La conquête du paradis/XX

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Armand Collin (p. 253-265).

XX

LES DEUX SOUBABS

Nasser-Cingh donna l’ordre de décapiter le premier qui lui annonça que Gengi, l’imprenable, avait été prise, en quelques heures, par deux cent cinquante Français. Un tel mensonge, disait-il, était une offense à la majesté royale. Et tandis que la tête du messager tombait sous la hache, il s’en était allé dans son zénanah, pour juger de la beauté de trois Circassiennes, qu’on venait d’acheter, pour lui, un prix exorbitant.

Il fallut bien cependant admettre la nouvelle, quand tous les nababs, l’attabek, les umaras, la lui eurent confirmée, l’un après l’autre : Gengi était prise ! cette chose impossible était certaine.

L’Inde demeurait comme frappée de stupeur ; on jugeait les Français invincibles, et le nom de Bussy courait, environné de terreur et de lumière.

On apprit en même temps que les vainqueurs ne s’attardaient pas dans leur triomphe, que déjà ils étaient en marche vers Arcate.

— Ils veulent donc m’attaquer ? s’écriait le soubab ; cela ne se peut pas, puisque des négociations sont entamées entre moi et le gouverneur de Pondichéry.

— Oui, Maître du Monde, disait l’attabek d’un air placide, mais tu as bafoué ses envoyés, en remettant de jour en jour ta réponse, et le gouverneur s’est lassé, sans doute.

Tout de suite l’ordre fut donné de rassembler les armées, de rappeler les vassaux qui s’étaient retirés avec leurs troupes ; tous ne revinrent pas ; néanmoins l’armée, forte de trois cent mille hommes, fut bientôt prête à marcher.

Le matin du jour où elle devait s’ébranler, un bourreau entra dans le cachot où Mouzaffer-Cingh, le soubab dépossédé, était enchaîné avec une chaîne d’or massif. Le prince, qui sommeillait sur une pile de nattes, se leva en sursaut, croyant qu’on venait le mettre à mort. Mais le bourreau s’agenouilla sur les dalles, qu’il toucha de son front.

— Pardonne à ton humble esclave, dit-il ; il a l’ordre de te faire monter sur un éléphant, et de te conduire au milieu de l’armée, pour t’ôter la vie, au premier signe du maître, si l’ennemi était vainqueur.

— Qu’Allah soit miséricordieux ! dit Mouzaffer. Prends cette bague, c’est tout ce qu’on m’a laissé. L’arbre de santal verse son parfum sur la hache qui l’abat ; comme lui, je pardonne à l’instrument irresponsable.

Et il ôta de son doigt une bague où brillait un rubis, pareil à une goutte de sang.

L’esclave la reçut en pleurant, et la baisa comme une relique ; mais, sans qu’il les vit, deux guerriers, coiffés d’un casque, dont le nasal abaissé les masquait, étaient entrés sur ses pas. L’un d’eux s’élança, lui mit un poignard sur la gorge.

— Si tu tiens à vivre, être immonde, lui dit-il, jure-nous que tu n’exécuteras pas l’ordre exécrable du soubab, et que tu défendras plutôt ton captif.

— C’est avec joie que je le jure, dit l’esclave, il n’était pas besoin de menace.

— C’est bon ; recule-toi, veille à ce que personne n’entre.

Les guerriers firent glisser, dans la rainure du casque, le nasal damasquiné qui remonta sur le front, les démasquant. C’étaient les nababs de Kanoul et de Kadapa.

Ils venaient mettre Mouzaffer-Cingh au courant de la conspiration ourdie en sa faveur, et, avant de la faire éclater, lui poser leurs conditions.

Ils eurent des exigences si fortes, qu’en les écoutant parler, le soubab dépossédé se mordait les lèvres et baissait le front. Cependant il promit tout ce qu’ils voulurent, attestant le nom d’Allah que ceux qui aidaient à sa fortune n’auraient pas à se plaindre.

Le bourreau fit signe qu’il fallait se séparer. Les timbales royales résonnaient, indiquant que l’armée se mettait en marche, et il devait conduire son captif auprès de Nasser-Cingh, selon les ordres qu’il avait reçus.

