Le Bouddhisme au Tibet/Chapitre 16

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Traduction par Léon de Milloué.
Texte établi par Musée Guimet, Impr. Pitrat Ainé (p. 228-242).


CHAPITRE XVI

SYSTÈMES D’ESTIME DU TEMPS

1. Calendriers et tables astrologiques. — Diverses méthodes de chronologie. —
Cycle de douze ans, il se compte aussi à rebours à partir de l’année courante, — Cycle de soixante ans. —
Cycle de deux cent cinquante-deux ans. — 3. L’année et ses divisions.

CALENDRIERS ET TABLES ASTROLOGIQUES

Les Tibétains ont reçu leur science astronomique de leurs voisins de l’Inde et de la Chine. Les Chinois sont aussi leurs maîtres dans l’art de la divination. Leur connaissance des systèmes astronomiques et chronologiques de ces nations date de la propagation de bouddhisme par les prêtres chinois et indiens, à qui ils doivent aussi leur système de définition de l’année[1]. Les deux systèmes reposent sur une unité de soixante ans, tout en différant sur la manière de nommer les années. La dénomination Hindoue est appelée en tibétain Kartsis, « mathématiques blanches » ; la méthode chinoise porte le nom de Naktsis, « mathématiques noires » ; cette expression s’étend aussi à « l’art noir » ou science de la divination et des calculs astrologiques[2].

Les almanachs s’appellent en tibétain Leutho[3], Lotho ou Ritha ; ils sont dressés par les Lamas.

Il est d’un usage généralement répandu de joindre aux almanachs diverses tables astrologiques. Elles varient dans leur composition ainsi que dans leurs dimensions ; elles répondent ordinairement aux intentions suivantes :

Gabtsis[4], « les calculs cachés », sont des tables qui encadrent les calendriers ordinaires ; elles sont consultées en diverses occasions.

Groubtsis[5], « la parfaite astronomie », pour connaître le caractère et l’influence des planètes.

Tserab las-tsis[6], est le nom des calculs pour déterminer la durée de la vie et le destin d’une personne.

Bagtsis[7], tables que l’on consulte pour les mariages.

Shintsis[8] s’emploie pour connaître la forme sous laquelle un mort sera réincarné.

Naktsis, qui désigne aussi l’art de la divination en général, s’applique surtout aux tables par lesquelles on peut déterminer les époques heureuses ou malheureuses qui sont réservées à une personne, ainsi que leur raison d’être. Nous décrirons plusieurs de ces tables dans le prochain chapitre.

Les tables qui concernent des classes particulières, comme les Rajas, les Lamas, etc., sont plus rares.

2. LES DIVERSES MÉTHODES DE CHRONOLOGIE

Les divers systèmes d’estime du temps ont déjà été l’objet des recherches savantes et heureuses de Csoma et Ideler. Je donne ici un résumé des résultats qu’ils ont obtenus ; à cause de la connexion du système chronologique et de l’interprétation des calculs astrologiques ; cela me procure en même temps l’occasion de les compléter par les renseignements qu’Hermann a obtenus des naturels pendant son séjour à Sikkim.

1. Quand on veut déterminer un fait se rapportant à une époque peu éloignée du temps présent, on n’emploie pas l’étalon d’unité de soixante ans ; on se sert dans ce cas du cycle de douze ans, dont chaque année porte le nom d’un animal[9] : ces noms se reproduisent invariablement dans l’ordre suivant :


1.  
Ji. 
 le rat.
2.  
Lang. 
 le bœuf.
3.  
Tag. 
 le tigre.
4.  
Yos. 
 le lièvre.
5.  
Broug. 
 le dragon.
6.  
Broul. 
 le serpent.
7.  
Ta. 
 le cheval.
8.  
Loug. 
 la brebis.
9.  
Prel ou Pre. 
 le singe.
10.  
Ja. 
 l’oiseau.
11.  
Chi. 
 le chien.
12.  
Chag. 
 le porc.

