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Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/00

La bibliothèque libre.
Société des Écrivains Catholiques (p. 1-5).

À

L’HON. L. A. DESSSAULES

PRÉLIMINAIRES



M. Dessaulles doit se sentir soulagé. Le pauvre homme souffrait d’une furieuse indigestion, si l’on en juge par la masse informe et putride qu’il a vomie. L’indigestion est un mal fréquent chez ceux qui n’usent pas d’une nourriture saine ; M. Dessaulles est là pour nous en fournir la preuve. Il s’obstine à grignoter les plantes vénéneuses qui ont été implantées dans le parc fangeux, que l’on nomme l’Institut-Canadien de Montréal ; or, tant qu’il grignotera de ces choses-là, il aura le hoquet, éprouvera des nausées et des spasmes, puis finira par dégobiller sans cérémonie en pleine place publique.

Il ne se croit pas malade du tout cependant. Il est même l’homme du monde le plus satisfait de sa santé, surtout de sa santé morale et intellectuelle. Il en est si satisfait qu’il pose complaisamment comme type de candeur et d’innocence, de sincérité et de justice, de zèle éclairé et de piété tendre, de logique et de savoir.

Qui connaît ce merle, sait que depuis longtemps la candeur et l’innocence, la sincérité et la justice ont déserté de chez lui pour établir domicile ailleurs. Elles se trouvaient si mal logées !

Le zèle, dont il semble brûler pour tant de choses saintes qu’il voit outrager avec stupeur, comme il dit, est un feu qui n’est pas malin du tout. S’il n’a que lui pour se réchauffer il n’échappera certainement pas au frisson.

Sa piété est du même genre que son zèle à peu près ; elle a ceci de particulier que c’est une grimace qui n’est pas du tout belle à voir.

Quant à la logique et au savoir, il est fort amusant de l’entendre se vanter d’en avoir la possession pleine et entière. S’il se décide un bon jour à émigrer au pays des oies et des singes, ses co-religionnaires, M. Dessaulles pourra peut-être prétendre à occuper là une place quelque peu distinguée à titre de penseur et de logicien ; mais hors de là, bernique ! Le dernier œuf qu’il a pondu n’a que du volume ; pour de la logique et du sens commun, il n’en contient pas un atome.

Et s’il s’agit du savoir, comment M. Dessaulles peut-il prétendre en avoir ! N’a-t-il pas pris soin de lui fermer hermétiquement toutes les avenues en se cuirassant de cent épaisseurs d’ignorance ? Qu’on ne m’objecte pas qu’il doit être savant, puisqu’il fait des livres. Être auteur comme il l’est, n’est pas chose difficile : il suffit de savoir salir du papier, voilà tout.

Il ne laisse pas cependant de se prendre au sérieux et il aime à se rendre hommage. Il se sent infiniment sage, raisonnable, profond, savant, inspiré, religieux. Il le dit et le répète, sans avoir pourtant assez de ressources pour varier ses tours de phrases. Avec tout cela, il ne possède de disciple convaincu que lui-même.

Ridiculement barbouillé de Voltaire, Rousseau, Quinet, Michelet, Eugène Sue, Victor Hugo et d’autres de même acabit, il se dresse fièrement sur les pattes de derrière, et se proclame ni plus ni moins que le seul interprète véridique et infaillible des Saintes Écritures. C’est la pure vérité ; je n’exagère pas le moins du monde. À l’entendre, c’est lui qui est le vrai pontife du catholicisme ; il n’y en a pas eu et il n’y en a pas d’autres que lui. Il veut forcément nous amener à conclure qu’il n’y a de Dieu que Dieu et que Dessaulles est son prophète.

Puisque M. Dessaulles en est rendu à copier Mahomet, j’aimerais beaucoup à savoir s’il a, lui aussi, voyagé sur la jument El-Borac, et si la divinité l’a favorisé jusqu’au point de lui permettre des entretiens intimes avec le grand coq blanc que son précurseur et maître a rencontré dans le premier ciel. J’incline à croire qu’il a eu ces privilèges, car il affirme carrément que l’Église n’a jamais bien compris ce qu’était l’esprit du Christ. Pour lui, il le comprend, et si l’Église veut avoir assez de bonne volonté pour suivre ses cours de dogme, il lui promet de lui communiquer en quelques jours seulement plus d’intelligence que n’a pu lui en communiquer le Saint Esprit en dix-huit longs siècles.

M. Dessaulles accuse les Papes de vouloir se faire Dieux : n’est-ce pas lui plutôt qui est travaillé de cette sacrilège manie ?

Les Papes ! il en dit long sur leur compte. Il trouve qu’ils ne s’y entendent guère en religion. Quant aux évêques et aux prêtres, il n’hésite pas à déclarer qu’ils n’y entendent rien du tout.

