Le Degré des âges du plaisir/08

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(Attribution contestée)
Vital Puissant ? (T. 1 : Le Degré des âges du plaisir,p. 97-112).





CHAPITRE VIII.

Conclusion.


État critique d’un homme à 60 ans et dernier degré des âges du plaisir ; Belleval fait une dernière épreuve sur ses sens avant de faire un adieu formel aux passions ; désespéré de n’en pouvoir venir à bout, il prend le parti de la retraite et devient philosophe par nécessité. Conclusion de cet ouvrage.


Hélas ! à soixante ans, qu’est-ce qu’un homme qui a aimé les plaisirs et qui les aime encore, quand les facultés d’en jouir sont absolument éteintes ? Son triste individu glacé par l’âge n’est plus qu’une masse froide et inanimée ; il jette çà et là des regards languissants ; si les désirs le consument encore, ce n’est plus que des femmes prostituées qui l’accueillent pour son argent ou qui le rebutent avec mépris quand il est infortuné. S’il se trouve chez une de ces femmes mercenaires qui vident sa bourse, il n’en obtient qu’à prix d’or l’exécution de ces moyens dégradants qui outragent la nature. La plus infâme des coquines lui livre sans passion des appas flétris par la jouissance et le libertinage ; il promène ses mains desséchées sur des tetons flasques, dont la peau coriace est plutôt un objet de dégoût que de volupté. Il sonde d’un doigt tremblant la profondeur d’une matrice excavée par la multiplicité des priapes qui y ont séjourné ; il peut à peine compter les plis d’un ventre retombant à triple falbalas sur des cuisses molles, ridées ou étiques, et quand cette épreuve ne suffit pas pour l’exciter au plaisir et le faire jouir encore des charmes de son existence, il ne rougit pas de retourner à l’état d’enfance et de se faire fouetter jusqu’au sang pour rappeler en lui le germe éteint de la vie. Ô méprisables passions, à quoi réduis-tu la créature !…

C’est ainsi que Belleval raisonnait, en déplorant la perte de sa virilité ; il se trouvait dans cet état de décadence, et pourtant il désirait encore, il ne pouvait, sans ressentir encore quelques frémissements de plaisir, voir une gorge nue ; l’aspect de deux tetons fermes et rebondis le faisait soupirer après le reste du corps, et alors la première prostituée qui tombait sous sa main était celle qui travaillait avec ardeur pendant une heure entière à satisfaire ses sens, en le tirant tant soit peu de cet état d’anéantissement où le jetait sa molle faiblesse.

Il errait tristement le long des murs du Lycée, lorsqu’il fut accroché par une jeune fille, qui l’engagea fortement à venir chez elle, en lui vantant la fermeté de sa gorge, de ses cuisses, de ses fesses, et surtout sa complaisance, en ajoutant qu’elle était sans égale dans le quartier lorsqu’il s’agissait de faire bander les vieux.

À cette épithète de vieux, Belleval rougit et répondit : Eh ! mon enfant, que veux-tu que j’y aille faire ? Je ne bande plus, toutes les ressources de l’art ne peuvent rien contre les lois impérieuses de la nature, je suis un homme mort au monde.

Ce ton lugubre excita la lubrique courtisane qui faisait à Belleval cette douce proposition. Viens toujours, répliqua-t-elle, et si je ne suis pas suffisante pour te faire redresser, mes compagnes, qui sont de bonnes filles et braves comme moi, m’aideront, et je te proteste en honnête putain que tu ne sortiras pas du bordel que tu n’y aies laissé quelques gouttes de ce philtre qui sert à la progéniture.

Tout révoltante qu’était l’invitation, Belleval se laissa conduire, mais en désespérant comme on va le voir de l’effet des prouesses de la complaisante raccrocheuse.

Ce fut en effet en vain qu’elle employa la ressource des verges et celle d’un poignet vigoureux accoutumé à de semblables exercices ; rien ne venait ; le membre de Belleval, qui n’était plus le membre érecteur, le membre par excellence, mollissait entre ses mains, il n’en existait plus qu’une légère idée ; l’agonisant suait sang et eau, tâtait les cuisses, tâtait les fesses de sa laborieuse ouvrière sans pouvoir donner le moindre signe de vie ; enfin il somma la jolie donzelle de tenir sa parole, et voulut essayer le grand moyen, c’est-à-dire les caresses lubriques des autres prêtresses de ce bordel.

