La Ville aux illusions/06

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Société d’éditions publications et industries annexes (p. 65-77).

CHAPITRE VI


Dès lors, la vie d’hôpital parut moins longue et moins terriblement triste au jeune étudiant.

Chaque jour, on installait les deux convalescents dans la grande galerie ensoleillée. Jean allait faire un tour de jardin, ainsi que le lui conseillait le docteur, puis revenait s’étendre à côté de Marcelle, dont la tête blonde semblait nimbée de feu.

Très vite, les deux jeunes gens en étaient venus aux confidences.

Jean se souvenait bien de sa petite camarade, lorsqu’elle était encore bébé, dans la vieille épicerie de Gréoux. Il revoyait encore comme si c’était hier la petite salle aux carreaux roses, les bocaux de bonbons multicolores et poisseux, qui ornaient la devanture… Dans le fond, des boîtes de différentes grandeurs s’étageaient, contenant le fil, le coton à repriser, les aiguilles, les bobines, la soie, les rubans à un sou le mètre, qu’on appelait « faveur » et qu’on achetait pour nouer autour du rameau de buis bénit…, la dentelle de coton, le galon de couleur… C’était le rayon de la mercerie… De l’autre côté, un peu de papeterie pour les écoliers, car, à part eux, on n’écrivait guère, au village : des cahiers, des bouteilles d’encre, de la craie et des paquets de crayons… Enfin, les légumes secs, la charcuterie, dans une petite armoire vitrée, puis les pelotes de ficelle, les balais et les sabots qui faisaient des guirlandes, attachés au plafond… Il se rappelait les moindres détails : les longs papiers tue-mouches, suspendus à la maîtresse-poutre et le tablier à carreaux rouges et blancs qui habillait la petite.

— Nous avions un chat, précisait la jeune fille. Vous ne vous souvenez pas de Criquet, le gros matou jaune ? Il était voleur comme une pie borgne…

— Je croîs bien ! reprenait Jean en riant encore à ce souvenir. Une fois, il est venu jusque chez nous et a chipé devant maman un hareng qui cuisait sur le gril ! La pauvre femme a failli en faire une maladie !

Ils éclatèrent de rire.

— Et la mère Dolorette, la vieille bossue, qui vendait des champignons ? reprit Marcelle. On la disait sorcière, vous vous souvenez ?

— Elle vit encore dans sa petite cabane, à la limite des champs de la Guillaudière !

— Elle doit avoir au moins cent ans ?

— Je ne sais pas ; personne ne sait son âge, à vrai dire. Elle était encore de ce monde, lorsque j’ai quitté Gréoux, plus alerte, plus ingambe que jamais. Seulement, son nez rejoignait presque son menton !

Quelques jours après que Jean eût commencé ses sorties dans le parc, on lui annonça une visite.

Il était en train de causer avec Marcelle, il tressaillit brusquement et rougit de bonheur : sûrement, c’était Arlette ! Comme elle était bonne de s’être inquiétée de lui !

Il se tourna vers la porte, afin de voir plus tôt apparaître celle à laquelle il n’avait pas cessé de penser.

Mais une grosse déception l’attendait : il vit seulement surgir trois jeunes gens qui se dirigèrent vers lui d’un pas rapide. C’étaient Julien, Louis et Georges.

— Bonjour, mon vieux ! fit celui-ci en lui serrant la main. Comment vas-tu ? Te voilà ressuscité !

— Tu vois ! répondit Jean, avec un faible sourire.

Les garçons attirèrent des chaises, et entourèrent leur ami.

— Tout de même ! s’exclama Julien, on ne s’attendait pas à çà ! Alors, voilà combien de temps que tu es là ?

— Ma foi ! je n’en sais trop rien ! répondît-il distraitement. Je crois que je suis entré à l’hôpital à la fin de décembre…

— Oh । là ! là ! Et nous sommes à la mi-février ! Tu vas bien, toi ! Crois-tu sortir bientôt ?

— Je ne sais pas ; le docteur ne m’a encore rien dit. Je pensais justement m’en inquiéter, car je vais me trouver terriblement en retard.

— Évidemment, reprit Georges, mais, mon gros, faut pas t’en faire… Ça se rattrapera toujours.

— Je travaillerai cet été.

— Mais oui !

Il porta la main à sa poche d’imperméable et en tira deux oranges.

— Tiens ! fit-il. J’ai pensé que ça te ferait, plaisir…

— Merci ! Tu es vraiment gentil, fit Jean touché.

