Le Christianisme dévoilé/Chapitre I

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Le
Christianisme
dévoilé.

Chapitre premier.

Introduction.
De la néceſſité d’examiner ſa religion, & des obſtacles que l’on rencontre dans cet examen.

Un Etre raiſonnable doit dans toutes ſes actions ſe propoſer ſon propre bonheur & celui de ſes ſemblables. La religion, que tout concourt à nous montrer comme l’objet le plus important à notre félicité temporelle & éternelle, n’a des avantages pour nous, qu’autant qu’elle rend notre exiſtence heureuſe en ce monde, & qu’autant que nous ſommes aſſurés qu’elle remplira les promeſſes flateuſes qu’elle nous fait pour un autre. Nos devoirs, envers le Dieu que nous regardons comme le maître de nos deſtinées, ne peuvent être fondés que ſur les biens que nous en attendons, ou ſur les maux que nous craignons de ſa part : il eſt donc néceſſaire que l’homme examine les motifs de ſes eſpérances & de ſes craintes ; il doit, pour cet effet, conſulter l’expérience & la raiſon, qui ſeules peuvent le guider ici bas ; par les avantages que la religion lui procure dans le monde viſible qu’il habite, il pourra juger de la réalité de ceux qu’elle lui fait eſpérer dans un monde inviſible, vers lequel elle lui ordonne de tourner ſes regards.

Les hommes, pour la plûpart, ne tiennent à leur religion que par habitude ; ils n’ont jamais examiné ſérieuſement les raiſons qui les y attachent, les motifs de leur conduite, les fondemens de leurs opinions : ainſi la choſe, que tous regardent comme la plus importante pour eux, fut toujours celle qu’ils craignirent le plus d’approfondir ; ils ſuivent les routes que leurs peres leur ont tracées ; ils croyent, parce qu’on leur a dit dès l’enfance qu’il falloit croire ; ils eſperent, parce que leurs ancêtres ont eſpéré ; ils tremblent, parce que leurs devanciers ont tremblé ; preſque jamais ils n’ont daigné ſe rendre compte des motifs de leur croyance. Très-peu d’hommes ont le loiſir d’examiner, ou la capacité d’enviſager les objets de leur vénération habituelle, de leur attachement peu raiſonné, de leurs craintes traditionelles ; les nations ſont toujours entraînées par le torrent de l’habitude, de l’exemple, du préjugé : l’éducation habitue l’eſprit aux opinions les plus monſtrueuſes, comme le corps aux attitudes les plus gênantes : tout ce qui a duré longtems paroît ſacré aux hommes ; ils ſe croiroient coupables, s’ils portoient leurs regards téméraires ſur les choſes revêtues du ſceau de l’antiquité : prévenus en faveur de la ſageſſe de leurs peres, ils n’ont point la préſomption d’examiner après eux ; ils ne voyent point que de tous tems l’homme fut la dupe de ſes préjugés, de ſes eſpérances & de ſes craintes, & que les mêmes raiſons lui rendirent preſque toujours l’examen également impoſſible.

Le vulgaire, occupé de travaux néceſſaires à ſa ſubſiſtance, accorde une confiance aveugle à ceux qui prétendent le guider ; il ſe repoſe ſur eux du ſoin de penſer pour lui ; il ſouſcrit ſans peine à tout ce qu’ils lui preſcrivent ; il croiroit offenſer ſon Dieu, s’il doutoit un inſtant de la bonne foi de ceux qui lui parlent en ſon nom. Les grands, les riches, les gens du monde, lors même qu’ils ſont plus éclairés que le vulgaire, ſe trouvent intéreſſés à ſe conformer aux préjugés reçus, & même à les maintenir ; ou bien, livrés à la molleſſe, à la diſſipation & aux plaiſirs, ils ſont totalement incapables de s’occuper d’une religion qu’ils font toujours céder à leurs paſſions, à leurs penchans, & au deſir de s’amuſer. Dans l’enfance, nous recevons toutes les impreſſions qu’on veut nous donner ; nous n’avons, ni la capacité, ni l’expérience, ni le courage néceſſaires pour douter de ce que nous enſeignent ceux dans la dépendance deſquels notre foibleſſe nous met. Dans l’adoleſcence, les paſſions fougueuſes & l’ivreſſe continuelle de nos ſens nous empêchent de ſonger à une religion trop épineuſe & trop triſte pour nous occuper agréablement : ſi par haſard un jeune homme l’examine, c’eſt ſans ſuite, ou avec partialité ; un coup d’œil ſuperficiel le dégoûte bientôt d’un objet ſi déplaiſant. Dans l’âge mûr, des ſoins divers, des paſſions nouvelles, des idées d’ambition, de grandeur, de pouvoir, le deſir des richeſſes, des occupations ſuivies, abſorbent toute l’attention de l’homme fait, ou ne lui laiſſent que peu de momens pour ſonger à cette religion, que jamais il n’a le loiſir d’approfondir. Dans la vieilleſſe, des facultés engourdies, des habitudes identifiées avec la machine, des organes affoiblis par l’âge & les infirmités, ne nous permettent plus de remonter à la ſource de nos opinions enracinées ; la crainte de la mort, que nous avons devant les yeux, rendroit d’ailleurs très-ſuſpect un examen auquel la terreur préſide communément.