C’était un tumulte magnifique au dehors, une cohue brillante d’hommes et de chevaux, se hâtant, dans le plus grand désordre, hors des murs, pour rejoindre le gros de l’armée.

Les éléphants, harnachés pour la bataille, apparaissaient comme des monstres invraisemblables : une carapace de corne les couvrait, leur descendant jusqu’au-dessous des genoux, leur donnant l’air de gigantesques tortues. Leur face était protégée par une visière de fer, avec des trous pour les yeux, de gros clous de cuivre et une pointe au milieu du front. Des fourreaux d’acier aigus et tranchants allongeaient leurs défenses, ils avaient sur le crâne une calotte de métal, côtelée, et leur trompe et leur croupe étaient protégées par une demi-cuirasse articulée, ayant au milieu une arête saillante, armée de dents.

À perte de vue s’étendait la multitude ; on eût dit que toute une ville, tout un peuple se mettait en route, car une armée, beaucoup plus nombreuse que celle qui allait combattre, s’ébranlait derrière les soldats. C’étaient d’abord la foule des pourvoyeurs, composée d’une caste particulière d’Hindous : les bendyarahs, chargés de procurer le blé et le riz. Armés de piques et de cimeterres, quand ils ne pouvaient obtenir les grains à prix d’argent, ils les enlevaient par le pillage. Ils avaient avec eux cent mille bœufs de trait et autant de chariots. Puis venaient les palefreniers, très nombreux, car chaque cheval occupait deux hommes. Les porteurs de palanquins pour les blessés marchaient ensuite, puis les serviteurs, chaque chef en avait au moins dix ; les cuisiniers et les porteurs d’eau : deux hommes par tente ; enfin, les bagages, les troupeaux d’ânes, de chèvres et de moutons ; les harems des seigneurs, dans des chars fermés, environnés d’eunuques ; et encore toute une cohue de marchands, d’aventuriers de tous états, de maraudeurs, de femmes, d’enfants, d’animaux.

La cavalerie marchait à droite, l’infanterie à gauche, l’artillerie et les éléphants au milieu. Sur le plus superbe, au centre du carré, assis, les jambes croisées, sous un tendelet pourpre, qu’on enlevait pendant la bataille, et qui surmontait la plate-forme à balustrade dorée servant de selle, apparaissait Nasser-Cingh, dans sa magnifique parure guerrière, d’or, d’argent, de pierreries, où sa large face et ses mains grasses faisaient trois taches noires.

À quelques pas du soubab, en arrière, marchait l’éléphant qui portait Mouzaffer enchaîné, et devant le maître s’avançait l’étendard royal, abritant sous ses plis une relique, qui était comme le cœur de l’armée et ne la quittait jamais. Elle était portée, sur une estrade couverte de tapis brodés d’or, par deux chameaux harnachés brillamment, et entourée d’une garde d’honneur.

Cette relique était un moshaf, un Coran, qu’on disait écrit tout entier de la main d’Hussein, le gendre du prophète. Deux lames d’or, incrustées de diamants, formaient la reliure de ce livre unique, et le coffret qui l’enfermait dans son bois odorant, était comme pavé de rubis et d’émeraudes, figurant des fleurs et des feuillages. Le Grand Mogol faisait aussi porter, dans les combats, un Coran semblable à celui-ci, et chacun prétendait posséder le véritable ; mais en somme ni l’un ni l’autre ne l’avaient, le moshaf, écrit par Hussein, ayant été pris à Delhi, par Nadir-Schah, et emporté en Perse.

Les nababs avaient chacun une armée distincte, avec ses éléphants, son artillerie, ses bannières, qui s’avançait après celle du Soubab.

On marcha ce jour-là, rapidement, presque jusqu’au coucher du soleil, puis les timbales et les tambours donnèrent le signal de la halte.

Alors, avec une promptitude qu’il est impossible de s’imaginer, dans la vaste plaine nue, où l’on s’était arrêté, comme si un magicien l’eût fait surgir d’un coup de baguette, apparut une cité, joyeuse et animée.

