La traduction française du Manuel d’Épictète/06

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Texte établi par Léontine ZantaHonoré Champion (p. 133-164).


LES
OBSERVATIONS d’André RIVAUDEAU
GENTILHOMME DU BAS POICTOU
SUR LA DOCTRINE D’ÉPICTÈTE
À H. P. son bon Seigneur et amy

Reçoy donc, amy Honorat, ces observations et me sois defenseur contre les calomniateurs de ce siecle,
qui ne lisent les livres d’autruy que pour les mordre.

Ange Politian, personnage de son temps de tres bonnes et tres grandes lettres, a traduit ce petit livre en latin, mais il a perverti toute la disposition des chapitres en racourcissant les uns et allongeant les autres et a mis sur chascun un titre presque aussi ample que le texte. Je n’enten pas dequel conseil, fors que cela est trop entreprendre sur les bons aucteurs et si ceste licence s’espendoit, nous verrions une horrible confusion aus meilleurs livres.

Chapitre 1.

Ce chapitre est comme le sommaire et abrégé de toute la doctrine du philosophe qui est apres en toute la suyte esclarcie, amplifiée et prouvée par raisons, exemples et témoignages.

Entre les choses humaines. Il semblera peut estre à quelcun de prime face que le mot grec τῶν ὄντων (tôn ontôn) n’est gueres bien rendu, mais y aiant bien pensé il sera satisfait. Ce qui est en la Nature des choses, est cotté par ce terme qui n’est nouveau à ceus qui ont leu les philosophes.

L’entreprise, ὁρμὴ (hormê), se tourne par les Latins conatus. Ciceron le rend appetitus et appetitio au 4. livre De fin. bon. et mal. C’est une affection violente qui est preste de passer en exécution. Pour cela l’ay je traduit, entreprise.

L’affection, ὄρεξις (orexis), n’est pas si violente que le précédent vocable grec. Les Latins comme Cicéron le rendent affectus et affectio. Je l’ai tourné en quelques endroits désir, desir violent, pourchas, selon que j’ay veu que le propos s’adonnoit.

La fuyte. J’ay traduit ainsi ἔϰϰλισις (ekklisis), et quelquefois crainte et en autres sortes. Il est contraire aus precedens.

Car tu ne souffriras aucun outrage. Ange Politian a laissé cette clause, je ne sçay pourquoy. Car elle est bien à propos.

Pour un temps. Icy Politian ajoute outre ce qui est au texte grec. Et premierement prendre soing de toy mesme. Je ne say s’il l’a trouvé en un autre exemplaire, ou avancé du sien, qui seroit chose bien estrange.

Chapitre 2.

S’il t’est honeste. Ou il y a au grec ϰαλλόν ἄν οὑδέν (kallon an ouden), il faut changer ce dernier mot en . Car autrement tout se porterait mal.

Ainsi que par compte et mesure. J’ay suivi la version de Politian qui a tourné μεθ’ ὑπεξαιρέσεος (meth’ hypexaireseos) cum supputatione, pource que le grec emprunte quelque chose de la deduction et substraction qui s’employe aus comptes. Ce n’est pas pourtant ce qu’il signifie proprement, mais nous avons eu plus d’égard au sens qu’à la parolle.

Chapitre 3.

Ce troisiesme chapitre est court, mais il ne se peut rien dire de plus chrestien, fors qu’il faut tout rapporter à la volonté de Dieu, et non à nostre prudence, qui est bien maigre sans son moien.

Chapitre 4.

Cestuicy est pareillement fort considerable, mais où j’ay tourné ἀποῤῥαινοντας (aporrhainontas). Ceus qui jettent de l’eau à leur compagnon se doit traduire ainsi, car qu’est-ce que dit l’interprete, irrorantium. Car s’il se doit prendre ainsi simplement des ministres et des estuves qui versent l’eau, ce n’est pas incommodité comme ce qu’il dit après, de ceus qui injurient ou derobent. Ou j’ay dit aussi ceus qui s’entrepoussent j’eusse peu traduire tempestatifs suivant le latin de l’interprete inquietos.

Chapitre 5.

À bon droit. Politian a laissé εὐλόγως (eulogôs).

Chapitre 7.

À la coste. Je n’ay pas mis au port, comme a fait le traducteur, combien que le grec le porte, mais j’ay pensé que la similitude seroit imparfaite, si comparant un voyage au passage de cette vie, le philosophe parloit du port auquel il ne veut dire qu’on soit encores arrivé. Car avoir une femme ou des enfants, n’est non plus estre au port, et estre au bout du voyage de cette vie qu’amasser des coquilles, est la fin de la navigation.

Coquilles de mer. y-oy/iSia, il est pour ox^âSsç, ou y.6x^axs ? ou v.àylrp.îç. Qui sont les coquilles vides des poissons qui ont pierre, comme huitres, mousles, lauignons et autres, ou plustost ces petites pierres et coquilles de diverses couleurs, que la mer roule au rivage et laisse sur le sable et que les curieus vont amassans. Ou qui voudra entendre de ces poissons armés qui se recueillent pour manger, il n’y aura grand inconvénient l’interprète cependant n’a gueres finement traduit cochleæ. Je diray encores cecy que le mot usurpé par Epictete ne signifie proprement ce qu’il veut dire, combien qu’il semble venir de cette source, mais c’est un escalier ou vis. Il est pourtant pris icy pour ce que j’ay dit, et mis au diminutif, comme par mespris, ainsi que le mot suyvant que j’ay rendu.

Oignons sauvages. êoXêapw. Bulbus est un mot general pour les oignons, aus, eschalotes, sives, pourreaus et toutes plantes de cette espece qui en ont la forme et senteur. Voiés les medecins. J’ay ajousté sauvages, pource que l’herbe qui se peut trouver au rivage de cette sorte est telle, et s’appelle Bulbus agrestis. Quelques uns pensent que ce soit icy Alga, ou baimont.

L’interprète d’Aristide rend bulbaria, treuffles, tuberes, ûSva, mais tout cela n’est rien. Ce sont squilles de mer en ce lieu.

Desja vieilli. Il y a faute au grec, il faut raier en 5 yépwv, b article superflu par la raison des Grecs. Politian ajouste icy une clause. Car ainsi comme ainsi celuy qui ne voudra suivre volontiers, y sera trainé par force. Je ne l’ay trouvée au grec, vous me dirés qu’elle n’est impertinente. Mais quoy ? elle n’est pas du jeu, et se treuve bien ailleurs en ce mesme livre au dernier chapitre. Je l’ay neantmoins laissée en ce lieu.

