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Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/20

La bibliothèque libre.
Société des Écrivains Catholiques (p. 79-85).

XX.


La Polémique religieuse en Canada. — On se déchire entre prêtres et évêques. — La « Comédie Infernale. » — Le « Nouveau-Monde » et le « Franc-Parleur. »


La polémique religieuse, lorsqu’elle est surtout conduite et faite par des prêtres, excite votre rage, M. Dessaulles. Il n’est guère possible que ce phénomène ne se produise point, étant ce que vous êtes. Comme tous ceux qui exercent le brigandage, vous redoutez que la lumière se fasse et découvre la profondeur des abîmes où vous et les vôtres désirez précipiter notre société, afin de trôner sur ses débris, après vous être engraissé de ses dépouilles.

Vous faites mine d’éprouver une vive horreur en voyant des ecclésiastiques discuter contre d’autres ecclésiastiques, et, pour mettre davantage en relief le calme où se complait votre vertu, vous peignez la tempête bien plus grosse qu’elle n’est en réalité. Les hyperboles outrées vous semblent le meilleur moyen de réaliser les coupables espérances que vous avez conçues. Rappelez-vous cependant que la vérité seule est féconde et qu’on ne bâtit rien de durable sur le mensonge.

S’il était vrai que vous fussiez convaincu que les discussions entre ecclésiastiques ont été ce que vous dites ; s’il était vrai que vous fussiez plein de cette charité chrétienne que votre bel œil ne découvre plus dans l’Église, auriez-vous renchéri, et renchéri au-delà de toute expression, sur tout ce qu’ont été obligés d’écrire, pour défendre les droits de la vérité et de la justice, ceux que vous incriminez aujourd’hui ? Vous trouvez blâmable, affreux, même horrible, que des prêtres usent à l’égard de leurs confrères d’un droit, que la raison et la religion reconnaissent et consacrent, et vous, vous allez, sous prétexte de redresser leurs prétendus torts, accumuler injures sur injures, calomnies sur calomnies ; vous entassez même ordures sur ordures ! Vous vilipendez, en termes les plus hideux, homme charitable que vous êtes, l’Église du Christ et ses augustes chefs et ministres, le Pape, les Évêques, les Prêtres et les Religieuses, que vous traitez de fainéants et de misérables ; et puis, après avoir ainsi sali de votre bave immonde tout ce qu’il y a de plus sacré sur la terre, vous venez prêchez la charité chrétienne et le respect dû aux choses saintes ! Est-ce donc ainsi qu’on procède, lorsqu’on est autre chose qu’un Tartuffe raffiné ? Quand donc un seul jet de pure lumière pénétrera-t-il dans votre esprit dépravé, et vous fera-t-il au moins soupçonner que tous vos écrits ne sont qu’un verbiage incohérent, un radotage sacrilège ?

Si les discussions vous offusquent tant, pourquoi, homme juste, ne vous élevez-vous point contre cette fange que ballottent et se renvoient constamment, la plupart des journaux canadiens, à propos d’intérêts sordides, d’odieux tripotages, d’affaires de cuisine et parfois d’écurie ? Il y aurait là de quoi exercer votre zèle.

Quand les ecclésiastiques du Canada se sont fait ce qu’on a improprement appelé la guerre, ils n’ont été mus que par le désir de s’éclairer les uns les autres, de faire triompher ce qu’ils jugeaient le plus propre à produire le bien général. Quelques-uns ont pu se tromper ; Dieu seul jugera de leurs intentions et de leur culpabilité.

Quant à vous, vous vous proposez tout autre chose que de servir la vérité et la justice, de rendre hommage à la charité chrétienne, lorsque, chétif putois, vous tentez d’imprégner l’Église et ses ministres de votre odeur de putréfaction. La preuve en est toute faite. Pour la compléter, s’il en est besoin, je vous rappellerai que vous menacez le clergé, dans le cas où il remplirait, en temps d’élection, les devoirs dont l’ont chargé Dieu et l’Église, de publier, au risque de causer un immense scandale, tous les désordres, même secrets, dont quelques-uns de ses membres ont pu se rendre coupables. On sait d’avance ce que votre haine et la dépravation de votre esprit peuvent exagérer et inventer en pareille matière ; mais, ce qu’on ne comprend pas, c’est que, nourrissant, dans la boue de votre cœur, d’aussi criminels desseins, vous ne cessez point de vous vanter de modération, de justice et de charité.

Entrons maintenant dans quelques détails. À propos des affaires des MM. de Saint-Sulpice avec Mgr l’évêque de Montréal, vous avouez que, dans le principe, ce dernier avait parfaitement raison d’exiger ce qu’il exigeait ; mais vous le blâmez d’avoir persévéramment tenu à employer les moyens les plus propres à obtenir complète satisfaction. Si vous étiez un homme de loi de quelque valeur, vous comprendriez que quiconque a droit à la fin a par là même droit aux moyens d’arriver à cette fin ; l’un ne va pas sans l’autre.