Des rues larges allongèrent leurs perspectives, bordées de boutiques, dans lesquelles étaient étalées, de la façon la plus tentante, toutes les marchandises imaginables : des étoffes précieuses, des écharpes de cachemire, des tapis, des selles brodées, des harnais, des armes. Toutes les professions étaient représentées et les artisans déjà à l’ouvrage ; on voyait des pâtissiers, des confiseurs, des armuriers, des cordonniers et des tailleurs, même des orfèvres et des joailliers, occupés de leur métier ; dans des boutiques, on vendait des boissons chaudes, des liqueurs ou des sorbets ; dans d’autres, des plantes médicinales, des drogues et des charmes pour guérir. Il y avait des carrefours, des places, sur lesquelles des jongleurs, des charmeurs de serpents, des faiseurs de tours, émerveillaient la foule ; on entendait bourdonner des musiques, accompagnant des voix aiguës. Par groupes, passaient des bayadères, charmantes sous leur voile à demi fermé et proposant aux jeunes hommes de leur dire la bonne aventure.

Les tentes des guerriers s’alignaient dans un bel ordre, environnant la tente royale, haute et magnifique ; les parcs des éléphants, des chameaux et des chevaux, étaient enfermés par des cordes et des palissades ; puis tout autour de cette ville extraordinaire s’étendaient, bariolés et désordonnés, les plus singuliers faubourgs. Là, les abris étaient faits tantôt de vieux vêtements, étendus sur des pieux, tantôt d’un tapis, d’une couverture usée, de nattes, ou de feuilles de palmiers ; et quelquefois apparaissait, comme perdue, une tente luxueuse, au milieu d’un troupeau d’ânes ou de bœufs.

Les danses et les chants se prolongèrent jusqu’au coucher de la lune, puis ils cessèrent et la ville s’endormit.

À l’aube, l’Ombre de Dieu fut éveillée brusquement, par l’attabek, qui entra sous la tente royale, sans turban sur sa tête rasée, tant il s’était hâté de venir.

Nasser-Cingh le regardait avec de gros yeux, hébétés de sommeil et d’ivresse mal dissipée.

— Qu’est-ce que tu veux ? balbutia-t-il, prêt à se rendormir.

— Soutien du Monde, dit le vizir, les éclaireurs viennent de m’apprendre que le bataillon français est à une heure d’ici, et se met en marche pour nous attaquer.

— Le bataillon français ! répéta Nasser comme s’il comprenait mal ; passe-moi l’aiguière d’eau fraîche, ajouta-t-il.

Le vizir versa de l’eau dans un bassin de cuivre, le prince y trempa son visage à plusieurs reprises.

— Le bataillon français ! reprit-il alors, tout à fait éveillé, c’est impossible qu’il veuille nous attaquer, puisque, tu le sais bien, j’ai écrit à Dupleix que j’étais prêt à signer la paix, et que j’acceptais toutes ses conditions.

— Oui, Lumière de nos yeux, mais tu as tant tardé à envoyer la réponse qu’elle arrivera trop tard.

L’attabek avait parlé d’une voix tranquille, dans laquelle Nasser crut deviner de l’ironie ; il se retourna vers lui avec colère en s’écriant :

— Par Allah ! vizir Schah-Abbas-Khan, on dirait que tu te plais à me narguer, en me rappelant mes fautes.

— Ta Majesté se méprend, dit Schah-Abbas, toujours calme, je veux seulement la mettre en garde contre des illusions qui causeraient sa perte.

— Je te dis que ces Français ne sont rien qu’une poignée d’hommes ivres.

— Le vainqueur de Gengi les conduit pourtant.

— Qu’est-ce que cela me fait ? A-t-il la prétention de vaincre une armée comme la mienne ? Donne l’ordre de lever le camp, et hâtons-nous d’aller écraser ces insolents moucherons qui viennent se jeter dans la gueule d’un lion.