Ainsi quand on doit spécifier une certaine année, on ajoute l’expression tibétaine Lo qui signifie année, au nom de l’animal ; soit, par exemple, Ji-lo, « l’année du Rat » : Lang-lo, « l’année du Bœuf », etc.[10]. Quand la date d’un événement est antérieure à l’ère duodécimale actuelle, on indique d’abord le nombre de cycles écoulés depuis l’époque en question, et en y ajoutant l’année animale on obtient le nombre total des années.

2. Dans les livres comme dans la conversation on détermine fréquemment la date d’événements passés en comptant en arrière à partir de l’année courante. Par exemple l’année actuelle étant 1863, la naissance de Tsoungkapa en 1355 serait indiquée comme ayant eu lieu il y a 508 ans. Cette méthode est employée dans le Baïdurya Karpo, d’où Csoma a tiré sa table chronologique si importante[11].

3. Le cycle de soixante ans paraît avoir été employé au Tibet depuis très longtemps[12]. Il fut établi, comme innovation, probablement au xie siècle av. J.-C. que le cycle de soixante ans partirait de l’an 1026, l’année qui suivait l’introduction du système Kala Chakra, au Tibet, en 1025. (V. page 32). L’année 1026, étant la première du premier cycle, l’année 1086 fut la première du second. Si le nombre des cycles écoulés était régulièrement ajouté à l’année courante dans les livres et les documents, ce système serait aussi précis que notre méthode de compter par cent ans ; mais comme le nombre des cycles est ordinairement omis devant l’année qu’il s’agit de préciser[13], le lecteur a souvent beaucoup de peine à assigner à un fait une époque positive en pesant et comparant des dates indirectes.

L’année 1026 était aussi la première du cycle hindou contemporain ; ainsi devint possible l’accord entre l’ordre cyclique tibétain et hindou. La première, seconde, troisième année, etc. de chaque cycle tibétain est donc la même dans le cycle hindou ; toutefois le nombre des cycles ne concorde pas, vu que les Indiens ne datent pas de l’an 1026, mais d’une ou même deux autres périodes antérieures[14].

Depuis longtemps déjà, au moins depuis la dynastie Han, soit 206 av. J.-C., les Chinois mesuraient le temps par cycles de soixante ans, période formée par la combinaison de séries décimales et duodécimales. La coïncidence du cycle chinois et tibétain n’est pas parfaite ; la troisième année du cycle chinois équivaut à la première de la période tibétaine, et ainsi de suite. Toutefois cette différence n’eut aucune influence sur la chronologie tibétaine tant que la Chine n’exerça pas d’autorité politique sur ce pays ; mais quand en 1818[15] le gouvernement chinois s’annexa le Tibet, les habitants de ce pays furent bientôt obligés de conformer leur calendrier à celui des Chinois, ce qui ne put se faire qu’en sautant deux années. Deux années ont donc été virtuellement effacées du calendrier tibétain, de telle sorte que le cycle commence deux ans plus tôt que précédemment, par exemple en 1864 au lieu de 1866. Cette chronologie modifiée est actuellement en usage dans tous les actes officiels et on l’a généralement adoptée pour les affaires privées.

À l’appui de cette explication, je citerai le document de Daba[16]. Il est daté du sixième mois (juillet) de l’année Bois-Lièvre. Cette année est la cinquante-deuxième du cycle. Si on ajoute cinquante et un à 1806 (et non cinquante-deux, parce que 1806 est la première année d’un nouveau cycle, le quatorzième de la chronologie indo-tibétaine), nous obtenons comme résultat 1857.