— Est-ce que tu fumes ? reprit Julien.

— Hélas ! le toubib le défend encore !

— Vrai ? Tant pis ; en ce cas, je rengaîne mon cadeau. Ce sera pour ta sortie.

— Moi, dit Louis, je t’ai acheté des pastilles de gomme : c’est sain pour l’estomac et la gorge.

— Vous êtes tout plein mignons, dit le jeune homme en riant, et je vous dis à tous les trois un grand merci. Maintenant, dites-moi ce qu’il y a de nouveau à l’École ?

— Peuh ! tu sais, pas grand’chose. Nous sommes toujours fourrés dans le Code jusqu’au bout du nez, et on se farcit la mémoire de termes ahurissants, qui nous permettront d’épater à notre tour notre semblable et de lui soutirer beaucoup d’argent…

Ils se mirent à rire.

— Eh bien ! fit Jean, tu as des intentions précises, toi, au moins !

— Tes parents sont-ils venus te voir ? questionna Julien.

— Non. Je ne leur ai pas dit. Ils se seraient affolés…

— Oh ! bien sûr…

Au bout d’un moment, ils se levèrent. Cette immobilité, cette atmosphère de l’hôpital leur pesait.

— Eh ! bien ! mon vieux, dit Georges, on te dit au revoir… On reviendra un de ces jours, d’ailleurs… Ne t’en fais pas, dors bien, mange bien et profite de cette cure de repos forcée !

Lorsqu’ils furent partis, Marcelle demanda :

— Ce sont vos camarades, n’est-ce pas ?

— Oui…

— Ils sont gentils…

— De bons types…

Elle essaya de reprendre leur conversation. Mais l’entrain n’y était plus… Elle s’en rendit vite compte. Jean répondait par monosyllabes, et semblait penser à autre chose. Finalement, elle se tut et ils regagnèrent leur chambre, après un bonjour, bref de la part de Jean, timide de la part de Marcelle, qui se demandait ce que pouvait avoir son compagnon de maladie…

C’est que l’étudiant avait subitement pensé à quelque chose. Il se sentait beaucoup plus fort ; maintenant, il mangeait bien. À vrai dire, il était à peu près rétabli. Il allait demander son exeat et il voulait courir chez Arlette. Il avait besoin de la revoir, ou tout au moins d’être rassuré… Elle lui donnerait des explications, qu’il était certain de trouver excellentes avant même de les connaître…

Quand le docteur passa la visite, le soir, il lui exposa son désir. Celui-ci fronça un peu les sourcils.

— C’est évidemment un peu prématuré… Cependant, je ne crois pas qu’il y ait un danger quelconque à vous permettre de sortir, mon petit… Votre convalescence est presque achevée, c’est évident. Toutefois, si vous laissez l’hôpital, il faudra encore prendre des précautions : pas de surmenage, pas de privations ! Une alimentation abondante !

— Oui, monsieur le docteur !

— Bien. Je vais vous examiner encore soigneusement et si je ne trouve rien d’extraordinaire, eh bien ! demain matin, on vous permettra de nous abandonner…

La robuste constitution de Jean avait triomphé. Seule persistait encore un peu de faiblesse. Tout le reste allait bien et les organes avaient repris leur fonctionnement normal.

— Vous êtes presque un homme solide ! déclara le praticien en souriant. Je crois que vous pouvez quitter l’hôpital sans inconvénient, en observant, bien entendu, les recommandations que je vous ai faites…

L’étudiant promit tout ce qu’on voulut. Il lui tardait maintenant d’être dehors !

Il pensait partir dès le lendemain matin. Mais l’infirmière-chef déclara qu’on devait, à cause des formalités, le garder jusqu’à l’après-midi.

Dans la matinée du lendemain, tandis qu’il faisait un tour dans le parc, il vit, assise sur un banc, et une canne à côté d’elle, Marcelle qui faisait sa première sortie. Un joyeux sourire illumina la figure de la jeune fille lorsqu’elle l’aperçut.

— Vous voyez, je suis presque guérie ! s’écria-t-elle. On m’a permis de sortir seule et de marcher un peu. Ma plaie à la cuisse est à peu près cicatrisée et celle de l’épaule va mieux depuis plusieurs jours.

— Moi, je vais tout à fait bien, répondit Jean. Si bien même, que je viens vous faire mes adieux… Je quitte l’hôpital…

Le petit visage pâlot blêmit davantage encore.