Il se propose de ramener tout ce monde-là à la raison, non pas à la raison telle qu’on l’a entendue jusqu’ici, mais à la raison laïque. Disons-le de suite : dans ses mirobolantes cogitations, l’illustre Dessaulles, cet homme-puits, comme dirait Victor-Hugo, a découvert qu’à une certaine période de la vie, qu’il ne détermine point, la raison humaine se bifurque : d’une part, elle devient raison laïque et de l’autre, raison ecclésiastique. La première est excellente ; la seconde ne vaut absolument rien. Pourquoi cela ? C’est ce que notre vase d’érudition n’explique point ; mais il est à présumer que c’est parcequ’une soutane ne permet pas des allures aussi dégagées qu’un habit à queue.

Entre tous les évêques, il en est un qui a le privilège de lui déplaire singulièrement, et c’est surtout pour harceler cet évêque qu’il a mis au jour le monstrueux pamphlet hérétique qu’il intitule : « La grande guerre ecclésiastique. » Cet évêque, est Mgr de Montréal. Il se plaint que le vénérable prélat est toujours sur son dos. C’est peu croyable, car jamais Mgr de Montréal ne s’est servi d’une aussi chétive mouture, quelque amour de l’humilité qu’il ait. Néanmoins, il persiste à se plaindre et répète le même refrain jusqu’à s’ennuyer lui-même, quel que soit son goût pour l’assommant.

Qu’a donc fait à M. Dessaulles le vénérable évêque de Montréal, ce pasteur si pieux, si saint, si rempli de mansuétude ? « Plein de mansuétude, de piété et de sainteté ! interrompt M. Dessaulles en trépignant de colère. Ce n’est pas vrai ; vous vous trompez grossièrement. Oubliez-vous donc qu’il a condamné l’enseignement qu’on puise à l’Institut-Canadien de Montréal et qu’il a fait ratifier cette condamnation par Rome ? Oubliez-vous encore qu’il a condamné et fait condamner par la Congrégation de l’Index l’Annuaire du dit Institut qui se sentait fier et heureux de porter dans ses flancs la plus belle dissertation que m’ait jamais inspirée la raison laïque ? Comment après cela lui trouver de la mansuétude, de la piété, de la sainteté surtout. C’est un opiniâtre, un hypocrite, un homme qui tend à exercer partout sa domination. Mon cher Institut ! ma belle dissertation ! Ça me saigne le cœur de les voir voués à l’exécration publique. Ça m’exaspère aussi, et je veux les venger, coûte que coûte. »

Et là-dessus le voilà parti. Pour démontrer que son cher Institut-Canadien et sa belle dissertation, pure expression de la raison laïque, sont aussi immaculés que le grand coq blanc que vit Mahomet dans le premier ciel, malgré les flétrissures indélébiles que leur ont imprimées les très-justes condamnations de Rome et de Mgr de Montréal, il compile gauchement tout ce que les plus sots d’entre les impies se sont avisés de dire contre la divinité et l’autorité de l’Église, contre la puissance spirituelle et temporelle du Pape, contre la pureté de sa doctrine et son infaillibilité, contre les prétentions intolérables et les vices du clergé ; il jette tout cela dans un effroyable pêle-mêle, sans autre ciment qu’une bave insolente, puis il s’écrie : « Voyez si l’Institut et moi ne devions pas être immanquablement condamnés, n’ayant affaire qu’à des ignorants, des fourbes, des hypocrites, des mécréants. » Se calmant peu à peu, il finit par prendre le ton plaintif en constatant que le manteau d’innocence le recouvre et que l’auréole de justice, qui brille sur son front, toujours demeuré candide, ne sont vus que de lui seul.

Est-il possible ! Rester incompris, quand on a tant d’esprit, même du génie ! N’être pas aimé, quand on a tant de vertus ! Se voir dédaigné, lorsqu’on a tant de charmes ! Grand Dieu ! Malherbe ne s’est donc pas trompé lorsqu’il a dit que dans ce bas monde,

…les plus belles choses,
Ont le pire destin.

Aimable et pur M. Dessaulles ! Je compatis beaucoup à toutes vos infortunes. Pour vous consoler, je vais jeter un léger coup d’œil sur votre Grande guerre ecclésiastique, et vous faire constater ce que vous ne soupçonnez peut-être pas, qu’il y a là-dedans des bêtises et des énormités en si grand nombre que cinquante paires de bœufs ne les porteraient pas. Or, ayant été gros d’autant, non-seulement pendant quelques mois, mais pendant des années entières, vous êtes nécessairement une puissance de première ordre. La conclusion est rigoureuse.

Comme vous tenez à ne pas rester confondu dans la foule, malgré les feintes tendresses que vous lui témoignez, je suis bien sûr de vous faire grand plaisir en établissant que les prémisses qui amènent cette conclusion sont de tout point inattaquables. Vos droits à ne plus figurer parmi le commun des mortels seront ainsi publiquement reconnus, et l’on vous casera là où personne ne s’avisera plus de vous déranger.