Le Buisson ardent/II, 21

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Paul Ollendorff (Tome 2p. 324-326).
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Deuxième Partie — 21


— Tu es revenu, tu es revenu ! Ô toi, que j’avais perdu !… Pourquoi m’as-tu abandonné ?

— Pour accomplir ma tâche, que tu as abandonnée.

— Quelle tâche ?

— Combattre.

— Qu’as-tu besoin de combattre ? N’es-tu pas le maître de tout ?

— Je ne suis pas le maître.

— N’es-tu pas Tout ce qui Est ?

— Je ne suis pas tout ce qui est. Je suis la Vie qui combat le Néant. Je ne suis pas le Néant. Je suis le Feu qui brûle dans la Nuit. Je ne suis pas la Nuit. Je suis le Combat éternel ; et nul destin éternel ne plane sur le combat. Je suis la Volonté libre, qui lutte éternellement. Lutte et brûle avec moi.

— Je suis vaincu. Je ne suis plus bon à rien.

— Tu es vaincu ? Tout te semble perdu ? D’autres seront vainqueurs. Ne pense pas à toi, pense à ton armée.

— Je suis seul, je n’ai que moi, et je n’ai pas d’armée.

— Tu n’es pas seul, et tu n’es pas à toi. Tu es une de mes voix, tu es un de mes bras. Parle et frappe pour moi. Mais si le bras est rompu, si la voix est brisée, moi, je reste debout ; je combats par d’autres voix, d’autres bras que les tiens. Vaincu, tu fais partie de l’armée qui n’est jamais vaincue. Souviens-toi, et tu vaincras jusque dans ta mort.

— Seigneur, je souffre tant !

— Crois-tu que je ne souffre pas aussi ? Depuis les siècles, la mort me traque et le néant me guette. Ce n’est qu’à coups de victoires que je me fraie le chemin. Le fleuve de la vie est rouge de mon sang.

— Combattre, toujours combattre ?

— Il faut toujours combattre. Dieu combat, lui aussi. Dieu est un conquérant. Il est un lion qui dévore. Le néant l’enserre, et Dieu le terrasse. Et le rythme du combat fait l’harmonie suprême. Cette harmonie n’est pas pour tes oreilles mortelles. Il suffit que tu saches qu’elle existe. Fais ton devoir en paix, et laisse faire aux Dieux.

— Je n’ai plus de forces.

— Chante pour ceux qui sont forts.

— Ma voix est brisée.

— Prie.

— Mon cœur est souillé.

— Arrache-le. Prends le mien.

— Seigneur, ce n’est rien de s’oublier soi-même, de rejeter son âme morte. Mais puis-je rejeter mes morts, puis-je oublier mes aimés ?

— Abandonne-les, morts, avec ton âme morte. Tu les retrouveras, vivants, avec mon âme vivante.

— Ô toi qui m’as laissé, me laisseras-tu encore ?

— Je te laisserai encore. N’en doute point. C’est à toi de ne me plus laisser.

— Mais si ma vie s’éteint ?

— Allumes-en d’autres.

— Si la mort est en moi ?

— La vie est ailleurs. Va, ouvre-lui tes portes. Insensé, qui t’enfermes dans ta maison en ruines ! Sors de toi. Il est d’autres demeures.

— Ô vie, ô vie ! Je vois… Je te cherchais en moi, dans mon âme vide et close. Mon âme se brise ; par les fenêtres de mes blessures, l’air afflue ; je respire, je te retrouve, ô vie !…

— Je te retrouve… Tais-toi, et écoute.