— Vous ne voulez pas dire que… que vous allez quitter l’hôpital, n’est-ce pas ? balbutia-t-elle.

Jean se mit à rire et s’assit à côté d’elle

— Si, c’est même exactement ça ! Pensiez-vous que j’allais rester ici jusqu’à la fin de mes jours ?

— Non, bien sûr… Mais… mais j’espérais que… que…

— Que quoi ? Que je serais plus gravement malade encore ? que je rechuterais ?

— Vous êtes méchant, aujourd’hui ! Vous travestissez ma pensée et vous le savez bien ! Je n’ai jamais eu l’idée, de dire d’aussi vilaines choses…

— Alors ?

— Alors… C’était très égoïste, je l’avoue. Mais j’étais si seule, avant votre arrivée ! ou plutôt avant que vous commenciez à venir dans la galerie… Mes cousins ne se sont jamais préoccupés de venir me voir… Je suis seule… seule… seule…

Elle laissa retomber ses mains avec découragement, tandis que des larmes qu’elle ne pouvait contenir roulaient sur ses joues blanches.

— Il ne faut pas dire ça, ma petite Marcelle, dit Jean en lui prenant affectueusement les doigts et en les enfermant entre les siens. Maintenant que nous nous sommes retrouvés, je serai pour vous un bon camarade, quelque chose comme un grand frère, si vous le voulez bien…

— Merci ! soupira-t-elle. C’est si bon de se dire qu’on n’est pas tout à fait seul sur la terre !

— Mais pour cela, continua l’étudiant, il ne faut plus pleurer… Je viendrai vous voir, moi, à mon tour…

— Oh ! j’espère bien ne pas rester longtemps ici, moi non plus… L’infirmière m’a dit ce matin en faisant mon pansement que dans huit jours j’aurais repris mon travail.

— Vous voyez bien ! Allons, ayez confiance, et faites-moi un beau sourire.

Marcelle obéit.

— Quand partez-vous ? reprit-elle, la poitrine encore lourde de peine.

— Cet après-midi. Mais donnez-moi votre adresse à Paris ; j’irai vous voir si je ne peux revenir avant votre sortie.

— Je n’en sais rien ; je vous ai déjà dit qu’il me faudrait louer une petite chambre par là. Laissez-moi la vôtre, vous, plutôt ; je vous écrirai et vous enverrai le renseignement.

— Entendu !

Il tira un bout de papier et un crayon de sa poche.

Elle prit le billet et le regarda attentivement.

— Oh ! je m’en souviendrai ! N’ayez pas peur… Mais, enfin, je le garderai quand même…

Elle le glissa dans son sac et reprit :

— Vous allez reprendre vos études ?

— Sans doute !

— Vous aimez ça ?

— Mais oui !

— Et qu’est-ce que vous ferez, quand vous aurez terminé ?

— Je serai un avocat… un grand avocat !

Elle ne put s’empêcher de rire.

— Bravo ! J’irai vous entendre plaider !

— Je vous prendrai comme secrétaire, plaisanta-t-il.

— Tant mieux ! Je suis très forte, vous savez ! j’arrive à sténographier cent trente mots à la minute…

Ces chiffres ne disaient rien du tout à Jean. Cependant, il s’exclama poliment. Puis, il ajouta, en regardant le ciel :

— Il me semble que le ciel se couvre, et que l’air fraîchit. Voulez-vous que je vous aide à rentrer ?

— Si vous voulez…

Elle se mit péniblement debout, et s’appuya sur le bras du jeune homme. Comme elle pesait peu ! Il pensa à un petit oiseau… un petit oiseau blessé, qui s’avançait en boitillant.

— Ne trouvez-vous pas que j’ai une jolie allure ? dit-elle en riant.

— Bah ! Dans huit jours, vous courrez comme un lapin !

Ils rentrèrent et rencontrèrent l’infirmière qui se disposait précisément à aller chercher sa jeune malade.

— Alors, petite Marcelle, dit le jeune étudiant, au moment où ils allaient se séparer, au revoir ! J’attends un mot de vous qui me fixera sur le choix de votre nouveau domicile…

— C’est cela ! répondit-elle bravement.

Elle poussa un soupir que Jean n’entendit pas, et retourna s’étendre, en pensant que jusqu’à sa sortie de l’hôpital, les journées allaient lui paraître bien longues et bien monotones…

Si l’étudiant n’avait pas été absorbé par la pensée de sa brillante amie des premiers jours, il aurait vite compris que la petite dactylographe avait trouvé, dans leur reconnaissance, autre chose qu’un simple sentiment d’amitié.

