Le Livre du Voir-Dit/Le Livre du Voir-Dit

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Société des bibliophiles français (p. 1-371).

LE

LIVRE DU VOIR-DIT.


À la loenge & à l’onnour
De tres-fine Amour que j’honnour,
Aim, obéy & ſer & doubte,
Qu’en lui ay mis m’entente toute ;
Et pour ma gracieuſe dame
À cui j’ay donné corps & ame,
Vueil commencier choſe nouvelle
Que je feray pour Toute-belle.
Et certes je le doy bien faire ;
Qu’elle eſt de ſi tres-noble affaire,
Tant ſcet, tant vault, qu’en tout le monde
N’a de villenie ſi monde,
Ne de bonté ſi bien parée,
Ne de biauté ſi aournée.
Si me vueil de li loer taire ;
Car ce n’ert pas ſi fort à faire
D’oſter le tour dou firmament,[1]
Com de li loer proprement.

Or vueil commencier ma matiere,
Pour ma tres-douce dame chiere ;
Et diray toute m’aventure
Qui ne fu villaine ne ſure ;
Ains fu courtoiſe & agréable,
Douce, plaiſant & delitable.
Car j’eſtoie deſcongnéus,
Et de joie deſpourvéus ;
Mais doucement fui confortés
Par elle ; & fu mes confors tés :[2]

Il n’a pas un an que j’eſtoie [App. I.]
En un lieu où je m’esbatoie,
Qui eſtoit d’arbriſſiaus couvers
Par tout ; & ſi, eſtoit tout vers,
Biaus & jolis & gracieus.
Et pour eſtre delicieus,
Là n’avoit choſe qui l’encombre :
Si, m’eſtoie couchiés en l’ombre,
Par quoy la chaleur dou ſoleil
Ne me grevaſt n’au corps n’à l’ueil :
Si que parfondement penſoie
Par quel maniere je feroie
Aucune choſe de nouvel,
Pour tenir mon cuer en revel.
Mais je n’avoie vraiement
Sens, matiere ne ſentement
De quoy commencier le ſcéuſſe,

Ne dont parfiner le péuſſe.
Qu’Amours or ne me maiſtrioit, [App. II.]
Ainçois de ſes gens me trioit ;
Si qu’à ce faire ne valoit
Riens, puis qu’Amours ne le voloit.

Mais, ainſi comme là penſoie
Tout ſeuls & merencolioie,
Je vi venir tout droit à mi
Un mien eſpecial ami [App. III.]
Qui me geta de mon penſer.
Et nuls homs ne poroit penſer
Comment je le vi volentiers ;
Qu’il avoit .xii. mois entiers[3]
Que je ne l’avoie véu.
S’en eus le ſang un peu méu,
Et ce ne fu mie merveille,
Car trop plus pale que vermeille
Eſtoit ma coulour, & deſtainte ;
Que j’avoie éu dolour mainte,
Pour ce qu’avoie vraiement
Eſté malades longuement.[4]
Nonpourquant, petit à petit,
Me revenoit mon appetit.

Brief, trop liés fui de li véoir.
Lors, le fis de-lez moy ſéoir,
Pour enqueſter de ſes nouvelles.

Si, les me diſt bonnes & belles,
Douces, plaiſans & gracieuſes,
Delitables & amoureuſes.
Or vous diray, de point en point,
Si que je n’en mentiray point,
Tout ce que là me raconta.
Et ainſi dit, en ſon conte, a :[5]

« Amis compains & tres-douls ſires,
« Je ſeray à ce cop vos mires ;
« Car tels nouvelles vous diray
« Que de tous poins vous gariray.
« En ce Roiaume ha une dame,
« (Que Dieus gart en corps & en ame !)
« Gente, juene, jolie & joincte,
« Longue, droite, faitice & cointe,
« Sage de cuer & de maniere,
« Tres-humble & de tres-ſimple chiere,[6]
« Belle, bonne, & la mieulz chantans
« Qui fuſt née depuis .c. ans :
« Mais, elle danſe oultre meſure ;[7]
« Et s’eſt ſi douce créature
« Que toutes autres vainc & paſſe[8]
« En ſens, en douçour & en grace.

« C’eſt l’eſcharboucle qui reluiſt
« Et eſclarciſt l’obſcure nuit ;
« C’eſt en or li fins dyamans
« Qui donne grace à tous aimans ;
« C’eſt li ſaphirs, c’eſt li eſmaus
« Qui d’amours puet garir les maus.
« C’eſt droitement la treſmontaine[9]
« Qui cuers au port de joie maine ;
« C’eſt l’eſmeraude qui resjoie
« Tous triſtes cuers & met en joie :
« C’eſt li fins rubis d’Oriant
« Qui garit tous maulz en riant :
« Briefment, c’eſt la roſe vermeille[10]
« Qui n’a ſeconde ne pareille,
« Aſſez parler vous en porroie,
« Mais juſqu’à mil ans ne diroie
« Le bien, l’onneur, le ſens, le pris
« Qui ſont en ſon gent corps compris.

« On li a dit & raconté
« Qu’un yver & près d’un eſté
« Avez eſté griefment malades :
« Et que, toudis, faiſiés balades,
« Rondeaus, motés & virelais,
« Complaintes & amoureus lais.
« Dont elle dit que c’eſt trop fort
« D’avoir en un cuer tel confort,
« Et qu’avoir puiſt penſée lie,
« Tant ſoit chargiés de maladie.

« Et pour ç’à vous ſe recommande
« Cent mille fois, & ſi vous mande
« Qu’en tout le monde n’a perſonne
« Tant ſoit riche, belle ne bonne,
« Dont tant ſe péuſt resjouïr,
« Com de vous véoir & ouir.
« Et ſi, ne vous vit en ſa vie ;
« Mais elle en a trop grant envie.
« Et, dous ſires, s’il pooit eſtre
« Que vous veniſſiez en ſon eſtre,
« Elle vous ſeroit tele chiere,
« Si amoureuſe & ſi entière,
« Qu’elle devroit tres-bien ſouffire
« Au plus grand ſigneur de l’Empire.
« Et, par Dieu, ſe c’eſtoit un homme
« Qui péuſt aler ainſi comme
« Li homme vont, & tempre & tart,
« Vous verriés ſon tres-dous regart
« Dedans .iij. jours ou dedens quatre ;
« Car elle ſe venroit esbattre
« En ce païs prochainement,
« Pour vous véoir tant ſeulement.
« Et pour ce qu’elle ne vous puet
« Véoir, dont li cuers moult li deult,
« Véez ce qu’elle vous envoie
« De ſon faict ; &, ſe Dieus m’avoie,
« Je ne me doy pas de ce taire,
« Car j’eſtoie preſent au faire. »

Si me bailla un rondelet
Qui n’eſtoit pas rudes ne let,
Et en tous cas ſi bien ſervoit,
Que nulz amender n’i ſavoit.

Je le pris à grant reverence ;
Et ſi, le baiſay ſans doubtance
Plus de cent fois ou environ.
Et puis j’oſtay mon chaperon,
Et devant lui m’agenouillay
Ne de moy pas ne l’eſlongnay ;
Ains le garday tres-doucement
Sus mon cuer, & ſongneuſement ;
Et ſouventes ſois le baiſoie,
Car trop grant plaiſance y prenoie.
Et pour ce que ſi noble choſe
Ne doit celée eſtre n’encloſe,
Vous diray, ſans oſter ne mettre,
Ce qu’il y avoit en la lettre.

RONDEL.

Celle qui onques ne vous vit,
Et qui vous aime loiaument,
De tout ſon cuer vous fait preſent ;
Et dit qu’à ſon gré pas ne vit,
Quant véoir ne vous puet ſouvent
Celle qui onques ne vous vit,
Et qui vous aime loyaument.

Car pour les biens que de vous dit
Tous li mondes communement,
Conquiſe l’avez bonnement.
Celle qui onques ne vous vit
Et qui vous aime loyaument,
De tout ſon cuer vous fait preſent.[11]

Quant il ot finé ſa parole
Qui ne fu villaine ne fole,
Je reſpondi courtoiſement :
« Gentils compains, certainement
« Vous avez fait voſtre meſſage
« À loy d’omme diſcret & ſage ;
« Et pour ce, je vous vueil reſpondre,
« Sans rien enclorre ne repondre :

« Premierement, ſans detrier,
« Vueil tres-bonne Amour mercier,
« Quant ſi bien li eſt ſouvenu
« De moy, qu’eſtes yci venu
« Pour moi doucement conforter.
« On ne me povoit aporter
« Choſe qui tant me déuſt plaire,
« Ne qui tel bien me péuſt faire.
« Car j’avoie meſtier moult fort
« De recouvrer joie & confort.
« Mais Amours a ſi bien ouvré
« Que joie & pais ai recouvré,
« Dont qui la ſert, il fait bonne uevre,[12]
« Que joie & pais en recuevre.
« Pour ce, tous les jours de ma vie,
« Iert de moy loiaument ſervie,
« Et ſi mourray en ſon ſervice,
« Sans villain penſer & ſans vice,
« Et ſans doubte je ne puis croire

« Que ceſte dame éuſt memoire,
« Ne que de moy li ſouveniſt
« Jamais, ſe d’Amours ne veniſt.
« Mais Amours eſt ſi tres-ſubtive
« Qu’elle ſe boute & ſi s’avive
« Es cuers qui onques ne ſe virent ;
« De loing ſe aiment & deſirent.
« Vous la m’avez ſi fort priſie
« De ſens, d’onneur, de courtoiſie,
« Et de tous les biens que Nature
« Puet ottroier à créature,
« Que je tieng, ſe Dieus me doinſt joie,
« Que le Rondel qu’elle m’envoie,
« Et ſon cuer qu’elle me preſente
« Soit en bonne & en vraie entente ;
« Et que jamais ne me clamaſt
« Son ami, s’elle ne m’amaſt.
« Si, que je tieng que j’ay amie
« Belle, bonne, cointe & jolie.
« Bien porroie eſtre voir diſans :[13]
« Car vraiement il a diz ans,
« Voire, à m’entente, plus de douze,
« Que j’ay goulouſé & goulouſe
« Qu’Amours me donnaſt une dame
« Qui belle, bonne & preude fame
« Fuſt, & que, ſans plus, je cuidaſfe
« Qu’elle m’amaſt & je l’amaſſe ;
« Si, que je, pour l’amour de li,

« Éuſſe le cuer plus joli ;
« Et qu’elle fuſt de moy loée,
« Servie, amée & honnourée,
« Et toutes dames enſement,
« Pour l’amour de li ſeulement.

« Après, humblement remercy
« Ma dame, qui m’a de mercy
« Donné bonne & vraie eſperance ;
« Car ſon renom & ſa vaillance,
« La grant biauté dont elle eſt plaine,
« Sa fine douceur ſouveraine,
« Et la bonté qui en li maint,
« Me font eſperer qu’elle m’aint ;
« Et qu’ami clamé ne m’éuſt,
« S’Amours ad ce ne la méuſt.
« Or faiſons une trinité
« Et une amiable unité ;
« Que ce ſoit uns corps & une ame,
« D’Amours, de moy & de ma dame.[14]

« Auſſi, chiers compains & amis,[15]
« Ma dame vous a cy tramis,
« Dont vous avez éu grant paine ;
« Car, aſſez près d’une ſemaine,
« Vous avez chevauchié touſdis : [App. IV.]
« Mais, ſe Dieus me doinſt paradis,

« Volontiers le deſſerviroie
« Par devers vous, ſe je pooie,
« Et dou travail qu’avez éu,
« Dont je n’ay pas fait mon déu[16]
« Envers vous, ſi com je déuſfe,
« Combien que tenus y féuſſe.
« Je vous en mercy humblement,
« Et vous jure, par mon ſerment,
« Que vous me poez commander,
« Et tout penre, ſans demander,
« Mon corps & quanque j’ay vaillant ;
« Et tant com j’auray un vaillant,
« Chiers compains, vous y partirés.
« Mais dites-moi, quel part irés,
« Au departir de ceſte place ? »
Et cils diſt : « Se Dieus me doinſt grace,
« J’iray tout droit par devers celle
« Qui ſon vray ami vous appelle,
« Et le plus toſt que je porray.
« Mais, auſſi vray com je mourray,
« Je ſuis certains qu’elle vous aime,
« Et, par tout, ſon ami vous claime.
« Et ſe riens li volés eſcrire
« Ou mander, ou de bouche dire,
« Commandés & je le feray,
« Et bon meſſager en ſeray ;
« Car, par ma foy, j’ay grant deſir
« De faire voſtre bon plaiſir. »

Et je li reſpondi en l’eure :
« Chiers amis, ſe Dieus me ſequeure,

« Moult volentiers li eſcriray,
« Et ma reſponſe vous diray ;
« Par quoy mieus en ſachiés parler,
« Quant devers li vorrés aler.
« Mais vous, ſerez mon ſecretaire,[17]
« Pour parler à point & pour taire :
« Et par tel rime mon reſcript
« Feray, comme elle m’a eſcript. »

Si qu’en preſent fis, ſans attente,
Ce rondel pour ma dame gente.

RONDEL.

Tres-belle, riens ne m’abeliſt,
Ne donne pais, n’aligement,
Sans vous à qui ſuis ligement.
Quant vo biauté qui embeliſt
Tous dis, ne voy & vo corps gent,
Tres-belle, riens ne m’abeliſt,
Ne donne pais, n’aligement.

Et vo douceur qui adouciſt
Mes mauls & gariſt doucement,
M’eſt trop lointaine vraiement.
Tres-belle, riens ne m’abeliſt,
Ne donne pais, n’aligement,
Sans vous à qui ſuis ligement.

Ce fait, de moy ſe deſparti,
Et me laiſſa, à cuer parti

De maladie & de léece,[18]
Et de penfée ſans triſtece ;
Pour ce qu’avoie ſans demour
Donné cuer & corps & amour
À ma dame, & ſans retollir.
Si me commençay à polir,
À cointoier, à regarder,
Pour moy d’or en avant garder
De villonnie & de meffait.
Car, par Dieu, cilz qui ce ne fait, [App. VI.]
N’eſt pas dignes d’avoir amie.
S’oubliay mes maus en partie ;
Car Douls-penſers adouciſſoit
Mes douleurs & les gariſſoit,
Sans avoir d’elle la véue.
Onques ne l’avoie véue ;
Mais Souvenirs la figuroit
En mon cuer, & m’aſſeuroit
Que ſa bonne grâce acquerroie,
Et que par li garis ſeroie.
Si ne penſoie qu’à cointiſe,
À léeſce & à mignotiſe.
Ainſi ſui-je fais amoureus,
Par ces dous penſers ſavoureus.

Mais ainſi com j’eſtoie là,[19]
J’oÿ un homme qui parla,
Et qui forment me demandoit ;
Qu’à parler à moy entendoit.

Et je le fis vers moy venir,
Et en ſa main li vi tenir
Une lettre cloſe & fermée,
De cire vert bien ſéelée :
Si qu’encontre li me dreſſay,
Et par devers li m’adreſſay ;
Car vraiement je ne ſavoie
En riens la cauſe de ſa voie.
Mais il avoit .v. ans paſſez
Que je le cognoiſſoie aſſez ;
Pour c’eſtoit de moy bien acointes.
Et ſi, eſtoit faitis & cointes,
Sages, courtois & bien aprins ;
Si, qu’adont par la main le prins :[20]
Si, nous ſéiſmes, ce me ſemble,
Pour plus aiſe parler enſemble.
Si parla bien & ſagement,
Et je m’i portay telement,
C’onques je ne reſpondi mot,
Tant que dit ſa volenté m’ot.
Si diſt : « Sire, je ſuis venus
« Vers vous, à qui ſuis moult tenus ;
« Car vraiement je déſir fort
« Voſtre bien & voſtre confort,
« Une dame a, en ce païs,[21]
« De qui vous n’eſtes pas haïs,
« Qui cent mille fois vous ſalue,
« Et vous mande qu’Amours l’argue
« Et point d’amoureuſe eſtincelle,

« Souvent, par deſſouz la mamelle,
« Pour vous qu’elle aime chierement ;
« Et, ſe ſa douce chiere ment,[22]
« Jamais dame qui amera,
« Bien ne loyauté ne fera.
« Car c’eſt la flour de tout le monde ;
« Brief, tous li biens en li habunde. »

Quant je l’oÿ, jé me ſeignay,
Et mon cuer en joie baignay ;
Et vi bien que pas n’eſtoit ſonge
Le dit de l’autre, ne menſonge.
Après, la lettre me donna,
Et moult à moy l’abandonna ;
Je l’ouvri & la pris à lire,
Et commençay de joie à rire,
Pour ce que le commencement
Encommençoit trop doucement :

RONDEL.

Pour vivre en joieuſe vie,
J’ay mis mon cuer en amer
Le meilleur qu’on puiſt trouver ;
Si n’ay fait point de folie,
Nuls ne m’en devroit blaſmer.
Pour vivre en joieuſe vie,
J’ay mis mon cuer en amer.

Et quant jueneſce m’en prie,
Qu’Amours le vuet commander,
Je ne m’en dois deſcorder.
Pour vivre en joieuſe vie,

J’ay mis mon cuer en amer
Le meilleur qu’on puiſt trouver.

Et vez-ci la lettre première,
Et non mie la darreniere :


I. — Tres-chiers ſires & vrais amis, Je me recommande à vous, tant comme je puis & de tout mon cuer ; & vous envoie ce Rondel. Et ſe il y a aucune choſe à faire, je vous pri que vous le me mandés ; & qu’il vous plaiſe à faire un virelay ſur ceſte matere. Et le vous plaiſe à moy envoier noté[23] avec ce Rondel icy, & avec les .ij. autres ; celi que je vous envoiay & celi que vous m’avés envoié. De ce vous merci de tout mon cuer, & vous pri, tres-chiers amis, s’il vous plaiſt aucune choſe par deçà, je le ſeray de bon cuer & volentiers, com pour l’ome du monde que je deſire plus à véoir. Je vous pri, tres-chiers & bons amis, qu’il vous plaiſe à moy envoier de vos bons diz notez : car vous ne me povés faire ſervice qui plus me plaiſe. Noſtres ſires vous doint honneur & joie de quanque vos cuers aime.

Voſtre bonne amie.


Et s’il eſt nuls qui me repreingne,
Ou qui mal apaiez ſe teingne
De mettre cy nos eſcriptures,
Autant les douces que les ſures,
Que l’on doit appeller epiſtres,
(C’eſt leurs drois noms & leurs drois titres,)
Je reſpons à tous telement :
Que c’eſt au dous commandement
De ma dame qui le commande ;

C’eſt bien raiſon qu’au faire entende,[24]
Et que ſon dous plaiſir je face,
Pour l’amour de ſa douce face.
Je ne ſay qui en parlera,
Mais, pour ce, autrement ne ſera ;
Ains ſera tout à l’ordenance
De celle en qui giſt m’eſperance.
Et s’aucunes choſes ſont dittes
Deux fois en ce livre, ou eſcriptes,
Mi ſeigneur, n’en aiez merveille,
Car celle pour qui Amours veille,
Vuet que je mete en ce Voir-dit
Tout ce qu’ay pour li fait & dit,
Et tout ce qu’elle a pour moy fait,
Sans riens celer qui face au fait.

Le Voir-dit vueil-je qu’on appelle
Ce traictié que je fais pour elle,
Pour ce que jà n’i mentiray.
Des autres choſes vous diray :[25]
Se diligemment les querés,
Sans faillir vous les trouverés,
Avecques les choſes notées
Et ès balades non chantées,
Dont j’ay mainte penſée éu
Que chaſcuns n’a mie ſcéu.

