La Vie nouvelle/Chapitre XXXVIII
CHAPITRE XXXVIII
À force de regarder cette femme, j’en arrivai à ce point que mes yeux commencèrent à trouver trop de plaisir à la voir. Aussi, je m’en irritais souvent, et je me taxais de lâcheté, et je maudissais encore mes yeux pour leur sécheresse, et je leur disais dans ma pensée : vous faisiez habituellement pleurer ceux qui voyaient la douleur dont vous êtes pénétrés, et maintenant il semble que vous vouliez l’oublier pour cette femme qui vous regarde, mais ne vous regarde précisément que parce qu’elle pleure aussi la glorieuse femme que vous pleurez. Mais faites comme bon vous semblera : je vous la rappellerai souvent, maudits yeux dont la mort seule devait arrêter les larmes. Et, quand j’avais ainsi parlé à mes yeux, mes soupirs m’assaillaient encore plus grands et plus angoissans. Et afin que cette bataille, que je me livrais ainsi à moi-même, ne demeurât pas connue seulement du malheureux qui la subissait, je voulus en faire un sonnet qui décrivît cette horrible situation.
Les larmes amères que vous versiez[1], |