Les nababs avaient envoyé aux chefs français un guide, qui devait les conduire au quartier où étaient campées les troupes, commandées directement par Nasser-Cingh, et qu’il fallait vaincre, avant la défection des armées vassales, les nababs tenaient en somme à ne rien risquer.

Le bataillon s’avançait donc rapidement, plein d’entrain dans la fraîcheur matinale.

C’étaient Bussy et de La Touche qui commandaient l’expédition, le comte d’Auteuil étant retenu par la goutte. La petite armée comprenait huit cents Français et trois mille cipayes, avec dix pièces de campagne. La foule des ennemis qu’elle devait combattre couvrait une surface de plus de quatre lieues.

En un instant les avant-postes furent dispersés, et l’on marcha directement à l’artillerie de Nasser-Cingh, derrière laquelle étaient rangés vingt-cinq mille hommes d’infanterie.

Tout de suite le combat devint très vif.

La rapidité du tir de leurs canons faisait la principale force des Français ; ce furent eux qui empêchèrent les charges furieuses de la cavalerie ennemie de rompre les rangs, et leur permirent de s’avancer pas à pas, s’enveloppant d’un pétillement de fusillade très meurtrière. Ils allèrent ainsi jusqu’à l’artillerie des Maures, qui fut bientôt réduite au silence, et ils s’élancèrent en avant.

Les corps de troupes pliaient devant l’épée du héros de Gengi ; ils se dispersaient et fuyaient. Mais d’autres leur succédaient : les nababs et les rajahs, fidèles à Nasser-Cingh, se portaient successivement sur le lieu de l’action, et les fuyards, se reformant à l’arrière-garde, revenaient. Rien n’ébranlait l’intrépide colonne, qui gagnait du terrain, lentement, mais sûrement, et opposait à la fougue désordonnée des musulmans, un grand calme et une discipline parfaite.

Plus de trois heures de lutte acharnée s’écoulèrent, cependant, avant que les Français atteignissent, en vainqueurs, le centre du camp.

Harassés, mais pleins de joie d’être venus à bout d’une aussi formidable armée, les soldats reprenaient haleine, essuyaient leurs fronts, où la sueur et la poudre se mêlaient, quand ils aperçurent, au delà des lignes rompues des Hindous, un corps de cavalerie et d’infanterie, s’avançant en bon ordre, au bruit des cymbales et des trompettes, et s’étendant à perte de vue.

Il y eut des exclamations découragées. Quoi ! fallait-il vaincre encore cette armée-là ? À force d’avoir tiré, les fusils brûlaient les doigts ; sans parler des hommes, dont les bras las avaient peine à les porter !

Mais de La Touche poussa une clameur de joie, et désignant du bout de son épée un éléphant, au centre de la nouvelle armée, dépassant de sa haute taille les cavaliers, il s’écria :

— Réjouissez-vous, soldats. Ceux-ci sont nos alliés. Ne voyez-vous pas le drapeau français porté par un guerrier maure, sur le dos de cet éléphant !

Des cris enthousiastes éclatèrent alors et, retrouvant des forces, les Français s’élancèrent à la rencontre de leur drapeau.

Pendant ce temps. Nasser-Cingh, sous sa tente, éloignée du point où on se battait, entouré de ses gardes, de ses vizirs et de sa cour, recevait les messagers qui, de minute en minute, prosternés sur le seuil, rendaient compte du combat. Mais ils atténuaient la vérité, par peur du roi, et entortillaient leurs discours dans d’interminables louanges à l’adresse de l’Ombre de Dieu.

— Qu’on se hâte donc d’exterminer cette poignée d’hommes ivres, répétait le soubab, et qu’on ne m’en parle plus.

La nouvelle de l’extermination ne venait pas cependant ; malgré leur tremblement, les messagers étaient contraints d’avouer que la victoire se faisait attendre, que ces Français avaient la vie aussi dure que celle des requins, dont le cœur, arraché, bat encore pendant trois jours, mais qu’ils allaient être bientôt écrasés, pulvérisés, bus comme des gouttes d’eau, par le soleil de la majesté royale.