Car cils qui vuet tel choſe faire,
Penſer li faut au contrefaire.

Or vueil laiſſier ceſte matiere,
Et retourner à la premiere ;
Et diray ce que je reſcry
Celeément, à pou de cry,
En tel maniere & en tel rime
Corn elle en ſon Rondelet rime :

RONDEL.

Belle, bonne & envoiſie,
Plaiſant & douce ſans per,
Je ne vous puis trop loer.
Mes cuers tout à vous ottrie
Son chant, pour vous honnourer.
Belle, bonne & envoiſie,
Plaiſant & douce ſans per.

Et s’ami, de cuer d’amie,[26]
Me daigniés jamais clamer,
Je ne vous vueil plus rouver.[27]
Belle, bonne & envoiſie,
Plaiſant & douce ſans per,
Je ne vous puis trop loer.

Et vez-ci la lettre ſeconde,
C’eſt raiſon qu’à l’autre reſponde :


II.[App. VII.]Ma tres-chiere & ſouveraine dame, — Quant vous m’apellez ami, — Bien vous doy clamer amie, — Car c’eſt grant honneur à mi, — Quant vous m’apellez ami. — Pour c’eſt vraie amour, en mi — mon cuer qui veult que je die : — Quant vous m’apellez ami, — Bien vous doy clamer amie. Et auſſi, ma tres-chiere dame, je ne vous ſçay ne puis mercyer aſſez de la grant honneur, de la grant joie & du parfait bien que vous me faites par vos douces eſcriptures. Car, par m’ame, je prens joie, plaiſance & douce nouriture au lire ; & je les lis ſi ſouvent, que la douce ſaveur en demeure en mon cuer à toutes heures. Et ſe je eſtoie li plus vaillans & li plus ſages & li plus riches qui onques fuſt, & veſquiſſe cent mille ans, je ne porroie mie deſſervir la menre partie des biens que vous me faites. Et, ma tres-douce dame, vous dites que vous prenés grant plaiſance en ce que je vous envoie ; je doy prenre cent mille fois plus grant plaiſance en ce que vous m’envoiez ; car vos douces eſcriptures me font tous les biens, pour ce que elles me font vivre liement & joieuſement. Et comment que je ne vaille riens & ſache moins, elles me font amer honneur & haÿr deshonneur, & fuir vice, pechié & toute villenie. Si que je en amende tant que je fuſſe pieça mors, ſe vous & elles ne fuſſent. Mais choſe que je vous envoie ne vous puet amender ne embellir : car vous eſtes des dames la flour, le fruit d’onneur, l’eſtoc de bonté & de toute biauté, & ſi, avés en vous tout ce que Dieus & Nature donnent à dame bonne-eureuſe. Et comment que je aie parfaite ſouffiſance ès dons biens que vous me faites, nuls n’eſt ſi aſſevis qu’il ne li faille aucune choſe. Si vous plaiſe à ſavoir que j’ay une trop grief penſée, & une trop mortelle paour : car vous me faites vivre en paix & en joie, loing de vous ; & ſe je eſtoie en voſtre preſence, je porroie bien querir ce que je ne vorroie mie avoir. Et vez-ci la cauſe : Je ſuis petis, rudes & nices & deſapris, ne en moi n’a ſens, vaillance, bonté ne biauté, par quoy vos dous yeux me deuſſent veoir ne eſgarder ; & auſſi, je ne ſuis mie dignes de penſer à vous : ſi porroit avoir voſtre noble cuer indignation contre moi, & lui repentir des dous biens que vous m’avez fais & faites tous les jours, comment que je ne vous véyſſe onques. Et s’en véés tous les jours pluſeurs meilleurs & plus biaus, ſans nulle compariſon, que je ne ſuis, qui riens ne ſuis encontre vous, ſi n’eſt penſers que vous préiſſiez à moi acertes. Toutes-voies, je pren confort, en ce que jamais ſi grant biauté comme la voſtre ne puet eſtre ſans pitié, ne ſi gentil corps ſans noble cuer, qui ne vorroit dire ne faire que loiauté & verité. Et, par Dieu, s’il avenoit autrement, vous m’ariés mort ; car ſe je avoie en ce monde un ſeul ſouhait, je ſouhaideroie que je péuſſe mon cuer & mes yeux ſaouler de vous veoir & oyr ; & ſoiés certaine — que on porroit eſpuiſier la grant mer, — & la force des fors vens arreſter, — & les nues eſclarcir ne troubler, — & la clarté du ſoleil deſtourner ; — ne porroit-on mon cuer de vous oſter — juſques à la mort, — & après mort, très-douce, en vous amer — ſeront mi fort. Et pour ce que je reſſoigne d’aler en voſtre préſence, pour les doubtes deſſus dites, je vous ſuppli encor, tant doucement comme je puis comme à ma ſouveraine dame, que vous me vueilliez envoier voſtre douce ymage au vif, & en unes petites tables. Car ſe il a lieu au monde où on la puiſt bien faire, c’eſt là ou vous eſtes.[28] Et je vous jure & promet par ma foy, que elle ſera de moi bien amée, bien gardée, honnourée, aourée ; nuit & jour enclinée, deſirée & loée ; ne à créature née ne gehiray ma penſée & m’amour. Et ſe il n’eſtoit ainſi, je ſeroie li plus faus & li plus mauvais, li plus traîtres & li plus deſnaturés qui onques fuſt, & plains du mauvais pechié que on appelle ingratitude, c’eſt-à-dire rendre mal pour bien. Car vous m’avez reſſuſcité & rendu mon ſentement que j’avoie tout perdu : & jamais par moi ne fuſt fais chans ne lais, ſe vous ne fuſſiez. Mais, ſe Dieu plaiſt & je puis, je feray, à voſtre gloire & loenge, choſe dont il ſera bon mémoire. Et ſi, vous jure & promet, que à mon povoir onques Lancelos n’aima Genevre, Paris Helaine, ne Triſtan Iſeult plus léaument que vous ſerez de moi amée & ſervie, & ſans départir ; car je vous ameray & obéiray, doubteray, ſerviray tant com je vivray, & de cuer loiaument garderay, celeray ; & quant je mourray, mon cuer vous lairay & envoieray ; c’iert mon teſtament. Les .ij. choſes que vous m’avés envoiées ſont tres-bien faites à mon gré : mais ſe j’eſtoie .j. jour avec vous, je vous diroie & apenroie ce que je n’apris onques à créature ; par quoy vous les feriés mieus. Ma tres-chiere & ſouveraine dame, je vous envole .j. Rondelet noté, que j’ay fait nouvellement pour l’amour de vous. Je vous ſuppli humblement que vous me vueilliez mander voſtre bon eſtat, & quant vous partirés de là ou vous eſtes, car trop le deſire à ſavoir ; & leſquels vous volez de mes livres : ſi les feray tantoſt eſcrire. Et ſe je vous eſcris trop longuement, ſi le me pardonnés, car de l’abondance du cuer la bouche parole ; ne je ne puis mon cuer ſaouler de penſer à vous & de parler de vous à moi ſeul. Ma tres-chiere & ſouveraine dame, je prie à Dieu qu’il vous doinſt tele joie & tele honneur de vous & de quanque voſtres cuers aime, comme vous meiſmes le vouriés avoir & comme mes cuers le deſire.

Voſtre plus loial ami.


Ceſte reſponſe li baillay,
Et ſes journées li taillay ;[29]
Et li dis : « Dous amis, par m’ame,
« Vous en alez devers ma dame ;
« Et je n’i puis venir, n’aler,
« Ne je ne puis à li parler.

« Je n’en ay que le ſouvenir[30]
« Que Dous-penſer me fait venir ;
« Tout par deffaulte de ſanté,
« Non pas de bonne volenté.
« Car je n’aim riens tant ne deſir,
« En li ſont mis tuit mi deſir :
« C’eſt mon dieu ſouverain en terre,
« C’eſt ma pais, ma joie, ma guerre,
« C’eſt celle à qui du tout m’ottroy.
« Pléuſt ore à Dieu que nous troy
« Fuſſiens un jour ou deus enſemble !
« Tous li cuers me fremiſt & tremble
« Toutes les fois que me ſouvient
« Du parfait bien qui de li vient,
« Et de ce qu’ay oÿ retraire :
« Et ſi ne puis devers li traire.
« À li me recommenderés
« Cent mille fois, & li dirés
« Que je ſuis tous ſien, ſans partie,
« Et qu’elle eſt ma mort & ma vie ;
« Et que je l’aim, ſans decevoir,
« Sur toute rien, à dire voir,
« Et plus que moi, ſe Dieus me gart :
« Et que ſe de ſon dous regart
« Souvente fois l’eſpart éuſſe,
« De tous mes maus garis féuſſe.
« Je la verray quant je porray,
« Et non mie quant je vorray. »

Ainſi dalès li demouray,

Et moult parfondement plouray,
Quant de moi ſe voloit partir ;
Et croy qu’il éuſt fait partir
Mon dolent cuer & ſans attente,
Pour ma tres-douce dame gente,
Se ce ne fuſt douce Eſperance
Qui m’affermoit que ſans doubtance
Elle m’amoit de cuer parfait,
Par dit, par penſée, & par fait.
Si que là me reconfortoie
De tous les maus que je ſentoie.
Mais ſi toſt ne ſe parti mie,[31]
Qu’à ma douce dame jolie,
Ces .ij. balades n’envoiaſſe,
Et que le chant ne li chantaſſe :
Par quoy, de par moi, li déiſt,
Pour Dieu, qu’elle les apréiſt.
Car trop fort les amenderoit,[32]
Au cas qu’elle les chanteroit.

Bien & longuement m’entendi,
Et puis après me reſpondi
Qu’il ne pooit ſi toſt aler
Vers ma dame, n’à li parler.
Helas dolens ! & je cuidoie
Qu’il alaſt vers li droite voie !
Si demouray tous eſgarés,
Ainſi com après le ſarés :
Car je fui .ij. mois tous entiers

Qu’il ne fu voie ne ſentiers,
Homme, femme ne créature,
Qui de ma douce dame pure
Me déiſt aucune nouvelle ;
Helas dolens ! & pour ce qu’elle,
(Ne ſay pour quoy,) eſtoit alée
Demourer en autre contrée. [App. VIII.]
Si pris à merencolier,
À penſer & à colier
Comment maintenir me porroie ;
Car perſonne ne cognoiſſoie
En lieu où elle demouroit ;
Dont mes cuers tendrement plouroit.
Si en valoit pis mes affaires :
Et ſi, eſtoit mes ſecretaires
Allés en un lointain paÿs ;
Dont j’eſtoie trop esbahys.
Si m’eſtoit li temps moult divers,
Et ſi, eſtoit trop grans l’yvers,
Plains de gelée & pluvieus. [App. IX.]
Si devins merencolieus ;
Car vraiement j’eſtoie en doubte
De perdre m’eſperance toute,
Et s’eſtoie flebes aſſés
Et de maladie laſſés.
Ne nuls ce meſchief ne ſavoit ;
Qu’aveuc moy perſonne n’avoit
À qui je m’oſaiſſe complaindre.
Si prins à palir & à taindre,
Et mes cuers trop fort à fremir ;
Si que j’en perdi le dormir
Et le mangier ; car ne manjoie
Se petit non, ne ne dormoie.

Bonnes gens, ainſi me chevy
Qu’aveuc ces meſchiés r’enchéy.[33]
Là cuiday bien faire ma fin :
Mais j’amoie de cuer ſi fin
Et d’une amour ſi affinée
Toute-belle, la bien amée,
Qu’autre que li ne regretoie,
Ne riens fors li ne ſouhaitoie.
Si que je fis mon teſtament
Et le commençay telement,
Et à ma dame l’envoiay
Par un varlet que je trouvay.[34]

BALADE. et y a chant.[App. X.]

Pleurés, dames, pleurés voſtre ſervant,
Qui ay, tous dis, mis mon cuer & m’entente
Corps & penſers & deſirs, en ſervant
L’onneur de vous que Dieus gart & augmente !
Veſtés-vous de noir pour mi,
Car j’ay cuer taint & viaire palli,
Et ſi me voy de mort en aventure,
Se Dieus & vous ne me prenés en cure.

Mon cuer vous lais & met en vo commant,
Et l’ame à Dieu devotement preſente,
Et voiſt où doit aler le remenant ![35]
La char aus vers, car c’eſt leur droite rente,
Et l’avoirs ſoit departi
Aus povres gens. Hélas ! en ce parti,

En lit de mort ſuis à deſconfiture,
Se Dieus & vous ne me prenés en cure.

Mais certains ſuis qu’en vous de bien a tant
Que dou peril où je ſuis, ſans attente,
Me jetterés, ſe de cuer en plourant,
Priés à Dieu qu’à moi garir s’aſſente.
Et pour ce je vous depry
Qu’à Dieu pour moi vueillez faire depry ;
Ou paier crieng le tréu de Nature,
Se Dieus & vous ne me prenés en cure.

BALADE.

Amours, ma dame & Fortune & mi oeil,
Et la tres-grant biauté dont elle eſt plaine,
Ont mis mon cuer, ma penſée & mon vueil
Et mon deſir en ſon tres-dous demaine.
Mais Fortune ſeulement
Me ſait languir trop dolereuſement,
Et trop me ſait avoir paine & anoy,
Quant ſur tout l’aim & ſouvent ne la voy.

De ma dame, ne de ſon bel acueil,
De mes deus yeus, d’Amours, ne de ma paine
Ne me plaing pas, car par eus en l’eſcueil
Suis mis d’avoir toute joie mondaine.
Mais tout mon entendement,
Et mes bons jours & mon gay ſentement
Fortune eſtaint ; ſi, morray, par ma ſoy,
Quant ſur tout l’aim & ſouvent ne la voy.

Car Fortune, dont je me plaing & dueil,
Fait que ma dame eſt de moi trop lointaine,
Et ſi me toit Bon-eſpoir qu’avoir ſueil,
Et Deſeſpoir dedans mon cuer amaine :
Ainſi ſans alegement
Vif pour ma dame à qui ſuis ligement ;

S’en plaing & pleur & ſouſpir en recoy,
Quant ſur tout l’aim & ſouvent ne la voy.

Et quant elle vit mon meſſage,[36]
Elle, com bonne, aperte, & ſage,
Moult longuement ne muſa mie,
Ainſois fiſt comme bonne amie ;
Car en l’eure me volt reſcrire
Ces lettres que cy orrés lire :


III. — Tres-chiers & dous amis, je vous mercie de vo douces & amiables eſcriptures : car, par ma foy, c’eſt la choſe qui ſoit en monde où je preng plus grant plaiſir, que de veoir & de oÿr tout ce qui vient de vous ; & le plus grant deſir que j’ay, ce eſt de vous veoir. Et ſe je peuſſe aler par pays ainſi com fait uns homs, je vous promez loyaument que je vous véiſſe bien ſouvent. Mais je me merveille moult de la doubte en quoy vous eſtes de venir en ma preſence, pour penſée que je ne vous en aimme moins ; car vous ſavez bien que je ne vous viz onques & que je ne vous aimme point pour biauté ne pour plaiſance que je véiſſe onques en vous, ains vous aime pour la bonté & bonne renommée de vous ; & ſi ay tant enquis de voſtre eſtat, que ſe je eſtoie .c. fois meilleurs de toutes bontés que je ne ſuis, ſi ſuis-je certaine que vous eſtes bien ſouffiſans d’avoir meilleur que je ne ſuis. Si vous pri, tres-dous amis, que vous ne ſoiez en doubte ne en penſée que en toute ma vie je me doie repentir de vous amer & de faire tout ce que je faray qui vous plaira ; car vous ſavés qu’il a eſté maint amant qui amoient ce qu’il n’avoient onques veu, par les biens qu’il en ooient dire, & depuis, venoient à perfection de loial amour ; ſi comme fiſt Artus de Bretaigne & Florence la fille au roy Emenidus,[37] & maint autre dont je ſuis certaine que vous en avez oÿ parler. Et auſſi ay-je eſperance que quant il plaira à Dieu que je vous voie, de ma partie l’amour ne deſcroiſtra point ; car j’ay cuer & volenté de vous faire & dire toutes les douceurs & amours que amie doit faire à amy loiaument, au mieus que je la porray & ſauray faire. Et de mon ymage que vous m’avez eſcript que je vous envoie, ſachiés que je la fais pourtraire & la vous envoieray le plus toſt qu’elle ſera pourtraite. J’ay veu le rondel que vous m’avés envoié & l’ay apris, & vueilliés ſavoir que je ne me partiray point de là où je ſuis, avant Paſques. Je ne ſay les noms de vos livres, ne leſquels valent mieus ;[38] mais je vous pri tant comme je puis qu’il vous plaiſe à moi envoier des meilleurs & auſſi de vos chanſons, le plus ſouvent que vous porrés ; car tant comme j’ay des voſtres je ne quiers à chanter nulles autres. Tres-dous amis, vous m’avez eſcript que je vous vueille pardonner ſe vous m’eſcriſiés trop longuement ; le pardon arés-vous aſſez legierement de moi ; & par ma foi ſe ce que vous m’eſcriſiés tenoit autant comme li rommans de la Roſe ou de Lancelot, il ne m’en anuieroit mie à lire ; car ainſi comme vous m’eſcriſiés que vous ne vous povés ſaouler de parler & de penſer à moi, tout ainſi ne pui-je aſſez lire ne regarder ce que vous m’envoiez. Et de ce que vous dites que choſe qui vient de vous ne me puet amender, je di que, ſauve voſtre grâce, qu’elle m’a amendée & amende de jour en jour ; car je me paine de faire choſe à mon pooir de quoy il aille bonnes nouvelles par devers vous ; & voſtre bonté me fait amer tous les bons & eſlongnier tous les autres. Je vous mercie de voſtre verge, & vous promet que la garderay bien pour l’amour de vous ; & vous envoie des moies, ſi vous prie que vous les gardés pour l’amour de moi. Mon tres-dous & vrais amis, je prie à Noſtre ſeigneur quil vous doinſt honneur & joie de quanque voſtre cuer aime, autant comme je voudroie à l’omme du monde que mon cuer aime & deſire plus.

Voſtre loial amie.
RONDEL.

Celle qui nuit & jour deſire
De vous véoir
Suis, pour oſter voſtre cuer d’ire :
N’à nulle autre riens tant ne tire
Ne n’a voloir,
Celle qui nuit & jour deſire
De vous véoir,
Com de véoir voſtre martyre :
Qu’à ſon pooir,
Elle ſera du garir mire,
Celle qui nuit & jour deſire
De vous véoir.