Annales du Musée Guimet t. III, pl. XXXVI

TRAITÉ ENTRE ADOLPHE SCHLAGINTWEIT
ET LES AUTORITÉS CHINOISES DE DÁBA

Ce Traité a rapport aux routes que lui et son frère Robert étaient autorisés à parcourir
dans la province de Gnari-Khorsoum

ལམ་ཡིག་དང་མིང་ཡར་ན།

༄༄ཤིང་ཡོས་ཟླ་བ་ངྱུག་པའི་ཚེ་ལང་ཆུ་གལིས་ ང་མ་ཋིབས་འདག་པ་རིན་པོ་ཆེ་ནབས་ དྱང་དུ་ཞུས་པ་ལམ་ཡིག་གུང་ཐམ་པས་བློས་གླང་བས་མ་རྐྱུར་པས་གས་ཚེག་རྪང་མ་ཡུལ་ གཞིད་པ་ལདིས་ལོ་སྤྱ་གླེང་བོར་སམ་ནམ་ལདེང རྒྱུད་པླ་སྦྱན་གནངས་སོང་ལདི་པེབས་མི་གོལ་ཞུས་པ་ང་མི་སྤོ་ད་གཞིས ༏ ད་འགྲ་སྤང་ཐོག ། ལས་གཅིག་རྕེད་གཞིས ། གྲན་ཏཔ་ལས་གཏོག་མ་བཏོགས་ལོགས ། གཡས་ ག་གཡོན་གཞིས ། གོང་རྪག་ལ་འགལ་ཆེས་ཋིམས་སྤྱེལ་ཞབས་རིན་པོ་ཆེ་ལ་སེར་སྱང་ཙུ་ཤུལ་ཆེད་ཞུལ་གྱུར་དོ་དག་སྤྱིའེ་བླས་གླང་པ་ཡས་སལྐྱི་ཞིན་ནད་ཀིས་གནང་ལ་གུ་ཚནས་གཞས་ཀྱིས་དག །། །།



Mais mes frères étaient à Daba en 1855 et on ne peut trouver cette date qu’en déduisant deux ans. (Comparez page 87)[17].

Les Indiens et les Chinois ne donnent pas les mêmes noms aux années de ces cycles. Selon la règle indienne chaque année est appelée d’un nom particulier ; les Tibétains ont simplement traduit dans leur langue ces expressions sanscrites[18].

Par imitation de la coutume chinoise[19], les soixante années du cycle sont désignées de la manière suivante. Les douze animaux déjà cités sont répétés cinq fois dans l’ordre précédemment donné et sont accouplés aux cinq éléments, qui sont introduits dans la série chacun deux fois successivement. Par là nous obtenons soixante combinaisons distinctes. On distingue les années de deux manières ; on les désigne soit par la combinaison du nom de l’élément et de celui de l’animal, soit par celle de la couleur de l’élément et du nom de l’animal. Exemple d’une combinaison de la première forme : année Eau-Porc. Même combinaison dans la seconde forme : année Bleu-Porc. L’année Eau-Porc ou Bleu-Porc est la soixantième du cycle indo-tibétain. Si l’on détaille entièrement les noms des années, on ajoute aussi un genre aux combinaisons de l’élément et de l’animal ; ce genre est représenté soit par pho, particule indicative du genre masculin, soit par mo, qui indique le féminin. Le genre de chaque combinaison est déterminé par sa position dans le cycle. L’élément et l’animal de l’année qui commence le cycle sont masculins ; la suivante est désignée par le même élément et l’animal suivant, tous deux au féminin ; les mêmes alternatives de genre se suivent jusqu’au bout ; il en résulte que chaque année impaire comme 1, 3, 5, etc. sera masculine, et les années paires 2, 4, 6, etc. seront féminines. Il faut remarquer que l’addition de ces particules n’a aucune importance distinctive comme on pourrait le croire à première vue. Les naturels comptent par couleur, quand ils prennent une année dans l’almanac, parce que les éléments y sont représentés par des couleurs et des signes symboliques et non par leurs noms[20] : dans toutes les autres occasions on emploie plus habituellement le nom de l’élément.

La table suivante présente la succession des éléments et leurs couleurs ; on ne s’en écarte jamais dans le calcul du temps.

