Le Christianisme dévoilé/Chapitre II

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CHAPITRE II.

Hiſtoire abrégée du peuple juif.

Dans une petite contrée, preſque ignorée des autres peuples, vivoit une nation, dont les fondateurs, longtems eſclaves chez les égyptiens, furent délivrés de leur ſervitude par un prêtre d’Héliopolis, qui par ſon génie, & ſes connoiſſances ſuperieures, ſut prendre de l’aſcendant ſur eux[1]. Cet homme, connu ſous le nom de Moïſe, nourri dans les ſciences de cette région fertile en prodiges et mere des ſuperſtitions, ſe mit donc à la tête d’une troupe de fugitifs, à qui il perſuada qu’il étoit l’interprête des volontés de leur Dieu, qu’il converſoit particulierement avec lui, qu’il en recevoit directement les ordres. Il appuya, dit-on, ſa miſſion par des œuvres qui parurent ſurnaturelles à des hommes ignorans des voies de la nature et des reſſources de l’art. Le premier des ordres qu’il leur donna, de la part de ſon dieu, fut de voler leurs maîtres, qu’ils étoient ſur le point de quitter. Lorſqu’il les eut ainſi enrichis des dépouilles de l’Egypte, qu’il ſe fut aſſuré de leur confiance, il les conduiſit dans un déſert, où, pendant quarante ans, il les accoutuma à la plus aveugle obéiſſance ; il leur apprit les volontés du ciel, la fable merveilleuſe de leurs ancêtres, les cérémonies biſares auxquelles le trés-haut attachoit ſes faveurs ; il leur inſpira ſur-tout la haine la plus envenimée contre les dieux des autres nations, et la cruauté la plus étudiée contre ceux qui les adoroient : à force de carnage et de ſévérité, il en fit des eſclaves ſouples à ſes volontés, prêts à ſeconder ſes paſſions, prêts à ſe ſacrifier pour ſatiſfaire ſes vues ambitieuſes ; en un mot, il fit des hébreux, des monſtres de phrénéſie et de férocité. Après les avoir ainſi animés de cet eſprit deſtructeur, il leur montra les terres & les poſſeſſions de leurs voiſins, comme l’héritage que Dieu même leur avoit aſſigné.

Fiers de la protection de Jehovah[2], les Hébreux marcherent à la victoire ; le ciel autoriſa pour eux la fourberie et la cruauté ; la religion, unie à l’avidité, étouffa chez eux les cris de la nature, et ſous la conduite de leurs chefs inhumains, ils détruiſirent les nations Chananéennes avec une barbarie qui révolte tout homme en qui la ſuperſtition n’a pas totalement anéanti la raiſon. Leur fureur, dictée par le ciel même, n’épargna, ni les enfans à la mammelle, ni les vieillards débiles, ni les femmes enceintes, dans les villes où ces monſtres portèrent leurs armes victorieuſes. Par les ordres de Dieu, ou de ſes prophêtes, la bonne foi fut violée, la juſtice fut outragée, et la cruauté fut éxercée[3].

Brigands, uſurpateurs et meurtriers, les Hébreux parvinrent enfin à s’établir dans une contrée peu fertile, mais qu’ils trouverent délicieuſe, au ſortir de leur déſert. Là, ſous l’ autorité de leurs prêtres, repréſentans viſibles de leur Dieu caché, ils fondèrent un état déteſté de ſes voiſins, & qui fut en tout tems l’objet de leur haine, ou de leur mépris. Le ſacerdoce, ſous le nom de Théocratie, gouverna longtems ce peuple aveugle & farouche ; il lui perſuada qu’en obéiſſant à ſes prêtres, il obéiſſoit à ſon Dieu lui-même.

Malgré la ſuperſtition, forcé par les circonſtances, ou peut-être fatigué du joug de ſes prêtres, le peuple Hébreu voulut enfin avoir des Rois, à l’exemple des autres nations ; mais, dans le choix de ſon monarque, il ſe crut obligé de s’en rapporter à un prophéte . Ainſi commença la monarchie des Hébreux, dont les Princes furent néanmoins toujours traverſés dans leurs entrepriſes, par des prêtres, des inſpirés, des prophétes ambitieux, qui ſuſciterent ſans fin des obſtacles aux Souverains qu’ils ne trouverent point aſſez ſoumis à leurs propres volontés. L’hiſtoire des juifs ne nous montre, dans tous ſes périodes, que des rois aveuglément ſoumis au ſacerdoce, ou perpétuellement en guerre avec lui, & forcés de périr ſous ſes coups.