Chapitre 8.

Ne desire point. Cecy est conforme à la sentence du comique Terence, prononcée par un serf en l’Andrie. Puis que ce que tu veus ne se peut faire, il faut vouloir ce qui se peut faire.

Chapitre 9.

Comme s’il se présente une beauté d’homme ou de femme, les forces dont tu te dois defendre sont en la continence. J’ay interprété cela à mon avis suivant le grec. Politian le rend ainsi, Si malum habeas, vim bonam inventes, ut ad voluptates continentiam. C’est à dire. Si tu as quelque mal tu te trouveras une bonne force, comme contre les voluptés, la continence. Ce n’est pas traduire cela. Il faudroit qu’il y eust grande différence en l’exemplaire qu’il trouva et le mien, qui me semble assés correct, combien qu’il soit imprimé il y a pres de trente ans.

Chapitre 10.

Ce discours est fort saint, et digne du Chrestien, ou ceus qui portent leurs pertes, voire bien petites, si impatiemment qu’ils en deviennent fols, sont enseignés par un paien.

Mais te l’ay rendu. Cecy est conforme à la sentence de ce grand amy de Dieu Job, comme il est escript au i. ch. de son livre. Dieu me l’a donné, Dieu me l’a osté. Il s’est fait comme il a pleu au Seigneur, le nom de Dieu soit béni. Et ne faut douter que cecy ne se raporte à la volonté de Dieu par l’opinion du philosophe. Car il dit apres mais celuy qui me ravist le mien est meschant. Que te chaut-il par qui celuy qui te l’a donné le te redemande ? Ces ravisseurs et persecuteurs des justes sont bourreaus et comme fleaus et verges de Dieu, qui sont apres jettées au feu. Ce qui est gentilement discouru par Synese evesque de Ptolemaïde en ses Épistres que Suyde appelle merveilleuses. Là il nomme ces tyrans ϰαϰοποιοὺς δυνάμεις, c’est à dire puissances mauvaises et meffaisantes, dont j’ay parlé en ma Tragœdie Aman qui est au jour.

Les Roys sont verges de Dieu
Et fleaus du peuple Hebrieu
Qui n’excedent une onglée
De leur puissance réglée.
Et bien que mis en besoigne
Par le vouloir du Seigneur,
Leur cruauté les éloigne
Et prive de sa faveur.
Car Dieu se sert des meschans
Au salut de ses enfants,
Et souvent les plus coupables
Sont tyrans des miserables.

et ce qui est deschiffré là plus au long.

Je n’aurai pas dequoy. Cecy est conforme à la parolle de Christ. Ne soiés pas soigneus du lendemain, etc. Nous ajousterons trois mots d’Horace qui dit en ses Odes,

Quid sit futurum eras, juge quærere.

Que toy malheureus. Politian a mis icy infelicem dominari, pour esse, je ne l’enten point.

Un peu d’huyle. Le traducteur n’a point eu d’egard icy aus diminutifs ἐλάδιον (éladion) et ὀινάριον (oinarion). Je ne sai pourquoy, car l’aucteur ne l’a mis sans cause. Le dernier se peut dire en un mot latin villum, l’autre se peut autrement rendre.

Que pour luy. Il y a faute au grec, et faut raier un μή () qui gaste tout, et encores le reste ne sera pas trop bien. Je passe soubs silence comme l’interprete s’escrime icy et tronque et hache les chapitres d’Epictete et les coupe par darles, comme les poissons, ce que les Grecs disent τεμμαχίζειν (temmachizein).

Chapitre 11.

Estre estimé savant. Cecy est prins du commun dire de Socrate. Je say une chose seule, c’est que je ne say rien. Lucian dit qu’il ne disoit pas cela de bon cueur, mais c’est un moqueur.

Chapitre 12.

Ce chapitre est singulier et de grand fruit pour ceus qui le gousteront et pratiqueront bien. Ceus qui plorent et lamentent immoderement pour avoir perdu ce qu’il faut rendre doivent venir à cette eschole, et faut noter une fois pour toutes que cecy est une ample declaration du premier chapitre qui est comme le fondement et proposition générale de tout le reste qui est apres particularisé.

Chapitre 13.

Si la viande passe. Le traducteur dit autrement. Si transit qui fert, mais παρέρχεται (parerchetai) ne se raporte pas là.

Chapitre 14.

L’absence de son fils. Politian ajouste icy, aut obierit ou pour la mort, qui n’est au texte grec. Je ne di point que j’ay traduit icy et ailleurs le διαιρεῖν (diairein) résoudre et considerer excedant un petit la reigle des grammairiens, mais il va bien.

Chapitre 16.

À mon pauvre corps. σωματίω (sômatiô). L’interprète a mis corpori, pour corpusculo, mais il a laissé τῷ ϰτησιδίῳ (tô ktêsidiô), à mes petits biens. Il tomba sur un exemplaire fort incorrect.

Chapitre 17.

Thesaurier. J’ay traduit ainsi πρύτανις (prutanis) prenant une de ses significations, chacun entend bien ce mot. Politian l’a oublié ou laissé sciemment.

Chapitre 19.

Terence dit presque le mesme en son Phormion, soubs la personne de Demiphon, que l’homme sage doit tousjours penser aus dangers, pertes et bannissements, à la faute de son fils, à la mort de sa femme, à la maladie de sa fille et considerer que ces choses sont communes et ordinaires et ne doivent estre estimées nouvelles ni estranges. Que s’il avient quelque chose de mieus contre l’esperance, il faut conter cela pour gaing. La meditation de la mort est fort recommandée par les philosophes, et notamment par Ciceron aus disputes Tusculanes. On dit que les Égyptiens souloient anciennement à l’issue de leurs banquets faire porter une image de mort faite de bois peint d’une coudée ou deus de long, et la monstrant à un chacun dire cecy : En beuvant et te resjouissant regarde cestuicy, et te souvienne que tu seras tout tel apres ta mort.