NOMS TIBÉTAINS TRADUCTION COULEUR
Sying  
Me 
Śa 
Chag 
Chou 
Bois 
Feu 
Terre 
Fer 
Eau 
Vert.
Rouge.
Jaune.
Blanc.
Bleu.
Afin de faciliter la conversion de notre ère en termes tibétains, je joins ici, comme exemple, une table qui comprend la méthode tibétaine et les nombres actuellement usités suivant la prescription chinoise. La table est dressée de manière à embrasser soixante-quinze années appartenant à trois cycles différents[21].
TABLE CHRONOLOGIQUE TIBÉTAINE
DU CYCLE DE 60 ANS
ANNÉE
de
l’ère
chrétienne
ÈRE TIBÉTAINE
comptée de 1026 modifiée de façon
à correspondre aux nombres chinois
des années du cycle
Nom Nom nom tibétain
correspondant au
nombre actuel
de l’année
du cycle
du cycle de l’année
du cycle
du cycle de l’année
du cycle
1852 
1853 
1854 
1855 
1856 
1857 
1858 
1859 
1860 
1861 
1862 
1863 
1864 
1865 
1866 
1867 
1868 
1869 
1870 
1871 
1872 
1873 
1874 
1875 
1876 
1877 
1878 
1879 
1880 
1881 
1882 

XIV
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
XV
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»

47
48
49
50
51
52
53
54
55
56
57
58
59
60
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17

XIV
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
XV
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»

49
50
51
52
53
54
55
56
57
58
59
60
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19

Eau — Rat.
Eau — Bœuf.
Bois — Tigre.
Bois — Lièvre.
Feu — Dragon.
Feu — Serpent.
Terre — Cheval.
Terre — Brebis.
Fer — Singe.
Fer — Oiseau.
Eau — Chien.
Eau — Porc.
Bois — Rat.
Bois — Bœuf.
Feu — Tigre.
Feu — Lièvre.
Terre — Dragon.
Terre — Serpent.
Fer — Cheval.
Fer — Brebis.
Eau — Singe.
Eau — Oiseau.
Bois — Chien.
Bois — Porc.
Feu — Rat.
Feu — Bœuf.
Terre — Tigre.
Terre — Lièvre.
Fer — Dragon.
Fer — Serpent.
Eau — Cheval.

ANNÉE
de
l’ère
chrétienne
ÈRE TIBÉTAINE
comptée de 1026 modifiée de façon
à correspondre aux nombres chinois
des années du cycle
Nom Nom nom tibétain
correspondant au
nombre actuel
de l’année
du cycle
du cycle de l’année
du cycle
du cycle de l’année
du cycle


1883 
1884 
1885 
1886 
1887 
1888 
1889 
1890 
1891 
1892 
1893 
1894 
1895 
1896 
1897 
1898 
1899 
1900 
1901 
1902 
1903 
1904 
1905 
1906 
1907 
1908 
1909 
1910 
1911 
1912 
1913 
1914 
1915 
1916 
1917 
1918 

XV
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»

18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
39
40
41
42
43
44
45
46
47
48
49
50
51
52
53

XV
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»

20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
39
40
41
42
43
44
45
46
47
48
49
50
51
52
53
54
55

Eau — Brebis.
Bois — Singe.
Bois — Oiseau.
Feu — Chien.
Feu — Porc.
Terre — Rat.
Terre — Bœuf.
Fer — Tigre.
Fer — Lièvre.
Eau — Dragon.
Eau — Serpent.
Bois — Cheval.
Bois — Brebis.
Feu — Singe.
Feu — Oiseau.
Terre — Chien.
Terre — Porc.
Fer — Rat.
Fer — Bœuf.
Eau — Tigre.
Eau — Lièvre.
Bois — Dragon.
Bois — Serpent.
Feu — Cheval.
Feu — Brebis.
Terre — Singe.
Terre — Oiseau.
Fer — Chien.
Fer — Porc.
Eau — Rat.
Eau — Bœuf.
Bois — Tigre.
Bois — Lièvre.
Feu — Dragon.
Feu — Serpent.
Terre — Cheval.

