Le Dialogue (Hurtaud)/101

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 370-372).


CHAPITRE IV

(101)

Comment ceux qui sont éclairés par cette troisième lumière très, parfaite, reçoivent, en cette vie, un gage de vie éternelle.

Pourquoi t’ai-je dit qu’ils recevaient les arrhes de la vie éternelle ? Je dis les arrhes, non le prix.

Le prix, ils attendent de le recevoir en Moi qui suis la Vie durable, où l’on trouve la vie sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans tourment. La faim sera exempte de toute souffrance, puisqu’ils posséderont ce qu’ils désirent le rassasiement sera exempt d’ennui, parce que je suis l’aliment de vie, sans défaut aucun.

Mais il est vrai que, dès ici-bas, ils reçoivent les arrhes de cette vie éternelle et commencent à la goûter, parce que l’âme est affamée de mon honneur à moi le Dieu, éternel, et de cette nourriture qui est le salut des âmes ; et comme elle en a faim, elle s’en nourrit. Oui, l’âme se nourrit de la charité du prochain, dont elle a faim par le désir. C’est là sa nourriture, et de cette nourriture elle n’est jamais rassasiée, parce qu’elle est insatiable, aussi en a-t-elle toujours faim. Les arrhes sont un commencement de sécurité, que l’on accorde à l’homme pour lui faire attendre le prix complet : non que les arrhes soient par elles-mêmes une garantie parfaite, mais, par la foi qu’elles engagent, elles donnent la certitude d’obtenir le surplus et de recevoir le paiement intégral.

De même cette âme, éprise et revêtue de ma Vérité, a déjà reçu en elle-même, dès cette vie, les arrhes de ma charité et de celle du prochain ; elle n’est pas encore parfaite, elle attend encore la perfection de la vie immortelle.

Ces arrhes, ai-je dit, ne sont pas parfaites car l’âme qui goûte la charité ne possède pas encore la perfection, au point de ne plus sentir aucune peine, soit en elle-même, soit dans autrui. Elle souffre en elle-même à cause de l’offense commise contre moi, par la loi de perversité qui est dans ses membres, quand il lui prend fantaisie de se révolter contre l’Esprit. Elle souffre en autrui, par les offenses du prochain. Elle est bien parfaite dans la grâce : mais non de cette perfection, que possèdent mes saints, qui sont unis à moi-même la Vie durable, et dont les désirs sont exempts de peine, alors que les vôtres sont mêlés de souffrance. Comme je t’ai dit en un autre endroit, mes serviteurs, qui prennent leur nourriture à la table de ce saint désir, sont tout à la fois heureux et affligés, à l’exemple de mon Fils unique, sur le bois de la très sainte Croix, dont la chair était toute Ca douleur et tourment, tandis que son âme était béatifiée par l’union de la nature divine. De même, mes serviteurs sont heureux, par l’union de leur saint désir avec Moi, revêtus qu’ils sont de ma douce volonté. Et souffrants ils sont aussi, par leur compassion à l’égard du prochain, et par les mortifications qu’ils infligent à leur propre sensualité, pour la sevrer des plaisirs et des joies sensibles.