Le Degré des âges du plaisir/06

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(Attribution contestée)
Vital Puissant ? (T. 1 : Le Degré des âges du plaisir,p. 78-88).





CHAPITRE VI.


Nouveaux passe-temps libertins et particuliers de Constance et de Belleval ; dégoût l’un de l’autre ; chacun d’eux jouit à sa manière ; Constance meurt de la vérole ; Belleval, ruiné par le jeu se livre de plus en plus à la débauche jusqu’à l’âge de 45 ans.


Il me semblait que rien sur la terre n’était ou ne devait être égal à Constance. Heureux et satisfaits l’un de l’autre, nous trouvions dans notre possession mutuelle le charme de la jouissance ; mais l’attrait irrésistible du plaisir m’entraînait, Constance l’aimait de même, et nous ne pouvions nous suffire.

Malgré que je possédasse son cœur, je sentais qu’il manquait quelque chose à mon existence. Ardents prosélytes du plaisir, nous ne pouvions, Constance et moi, parvenir à nous contenter ; nous avions l’un et l’autre usé les charmes d’une possession mutuelle, et nos sens nous invitaient à chercher à cueillir ailleurs les myrthes de l’amour.

Sans nous faire une confidence réciproque, nous en vînmes par degré à nous absenter l’un de l’autre. Je laissai Constance libre de se procurer des plaisirs avec tout autre qu’avec moi, pendant que de mon côté je continuai à fréquenter les sérails de la capitale.

Une des filles d’amour de la débauche fit un certain soir ma rencontre au Palais-Royal et me proposa de l’accompagner ; je ne rebutai pas sa proposition et me laissai conduire dans le temple où les filles salariées par les libertins nationaux recueillaient l’argent des débauchés et leur donnaient à chacun de la marchandise pour leur offrande.

Celle-ci, dont je me souviendrai jusqu’au dernier soupir de ma vie, avait, ainsi que la bien-aimée de mon cœur, le nom de Constance. Après avoir payé suivant l’usage et selon le tarif du lieu, ma particulière me conduisit dans un appartement où je ne fus pas peu surpris de voir en relief le portrait de Mademoiselle d’Orléans actuelle. Je reculai de surprise et demandai à ma conductrice comment et par quel hasard le portrait de cette princesse figurait dans un bordel.

Tu t’en étonnes, me dit-elle ; eh ! c’est la plus ardente sectatrice de nos plaisirs, non pour la prostitution, sa belle âme en est incapable, mais depuis que S. A. lui a fait apprendre, par motif de récréation indigne du sang des Bourbons, à danser sur la corde, elle est devenue le modèle de toutes les femmes du haut style de la capitale ; toutes ont voulu apprendre ce grand art que le fameux Placide enseigna au comte d’Artois, et nous autres, reléguées dans les classes des filles publiques, nous la regardons et la chérirons toujours comme notre patronne pour les tours de reins et la souplesse des jarrets. Le fait est si certain qu’au moyen de l’écu de six francs que tu as donné à la révérende maquerelle de ce lieu, je vais pour ton argent et tout réjouissant du souverain plaisir, t’apprendre à faire des tours de force. Je conçus, à l’exposé de cette courtisane, qu’elle me réservait à de nouveaux passe-temps ; je me laissai conduire sur le trône destiné à la célébration de ces plaisirs dont le genre était inconnu pour moi, et je ne tardai pas à en faire l’épreuve.

Sur un lit consacré de tous temps aux vigoureux fouteurs, enfants de Priape, la femme qui venait de se déclarer mon institutrice me déshabilla, et moi, complaisant et libertin, je la laissai faire. Il me paraissait plaisant d’avoir un tel valet de chambre ; en deux minutes, ma compagne de plaisirs en eut autant. Puis me faisant tenir sur les quatre membres, et ainsi nue, ce cavalier de nouvelle espèce se précipita sur mon corps et s’enfonça ma flèche, droite, ferme et allongée, dans le point central, puis, se remuant avec dextérité, la coquine se satisfaisait, tandis que j’étais en équilibre sur les pieds et sur les mains.

Je ne dirai pas que j’éprouvai tout le plaisir possible de cette manière ; lorsque au moment que je sentis que mes forces m’abandonnaient et que j’allais jouir du comble de la volupté, le tour de force cessa d’avoir lieu, je tombai tout étendu sur le théâtre de nos plaisirs ; ma digne compagne entraînée par ma chute, se trouva sur moi dans le même état, et c’est alors que nous jouîmes tous les deux de la divine extase ; sans se désarçonner elle jouait admirablement de la croupière, coups de cul ardents et ménagés, baisers lascifs et brûlants ; ses tetons se reposaient sur mon estomac ; baissant la tête, je les suçai avec ivresse, tandis que mes bras, reployés sur son corps, me donnaient la liberté de claquer voluptueusement ses fesses et d’en chatouiller l’entre-deux d’une main légère ; après ce nouvel exercice je quittai mon héroïne en nous promettant de nous revoir et de recommencer ce passe-temps agréable.

De son côté, Constance aussi dégoûtée de mes caresses que je témoignais l’être moi-même, se livrait à toutes sortes de dérèglements ; quelques joueurs de hasard avec lesquels j’avais fait connaissance, s’étaient crus en droit de me souffler ma maîtresse ; Constance avait reçu leurs assiduités et je ne tardai pas à en être convaincu.