Elle était seule… Depuis longtemps déjà, elle ne sentait autour d’elle qu’indifférence et ennui… De plus, Jean était son « pays », celui avec lequel on a joué ensemble tout petit, qui a les mêmes souvenirs que vous, les mêmes visages qui peuplent la mémoire et les mêmes horizons qui ont bercé votre enfance… Insensiblement, la joie des premiers jours, éprouvée à bavarder ensemble de choses communes avait creusé des racines plus profondes et plus intimes… Mais Marcelle n’était pas sotte. Elle avait très bien compris que Jean, lui, ne voyait dans leurs rapports, qu’une amitié quasi-fraternelle… Ne lui avait-il pas proposé, d’ailleurs, d’être son grand frère ? Ce n’est pas là une déclaration d’amour et la jeune fille avait renfermé au plus profond de son cœur son cher secret… Cependant, il aurait éclaté à des yeux plus avertis, lorsque l’étudiant lui avait annoncé son départ prochain… Mais il avait autre chose à penser…

Une impatience fébrile s’était emparée de lui, maintenant… Revoir Arlette ! Il allait revoir Arlette ! Était-ce possible ?

Au déjeuner, il put à peine toucher à ce qu’on lui servait et l’infirmière le gronda.

— Voyons, est-ce la joie de nous quitter qui vous coupe l’appétit ? fit-elle gaiement. Ce n’est pas ainsi qu’il faut faire, si vous voulez vous rétablir complètement et devenir fort et robuste !

Enfin, les dernières formalités furent accomplies et le jeune homme franchit le seuil de l’établissement.

Tout d’abord, le va-et-vient, le bruit, le brouhaha, auxquels il n’était plus habitué, l’étourdirent. Il marcha lentement sur le trottoir, le long de la rue de Sèvres, pensant à la visite qu’il allait faire.

Il hésita un instant à rentrer chez lui. Oui, ce serait préférable… Il avait fait demander chez la concierge un complet, lorsqu’il avait commencé à se lever. Mais elle lui avait envoyé celui qu’il prenait pour aller travailler le matin. Il ne pouvait pas se présenter chez Arlette avec un col chiffonné, une cravate plus ou moins bien mise et un costume de deux cents francs.

Tout doucement, parce que ses jambes n’étaient pas encore bien solides, il gagna le métro et fit la dépense d’un billet de première, afin de trouver la place pour s’asseoir. Il descendit à la station Saint-Placide, et se dirigea vers son « home ».

Mme Luchoux était justement en train de bavarder avec une voisine sur le trottoir lorsqu’elle l’aperçut. Elle leva les bras au ciel.

— Et alors ? Vous voilà ? Vrai, monsieur Gardin, ça fait plaisir ! Mais vous avez une petite mine de quatre sous, mon pauvre monsieur et vous avez besoin de bon bouillon pour y remettre un peu de rose ! Enfin, tout ça reviendra ! Le principal, c’est d’en être sorti, hein ? Ça doit vous sembler bon ? Ah ! l’hôpital ! je sais ce que c’est : quand j’ai eu ma maladie…

Quand Mme Luchoux était lancée, autant vouloir arrêter un bolide dans sa course inter-planétaire. Jean se résigna à subir le flot.

— Pas de lettres pour moi ? fit-il enfin, lorsqu’il put placer une parole.

— Non, non, m’sieur Gardin… Vous pensez bien que je vous l’aurais fait suivre… Comme celles que vous avez dû recevoir ?

— Oui, oui, merci…

Il grimpa tristement l’escalier. Non, décidément, Arlette n’avait jamais envoyé le plus petit mot pour s’informer de sa santé. Il aurait pu mourir sans qu’elle s’en soit inquiétée… Il comptait donc si peu pour elle ?

Mais il chassa vite ces pensées attristantes. Dans quelques heures, tout serait éclairci. Il était impossible qu’elle n’ait pas pris part à la malchance qui le frappait. Et puis, enfin, revoir son sourire était déjà une joie qui faisait oublier bien des misères et bien des oublis…

Il se changea rapidement de costume, noua une cravate dont il avait reçu des compliments d’elle, autrefois, se donna un dernier coup de peigne et ressortit.

