heure sera venue. Trois mois encore, et le Bienheureux entrera dans le nirvâna. »

À ces paroles, la terre trembla, le tonnerre gronda : le Bienheureux avait détruit la volonté par quoi il retenait la vie, et il avait fixé le temps où il entrerait dans le nirvâna. La terre trembla, le tonnerre gronda.

Au soir, il assembla les moines de Vaiçâlî, et il leur parla :

« Gardez bien, ô moines, la science que j’ai acquise et que je vous ai enseignée, et marchez dans la bonne voie, afin que la vie de sainteté dure longtemps, pour le salut et pour la joie du monde, pour le salut et pour la joie des Dieux, pour le salut et pour la joie des hommes. Quelques mois encore, et mon heure sera venue ; trois mois encore, et j’entrerai dans le nirvâna ; je m’en vais et vous demeurez ; n’abandonnez jamais la lutte. Celui qui ne chancelle point au chemin de la vérité fuit la naissance, fuit la mort, fuit à tout jamais la douleur. »

Le lendemain, il parcourut encore la ville, pour avoir des aumônes ; puis, avec quelques disciples, il prit la route de Kouçinagara, où il avait résolu d’entrer dans le nirvâna.