Vous répliquez que Mgr de Montréal a pris de mauvais moyens pour se réintégrer dans ses droits d’évêque usurpés ; que les congrégations romaines ont condamné ces moyens, et que, malgré cela, Mgr de Montréal n’a pas voulu céder. À l’appui de semblables avancés, vous invoquez une lettre que Mgr l’archevêque de Québec écrivait l’automne dernier, et de cette lettre vous concluez que Mgr de Montréal cherche des faux-fuyants pour éluder les décrets de Rome, que la soumission avec laquelle il semble les recevoir n’est ni franche, ni loyale, ni complète.

Je ne nierai pas que Mgr l’archevêque de Québec a paru dire ce que vous rappelez ! mais l’accusation, portée contre son vénérable collègue, serait si grave et si dénuée de fondement, qu’il n’est pas possible de croire que le prélat, reconnu et exalté par vous-même comme pacifique, charitable et très-calme, ait eu l’intention que vous lui prêtez. Aurait-il eu cette intention d’ailleurs, tous les torts auraient été de son côté, puisque Rome a maintenu tout ce que Mgr de Montréal avait réglé comme conforme aux décrets rendus par elle et les a même amplifiés en sa faveur.

Une chose qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que Mgr l’archevêque de Québec peut se tromper sans que l’Église en soit ébranlée, ou compromise. On a déjà vu des archevêques, et mêmes des patriarches, non seulement, se tromper, mais s’opiniâtrer dans leur erreur, et, l’Église, malgré leur défection, n’a pas cessé d’exister et d’exister telle qu’elle était.

Vous vous constituez l’avocat des MM. de Saint-Sulpice, ce qui certes ne prouve pas en faveur de leur cause, et, jouant ce rôle pour le moment, vous ne pouvez manquer de porter un jugement quelconque sur la Comédie infernale. Vous n’hésitez pas d’abord à proclamer que les faits, rapportés dans cette œuvre, ne sont pas du tout prouvés. Malheureusement c’est tout juste le contraire qui est vrai : il y a surabondance de preuves dans la Comédie infernale, et c’est si bien le cas, que, ne pouvant l’attaquer de front, on en est réduit, à la calomnier. Si elle ne prouve pas, démontrez-le ; c’est bien le moins qu’on puisse exiger.

Au nom de la charité chrétienne et du respect que méritent des hommes revêtus d’un caractère sacré, vous reprochez ensuite à l’auteur de la Comédie, très-édifiant M. Dessaulles, de flétrir publiquement des prêtres honorés de l’estime de tous. À cela, je répondrai que l’auteur de la Comédie n’a nullement flétri les MM. de Saint-Sulpice. Si ces Messieurs sont flétris, ils ne doivent accuser qu’eux-mêmes, car enfin la Comédie ne renferme rien autre chose à leur charge que leurs propres actes, et ces actes, l’auteur de la Comédie les a ramassés là où chacun pouvait les prendre, c’est-à-dire dans le domaine du public. Il était juste, même nécessaire que, dans un débat, qui n’aurait pas dû avoir le triste retentissement qu’il a eu, mais qui a ému la majeure partie du pays par la seule indiscrétion des MM. de Saint-Sulpice, quelqu’un prit la défense de Mgr de Montréal et fit envisager les faits sous leur vrai jour.

« Les MM. de Saint-Sulpice sont donc des rebelles, des révoltés, des prêtres gravement coupables, dignes de toutes les censures ecclésiastiques, objectez-vous ? Mais alors, il y a donc des prêtres qui faillissent dans l’accomplissement de leurs devoirs ? Et, quant aux MM. de Saint-Sulpice, s’ils sont tels qu’on nous les peint, comment expliquez-vous que Mgr de Montréal ait pu les qualifier de Saints ? Ah ! quand l’intérêt de tout le corps le demande, on n’hésite pas à se décerner publiquement les titres les plus flatteurs ; mais, à huis-clos, on se déchire, on s’écorche à qui mieux mieux, et l’on fait bon marché de toutes ces qualifications dont on n’use que pour leurrer les simples et les ignorants. Quand les esprits s’échauffent, ils laissent pénétrer à l’extérieur les petites misères qui les rongent. »

Voilà comme vous parlez, M. Dessaulles, et votre langage, cette fois-ci comme toujours, est au service du mensonge et de l’impiété.

Qu’il y ait eu des prêtres, même de hauts dignitaires ecclésiastiques, qui aient manqué à leur devoir ; qu’il y en ait encore qui ne marchent pas dans le droit chemin, c’est ce que tout le monde sait et déplore. Les uns tombent pour ne plus se relever ; les autres faiblissent un moment et se relèvent. C’est là l’histoire de tous les temps, depuis que l’Église est fondée. Judas est à la tête des uns ; saint Pierre à la tête des autres.