Mme Luchoux, heureusement, était occupée dans son arrière loge pour faire mijoter une délicieuse soupe aux choux dont l’odeur pénétrante embaumait tout l’immeuble. Il put se glisser dehors sans être aperçu.

Il ne fallait pas compter faire le chemin à pied, comme lorsqu’il allait la voir, à l’automne… Sa faiblesse ne lui aurait pas permis, et d’ailleurs, la tentative aurait pu être dangereuse. Il se résigna donc à reprendre le métro, mais cette fois, il ne s’accorda qu’un billet de seconde classe. Les heures d’affluence étaient passées ; il trouva facilement de la place.

Il descendit à l’Étoile et se dirigea vers l’avenue Hoche. Son cœur battait la chamade, lorsqu’il tira la poignée de sonnette en cuivre, reluisante comme un soleil…

Le même grand valet vint lui ouvrir, et sa figure s’éclaira en reconnaissant le visiteur.

— Entrez, Monsieur, dit-il. Monsieur et Madame sont sortis, mais Mademoiselle est à la maison…

C’était tout ce que souhaitait Jean. Précédant le domestique, il entra dans le petit salon.

— Je vais prévenir mademoiselle !

L’homme disparut. Pour tromper son impatience, l’étudiant s’appliqua à compter les fleurs du tapis.

Enfin, un pas léger se fit entendre, la porte s’ouvrit. Et Arlette, plus fine, plus joie que jamais, parut, perchée sur les hauts talons de ses mules.

— Enfin ! c’est vous ! s’écria-t-elle joyeusement, En lui tendant les mains.

Le jeune homme les lui saisit et les serra à les briser, trop ému pour pouvoir prononcer un mot. Il lui semblait qu’une boule l’étranglait dans la gorge.

— Que je suis contente de vous revoir ! fit-elle, en s’asseyant devant lui et en découvrant des petits pieds coquettement chaussés. Voyons, comment allez-vous, maintenant ?

— Tout à fait mieux, merci…

— Tant mieux ! J’en suis enchantée… C’est sans doute si désagréable, l’hôpital.

— Plutôt ! fit-il, amer.

Elle fit bouffer négligemment quelques plis de sa robe d’intérieur, puis reprit :

— J’aurais bien été vous voir… Mais je savais que les visites sont interdites aux malades dans votre genre.

— Plus pendant la convalescence…

— Ah ! oui ! pendant la convalescence, c’est permis… Mais j’ai horreur d’entrer dans un hôpital ; ça m’impressionne, et puis, ça sent toujours si mauvais !

Il sentit un douloureux serrement de cœur en constatant une fois de plus la sécheresse de celle qu’il aimait. Pourtant, il répondit, s’efforçant de la comprendre :

— C’est vrai. Ce n’est guère un endroit pour vous.

— N’est-ce pas ? Enfin, tout est bien qui finit bien, puisque vous voici rétabli…

— Ma première visite a été pour vous, Arlette, murmura-t-il.

— Vraiment ? Vous êtes tout à fait gentil, vous savez ? Voulez-vous rester à dîner ce soir ?

— Non, merci ; je ne le peux pas… Je dois rentrer avant la nuit…

— Bon, je n’insiste pas. J’aurais des remords si vous repreniez du mal. Nous repousserons cela à la semaine prochaine ! D’ailleurs, dimanche en huit, je pense que papa et maman vous prieront d’assister à un grand dîner…

— Un grand dîner ? Je ne suis guère mondain…

— Oh ! c’est un repas tout à fait spécial ! D’ailleurs, je veux vous dire la nouvelle aussi ; vous serez l’un des premiers à l’apprendre… N’êtes-vous pas mon grand ami ?

— C’est vrai, chère Arlette ! fit-il, tout ému, ne retenant que les derniers mots.

— Vous ne me demandez pas quelle est cette nouvelle sensationnelle ? fit-elle en se forçant un peu à rire.

— J’attends que vous me la disiez… C’est votre fête ?

— Oui, mais pas comme vous l’entendez… Je suis fiancée… Jean…

Un coup de massue n’aurait pas ébranlé davantage le pauvre garçon. Comme en un rêve, il entendit la jeune fille achever :

— Oui, je suis fiancée… avec le vicomte des Aubrays… Je serai vicomtesse ! Mais qu’avez-vous ?

L’étudiant était trop faible pour supporter impunément pareille secousse. Sa tête s’affaissa sur son épaule, ses yeux se fermèrent et il perdit connaissance.