Cette meditation à la mort est fort propre au Chrestien, et surtout qu’il faut qu’il pense à la mort de Christ, et qu’il soit luy mesmes tué, meurtri, et enseveli avec le fils de Dieu, s’il veut revivre et regner avec luy. Cela va ainsi. Au reste si l’homme qui s’enorgueillist, ou est prest de faire mal, peut se commander tant que de penser vifvement à la mort, il se rabaissera et se retirera facilement du mal. Et comme ainsi soit qu’il n’y ait rien si epouvantable et terrible que la mort, la frequente meditation la nous rend plus suportable et nous y acoustume.

Chapitre 20.

Icy le traducteur fait une seconde partie du livre sans grande raison. Mais il est certain (suivant ce qu’enseigne Epictete) que si quelcun de ce temps veut se maintenir un peu plus sagement que les autres, et que le corrompu vulgaire, on dit incontinent qu’il fait du Philosophe ou du reformé. Il faut mespriser ces sornettes, qui retombent sur ceus qui les prononcent.

D’estre blasmé. jt.u»aî<TOiJ !ivu>v (katamôkêsomenôn), il faut y.aTaiAu>i/,ï]ao (katamômêsomenôn).

N’ayés point de soucy. y.<xx ? (stasin), il faut p) ().

Chapitre 21.

Tu as perdu ton ranc. Je n’ay pas traduit i-m*™ (estasin) qui n’est à nul propos icy, mais oto™ (stasin) qu’il faut remettre au lieu.

Chapitre 22.

Pour l’amour d’un autre. Si «XXov (di allon). Politian avait trouvé «xxo (di allo) et traduit propter aliud. Cela n’est pas bien.

Je ne serviray de rien à mes amis. Il taxe l’opinion des Aristoteliens et Peripateticiens comme fait Lucian aus Dialogues des morts, qui content les biens de la fortune pour partie de la félicité. Les Stoïques tenoient le contraire et disoient la seule vertu suffire pour accomplir le souverain bien, et Ciceron le maintient en ses disputes Tusculanes, et mesmement en la cinquiesme. Ces premiers y fourroient aussi les biens du corps qui consistent principalement en trois choses, en la beauté, la force et la santé. Ceus de la fortune en deus, aus honneurs et richesses. Leur raison estoit que la justice ne se peut exercer dans le magistrat, ni la libéralité et les exercices de la charité dans les biens. Dequoy nous avons traité amplement en la lecture que nous avons faite, et depuis escrite sur le cinquiesme de Sainct Matthieu.

Des souliers de l’armurier, ni des armes du cordonnier. Cela est ainsi au grec et bien pertinemment, pource qui se traite. Mais je ne sai ou le traducteur a si fort resvé quand il a mis, des souliers du ravodeur, et des armes de l’armurier, car c’est contre l’intention de l’aucteur. Voi le lieu.

Chapitre 23.

Tu te dois resjouir. Il est bien digne du Chrestien de se resjouir du bien d’autruy, contre la commune façon des hommes qui sont pleins d’envie, et qui se resjouissent plus du mal d’autruy, que du bien, et sont fort sugets à la maladie qui s’appelle καιρεϰαϰία (kairekakia) que Ciceron rend tres bien malevolentia gaudens alieno malo. Hesiode dit qu’elle est mutine et seditieuse, et la nomme ἔρις ϰαϰόχαρτος (eris kakochartos). J’allegueroy beaucoup de choses qu’il en dit, mais que serviroit il d’aporter tant de grec dequoy je me resserre et icy et ailleurs, pour n’ensuivre ceus qui copient en leurs livres beaucoup de textes grecs pour sembler abiles hommes.

Baille donc. Il y a icy un τὸ διαφέρον (to diapheron) qui se porte mal, il peut signifier profitable et beaucoup d’autres choses, mais il est superflu et au lieu d’iceluy faudroit mettre un mot qui signifiast, le prix, comme τιμὴν (timên), ou autre. Car ce passage ne se peut sauver du vice.

Tu n’as point flaté. Politian a tourné, loué, mais le grec porte flaté.

Et n’as point enduré les insolences qui se font à sa porte. L’interprete a rendu cecy ainsi, quod ea non profers quæ ad limen ejus proferuntur. Le grec s’accorde avec ce que je di sans doute, comme on verra. Chacun entend παροινία (paroinia) pour les sotises et folies qui se font par l’excès du vin.

Chapitre 25.

À qui le demanderoit. ἀπαιτήσαντι (apaitêsanti). L’interprete a traduit icy, imperium habenti, au seigneur, au maistre. Il a rencontré quelque autre mot que celuy que je viens de mettre.

Tu te mettras legerement en besoigne. Il y a faute icy au texte grec. Pour ὅυτι (houti) qui dit le contraire du propos, on pourroit remettre ἕτι (heti).

Chapitre 26.

Ouvrages de four. περμάτων (permatôn). Ce vocable est rendu par les Latins, bellaria, cupediæ : Somme se sont friandises. Politian l’a rendu condimenta.

Avaler force poussiere. Le traducteur a laissé le mot grec suivant l’auctorité de Martial, qui en a usé en certain Épigramme contre Philænis. Quelques uns prennent haphe pour la poudre dont on se frotoit apres l’onction, afin que la prise fust plus aisée aus combatans, et ont raison mais non pas icy, ou il faut fentendre du sable ou poussiere que le luitteur jettoit aus yeus de son compagnon pour luy troubler la veüe, et en venir plus aisement à bout, car celuy à qui on jettoit la poudre au visage estoit contraint d’en manger beaucoup, et toussoit quelque fois sans avaler plume. Ovide au neufvieme livre de la Metamorphose represente cette façon au combat d’Hercules et d’Achelous que j’ay rendu en cette sorte vers pour vers.

Du sable il me jetta de sa nerveuse main,
J’en fei jaunir aussi son visage et son seing.

Or «90 (aphê) est proprement attouchement comme chacun sait. Et icy se doit rapporter pour la première signification que j’ay alléguée l’excellente comparaison qu’en tire Plutarque discourant avec Senecion au quatriesme livre des Symposiaques. Car les empoignements, dit il, et les tractions de ceus qui luitent ont besoing de poudre. Mais le vin meslé avec la parolle et devis sert, autant pour lier et assembler les amitiés que cette poussiere sert de prise à la luite. L’aucteur veut dire qu’on ne fait pas ce mestier sans peine. De là vient qu’on dit que celuy qui a aquis quelque chose à grande difficulté, l’a aquis ovx ̃ «Wrf (houk akoniti), comme qui diroit «vattjW (anaimôti), ou «viSpam (anidrôti), non sans sueur et sans effusion de sang. J’ay rendu ainsi ces mots en mon Aman,

Eut quarante ans apres la fatale couronne,
Par le prix de son sang, non sans poudre et danger.

