Le Courtisan à la mode

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Le Courtisan à la mode, selon l’usage de la cour de ce
temps, adressé aux amateurs de la vertu
.
1625.— In-81.

Ces valeureux courtisans qui font estat d’avoir veu le monde, et comme les perroquets parlent divers langages : quant à moy, je n’estime pas dire avoir veu le monde, de regarder des bastimens de terre et des eaux, combien que cela serve.

Mais quand je dis avoir veu le monde, j’entends cognoistre la manière de vivre des nations, les proprietez et singularitez particulières qu’ont les unes et les autres ; ce que l’on peut faire quelquefois sans aller loing et faire des courvées.

Il faut seulement, se trouvant en quelque ville celèbre, frequenter des personnes de nations diverses, faisant profit de leurs actions et discours, et remarquer curieusement ce qui est digne de recommandation.

Ou, au contraire, plusieurs de ce siècle, qui passent une partie de leur vie ès païs estrangers, retournent aussi grossiers et peu cognoissant le monde qu’un simple paysan qui ne perdit jamais le clocher de sa parroisse, hormis qu’ils font un peu mieux la morgue, marchent plus delicatement sur la poincte du pied, sçavent faire la reverence, branslant la teste en cadence et en discours, disent à tous propos chouse, souleil2, mâchent fort bien l’anix, rongent le cure-dent3.

Et cela est tout ce qu’ils ont retenu et sçavent faire.

La France, plus que province du monde inconstante, grossière d’inventions, en produict et enfante tous les jours de nouvelles. L’un des plus illustres personnages de ce temps, parlant du mignon François.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Qui Guenon affecté
Des estrangères mœurs cherche la nouveauté,
Et ne müe inconstant si souvent de chemise,
Que de ces vains habits la façon il deguise.

C’est bien pis au temps où nous sommes, auquel l’on porte la barbe poinctüe, les grandes freizes, les chapeaux hors d’escalades, et d’autres en preneurs de taupes, l’espée la poincte haute, bravant les astres, et crains encores à l’advenir un plus grand debordement de mœurs et humeurs, chose beaucoup plus dangereuse que la superfluité des habits : ce qu’apprehendoit ce poëte liricque.

Damnosa quid non imminuit dies4 ?
Ætas parentum, pejor avis, tulit
ÆaNos nequiores mox daturos
ÆaÆaProgeniem vitiosiorem.

Pourquoy nous mocquons-nous d’Hercule quand nous lisons qu’il prit l’habit d’une servante, sinon pour ce qu’il avoit laissé son cœur d’homme et avoit prins celuy de femme, et tant qu’il fut vestu de cet habit, il ne sceut que porter la quenoüille.

Ainsi plusieurs de nos fondeurs de nazeaux qui ont commencé parmy les nations estrangères sans avoir exercé l’art militaire, ne sçavent faire acte de vaillance, quelque morgue qu’ils facent, et la response que fit la belle Heleine à ce mignon et damoiseau Paris leur est fort convenable, lequel persuadant de le suivre à Troye, et luy raconter les braves exploits de guerre, elle le voyant sans armes, ains poupin mignonnement frizé et coiffé de son amour luy dit :

Quod bene te jactas, et fortia facta recenses,
ÆaA verbis facies dissidet ista suis ;
Apta magis Veneri, quam sint tua corpora Marti.
ÆaBella gerant fortes ; tu, Pari, semper ama5.

Et parce que ceste galante response est digne de remarque, et que les dames de la Cour en facent leur profit pour gausser en ces genereux cavalliers, j’ay mis ces vers françois :

Quant à vos preux et vaillans faicts
Dont vous tenez si grand langage,
Je le crois, mais vostre visage
Ne me semble point si mauvais :
Vous estiez nay mieux pour les femmes
Que pour les armes et debats.
Laissez aux autres les combats,
Mignons, faictes l’amour aux dames.