C’eſt ainſi que les opinions religieuſes, une fois admiſes, ſe maintiennent pendant une longue ſuite de ſiécles ; c’eſt ainſi que d’âge en âge les nations ſe tranſmettent des idées qu’elles n’ont jamais examinées ; elles croyent que leur bonheur eſt attaché à des inſtitutions dans leſquelles un examen plus mûr leur montreroit la ſource de la plûpart de leurs maux. L’autorité vient encore à l’appui des préjugés des hommes, elle leur défend l’examen, elle les force à l’ignorance, elle ſe tient toujours prête à punir quiconque tenteroit de les déſabuſer.

Ne ſoyons donc point ſurpris, ſi nous voyons l’erreur preſque identifiée avec la race humaine ; tout ſemble concourir à éterniſer ſon aveuglement ; toutes les forces ſe réuniſſent pour lui cacher la vérité : les tyrans la déteſtent & l’oppriment, parce qu’elle oſe diſcuter leurs titres injuſtes & chimériques ; le ſacerdoce la décrie, parce qu’elle met au néant ſes prétentions faſtueuſes ; l’ignorance, l’inertie, & les paſſions des peuples, les rendent complices de ceux qui ſe trouvent intéreſſés à les aveugler, pour les tenir ſous le joug, & pour tirer parti de leurs infortunes : par-là, les nations gémiſſent ſous des maux héréditaires, jamais elles ne ſongent à y remédier, ſoit parce qu’elles n’en connoiſſent point la ſource, ſoit parce que l’habitude les accoutume au malheur & leur ôte même le deſir de ſe ſoulager.

Si la religion eſt l’objet le plus important pour nous, ſi elle influe néceſſairement ſur toute la conduite de la vie, ſi ſes influences s’étendent non- ſeulement à notre exiſtence en ce monde, mais encore à celle que l’homme ſe promet pour la ſuite, il n’eſt ſans doute rien qui demande un examen plus ſérieux de notre part : cependant c’eſt de toutes les choſes celle dans la quelle le commun des hommes montre le plus de crédulité ; le même homme, qui apportera l’examen le plus ſérieux dans la choſe la moins intéreſſante à ſon bien-être, ne ſe donne aucune peine pour s’aſſurer des motifs qui le déterminent à croire, ou à faire des choſes, deſquelles, de ſon aveu, dépend ſa félicité temporelle & éternelle ; il s’en rapporte aveuglément à ceux que le haſard lui a donnés pour guides ; il ſe repoſe ſur eux du ſoin d’y penſer pour lui, & parvient à ſe faire un mérite de ſa pareſſe même & de ſa crédulité : en matiere de religion, les hommes ſe font gloire de reſter toujours dans l’enfance & dans la barbarie.

Cependant il ſe trouva dans tous les ſiécles des hommes, qui, détrompés des préjugés de leurs concitoyens, oſerent leur montrer la vérité. Mais que pouvoit leur foible voix contre des erreurs ſucées avec le lait, confirmées par l’habitude, autoriſées par l’exemple, fortifiées par une politique ſouvent complice de ſa propre ruine ? Les cris impoſans de l’impoſture réduiſirent bientôt au ſilence ceux qui voulurent réclamer en faveur de la raiſon ; en vain le philoſophe eſſaya-t-il d’inſpirer aux hommes du courage, tandis que leurs prêtres et leurs Rois les forcerent de trembler.

Le plus sûr moyen de tromper les hommes, et de perpétuer leurs préjugés, c’eſt de les tromper dans l’enfance : chez preſque tous les peuples modernes, l’éducation ne ſemble avoir pour objet que de former des fanatiques, des dévots, des moines, c’eſt-à- dire, des hommes nuiſibles, ou inutiles à la ſociété ; on ne ſonge nulle part à former des citoyens : les princes eux-mêmes, communément victimes de l’éducation ſuperſtitieuſe qu’on leur donne, demeurent toute leur vie dans l’ignorance la plus profonde de leurs devoirs et des vrais intérêts de leurs états ; ils s’imaginent avoir tout fait pour leurs ſujets, s’ils leur font remplir l’eſprit d’idées religieuſes, qui tiennent lieu de bonnes loix, et qui diſpenſent leurs maîtres du ſoin pénible de les bien gouverner. La religion ne ſemble imaginée que pour rendre les Souverains & les peuples également eſclaves du ſacerdoce ; celui-ci n’eſt occupé qu’à ſuſciter des obſtacles continuels au bonheur des nations ; partout où il rêgne, le Souverain n’a qu’un pouvoir précaire, & les ſujets ſont dépourvus d’activité, de ſcience, de grandeur d’ame, d’induſtrie, en un mot des qualités néceſſaires au ſoutien de la ſociété.