Horace en dit autant de celuy qui joue des instruments aus mesmes jeus Olympiens, qu’il a beaucoup souffert, qu’il a sué, et enduré froid, qu’il s’est abstenu du vin et des femmes, il a apprins et a, craint son maistre. Voi l’Art Poëtique.

Chapitre 27.

O homme, considere, èmW^ (episkepse), il faut sxi«e< (episkepsai). Veus tu estre luiteur ou pentathle. J’ay esté contraint de laisser le grec comme a fait Politian qui l’eust peu tourner en latin quinquertio. C’est celuy qui est vainqueur en cinq sortes de combats, ou plustost celuy qui y combat simplement encores qu’il ait du pire. Si quelcun veut savoir ces cinq jeus, il faut aprendre d’un Épigramme de Simonide dont nous lairrons le grec, car tout le monde en a la teste rompue, mais nous l’avons traduit en autant de vers.

Diophpn a bien sceu ces cinq jeus emporter,
Au palet, luite, et course, à darder et sauter.

Regarde tes bras. Ceus qui entreprenent legerement une chose et outre leur portée s’en repentent à loysir. Vous voirriés bien souvent en la fanterie des soldats qui tirent la paie du Roy, porter une pique qui ne la sçauroient à peine lever de terre, et quand ils l’ont entre les mains, ils en sont si chargés qu’ils sont demis combatus.

Boire de mesme, travailler. Politian a laissé icy le verbe wsvstv (ponein), et ne l’a mis qu’au second lieu, où il doit encores estre une autre fois.

Avec autant de mal contentement, Wp^étï (dusarestein). L’interprète a mis deus mots pour un, irasci et mærere, se courroucer, et se douloir, et si les deus ne paient pas le grec qui signifie, se porter impatiemment, et fascheusement, estre plein d’inquiétude, s’ennuier de tout. Morosus vocable Latin approche de cette signification. Gratien appelle de ce terme les malades rechignés et qu’on ne peut contenter. Mais pourquoy m’amuse-je, les vocabulaires t’en diront autant.

Mesprisé des enfants. Politian a ajousté derideri ab omnibus, moqué de tous, qui n’est au texte d’Epictete.

Chapitre 28.

Par les qualités, ay_so~ (skesis), est disposition. Les Dialectitiens establissent une différence entre o*é«s (skesis) et -lfo» (exis) prenant cestuy la pour une affection inconstante, et cestuy-ci pour une arrestée. Je l’ay tourné qualité, contre l’auctorité des grammairiens, pour ce qu’il s’entend ainsi en cet endroit. Le traducteur y a mis un certain habitibus ayant plus d’egard à la parolle qu’au sens.

Il t’est commandé. Politian s’accoustre legerement du verbe grec ὑπαγορσύεται (hypagorsyetai).

Mais un pere. Les Chrestiens devroient mourir de honte lisans cecy s’ils ne le pratiquent. Encore que les hommes ne facent leur devoir en nostre endroit, si faut il faire le nostre au leur, et leur rendre la charité, amitié, secours et respect, et mesmes il faut faire bien à ceus qui nous persecutent.

Voisyn, citoien, chef d’armée, et bien considérer les qualités. Il paroist clairement comme il faut rendre σχέσεις (scheseis).

Chapitre 29.

Voicy comme le respect, la reverence et honneur deu à Dieu est recommandé par les paiens. Ainsi Pythagore. Sers Dieu premierement comme la Loy t’enseigne. En ses carmes dorés. Et Phocylide dit le mesme et Virgile. In primis venerare Deos, et somme tous en parlent ainsi. Mais Épictete le dit si suffisamment qu’à peine sauroit l’on desirer mieus.

Qu’il gouverne. Les Épicuriens et Libertins de ce temps devroient mourir de regret immortel, voyans cecy et ceus contre qui l’on peut usurper les vers de Virgile.

Et ne crois qu’aucun des Dieus
Soit des humains soucieus.

Comme estant ordonné. Ceus n’ont pas pareille opinion de Dieu que le philosophe, qui osent alonger ou racourcir ou rechanger ses ordonnances. La confusion et dissipation de l’Église est venue, par faute de garder cecy quand les hommes se fiant en leur sagesse ont osé ajouster à la parolle de Dieu.

Tu ne te plaindras jamais. Les fideles ne se doivent plaindre des afflictions, mais croire que Dieu leur envoie pour.leur tres grand bien. Car les persécutions sont profitables, honorables et desirables aus enfants de Dieu.

Celuy qui pense estre blecé se resjouïsse. Cecy se peut raporter à nostre religion, et c’est une chose bien contraire à la chair que de se resjouir aus tourmens, se penser honoré en sa honte, fortifié en sa foiblesse, et béni en son malheur. Cette faveur est baillée aus esleùs par la vertu de l’esprit qui’s’appelle consolateur, et huile de resjouissance, de laquelle nous avons escript sur l’epistre aus Hebrieus, -ce que nous espérons Dieu aydant mettre en lumiere. C’est ce que le fils de Dieu nous enseigne en son Evangile selon Saint Mathieu au cinquiesme chapitre. Vous estes bien heureus quand les hommes vous maudissent, et vous persécutent et mentent de vous, en disant tous les maus du monde pour l’amour de moy. Resjouissés vous et sautés de joye, car vostre loyer est tres grand au ciel. L’on verra ce que j’ay dit du verbe à^arii (agalliasthe). Nous devons donc espérer de Dieu ce qu’il nous promet par Ésaïe au chapitre XXV. Il destruira la mort à tousjours, il essuiera les larmes de toutes leurs faces, et ostera la vergoigne de son peuple. Car il estoit moqué. C’est le Seigneur, nous nous sommes attendus à luy, aussi nous serons en liesse et nous resjouïrons en son salut. Le mesme est promis par S. Jan en la Révélation que les Grecs appellent Apocalypse au vij. chapitre et au xxj. Cela estoit pratiqué par les Apostres, comme il est escript en l’Évangile des Actes, ou il est dit que les Apostres apres avoir esté moqués, et fouetés, se retiroient avec une joye merveilleuse, à la veuë de l’assemblée. Or ne faut il pas douter que les afflictions ne viennent de la main de. Dieu, et non pas tousjours pour nos pechés, comme nous voyons en l’exemple de l’abandon qu’il fait de Job au Diable au premier chapitre et au fait de l’aveugle né, duquel l’histoire est au IX. selon S. Jan. Vray est que nos pechés nous en attrainent beaucoup sur la teste, comme l’on a veu aus incestes, meurtres, revoltemens et peste qui persécuta la maison de David, pour le fait d’Urie, et le démembrement. Il n’est cependant point de mal en la cité que le Seigneur n’ait fait. Jeremie en ses Lamentations au ij. chapitre dit, que le Seigneur a en sa fureur ruiné la terre d’Israël, qu’il a tendu son arc ainsi que l’ennemy, et a tué tout ce qui estoit de beau au tabernacle du Seigneur. Il faut voir le lieu où la destruction de Hierusalem est prédite, mais, mieus à nostre propos, en quelque façon que Dieu nous face cet honneur de nous faire compagnons, et participans de la croix de son cher fils, nous devons suivre les conseils du Paien, qui nous doit emouvoir d’avoir tresbonne opinion de Dieu, et céder à tout ce qu’il fait comme estant ordonné par un tres excellent conseil. Bref ce chapitre est merveilleusement beau.