Bientôt quatre à cinq de ces gourgandines effrontées parurent dans la chambre, et Belleval en voyant cet escadron féminin commença à concevoir un rayon d’espoir. Ces femmes se déshabillèrent toutes ensemble, et lorsqu’elles le furent, firent remarquer au pauvre épuisé les différentes beautés qu’elles possédaient. L’une vantait ses tetons, l’autre ses fesses, celle-ci sa motte, l’autre gracieusement lui présentait son cul à baiser ; malgré toutes ces opérations, Belleval ne bandait pas.

En un clin d’œil, ces amazones dépouillèrent Belleval de ses vêtements et le mirent nu comme elles, puis, lui posant la tête sur un siége et les pieds sur un autre, elles s’emparèrent chacune d’une des parties de son corps ; l’une à cheval sur ses cuisses les frottait avec le poil épais de sa toison ; une autre s’excitait au plaisir avec son doigt et répandait sur sa figure l’éjaculation qui sortait de sa concavité ; une dernière lui secouait vigoureusement la pique, et tout cela sans opérer métamorphose.

Enfin, fatiguées de l’un et de l’autre côté, les sectatrices de Vénus de ne pouvoir réussir et Belleval d’être tourmenté, le pauvre diable, sans bander, abandonna la partie en gémissant de son inutilité sur laquelle il ne pouvait plus avoir de doute ; il paya généreusement les obligeantes courtisanes, qui consciencieusement avaient bien légitimement gagné leur salaire, et se retira honteux et confus de ne pouvoir plus se regarder au monde comme un être animé.

De retour à son logis, il ouvrit un champ vaste à ses réflexions, dont le résultat fut pour lui d’abandonner la capitale, où il se verrait toujours exposé à voir sans profit des beautés complaisantes qu’il ne pouvait plus contenter, des jeunes gens ivres de plaisir insulter par leurs jouissances multipliées à la honte de son impuissance, des abus qu’en politiquant il n’avait pu réformer, une jeunesse oisive et débauchée et une vieillesse triste et méprisée.

Belleval abandonna donc dès le lendemain ce fracas incompréhensible, cette tourbe de désordres, cette habitation du vice, où l’innocence la plus épurée se corrompt seulement en respirant son air contagieux, et se confina dans une retraite à l’acquisition de laquelle il employa le reste de son revenu échappé du gouffre infernal du jeu et converti en fonds réels.

Tout en cultivant quoiqu’à soixante et quelques années un joli jardin dépendant de l’asile champêtre qu’il s’était choisi, la mémoire de Constance, de cette Constance qu’il avait idolâtrée, lui revenait à l’imagination ; il se reprochait intérieurement d’être la première cause des dérèglements de cette fille infortunée, morte si misérablement au sein de la débauche ; des larmes coulaient de ses yeux abattus et sillonnaient ses joues ; alors il s’appuyait sur sa bêche et se disait à lui-même : Dieu, auteur de mon être, qu’est-ce que l’homme ?

À dix ans, dans l’effervescence du désir, le germe des passions vient l’assaillir ; à vingt ans, il en jouit sans modération ; à trente, livré à la débauche la plus effrénée, il ne met point de bornes à ses désirs ; l’inceste, la jouissance la plus lascive, est le but de ses empressements ; à quarante, libertin raffiné, voluptueux sans délicatesse, il met en usage, lorsqu’il est célibataire, toutes les ressources honteuses que lui suggère son tempérament ; à cinquante, il réclame les secours de la prostitution, et à soixante, il ne bande plus. Hélas ! hélas ! c’est là que je suis logé ; que devient-il donc alors, un philosophe, un sage, et c’est ce que je prétends être ? En réfléchissant ainsi, Belleval remuait la terre et arrosait les fleurs, qu’il comparait à la destinée de l’homme, et c’est de cette façon qu’il termina sa carrière.

CHANSON.

Depuis 60 ans jusqu’au tombeau. Âge des regrets.


Air : d’un bouquet de romarin.


De ce joli passe-temps,
Adieu donc l’usage ;
Car j’apprends à mes dépens
Que ce n’est plus l’âge
Pour moi de baiser tendron,
Qui très-leste et sans façon
M’offre sous son blanc jupon
Ce bel avantage.