Mais ainſi comme là muſoie,
Et la merci-Dieu attendoie,
Un varlet, d’aventure, vi[39]
En ma chambre, & ſi vous plevi
Que tantoſt com je l’os véu
De joie eu le cuer eſméu.
Et vraiement il m’aporta
Choſe qui tant me conforta

Que cuer penſer ne le ſaroit,
Ne bouche auſſi ne le diroit.
Dont mes gens orent tel merveille,
Que chaſcuns s’en ſeigne & merveille :
Car, devant, je ne me péuſſe
Retourner, ſe gaingnier déuſſe
Tout l’avoir qui eſt en l’Empire ;
Et je commençay fort à rire,
Et tous ſeuls en mon lit m’aſſis ;[40]
Et il, comme meurs & raſſis,
Me vint preſenter tout en l’eure
Les lettres qui ſont cy deſſeure.
Et dit : « La belle vous ſalue,
« Qui eſt voſtre amie & vo drue,
« Et qui tant vous aime & deſire
« Qu’eſtre vueult & ſera vo mire,
« Pour vos maus ſaner & garir.
« Dous Sire, or penſés du garir,
« Qu’elle y vuelt moult grant paine mettre.
« Tenés & liſiés ceſte lettre. »
Je reſpondi moult feblement,
En riant & longuettement :
« Vous ſoiés li tres-bien venus !
« Je ſuis moult fort à vous tenus,
« Quant venus eſtes ſi à point :
« Car doleur ne de mal n’ay point,
« Puis que vous m’aportés nouvelle
« Et lettres de par Toute-belle. »

Les lettres pris & les ouvry,
Mais à tous pas ne deſcouvry

Le ſecret qui eſtoit dedens,
Ains les liſoie entre mes dens.
Et quant je vi le contenu,
Ne ſceus qu’il me fu avenu,
Tant fui doucement pourvéus
Des biens d’Amours & repéus.
Si vous diray ce qui m’avint :
De ſouſpirs getay plus de vint,
Et puis demanday à mengier,
Si menjay bien & ſans dangier.
Et puis un petit m’endormi ;
Mais je mis mes lettres ſur mi,
C’eſt à dire deſſeur mon cuer,
Car ce n’oubliaſſe à nul-fuer.
Après dormir je fui trop liez,
Et non pas com homs eſſiliez,
Deſconfortés ne deſconfis ;
Mais de cela ſoiez tous fis
Que dedens .ij. jours m’en levay,
Je me baignay, je me lavay,
Et me mis en eſtat déu,
Le plus cointe que j’ay péu.
Dont moult de gent ſe mervilloient,
Quant en tel eſtat me véoient.
Ainſi fu, comme dit vous ay,
Et lors ma penſée arrouſay
De plaiſance & de gaieté,
Et de toute joliveté :
Et mis cuer & corps & eſtude,
Comment qu’il ſoient aſſez rude,
En ma douce dame honnourer,
Servir, amer & aourer.
Et, par Dieu, faire le devoie

Dou cuer & dou ſens que j’avoie,
Com à ma dame & ma déeſſe,
Et ma ſouveraine maiſtreſſe.
Car onques-mais je ne vi certes
Faire miracle ſi apertes
Com elle fiſt à ma perſonne :
Et-ce ſi bon renon li donne,
Qu’on dit, quant elle finera,
Qu’en paradis ſainte ſera.
Car bien puis dire en vérité
Que .ii. fois m’a reſſuſcité.
Car j’eſtoie tous arrudis,
Et d’oÿr léeſce aſſourdis,
Et perdu mon entendement,
Et mon amoureus ſentement ;
En ma bouche n’avoit loenges
De dames privées, n’eſtranges,
Et auſſi pas ne les blaſmoie,
Car de toutes riens ne diſoie.
Je me tenoie rudement,
Et haoie l’esbatement,
Et fuioie les compagnies
Où on menoit les bonnes vies ;
En riens de moi ne me chaloit,
Qu’à mon gré, autant me valoit
À faire une tres-grant rudeſce,
Com de faire une gentilleſce.
Amours ne m’amoit, ne je li,
Ainçois reſſambloie à celi
Qu’on compere à une viés ſouche
Qui en un grant marés ſe couche,
Et qui dou marès ſi ſe cueuvre
Que nuls ne la puet mettre en œuvre ;

N’on ne la puet tirer de là,
Pour l’iave qui couverte l’a.
Mon pain en mon ſachet menjoie,
Sans avoir léeſce ne joie,
Et auſſi moult me deſplaiſoit
Tout ce qui aus autres plaiſoit.
Et tout ce vint, por une perte
Qui fu pour moi trop mal aperte ;[41]
Car depuis que je la perdi
Léeſce à moi ne s’aherdi,
N’onques puis ne fis chiere lie ;
Fors puis que ma dame jolie,
Qui de tous maus garit & cure,
Me prinſt de ſa grace en ſa cure.
Et, par teles merencolies,
Me vinrent les grans maladies,
Les doleurs & les grans meſchiés,
De quoy j’ay eſté entechiés.
Mais c’eſt choſe que nuls ne puet
Amender, quant Dieus ne le vuet.
Si revenray à mon propos
Qui eſt de joie & de repos.

La bele me purifia
De tous vices ; & plus y ha,
Que joie & vie me rendi.
Mais ſon labeur pas ne vendi,
Ainſi le fiſt par droite franchiſe,
Com dame large & bien apriſe.

Or penſons que les dames font ;

Comment elles font & deffont.
Li bon ſont d’elles adès fais,
Et li mauvais en ſont deffais.
Mais prenons un vray amoureus ;
Il ſera ſi tres-dolereus,
Si vains, ſi mas, ſi entrepris,
Et des maus d’amer ſi eſpris,
(Pour un po de racointement
Qu’on li aura fait durement,)[42]
Qu’il ſe gerra ſur une couche,[43]
Ou ſur un lit où on ſe couche ;
Et là ne ſe porra aidier,
Ains ne fera que ſouhaidier
Mercy ou mort, hélas ! li las
Sera d’Amours ſi pris au las
Que ſes corps tremblera de doubte,
Et ſi ſuera goute à goute ;
Il ſera chaus & eſméus,
Et de ſon gouſt ſi dechéus
Qu’il ne pourra mengier ne boire :
On le ſcet bien, c’eſt choſe voire.

La dame devers lui venra,
Et de ſa blanche main penra
Sa main ou ſa gorge ou ſa teſte,
Et li fera un po de feſte,
Et li dira : « Mes dous amis,
« Qui vous a en ceſt eſtat mis ?
« Ne vous devez pas eſmaier,

« Car ce fu pour vous eſſaier,
« Quant je vous fis petite chiere :
« Ne vueil pas eſtre envers vous fiere,
« Car vous eſtes mon ami vray,
« N’autre de vous jamais n’auray. »
Lors li donra un annelet,
Ou aucun petit jouelet,
Et li dira : « Car vous levés,
« Et ſi mengiés & ſi bevés,
« Car ſans doubte je ne vueil mie
« Que vous menés ſi dure vie. »
Cil en l’eure ſe levera,
Et de tous maus garis ſera ;
Il buvera & mengera,
Se meſtiers eſt & s’armera
De cote de fer, ou de tacles.[44]
Ne ſont-ce pas belles miracles ?
Or querez un ſaint qui ce face,
Et qu’en l’eure une fièvre efface.
Il puevent moult, bien l’ay créu,
Mais encor ne l’ay pas véu ;
Qu’onques nul miracle ne vi
Si grant com d’un amant ravi.

En ces .ij. mois que dit vous ay,
En ma maladie dictay,
Et en mon lit, ces .iiij. choſes
Qui ſont en ces lettres encloſes,[45]

Et ſont, icy après, eſcriptes.
Et ſe faute y a ou redites,
Maladie m’eſcuſera
Envers celui qui les lira.
Ce ſont .iij. chanſons baladées
Qui ne furent onques chantées.
Une balade y ha auſſi
Qu’en joie fis & en ſouſſi.
Je les tramis par le varlet
Qui vers ma dame s’en alet.

BALADE.

Véoir n’oïr ne puis riens qui deſtourne
Moi ne mon cuer, quel part que face tour,
Qu’à vous touſdis ma penſée ne tourne,
Et que voſtres ne ſoie ſans retour.
Si que de loing voy voſtre coint atour
Et vo gent corps où il n’a que redire,
Pour ce, touſdis, ma penſée à vous tire.

Li dous penſers à vous amer m’atourne
Tres-loiaulment, & j’auſſi m’i atour,
Mais mon deſir mon mémoire beſtourne ;
Dont mainte fois de la gent me deſtour.
Là, vois ſouffrir ſa pointure en deſtour,
Là, doucement m’aſſault & me martire.
Pour ce, touſdis, ma penſée à vous tire.

Mais cils deſirs n’atent pas qu’il adjourne,
Pour moi faire maint amoureus eſtour,
Dont mes vrais cuers qui demeure & ſejourne
En vo priſon qui n’eſt chaſtiaus ne tour,
Ains eſt plaine de joie & de triſtour,
Reçoit pour vous ſouvent joie & martire.
Pour ce, touſdis, ma penſée à vous tire.

CHANSON BALADÉE.[App. XII.]

L’ueil qui eſt le droit archier
D’Amours, pour traire & lancier
Mignotement,
N’a pas péu bonnement
Mon cuer blecier ;
Et s’aim’ de fin cuer entier
Tres-loiaument.

Veſ-ci pour quoy vraiement :
Onques ne vi le corps gent,
Cointe & legier
De celle qui liement
Me tient & joliement
En ſon dangier :
Ne il moi ; mais l’ay tant chier,
Que jamais faire n’en quier
Departement.
Il puet bien crueuſement
Moi menacier ;
Mais ne le priſe un denier,
Quant à preſent.
L’ueil qui eſt le droit archier…

Qu’onques ne me fiſt preſent
De joie ne de tourment ;
Ne empechier
Ne me porroit nullement
À vivre joieuſement
Son menacier.
Envis ne puis l’aprochier,
N’il moi, fors par ſouhaidier ;
Pour ce, ſouvent,
Mon amoureus penſement
Me fait cuidier
Qu’il me doie treſpercier

Soudainement.
L’ueil qui eſt le droit archier…

C’eſt cils qui trop doucement
Scet un cuer & ſubtilment
Penre & lier,
Et contraindre telement
Qu’il le fait tres-humblement
Humilier.
C’eſt l’amoureus meſſagier
Qui uſe de ſon meſtier
Si ſagement,
Et cuers ſcet ſi proprement
Entrelacier,
Qu’on ne les puet deſlacier
Legierement.
L’ueil qui eſt le droit archier…

CHANSON BALADÉE.

Plus belle que le biau jour,
Plus douce que n’eſt douçour,
Corps aſſevi
De riche maintien joli,
Pris ſans retour
M’avés, par vo cointe atour
Qu’onques ne vi.

Mais j’ay tant de vous oï,
Par voſtre bon renom qui
Croiſt nuit & jour,
Que vous eſtes le droit cri,
Le fruit & la flour auſſi
De toute honnour.
Et quant vous avés valour
Sur toute mondaine flour,
S’à vous m’otri
Et doins mon cuer ſans detri.

Trop fort m’onnour
De mettre en ſi dous ſejour
Le cuer de mi ;
Plus belle que le biau jour…

Si, ne vueil autre merci,
Car vous m’avez aſſevi,
Si que mi plour
Et mi ſouſpir ſont tari ;
Dame, dont je vous merci,
Et bonne Amour
Qui fait ceſſer ma dolour,
Et joïr de ma triſtour ;
Et enrichi
M’a de ſouffiſance ſi,
Que la ſavour
Doucement en aſſavour.
Ce m’a gari.
Plus belle que le biau jour…

Si n’ay paine ne ſouſci,
Ne de riens ne me ſouſci ;
Car mon labour
Me nouriſt & a nouri
En flun où cuer esbahi
Prennent vigour.
C’eſt en la tres-douce odour
De la bonté que j’aour,
Qui a ravi
Mon fin cuer, qui m’a guerpi
Pour ſon millour ;
Qu’il a trop millour demour
En vous qu’en mi.
Plus belle que le biau jour…

CHANSON BALADÉE.

Je ne me puis ſaouler
De penſer, d’ymaginer

Que je feray,
Ne quel manière j’aray,
Quant le vis cler
De ma dame qui n’a per
Premiers verray.

Certains ſuis que pris feray
Si fort, que je ne ſaray
À li parler ;
Et que ſans froit trembleray,
Et ſans chaleur ſueray.
Et ſouſpirer
Me faura & recoper
Mes ſouſpirs, pour moi celer.
Là n’oſeray
Mot ſonner ; pour c’en lairay
Amours ouvrer,
Qui ſcet comment ſans fauſſer
L’aim de cuer vray.
Je ne me puis ſaouler…

Hé Dieus ! comment porteray
Le tres-dous amoureus ray
Dou regarder
De ſes dous yeux ? je ne ſay.
Car aſſez à porter ay
Des maus d’amer.
Vers eus ne porray durer,
Et pour tel cops endurer
Foible me ſay ;
S’Eſpoirs, qui ſcet mon eſmay,
Reconforter
Ne me vient, ſans arreſter
Me partiray.
Je ne me puis ſaouler…

Et nonpourquant trop m’eſmay :
Car je me deliteray
En remirer

Sous dous vis riant & gay,
Trop plus dous que roſe en may,
À oudorer.
Et, ſe je puis eſperer,
Qu’elle me daignaſt amer,
J’oublieray
Tous maus, ainſi gariray,
Mes dous penſer.
Si ne doi pas tant doubter
Les maus que tray.
Je ne me puis ſaouler…

IV. — Ma tres-chiere & ſouveraine dame, je vous remerci, tant humblement comme je puis, de vos douces, courtoiſes & amiables eſriptures. Car vraiement je y preng grant plaiſance, grant confort & grant deduit, toutes les fois que je les puis veoir, oÿr & tenir ; & certes je vous en doy bien mercier ; car elles font & ont faict plus grans miracles à ma perſonne que je ne vi onques faire n’à ſaint n’à ſainte qui ſoit en paradis. Je eſtoie aſſourdis, arrudis, mus, impotens,[46] par quoy joie m’avoit de tous poins guerpi & mis en oubli ; mais vos douces eſcriptures me font oÿr & parler, venir & aler, & m’ont rendu joie qui ne ſavoit mais où je demouroie. Mais orendroit elle fait ſa droite manſion enmi mon cuer ; ſi que je ſuis de tous poins garis, la merci Nre Seigneur & la voſlre, fors ſeulement Deſirs qui ne me laiſt durer. Mais la tres-douce eſperance que j’ay de vous veoir vainc de tous poins mon deſir, me garit de toutes dolours & me fait avoir toute joie. Que ſeroit-ce, ſe je pooie bien mes yeuls & mon cuer ſaouler de vous veoir ! Certainement, tuit cil qui ſont & qui ſeront & qui ont eſté ne pourroient penſer, ymaginer ne conſiderer en cent mille ans la centiſme partie de la joie que je aroie. Et ce ſera brieſment, ſe Dieu plaiſt & je puis. Et, ſur ce, je ay fait une balade laquelle je vous envoie encloſe en ces preſentes ; & y feray le chant du plus toſt que je pourray aveuc vos .ij. choſes que vous m’avez envoies. Je vous envoie auſſi une balade de mon piteus eſtat qui a eſté ;[47] ſi vous pri que vous en aprenez le chant, car il n’eſt pas fort, & ſi me plaiſt tres-bien la muſique. Si verrez comme je prie aus dames qu’elles ſe veſtent de noir, pour l’amour de moi. J’en feray une autre où je leur prieray que elles ſe veſtent de blanc pour ce que vous m’avez gari ; &, vraiement, pour l’amour de vous ſeulement, elles ſeront toutes d’or-en-avant de moi ſervies & loées plus que onques-mais. Car vous avez reſuſcité mon corps & mon petit engien qui eſtoit tous arrudis. Ma tres-chiere dame, je me recommande à vous tant humblement comme je puis, & vous di que vous ne me devez riens commander ; ainſois devez penre moi & quanque j’ay en tous eſtas, comme voſtre choſe, & comme cellui qui eſt tout voſtres, ſans riens retenir. Ma tres-chiere ſouveraine dame, je pri Dieu qu’il vous doinſt honneur, joie, pais, & ſanté tele comme vous méiſmes vouriés avoir ; &, ma tres-chiere dame, je vous ſuppli que ſe jamais vous m’eſcriſiés aucune choſe, que vous ne m’apellez pas ſeigneur ; car qui de ſon ſerf fait ſon ſeigneur, ſes ennemis mouteplie ; &, par Dieu, c’eſt trop plus biaus nons d’amy ou d’amie ; car quant Seignourie ſault en place, Amours s’en fuit.[48][App. XIII.]

Voſtre tres-loial ami.


Li printemps vint biaus & jolis,
Et je fu cointes & polis,
Liés de cuer, gais & envoiſiés,
Et de tous mes maus acoiſiés,

Bien abilliés & bien montés,
Et d’eſperance ſourmontés
Qu’aroie ce que deſiroie.
Du véoir trop me defrioie ;[49]
Si montay ſur ma haguenée
Groſſe & graſſe & bien repoſée :
Si m’en alay parmi les champs,
Pour oÿr des oiſiaus les chans,
Et pour avoir l’air ; car ſans fable,
Choſe m’eſtoit moult profitable :
Et auſſi pour moi eſſaier
Se je porroie chevauchier.

Ce fu tout droit au mois d’avril,
Que cil oiſillon en l’abril[50]
Font leurs amoureuſes tençons,
Leurs dous hoqués & leurs chanſons.
Si me mis delez un aunoy,[51]
Mais onques deduit ſi biau n’oy
Comme de ces dous oiſelés.
Là eſtoit li roſſignolés
Qui ſur tous ſe faiſoit oÿr,
Dont moult fiſt mon cuer resjoÿr.
En ma vie deduit n’os tel ;
Mais je m’en revins à l’oſtel,
Pour le chaut qui jà la rouſée
Abatoit qui eſtoit levée.
Si prins à penſer durement
À ma dame à qui bonnement

Me ſuis ſans retollir donnés,[52]
Et ligement abandonnés :
Et penſoie dont ce puet naiſtre
Que je ſuis ſi fort mis à maiſtre,
Que j’ay & cuer & corps ravi
Pour ma dame qu’onques ne vi.
Ce me ſemble ſi grant merveille
Qu’onques-mais ne vi la pareille.
Mais il n’eſt choſe qui n’aveingne,
Ne ſi duer cuer qu’Amours ne freingne.[53]

En ce paÿs a pluſieurs dames
Bonnes, belles, & preudefames,
Juenes, gentes & renvoiſies,
Longues, droites & alignies,
Douces, plaiſans & gracieuſes,
Taillies pour eſtre amoureuſes ;
Je les puis tous les jours véoir,
Et moi dalès elles ſéoir,
Jouer, moquer, chanter & rire ;
Et leur puis ma volenté dire :
Je les voy dancier & baler,
Cointement venir & aler ;
Je leur voy toutes choſes faire
Honneſtes & de bon affaire :
Mais ce ne porroit avenir
Qu’Amours péuſt en moi venir,
Pour laiſſier celle qui lontaine
M’eſt de l’ueil, & du cuer prochaine.
Et comment ſe puet cecy joindre,

Qu’elle me puet de ſi loing poindre,
Sans ce qu’onques je la véyſſe,
Ne que ſon dous parler oÿſſe ?
On y puet aſſez bien reſpondre :
Amours ſe ſcet mettre & repondre,[54]
Et de ce ne fai-je pas doubte,
En tel, qui onques ne vit goute,
Ne qui jà goute ne verra.
Mais tant de ſa dame enquerra
Et de ſa bonne renommée,
Qu’elle ſera de li amée ;
Qu’Amours, qui eſt ſage & ſubtive,
Com uns charbons en li s’avive,
Et touſdis s’i avivera ;
Si que, tant comme il vivera,
Sera ſes ſers & ſes rentiers,
Et ſes loiaus amis entiers.
Si, m’eſt avis qu’il fait plus fort
Que je ne fais, s’il aime fort.
Car je vis en tres-dous eſpoir
De véoir ma dame, & s’eſpoir
Qu’elle me fera bonne chiere,
Et ne me ſera pas trop chiere.