Là où est l’utilité, là est la pieté. Cecy ne se peut il pas employer contre ceus qui pratiquent l’avarice aus dépens de leur conscience, et qui ne suyvent l’estat ecclésiastique que pour s’enrichir et s’aggrandir, et vivre en delices, oysiveté, et volupté. On le peut appliquer contre çeus qui veulent trouver un impossible, un Jesus-Christ sans croix, non crucifié, j’aymerais autant dire non sauveur, car nous savons que nous moyene sa croix. Ils ne veulent point donc de Jesus-Christ s’il n’est de sucre ou de velours. Somme ils le veulent en apparence, mais avec toutes leurs commodités.

Chascun face. Il y a icy trois mots grecs <nrévBsiv, eûeiv (speindein, thuein), et àxâpy.ssea’ (aparchesthai). que je n’ay mis peine de rendre selon leur propriété qu’il faut chercher aus vocabulaires.

Sans afféterie, m sm<re<ruP^va>ç (mê episesurmenôs). Politian l’a traduit, absque lascivia. On peut le rendre en beaucoup de sortes, proprement, honnestement, non négligemment, ni par maniere d’acquit.

Chapitre 30.

Les entrailles des bestes, fepà (hiera). J’ay suivi la version de Politian, combien qu’il se peut entendre autre chose. Car ce n’est qu’une espece de Divination, on le peut prendre, du jargon, du vol, et du manger et boire des oyseaus, des sortileges, des trepieds, des grottes, des chesnes et autres especes. Voy Ciceron aus livres de la Divination.

En danger pour son amy. Il a esté tousjours honeste de mettre la vie pour son amy. Saint Paul mesme dit qu’un amy met la vie pour l’autre, et les Anciens enseignoient qu’il faloit estre amy jusques aus autels, c’est à dire qu’il n’y avoit rien au monde qu’on ne deust faire pour son amy, mais que Dieu n’y fust point offensé. Et celuy est tres lâche qui ne le fait. Voi le devis de Ciceron de l’amitié, et celuy de Lucian qu’il a nommé Toxaris. De mesme ou mieus se faut il porter pour la patrie, et la seule guerre est loysible pour les fouiers et pour les autels. Homere-dit que c’est un très bon augure de combattre pour sa patrie. De là vient le brocard contre Metrodore :

Metrodore voudroit pour le ventre mourir,
Mais il ne voudroit pas pour le pais souffrir.

En ces deux Iambiques je n’ay rendu la grace de r.i.xça (patras) et ixifrpaç (mêtras), que je n’interprete autrement pour courir ailleurs, laissans le Grec pour les Accursiens.

Chapitre 31.

Ou en faire comparaison, auY/.pîvwv (sugkinôn). Je laisse à penser au lecteur, s’il n’est pas mieux que comme l’a rendu l’interprete Latin, cum ceteris judicans, jugeant avec les autres.

Chapitre 34.

Pour choses veritables, lv. *sw Svtwv (ek tôn ontôn). Le traducteur l’a rendu cum licet, quand il t’est loysible, n’est il pas tousjours permis de fuir le jurement ou il est vitieus ?

Chapitre 35.

Ce chapitre se peut référer à ce que dit l’Apostre, que les propos mauvais corrompent les bonnes meurs : et à ce que dit Platon en son devis qu’il a nommé Menon, ou de la Vertu, l’ayant emprunté de Theognis.

Si tu hantes les bons, le bien tu aprendras,
Mais avec les mauvais, ton esprit tu perdras.

Pour ne ramasser mille exemples des bons aucteurs à ce propos, ou tirés du commun usage des choses que j’ay traité amplement sur l’Épistre aus Hebrieus.

Chapitre 36.

Ta famille et serviteurs. Je ne say pourquoy Politian a laissé le mot grec διϰετίαν (diketian), car Robert Constantin personnage de grandes lettres à qui les studieus doivent beaucoup, ne l’a pas oublié et a allégué nostre aucteur.

La magnificence, δόξαν (doxan). Le bon homme Politian a mis icy gulam, comme s’il avait trouvé λαιμὸν (laimon).

Chapitre 37.
Cet enseignement n’est il pas conforme au commandement de la loy, Tu ne commettras point adultère, et à ce que le mariage est ordonné pour remede de l’incontinence ?

Et quand on se veut lier, il faut s’y prendre legitimement. J’enten que quand on se veut marier, il le faut faire comme les lois l’enseignent, non aus degrés defendus. En quoy le droit civil ne s’accorde mal avecque FEscriture sainte. Mais le droit canon a comme ailleurs partout amoncelé ordonnance sur ordonnance, charge sur charge. Or j’aime mieus avoir bonne opinion de nostre aucteur qui l’ait prins ainsi comme j’ay tantost dit, puisqu’il s’y peut prendre. Ainsi sur ἀπτομένω (aptoménô) on entendra bien pertinemment γάμου (gamou), qu’il avait dit paravant.

