La Vie véritable du citoyen Jean Rossignol/25

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CHAPITRE XXV

La position de l’ennemi. — Des avantages. — Je suis blessé. — Santerre compromet la colonne. — Le silence du général Canclaux. — La retraite sur Nantes. — Mouvement dans l’armée. — Léchelle me remplace. — Les soldats demandaient Canclaux. — Les Brigands passent la Loire. — J’improvise une petite armée. — Toujours sans nouvelles. — Marche et contremarche.

Les colonnes devaient donc se trouver réunies le 18 devant Cholet. Pour cela, il fallait vaincre de nombreux obstacles et l’ennemi, se trouvant placé au centre de nos opérations, bien servi comme il l’était en espions, pouvait facilement se porter sur la colonne qu’il désirait attaquer, ce qu’il fit du reste quelquefois avec avantage. Deux fois, les rebelles voulurent attaquer Doué[1], ils furent battus à plate couture. Ce fut à cette époque que je fus blessé et obligé de quitter le champ de bataille malgré moi.

Le 16 septembre, l’armée était à Coron. Santerre commandait la colonne, mais, à la suite d’une mauvaise manœuvre, il fut obligé de se reployer, après avoir perdu plusieurs bouches à feu. Une ordonnance vint m’avertir de cette déroute ; je donnai l’ordre au général Salomon de partir pour Doué et de prendre avec lui quatre bataillons, afin de rallier la troupe, avec ordre de ne point la laisser entrer dans la ville et de camper. Les ordres et les bataillons arrivèrent assez à temps pour empêcher une plus grande déroute. J’avoue que j’en ai pleuré de colère, mais j’étais au lit, extrêmement malade.

J’observe que je ne recevais aucune nouvelle du général Canclaux ; aucune correspondance n’était établie ; je lui envoyais tous les jours un courrier extraordinaire et lui ne me répondait que par la poste ; j’étais trois ou quatre jours sans avoir de ses nouvelles ; je restai donc sur la défensive. Dans la première lettre que je reçus de lui, il me demandait où était l’ennemi, que lui ne pouvait le trouver. Il avait bien raison : l’ennemi ne pouvait être sur lui, puisqu’il était toujours sur nous. Cependant, par la résistance que fit ma colonne, elle força l’ennemi à marcher sur la colonne de Mayence.

Notre armée eut quelques succès à plusieurs reprises, mais cela ne fut pas de longue durée, puisque Canclaux se vit tourner par l’ennemi et contraint de se faire un chemin pour la retraite sur Nantes.

Après cet échec, il y eut un grand mouvement dans l’armée ; toutes les colonnes restèrent sur la défensive pendant quelques jours ; beaucoup de généraux furent rappelés, beaucoup d’autres destitués.

Ce fut à cette époque[2] que je fus remplacé par le général Léchelle, que j’avais placé à La Rochelle dans les circonstances suivantes : j’avais été avisé que ce port très important devait être livré aux ennemis et j’avais reçu l’ordre d’y placer un bon général qui fût en même temps bon républicain ; en conséquence, j’y envoyai le général Léchelle, qui déjoua la conspiration prête à livrer la ville aux forces ennemies.

Canclaux, Santerre, Dubayet, Rey, Mieszkwoski, Menou, Duhoux, etc., se retirèrent de l’armée. J’eus l’ordre de les remplacer par d’autres chefs nommés par le Conseil exécutif et approuvés par le Comité de salut public. Le général Beysser avait été arrêté quelques jours auparavant et ramené à Paris. Je plaçai les nouveaux généraux à chaque tête de colonne et, d’après mes instructions, plusieurs victoires furent remportées par nos armées sur plusieurs points.