ANNÉE
de
l’ère
chrétienne
ÈRE TIBÉTAINE
comptée de 1026 modifiée de façon
à correspondre aux nombres chinois
des années du cycle
Nom Nom nom tibétain
correspondant au
nombre actuel
de l’année
du cycle
du cycle de l’année
du cycle
du cycle de l’année
du cycle
1919 
1920 
1921 
1922 
1923 
1924 
1925 
1926 

XV
»
»
»
»
»
»
XVI

54
55
56
57
58
59
60
61

XV
»
»
»
»
XVI
»
»

55
57
58
59
60
10
20
30

Terre — Brebis.
Fer — Singe.
Fer — Oiseau.
Eau — Chien.
Eau — Porc.
Bois — Rat.
Bois — Bœuf.
Feu — Tigre.

L’autre méthode de supputation du temps a pour base un cycle de deux cent cinquante-deux ans. Elle fut signalée pour la première fois par Georg, « Alphabetum tibetanum » ; Huc en a aussi parlé[22].

Le cycle de deux cent cinquante-deux ans se forme avec les éléments et les animaux ci-dessus ; on donne aux particules masculines ou féminines une valeur séparative et on multiplie ainsi les combinaisons. Les premières douze années du cycle sont marquées par les noms des animaux seulement, les soixante années suivantes (13 à 72) en les accouplant aux cinq éléments (chacun d’eux répété deux fois, comme dans la table qui précède), la période de 72 à 132 est désignée en adjoignant la particule masculine pho aux combinaisons précédentes, celle de 133 à 192 par l’adjonction de la particule mo. De 193 à 252 les années se distinguent par l’emploi alternatif de la particule pho et mo jusqu’à la fin du cycle. Ceci n’est pas complètement clair ; si nous devons comprendre que, dans cette dernière série, les combinaisons masculines alternent avec les féminines, nous retombons simplement dans les tenues de la période de 73 à 192. Pour obtenir une combinaison qui donne les soixante années nécessaires pour compléter la somme de 252, sans retomber dans des répétitions et qui concorde avec les données de Huc, il faut, à mon avis, unir des éléments et des animaux de différents genres. D’après cette méthode l’année 193 est représentée par un élément masculin et un animal féminin ; 194 a le même élément féminin et l’animal masculin : 195 un élément masculin et un animal féminin ; 196 le même élément féminin et un animal masculin, et ainsi de suite ; tandis que dans la série précédente la combinaison totale est de même genre dans ses deux parties. En ceci cependant nous voyons un inconvénient théorique qu’il ne faut pas négliger. Si on pousse jusqu’au bout cette combinaison, elle ne s’arrête pas à 252, mais elle va jusqu’à 312 ; car nous obtenons soixante combinaisons nouvelles en plus de celles que nous avons déjà si nous poussons la série en faisant le premier élément féminin et le premier animal masculin, et le même élément masculin avec le second animal féminin, etc.

Voici une combinaison qui mérite peut-être notre attention en ce qu’elle exclut les répétitions et possède en outre l’avantage de ne pas étendre la série au delà de 252. Dans le groupe de 13 à 72 les genres des éléments sont indéterminés, les animaux aussi n’ont aucune particule adjonctive ; l’usage pourvoit à cette omission en les faisant tous masculins. Les images confirment cette idée toutes les fois qu’elles sont assez distinctes. Néanmoins dans les explications verbales on n’emploie que les noms masculins, comme par exemple bélier au lieu de brebis, etc. Dans la série finale de 193 à 252 on pourrait aussi considérer le genre des éléments comme indéterminé, tandis que tous les animaux seraient féminins. La combinaison de deux parties de genres différents paraît plutôt se rapporter aux remarques de Huc ; en outre la combinaison des éléments avec les animaux féminins a pour elle cette coïncidence particulière qu’elle complète la série en forme aussi bien qu’en nombre.