L’interprete l’entend ainsi que si nous sommes contraints de coucher avec les femmes, il s’y faut prendre legitimement ce seroit à dire qu’il ne se faut adroisser aus femmes mariées, ni aus vierges sacrées, ou aus parentes. Mais quoy, peut on jamais légitimement paillarder ? On nous dira que les Paiens ne blasmoient la simple paillardise, non pas le vulgaire, mais les philosophes la blasmoient, si ce n’estoit quelque Aristippe, un ecorniffleur de Roy. Or Épictete la veut blasmer toute.

Chapitre 38.
Je sépare ce chapitre contre l’auctorité de l’exemplaire grec, suivant Politian, pource que c’est un autre propos.
Chapitre 39.

Ainsi ne seras tu point troublé. Au reste garde toy de t’escrier aucunement ou de soubzrire à quelcun, ou de t’esmouvoir beaucoup. J’ay traduit cecy du grec mot à mot, non du tout mal, de quoy je te fay juge, tres savant Honorat. Le traducteur a mis au lieu, status autem ne sit gravis, sed constans eum quadam lætitia, qui se pourroit à mon avis, interpréter ainsi : Que ton maintien ne soit grave, mais résolu avec un peu de gayeté. Voilà comme nous ne nous accordons pas, et croy que son exemplaire estoit bien mauvais et incorrect.

Car tu ferois cognoistre que tu aurois eu le spectacle en amiration. Au lieu de cecy l’interprete a mis neque de omnibus sermonibus qui dicti sunt, ni de tous les propos qui s’y sont tenus.

Chapitre 42.

Car ce seroit suivre la façon du vulgaire, et se transporter aus choses externes. Il y a au grec ιδιώτιϰον γαρ, ϰαὶ διαϐεϐλημένον (idiôtikon gar, kai diabeblêmenon) πρὸς τα ἐϰτός (pros ta ektos). Le traducteur l’a rendu, vulgare enim est quæ extrinsecus sunt calumniari, qui veut, dire c’est à faire au peuple à calumnier les choses externes. Cela n’est nullement tourné du grec, s’il n’y avoit ἰδιωτϰὸν γὰρ δίαϐάλλειν τὰ ἐϰτὸς (idiôtikon gar diaballein ta ektos). Ce seroit trop licentieusement et temerairement faire que de rechanger tout ainsi, veu que la sentence est entiere autrement. Cela ne me peut plaire. On diroit que διαδάλλειν (diadallein) signifiroit jamais rien que calumnier, mais je croi les Grammairiens si en sa première etymologie il ne vaut pas autant à dire que trajicere. Cela est tout clair.

Chapitre 43.

D’engendrer risée. Ciceron défend cela surtout à l’orateur, au moins de plaisanter, tellement qu’on ne rie pas du mot, mais de celuy qui le dit.

En propos vilains et deshonnestes. Cecy n’est il pas digne du Chrestien et conforme à la parolle, de l’Apostre au cinquiesme de l’epistre aus Ephes. où il défend que les parolles sales ni les plaisanteries ne soient en la bouche du fidele, mais les louanges du Seigneur. Les mots de l’Apostre et du Philosophe sont pareils, αἰσχρολογια, ἐυτραπελία (aischrologia, eutrapelia).

Un paien nous apprend l’honesteté qui ne se garde gueres bien entre les Chrestiens, lesquels employent leur bouche, non à louer Dieu, mais à une infinité de folies, et mesmement entre les femmes. Ô l’horreur et l’infamie de ce temps ! Je n’en di point d’avantage, mais il faut que les gens de bien imitans le Roy prophete David dient Seigneur, tu ouvriras mes levres, et ma bouche annoncera ta louange.

Chapitre 44.

Un repentir apres la jouissance. Il y a quelque plaisir en quelques vices, mais il est bien maigre, au prix de la honte et repentance qu’on en a apres estre assouvi, soit qu’il s’ensuive un chastiment publique de la justice, ou particulier, comme en la paillardise la verolle, ou les bourreaus de la conscience. Demosthene dit quand Laïs luy demanda une si grande somme d’argent pour le plaisir d’une seule nuit Je n’achete pas si cher un repentir. Mais si on se peut repentir d’argent perdu, que fera l’on de la santé, de la vie, de l’honneur et de la conscience ?

Chapitre 45.

Ceus qui se cachent pour bien faire, ou qui ont honte qu’on les estime reformés, ou qu’on les voye avec les gens de religion aus lieus Saints, peuvent estre icy taxés, C’est infirmité. Mais c’est autre chose de ceus qui se voyans surprins jurent afin d’estre estimés bons compagnons.

Chapitre 46.

Amy Honorat, tu verras que ce chapitre n’est pas bien perfait, toutesfois, je n’y ay rien changé, et ne veus legerement remplir les Asterisques, combien qu’il n’y ait point icy de telle marque. Mais le traducteur qui a fourré icy ce qu’il a voulu n’a satisfait à l’intention de l’aucteur non plus que moy. Il lie ce chapitre avec le precedent. Il y a différence entre nous, c’est qu’il a esté le plus hazardeus.

Proposition disjonctive. Ou il est jour ou il est nuit. Je laisse aus Dialecticiens à traiter les lieus qu’ils appellent connexa, conjugata, et les contraires, voi les Topiques de Ciceron voi Rodolphus Agricola, ou nostre maistre de la Ramée qui les a tous radoubé. Les enuntiations de l’avenir se font en forme disjonctive en la matière de la destinée, que les Latins appellent fatum, dont j’ay traité quelque chose en ma préface.

Chapitre 49.

En broderie. J’ay ainsi rendu Xav-njTov (lantêton) qui se tourne en latin punctis disjunctum. Politian l’a traduit, punctabundus. Combien y a il de simples Damoiselles qui en portent aujourd’huy.

Chapitre 50.
Je n’ay autre chose à dire fors que l’interprète a bien tourné autrement ce passage. J’ay suivi l’exemplaire grec.

Modestes, honteuses, pour ôS^oves, li «tS^wveç (aidêmones). Mais confère ceci avec ce qui est commandé par l’Apostre saint Pierre et par saint Paul, et tu le trouveras tressemblable.

Chapitre 51.

J’ay divisé ce chapitre par l’auctorité de Politian, pour la mesme raison que je l’ay fait ailleurs.

