La conquête du paradis/XV

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Armand Collin (p. 174-186).

XV

LE LION DE LA VICTOIRE

Un dîner de gala a lieu, ce soir-là, chez le gouverneur de l’Inde, au Jardin Neuf, où l’on est retourné aussitôt après la levée du siège, car depuis ce temps les jours se passent en fêtes et en réjouissances.

Cette victoire si importante, Dupleix l’a fait sonner bien haut, par politique, aux oreilles des princes indiens ; il a même écrit au Grand Mogol, pour lui faire savoir que les Français ont triomphé des forces européennes les plus considérables qui aient jamais paru dans l’Inde, et il a reçu de Delhi de vives félicitations. Son prestige a doublé, tandis que, aux yeux des indigènes, les Anglais n’ont plus aucune importance.

Parmi les hôtes d’aujourd’hui, on attend le prince Salabet-Cingh et Aly-Resa, le fils de Chanda-Saïb, le nabab dépossédé du Carnatic, puis tous les officiers, beaucoup de grands personnages, les hauts fonctionnaires et quelques riches banquiers arméniens.

La joie illumine tous les visages. Après s’être cru perdu, après les longues angoisses du siège, on renaît, plein de gloire, heureux de vivre.

Seul le marquis de Bussy, appuyé à une boiserie, indifférent à toute cette gaieté bruissante autour de lui, s’isole dans une rêverie profonde et douloureuse. Que lui importe la renommée qu’il a gagnée dans cette guerre ? la croix de Saint-Louis qui brille sur sa poitrine ? sous ses rayons il sent un vide affreux lui creuser le cœur. Rien n’est venu de Bangalore où toujours sa pensée retourne, malgré lui. Aucun messager n’apporte cette réponse attendue dans les transes du doute. Pendant le siège, l’absence de nouvelles était toute naturelle, mais depuis ?… Naïk explique le retard par le mauvais état des chemins ; la saison des pluies est de retour, les rivières torrentueuses sont devenues infranchissables, les routes des bourbiers, tout voyage est impossible pendant quelques semaines encore ; mais, plutôt, on a repoussé avec indignation sa folle prétention, on dédaigne de lui répondre. Pourtant le fakir Sata-Nanda semblait lui dire d’espérer ; et il espérait sans vouloir se l’avouer, et il attendait malgré l’inanité de son attente. Tant qu’il avait fallu se battre, l’ardeur de la lutte et la fatigue, brisant son corps, endormaient son impatience ; mais aujourd’hui elle prenait une acuité insoutenable, le brûlait de langueurs mortelles.

— Que le bonheur soit le héraut qui te précède, glorieux capitaine, dit tout à coup, près de lui, une voix harmonieuse, je suis heureux de te voir.

Bussy releva la tête vivement, regardant avec une sorte d’égarement, tant son esprit était loin du salon de Dupleix, où on le ramenait brusquement. Il eut un tressaillement de surprise ; le prince Salabet-Cingh, tout resplendissant d’or et de pierreries, debout devant lui, le regardait en souriant ; il s’appuyait d’une main à l’épaule d’un tout jeune homme qui était Aly-Résa, le fils de Chanda-Saïb.

— Le prince très illustre qui nous éclaire de sa présence, dit Aly-Résa, était curieux de te connaître, car il a entendu partout chanter tes louanges, pendant la guerre.

— La bégum m’a dit que tu parles notre langue, dit Salabet-Cingh. J’aime beaucoup les Français, mais tu es le seul à qui je puisse le dire sans interprète. Aussi je serais heureux d’être ton ami.

Son ami ! Bussy avait envie de lui crier qu’ils étaient rivaux et qu’il le haïssait. Mais c’était l’hôte de Dupleix et un pareil esclandre eût été odieux. Il parvint à se maîtriser et s’inclina profondément.

— Un pareil honneur est trop au-dessus de moi, dit-il.

— Laisse-moi t’appeler Bâhâdour[1], continua le prince, personne n’est plus que toi digne de ce titre ; et faisons dès à présent un pacte d’amitié. Donne-moi le nœud de ton épée, veux-tu ?