Si dans un État chrétien on voit quelqu’activité, ſi l’on y trouve de la ſcience, ſi l’on y rencontre des mœurs ſociales, c’eſt qu’en dépit de leurs opinions religieuſes, la nature, toutes les fois qu’elle le peut, ramene les hommes à la raiſon & les force de travailler à leur propre bonheur. Toutes les nations chrétiennes, ſi elles étoient conſéquentes à leurs principes, de- vroient être plongées dans la plus profonde inertie ; nos contrées ſeroient habitées par un petit nombre de pieux ſauvages, qui ne ſe rencontreroient que pour ſe nuire. En effet, à quoi bon s’occuper d’un monde, que la religion ne montre à ſes diſciples que comme un lieu de paſſage ? Quelle peut être l’induſtrie d’un peuple, à qui l’on répète tous les jours que ſon Dieu veut qu’il prie, qu’il s’afflige, qu’il vive dans la crainte, qu’il gémiſſe ſans ceſſe ? Comment pourroit ſubſiſter une ſociété compoſée d’hommes à qui l’on perſuade qu’il faut avoir du zele pour la religion, & que l’on doit haïr & détruire ſes ſemblables pour des opinions ? Enfin, comment peut-on attendre de l’humanité, de la juſtice, des vertus, d’une foule de fanatiques à qui l’on propoſe, pour modéle, un dieu cruel, diſſimulé, méchant, qui ſe plaît à voir couler les larmes de ſes malheureuſes créatures, qui leur tend des embuches, qui les punit pour y avoir ſuccombé, qui ordonne le vol, le crime & le carnage ?

Tels ſont pourtant les traits ſous leſquels le chriſtianiſme nous peint le Dieu qu’il hérita des juifs. Ce dieu fut un ſultan, un deſpote, un tyran, à qui tout fut permis ; l’on fit pour- tant de ce dieu le modéle de la per- fection ; l’on commit en ſon nom les crimes les plus révoltans, & les plus grands forfaits furent toujours juſti- fiés, dès qu’on les commit pour ſou- tenir ſa cauſe, ou pour mériter ſa faveur. Ainſi la religion chrétienne, qui ſe vante de prêter un appui inébranlable à la morale, & de préſenter aux hommes les motifs les plus forts pour les exciter à la vertu, fut pour eux une ſource de divi- ſions, de fureurs & de crimes ; ſous pré- texte de leur apporter la paix, elle ne leur apporta que la fureur, la haine, la diſcorde & la guerre ; elle leur fournit mille moyens ingénieux de ſe tour- menter ; elle répandit ſur eux des fléaux inconnus à leurs peres ; & le chrétien, s’il eut été ſenſé, eut mille fois regretté la paiſible ignorance des ſes ancêtres idolâtres. Si les mœurs des peuples n’eurent rien à gagner avec la religion chrétienne, le pouvoir des Rois, dont elle prétend être l’appui, n’en retira pas de plus grands avantages ; il s’établit dans chaque état deux pouvoirs diſtingués ; celui de la religion, fondé ſur Dieu lui-même, l’emporta preſque toujours ſur celui du Souverain ; celui-ci fut forcé de devenir le ſerviteur des prêtres, & toutes les fois qu’il refuſa de fléchir le genou devant eux, il fut proſcrit, dépouillé de ſes droits, exterminé par des ſujets que la religion excitoit à la révolte, ou par des fanatiques, aux mains deſquels elle remettoit ſon couteau. Avant le chriſtianiſme, le Souverain de l’Etat fut communément le Souverain du prêtre ; depuis que le monde eſt chrétien, le Souverain n’eſt plus que le premier eſclave du ſacerdoce, que l’exécuteur de ſes vengeances & de ſes décrets.

Concluons donc que la religion chrétienne n’a point de titre pour ſe vanter des avantages qu’elle procure à la morale, ou à la politique. Arrachons-lui donc le voile dont elle ſe couvre ; remontons à ſa ſource ; analyſons ſes principes ; ſuivons-la dans ſa marche, & nous trouverons que, fondée ſur l’impoſture, ſur l’ignorance & ſur la crédulité, elle ne fut & ne ſera jamais utile qu’à des hommes qui ſe croyent intéreſſés à tromper le genre humain ; qu’elle ne ceſſa jamais de cauſer les plus grands maux aux nations, & qu’au lieu du bonheur qu’elle leur avoit promis, elle ne ſervit qu’à les enivrer de fureurs, qu’à les inonder de ſang, qu’à les plonger dans le délire & dans le crime, qu’à leur faire méconnoître leurs véritables intérêts & leurs devoirs les plus ſaints.

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