Estre trop souvent à la garderobe, ou coucher trop souvent avec sa femme. âxoitaxerv (apopatein) et ôxsuety (hoxeuein), signifient bien cacare et coire, mais l’interprète n’a rien suivi de cecy, et a fait la court a ses pensées, a changé et brouille tout cet endroit. Mais il va, bien au grec, car c’est ce qu’enseigne Galien en l’excellent livre, par lequel il nous exhorte à aprendre les bonnes arts, ou cecy est rendu presque mot à mot. Que Venus, le travail, le baing et le vin se prenent avecque modestie, ce qu’il a aussi tiré des petits vers dorés de Pythagore.

Chapitre 52.

Car la vérité estant envelopée et cachée. Il y a m^eTû^[jivov (sumpeplegmenon). Politian le tourne verum enim conjugatum. J’enten bien qu’il peut signifier cela qui se dit autrement uuvr^^évev (sunêmnenon), dont nous avons parlé là haut. Mais qu’avons nous affaire icy de ceste Dialectique ? et ne me chaut non plus que cottent les vocabulaires qui ne l’interpretent jamais que copulatum, conjuctum, ou connexum, et leur est tousjours avis qu’ils sont à la chapelle de Boncourt. my.%k£x&w peut il pas s’entendre pour plier, paqueter, envelopper, lier ensemble.

Chapitre 54.

Cette conséquence est fort mauvaise, àauvoafoi Xo-fot (asunaktoi logoi). Les. grammairiens notent congruentes. Le traducteur dit ht sermones non congruunt, qui veut dire ce me semble, ces propos sont méchants. La où il faut estre hardi, il est couard, s’assujetissant aus parolles.

Chapitre 56.

Des preceptes. wpW.a (theôrêma) n’est proprement précepte, mais quand il le signifie sa propriété se rechange et flechist, cependant il se prend ainsi en, ce lieu, et est cela mesme qu’il appelle dogma au penultime chapitre. Les anciens traducteurs des philosophes grecs tournoient tousjours ce mot en speculatio. Il vient comme chascun sçait de qui est contempler, cognoistre, percevoir, et cotte plustost perceptum que præceptum. Aristote aus Topiques le prend pour problema, question.

Ne di pas comme il faut manger. J’ay escript au long en mon Commentaire sur l’Electre d’Euripide des grands causeurs et petits faiseurs. Il est beaucoup .d’hommes de cette sorte. Tels estoient les Athéniens qui savoient bien et entendoient le droit, mais ils ne le vouloient pratiquer. Tels sont ceus dont parle le Satyrique,

Maints qui parlent de continence
Font aus bourdeaus leur demourance,
Tels qui se feignent curieus
Vivent comme Épicuriens.

Combien y en a il parmi les Chrestiens qui ne parlent que de Dieu et crevent à toute heure du nom de Christ, et en ont la gorge pleine, et cependant le diffament en toutes leurs actions. Voi Grégoire Nazianzene, et les excellens tesmoignages que j’ay allégués en mon commentaire t’en assouviront un jour Dieu aydant, mais je m’estudie a breveté le plus que je puis. C’est ce que dit Esaie au xxix. chap. et qui est raporté par le fils de Dieu au xv. selon saint Matthieu. -Ce peuple m’adore des levres, mais son coeur est bien loin de moy. Ceus qui se seoiént en la chaire de Moyse estoient de cet ordre, desquels il faloit croire la parolle et non suivre la vie. Icy se doit raporter la défense que Dieu fait aus mechans de parler de luy, laquelle je deduiray en deus mots sur le propos de la cheute d’Origene, docteur d’admirable erudition, lequel apres avoir exercé sa charge de catéchiste par l’espace de cinquante et deus ans tres suffisamment et tres fidelement, et escript une infinité de livres excellens contre les hérétiques, en une persécution ou l’on le meit au choix ou de sacrifier ou d’avoir affaire à un vilain Ethiopien là présent et luy abandonner son corps, feit signe qu’on luy baillast l’ensensoir. Pour cela il fust excommunié. Et estant quelque temps apres appelle par ceux de Judée, et requis par les anciens de parler en l’Église veu qu’il estoit luy mesmes ancien, il se leva comme s’il eust voulu faire quelque sermon. Mais il recita seulement cecy du i. Pseaume Et Dieu dit au pecheur, Pour quelle raison annonces-tu mes justifications, et pourquoy prens tu mon testament en ta bouche ? Et incontinent ayant fermé le livre s’assit, jettant larmes et sanglots et faisant des cris espouvantables sans pouvoir parler.

Chapitre 57.

Si tu as le corps attenué d’abstinence. Cecy se formalise à ce que le fils de Dieu enseigne en saint Matthieu des hypocrites, qui quand ils jeusnent obscurcissent leurs faces pour sembler fort meigres. Nous sommes instruits là mesmes, d’oindre nos visages.

Ne va point embrasser les statues, Politian ajoustë icy, pour remplir ce qui luy semble imperfait, cette sentence, qui à mon avis se peut rendre ainsi en françois : Et ne te soucie d’estre veu des estrangers, qui quand ils sont violentés par les plus puissans font brusler les statues, et crient qu’on leur fait force pour assembler le peuple. Car celuy qui ne fait rien que par ostentation et monstre, est tout adonné aus choses externes, et ruinent les biens de patience et d’abstinence, quand ils establissent leur fin en l’opinion de plusieurs. Cela n’est point mauvais. J’ay traduit ce que j’ay trouvé en mon exemplaire sans y ajouster ni de Simplicius, ni d’autre quelconque, ni du mien mesme. Comment donques s’entendra cecy ? Ne va point embrasser. Les statues sont communément en public, et il est question icy des hypocrites qui font leurs bonnes œuvres devant les hommes pour estre veus, desquels parle l’Escriture, qu’ils ont leur loyer, car ils faisoient le bien pour paroistre, et ils ont esté veus, que leur faut-il ? Et ceste est une des trois differences que j’ay assignées en mes lectures sur les commandements de la loy, des vrais serviteurs de Dieu d’avec. ces farceurs, que les Grecs appellent hypocrites.

Avale de l’eau froide. J’ai traduit cet ἐπίσπασαι (epispasai) non contre la raison des Grecs bien qu’il soit rare pour exhauri, ebibe, ayant esté ainsi usurpé par Lucian, λαμϐάνεῖν (lambanein), dit il, ϰήλυϰα ϰάι ἐπισπασαμένοις φιλήται (kêluka kai epispasamenois philêtai), ou manifestement il s’entend ainsi.

