Le Cœur innombrable/La Terre

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Le Cœur innombrableCalmann Lévy (p. 181-183).

LA TERRE


Vous en qui le sommeil du monde est enfermé.
Terre de bon repos et de longues délices.
Dont le cœur ténébreux et rude est parfumé
Par les cèdres profonds et la douce réglisse,
Vous êtes l’urne auguste où les temps sont groupés,
La Nature sur vous se balance et s’égoutte
Comme un feuillage épais que la pluie a trempé
Et qui laisse pleuvoir son onde sur la route…
— Les abeilles des champs doriens, les étés,

La jeunesse odorante et chaude de la terre,
Les bois où les bergers de l’Hellas ont chanté.
Les plaisirs et les jours, c’est vous sainte poussière !
C’est vous toute la gloire et tout l’amour humains,
Le corps d’Iphigénie et le cœur de Virgile
Et Chloé qui tenait des roses dans ses mains
Ont mêlé leur substance ardente à votre argile.
Vous êtes un autel rustique, où s’accomplit
Tout le mystérieux et fixe destin : l’homme
Vous apporte son cœur quand il l’a bien empli,
La mer son coquillage et le sapin sa gomme.
— Voici le champ fertile où l’humanité dort,
La couche aux plis profonds où tout entre et repose,
Le nocturne jardin où les houilles et l’or
Accueillant la venue éternelle des choses.
Tous ceux qui sous le ciel léger ont enseigné
La volupté riante et la bonne science,
Ont connu vos tombeaux et les ont imprégnés
D’une minutieuse et parfaite alliance.
C’est vous tous les désirs, c’est vous tous les efforts,


La corbeille où les fruits du lourd automne roulent,
La place populeuse où se pressent les morts,
C’est vous le pays large et sûr, c’est vous la foule !…

— Mon cœur plein de raison et plein d’orgueil humains
Nous aussi nous Irons vers ces frères sans nombre,
Et je vous porterai devant moi, dans mes mains,
Pour que votre chaleur éclaire toute l’ombre…