Bussy était abasourdi ; mais le prince parlait d’une voix si douce, qu’il n’y avait pas moyen de lui répondre par un refus ; il défit donc l’écharpe blanche, frangée d’or, qui ornait la poignée de son épée, et la donna à Salabet-Cingh. Celui-ci, rapidement, l’entortilla à la garde de son sabre ; puis il ôta de son doigt un magnifique diamant et, prenant la main de Bussy, essaya de le lui passer. Malgré leur élégance aristocratique, les doigts du jeune Français n’atteignaient pas l’extrême finesse de ceux de l’Oriental : la bague n’entra qu’au petit doigt.

— Ma main est plus petite, disait Salabet en retenant celle de Bussy, mais comme la tienne est plus blanche !

Puis il s’éloigna lentement, se retournant à demi, lui disant par-dessus l’épaule :

— À bientôt, Bâhâdour !

Bussy était furieux ; il cherchait à arracher cette bague, voulait aller dans le jardin pour la jeter au diable. Kerjean, qui passait, lui dit en courant :

— Donnez la main à ma cousine pour entrer dans la salle, vous êtes placé près d’elle.

On venait d’ouvrir, toutes grandes, les triples portes, flanquées de hallebardiers vêtus de brocart d’or, avec des bas cramoisis et un soleil sur la poitrine, et on s’en allait, en procession, vers la salle à manger.

Le marquis trouva sur son chemin Chonchon, qui le cherchait. Il ne la vit pas tout d’abord et elle fut effrayée de l’expression irritée de son regard.

— Mon Dieu ! dit-elle, qu’avez-vous que vos yeux ont l’air si méchant ?

— Puisque je vous vois, toute ombre disparaît, comme devant l’aurore, dit-il en lui offrant la main.

Une armée de serviteurs s’agitaient autour de la table : des pages, des noirs remuant de grands éventails. Salabet-Cingh, placé à côté de la bégum, avait derrière lui des esclaves somptueusement vêtus, dont l’un portait une aiguière d’or. Bussy était placé presque en face du prince, il l’avait malgré lui sous les yeux, et sa maussaderie ne s’en allait pas.

— Je vois qu’il fait toujours très noir et que l’aurore n’a eu aucun pouvoir, dit Chonchon.

— Grondez-moi, mademoiselle, dit le marquis fâché contre lui-même, car je le mérite fort. Au lieu de jouir du bonheur d’être prés de vous, je me laisse stupidement dominer par la colère, à cause d’un cadeau que l’on vient de me faire. Tenez, cette bague.

— Oui, le prince Salabet ; je l’ai vu de loin vous la donner, dit-elle. Comment cela peut-il vous irriter ? Il vous a fait le plus grand honneur possible, puisqu’il vous a pris un ruban et qu’il le porte sur lui ; c’est un signe qu’il se regarde comme votre ami.

— Pourquoi ? Je ne le connais pas !

— Votre valeur et vos traits d’héroïsme ont fait grand bruit pendant le siège. Le prince vous connaît par la renommée, et il vous remercie de l’avoir si bien défendu, puisqu’il n’avait pas quitté la ville. La bague est fort belle ; voilà bien de quoi se fâcher !

— Je suis absurde en effet, dit Bussy, mais c’est fini, n’en parlons plus.

Et il vida d’un trait son verre qu’on venait de remplir, et s’efforça d’être gai et aimable.

Il y parvenait mal. Malgré lui ses regards s’attachaient sur Salabet-Cingh, étudiant son visage, cherchant à deviner son âme. Certes, il n’avait rien d’un homme épris, séparé de celle qu’il aime ; une gaieté juvénile, qui le faisait rire de tout ; des traits charmants, mais sans énergie, et rien qu’une douceur paresseuse dans ses longs yeux de velours.

Une symphonie jouée en sourdine, par un orchestre caché, le cliquetis argentin de la vaisselle, le murmure des conversations, formaient un brouhaha qui isolait les groupes et permettait des causeries intimes.

— Le prince est-il marié ? demanda Bussy à Chonchon après un moment de silence.