Au reste ces choses dites ainsi brièvement, peuvent s’entendre à mon avis tresbien comme j’ay dit, mais si quelcun veut qu’elles soyent tirées de quelque superstitieuse sagesse, comme il y en a au livre de Synese, qui s’appelle de la Providence, ou l’Égyptien, en l’oraison du Royaume et autres ses œuvres, je le souffriray.

Chapitre 60.

De Chrysippe. Le grec semble estre vitieus, et faudroit mettre Χρυσιππου (Chrusippou), au lieu de ὅτι Χρύσιππος (hoti Chrusippos). Le traducteur a bien laissé la moitié de ce chapitre sans raison et propos, combien qu’il soit entier et pour mieus enrichir la besoigne il a avancé du sien à la fin une clausule qui n’est pas au texte, et se peut entendre ainsi, si j’enten le latin de Politian. Car que sert il d’avoir trouvé la prescription de quelques medicamens, et les connoistre, et ordonner aus autres, si je n’en use estant malade, cela va bien, mais il n’est pas du jeu. Cet homme se donne grand’ licence et auctorité sur un ancien escrivain et Philosophe, ou s’en repose et fie sur tel qui ne l’entend pas mieus que luy.

Chapitre 61.

Comme tu te dois composer. J’ay prins du verbe συμϐάλλεῖν (sumballein) la plus propre signification qui se pouvait accommoder d’une douzaine qu’il en a, combattre, venir aus mains, s’entre heurter, conjecturer, et les autres. Il ne faut point demander qu’en dit l’interprete, car il n’a pas traduit le quart de ce chapitre, et a passé le reste comme inutile, ou ne l’a pas trouvé en son livre, qui a ce conte estoit bien imperfait.

Bornant le temps de ton apprentissage. Cecy se peut rapporter à ce que dit l’Apostre au vi. chapitre de l’epistre aus Hebrieus, qu’il ne faut tousjours s’amuser au laict, ains le laisser aus petits enfants pour user des viandes plus fermes et solides. Car ce que dit le philosophe, vousn’estes plus jeunes, et estes tousjours apprentis, est cela mesmes, hors mais qu’il ne l’entend que de l’honesteté des moeurs, de la vertu, et magnanimité de l’esprit et non de la cognoissance du Saint Evangile, en laquelle, dit l’Apostre, Au lieu que vous devriés estre maistres selon votre age, il vous faut encore remener aus elemens, or celui qui est encores au laitn’a point de part en la parolle de justice. Mais la viande solide est pour les perfaicts qui ont d’acoustumance les sens exercés à la discretion du bien et du mal. Ce qu’il dit aussi, j’enten le philosophe, qu’il ne faut éloigner ou differer, mais s’avancer afin que nous ne soions surprins, est conforme a ce qui nous est recommandé par l’Apostre en la mesme epistre aus Hebrieus. Hastons nous, dit il, d’entrer en ce repos. C’est pour monstrer qu’il ne faut aller laschement en besoigne, mais faire diligence, et se peut alleguer cecy contre ces bons compagnons qui prenent terme d’estre gens de bien, et disent qu’il n’y a qu’une bonne heure, ou qu’un bon souspir.

Que nous sommes au combat, et que les jeux Olympiques sont presens. J’ay interprété au long le combat du Chrestien, et ce qui s’en peut raporter à ces traits, en la lecture, que j’ay faite sur le verset du cinquiesme chap. du Saint Evangile selon saint Matthieu. Bien heureus sont ceus qui se deulent, car ils recevront consolation, et m’ennuie presque d’en redire icy chose quelconque. Là j’ay déduit entre autres choses la comparaison du Chrestien avec l’homme de guerre, lequel ay-je dit est cassé, si les ennemis estans en bataille il se débande ou prend la fuite, combien qu’il y aille de l’honneur et de la vie. Voylà le canon qui bat, il faut faire teste. Les .ennemis spirituels sont quatre Sathan, la chair, la mort et le monde, qui nous livrent une continuelle guerre, et la faut soustenir. Voylà le canon qui bat. Si nous voulons recevoir la couronne de justice, dont parle saint Paul en la seconde epistre à Timothée, ch. iv. Il y a donc à combattre, et dequoy est il question ? De la victoire, de la couronne du triomphe. Voy aus Galates et Thessal. C’est la continuelle figure de l’Escriture sainte qui est pareille en ce lieu.

Refusons la lice et perdons la bataille. Il semble qu’icy il n’y devait y avoir deus mots semblables, ἤτταν ϰαὶ ἔνδοσιν (êttan kai endosin), mais qu’il devait y avoir ἤτταν ϰαὶ νίϰην (êttan kai nikên) pour se raporter à ce qui est dit apres. Ou nous maintenons, ou nous perdons nostre avancement de sorte que le desavancement fust de la fuite et desconfiture, et l’avancement par la victoire. Mais je l’ay trouvé ainsi. Il n’en faut demander conseil à Politian, car il n’en dit rien de peur qu’il n’avienne.

Chapitre 62.

L’interprète a traité ce chapitre comme les precedens, et l’a roigné et retranché.

Des opinions. Il appelle icy dogmata qu’il appelloit paravant theoremes.

Chapitre 63.

Politian divise ce chapitre en trois sentences de Cleanthe, Euripide et Platon, et met en trois nombres, premierement, secondement, tiercement. Au grec il n’y a ni premier ni second, mais bien troisiesme, et il n’est pas nouveau de mettre plusieurs nombres et ne conter qu’à la fin.

Guide moy. Ce sont six vers Jambiques senaires de Cleanthe et Euripide.

Ô Criton. Voy Platon et Xenophon. Anyte et Melite, comme chacun scait, furent les accusateurs de Socrate, qui le firent mourir. Socrate est appellé par Horace au ij. livre des Satyres Anytireus, le criminel d’Anyte.

Amy Honorat, ayant mis fin à ce mien labeur j’ay entendu de Thomas du Puys docte medecin, et excellemment versé en la cognoissance des simples, qu’il y a une traduction latine d’Epictete accompagnée d’un commentaire si ample, qu’il fait un gros volume, mais ne l’ayant point veue, je ne m’en peus servir ni en porter jugement. S’il a mérité louange, quiconque soit l’aucteur, je serai le premier à la luy rendre, mais que ne soye fraudé de mon travail, raportant le tout au demeurant à la gloire de Dieu et à son fils Jesus-Christ, auquel appartiennent gloire, louange et Royaume à tousjours mais.

FIN DES OBSERVATIONS