Le Disciple de Pantagruel/1875/20

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Texte établi par Paul LacroixLibrairie des bibliophiles (p. 51-52).


D’une isle où croissent les corbeaulx et les chèvres verdes, et de quelle sorte les gentilhommes du pays font des manteaux pour se couvrir quand il pleut, et comme en fin lesdictes chèvres deviennent femmes.

CHAPITRE XX.


ENTRE les merveilles de par delà, c’est qu’il y a de grandz corbeaulx noirs, aussi blancs que signes, qui vivent en l’aer comme vaches, qui est une chose digne d’admiration.

Et d’advantaige, il y a foison de chèvres verdes, qui ont les aureilles plus larges que les vens dont on venne le bled.

Quand il pleut ou qu’il gresle, ceulx qui les meinent paistre se cachent dessoubz, de peur d’estre mouillez de la pluye.

Elles sont cornues, mais elles ont la corne au cul soubz la queue, qui n’est pas droictement en bon sens.

Quand elles voyent les gens, elles s’enfuyent de peur, et courent fort comme escrevices ou limassons es montaignes d’Auvergne.

Quand elles sont vieilles, les gentilz hommes du pays leur font coupper les aureilles et en font des manteaux qui sont fort beaux, car ilz sont plus fin verds que le plus fin velours ou satin que vous veîssiez jamais.

Après qu’elles ont les aureilles couppées, elles deviennent femmes et sont nommées chievrea coeffées. Il y a plusieurs folz qui en sont si amoureux qu’ilz en perdent les piedz, comme font les amans, lesquelz baisent souvent la clicquette de la porte de celles qu’ilz pensent estre leurs amyes.