Mais s’elle li faiſoit la moe,
Elle n’en donroit une aloe ;[55]
Car jà ne s’en percevera :

Ainçois touſdis perſeverra
En l’amour dont il eſt ſourpris,
Pour amer ſa dame & ſon pris.
Mais s’un homme d’outre la mer
Vuet deçà par amours amer
Une dame de ceſt paÿs,
Je n’en ſuis de riens esbahis ;
Qu’Amours ſi le doctrinera
Que ſans li véoir l’amera.
Si, qu’on ne ſe doit mervillier
Se je vueil penſer & veillier
À celle qui onques ne vit
Moi, ne je li : mais mon cuer vit
Par li en tres-douce plaiſance :
C’eſt ma joie & ma ſouſtenance,
C’eſt mes deduis, c’eſt mes delis,
C’eſt droitement la fleur de lis
Dont roy, duc & conte ſe parent.
Car vraiement tuit la comparent
À la fleur de lis en blancheur,
À la roſe en fine douceur,
En honneur à la treſmontaine,
Et en chanter à la ſeraine.
Hé Dieus ! quand ſon noble renom
Puis oÿr, & ſon tres-dous nom,
D’aucune aventure, nommer,
Il n’eſt clers qui ſcéuſt ſommer,
Dire, penſer, ne mettre à nombre
La joie qui à moi s’aombre.

Si com j’eſtoie en ce parti,
Un varlet ſur moi s’embati,
Qui diſt : « Sire, ce vous trameſt,

« Savés-vous qui ? voſtre dame eſt,[56]
« Qui vous ſalue mille fois.
« Je ſuis de la conté de Fois,[57]
« Et m’en vois tout droit en Lorraine :
« Ci revenray l’autre ſemaine ;
« Et, s’il vous plaiſt, vous reſcrirés,
« Si feray ce que vous dirés. »
Je di : « Volentiers reſcriray,
« Et ma volenté vous diray. »
À moy priſt congié, je à lui.
La lettre prins & ſi la lui ;
Et vez-là cy, de mot à mot,
Ainſi comme baillié la m’ot.


V. — Tres-chiers & dous amis, j’ay receu vos lettres dès le juedi devant Noel, de quoy je vous mercy de tout mon cuer. Car, par ma foy, je n’eus, longtemps a, ſi grant joie comme je eus à l’eure que je les receus ; tant pour ce que j’avoie grant deſir de ſavoir nouvelles de voſtre bon eſtat, & auſſi pour ce que vous m’avés eſcript que ce petit de choſe que je vous ay envoié vous a donné ſanté & joie ; car certainement plus grant joie ne me porroit avenir comme de faire choſe qui vous donnaſt ſanté & léeſce. Et ſe vous prenés grant plaiſir à veoir & à tenir ce que je vous ay envoié, je cuide certainement que je le pren plus grant à veoir ce que vous m’avez envoié ; que, par ma foy, il ne fu jour, depuis que je les receus, que je ne les baiſaſſe deuz ou trois fois, tout du mains. Et auſſi vos .ii. balades & celle qui eſt notée ay-je tant fait que je les ſaray par temps. Et pour tant que vous m’avez eſcript qu’elle eſt de voſtre eſtat, lequel eſt amendé, la mercy Nre ſeigneur, j’en ay moult grant joie. Pour tant je mettray tele diligence à la bien aprenre que quant il plaira à Dieu que je vous voie, je la chanteray avec vous du mieus que je pourray ; & auſſi me plaiſt-elle moult, pour tant que vous m’avez mandé que la muſique vous plaiſt. Et certes je ne pren nul ſi grant plaiſir à chanter, ne à oÿr nulles chanſons ne nuls dis, comme je fais à ceus qui viennent de vous ; car pour le bien que j’en ay oÿ, & que je croy qu’encore y ait-il plus que on ne pourroit dire, je aim & tieng chier tout ce qui de vous vient, & je n’euſſe pas creu, pour nuls qui le me déiſt, que je peuſſe avoir ſi grant amour à nul homme ſans que je l’éuſſe veu, comme j’ay à vous. Car dès ce que je oÿ premierement retraire le bien & l’onneur qui eſt en vous, il ne fu pas heure que mon cuer ne vous amaſt ; & encore croiſt & croiſtera l’amour de jour en jour. Et ſur ce, je vous envoie un virelay, lequel j’ay fait ; & ſe il y a aucune choſe à amender, ſi le vueilliés faire, car vous le ſarés mieus faire que je ne ſais ; j’ay trop petit engien pour bien faire une tele beſongne, & auſſi n’eus-je onques qui rien m’en apreniſt. Pour quoy je vous pri, tres-chiers amis, qu’il vous plaiſe à moy envoier de vos livres & de vos dis ; par quoy je puiſſe tenir de vous à faire de bons dis & de bonnes chanſons ; car c’eſt le plus grant esbatement que je aie, que de oÿr & de chanter bons dis & bonnes chanſons, ſe je le ſavoie bien faire. Et quant il plaira à Dieu que je vous voie, laquelle choſe je deſire tant que je ne le vous porroie eſcrire ne vous ne le porriés penſer, s’il vous plaiſt vous les m’apenrez à mieus faire & dire. Car je en apenroie plus de vous en un jour que je ne feroie d’un autre en .i. an. — J’ay receu les lettres que vous envoiés à mon frère,[58] & me ſuis tant faite forte de vous & de lui, que je les ai ouvertes & leues. Et, par ma foy, je vorroie bien que vous & lui vous teniſſiez fort de moi de ce & de plus grant choſe ;[59] & auſſi mes dis frères n’eſt pas ou pays, car il ſe parti de moi le viiie jour de decembre, pour aler en Avignon ; &, ce dit jour, lui & voſtre ſecretaire dirent nouvelles de vous & me baillierent un virelai tout noté, & me dirent que vous l’aviez fait : ſi l’ay apris tant que je le ſay. Tres-chiers amis, je me recommende à vous de tout mon cuer, tant comme je puis, & vous pri que ſe je puis faire choſe qui vous plaiſe, qui vous donne ſanté & joie, que vous le me mandés, ainſi com vous fériés à voſtre ſuer & à voſtre compaigne & amie. Et je vous promet léaument que je le feray de tres-bon cuer ; & vous me ferés tres-grant joie & grant conſort, s’il vous plaiſt à moi eſcrire nouvelles de voſtre bon eſtat. Je prie à Noſtre ſigneur qu’il vous doinſt joie, ſanté & honnour autant comme je vorroie pour l’omme du monde que je plus aime.

Voſtre vraie & loial amie.
CHANSON BALADÉE.[60]

Ne vous eſtuet guermenter,
Tres-dous amis, ne doubter,
N’eſtre en eſmay,
Car vos dolours mueray,
Par bien amer,
Et par doucement parler,
Quant vous verray.

Car certes volenté ay
De tout quanque je ſaray

Qui conforter
Porra voſtre dous cuer vray,
Sachiés que je le feray
Et ſans tarder.

Si ne devez eſperer
Que nul mal doiez porter,
Tant com ſeray
En preſent, quar bien ſaray
Vos maulz ſaner.
Et pour vous confort donner
Mire en ſeray.
Ne vous eſtuet guermenter
Tres-dous amis, &c.

Mais quant Amours .i. amant point,
Il n’eſt pas toujours en .i. point ;
Ains a des penſées diverſes
Et des douces & des parverſes.
Si pris une merencolie
Contre moi, dont ce fu folie ;
Car de ma dame à la hauteſce
Penſoie, & à ma petiteſce.
Et en mon cuer imaginoie
Que riens encontre li n’eſtoie,
Et que c’eſtoit grant cornardie
De penſer qu’elle fuſt ma mie ;
Et qu’elle en véoit tous les jours,
À lieu où eſtoit ſes ſejours,
De milleurs une quarantainne,
Voire, par Dieu, une centaine ;
Et que l’ueil moult ſouvent contraint
Un cuer, & maiſtrie & deſtraint,
Par plaiſance qui le doctrine ;
Si qu’il aime d’amour tres-fine.

Mais quant l’ueil ne voit pas la chofe,
Il n’i puet riens, ains ſe repoſe :
Et auſſi qui de l’ueil eſlongne,
Il ne fait pas bien ſa beſongne ;
Qu’Amours ſe vuelent près tenir
Qui en vuelt à joie venir.
Si fis ceſte balade cy,
Ains que me partiſſe d’icy.
Lors vint li vallés de Gaſcongne,
Qui avoit bien fait ſa beſongne ;
Je li baillay celle eſcripture,
Si s’en ala grant aléure.

BALADE.

Quant ma dame eſt noble & de grant vaillance,
Et je me ſens de tres-petit affaire,
Je n’en puis mais ſe je ſuis en doubtance
Que je n’aie moult durement à faire,
Ainſois que j’aie s’amour.
Car moult petit priſera la clamour
De mon vrai cuer, & la grant loyauté ;
Si m’ara toſt, ſelon droit, oublié.

Et s’aucuns ont parlé pour ma grevance,
Qui ſont à moi haÿneus & contraire,
S’elle les croit, c’iert pechiés & enfance ;
Mais en li eſt de moi faire ou deffaire :
Or en face ſon millour !
Qu’en moi jamais mon cuer n’ara retour,
Ains ſera ſiens tous, & contre ſon gré ;
Si m’ara toſt ſelon droit oublié.

Amours ſcet bien que j’ay grant deſplaiſance
Touſdis en ce que li porroit deſplaire,
Et que j’ay mis cuer, deſir & plaiſance
En faire ce qui li puet & doit plaire.

Si ne feroit pas s’onnour
S’elle en amer muoit ſa grant douçour ;
Et s’il avient, mors ſuis pour ſa biauté ;
Si m’ara toſt ſelon droit oublié.

Et ce Rondel, en ce voiage,[61]
Où il a chant, li envoia-ge.

Dame ſe vous n’avez apercéu
Que je vous aim de cuer, ſans decevoir,
Eſſaiez-le, ſi le ſarez de voir.
Vo grant biauté m’aroit trop decéu,
Et vo douçour qui trop me fait doloir,
Dame ſe vous n’avez apercéu
Que je vous aim de cuer ſans decevoir.

Car mon cuer ont ſi tres-fort eſméu
À vous amer, que je puis percevoir
Que jamais bien doie ne joie avoir,
Dame ſe vous n’avez apercéu
Que je vous aim de cuer, ſans decevoir,
Eſſaiez-le, ſi le ſarez de voir.


VI. — Ma tres-chiere & ſouveraine dame, je ne ſuis mie tels, ne ſi ſages que je vous ſcéuſſe mercier ainſi comme il appartient de vos douces, courtoiſes & amiables eſcriptures : & toutes voies je vous jur en ma léauté, qu’elles me font tant de bien que je ne me réveille à nulle heure qu’il ne m’en ſouviengne, & que je n’aie l’oeil & le cuer & la penſée à vous, pour faire choſe à mon pooir qui ſoit à votre loenge & à votre honour. Et quant ad ce que vous me mandés que ſe vous eſtiés uns homs, vous me verriés bien ſouvent, je vous pri pour Dieu, & ſur toute l’amour que vous avés à moi, que vous me vueilliés tenir pour excuſé, ſe je ne vois & ſuis alés devers vous ; car, par m’ame, Dieus ſcet que ce n’a mie eſté par deffaute d’amour ne de bonne


Centré


volenté : mais j’ay eſté en tel point & ſi preſſés de maladie, pendant un an, que encor nouvelement, puis que T. revint,[62] j’ay eſté malades ſans iſſir de ma chambre ſe pou non ; & je penſe que vous eſtes ſi bonne & ſi ſage que vous ne vorriés mie, que moi qui ſuis voſtre créature, que vous avés reſuſcité & doucement nourry de vos douces & amiables paroles, me méiſſe en aventure d’eſtre perdu à tousjours-mais, pour aler vers vous. Car oultre pooir néant :[63] &, par Jheſucriſt, je le deſire plus que choſe qui ſoit en monde, & vos douces promeſſes m’i contraingnent fort. Et, par Dieu, ſe vous demouriés à Romme la grant, ſi vous verray-je le plus toſt que porray. Et veſcy le nouvel temps, que je ſeray en bon point ſe Dieu plaiſt. Et, ma ſouveraine dame, quant ad ce qu’il vous plaiſt que je chaſſe hors de mon cuer la mortel paour & le griés penſer qui y eſt, toutes vos paroles me ſont commandement ; ſi le feray par tele manière que la bonne eſperance que j’ay en tres-douces promeſſes que vous me faites (Se Dieus voloit que je vous péuſſe veoir), les chaſſera hors, ſans revenir, comment que je ne ſoie mie dignes de recevoir en cent mil ans le menre de biens que vous me porriés faire. Et de voſtre douce ymage que vous me devez envoier, certes je le deſire trop fort ; ſi vous ſuppli humblement que vous la me vueilliés envoier le plus toſt que vous porrez bonnement. Se je puis par nulle voie, je vous verray environ ceſte paſque. Je vous fais eſcrire l’un de mes livres que j’ay fait derrainement, que on appelle Morpheus.[64] Et le vous porteray ou envoieray, ſe Dieu plaiſt. Je vous mercy de ce que la longueur de mes eſcriptures ne vous anuie point ; car certainement, quant je commence, je n’i ſay faire fin, pour la tres-grant plaiſance que je pren en penſer, en parler & en eſcrire. Je vous mercy trop humblement de la belle & bonne verge que vous m’avez envoïe, & certes il ne faut mie que vous me pryés de la bien garder, car pen ſuis tous pryés. Ma tres-chiere & ſouveraine dame, ſe je vous eſcri plus rudement, nicetement & mal ſagement que je deuſſe, ſi le me vueilliés pardonner, car il ſont .ij. choſes qui font deſtourner la mémoire d’un homme : trop grant joie & trop grant doleur ; &, par m’ame, quant je regarde vos douces & amoureuſes paroles, vos riches promeſſes, que je n’oſeroie ſouhaidier ne deſirer, pour ce que tels biens n’apartient pas a moi, j’ay ſi grant & ſi parfaite joie, que créature humaine ne le ſaroit ne porroit penſer ; & quant je penſe & voy que par nulle voie, je ne puis aler vers vous, pour ſaouler mon cuer & mes yeux de vous veoir, ma joie en dolour ſe mue, & en ay tant, qu’il n’a ſi dur cuer en monde, ſe il avoit pitié en li, qu’il n’en euſt compaſſion, s’il me véoit ; mais tels eſt li meſtiers d’Amours : pour une joie .c. dolours, ſi que je ne vous eſcri mie ſi reveremment, ne ſi humblement comme je deuſſe, ma tres-chiere & tres-ſouveraine dame. Je pri Dieu qu’il vous doint honneur & joie tele comme vous meiſmes le vorriés, & tele comme mes cuers le deſire, comme à la créature du monde que j’aime plus, & que je deſire plus à veoir. Ma tres-ſouveraine dame, je vous pri que vous ne bailliés nulles copies de ce que je vous envoie ; pour ce que je y penſe à faire les chans, eſpecialement ſur celles qui mieus vous plairont ; & ſe je n’ay envoiet vers vous ſi toſt comme je déuſſe, ſi le me vueilliés pardonner ; car, par m’ame, ce n’eſt mie par deffaut d’amour ne de ſouvenance ; il me ſouvient plus de vous que de tout le monde, & penſe que je fuſſe piéça mors, ſe li ſouvenirs que j’ay de vous ne fuſt. Mais je pren joie & confort & vraie eſperance que je vous verray encore, tout ainſi que mes cuers le deſire. J’ay au jour de hui receu vos lettres que mon ſecretaire m’a envoïes, eſquelles vous me faites ſavoir voſtre bon eſtat ; dont je ſuis moult liés ; & vraiement c’eſt la plus grant joie que je puiſſe avoir, que d’en oÿr bonnes nouvelles. Et ad ce que vous me mandés que je vous eſcriſe ſouvent, plaiſe-vous ſavoir que je ne truis mie meſſage à ma volenté, en qui je m’oſe bien fyer : & c’eſt la cauſe pour quoy je n’en envoie mie ſi ſouvent devers vous. Pour ce que je penſe que vous orriés volentiers nouvelles de mon eſtat, plaiſe vous ſavoir que je ſuis en aſſez bon point, & penſe que je chevaucheroie bien ſe il faiſoit un peu plus chaut. Et certes, ſe je avoie voſtre douce ymage, après Dieu & vous je l’ameroie, ſerviroie & obéyroie, & feroie maintes choſes nouvelles en l’onneur de vous & de li. J’ay fait le chant ſur Le grand deſir que j’ay de vous véoir, ainſi comme vous le m’aviez demandé & l’ay fait ainſi comme un Rés d’Alemaigne ; & vraiement, il me ſemble moult eſtranges & moult nouviaus, ſi le vous envoieray le plus toſt que je porray. Par ma foy, vous m’avéz envoiet un trop bon Rondelet & qui trop bien me plaiſt. Ma tres-chiere & ſouveraine dame, je pri Dieu qu’il vous doinſt autant de bien & de honeur comme vous méiſmes le vorriés & comme je le deſire de tout mon cuer.
Voſtre tres-loial ami.


Quant ma dame mes lettres vit,
Savés comme elle ſe chevit
De bon entendement & ſain ?
Sus ſon cuer les miſt en ſon ſein,
Et puis elle n’atendi pas,
Ains s’en ala plus que le pas
En ſa chambre celeément,
Et cloÿ l’uis tout belement ;
Et puis elle les priſt à lire
D’un cuer qui tendrement ſouſpire,
En diſant que j’avoie tort
Et cuer nice, rude & entort,
Quant ainſi de li me doubtoie,

Et quant en riens la meſcréoie
Que ſes cuers ne fuſt tous en mi ;
Et ſouvent en diſoit : « aimmi ! »
Qu’Amours li diſoit : « Belle, plain te. »[65]
Si commença ceſte complainte :
Mais pour ce onques ne me maudit,
Et ſavez-vous qui le me dit ?
Celle qui là preſente eſtoit,[66][App. XV.]
Et qui la chauſſoit & veſtoit.

COMPLAINTE.

Mes dous amis à vous me veuil-je plaindre,
Dou mal qui fait mon cuer palir & taindre ;
Car de vous vient, ſi le devez ſavoir,
Ne ſans vous ſeul confort ne puet avoir.
Or veuilliés dont entendre ma clamour,
Et aveuc ce conſiderer l’amour
Dont je vous aim, car briefs ſeroit ma fin,
Se ne m’amiez de cuer loial & fin.
Amis, je n’ay nulle joieuſe vie,
Ains ſuis touſdis en grant merencolie,
Car je ne fais nuit & jour que penſer
À vous véoir : mais po vault mon penſer,
Quant il n’eſt tour, ſoubtilité, ne voie,
Ne manière que j’y ſache ne voie ;
Si qu’ainſi ſont mi mortel ennemi
Tuit mi penſers, & touſdis contre mi :
Si n’ay confort, amis, fors que tant plour,
Que je cuevre ma face de mon plour.
Et quant je ſuis ſaoule de plourer,
Souvenirs vient mon las cuer acorer ;
Car il n’eſt biens ne joie qu’il m’aporte,
Ainſois tous dis me grieve & deſconforte ;

Dont ſouvent ay eſtranglé maint ſouſpir
Pour ce que trop profondement ſouſpir.
Après, Deſirs ne me laiſſe durer,
Si n’ay pas corps pour tels fais endurer ;
Car feble ſuis, dont pieçà ſuſſe morte
S’Eſpoirs ne fuſt qui .j. po me conforte.
Et ſi ne ſay que c’eſt de ceſt eſpoir,
Car pas ne vient, ſi me deçoit eſpoir.[67]
Et s’ay cauſe de penſer le contraire
De ce qu’il diſt ; pour ce ne ſay que faire.
Or ſoit ainſi com Dieus l’a ordené ;
Mais je vous ay ſi franchement donné
Moy & m’amour que c’eſt ſans departir ;
Et s’il convient ma vie du corps partir,
Jà ceſte amour pour ce ne finera,
Qu’après ma mort m’ame vous amera.

