Le Cœur innombrable/Hébé

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Le Cœur innombrableCalmann Lévy (p. 111-112).

HÉBÉ


Ô fille de Junon, Jeunesse aux pieds légers
Qui verses le nectar savoureux dans les coupes,
Toi qui descends du ciel vers les humbles bergers
Et joins les bras tremblants des amants que tu groupes,

Déesse aux yeux rieurs comme l’aube d’avril
Compagne de l’aurore à la robe irisée,
Dont le corps vigoureux et le front puéril
Sont couverts de fin blanc et de claire rosée,

Belle proie indocile ou molle du sommeil,
Toi que l’amour lutine et baise sur les joncs
Si fort que ton visage en est encore vermeil,
Et qui mêles la ruse aux grâces quand tu joues,

— Salut, divinité riante du matin !
Répands à pleines mains les roses éphémères
Et ne détourne point ton visage mutin ;
Préserve-nous du mal des vieillesses amères

Quand tu verras venir les approches du soir.
Ne défais pas nos bras noués à ton épaule ;
Avant que le raisin soit mûr pour le pressoir,
Couche nos jeunes corps sous les feuilles du saule ;

Et j’abandonnerai sans plainte et sans effort
Tes odorants jardins où le soleil ruisselle,
Pour m’en aller tranquille aux plaines de la mort,
— La mort, ta sœur auguste, apaisée et fidèle !