J’offre ici, comme éclaircissement des combinaisons qui résultent de ces études, une liste des années du cycle de 252 ans où se rencontre le rat, le premier des animaux de la série.


Année 13
Rat.
113 
Bois-Rat.
année 173 
Bois-Rat masculin.
133 
Bois-Rat féminin.
193 
Bois-Rat masculin.
 
Bois-Rat féminin. (Huc.)
 
Bois-Rat féminin. (Schlagintweit.)

Ce cycle de deux cent cinquante-deux ans est peu usité ; ni Csoma ni Cunningham n’en ont entendu parler ; mes frères ne l’ont jamais vu employer. Par exemple l’année Bois–Lièvre du document de Daba se rapporte, selon le cycle de deux cent cinquante-deux ans, à 1845, si nous partons de 1026, et 1843 si nous tenons compte des modifications récentes ; tandis que ce doit être 1855 (voyez page 180). Ce cycle peut cependant être en usage dans les vrais centres de lamaïsme, tels que Lhassa, Tassilhounpo, etc.[23]. À quelque distance de Lhassa il est oublié, si même il a jamais été employé ; les Lamas de Sikkim ne le connaissent même pas.

3. L’ANNÉE ET SES DIVISIONS.

L’année est lunaire pour les Tibétains, c’est-à-dire que les phases de la lune règlent la durée du mois. Douze de ces mois, laps après lequel la même saison reparaît, forment la période annuelle. Ces douze mois lunaires égalent 354 jours 8 heures, 48 minutes, 36 secondes 6 ; soit en moins sur l’année solaire 10 jours, 21 heures, 0 minutes, 11 secondes. Nominalement l’année tibétaine a 300 jours, et pour la faire concorder avec la lune, de temps en temps on saute un jour qui ne compte pas du tout[24]. Mais comme cela ne se fait pas régulièrement, les mois et les années ne concordent pas toujours avec les mois et les années des Chinois[25].

Les Tibétains compensent la différence entre l’année lunaire et l’année solaire en intercalant sept mois complémentaires (tib. Dashol) par chaque période de dix-neuf ans ; l’erreur n’est plus alors que de deux heures environ, car sept mois lunaires donnent 206 jours, 17 heures, 8 minutes, 20 secondes, et L’année lunaire perd en 19 ans, 206 jours, 15 heures, 3 minutes, 29 secondes. Ce n’est qu’au bout de deux siècles que l’erreur arrive à un jour[26]. Je n’ai aucun détail sur le principe qui règle l’intercalation de ces sept mois. Csoma dit qu’on intercale généralement un mois tous les trois ans[27].

L’année commence en février à la nouvelle lune[28]. Les douze mois, en tibétain Dava, s’appellent le premier, second, troisième, etc., jusqu’à douze ; on les désigne aussi par les noms des animaux cycliques, accompagnés du mot Dava[29]. Les mois se subdivisent en trente jours, en tibétain Tsei, désignés par des numéros, et en semaines, en tibétain Goungdoun. Les jours de la semaine portent les noms du soleil, de la lune et de cinq planètes[30]. Certains signes symboliques se lient aussi aux différents jours, comme on peut le voir par la table suivante :

NOMBRES
des jours de
la semaine
CORPS CÉLESTES NOMS TIBÉTAINS SIGNES SYMBOLIQUES
1. 
2. 
3. 
4. 
5. 
6. 
7. 

Le soleil
La lune.
Mars.
Mercure
Jupiter.
Vénus.
Saturne.

Nyima.
Dava.
Migmard.
Lhagpa.
Phourbou.
Pasang.
Penpa.

Un soleil.
Une lune décroissante.
Un œil.
Une main.
Trois clous.
Une jarretière.
Un paquet.

Les jours sont subdivisés en 24 heures ; chaque heure en 60 minutes, (en tibétain Chousrang).