À quoi servent les leçons
D’aimable folie ;
Ne plus bander ces chansons
Au temps de la vie
Où l’homme n’a plus d’orgueil
De braver ce triste écueil
Et qu’il dit bonsoir en deuil
À la compagnie.

Dieux ! quels terribles fléaux !
Quel affreux présage,

Je vois creuser mon tombeau,
Non, plus d’enconnage ;
Adieu pour moi l’univers,
Je m’en vais foutre aux enfers,
Sans le prendre de travers,
Dites : c’est dommage.




Le Degré des âges du plaisir, suivi de L’École des filles, 1863, T1-p113.jpg
Le Degré des âges du plaisir, suivi de L’École des filles, 1863, T1-p113.jpg

Les trois métamorphoses,


Conte en vers et en prose, pour servir de supplément
au degré des âges,


PAR LE MÊME AUTEUR.


Bagatelle à l’ordre des temps.


Je veux chanter dans ce conte gaillard
Du plus affreux trio toute la turpitude,
Et sans choisir mes portraits au hasard,
Les peindre au naturel, en faire mon étude ;
Dévoiler les plaisirs de trois membres choisis
Dans ces sérails charmants du centre de Paris,
Oui, c’est toi que j’invoque, ô mon aimable muse !
Dans ce moment je te prends pour plastron ;
Et si ton art charmant à ma voix se refuse,
Je t’appréhende et te saisis au con.

Pardon, lecteurs scrupuleux, je n’écris pas pour vous, renfermés dans la classe des citoyens qui ne s’occupent qu’à méditer les prodiges étonnants de notre révolution française ; vous n’accordez plus d’instants au plaisir ; sourds à sa voix, vous voyez avec indifférence ces jeunes et jolies républicaines qui, rangées en haie sous les galeries et aux entresols du palais Égalité, qui, par maintes et maintes provocations lascives et libertines, veulent s’assurer de vos sens, de votre bourse et jouir du bénéfice du marché ; le prix de leurs faveurs est le pot de vin de leurs grâces.




Mais c’est à vous que je m’adresse,
Charmants roués, grands libertins,
Blâmerez-vous que mon cœur s’intéresse
Au jeu plaisant d’une tendre catin ?
À ces transports d’un prélat d’Église,
Aux faits galants d’un trop épais robin,
Je ne le puis consultant ma franchise,
Tout y joignant l’auspessade Jobin.




Je viens à mon fait et vais vous raconter comment la déesse de la lubricité elle-même sut punir, dans un de ces asiles consacrés aux tendres mystères, un prélat hypocrite, qui, interprétant les décrets du ciel à sa guise, rangeait les courtisanes de la capitale au nombre des houris, que l’un de nos imposteurs en matière de religion, le sublime Mahomet, avait placées dans son paradis pour la joie des fidèles croyants.


À ce tableau joindre mon militaire,
Qui, toujours leste, alerte et bien fringant,
Baisant partout et sans donner d’argent,
Du doux plaisir faisait sa seule affaire.
Au rabat empesé, vous connaîtrez le drille,
Qui, dans ce lieu, pour un petit écu,
Visitait le vagin d’une agréable fille,
En se nommant le magistrat cocu.




Mes trois personnages, travestis à qui mieux mieux, et désirant en eux les feux de la paillardise, un jour de calme et de tranquillité, se rendirent dans un temple devenu l’un des mieux famés de Paris en même temps que le mieux fourni ; les brunes et les blondes s’y trouvaient rassemblées, tous les désirs s’y trouvaient satisfaits, depuis ceux de l’évêque mîtré jusqu’à ceux de l’indigent et brave sans-culotte.