La ſuperſtition féroce, ou ridicule, du peuple juif, le rendit l’ennemi né du genre humain, & en fit l’objet de ſon indignation et de ſes mépris : toujours il fut rebelle, & toujours il fut maltraité par les conquérans de ſa chétive contrée. Eſclave tour-à-tour des Égyptiens, des Babyloniens, et des Grecs, il éprouva ſans ceſſe les traitemens les plus durs et les mieux mérités ; ſouvent infidèle à ſon Dieu, dont la cruauté, ainſi que la tyrannie de ſes prêtres le dégoutèrent fréquemment, il ne fut jamais ſoumis à ſes Princes ; ceux-ci l’écraſèrent inutilement ſous un ſceptre de fer, ja- mais ils ne parvinrent à en faire un ſujet attaché ; le juif fut toujours la victime et la dupe de ſes inſpirés, & dans ſes plus grands malheurs, ſon fanatiſme opiniâtre, ſes eſpérances inſenſées, ſa crédulité infatigable, le ſoutinrent contre les coups de la fortune. Enfin, conquiſe avec le reſte du monde, la Judée ſubit le joug des Romains.

Objet du mépris de ſes nouveaux maîtres, le juif fut traité durement, & avec hauteur, par des hommes que ſa loi lui fit déteſter dans ſon cœur ; aigri par l’infortune, il n’en devint que plus ſéditieux, plus fanatique, plus aveugle. Fière des promeſſes de ſon Dieu ; remplie de confiance pour les oracles qui, en tout tems, lui annoncèrent un bien-être qu’elle n’eut jamais ; encouragée par les enthouſiaſtes, ou les impoſteurs, qui ſucceſſivement ſe jouerent de ſa crédulité, la nation Juive attendit toujours un Meſſie, un Monarque, un Libérateur, qui la débarraſſât du joug ſous lequel elle gémiſſoit, & qui la fît régner elle-même ſur toutes les nations de l’univers.

  1. Maneton & Chérémon, hiſtoriens Egyptiens, dont le Juif Joſeph nous a tranſmis les témoignages, nous apprennent qu’une multitude de lépreux fut autrefois chaſſés d’Egypte par le Roi Amenophis, que ces bannis élurent pour leur chef un Prêtre d’Héliopolis, nommé Moïſe, qui leur compoſa une religion & leur donna dis loi.
      V. Joſeph contre Appien, Liv. I. ch. 9. 11 & 12 Diodore de Sicile rapporte l’hiſtoire de Moïſe, Tom. 7. de la traduction de l’Abbé Terraſſon
      Quoi qu’il en soit, de l’aveu même de la Bible, Moïfe commença par aſſaſſiner un Égyptien, qui avoit pris querelle avec un Hébreu ; après quoi, il ſe fauva en Arabie, où il épouſa la fille d’un prêtre idolârte, qui lui reprocha fouvent fa cruauté : de-là ce ſaint homme retourna en Égypte pour foulever la nation mécontente contre le Roi. Il régna très-tyranniquement, l’exemple de Coré, de Dathan, & d’Abyron, prouve que les efprits forts n’avoient pas beau jeu avec lui. Il difparut, comme Romulus, ſans qu’on ſût trouver ſon corps, ni le lieu de ſa ſépulture.
  2. C’étoit le nom ineffable du Dieu des Juifs, qui n’oſoient le prononcer. Son nom vulgaire étoit Adonaï, qui reſſemble furieuſement à l’Adonis des Phéniciens. V. Mes recherches ſur le deſpotisme oriental.
  3. Pour ſe faire une idée de la férocité Judaïque, qu’on lise la conduite de Moïse et de Josué, & les ordres que le Dieu des armées donne à Samuel dans le 1er Liv. des Rois, ch. XV. v. 23 & 24. où ce Dieu ordonne de tout exterminer, sans en excepter les femmes & les enfans. Saül fut rejeté pour avoir épargné le ſang du Roi des Amalécites. David seconda les fureurs de son Dieu, & tint envers les Ammonites une conduite qui révolte la nature. V. le Liv. des Rois, ch. XII. v 31. C’eſt pourtant ce David que l’on propoſe encore pour le modèle des Rois. Malgré ſa révolte contre Saül. ſes brigandages, ſes adulteres, ſa cruelle perf‍idie pour Urie, il eft nommé l’homme ſelon le cœur de Dieu. Voyez le Diction de Bayle, à l’art. David.