  1. D’après la Description du Tibet traduite du chinois par Klaproth, dans le Nouv. Journ. As., vol. IV, p. 138, l’épouse chinoise du roi Srongtsan Gampo et sa suite, ont apporté le système chinois au Tibet, dans le courant du septième siècle av. J.-C.
  2. Nag, « noir » ; ṛtsis, « mathématiques » ; dkar, « blanc ». Ces désignations proviennent des noms tibétains de l’Inde et de la Chine, qui sont encore appelées Gya-gar, « plaine blanche » et Gya-nag, « plaine noire ». Kartsis cependant s’emploie pour « astronomie ou astrologie » ; mais alors il s’écrit ṣkar-ṛtsis, de ṣkar, étoile.
  3. Le nom de Dalow pour calendrier qui se trouve dans Turner, Embassy, p. 331, est sans doute une modification provinciale de ce mot.
  4. Gab, « refuge, ou caché, douteux » : ṛtsis, « mathématiques. ».
  5. Grub, « parfait ».
  6. Ts’he, « temps, durée de la vie » ; rabs, « généalogie » ; las, « œuvre, destin ».
  7. Bag, « fiancée ».
  8. g̣Sin, « corps ».
  9. Voyez Ideler Ueber die Zeitrechaung der Chinesen, p. 73 et 78, à propos de l’origine et de l’introduction de ce cycle qui est généralement appelé le « Tatar ». Il croit qu’il a pris naissance dans l’Asie occidentale. Klaproth l’a vu cité pour la première fois dans les livres chinois en l’an 622. av. J.-C.. Nouv. Journ. As., vol. XV, p. 145.
  10. Csoma, Grammar, p. 147.
  11. Csoma, Grammar, p. 181. Huc, Souvenirs, vol. II, p. 369.
  12. Il est surprenant que la génération actuelle ne connaisse pas l’antique origine de ce système. Les Tibétains expliquent l’adoption de ce cycle par la supposition que son idée première a été tirée de la moyenne de la vie humaine. Telle était du moins l’opinion de Chibou Lama, agent politique du Raja de Sikkim, et de plusieurs autres Lamas.
  13. Comme exemple, voyez le document historique du monastère de Himis, p. 117, et le document de Daba, p. 180.
  14. Voyez Csoma, Grammar, p. 148.
  15. Köppen, Die Religion des Buddha, vol. II, p. 196.
  16. Il est intitulé Lam-gig-dang-ming-dang-yar-na, « ordre de route ; », et aussi « désignation de la distance » ; il fut fait à Nyougchang, halte à environ 8 milles au sud de Daba. Adolphe s’engageait à payer une somme de 6 Srang (onces) d’or (environ 60 liv. st.) à l’officier chinois de Daha, si lui ou son frère Robert pouvaient traverser la rivière S’atlej : le chef de ses hommes, nommé Bara-Mani, ou simplement Mani, s’engagea à payer cette somme. Le traité fut écrit par le Chinois lui-même, qui, au lieu de sa signature, y apposa le sceau officiel. Adolphe n’ayant pas de cachet sous la main, le timbra avec le pommeau de sa cravache. Le Lama Gombojew transcrivit l’original en lettres capitales, tel qu’il est imprimé planche XXXVI. Mais là aussi (voyez. p. 117) il se présente tant de différences avec les termes des livres sacrés, qu’il a été impossible de le traduire. Le professeur Schiefner, qui avait eu l’obligeance de chercher des documents analogues en langue moderne dans la bibliothèque de Saint-Pétersbourg, n’en trouva aucun qui donnât les moyens de traduire littéralement soit le document de Daba, soit celui de Himis.