Personne n’a jamais prétendu que les MM. de Saint-Sulpice sont des prêtres véritablement en révolte contre leur évêque et dignes d’interdit ; non, jamais. Ces Messieurs reconnaissent l’autorité de leur premier pasteur ; mais ils lui ont refusé, relativement à eux, illusionnés par de dangereuses doctrines qu’ils ont pu croire exemptes d’erreur, l’exercice de toute sa juridiction. Mgr de Montréal, reconnaissant que ces prêtres valaient infiniment mieux que plusieurs de leurs idées, a pu et même dû leur donner des éloges quand ils opéraient le bien, les qualifier même de prêtres saints et zélés, tout en travaillant patiemment et paternellement à les débarrasser du funeste bagage qu’ils portaient. Vous, l’homme charitable par excellence, seriez-vous donc opposé à ce que la charité fut autre chose qu’un vain mot ?

Lorsqu’on a des idées faites depuis longtemps et qu’elles ont surtout servi de régie de conduite, on s’en débarrasse difficilement. Mgr de Montréal, en véritable évêque qu’il est, a compris cela. Il n’a rien voulu brusquer ; mais il a usé d’une grande douceur et de beaucoup de longanimité à l’égard des MM. de Saint-Sulpice, sachant, encore une fois, qu’il n’avait point affaire à de vrais coupables, mais à des fils trop pleins, sans le soupçonner, de leurs propres manières de voir. Lorsque leur résistance a pris des proportions qui la rendaient intolérable, il est devenu nécessaire d’élever la voix contre eux, tant pour sauvegarder les droits de l’autorité, que pour amener ces Messieurs à réfléchir, leur ouvrir les yeux et par suite les replacer dans l’ordre.

Voyez-vous ici, M. Dessaulles, l’immense différence qui existe entre votre manière de procéder à l’égard des prêtres et des évêques, et celle des écrivains véritablement catholiques ? Sous prétexte de donner au clergé d’utiles leçons et de le reformer, vous le représentez, comme infâme, afin de le faire tomber, s’il est possible, sous le coup du mépris public, et par suite de ruiner la religion de fond en comble. Pour les écrivains catholiques, s’ils disent parfois des choses peu agréables aux prêtres et aux évêques, ils le font uniquement par devoir, tâchant toujours, en obéissant à leur conscience, de ne blesser en rien les plus strictes convenances ; ils n’ont pour but que d’avertir ceux qu’ils aiment de toute leur âme du danger qu’ils courent eux-mêmes et auquel ils exposent les autres, de les amener insensiblement, non seulement à briller d’un vif éclat dans le temple du Seigneur, mais à en être les colonnes vivantes.

À votre âge, M. Dessaulles, dans votre position et avec le savoir incomparable que vous êtes si fier de posséder, vous devriez être en état de comprendre qu’il n’y a aucune parité, aucune similitude entre votre cas et celui des prêtres et des évêques qui ne professent pas les mêmes opinions. Ces derniers sont tous d’accord sur les principes auxquels ils tiennent plus qu’à leur vie même ; ils ne sont divisés que sur la manière d’appliquer ces principes, advenant tels et tels faits, accompagnés de telles et telles circonstances. Mais vous, c’est aux principes mêmes que vous vous attaquez, et vous prétendez qu’ils n’existent point, parcequ’ils sont parfois d’une application difficile. Autant, vaudrait dire qu’il n’y a ni physique, ni chimie, ni médecine, ni droit, ni philosophie, vu qu’il arrive souvent qu’on ne sait trop comment appliquer les principes qui régissent ces diverses sciences.

N’accusez donc plus le Nouveau-Monde et le Franc-Parleur d’avoir maltraité les prêtres et les évêques, et d’avoir franchi des limites que vous avez toujours respectées. « Cela donne le vertige, Mgr ! » dites-vous. Hypocrite ! oui, il faut que vous soyez réellement pris de vertige pour voir les choses de cette façon. Dans les luttes qu’ils ont faites et soutenues, le Nouveau-Monde et le Franc-Parleur n’ont combattu qu’en faveur de la vérité catholique, qu’ils ont crue lésée dans la manière d’appliquer les principes lorsque certains faits se sont produits. Qu’ils se soient trompés ou non dans l’appréciation de ces faits, une chose reste très-bien établie : c’est qu’ils n’ont que développé les enseignements de la doctrine catholique, tandis que vous, aveuglé par les émanations impures du puits de l’abîme, vous n’écrivez qu’en haine de la vérité révélée ; leurs reproches et leurs attaques ne sont au fond que charitables avertissements ; les vôtres ont pour but de salir et d’étouffer dans la boue ceux à qui ils s’adressent.