Ce fut chez vous, ô digne pourvoyeuse,
Belle Desglands[1], qu’une rage amoureuse
Amena ce trio guidé par le plaisir
Et dont un joli cul enchaînait le désir.
À leur accoutrement, qui les aurait
Pris d’abord, l’un pour Machault,
Ci-devant évêque d’Amiens, et maintenant
Aumônier du diable, moi seul sans
Doute qui sais qu’il n’est pas étonnant
Qu’un prêtre délivré de l’emploi, de l’autel,
De l’église, n’ait fait qu’un saut jusqu’au bordel.
L’autre était Montesquiou, bien mince général,
Ce coquin renommé qui nous fit tant de mal,
Et le tiers un rabat de chicane encroûtée,
Tourment de la vertu souvent persécutée.
C’était Janson, ce conseiller fameux,
L’opprobre de la terre et l’effroi des neveux,
Qui, du lâche produit de ses fortes épices,
Du palais au boucan gagnait des chaudes-pisses ;
Muse ! aide à ma prose, je t’ai dépeint mes
Personnages ; voyons comment ils se tireront
Maintenant de leur équipée scandaleuse,

Et comment ces trois gueux de crimes revêtus
Ont pratiqué les vices en jouant les vertus.

Machault, Montesquiou et Janson furent donc chez la Desglands demander chacun une fille. Julie Desbois, Dorothée de Ginville et Elisabeth la Comtoise furent destinées à passer en campagne avec ces messieurs.

Janson parla procès, et Montesquiou combats,
Mais pour bien terminer tous ces affreux débats,
L’hypocrite Machault obtint la préférence ;
On sait que d’un prélat c’est la prééminence.

Julie Desbois lui appartient, mais ô triomphe de l’Église, au moment que le ci-devant évêque d’Amiens s’apprêtait à engainer son mou et flasque outil, il resta court, et ma Julie lui dit :

Je salue maintenant votre sage éminence ;
En très-bonne putain, j’offre ma révérence.
Ginville présenta son énorme vagin
À ce traître soldat, qui des bords d’outre-Rhin,
De nos républicains n’embrassa point l’injure
Et n’agit que d’après la plus lâche imposture.

Montesquiou resta là. Ce membre superbe, qui apaise la femme la plus acariâtre, fut sans effet ; deux, courtisanes délaissées, deux personnages à quia ; que devint le troisième ; c’est Janson que je mets en scène :

Je viens baiser, dit-il, au nom du parlement,
Et prends sur moi les frais de cet événement.
Si sur cet exposé un lâche peuple glose,
J’en appelle au Sénat, et lui seul en impose.

Souveraine protectrice des plaisirs, éloigne-toi du local de la Desglands ; ta présence y serait outragée, un prêtre, un général y ont débandé, un magistrat a couronné l’œuvre. Comment réparer cet outrage, consommé pour ton culte ; mais qu’entends-je ? La paillasse s’agite, le ciel du lit s’écroule.

Et le bidet casse en plus de mille éclats,
Fait taire le robin et le dieu des combats.
Le prélat s’agenouille et marmotte une excuse,
Soutient qu’il n’a pas tort, que du lieu c’est la ruse,
Que l’on peut enfin, fier du droit de l’autel,
Bénir une putain, fût-ce même au bordel.

Mais qui apparaît à mes regards, c’est la lubricité ; elle fixe un œil de courroux sur le triumvirat. Calotte détestable, s’écria-t-elle dans l’excès de sa rage, atome décoré d’un hausse-col, et toi, vil organe des lois, relégué dans la poussière des bancs de la grande salle, il est temps que ma vengeance éclate.

Tous trois, rebut affreux des sinistres destins,
Vous êtes dédaignés par de viles putains.
Je saurai me venger de cet affront infâme,
Je le dois à mon sexe, en un mot, je suis femme ;
Il est temps que l’amour vous donne une leçon,
À la lubricité, reconnaissez mon con.

À genoux et la bouche béante, les trois mirliflors se turent et la lubricité continua.

Vous, prêtre, président, toi, lâche, reste là.
Je vais me préparer à toute ma vengeance
Sans que le moindre mot serve à votre défense.
D’une tête de chien maintenant bien parés,
De tous vos partisans vous serez exécrés,
Et pour mieux vous punir, de tous vos attributs,
Lâches profanateurs, vous serez revêtus.

Ô merveille ! de trois têtes je n’en vis plus qu’une, et les plus laids museaux remplacèrent les visages de Machault, de Montesquiou et de Janson. Je m’écriai alors :

Ecce homines.

Tout confus et aboyants, ils abandonnèrent ce lieu de prostitution ; mais leur nouvelle caricature, gravée et répandue dans le public, dira à l’amateur : Tels sont nos traits fidèles.


FIN DU PREMIER VOLUME.

  1. Maquerelle connue, rue Ste-Anne, Butte St-Roch.