— Marié, je le crois bien, il a cinquante femmes ! Je suis allée avec ma mère dans son harem, le Zénanah, comme on dit ici ; je les ai vues, ces femmes, sans leur voile ; elles sont bien belles, les Circassiennes surtout, celles-là ont des esclaves chargés uniquement de leur peindre l’intérieur des paupières avec de l’antimoine ; mais ma mère, qui parle leur langue, dit que toutes manquent d’esprit.

— Pourquoi habite-t-il Pondichéry au lieu d’être à la cour du Soubab ?

— On a déjà cherché à l’assassiner et il fuit les complots. Mon père est le grand refuge ; ils savent tous, ces princes, qu’il ne trahit pas, lui, et ils ont une confiance superstitieuse dans les fortifications de la ville, dont ils ne comprennent pas l’architecture savante.

— A-t-il donc des chances de succéder au trône ?

— Non, c’est plutôt son oncle, Mouzaffer, le petit-fils du roi ; mais il y a tous les fils, qui ne laisseront pas la succession leur échapper. Enfin, je n’y comprends rien. Ne me faites pas parler politique.

Le dîner finissait ; on retournait avec un peu de désordre dans les salons illuminés, continuant bruyamment les conversations commencées ; puis les personnes graves se mirent au jeu ; la jeunesse se répandit sous les vérandas ouvertes, tandis que Dupleix, souriant, disait un mot gracieux à chacun.

On avait autorisé Salabet-Cingh à fumer son houka ; mais il en avait à peine humé quelques bouffées, lorsque, à la grande surprise de tout le monde, un homme, couvert de boue et ruisselant de pluie, se précipita dans le salon, que chacun de ses pas tachait, et vint tomber aux pieds du prince.

Celui-ci, effrayé, porta la main à son sabre, préoccupé qu’il était toujours des assassins.

Les gardes du palais, qui poursuivaient cet homme, se pressaient aux portes, expliquant qu’il avait passé au milieu d’eux comme une flèche, sautant par-dessus les lances croisées, et qu’un coup de feu, tiré sur lui, l’avait manqué.

L’homme haletait, sur le parquet, comme une bête forcée. Il parvint à parler cependant.

— Je suis un messager, dit-il au prince ; je t’apporte le premier cette nouvelle que le très glorieux roi du Dékan, Nizam-el-Molouk a quitté ce monde.

— Le roi est mort ! s’écria Salabet-Cingh, en se levant vivement. Sait-on qui lui succède ? ajouta-t-il après un moment, en se penchant vers le messager.

— Le testament du Soubab désigne le très illustre prince Sadoula-Bâhâdour-Mouzaffer-Cingh, son petit-fils ; mais le fils aîné du roi, Nasser-Cingh, chef des armées, s’est emparé des trésors et du pouvoir.

— Comment, ce traître ! cet ivrogne ! ma vie est moins que jamais en sûreté.

Dupleix avait appelé Bussy près de lui, et s’était fait traduire ce qui s’était dit entre le prince et le messager.

— Voilà une nouvelle des plus importantes, s’écria-t-il, un événement qu’en secret j’attendais depuis longtemps. Ne me quittez pas, Bussy. C’est aujourd’hui que je vous ouvrirai mon cœur.

Salabet-Cingh s’avança vers le gouverneur, lui serrant les mains.

— Le roi est mort, dit-il, et l’odieux Nasser-Cingh s’empare du trône. Accorde-moi encore ta protection ; sans elle, que deviendrai-je ?

— Rassurez-vous, cher prince, dit Dupleix, vous êtes en sûreté dans cette ville, nul n’osera vous attaquer sous le drapeau de la France. Cependant, si vous le désirez, je doublerai les gardes autour de votre palais.

— Non, non, c’est inutile ; le drapeau me garde mieux que mille hommes ; mais je dois te quitter, pour prendre le deuil, et faire des prières publiques.

Et, se tournant vers Bussy :

— Mon nouvel ami, n’oublie pas notre alliance, dit-il.

Et il lui tendit la main. Devant Dupleix, le marquis ne put refuser la sienne. Le prince la serra d’une étreinte nerveuse, puis il embrassa Dupleix, qui le reconduisit jusqu’à son palanquin.

Lorsque le gouverneur revint, la bégum, à qui un page parlait à voix basse, lui fit signe de s’approcher d’elle.