Léchelle vint de La Rochelle pour me remplacer. Les représentants du peuple Prieur (de la Côte-d’Or) et Kunt étaient à Saumur et l’attendaient pour se concerter avec lui. J’eus le plaisir de communiquer avec eux ; je leur fis voir la disposition et la marche que tenait chaque colonne. Ils me parurent satisfaits des mesures que j’avais prises. Le général arriva ; je lui exposai l’état des forces qu’il allait commander. Il partit le lendemain pour Nantes avec les représentants Prieur (de la Côte-d’Or) et Kunt. L’armée de Mayence était ressortie de Nantes depuis quelques jours, et ce fut le représentant Carrier qui fit reconnaître Léchelle pour général en chef. Il y eut à ce sujet beaucoup de mécontentement dans l’armée de Mayence. Les soldats demandaient Canclaux et Dubayet ; ils disaient qu’autrement ils n’obéiraient point au général Léchelle. Les représentants du peuple ramenèrent cependant l’ordre, mais ce ne fut pas sans peine. J’arrivai à Nantes et j’allai trouver Canclaux que je remplaçais dans l’armée des côtes de Brest ; il avait reçu sa destitution et il m’attendait. Je pris tous les renseignements qui m’étaient nécessaires et je partis pour Brest.

Les représentants du peuple Jeanbon-Saint-André et Prieur de la Marne étaient dans cette ville ; je me fis connaître à eux et je leur dis que je venais visiter tous les forts ainsi que tous les postes. Je trouvai les travaux de défense en bon état. Au cours de ma tournée dans le département, je fis construire plusieurs batteries sur des points importants. Bientôt un courrier extraordinaire m’apprenait que l’armée de Mayence avait tellement poussé les Brigands qu’ils avaient été forcés de passer la Loire. Ce fut alors que je me dis : Ils ne veulent donc plus me quitter…

Je n’avais dans la circonstance aucune troupe disponible. Je ne pouvais point dégarnir les côtes qui étaient essentielles à garder ; alors je fis rassembler tous les citoyens dans les communes où je passais et les engageais à venir se concentrer à Rennes ; plusieurs communes fournirent ainsi leur contingent de braves à la défense de la patrie. En deux jours, je trouvai dans ces petites communes près de deux mille hommes sur ma réquisition ; je ne pris que les individus en état de porter les armes. À Rennes, je fis rassembler tous les citoyens et, comme les Brigands venaient de remporter une victoire à Laval, je me mis en marche, sans attendre, avec la petite armée que j’avais improvisée. Nous n’étions que deux mille hommes. Le représentant du peuple Pocholle marcha à la tête de sa colonne. Cette marche ne tendait qu’à soutenir notre armée et à lui servir en cas de besoin. J’observe que, dans ce moment, je n’avais près de moi ni généraux, ni même un chef d’état-major.

Depuis quatre jours, j’étais sans nouvelles de l’armée de Mayence ; je ne savais pas même sur quel point s’était portée la retraite. J’avais marché du côté de Craon et, après le troisième jour de marche, j’appris que l’armée s’était dirigée sur Angers et que le général Boucret, avec quatre mille hommes, avait opéré sa retraite sur Rennes. Ainsi je marchais d’un côté et les troupes républicaines se retiraient de l’autre. Je me trouvais au milieu des Brigands et ne m’en suis retiré que par des chemins de traverse, en passant par Vitré.

Le deuxième jour de notre contremarche, j’appris qu’une colonne ennemie forte de vingt mille hommes s’avançait sur nous. L’avertissement nous vint assez à temps pour permettre la retraite. À Vitré, je laissai huit cents hommes pour renforcer la garnison, ce qui pouvait porter le nombre des citoyens armés à douze cents. Trop faibles pour résister en cas d’attaque, ils avaient ordre de ne point tenir et de se reployer sur Rennes, mais leur poste ne fut point attaqué.

  1. Le 9 septembre, Rossignol écrivait après la reprise des roches d’Érigné :

    « Après cette nouvelle expédition, l’armée est rentrée dans Doué ; le soir même, j’ai fait donner aux femmes, enfants et vieillards de Thouars tous les secours dus à l’humanité. Nous allons tâcher de réparer par une marche simultanée et par une sorte d’invasion dans le pays ennemi les revers qu’a éprouvés la division de Tuncq. La Vendée n’existera plus ou nous périrons. »

  2. 30 septembre.