Et elle m’eſcript en la guiſe
Qui eſt yci d’arrière miſe ;
Mais dedens ſa reſcription
Fu ceſte lamentation.[68]


VII. — Mon tres-dous cuer & vray amy j’ai receues vos lettres. Depuis que je eus ycelles receues, le .iiij.e jour enſievant[69] je receues ycelles de quoy vous m’avez eſcript, & auſſi les chanſons ; de quoy je vous mercy tant doucement comme je puis. Et en l’ame de moi, elles ſont toutes ſi bonnes & me plaiſent tant & auſſi tout quanque vous m’eſcrivez : car je ne preng confort ne esbatement fors en veoir & en lire ; & y preng ſi grant plaiſance que je en laiſſe ſouvent autres beſongnes. Si vous pri, mon tres-dous cuer, qu’il vous plaiſe de les moi envoier notées, & vous pri que vous les me envoiez avant que vous les monſtriés à nul autre : car, par ma foi, tant comme j’ay des voſtres je ne quier nulles autres aprendre. Et ſe je vous ay eſcript que ſe je fuiſſe uns homs, je vous véyſſe bien ſouvent, par ma foi j’ay dit voir ; mais pour ce, n’eſt-ce mie que je vueille que vous veniés vers moi, ſe n’eſt à l’aiſe & ſanté de voſtre corps. Ainſois vous pri, ſur l’amour que vous avez à moi, que vous ne vous metés en chemin de venir, juſques à tant que li chemins ſoit plus ſeurs, & auſſi que vous ſoiez en milleur ſanté, laquelle je prie à Noſtre Seigneur qui la vous doint tel comme mes cuers deſire. Et par ma foi je croy certainement que vous avés auſſi grant deſir de moi veoir comme j’ay de vous. Si vous pry, mon tres-dous cuer, que vous oſtés de voſtre cuer treſtous meſchiefs & toute ire ; car, en l’ame de moi, je ne puis avoir bien ne joie, tant comme je vous ſente à meſchief ; & je ne cuide pas que vous ne autre péuſt penſer le grand deſir que j’ay de faire choſe qui mette voſtre cuer hors de toutes doleurs & qui le mette en aiſe & en parfaite joie. Et ſi, n’aiez nulle doubte que, tant comme je viveray, ma volenté ne fera changiée. Et vous prie que, le plus toſt que vous porrés, vous vueilliés faire le chant des chanſons que vous m’avez envoïes ; & par eſpecial, L’œil qui eſt le droit archier, & Plus belle que li biaus jours ; & ces .ij. me vueilliés envoyer le plus toſt que vous porrés. Et ſur l’autre chanſon baladée je en ay fait une autre ; & s’il vous ſemble que elles ſe puiſſent chanter enſemble, ſi les y faites. Je n’en ay encores fait que une couple, car les voſtres ſont ſi bonnes que elles m’esbahiſſent toute : ſi vous pri que vous y vueilliés amender ce qui y ſera à amender. Et, pour Dieu, mon dous ami, ne vous mettez point à chemin, juſques à tant que il y face meilleur & meilleur temps pour vous : car je auroie plus chier que je ne vous véyſſe d’un an, ce qui me ſeroit moult grief, que ce que vous veniſſiés en doubte & en péril de voſtre corps : mais, ſur toutes riens, je vous pri que je oie nouvelles de vous le plus ſouvent que vous porrés. Mon tres-dous ami, je prie à Noſtre ſeigneur qu’il vous doint pais, ſanté, léeſce & joie de tout ce que voſtre cuers aime.

Voſtre loial amie.


Cette complainte me tramiſt[70]
Dedens ſa lettre, & ce me miſt
En grant joie & en grant triſteſce ;
Car ce eſtoit la droite adreſce
Et le chemin de deſconfort ;
Mais ſa lettre eſtoit de confort.
Et en mon cuer eſtoit l’eſpine
De ſa complainte fémenine,
Qui faiſoit mon grief empirer,
Et mon cuer ſouvent ſouſpirer.
Et d’autre part la douce atente
D’avoir s’ymage douce & gente
Qu’en ſa lettre me promettoit,
Si grant joie en mon cuer mettoit,
Et me faiſoit ſi grant profit
Que, par celui Dieu qui me fiſt,
Je n’en voſiſſe pas avoir
Tout le bien, la joie & l’avoir
Que je péuſſe deviſer,
Tant y péuſſe bien viſer.
Mais n’avoie encor riens reſcript
À la lettre qu’elle m’eſcrit ;
Et tout ainſi comme refcrire
Si voloie, on me vint dire
Une merveilleuſe aventure
Qui trop me fu diverſe & dure.

On me diſt que ma dame chiere,
Que j’aim d’amour fine & entière,
Doubtoit que je fuſſe celli
Qui amaſt un autre que li,
Et que forment li deſplaiſoit
En cuer, mais elle s’en taiſoit.
Certes jà tant de mal n’éuſſe,
Se d’autre amer la meſcréuſſe ;[71]
Qu’eſpoir éuſſe en ſa bonté
Et en ſa fine loiauté.
Si li reſcri par tele guiſe
Com ceſte lettre le deviſe.


VIII. — Ma tres-chiere & ſouveraine dame, on m’a dit que vous vous doubtés de moi, que je ne vous face fauſſeté ; & comment que je n’en féiſſe onques ſemblant à la perſonne qui le me diſt, l’impreſſion de ceſte parole eſt telement emprainte dedans mon cuer, que jamais n’en partira ſe par vous. Et vous plaiſe ſavoir que je ne le vorroie mie, ne porroie faire, nés que li plus grans homs du monde [me le commandaſt]. Et s’il advenoit, dont Dieus me gart, je ſeroie li plus faus & li plus traitres qui onques fuſt, & plains du mauvais pechié d’ingratitude, c’eſt rendre mal pour bien. Et comment que je ne ſoie mie dignes de vous regarder ne de vous loer, ſe vous aviez ymagination contre moi, je ſeroie perdus & mors ; car je aroie perdu m’eſperance & mon confort, & legierement m’ariès oublié & guerpi. Mais ce ſeroit à tort : car, par m’ame, ſe toutes les dames du monde eſtoient en une place, je vous ameroie plus toute ſeule que toutes les autres : car cuers donnés ne ſe doit retolir, & tant a fols en bonne ville quil aime où il vuelt. Et s’aim mieulz languir pour vous que de nul autre joïr : ſi que, toutes les fois qu’il me ſouvient de ceſte parole, je ſuis en tel friſſon & en tel paour de vous perdre où je n’ay riens, fors ce que Eſperance m’en fait avoir, que mes triſtes & dolens cuers pleure larmes de ſang. Et, ma ſouveraine dame, vous poés legierement veoir & ſavoir que mes cuers eſt fermes en vous comme pierre en or & comme chaſtiaus ſur roche. Car vous ſavés qu’il n’eſt ſi juſte ne ſi vraie choſe comme experience, & vous poés aſſez ſavoir & veoir par experience que toutes mes choſes ont été faites de voſtre ſentement, & pour vous eſpeciaulment, depuis que vous m’envoiaſtes :

Celle qui onques ne vous vit
Et qui vous aimme loyaulment,

car elles ſont toutes de ceſte matière. Et, par Jheſûcriſt, je ne fis onques puis riens qui ne fuſt pour vous, car je ne ſay ne ne vueil faire de ſentement d’autrui fors ſeulement dou mien & du voſtre, pour ce que : Qui de ſentement ne fait, — ſon dit & ſon chant contrefait. Si vous ſuppli tant humblement comme je puis & ſay, comme à la femenine créature qui vive que j’aime le plus, & en cui j’ay plus grant fiance, vous ne vueilliés avoir penſée ne ymagination contre moi : car, par m’ame, ſi toſt comme je le ſaray, jamais par moi ne ſeront fais dis, loenges, ne lais, ne chans ; ſi que vous remis m’averez où vous me préiſtes. Car auſſitoſt comme vous m’avés fait me poés-vous deffaire, quant il vous plaira. Je vous penſe à veoir, voire prochainement, ſe Dieus plaiſt & je puis ; &, par Dieu, ce ne ſera mie ſi toſt comme je vorroie. Ma tres-chiere & ſouveraine dame, je prie à Dieu qu’il vous doinſt paix & ſanté, & volenté de moy amer, & honneur tele comme mes cuers deſire.

Voſtre plus loial ami.


Si que là tendrement plouroie,
Et parfondement ſouſpiroie.
Mais il vint un certain meſſage
Qui m’aportoit ſa douce ymage ;

Et ceſtes lettres me bailla
Qui mon cuer dormant eſveilla.


IX. — Mes tres-dous cuers & ma tres-douce amour, je vous envoie mon ymage faite au vif ſi proprement comme on la peut faire, pour vous conforter de ce que nous ne vous poons véoir. Si vous pri, mon dous cuer, qu’il ne vous deſplaiſe de ce que je ne la vous ay plus toſt envoïe ; car, en verité, je ne l’ay peu amender. Et, mon dous cuer, je vous pri ſur toute l’amour que vous avez à mi, & ſi acertes comme je puis, que vous ne vueilliez pas mettre voſtre cuer à meſchief, ne croire les paroles que vous m’avez eſcriptes ; car, en l’ame de mi, je ne le penſay onques, ne que vous me voſiſſiès ne daigniſſiés faire ce que je ne vorroie faire à vous, que j’aim plus que moi, n’autruy. Si, en ſoiés du tout hors de doubte. Mon tres-dous cuer, vueilliés moi envoier voſtre livre le pluſtoſt que vous porrés, car je ne pren plaiſance ne esbatement que en vous & en vos choſes. Je prie à Noſtre ſeigneur qu’il vous doint honneur & joie de tout ce que voſtre cuer aime.

Voſtre loial amie.


Ainſi s’image m’envoia,
Par le vallet qui s’avoia
À moy, & me diſt en recoy :
« Sire, voy-cy je ne ſay quoy
« Que voſtre dame vous envoie :
« Et bien m’a dit, ſe Dieus m’avoie,
« Qu’en autre main la choſe n’aille
« Qu’à vous ; tenés, je la vous baille. »
Et je la reçus lyement,
Et la prins honnourablement,
Et puis de mon or li donnay.
Et quant à li fait mon don ay,
Je m’en alay grant aléure,

Tous ſeul, ſans nulle créature,
Et m’enfermay dedens ma chambre,
Com cil qui n’avoit cuer ne membre
Qui ne fremiſt de droite joie,
Pour le grant deſir que ſavoie
De véoir ce riche preſent.
Et quant n’i ot fors moi preſent,
Je pris cette ymage jolie,
Qui trop bien fu entortillie
Des cuevrechiés ma douce amour,
Si la deſliay ſans demour.
Et quant je la vi ſi tres-belle
Je li mis à non : Toute-belle,
Et tantoſt li fis ſacrefice
Non pas de tor ne de genice,
Ainſois li fis loial hommage
De mains, de bouche & de courage,
À genous & à jointes mains.
Et vraiement ce fu du mains ;
Car ſa douce plaiſant emprainte
Fu en mon cuer ſi fort emprainte,
Que jamais ne s’en partira
Tant com li corps par terre ira ;
Ains ſera de moi aourée,
Servie, amée & honnourée,
Com ma ſouveraine déeſſe
Qui gariſt tout ce qu’Amours bleſſe
En moi, où elle ouvra jadis
Trop plus que ſains de paradis.
Car j’eſtoie du tout perdus
Mas, deſconfis & eſperdus ;
Mais .ii. fois m’a reſuſcité
Par franchiſe & douce pitié.

Si la tins en grant reverence,
Pour la bonté & la vaillance
De celle dont elle venoit ;
Car mieus de li ne convenoit.
Si la mis haut deſſur mon lit,
À grant joie & à grand délit,
Pour li véoir & atouchier,
À mon lever & au couchier.
Je la veſti, je la paray,
Et maintes fois la comparay
À Venus quant je l’aouroie,
Et plus encor, car je diſoie :
« Douce ymage, douce ſemblance,
« Plus que Venus as de puiſſance ;
« Toute vertu, douce dame, as :
« Pour ce, d’un fin drap de damas
« Fait de fin or ſeras parée,
« Qu’à toi nulle n’eſt comparée. »

Ainſi ſur mon chevés la mis,
Com vrai ſerf & loiaus amis ;
Dont moult de gent ſe merveilloient
Que c’eſtoit, quant la regardoient.
Quant j’avoie aucune penſée
Contre moi ou mal ordenée,
Et la manière ſimple & coie
De celle ymage regardoie,
Tous mes penſers eſtoit taris,
Et tous mes maus eſtoit garis.
Et pourquoi la m’envoia-elle ?
Pour ce qu’elle ſavoit bien qu’elle
Ne pooit devers moi venir ;
Auſſi ne pooit avenir

Que devers li ſi toſt alaſſe ;[72]
Si voloit que me confortaſſe
Et que j’éuſſe remembrance
De ſa tres-douce contenance.

Ainſi eus l’ymage de pris,
Que j’aim ſur toute rien & pris,
Après ma dame debonnaire
Qui ſur toutes eſt de bon aire.
Mais ſans doubte ains que je l’éuſſe,
Il convint que j’en recéuſſe
Mainte friſſon, mainte doleur,
Et que j’éuſſe la couleur
Souvente fois tainte & deſtainte,
Et féyſſe mainte complainte.
Car cils que aimme par amours
A des joies & des clamours,
Des grans deſirs & des penſées
Diverſement entremellées ;
Et ſouvent ne ſcet qui li faut,
Et mainte fois a grant deffaut
De ce dont il a grant plenté.
Or eſt malades en ſanté,
Or ha pais, or fait chiere lie,
Or eſt en grant merencolie ;
C’eſt des amoureus la couſtume :
Qui bien aime à ce s’acouſtume.
Si ſui en ce point longement,
Or en léeſce, or en tourment.
Car une dame ainſi demaine

L’amant qu’elle a en ſon demaine.
Mais, finablement, m’a Léeſce
Deſconfit toute ma triſteſce,
Pour l’ymage plaiſant & pure
Qui eſtoit pourtraite en peinture.
Si me vi de tous poins gari,
Et le primtemps bel & joli,[73]
La douceur de la matinée,
L’erbe vert deſſous la rouſée,
La fleur & la fueille en boſcage.
Si devoie un pelerinage
À .ii. lieues près dou manoir
Où ma dame devoit manoir ;
Si m’aviſai que je iroie,
Et que mon veu adcompliroie ;
Et qu’en l’ombre de ce voiage,
Je verroie le dous viſage
Le dous oueil & le cointe atour,
Et le gentil corps fait à tour
Dont j’ay l’ymage belle & cointe,
Qui de pais & joie m’acointe ;
Et qui me fait parler & vivre,
Et faire pour s’amour ce livre.
Mais ainçois que je me partiſſe,
Il convenoit que j’eſcriſiſſe,
Et qu’humblement la merciaſſe
De ſa douce ymage qui paſſe
Plus que ſains, ſans compariſon,
Pour mes maus mettre à gariſon.
Si m’ordenay tout bellement
Bien & bel & faiticement,

Pour aler où je deſiroie
Cent fois plus que ne vous diroie.
Mais, ainſois, fis cette balade
De joli ſentement & ſade,
Et en ces lettres l’encloÿ
Dont ma dame moult s’esjoÿ.

BALADE. Et y a chant.

Dès quon porroit les eſtoilles nombrer,
Quant on les voit luire plus clerement,
Et les goutes de pluie & de la mer,
Et l’arene ſur quoy elle s’eſtent,
Et compaſſer le tour du firmament,
Ne porroit-on penſer ne concevoir
Le grant deſir que j’ay de vous véoir.

Et ſi ne puis par devers vous aler,
Pour Fortune qui le wet & deffent,
Dont maint ſouſpir me convient eſtrangler,
Quant à vous penſe & je ſuis entre gent.
Et quant je ſuis par moi ſecretement,
Adont me fait tous meſchiés recevoir
Le grant deſir que j’ay de vous véoir.

Car il me fait complaindre & dolouſer
Et regreter voſtre viaire gent,
Et vo biauté ſouveraine & ſans per,
Et la tres-grant douceur qui en deſcent ;
Ainſi me fait languir piteuſement,
Mon cuer eſprent, & eſtaint mon eſpoir,
Le grant deſir que j’ay de vous véoir.


X. — Ma tres-chiere & ma tres-ſouveraine dame, à envis muert qui apris ne l’a ; ne bons cuers ne pu et mentir, & qui bien aimme à tart oublie. Vous m’avez fait, Dieus le vous mire, tant de biens & d’onneurs, de graces & de douceurs, que onques dame ne fiſt tant à ſon ſervant & ami, (com vaillans que il fuſt), que vous m’en avés fait. Et comment qu’il en ait eſté & ſoit encores pluſieurs qui volentiers leur donnaſſent confort, elles n’avoient mie ſi bien le ſens & la maniere comme vous avez ; dont je me tien pour le plus eureus qui vive. Et comment que je ſache certainement que pluſieurs vous ont dit que je ſuis lais, rudes & mal gracieus, par Dieu, com petis que je ſoie, j’ay bien vaillant .i. cuer d’ami. Et je voy bien que voſtres nobles cuers ne daigne encliner ne croire leurs paroles : & vous le me monſtrés bien, par voſtre douce, plaiſant & tres-belle ymage, que vous m’avez envoïe, dont je ne vous ſay mercier ainſi comme je devroie : car, par m’ame, mes ſens ne mes entendemens ne ſont pas tels que je peuſſe faire mon devoir de vous en mercyer. Car, en l’ame de moi, c’eſt ma vie, c’eſt mes ſoulas, c’eſt mes depors ; & je ne porroie avoir doleurs ne adverſités, que tantoſt comme je la voy ou qu’il m’en ſouvient, que je ne ſoie garis & confortés. Et ſans doubte, jamais en jour de ma vie, pour choſe ne pour parole que on me die, je ne penſeray, ne croiray que vous ne vueilliés eſtre ma ſouveraine dame, & que vous ne faites de vrai cuer tous les biens que je reçoy de vous. Et, ma ſouveraine dame, uns chevaliers ne doit avoir autre meſtier n’autre ſcience que armes, dames & conſcience. Si vous jur & promet que, à mon pooir, je vous ſerviray loyalment & diligemment de ce que je fay & puis faire, & tout à voſtre honneur, comme Lancelos ne Triſtans ſervirent onques leurs dames ; & aourray comme Dieu terrien & comme la plus precieuſe & glorieuſe relique que je véyſſe onques en lieu ou je fuiſſe. Et d’or-en-avant ce ſera mes cuers, mes chaſtiaus, mes treſors, & contre tous maus mes confors, ſans nulle fauſſeté. Se Dieu plaiſt, je vous verray dedens la Penthecouſte[App. XVI.] ; Car vous & voſtre douce ymage m’avés mis en tel point que, Dieu merci, vous m’avez tout gary. Et fuiſſe pieça partis ; mais il ha une grant compaigne[74] à .vi. & à .iiii. lieues de nous ; pour quoy on chevauche tres-perilleuſement. Je vous envoie mon livre de Morpheus, que on appelle la Fontaine amoureuſe, où j’ay fait un chant à voſtre commandement[75] & eſt à la guiſe d’un rés d’Alemaigne ; & par Dieu longtemps ha que je ne fis ſi bonne choſe à mon gré ; & ſont les tenures auſſi doulces comme pappins deſſalés.[76] Si vous ſuppli que vous le daigniez oÿr, & ſavoir la choſe ainſi comme elle eſt faite, ſans mettre ne oſter ; & ſe vuet dire de bien longue meſure ; & qui la porroit mettre ſus les orgues, ſus cornemuſes ou autres inſtrumens, c’eſt ſa droite nature. Je vous envoie auſſi une balade que je ſis avant que je receuſſe voſtre douce ymage ; parce que je eſtoie un po bleciez en l’esperit, pour aucunes paroles que on m’avoit dites. Mais ſi toſt que je vi vostre douce ymage, je fui garis & hors de merencolie. Ma tres-ſouveraine dame, je vous euſſe porté mon livre pour vous esbattre, où toutes les choſes ſont que je fis onques : mais il eſt en plus de .xx. pieces ; car je l’ay fait faire pour aucun de mes ſeigneurs ; ſi que je le fais noter, & pour ce il convient que il ſoit par pieces. Et quant il ſera notés, je le vous porteray ou envoieray, s’il plaiſt à Dieu. Ma tres-ſouveraine dame, je prie Dieu qu’il vous doint tout ce que voſtre cuers deſire ; & tele honneur comme je vorroie que vous euſſiez ; & ainſi comme pour moy vorroie, vous doint Dieus ſoulas & joie !