— L’épouse de Chanda-Saïb est ici et demande à me voir, dit-elle ; il faut quelque chose de grave pour qu’elle se décide à sortir à une pareille heure de son palais. Je l’ai fait conduire dans le salon blanc. Viens m’y trouver bientôt.

Le salon blanc était une petite pièce, tendue de damas blanc et argent, où Mme Dupleix se reposait quelquefois pendant les réceptions, et où les invités n’entraient pas sans être appelés. Le gouverneur s’y rendit, emmenant Bussy avec lui. On fit retomber derrière eux une portière, et le page garda l’entrée.

Aly-Résa était là, près de sa mère, dont on ne voyait que les grands yeux noirs entre ses voiles de mousseline, assise à côté de la bégum, qui lisait une longue lettre. La musulmane se leva pour saluer le gouverneur.

— Je viens en suppliante, dit-elle à Dupleix, mon époux n’a d’espoir qu’en toi et est toujours ton plus fidèle esclave.

Bussy, rapidement, traduisit la phrase.

— Voici, dit la bégum, qui refermait le rouleau de parchemin : Chanda-Saïb, qui avait été pris par les Mahrattes, est libre aujourd’hui. L’héritier légitime du roi qui vient de mourir s’est porté garant de la rançon, et les Mahrattes fournissent trois mille cavaliers à leur ancien prisonnier, qui, à leur tête, va rejoindre le Soubab dépossédé, pour faire alliance avec lui et l’aider à conquérir son trône.

— Voilà qui est très bien, dit Dupleix, la similitude de leur destinée devait rapprocher ces deux hommes.

— Leur plan est celui-ci, continua Jeanne : attaquer d’abord le Carnatic, renverser le nabab Allah-Verdi, s’emparer d’Arcate, et, maître alors d’une armée, marcher contre l’usurpateur Nasser-Cingh. Mais — ce que tu désires depuis si longtemps arrive enfin ! — ils demandent en grâce que tu mettes à leur disposition une petite troupe de Français, que tu sois leur allié, car alors ils seront sûrs du succès, puisque tu es, disent-ils, « le Lion de la Victoire. »

Une singulière flamme illumina les yeux de Dupleix.

— Ils ajoutent, dit encore la bégum, que si tu acceptes, tu leur dicteras tes conditions.

Le gouverneur affecta un grand calme pour répondre.

— Je suis heureux de pouvoir rendre service à mon ami Chanda-Saïb, dit-il, au légitime successeur de la nababie du Carnatic. Par bonheur, nos victoires me permettent de mettre à sa disposition quatre cents Français, et sept cents cipayes disciplinés. Aussitôt l’agrément du conseil supérieur obtenu, je ferai partir ce détachement, car je sais qu’en pareille circonstance la promptitude est la moitié du succès.

La musulmane se jeta dans les bras de la bégum quand elle lui eut traduit cette réponse, et Aly-Résa baisa avec effusion la main de Dupleix.

— Nous te devions la vie, nous te devrons la puissance, dit-il. Mon père veut que je le rejoigne pour combattre à ses côtés. Quand tu le permettras, je partirai.

— Nos soldats te feront escorte, dit le gouverneur ; voici les pluies qui cessent ; dans peu de jours vous vous mettrez en route.

— Merci, dit Aly-Résa ; je vais expédier un courrier à mon père, pour lui porter l’heureuse nouvelle.

Quand l’épouse et le fils de Chanda-Saïb se furent retirés, la bégum retourna dans les salons, et Bussy resta seul avec Dupleix.

Alors le gouverneur appuya ses deux mains sur les épaules du jeune officier, et le regarda dans les yeux.

— Mon cher Bussy, lui dit-il après un moment de silence, ce que je vais vous dire, excepté ma femme qui est comme moi-même, vous seul le saurez. Depuis que je vous connais, je vous observe, je vous étudie, et le résultat de cette étude est tout à votre avantage. À l’intrépidité, à l’emportement du héros, vous joignez le sang-froid et la prudence, un jugement rapide et sûr ; tout en sachant obéir, vous avez de l’initiative ; vous êtes tacticien, et je vous devine diplomate et homme d’État ; de plus vous avez ce don naturel de séduction, dont je sens l’influence sur tous ceux qui vous approchent, et qui est d’une si grande importance dans la vie. Oui, je puis avoir toute confiance en vous, vous êtes bien celui que je cherchais.

