Le Degré des âges du plaisir/07

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(Attribution contestée)
Vital Puissant ? (T. 1 : Le Degré des âges du plaisir,p. 88-96).




CHAPITRE VII.


Folies libertines de Belleval à l’âge de 45 ans jusqu’à 60 ; manière industrieuse de ranimer les forces épuisées d’un prochain sexagénaire, ou le nouveau gagne-petit ; Belleval devient politique jusqu’à l’âge de 60 ans.


Je rentrais un matin la bourse vide et le cœur en proie à tous les tourments du désespoir, lorsqu’une de mes voisines, qui logeait depuis quelque temps dans le même hôtel et qui était entretenue par un riche évêque, qui n’avait pas besoin de serments contradictoires pour assurer sa fortune en entendant les imprécations que j’adressais au sort maudit qui me persécutait, s’offrit à me consoler ; je reçus d’abord très-patiemment ses raisonnements à perte de vue, mais je m’accoutumai à l’entendre, et bientôt je me rangeai du parti de la philosophie.

Je ne sais comment était construite Gabrielle d’Estrées que par le portrait peut-être flatté que les peintres et les romanciers nous en ont donné ; mais Gabrielle Durand, ainsi se nommait ma voisine, était un miracle d’amour : minois appétissant, gorge friande, tetons d’albâtre, cuisses faites au tour et une croupe semblable à celle du pourceau du bon Dieu, qui fournissait à ses appointements ; tous ces attraits étaient plus que suffisants pour me rendre aux plaisirs. D’ailleurs, Gabrielle était désintéressée ; c’était en moi l’homme qu’elle recherchait et non la fortune ; je devins donc l’adjoint de l’évêque démonseigneurisé, et depuis ce temps, établis sur le même palier, Son Éminence avait pour son or quelques matinées et moi le reste du jour et les nuits entières.

Je ne pensais plus au jeu ; baiser et rebaiser ma divine Gabrielle, sucer le bout de ses tetons, entrelacer les poils blonds de sa moniche, l’asseoir sur mes genoux et glisser mes doigts dans la partie vermeille qui avait été de tout temps l’objet de mes désirs ; telles étaient les occupations de mes moments les plus précieux ; mais le dirai-je, à la honte de mon sexe et ce qui lui paraîtra sans doute une vérité bien affligeante, c’est qu’il arrivait que souvent, malgré les caresses brûlantes et lascives de Gabrielle, malgré la question ordinaire et extraordinaire qu’elle donnait à mon pauvre membre, malgré la vue délicieuse de ses appas, malgré que je touchasse avec ivresse ses tetons, ses cuisses, ses fesses, son ventre, sa motte, et que je fourrasse mon index dans sa clavicule, je ne bandais qu’en homme énervé ; mon membre érecteur ployait sous ses doigts délicats, sa tête humectée pleurait sans doute de regret de n’être pas plus utile à l’accomplissement de mes désirs ; en un mot, j’étais, hélas ! comme un homme qui ne l’est plus, ou qui va cesser de l’être, triste situation sans doute pour une jeune femme embrasée des feux de la jouissance ; tout autre en eût été rebutée ; mais féconde en moyens, elle ne se lassait jamais de les employer, et ingénieuse sur la manière de manier et remanier ce faible outil, elle terminait toujours par en tirer raison.

Avant d’être entretenue, Gabrielle avait fait nombre parmi les filles publiques ; elle connaissait toute l’efficacité d’une poignée de verges employées sur les fesses charnues d’un languissant amateur de la volupté ; voyant que cet état débile où nos facultés sensuelles nous abandonnent était souvent le mien, elle eut recours à cet expédient. C’était la première fois que j’en faisais usage. D’abord, elle me pria de me laisser complaisamment lier les mains, sans m’instruire de son dessein, ce que je souffris tout en riant de la folie, puis me déboutonnant elle-même et rattachant par derrière ma chemise sur mes épaules, elle tâta mon instrument, qui, mou, lâche et baissant la tête, ne s’attendait pas que bientôt il allait devoir sa régénération à la plus vigoureuse des fustigations. Toujours folâtrant, elle tira de dessous sa robe une poignée de verges qu’elle destinait à mon postérieur, et qu’elle avait attachées d’un superbe ruban national. Elle me le présenta d’abord à baiser ; je me prêtai de même à cette plaisanterie ; elle commença de suite à m’en appliquer quelques coups sur les fesses, puis semblable à un médecin qui tâte le pouls de son malade, elle cessait cette besogne pour voir en quel état était mon braquemar, qui ne se réveillait point encore de sa léthargie. Obligée de renouveler la dose, elle s’évertua sur mon derrière avec tant d’ardeur que je fus contraint de la supplier de s’arrêter ; mais sourde à mes supplications, elle continua. Les esprits volatils de mon sang s’irritant par ce moyen-là, elle triompha de ses peines, et je bandai ; alors elle me délia, nous nous précipitâmes dans les bras l’un de l’autre, et charmé de cette opération qui pouvait rendre un homme à lui-même, je l’engageai à la mettre en usage chaque fois que mon argument n’était pas en état de pousser sa pointe.