Je rentrais un soir chez elle plus tôt que de coutume à l’effet de me consoler dans ses bras de la perte de quelques dizaines de louis que j’avais laissés dans un des infâmes tripots du Palais-Royal ; j’avais une double clef ; du bruit que j’entendis dans sa chambre à coucher me fit arrêter sur le seuil de sa porte vitrée ; mais à ces exclamations, que j’entendis proférer par deux voix différentes, dont je reconnus l’une pour celle de Constance, je ne jugeai pas à propos d’avancer plus loin. — Ah ! dieux !… grands dieux, cher ami,… chère amante !… Dépêche… enfonce !… — Je me pâme… — Je me meurs !… — Telles furent les expressions qui frappèrent mes oreilles.

— Bon, dis-je en moi-même, c’est un prêté pour un rendu ; Constance me rend l’échange. Laissons la faire, qu’un autre la baise s’il le juge à propos, je n’y tiens presque plus, ou plutôt point du tout ; il y aurait de l’injustice de ma part à prétendre en priver les autres.

Je ressortis comme j’étais entré, en réfléchissant cependant aux impulsions violentes de la débauche. Constance me devait tout ; je l’avais retirée du bordel pour en faire ce que l’on appelle une demi-honnête femme. J’étais maître de sa destinée ; je pouvais la rendre malheureuse à jamais en la rendant à sa famille, et cependant elle me trahissait. Telle est donc, me disais-je, la force du tempérament, puisque pour nous satisfaire elle nous engage à surmonter toutes les considérations.

Depuis cette découverte, je m’abandonnai sans réserve à la jouissance de mes plaisirs ordinaires et ne vis plus Constance que sur le pied de bonne amie. Ce refroidissement de ma part graduant avec ses vues, elle ne m’en fit point de reproches et continua de se prostituer par goût plus que par intérêt à toutes les personnes qu’elle pouvait attirer ou qui s’introduisaient chez elle.

Le poison affreux de la vérole germa dans son sein ; elle ne fit pas d’abord attention à ses progrès naissants, mais peu à peu ce mal infect ravageant son sang, la corruption devint générale, et sa masse en fut altérée ; elle m’en fit confidence, mais, hélas ! trop tard pour que mes soins lui devinssent utiles et sauvassent sa vie ; elle périt au milieu des remèdes violents qui lui furent administrés. Je me chargeai du soin de faire inhumer ses cendres ; puis j’en donnai le détail à sa famille sans, comme on doit bien s’en douter, l’instruire que j’avais eu la plus grande part dans les dérèglements de cette victime infortunée de la débauche et que j’étais le premier principe de ses désordres.

Malgré qu’il y avait longtemps que je ne me souciasse plus de Constance, malgré la suite de plaisirs que je goûtais d’un côté et d’autre, après sa mort je me trouvai isolé pour un temps ; les femmes me devinrent indifférentes et j’abandonnai la pratique de ce vice honteux pour me précipiter avec fougue dans un autre qui devint ma passion favorite et auquel je me livrai avec ardeur.

J’ai déjà dit que, par la mort de ma mère, j’étais devenu le chef de ma famille, ou plutôt que j’étais absolument maître de moi-même ; une fortune assez considérable me mettait à même de me livrer au goût naissant que je ressentais pour le jeu ; j’abandonnai donc les plaisirs que me procurait le sexe féminin pour engloutir ma fortune dans ces gouffres du Palais-Royal, où l’avarice égorgeant ses victimes fait régner parmi la bassesse, le vol et les plus abominables crimes, la rage, l’horreur, le désespoir et la malédiction… Oh ! souvenir trop amer, orgueilleuse municipalité, toi qui t’occupes si impérieusement de ranger les prêtres à l’obéissance de la loi, extirpes ces tavernes, condamnes au supplice ces affamés de notre sang, qui nous vendent à usure jusqu’au papier que l’assemblée de la nation créa pour la facilité du peuple, et le ciel bénira tes travaux.

Ce fut de cette manière que je passai mes jours jusqu’à l’âge de 45 ans, toujours rongé par le désespoir et par l’inquiétude, tour à tour maudissant ma destinée et le génie familier qui m’avait amené à Paris, jusqu’à ce qu’épuisé, sans ressource et abîmé de dettes, l’amour, cette passion qui m’avait tyrannisé pour ainsi dire presque depuis l’âge du berceau et qui fermentait encore dans mon sein, chassa de mon cœur la passion du jeu et y reprit son règne avec toute sa force. Ce fut alors que je versai des larmes de repentir sur la mémoire de Constance. Hélas ! avec plus de sagesse cette victime du libertinage existerait peut-être encore ; sa destinée est remplie et j’attends le terme de la mienne ; mais comme jusqu’à l’âge de 70 ans que j’ai maintenant, les femmes ont encore rappelé mon âme à la gaieté et mon corps à la vigueur, et que j’ai contracté l’obligation de dévoiler toutes les actions de ma vie qui peuvent guider ceux qui me liront à parcourir dans tous les âges la carrière du plaisir. J’en vais continuer le récit.


CHANSON.

Depuis 45 ans jusqu’à 60, âge de la faiblesse.


Air : Écoutez l’aventure.


La triste quarantaine
Modère avec vigueur,
Et je vois avec peine
Que je n’ai plus d’ardeur…
Cependant, quand un cul
M’étale son adresse,
Je suis bien convaincu
Que mon vit se redresse.

Dans mes veines circule
Même amoureux désir ;
Si parfois je recule,
j’aime encore le plaisir.
Lise, dans mon repos,
Ranimant ma faiblesse,
Sait me rendre dispos
De plusieurs coups de fesses.

À force d’exercice,
Mon engin s’est usé ;
Mais je me rends justice,
Je l’ai souvent lassé.
Jeune homme, à votre tour,
Imitez ma folie ;
Ce n’est que par l’amour
Qu’on peut jouir de la vie.