Brusquement un umara entra, couvert de poussière, criant que le Soubab était en danger, l’armée ayant honteusement pris la fuite, et les vainqueurs étant à quelques centaines de toises.

Nasser bondit sur ses pieds, avec un rugissement de fureur.

— Que font donc les princes vassaux ? cria-t-il.

— Les troupes des nababs de Kanoul, de Kadapa, d’autres encore, n’ont pas donné jusqu’à présent, dit l’umara.

— Ah ! les misérables ! hurla le roi en grinçant des dents, je les ferai écorcher vifs, empaler, broyer sous des meules. Qu’on amène mon éléphant et qu’on aille à l’instant me chercher la tête de Mouzaffer-Cingh. Je la leur jetterai, en guise de boulet, à ces insolents Français ; puisque c’est pour elle qu’ils combattent, ils auront ce qu’ils désirent.

Il monta sur son éléphant et, entouré de ses gardes, s’élança vers les troupes vassales. Il rencontra celles du nabab de Kadapa qui, lui-même, marchait à leur tête.

— Ah ! te voilà, indigne poltron ! lui cria-t-il, c’est ainsi que tu me sers ; tu n’oses pas défendre l’étendard du Mogol et le mien, contre un ennemi aussi méprisable !

— Je ne connais pas d’autre ennemi que toi, pourceau ivre de sang ! répondit le nabab ; il faut être Nasser-Cingh pour croire que c’est en faisant mourir le père sous le rotin, qu’on gagne le dévouement du fils. J’ai juré que j’aurais ta vie ! et le règne est fini de l’ivrogne sanguinaire !

— À moi, mes gardes ! cria le soubab, emparez-vous de lui, attachez-le, que mon éléphant lui écrase le cou sous son pied !

— La balle ira plus vite que tes hommes, dit le nabab avec un rire insultant.

Et du haut de son éléphant, appuyant à son épaule sa carabine, revêtue d’ivoire ramage d’or, il visa, tira et atteignit le soubab au cœur.

Avec un rauque soupir, Nasser, une seconde immobile, chancela, la bouche ouverte, les yeux hagards ; puis la masse noire de son corps s’affaissa, dans les vêtements de pourpre et d’or, et roula à bas de l’éléphant.

Ses gardes, frappés de stupeur, essayèrent mollement de le venger. Le nabab donna l’ordre de couper la tête du vaincu.

Il courut aussitôt délivrer Mouzaffer, qu’il salua solennellement soubab du Dekan, et lui présenta, comme un gage de son pouvoir, désormais incontesté, la tête convulsée de son oncle.

Mouzaffer remercia d’abord Allah, maître des destinées, embrassa le nabab, puis donna l’ordre de planter la tête de Nasser-Cingh au bout d’une perche.

Il prit place alors sur l’éléphant, magnifiquement harnaché, du haut duquel son ennemi avait roulé dans la poussière, et on le fit avancer, à travers l’armée, précédé du sanglant trophée.

De toutes parts on l’acclama ; on jetait les armes sur son passage, on agitait les bannières, et le soubab, rétabli dans sa dignité, à l’ombre du parasol royal, qu’on avait ouvert au-dessus de sa tête, recevait d’un air impassible tous ces hommages.

Bussy s’avança à la rencontre du roi pour le féliciter. Un grand silence s’établit alors, parmi l’armée hindoue, et une haie se forma sur la route du jeune Français. On se poussait, on se haussait, pour apercevoir le vainqueur de Gengi, le héros, presque fabuleux, dont on parlait tant.

Il était extrêmement pâle, blessé, se soutenant avec peine, mais tellement imposant, dans son uniforme sombre, avec son allure fière et grave, et le rayonnement que ses yeux gardaient encore de la fièvre du combat, qu’un murmure d’enthousiasme frissonna parmi la foule, et que le roi, pris d’une soudaine émotion, descendit de son éléphant et vint se jeter aux pieds du représentant de la France.

— Ah ! s’écria-t-il avec des larmes dans les yeux, c’est bien à toi que je dois tout et, je te le jure : je ne l’oublierai jamais !