Un jour que, sortant de dîner ensemble, nous étions prêts à nous livrer à nos tendres folies, Gabrielle entendit sous ses fenêtres le cri d’un de ces gagne-petit qui vont par la ville cherchant à repasser des rasoirs et des couteaux. Ayant tous les ustensiles de la coutellerie sur le dos, il lui vint à l’idée l’imagination la plus plaisante et la plus bouffonne. Sans me consulter, elle appela le remouleur, qui ne tarda pas à paraître dans notre chambre avec tout son attirail.

Tiens, bonhomme, lui dit-elle, j’ai besoin pour une heure de ta boutique ; vois si tu veux me la laisser, voilà six francs que je te donne pour le loyer. Reviens la chercher, et je te donnerai pour boire.

Le gars ne se fit point prier ; il détacha ses bretelles et laissa là l’étranguillage. J’étais ébahi de cette nouvelle folie de Gabrielle, et dès que l’Auvergnat fut sorti, sans s’embarrasser quel outil on allait repasser sur sa meule, je lui en demandai l’explication.

— Comment, mon cher Belleval, me dit-elle, tu ne te doutes pas de l’usage que je prétends faire de cette machine ? Il faut donc t’en instruire ; le voici : Soit dit sans te déplaire, tu ne bandes plus ou si peu, si peu qu’en vérité ce n’est pas la peine d’en faire mention ; je juge bien d’où provient ce défaut de virilité, ton pauvre outil émoussé par l’excès des jouissances a besoin d’une restauration et d’être affilé ; allons, sans cérémonie, place-toi devant cette meule que je vais tourner et que j’affûte ton joujou.

L’invention de Gabrielle était trop plaisante pour que je m’y refusasse ; je tirai donc mon engin, que je posai sur le grès, pendant que Gabrielle le tournait avec dextérité.

Ah ! le chien, s’écria-t-elle en riant, il n’y a pas une goutte d’eau dans son baril. Je ne m’étonne pas de ne point remarquer encore aucun effet. Attends, mon cher Belleval, je vais remédier à cet inconvénient. — Alors ma friponne grimpa sur la boutique du gagne-petit, se jucha sur le baril, puis se troussant jusqu’à la ceinture, cette jolie dévergondée pissa amplement sur la meule.

Ce ne fut sans doute pas ce nouvel aiguisement qui me fit bander ; je ne suis pas assez insensé pour attribuer à ce nouvel expédient le renouvellement de ma vigueur ; mais qu’on se suppose à ma place ; j’avais en perspective devant les yeux le goulot de la jolie fontaine par où Gabrielle faisait couler sur la meule l’effusion qui, disait-elle, devait lui procurer tout son effet ; ses cuisses en formaient les alentours et les ornements touffus qui étaient au-dessus et qui en faisaient l’ombrage, me tirèrent de ma stupeur, et je redevins encore homme en dépit de la nature.

Oh ! miracle ! dit alors Gabrielle avec exclamation, voilà mon cher Belleval qui bande ; à moi seule, à mon génie fécond et merveilleux doit en appartenir toute la gloire ; viens, mon cœur, viens, mon tendre ami, puisque j’ai su te ranimer, viens me le mettre et expirer de plaisir dans mes bras ! J’y volai sur-le-champ, et une éjaculation abondante fut le fruit de la polissonnerie qui, rendit utile la mécanique du bon gagne-petit, qui, ponctuel, la vint rechercher au temps prescrit ; elle lui ordonna de la rapporter à pareil prix tous les deux jours, pour ses besoins pressants.

Ma liaison avec Gabrielle dura l’espace de cinq années ; j’en avais donc cinquante, lorsque des événements divers me séparèrent d’elle.

Sans maîtresse et ne jouissant plus que d’un mince revenu, n’étant plus dans l’âge de voltiger de plaisir en plaisir, je me mis à politiquer jusqu’à l’âge de soixante ans. Le caveau devint ma seule habitude, et là, rêvant aux emplois différents que j’avais faits de mes jours, j’enrageais intérieurement de ne pouvoir me retrouver à l’âge heureux où j’avais baisé Constance pour la première fois. Chaque instant où je pensais à cette époque délicieuse, le principe de la génération se raidissait encore quelque peu, le feu de la paillardise circulait dans mon sang et colorait mes joues ; je songeais encore au plaisir ; la poignée de verges de Gabrielle me revenait dans l’imagination ; je courais au bordel le plus prochain, où, au moyen d’un petit écu, je me faisais administrer ce spécifique érecteur et secouer l’engin ; alors je ne me souvenais nullement de ma soixantaine, je souillais les mains de la nymphe des rues qui me faisait ainsi aller et venir, et je revenais au café fier d’avoir encore répandu le baume propagateur et l’essence divine de la vie humaine.

Soit au bordel, soit au café, enseveli dans de profondes méditations métaphysiques, j’attrapai donc mes soixante ans, et mon être s’annula tout-à-fait, c’est-à dire que je cessai tout-à-fait de bander. Je vis avec regret se perdre en moi cette faculté qui avait fait mon bonheur ; je devins chagrin sombre, rêveur, et chaque fois que je jetais les yeux sur une jolie femme, je me disais dans l’amertume de mon cœur : Pauvre Belleval, si tu n’eusses pas commencé à l’âge de quinze ans à te livrer au plaisir, tu pourrais en jouir encore, tu pourrais avec ivresse te précipiter dans les bras d’une créature céleste expirer de plaisir sur son sein et renaître au comble de la félicité suprême.