Je ne tance point par ces vers les braves guerriers et genereux enfants de Mars, qui, pour estre amoureux de la belle Venus, ne laissoient de se trouver aux lieux d’honneur, et faire leur devoir à la guerre.

Ce pacquet s’addresse à certains plumeurs, tellement effeminez qu’ils n’auroient le courage de voir esventer une veine, et cependant ces braves capitaines, en temps de paix, veulent estre estimez des Achilles, des Hercules, et, assis auprès de leurs dames, font à tout propos des rodomontades qu’on diroit, à les ouyr parler, qu’ils avalleroient des charrettes ferrées, prendroient la lune avec les dents, mettroient le soleil en capilotades ; que si on demandoit à tels pipeurs preneurs de papillons, vrays Prothées de Cour, pourquoy ils changent si souvent de face et de grimace, ils vous respondront que leur habit, leur demarche et leur barbe est à l’espagnolle6.

Il voudroit mieux les imiter en ce qui est de vertueux et louable, non-seulement en eux, mais en toutes lesnations du monde : car nous devons, sans distinction de personnes, sexes et qualitez, naturaliser la vertu estrangère.

Et si pour lors l’on n’a assez pour se vestir à l’espagnolle, italienne et toupinambourde7, que les courtisans à la mode s’habillent à la bragamasque.

Il ne faut pas s’etonner si dans Rome, dans la gallerie du cardinal Fernèze, que l’on estime estre l’une des plus admirables pour les peintures et autres singularitez qui s’en puissent trouver dans l’Europe8.

Où, entre autre chose, l’on voit toutes les nations despeintes en leur naturel, avec leurs habits à la mode des pays, hormis le François, qui est despeint tout nud, ayant un rouleau d’etoffe soubs l’un de ses bras, et en la main droicte des cizeaux, pour demontrer que de toutes les diversitez de l’univers il n’y a que le François qui est seul à changer journellement de mode et façon, pour se vestir et habiller, ce que les autres nations ne font jamais.

Maintenant, à cause de l’alliance de la France avec l’Angleterre, incontinent vous verrez nos courtisans habillez à l’anglaise9, et par ce moyen, pour rendre leurs freizes et collets jaunes, ils seront cause qu’il pourra advenir une cherté sur le saffran, qui fera que les Bretons et les Poictevins seront contraints de manger leurs beurres blanc et non pas jaune, comme ils ont accoustumé.

Voilà, amy lecteur, ce que pour le present j’ay tracé pour un petit racourcissement sur ma toille le portrait de l’un des plus parfaits courtisans à la mode, lequel pour un peu de temps s’est absenté de la Cour au subject que ses amours n’alloient selon sa volonté, et pour en faire paroistre les vifs ressentimens, je te feray part de ce qu’il a faict sur son depart.

La retraicte du courtisan à la mode.

Que j’ayme l’air des champs ! j’y voy en mille endroicts,
Et tout premier object, la nature en son estre ;
Je voy d’un franc desir ceste trouppe champestre
Reverer la justice et honorer les roys.

Les petits bergerots, d’une contente voix
En chantant, le matin meinent leur troupeau paistre ;
Leur père seul leur sert et d’escolle et de maistre,
Pour suivre mesme trace et vivre en mesme loix.

Heureuses bonnes gens, ainsi loing de nos villes,
Loing de l’ambition, loing des murs inutiles,
Loing des traicts de la Cour, pleins de fidelité.

C’est un theatre ouvert pour jouer les misères.
Chacun tourne le voille au cours des vents prospères,
Et jamais nul n’accorde à la felicité.

Stances
Sur l’adieu d’un courtisan de ce temps
à sa maistresse.

Je cherche le plus sombre au fond de ces forests
Pour pleurer mon absence, et contre mes regrets :
Car je ne puis chasser de ma triste pensée
La fortune, bon heur de mon aise passée.

