Le Conte du tonneau/Tome 1/00.2
[1]Le Libraire au Lecteur.
I L y a déjà ſix ans que ces Ecrits me ſont tombez entre les mains, & je
crois qu’il y avait alors à peu près douze
mois qu’ils avaient été faits : car, l’Auteur
nous dit dans la Préface qui précéde le
premier Traité, qu’il l’avoit deſtiné pour
l’année 1697 ; & il paroit par differens
paſſages, qu’il les a compoſez environ dans ce
tems-là.
Pour ce qui régarde l’Auteur, je n’en puis rien dire avec certitude mais, je puis avancer avec quelque probabilité, que cette Edition ſe fait ſans qu’il en ſache rien : j’ai apris, qu’il croit ſa copie perduë, l’aïant prêtée à une perſonne, qui eſt morte depuis, & ne l’aïant jamais revuë, depuis qu’il s’en eſt déſaiſi. De manière qu’il y a grande aparence, qu’on ignorera toujours s’il y a mis la dernière main, ou ſi ſon intention a été d’en remplir les lacunes.
Si je me mettois dans l’eſprit de rendre compte au Lecteur de l’Avanture qui m’a rendu poſſeſſeur de ces Ouvrages, ce ſiécle incredule prendroit ſans doute tout ce que je pourois dire là-deſſus pour un vrai jargon de commerce : il eſt bon, par conſéquent que j’épargne cette peine, & à moi, & à mon Lecteur.
On ſera curieux, peut-être, de ſavoir pourquoi je n’ai pas plutôt donné ces Ouvrages au public : je reponds, que c’eſt pour deux raiſons. Premierement, j’ai cru pendant tout ce tems pouvoir m’occuper d’une maniere plus lucrative : en ſecond lieu, j’ai toujours eſperé d’entendre quelque nouvelle de l’Auteur, & de recevoir de ſa part quelques avis utiles pour mon Edition. Si je me ſuis déterminé enfin à m’en paſſer, c’eſt que j’étois averti qu’on menaçoit ſourdement le public d’une certaine Copie, qu’un des plus beaux Eſprits du ſiécle s’étoit donné la peine de polir, ou, comme parlent nos Auteurs à la mode, qu’il avoit accommodé au goût de notre âge. Ni l’expreſſion, ni la choſe même, ne ſont pas tout-à-fait nouvelles : on a déjà pratiqué cette methode avec grand ſuccès à l’égard de Don Quichotte, de Boccalin, de la Bruyere, & d’autres Auteurs diſtinguez. Quelque jolie que ſoit cette invention, j’ai trouvé plus de franchiſe à donner l’Ouvrage in puris naturalibus.
Si quelqu’un veut me procurer une Clef propre à en découvrir les Miſtéres, je lui en ſerai très-obligé, & je la ferai imprimer avec plaiſir.
- ↑ C’eſt le Libraire premier Editeur de cet Ouvrage.