Voſtre tres-loial amy.


Après ce, je m’acheminay,
Et tout droit pris mon chemin ay,
Pour bien mon voiage aſſevir,
Et auſſi pour ma dame oïr.
Si montay ſur ma haguenée
Qui eſtoit groſſe & graſſe & lée,
Et m’en alay tout belement,
Car bien en avoie aiſement.
Tant fis que je vins à la ville,
Où plus avoit barat & guille
Qu’en ville où je fuiſſe onques mais.
Si alay à l’egliſe : mais
Tantoſt com le piet mis dedens,
Je fis un veu entre mes dens,
Que tant comme laiens ſeroie,
Tous les jours de nouvel feroie,[77]
Pour l’amour de ma dame douce
Qui vuelt & qui deſire tout ce
Qui me plaiſt par bien ; (Dieus li mire !)
Et ſi vuet eſtre mon doulz mire.
Là fui en grant dévotion ;
Et c’eſtoit mon entention
Que j’y féiſſe ma nueſvaine ;
Mais j’y fui près d’une quinzaine,

Pour .i. accident qui me vint.
Car de là partir me convint [App. XVIII.]
Au commandement d’un ſeigneur,
Qu’en France n’a point de greigneur, [App. XIX.]
Fors un ; Dieus le gart où il maint,[78]
Et à grant joie le ramaint !
Mais ce ne me deſplaiſoit mie,[79]
Car j’aloie véyr m’amie.
Si que là maintes fois penſay
Et mon veu ainſi commenſay.
Mais elle ſi bien l’entendi
Qu’à chaſcun fait me reſpondi :

BALADE.

De mon vrai cuer jamais ne partira
L’impreſſion de vo douce figure ;
Car voſtre ymage emprainte ſi l’i ha,
Qu’il n’eſt cyſel ne liqueur ne raſture,
N’au monde n’a ſi ſubtil créature
Qui l’en péuſt effacier ne oſter,
Ne qu’on porroit tarir la haute mer.

Mon Dieu terrien eſt & fu & ſera,
Tant comme en moy ſera vie & nature ;
Et, après mort, mon ame l’amera
Pour ſa biauté qui en envoiſéure
Nouriſt mon cuer de ſi douce paſture
Que ne la puet guerpir n’entroublier,
Ne qu’on porroit tarir la haute mer.

Et, avec ce, elle me garira
De tous les maus qu’Amours ſueffre & endure ;
Et toutes fois que mes cuers la verra,
M’eſperance ſera ferme & ſéure.
Qu’eſtes ſi bonne & ſi ſage & ſi pure,
Que ne vorriés ne daigneriés fauſſer,
Ne qu’on porroit tarir la haute mer.

LA DAME.
CHANSON BALADÉE.

Cils a bien fole penſée
Qui me cuide à ce mener
Que cellui où ſuis donnée
Laiſſe, pour un autre amer.
Ne ne porroit avenir
Que guerpir
Le péuſſe nullement ;
Ne qu’en moi péuſt venir
Le plaiſir
D’autre amer ; car vraiement
En s’amour ſui ſi fermée
Et miſe, ſans deſſevrer,
Que pour créature née
Ne le porroie oublier.
Cils a bien fole penſée, &c.

Mi penſer, mi ſouvenir,
Mi deſir,
Et m’amour entierement
Sont en li, ſans départir ;
Qu’avenir
Ne puis à joie autrement.
Et ſans li riens ne m’agrée,
Sans li tout dous m’eſt amer,
D’autre ne quier eſtre amée,
Fors de lui qu’aim ſans fauſſer.
Cils a bien fole penſée, &c.

Nient plus qu’on porroit tarir
Et tenir
La mer ſans nul mouvement,
Ne porroit-on repentir
N’alentir
Mon cuer d’amer loiaument
Cil qui deſſeur tous m’agrée.
J’en doi bien Amours loer,
Quant je ſui énamourée
Du meilleur qu’on puiſt trouver.
Cils a bien fole penſée, &c.

L’AMANT.
RONDEL.

Belle, voſtre dous ymage,
Que j’aim amoureuſement,
M’a mis en vo dous ſervage ;
Souvent contre mon courage
Me fait vivre liement,
Belle, voſtre dous ymage,
Que j’aim amoureuſement.

Car quant je li fais hommage,
Elle rit ſi doucement
Que tous mes maus aſſouage.
Belle, voſtre dous ymage,
Que j’aim amoureuſement,
M’a mis en vo dous ſervage.

LA DAME.
RONDEL.

Amis pour ce l’envoiai-ge
À vous que j’aim loyaument
De cuer, ſans penſer folaige,
Pour abaiſſier le hauſſaig

De Deſir qui vous eſprent.
Amis pour ce l’envoiai-ge
À vous que j’aim loiaulement.

Et s’il fait en vous outraige,
Souffrés debonnairement,
Et baiſiés ſon dous viſaigc.
Amis pour ce l’envoiai-ge,
À vous qui j’aim loiaulment
De cuer, ſans penſer folaige.

L’AMANT.
RONDEL. Et y a chant.

Se mes cuers art, & li voſtres eſtaint,
Dame, jamais ne puis à joie ataindre,
Car li deſir qui à mort m’a ataint,
Se mes cuers art, & li voſtres eſtaint,
Bruyſt mon cuer, & mon viaire taint,
Si que ſans vous m’ardeur ne puet eſtaindre.
Se mes cuers art, & li voſtres eſtaint,
Dame jamais ne puis à joie ataindre.

LA DAME.
RONDEL. Et y a chant.

L’amour de vous qui en mon cuer remaint,
Tres-dous amis, jamais ne puet eſtaindre,
Car ſans ceſſer, en ma penſée maint
L’amour de vous qui en mon cuer remaint.
De nulle riens n’eſt qui tant mon cuer taint,
Si croiſt adès, ne jamais jour n’iert meindre,
L’amour de vous qui en mon cuer remaint,
Tres-dous amis, jamais ne puet eſtaindre.

Après les choſes deſſus dites,
Tant les grandes com les petites,

Ma dame m’eſcript doucement
Qu’elle deſiroit durement
Que je par devers li alaiſſe,
Et que ma neuſvaine laiſſaſſe :
Mais ce pas ne me commandoit.
Toute voie elle me mandoit,
Et je tenoie vraiement
Sa parole à commandement.
Si me parti & m’en alay,
Et fis tant que véue l’ay.
Mais ainſois que je la véiſſe
Ne que parole li déiſſe,
Se Dieus me doinſt benéyſſon,
Je n’os onques ſi grant friſſon,
Si grant paour, ne ſi grant doubte.
Car la char me fremiſſoit toute,
Et la cauſe je ne ſavoie,
Fors tant que véoir la devoie.
Si appellay mon ſecretaire
Et li deſcouvri mon affaire,
Coment fort eſtoie entrepris
Et du mal amoureus eſpris.
Si diſt que je me confortaſſe,
Et que de riens ne me doubtaſſe ;
Qu’elle ne me morderoit pas :
S’i m’en aloie pas à pas.
Mais mon cuer & mon corps enſemble
Trembloient plus que fueille en tremble
Je ne met pas icy ſa lettre,
Que ce ſeroit trop long à mettre
De ſi petitettes lettrelles,
Jàſoit ce qu’elles ſoient belles ;
Qu’à li tous les jours envoioie,

Et elle à moi. Que vous diroie ?
Dont cy mettre enhardir ne m’os,
Car il n’i avoit que .ij. mos ;
Et pour ce ſeulement m’en tais,
Car d’autre choſe ſui entais.[80]
Si fis en alant ces .ii. choſes
Qui en ce livre ſont encloſes.

L’AMANT.
RONDEL.

Vos penſées me ſont commandement,
Si feray ce que vos cuers me commande ;
Quant j’oy & voy voſtre dous mandement,
Vos penſées me ſont commandement.
S’amours me doinſt joie & amendement
De vous, à qui mon vrai cuer recommande !
Vos penſées me ſont commandement
Si feray ce que vos cuers me commande.

LA DAME.
RONDEL.

Amis, venés vers moy ſéurement,
Car il n’eſt riens où tant mes fins cuers tende ;
Véus ſerés tres-amoureuſement ;
Amis, venez vers moy ſéurement.
Et ce vous jur & promet loyaulment
Que pour vos maus faut que joye vous rende.
Amis, venés vers moy ſéurement,
Car il n’eſt riens où tant mes fins cuers tende.

L’AMANT.
CHANSON BALADÉE.

Douce, plaiſant & debonnaire,
Onques ne vi vo dous viaire,
Ne de vo gent corps la biauté ;
Mais je vous jur en loiauté
Que ſur tout vous aim, ſans meffaire.

Certes & je fais mon déu,
Car j’ay moult bien apercéu
Que de mort m’avez reſpité
Franchement ſans avoir tréu.
Qu’à ce faire a Amours méu
Vo gentil cuer plain de pité.
Si ne doi pas eſtre contraire
À faire ce qui vous doit plaire
À tous jours mais ; qu’en vérité,
Mon cuer avés & m’amiſté
Sans partir, en vo dous repaire.
Douce, plaiſant & debonnaire, &c.

Ne m’avez pas deſcongnéu,
Ains m’avez tres-bien cognéu,
Par voſtre grant humilité,
En lit de mort où j’ay géu.
Belle quant il vous a pléu,
Que vous m’avés reſuſcité ;
Si que je ne m’en doi pas taire.
Ains doi par tout dire & retraire
Le grant bien qu’en vous ay trouvé,
La douceur, le bien, l’onneſté
Qui en vo cuer maint & repaire.
Douce plaiſant & débonnaire, &c.

Et ſe fortune m’a néu,
Et fait don pis qu’elle a péu,

Voſtre douceur l’a ſormonté,
Qui m’a de joie repéu,
Et ſa puiſſance ha deſcréu,
Et ſon orgueil ſuppedité.
Pour ç’avez mon cuer ſans retraire.
Qu’Amours, qui tout vaint & tout maire,
Le vous ha franchement donné ;
Se li voſtre le prent en gré
Onques ne vi ſi douce paire.
Douce plaiſant & debonnaire,
Onques ne vi vo dous viaire.

LA DAME.
CHANSON BALADÉE.

Dès que premiers oÿ retraire
De vous, dous amis débonnaire,
La valeur & la grant bonté,
Mon cuer fu ſi en vous enté
Qu’onques puis ne l’en pos retraire.

Jàſoit ce qu’onques congnéu
Ne vous éuſſe ne véu,
Vous fiſt Amours mon cuer donner ;
Et ſi, n’éuſſe pas créu
Que tout mon temps euſſe péu,
Sans voir, nul homme tant amer.
Mais bonne Amour le me fiſt faire,
Et le renon de voſtre affaire,
Qui a mon cuer entalenté
Si fort, que j’ay en volenté
De vous amer ſans riens meffaire.
Dès que premiers oÿ retraire, &c.

Mais pluſeurs fois ymaginay
En mon cuer, & determinay
Que je penroie un homme eſtrange,

Et de nous .ii. feroie change,
Et le menroie devant elle
Telement & à tel cantele [App. XX.]
Qu’on diroit : « Veſcy voſtre ami, »
Pour véoir s’elle aroit de mi
Congnoiſſance, & qu’elle diroit,
Ne quel ſemblant elle feroit.
Et celle méiſme penſée
Eſtoit en ſon cuer enfermée,
Si com elle l’a congnéu
Depuis ce que je l’ay véu.
Mais ne fu pas fait enſement,
Et ce fu le mieus vraiement.
Briefment je vins en ſa preſence :
Et quant je vi ſa contenence,
Sa manière, ſon bel acueil,
Son dous vis & ſon riant oeil,
Et ſa coulour blanche & vermeille,
Et ſon gent corps qui à merveille
Eſtoit lons & droit & traitis,
Envoiſiés, cointes & faitis,
Et j’oÿ ſa douce parole
Qui n’eſtoit eſtrange ne fole,
Ainſois me diſt : « Mon dous ami,
« Venez avant, parlés à mi ;
« Vous ſoiez li tres-bien venus !
« Longuement vous eſtes tenus
« De moi viſiter & véoir.
« Venez ça delez moi ſéoir. »
Et ſi me priſt de ſa main blanche
Trop plus que la noif ſur la branche.
Et quant elle me ſalua
Par nom d’ami, mes cuers mua

Si tres-fort que je ne ſavoie
Parler à li, ne où j’eſtoie.
Et ſi ſentoie une froidure
Entremellée d’une ardure
Qui faiſoit fremir & ſuer
Mon corps, & ma couleur muer.
Mais la franche & la debonnaire
Vit & congnut bien mon affaire,
Et de moy couvrir ſe pena ;
Et en un verger me mena
Qui eſtoit biaus, cointes & gens ;
Et me mena loing de ſes gens,
Et me diſt : « Dous amis parfais,
« Prenez, & par dis & par fais,
« Moi & le mien, & quanque j’ay.
« Je ne reſſemble pas le jay
« Qui n’a que plumes & paroles ;
« N’en moy n’a nulles paraboles.
« Tenés ma foi, je vous promet
« Que tout mon cuer & m’onneur met
« En voſtre main, or les gardés,
« Dous amis, & me regardés. »

Lors miſt ſa main deſſeur ſon pis,
Et diſt : « Je ne vaurrai jà pis,
« De dire ce que dire vueil :
« Et ſi vueil acomplir mon vueil.
« Veſci mon cuer, ſe je povoie,
« Par ma foy je le metteroie
« En voſtre main pour l’emporter.
« Or vous vueilliez dont conforter,
« Et ne merencoliés mie,
« Car je ſuis voſtre vraie amie ;

« Et de faire voſtre plaiſir,
« En tous biens, ay tres-grant deſir.
« Et ſachiés, amis, celle amour
« Qui fait en nos .ij. cuers demour,
« Venue eſt de Dieu proprement ;
« Car vous ſavez certainement
« Qu’onques-mais nous ne nous véiſmes,
« Ne paroles ne nous déiſmes.
« Et ſi ſay bien que vous m’amés,
« Et ſi eſtes amis clamés ;
« Et puiſque Dieus l’a volu ſaire,
« Il ne puet qu’à bonne fin traire. »

Après ce, je li reſpondi
Si bas qu’à peine m’entendi,
Car la parole me trembloit
Et tous li corps, ce me ſembloit :
« Tres-belle, vous eſtes ma dame,
« Et je ſuis vos amis, par m’ame. »
Mais, en ce diſant, la liqueur
Qui eſtoit par dedens mon cuer.
Me degouta parmi les yeus
Deſſus ma face, en pluſeurs lieus ;
Car mes cuers eſtoit ſi eſtrains
Et de ſa biauté ſi conſtrains,
Que je plouroie tendrement.
Et lors me diſt moult doucement :
« Mes dous amis, mes fins cuers dous,
« Dites-moy, pourquoy plourés-vous ?
« Pourquoy faites-vous tel ſemblant,
« Et avés le cuer ſi tremblant ?
« Amis, ſoiez aſſéurés
« Que le mal que vous endurés

« Pour moy, hautement meriray,[81]
« Et doucement vous gariray. »
Je ne la pos remercier,
Mais ſa main prins, ſans detrier,
Et moult humblement la baiſay ;
Dont un petit me rapaiſay.
Et quant un po fui rapaiſiés,
Et d’à li parler plus aiſiés,
Je prins congié & me parti ;
Mais ce fu en ſi dur parti
Que je cuiday au departir
Que li cuers me déuſt partir.
Si repris un po ma maniere,[82]
Et m’en alay par l’uis d’arriere,
Par quoy on ne s’apercéuſt
Qu’en moy dueil ou triſteſce ſuſt.
Mais de ſa cointe veſtéure
Me tais ; dont je fais meſpreſure. [App. XXI.]
Qu’abit onques ne vi ſi cointe,
Ne dame en ſon habit ſi jointe.
Pour ce un petit en parleray,
Ne jà le voir n’en celeray.

D’aſur fin ot un chaperon[83]
Qui fu ſemés tout environ
De vers & jolis papegaus,
Eſlevés, & tous parigaus ;
Mais chaſcuns à ſon col fermée

Avoit une eſcherpe azurée,
Et toute droite la blanche ele ;
Et leur contenance eſtoit tele,
Que li uns devant li regarde
L’autre d’arrier, qui fait la garde.
Ainſi comme dame doit eſtre
Sur garde, à deſtre & à ſeneſtre.
Là doit-elle bien regarder
S’elle vuelt bien s’onneur garder.
Veſtie ot une ſourquanie[84][App. XXII.]
Toute pareille & bien taillie,
Fourrée d’une blanche hermine
Bonne aſſés pour une roÿne ;
Mais la douce, courtoiſe & franche
Veſti ot une cote blanche,
D’une eſcarlate riche & belle[85]
Qui fu, ce croy, faite à Bruſſelle,
Et ſi tenoit une herminette
Trop gracieuſe & trop doucette,
À une chainnette d’or fin ;
Et un anel d’or en la fin,
À lettres d’eſmail qui luiſoient,
Et qui, gardés-moy bien, diſoient.
Tu qui ſcés jugier des coulours,
Et des amoureuſes dolours,
Dois ſavoir la ſegnifiance
Et de ſon habit l’ordenance.
Plus rien diray à ceſte fie, [App. XXIII.]
Car bien ſcez que ce ſignifie.

Mais elle ot de .xv. à .xx. ans,
Dont je la priſe mieus .xx. tans.
Plus ne di de la grant richeſſe
De ſon habit, de ſa nobleſſe,
Car bien dire ne le ſaroie,
Pour ce qu’eſpoir j’en mentiroie.[86]

Et s’aucuns voloit meſpriſier
Ma douce dame, ou mains priſier,
Pour ce qu’elle ainſi m’appella,
Ou ſe aſſez largement parla,[87]
C’eſt ſon bien, s’onneur & ſon los,
C’eſt ce dont je la pris & los ;
C’eſt douceur, c’eſt humilité
Et franchiſe, & douce pité,
(Quant uns amans eſt en ce point,)
De remettre ſon cuer à point.
Car ſe .x. mois devant li fuſſe,[88][App. XXIV.]
Jà ſemblant fait ne li éuſſe
De grace ou s’amour requerir,
Car ne li oſaſſe querir ;
Ne nulz homs n’i péuſt noter
Riens qui en féiſt à oſter :
Qu’onques-mais ne m’avoit véu,
Si que s’amour m’a pourvéu.
Et, ma douce dame jolie,
Ce n’eſt pas trop grant villenie,
S’en ce livre riens mettre n’oſe

Qu’ainſi comme il eſt, & ſans gloſe.
Car contre ſon commandement
Feroie du faire autrement :
Et, puiſqu’il li plaiſt, il m’agrée,
S’obéiray à ſa penſée.