Comme droict au soleil regarde le soucy,
Mon œil trop amoureux, qui se desplaist icy,
Jettant mille souspirs, à toute heure se tourne
Du costé de la France, où ma Blanche sejourne.

Je croy pour me tromper qu’ayant les yeux tournez
Sur le beau paradis des amants fortunez,
Que mon cœur se soulage, et qu’une douce flame,
Compagne de l’amour, vient contenter mon ame.

Ô jardins compassez de mille lauriers verts !
Beaux vergers fructueux, où je couche à l’envers !
J’ay moderé ma peine et ma douleur charmée
Au giron bien-aymé de ma deesse aymée.

Cabinets derobez, et vous petits destours,
Où nous prenions l’escart pour conter nos amours,
Lorsque sur le tapis de l’herbe la plus molle
Mille mignards baisers nous bouschoient la parolle,

Doux paradis d’amour si souvent frequentez,
Combien depuis six mois je vous ay regrettez !
Mille fois tous les jours dans mon cœur je vous conte
Le malheur qui me tue, et le mal qui me dompte.

Las ! vostre souvenir ne me sert seulement
Que d’augmenter ma peine et doubler mon tourment
Car ce fort sentiment, loing du bien qu’on desire,
Au lieu de l’appaiser, augmente le martyre.



1. Pièce fort rare et fort curieuse, souvent citée par nous dans les notes du Satyrique de la Cour, t. III, p. 241. Elle n’a pas été connue du bibliophile Jacob, qui n’eût pas manqué de la réimprimer, comme il l’a fait de tant d’autres, dans son recueil, publié pour l’étranger et introuvable à Paris : Costumes historiques de la France, 1852, grand in-8.

2. Sur cette prononciation, toute parisienne et fort à la mode alors, V. t. III, p. 262, note 2. Balzac se moque de l’usage où l’on étoit à la cour de prononcer o comme si c’étoit la diphthongue ou : « Toute la France, dit-il dans sa lettre à Chapelain, du 20 janvier 1640, prononce Roume et lioune. » — Dans La Mode qui court et les Singularitez d’icelle, etc., 1612, in-8, la mode figure sous le nom de Chouse.

3. On en avoit de bois de senteur ou de paille, à la façon espagnole. Le connétable de Montmorency avoit toujours un cure-dents aux lèvres, et il falloit se tenir en défiance quand il se mettoit à le mordiller. Ce quatrain courut vers 1565 :

De quatre choses Dieu vous guard :
Des patenostres du vieillard,
De la grand main du cardinal,
Du cure-dents du connestable,
De la messe de L’Hospital.

4. Horat. Lib. III, Od. 1, v. 37.

5. Ovide, Epist. Heroidum, Helena Paridi, ad fin.

6. Sur ces modes à l’espagnole, V. t. III, p. 244. On chantoit alors ce couplet, qui a pris place dans la Comédie de chansons, 1640, in-8, p. 41 :

Bien que nous ayons changé nos pas
——En des démarches espagnolles,
Des Castillans pourtant nous n’avons pas
——Les humeurs, ni les parolles,
Et ceux qui comme nous sont vaillants et courtois
——Ne sçauroient être que François.

7. Depuis que Razilly avoit amené, au mois d’avril 1613, de l’île de Maragnan six sauvages topinamboux, qui furent présentés à la reine et baptisés, tout s’étoit mis à la topinamboue. (V. Lettres de Malherbe à Peiresc, p. 258, 264, 273–274, 283, 297, 340, 442.)

8. V., sur ce tableau, t. III, p. 242.

9. C’est au contraire le courtisan anglois qui avoit subi l’influence françoise : « Les Espagnols, écrit Malherbe à Peiresc le 19 septembre 1610, sont habillez à leur mode, et les Anglois à la notre, en sorte qu’on ne les sauroit discerner des François que du langage. » (V., sur l’histoire des modes angloises, un excellent article de la Revue britannique, 1er août 1837.)