— Ces louanges me comblent de joie, dit Bussy, mais je n’ai rien fait encore pour les mériter.

— Écoutez-moi, dit le gouverneur en l’attirant sur un sofa. Voilà longtemps que je guettais l’occasion de me mêler des affaires des princes indiens ; vous avez entendu ce que Chanda-Saïb me demande : mon appui dans la guerre qu’il va entreprendre. L’éclat de nos victoires et la valeur de nos soldats ont donc amené l’événement que je désirais secrètement ! Pour le conseil supérieur, pour les directeurs de la compagnie, l’avantage de cette intervention, à ce que je leur laisserai croire, sera uniquement les économies réalisées, les troupes mises au service des princes devant être soldées par eux, ce qui nous permettra d’entretenir en temps de paix avec l’Europe la même armée qu’en temps de guerre, sans compter les dédommagements qu’on ne manquera pas de nous offrir pour les services rendus. C’est cela que je ferai sonner bien haut, pour qu’on n’entrave pas mes plans ; mais ma véritable pensée est autrement téméraire, et, si on la soupçonnait, aussi bien à Versailles que dans l’Inde, on me tiendrait pour fou et on me créerait mille obstacles. Vous avez remarqué, n’est-ce pas, l’état de décrépitude et d’anarchie dans lequel est tombé le gouvernement de ce pays ; des guerres continuelles, des intrigues sanglantes, le pouvoir du Grand Mogol le plus souvent méconnu et méprisé, et le peuple, comme toujours, victime de toutes ces ambitions piétinant sur lui ? Eh bien, ce que je rêve, c’est de conquérir ce pays, de lui rendre le calme et la prospérité, cela pacifiquement, sans combat ni violence. Si l’on me seconde, la chose est faisable. Je peux donner, peut-être, à la France l’empire de l’Inde ! Voyez, si nous réussissons ici, comme nous serons déjà près du but. Nous soutenons deux princes légitimes, traîtreusement dépossédés. Si nous parvenons à leur rendre le trône, quelle reconnaissance, quel respect n’auront-ils pas pour leurs sauveurs ? Nous serons leur guide, leur arbitre, en un mot nous régnerons sous leur nom. Ils nous investiront de titres, de fiefs qui s’agrandiront rapidement ; le peuple, qui aura senti les bienfaits de notre domination, se donnerait à nous par amour, le jour où sans secousse, par la force des choses, nous hériterions légitimement du pouvoir, avec l’agrément du Grand Mogol, dont nous aurons toujours soutenu les candidats et respecté les décrets.

— Ah ! monsieur, l’audace de votre génie m’éblouit, s’écria Bussy en se levant ; certes une pareille conquête est possible, et si l’on sait vous comprendre et vous aider, vous réussirez. Quant à moi, je suis prêt à sacrifier ma vie pour vous servir, et je suis fier et heureux de l’honneur que vous me faites en me choisissant pour vous seconder.

— Vous seul savez la vérité sur mes projets, Bussy, ne les laissez pas deviner, mais dirigez vos actions dans le sens qui les servira. Je ne pouvais rien sans un homme tel que vous, sans l’esprit supérieur qui saura deviner mes désirs, et pensera comme moi-même.

— Ah ! ne m’accablez pas de tant d’éloges, dit le marquis, ne me rendez pas impossible d’égaler la trop haute opinion que vous avez de moi.

— Cette fois je ne me trompe pas, dit Dupleix en serrant le jeune homme dans ses bras, vous êtes bien celui que j’attendais. Mais en voilà assez pour aujourd’hui, nous reparlerons de cela avant le départ ; retournons à notre soirée.

Dans le salon, Dupleix s’approcha d’une table servie et se fit verser du champagne.

— Buvons au triomphe des princes légitimes, dit-il, en trinquant avec Bussy.

Le jeune homme vida son verre d’un trait, et dit à voix basse, en le reposant sur le plateau :

— À la conquête du paradis !


  1. C’est-à-dire héros.