  17. Csoma, tout en signalant une différence entre les cycles indo-tibétains et chinois (Grammar, p. 148), ne tient pas compte de l’emploi du système chinois quand il dit que l’année 1834 est la vingt-huitième du cycle courant. D’après les raisons précédentes, c’est la trentième qui est le nombre exact. Dans l’exemple de Cunningham (Ladak, p. 395), le cycle indo-tibétain est également employé. Je dois observer que Csoma était mal renseigné quand il prétend que la différence entre le cycle chinois et indo-tibétain est de trois ans, au lieu de deux ; il dit que « les Tibétains appellent première année la quatrième du cycle chinois ». Je dois aussi appeler l’attention sur une erreur que font facilement les Européens quand ils comptent les années des cycles. Quand on calcule la différence entre une année quelconque et la première, les deux nombres doivent être pris inclusivement ; si par exemple le cycle commence en 1806, l’année 1851 n’est pas la quarante-cinquième, comme le calcule Cunningham (p. 386), mais la quarante-sixième de la série.
  18. Csoma, Grammar, pp. 148-150. On y trouvera les soixante noms.
  19. À propos de cette méthode, voyez le mémoire d’Ideler, Ueber die Zeitrechnung der Chinesen, Berlin, 1839.
  20. Quand les animaux constitutifs du cycle de 60 ans sont dessinés dans un but astrologique, et non plus seulement pour compter le temps, la succession des couleurs correspondant aux éléments change, afin d’éviter la coïncidence avec celle des animaux. On verra leur ordre dans le chapitre suivant. — Les Lamas ont beaucoup de livres pour expliquer le système sur lequel est basée la chronologie par cycle de 60 ans. Le livre Mangsat Domi (comme on prononce habituellement) qui signifie « une lampe qui brûle avec clarté pour le bonheur » est un manuel très intelligible et en même temps détaillé de ces connaissances. Il a un peu plus de 500 pages, et contient des aperçus des sciences astrologiques. On en trouvera un exemplaire à la bibliothèque de Saint-Pétersbourg.
  21. En Chine les cycles partent d’une époque si reculée que je ne puis donner aucun renseignement à ce sujet ; je me borne à remarquer que le cycle de 1864 à 1923, qui a le no XV dans la chronologie tibétaine, a en Chine le no LXXVI. Voyez Ideler, Zeitrechnung, p. 60.
  22. Huc, Souvenirs, par 366, vol. II. La combinaison des animaux avec les éléments telle que la donne Georgi dans son « Alphabetum Tibetanum », pp. 464-69, est arbitraire ; car de cette façon les éléments se suivent douze fois, tandis que dans toutes les méthodes chronologiques chaque élément ne paraît que deux fois et le suivant le remplace.
  23. On peut essayer de ce cycle quand on étudie d’anciens documents. En tous cas le document historique relatif à la fondation du monastère de Himis peut s’interpréter en appliquant le cycle de deux cent cinquante-deux ans, comparez p. 117 ; mais il semble qu’il est d’usage général même dans les traités historiques de désigner les années par le cycle de soixante ans.
  24. « Description du Tibet » dans le Nouveau Journ. Asiat. vol. IV, p. 137. Dans ses Souvenirs, vol. II, p. 370), Huc constate que par suite de la croyance aux jours heureux ou malheureux on en saute plusieurs à la fois, qui sont alors comptés par le nombre des jours précédents.
  25. Voyez la citation d’Ideler, p. 165.
  26. Dans le calendrier Julien, la différence est beaucoup plus grande ; elle est d’un jour par cent vingt-huit ans. Madler, Popular astronomy, p. 522.
  27. Csoma, l. c. p. 148, et Nouv. Journ. As., vol. IV, p. 137.
  28. Selon mon frère Hermann, la Description chinoise du Tibet et Huc. Turner a entendu dire que le premier mois était janvier. Embassy, p. 321.
  29. Cunningham, Ladak, p. 396. Csoma et Schmidt, dictionnaires sub voce zla[illisible].
  30. On dit dans la Description chinoise du Tibet que les cinq éléments concourent à la dénomination des jours de la semaine : mais je n’ai rien trouvé qui confirme cette assertion.