Mais quant je vins à mon hoſtel,
Aſſaut en ma vie n’os tel ;
Car Honte me vint aſſaillir[89][App. XXV.]
Dont je cuidai bien, ſans faillir,
Qu’elle me déuſt eſtrangler.
Onques-mais ourſe ne ſangler
Ne beſte, tant fuſt fourſenée,
Ne vi venir ſi aïrée.
Et quant elle vint contre mi,
Par Dieu tout li ſans m’i frémi ;
Car moult haut diſt : « Certes, amis,
« De folie t’ies entremis,
« Qui vués la plus tres-belle amer
« Qui, deçà mer ne delà mer,
« Soit congnéue ne trouvée.
« Tu dois bien haïr la journée
« Que premierement la véis,
« Ne que delez li t’aſſéis ;
« Car vraiement tu n’ies pas dignes
« Par dis ne par fais ne par ſignes,
« Seulement de li deſchauſſier.
« Et ſi t’ies volu avancier

« Tant, que dit li as que tu l’aimes ;
« Et auſſi ta dame la claimes.
« Par ma foi ! c’eſt grant ribaudie,
« Grant outrage & fourſenerie,
« De ſi faite choſe entreprendre.
« Qui t’éuſt tantoſt mené pendre,
« Il n’éuſt perdu que la corde ;
« Qu’à ce toute raiſon s’acorde
« Que bien t’en déuſſes garder,
« Quant dignes n’ies dou regarder,
« Ne de penſer qu’elle t’amaſt,
« Comment qu’elle ami te clamaſt.
« Et comment ne te ſouvient-il
« Qu’elle dou tres-mortel peril
« Où tu eſtoies te getta,
« Par les lettres qu’elle ditta ;
« Et qu’elle t’a reſuſcité
« .ii. fois par grant humilité,
« Et te getta hors d’orphenté,
« Et t’a rendu joie & ſanté
« Et ton amoureus ſentement
« Qu’avoies perdu longuement.
« Et ſi t’a fait cointe & gaillart ;
« Et tu eſtoies un paillart
« Et ies, car cuer as nice & rude,
« Plain du pechié d’ingratitude,
« Et chetif, dolereus & las,
« Quant remerciée ne l’as
« Des grans honneurs & des bienfais
« Qui par elle t’ont eſté fais.
« Se tu avoies la vaillance
« D’Ector le fort, & la ſcience
« De Salomon, & la largeſce

« D’Alixandre, & la grant richeſce
« De Noiron, & la grant biauté
« D’Abſalon, & la loiauté
« Du roy David qui fu loiaus,
« Et la proeſce de Ayaus,[90]
« Et joneſce à ta volenté,
« Et de toute grace plenté,
« Ne porroies-tu deſſervir,
« Toute ta vie, par ſervir,
« Tant que tu péuſſes ſouffire
« À tel dame amer, à voir dire.
« Et en riens n’as recongnéu
« Les biens dont elle t’a péu.
« Cuide-tu qu’il ne l’en ſouveingne,
« Et que pour coquart ne te taingne ?
« Certes ſi fait, & ne t’en doubte,
« Qu’honneur & vaillance ſcet toute. »

Et quant je fui bien heraudés,[91]
Si com joué éuſſe aus dés
M’onneur & toute ma chevance,
Et j’eus bien oÿ ceſte dance,
Envers li me vols eſcuſer.
Mais elle n’en fiſt que ruſer ;
N’onques oÿr ne me deingna,
Et plus de cent fois ſe ſeingna
De la honte & dou grant meffait
Que j’avoie à ma dame fait.

Après Honte, Eſpoirs m’apella,

Et diſt : « Dous amis, es-tu là ?
« As-tu eſté bien laidengiés,
« Et de joie bien eſtrangiés,
« Pour la plus belle du pays ?
« Et pour ce qu’es trop esbahis,[92]
« Toutes les fois que tu la vois.
« Car tu n’as maniere ne vois
« Dont tu puiſſes à li parler.
« Dous amis, laiſſe tout aler
« Si fais parlers, & ne t’en chaille.
« Conforte-toi, vaille que vaille :
« Ta dame eſt ſage & prevenant,
« Et ſi t’a bien dit, cy devant,
« Que tu dois eſtre tous féurs
« Qu’elle t’aime, & c’eſt tes éurs
« Qu’elle, pour riens ne le diroit
« S’il n’eſtoit, & n’en mentiroit ;
« Si que, dous amis, ne t’eſmaie,
« Se tu as l’amoureuſe plaie.
« Elle te voit parmi le cuer,
« Si ne dois penſer, à nul fuer,
« Qu’elle jamais laiſſier te doie ;
« Car tu es ſiens & elle eſt toie.
« Et ſi, li as bien oÿ dire
« Qu’elle vuet eſtre ton dous mire,
« Et que jamais ne te laira ;
« Et certes, jà n’en mentira.

« Cuide-tu, ſe Dieus te doinſt joie,
« Que bonne dame le resjoie,

« Quant elle oit un bon advocas
« Qui bien ſcet propoſer ſon cas,
« Et qui ſoutilment li parole,
« Et bien ſcet polir ſa parole ;
« Et qui par droit li vuet prouver
« Qu’il doit en li merci trouver ?
« Certes nennil, ains li anuie
« Plus toſt que ne fait longue pluie,
« Car quant une dame de pris,
« Qui a d’amer le cuer eſpris,
« Voit telles gens, petit les priſe,
« Et tout leur affaire deſpriſe.
« Mais onques ſi bien ne dittas,[93]
« Com à briés mos tes maus dit as.
« Car malades fait mauvaiſe euvre,
« Qui à ſon mire ſes maus cuevre ;
« Et tu li as ton mal ouvert
« À un ſeul mot, & deſcouvert.
« Si, ne te dois pas eſmaier
« Qu’elle te doie delaier,
« Et que brieſment ne te conforte.
« Or foies lies ; & te deporte.

« J’ay grant deſpit de celle garce :[94]
« Pléuſt or à Dieu que fuſt arſe !
« Elle eſt chetive, nice & fole :
« Et vraiement elle m’afole,
« Qui les amans ainſi reprueve
« De tout ce qu’Amours leur apprueve.

« Elle ne ſcet nés qu’une beſte ;
« Onques ne fu à bonne feſte.
« Et s’elle y eſt, en un congnet
« Se boute adés, des gens longnet,
« Et s’ahonte quant on la voit.
« Et encor plus : s’elle ſavoit
« Une tres-bonne compaignie,
« Qui fuſt de joie acompaignie,
« Ou qu’Amours, amie ou amis,
« Se fuſſent aucun bien promis,
« Certes elle l’empeſcheroit,
« Et le milleur en oſteroit
« S’elle pooit ; qu’elle n’a cure
« De choſe qui ne ſoit obſcure ;
« N’elle ne vuet pas qu’on la voie
« En lit, ou en chambre, ou en voie ;
« À ſon pooir touſdis ſe muce :
« Se defous les glaces de Pruce[95]
« Eſtoit noïe & craventée,
« Des amans ſeroit toſt plourée.
« Car honteus, en jour de ſa vie,
« Ne couars n’ara belle amie ;
« Et Fortune aïde aus hardis,
« Et grieve les acouardis.

« Si qu’amis dous, conforte-toy
« Et ne cure de ſon chaſtoy ;
« Que vraiement c’eſt grant folie,
« Qui s’en donne merencolie.
« Ta dame te remandera,

« Certaine en ſuis, & ſi fera
« Tant, que de li te loeras,
« Et à s’amour jà ne faurras.
« C’eſt le confort que je t’aporte. »

Mais j’oÿ hurter à la porte.
Tout ainſi com elle voloit
Finer ce dont elle parloit,
Et vi que c’iert mes ſecretaires ;
S’en amenda moult mes affaires.
Et quant il me vit, à moy vint,
Car de moy moult bien li ſouvint.
Et diſt : « je vous diray nouvelles
« Qui vous ſeront bonnes & belles,
« Vo dame de par moy vous mande ;
« Et m’a dit que je vous attande,
« Et que tout droit à li vous maine.
« Car il a bien une ſemaine,
« Voire .i. mois, qu’elle ne vous vit,
« Et li ſemble, ce le m’a dit.
« Levés-vous & venés à li. »

Mais en l’eure os le vis pali.
Car il me vint une fréour
Qui eſtoit fille de Paour.
Toutevoie je me levay,
Et mon vis & mes mains lavay
Car j’eſtoie tous eſtourdis ;
Tous peſans & tous alourdis.
Si qu’enſemble nous en alaſmes
Et de pluſeurs choſes parlaſmes.
Tant que je vins où elle eſtoit.
Mais la Tres-belle pas n’eſtoit,

Ains ſe ſéoit toute ſeulette,
Fors, ſans plus, d’une pucellette
Qui aloit cueillant des florettes,
Marguerites & violettes.
Car elle eſtoit en ſon vergier,
Où j’entray ſans faire dangier.
Tres-humblement la ſaluay,
Mais au ſaluer tout muay.
Lors elle me priſt par la main,
Et dit : « Amis, par ſaint Germain,
« Grief m’eſtoit que je vous véiſſe
« Et qu’aucune choſe apreniſſe
« De vos choſes & de vos fais
« Qui ſont à ma loenge fais. »
Et je, forment la reſgardoie,
Mais nulle choſe ne diſoie :
Lors priſt doucement à chanter
Et diſt ainſi en ſon chanter :

Amis, amés de cuer d’amie,
Amés comme loiaus amis.

Je li reſpondi, ſans demeure,
Ce Rondel que je fis en l’eure :

RONDEL.

Douce dame, quant je vous voy,
Mes cuers ne ſcet que devenir ;
Ne je ne ſay que faire doy,
Douce dame quant je vous voy.
Car Honte & Paour ſont en moy,
Qui me font trembler & fremir ;
Douce dame quant je vous voy
Mes cuers ne ſcet que devenir.

Et la belle me reſpondi
Tantoſt, que plus n’i atendi :

Tres-dous amis, quant je vous voy
Vous faites mon cuer resjoïr,
Nulle doleur ne maint en moy,
Tres-dous amis, quant je vous voy.
Ne il n’eſt triſcece n’anoy,
Ne meſchief qui me puiſt venir,
Tres-dous amis, quant je vous voy,
Vous faites mon cuer resjoïr.

Lors me pria que je préiſſe
Matere en moy dont je féiſſe
Choſe de bonne ramembrance ;
Si fis ainſi, en ſa preſence :

BALADE.

Le bien de vous qui en biauté floriſt,
Dame, me ſait amer de fine amour ;
Voſtre biauté, qui touſdis embeliſt,
De dous eſpoir me donne la ſavour.
Voſtre douçour adouciſt ma dolour,
Vos maniere m’enſeingne & me chaſtoie,
Et vos regars maintient mon cuer en joie.

Vos dous parlers me ſouſtient & nouriſt
En flun de joie & de toute douçour,
Voſtre ſage maintien ſi m’enrichiſt,
Qui me contraint à haÿr desbonnour.
Vos gentils cuers me fait plus de tenrour
Qu’en .c. mil ans deſſervir ne porroie,
Et vos regars maintient mon cuer en joie.

Ainſi vos bien à cent doubles meriſt,
Sans deſſerte, mon amoureus labour,
Et ſans rouver ; qu’en moy n’a fait ne dit,
Grace, povoir, ſens, bonté ne valour,

Pour recevoir de ces biens le menour ;
Mais vos dous ris maint m’en donne & envoie,
Et vos regars maintient mon cuer en joie.

Quant j’eus ma balade finée,
Ma douce dame deſirée
Diſt : « c’eſt bien fait, ſe Dieus me gart. »
Adont, par ſon tres-dous regart,
Me commanda qu’elle l’éuſt,
Par quoy ſa bouche la léuſt.
Car en cas qu’elle la liroit,
Aſſez mieus l’en entenderoit.
Et je le fis moult volentiers
Et de cuer ; mais, endementiers
Que mes eſcrivains l’eſcriſoit,
Ma douce dame la liſoit,



Si qu’elle en ſot une partie,
Ains que de là fuſt départie.
Là nous ſéiſmes coſte à coſte.

Mais j’avoie un trop cruel hoſte
En Déſir qui ne ſe partoit
De mon cuer, ainſois le partoit ;
Car je véoie, vis à vis,
Son gentil corps fait à devis,
Son dous œil, ſa riant bouchette,
Plus que cériſe vermillette.
Si me ſembloit qu’elle déiſt :
« Baiſiés-moy. » Dieus ! qui ce féiſt.
Il n’eſt paradis qui le vaille.
S’avoie en moi une bataille
D’ardant deſir & de penſée
Qui fu de Paour engendrée,
Et fu fille de Couardie.
Là Honte ne s’oublia mie,
Ains y vint, malgré Bon-eſpoir
Qui s’eſtoit oubliés, eſpoir.
Si ſentoie en moy une ardure
Entremellée de froidure,
Et pleine de tele matiere
Qu’elle art ſans feu & ſans fumiere.
Il avoit là un ceriſier,
Q’on doit moult loer & priſier,
Qu’il eſtoit rons comme une pome ;
Et ſi avoit moult belle come,[96]
Et eſtoit de ſi bel afaire
Com Nature le ſavoit faire.
Si que d’illueques nous levaſmes,
Et deſſous ombroier alaſmes ;
Et ſur l’erbe vert nous ſéiſmes.

Là, maintes paroles déiſmes
Que je ne vueil pas raconter,
Car trop long ſeroit à conter ;
Mais ſur mon giron s’enclina
La belle, qui douceur fine a.
Et quant elle y fu enclinée,
Ma joie fu renouvelée.
Je ne ſay pas s’elle y dormi,
Mais un po ſommilla ſur mi.
Mes ſecretaires qui fu là
Se miſt en eſtant, & ala[97]
Cueillir une verde fueillette,
Et la miſt deſſus ſa bouchette :
Et me diſt : « Baiſiés cette fueille. « 
Adont Amours, vueille ou ne vueille,
Me fiſt en riant abaiſſier
Pour ceſte fueillette baiſier.
Mais je n’i oſoie touchier,
Comment que l’éuſſe moult chier.
Lors Deſirs le me commandoit,
Qu’à nulle riens plus ne tendoit ;
Et diſoit que je me haſtaiſſe,
Et que la fueillette baiſaſſe :
Mais cils tira la fueille à li,
Dont j’eus le viaire pali ;
Car un petit fui paoureus
Par force du mal amoureus.
Nonpourquant à ſa douce bouche
Fis lors une amoureuſe touche ;
Car je y touchay un petiot,

Certes, onques plus fait n’i ot :
Mais un petit me repenti,
Pour ce que quant elle ſenti
Mon outrage & mon hardement.
Elle me diſt moult doucement :
« Amis, moult eſtes outrageus ;
« Ne ſavés-vous nuls autres jeus ? »
Mais la belle priſt à ſourire
De ſa tres-belle bouche, au dire ;
Et ce me fiſt ymaginer,
Et certainement eſperer
Que ce pas ne li deſplaiſoit.
Pour ce qu’elle ainſi ſe taiſoit.
Toutevoies, je m’aviſay,
Et tant la chieri & priſay
Que je li dis : « Ma chiere dame,
« S’il y a choſe où il ait blame,
« Ne ſe je vous ay riens meffait,
« Pour Dieu, corrigiés le meffait,
« Et de fin cuer le vous amende.
« Ma bele, or recevés l’amende ;
« Car fine amour le me fiſt faire,
« Par conſeil de mon ſecretaire ;
« Et grans deſirs m’i contraingnoit,
« Qu’à ce en riens ne ſe faingnoit.
« Et certes tant le deſiroie
« Que aſtenir ne m’en pooie : »
Si qu’ainſi m’eſcuſay ſans fable.
Et elle l’ot ſi agréable,
Qu’onques-puis nul mot ne m’en dit,
En fait, en penſer ou en dit,
Par quoy en riens je percéuſſe
Qu’en ſa bonne grace ne fuſſe.

Là demouray .viii. jours entiers,[98]
Que mes chemins & mes ſentiers,
Mes alées & mon eſtude,
(Comment qu’elle ſoit nice & rude),
Eſtoient tuit à li véoir ;
Et j’en faiſoie mon pooir,
Si que, pluſeurs fois, la véoie
Et auſſi ſouvent y failloie.
Mais elle m’avoit en couvent
Qu’elle me verroit ſi ſouvent
Com bonnement elle porroit,
Et non pas quant elle vorroit.
Mais tant com fu là mes ſejours,
Je la véoie tous les jours
En ce vergier cointe & joli
Où elle eſtoit, & moy o li.
Si que la plaiſence amoureuſe
M’eſtoit touſdis plus gracieuſe ;
Car je venoie au matinet
En un doulz plaiſant jardinet,
Et là l’atendoie en liſant
Mon livre, & mes heures diſant ; [App. XXVI.]
Et quant vers moy eſtoit venue,
Elle paioit ſa bienvenue
De Rondel ou de Chanſonnette,
Ou d’autre choſe nouvelette :
Car ſi tres-doucement chantoit
Que ſes dous chanter m’enchantoit.

Un jour delez li me ſéoie,

Et moult parfondement muſoie ;
Et la tres-belle s’en perçut.
Oiez comme elle me deçut :
Arrier ſe traiſt tout bellement,
Et s’en ala iſnellement
Faire un moult joly chapelet
Qui me ſembla trop doucelet :
Car il eſtoit de nois muguettes,
De roſes & de violettes.
Et quant elle l’ot trait à chief,
Mettre le vint deſſus mon chief ;
Et ſi me fiſt une ceinture
La plus belle qu’onques Nature
Féiſt puis qu’elle fuſt créée,
Ne depuis qu’Eve fut fourmée.
Ce fu de ſes deulz braſſelés,
Lons & traitis, plus blans que lès,
Et parmi mon col les poſa.[99]
Et un petit ſe reposa ;
Et me diſt : « Mes amis tres-dous,
« Dites moy, à quoy penſez vous ? »
Je reſpondi : « Ma douce amour,
« J’ay fait pour vous une clamour,
« Laquele volentiers arés,
« Et s’il vous plaiſt vous la ſarés. « 
Lors dou ditter moult me pria
Et je li dis ; ainſi y a.

BALADE.

Le plus grant bien qui me viengne d’amer,
Et qui plus fait aligier mon martire,
C’eſt de mes maus complaindre & dolouſer,
Et de mon cuer qui pour les ſiens ſouſpire.
Autrement ne fay mercy
Rouver, à vous que j’aim trop mieus que my ;
Mais bien poés véoir à mon ſamblant,
Qu’aſſez rueve qui ſe va complaignant.

Car je n’ay pas hardement de rouver,
Pour ce que po ſuis dignes, à voir dire,
Dou deſſervir, & ſi doy moult doubter,
Et moy garder que ne m’oie eſcondire :
Car s’il advenoit ainſy,
Vous ociriés voſtre loial amy,
Tres-douce dame ; & vous ſavés bien tant
Qu’aſſez rueve qui ſe va complaignant.

Si m’en aten à vous, dame ſans per,
Qui tant valez : Et ſavez que ſouffire
Ne porroit tous li mondes, pour loer
Aſſez vos biens, ne vo biauté deſcrire.
Et ſe vos cuers n’a oÿ
Moy complaindre des maus dont je languy,
Vueillés m’oÿr, rien plus ne vous demain,
Qu’aſſez rueve qui ſe va complaignant.

Voirs eſt que je me complaingnoie
Devant li ſouvent, & plaingnoie.
Dont doucement me reprenoit
Toutes les fois qu’il m’avenoit,
Et diſoit : « Vous vous eſtes plains,
« Dous amis ; dont viennent cils plains ?
« Par ma foi je vous gariroie

« Tout maintenant, ſe je ſavoie.
« Vous ne me devez riens celer,
« Et je vous doy tout reveler.
« Et quant je vous voy à malaiſe,
« Amis, je ne porroie eſtre aiſe ;
« Car voſtre doleur eſt la moie.
« Certes tous li cuers me larmoie,
« Quant je vous voy ſi fort complaindre.
« Amis, ne vous vueilliez plus plaindre,
« Et me dites vo maladie ;
« Et ſe je puis elle iert garie.
« Vous m’appellés voſtre maiſtreſſe,
« Et vo ſouveraine déeſſe,
« Et rien ne me volés rouver !
« Vueilliez ſavoir, par eſprouver,
« L’amour qui en mon cuer demeure,
« Et vous verrés & ſans demeure
« Que deſſus toute créature
« Vous aim d’amour léal & pure. »

Quant je l’oÿ ſi plainement
Parler & ſi ouvertement,
Sa douceur fiſt mon cuer ſi tendre
Que ne me pos onques deffendre
Qu’il ne me failliſt larmoier,
Et l’iave du cuer avoier[100]
À l’ueil, dont je la regardoie
Piteuſement ; mais toutevoie,
Je fui ainſi une grant piece ;
Si reſpondi, au chief de piece,[101]

Et gettay un moult grant ſouſpir :
« Douce dame, ſe je ſouſpir,
« Vous n’en devés avoir merveille,
« Car vraiement je m’eſmerveille
« Comment amans eſt ſi hardis
« Qu’il oſe, par fais & par dis,
« À ſa dame riens demander,
« Voire s’il le puet amender.
« Car demander eſt villonnie,
« Et loange eſt courtoiſie ;[102]
« Ne je ne ſuis mie tailliés
« Que vous me donnés ne bailliés
« Le mendre des biens amoureus.
« S’ai plus chier eſtre doloreus,
« Et mon temps eſter ſans joïr,
« Que rouver & refus oïr.
« Ce n’eſt pas bon de trop enquerre,
« Ne de grant pais ſoy mettre en guerre ;
« Pour ce me tais & me tairay,
« Et Franchiſe ouvrer en lairay,
« Et Bonne amour qui ſcet comment
« Mes cuers eſt tous en ſon commant.
« Car li biens d’Amours ſont parti
« Non pas par moi, non pas par ti,
« Ains ſont departi par Franchiſe,
« Ainſi comme Amour le deviſe.
« Et vraiement plus chier aroie
« Un bien, ſe dignes en eſtoie,
« Qui me fuſt donnés franchement
« De cuer, & amoureuſement,

« Que toute joie ne feroie
« D’amour, ſe je la demandoie.

« Et vous eſtes ſubtil & ſaige,
« Si véés bien, à mon viſage,
« Mon fait, mon eſtat, & ma guiſe,
« Et qu’en moy n’a point de faintiſe.
« Si n’eſt meſtier que je vous die
« Mon meſchief ne ma maladie,
« Car moult bien par cuer le ſavez,
« Et auſſi par eſcript l’avez.
« Et ſe vous m’amez tenrement
« Si com vous dites vraiement,
« Vos fais aus dis ſeront ounis,
« Ou autrement je ſui honnis,
« Ne ne lairés pas de legier
« Que ne me doiés allegier.
« Et ſe je vous merci rouvoie,[103]
« Il puet eſtre que j’y faudroie ;
« Et certes je ſeroie mors.
« S’aim mieus endurer les remors
« Dont couvertement tous m’eſſil,[104]
« Que moy mettre en ſi grant eſſil.
« Si me vaut mieus ainſi atendre,
« Que rompre mon arſon au tendre.[105]
« Vous me dites que vous m’amez,
« Et vo dous ami me clamez,
« C’eſt le mieus qui de vous me veingne,
« Et c’eſt la guiſe d’Alemaingne,

« Qu’on gariſt la gent par paroles.[106][App. XXVII.]
« On l’aprent par tout aus eſcoles.
« Et je reçoy en pacience
« Quanqu’il vient de vo conſcience.
« Il a en vo riche treſor
« .C. mille biens, & plus encor,
« Qui ne porroient eſtre mendre
« Pour choſe qu’on en ſcéuſt prendre.
« Ne tant donner en ſcéuſſiés
« Qu’adès plus riche ne fuiſſiés.
« C’eſt la plante de tout le monde,
« C’eſt la manne & la mer profonde
« Où l’on ne treuve fons ne rive :
« Cils eſt bien fols qui en eſtrive ;
« Qui plus en prent plus en y vient.
« Ainſi de vo treſor avient,
« Qu’il accroiſt touſdis en richeſſe,
« Quant on en fait plus grant largeſſe.
« Et ſe vous en eſtes avere,
« Tres-belle, foy que doy Saint Pere,
« Bien vous en porrez repentir ;
« Car je vous di & ſans mentir,
« Toutes choſes ont leur ſaiſon.
« Je n’i met nulle autre raiſon,
« Car vous n’eſtes pas au raprendre ;
« Si que bien me poez entendre,
« Mais une choſe trop m’argue,
« Qu’entre gent, partout, & en rue,
« Quant vous dites : « venés à mi, »
« Vous m’appeliez vo dous ami,

« Et volez bien que chaſcuns ſache
« Que vous m’amez ; dont je me cache,
« Quant enſement parler vous voy,
« Que de vo voie me deſvoy.[107]
« Uns biens d’amours couvertement
« Donnés, vault .c. ouvertement,
« Je vueil cy finer mon ſermon,
« Que trop longuement vous ſermon ;
« Et s’ay bien prouvé par mon plaint,
« Qu’aſſez rueve qui ſe complaint. »
Ainſi parlames longuement,
Et elle reſpondi brieſment :
« Amis, j’oy bien voſtre complainte.,
« Et voſtre dolereuſe plainte ;
« Et que n’avez pas hardement
« De requerir couardement
« La choſe que plus deſirez,
« Dont profondement ſouſpirez ;
« Et que vous ſentez la morſure
« D’ardant deſir qui eſt moult ſure ;[108]
« Et que ne ſoie avère ou chiche
« De mon treſor puiſſant & riche
« Que, par donner ne par promettre,
« Ne puet amenrir ne remettre :
« Et de ce que, devant la gent,
« Vous appelle mon ami gent :
« Par quoy vo concluſion preuve
« Que qui ſe complaint aſſez reuve.
« Si qu’amis, je reſponderay
« Et tel reſponſe vous feray :

« Que volez-vous que je vous die ?
« Jà couars n’ara belle amie.
« Ne ce n’eſt pas par mon deffaut,
« Amis, qu’en vous joie deffaut.
« Que volez-vous que je vous face ?
« Je vous regarde face à face,
« Je vous chante, je vous ſoulace,[109]
« Ami vous claim en toute place :
« Je vous aim ſur tout, c’eſt la ſomme ;
« N’en monde n’a ſi vaillant homme
« Que je volſiſſe avoir changié,
« Amis, pour vous donner congié.
« De mon treſor que tant priſiés,
« Qui ne porroit eſtre priſiés,[110]
« Amis, je le vous abandoing,
« Prenés-le, tout je le vous doing. »

Et je li reſpondi tantoſt :
« Qui tout me donne, tout me r’oſt. »[111]

LA DAME.

« Et de ce qu’amy vous appelle
« Devant la gent, ceſt à cautelle ;[112]
« Que je puiſſe à vous mieus parler,

« Et vers vous venir & aler.
« C’eſt le meilleur, bien le ſavez.
« Pour en ce cas, tort en avez,
« Amis, ſe vous en avez honte.
« Ou, dites que je vous ahonte,
« D’or en avant je m’en tairay,
« Et l’amer de tous poins lairay.
« Nonpourquant, je vueil bien qu’on voie
« Nos amours, par rue & par voie ;
« Car puis quil n’i ha que tout bien,
« Il me plaiſt, & ſi le vueil bien. »

Et adont, je devins homs teus
Qu’onques-mais ne ſui ſi honteus,
Qu’à li ne ſavoie reſpondre ;
Et me voloie aler repondre.[113]
Mais la belle qui commande ha
Sur moi, tantoſt me commanda
Que je fuſſe liés & joieus,
Et, en l’eure, toute joie eus.
Car la belle me reparti[114]
D’un bien qui en .ij. ſe parti ;
Dont j’emportay une partie,
Et de l’autre fu repartie.
Congié pris, & puis j’avalay
Tous les degrés & m’en alay,
Gais & jolis & envoiſiez,
Et de mes maus tous apaiſiez.
Si m’en alay bouter en cage,[115]
Pour faire mon pèlerinage :

Mais nonpourquant le partement
De nous m’anuioit durement ;
Car tous mes cuers li demouroit
Qui la ſervoit & aouroit.
Si fis ce rondel en chemin,
Et li tramis en parchemin :

RONDEL.

Sans cuer, dolens, de vous departiray,
Et ſans avoir joie juſqu’au retour ;
Puis que mon cuer du voſtre à partir ay,[116]
Sans cuer, dolens, de vous departiray.
Mais je ne ſay de quele part iray,
Pour ce que, plains de dolour & de plour,
Sans cuer, dolens, de vous departiray,
Et ſans avoir joie juſqu’au retour.

LA DAME.
RONDEL.

Sans cuer de moy pas ne vous partirez,
Ainſois arés le cuer de voſtre amie,
Quant en vous iert par tout où vous ſerez ;[117]
Sans cuer de moy pas ne vous partirez.
Certaine ſuis que bien le garderez
Et li voſtres me fera compagnie.
Sans cuer de moy pas ne vous partirez,
Ainſois arés le cuer de voſtre amie.

Là, fait .ix. jours ma demeure ay ;[118][App. XXVIII.]

Et ainſi com j’y demouray,
Ma dame ne s’oublia mie ;
Ains miſt ſus une chevauchie
De dames & de damoiſelles
Cointes, gentes, juenes & belles,
Pour moy véoir & viſeter,
Et de merencolie geter.
Mais onques-mais ne vi pour voir
En ma vie ſi fort plouvoir.
Si vinrent tout droit à l’égliſe
Qui n’eſtoit pas de terre gliſe,
Ainſois eſtoit de pierre dure,
À grans pilers, à grant volture.
Lors vint mon ſecretaire à moy
Et diſt : « Sire, par Saint Eloy,
« Vez-la vo dame, ce m’eſt vis,
« À ce gent corps, à ce cler vis. »
Et je ne me fis pas prier
D’aler vers li ſans detrier.
Si vi tantoſt que c’eſtoit celle
Cui je mis à non Toute-belle.
Mais illec petit ſejourna,
Car en l’eure s’en retourna,
Pour l’amour de ſes compagnettes,
Qui eſtoient ſur eſpinettes,[119]
Pour doubtance de leurs maris,
Qui ont touſdis les cuers marris,
Quant elles ſont en compagnie,
Où l’on meine joieuſe vie ;
Voire s’il le puelent ſavoir.[120]

Mais elles ont trop po ſavoir,
Se ne ſe ſcevent conſillier,
Pour leurs maris entortillier.

Or ne parlons plus de ceſte oeuvre,
Chaſcuns & chaſcune bien ouevre.
La belle, gracieuſe & douce,
Qui mes maus amoureus adouce,
Oÿ la meſſe toute entiere ;
Et je l’eſcoutay par derriere.
Mais trop richement m’echéy,[121]
Que quant on diſt : Agnus dei,
Foy que je doy à ſaint Crapais,[122]
Doucement me donna la pais,
Entre .ij. pilers du mouſtier.[123]
Et j’en avoie bien meſtier,
Car mes cuers amoureus eſtoit
Troublés, quant ſi toſt ſe partoit.
En ſouſpirant la convoiay :
Et quant bien fait mon convoi ay,
Dedens ma chambre m’en revins,
Penre pain, ſel & chars & vins,
Entre moi & mon ſecretaire,
Qui avoit le mal ſaint Aquaire.[124]
Quant elle ſe partoit ainſi,
En tel haſte & en tel ſouſſi,

Je bus petit, & mains menjay,
Et à la table adès ſonjay
Comment ma dame eſtoit venue,
Pour faire ſi courte venue ;
Qu’aſſez mieus vaulſiſt ſa demeure,
Que venir & r’aler en l’eure.

Je repris ma devotion ;
Mais plus eſtoit m’intention
À penſer à ma vravelette,[125]
(C’eſt à dire à ma damelette,)
Qu’elle n’eſtoit n’à ſaint n’à ſainte.
Si avoie penſée mainte
Qu’amans n’eſt unques aſſévis,[126]
N’aſſaſiés à ſon devis ;
Et s’avient po ſouvent, ſans faille,
Qu’aucune choſe ne li faille.
S’avoit en mon cuer grant rumour,
Que feroie de ceſte amour
Où ainſi me ſuis embatus.
Pour c’eſtoie tous abatus,
Que la voy à trop grant dangier ;[127][App. XXX.]
Et ce faiſoit joie eſtrangier
De moy, ſi que je ne ſavoie
Comment maintenir me devoie.
Si appellay mon ſecretaire,
Et li fis ceſte lettre faire ;

Et ſi, li ay par li tramis
Ce Rondel qu’en la lettre a mis :[128]

RONDEL.

Toute-belle, vous m’avez viſeté
Tres-doucement, dont .c. fois vous mercy ;
De tres-bon cuer & par vraie amité,
Toute-belle vous m’avez viſeté.
Et avec ce éu avez pité,
Pour conforter mon cuer taint & nercy.
Toute-belle, vous m’avez viſeté
Tres-doucement, dont .c. fois vous mercy.

XI. — Mon tres-dous cuer,[129] je vous prie pour Dieu que vous me vueilliez tenir pour excuſé, ſe je n’ay envoié vers vous, puis que vous partiſtes de moy ; car Dieus ſcet que ce n’eſt pas par deſfaut d’amour ne de bonne volenté ; mais, par m’ame, je ne l’ay peu amender, pour certaine choſe que mi & mon ſecretaire vous dirons ; &, eſpeciaument, il ne me ſemble mie bon que j’envoie ſi ſouvent par devers vous, pour les paroles,[130] & pour ce qu’on ne ſe puet trop garder. Quanque j’en di & fais, je ne le fais que pour le milleur & pour honneur ; comment que je vous deſire plus à véoir que toutes les créatures du monde. Et, mon tres-dous cuer, vous ne devez mie penſer que ce que j’en fais, le faice pour vous eſlongnier ; car des meſchiés & de toutes les peines qui en l’amoureuſe vie ſont, ſans eſtre eſcondis,[131] c’eſt li plus grans que demourer loing de ce qu’on aime. Et quant on ne puet veoir, oÿr ne ſentir ce que on aime plus & deſire que toutes les choſes que Nature porroit ne ſaroit faire ; & ſi ne puet-on ſouvent envoier vers li, c’eſt merveilles que li cuers ne part, ne comment uns cuers amoureus puet ſouffrir ne endurer tele doleur : par eſpecial, quant Deſirs l’alume & eſprent, & le contraint à deſirer ce qu’il ne puet veoir ne avoir. Mais, Douce plaiſance, Douce eſperance, Douce penſée & tres-Dous ſouvenirs le norriſt & ſouſtient. Et, par m’ame, mon tres-dous cuer, ſe ce n’eſtoit voſtre douce ymage qui me fait plus de biens qui toutes les choſes qui ſont en ce monde, riens conforter jamais ne resjoÿr ne me porroit, fors ſeulement morir : car Deſirs me meinne trop dure vie, ne je ne ſuis en lieu n’en place qu’il ne me ſoit tousjours à l’euil & au cuer ; ſi que ſe je vous voloie laiſſier ou oublier, dont Dieus me gart, par m’ame, il ne me lairoit. Si devés eſtre aſſeurée de moy, de mon cuer & de m’amour. Et, par ycelui dieu qui me fiſt, il ne porroit avenir que je vous oubliaſſe, nés que je porroie monter aus nues ſans eſchiele. Et je m’en fie en voſtre bonté. Si, met m’ame, mon cuer, ma vie & quanque j’ay en voſtre ordenance. Et, mon dous cuer, la ſouvereinneté ſe taiſt & unité[132] parole, pour ce que vous dites que voſtre fait eſt li miens, & li miens eſt li vostres. À Dieu, ma tres-douce amour, qui vous doint joie, pais, & paradis, & volenté de moy amer ainſi comme je vous penſe à ſervir.

Voſtre tres-loial ami.


Si n’atendi pas longuement,
Ains me reſpondi proprement,
De tel metre, & de tele rime
Com li rondeaus que j’ay fait rime.

RONDEL.

Tres-dous amis, j’ay bonne volenté
De vous donner joie & pais, & mercy,
Et d’acroiſtre vo bien & vo ſanté,
Tres-dous amis, j’ay bonne volenté.
Car dedens vous ay mon fin cuer enté.
Pour ce que voy qu’il me vuet amer cy.
Tres-dous amis, j’ay bonne volenté
De vous donner joie & pais, & mercy.

Quant mes ſecretaires revînt,
Salus m’aporta plus de vint,
Voire, par Dieu, plus de cent mille :
Et je ſavoie moult bien qu’il le
Me diſoit veritablement,
Que faire n’oſaſt autrement.
Et m’aporta ce rondelet
Qu’elle avoit fait tout nouvelet,
Et l’avoit en ſa lettre enclos.
Je le vi bien, quant la deſclos.


XII. — Mon cuer, & mon tres-dous ami, je vous pri tant doucement que je puis, qu’il ne vous vueille deſplaire ſe je ne vous ay eſcript ; car en verité je n’ay pas eſpace de vous eſcrire ſi ſouvent comme je vorroie. Et de ce que vous m’avez eſcript qu’il ne me vueille deſplaire ſe je n’ay eu nouvelles de vous, ſachiés que je ne cuide pas que vous péuſſiés faire choſe qui me péuſt deſplaire ; car je ſay, & croy certeinnement que tout quanque vous faites, vous le faites en bonne amour & en bonne foy. Mon dous cuer, j’ay bien véu que voſtre nueſvaine ne ſera ce prochain dimenche aſſevie : &, cellui jour, il convient partir, ma ſuer & moy,[App. XXXII.] pour aler à .iiii. lieues long ; & ſuis certeinne qu’il ſera avant le lundi au ſoir ou le mardi au matin que nous retournions.[133] Si vous pri que vous vous vueilliés esbattre aveuc les compagnons qui vous deſirront à véoir, & vous feront grant chiere, juſques nous ſoiens retournées ; & penre le temps ainſi comme il venra : car je penſe que le temps me anuiera bien autant comme il fera vous. Et eſchivaſſe volentiers ceſte alée, ſe je oſaſſe ne péuſſe bonnement ; mais j’ay eſperance que un de nos jours, que nous avons à ma retournée, ſi en vaurra bien .iiii. de ceus que nous avons perdus, à la peine & bonne diligence que je y metteray. Si vous pri, mon dous cuer, que vous vous vueilliés conforter, & tenir voſtre cuer en joie, & penſer que tuit mi deſir & toutes mes penſées ſont pareilles aus voſtres, quant à voſtre fait. Et, mon dous ami, ne vueilliés penſer ne ymaginer que je vous puiſſe laiſſier ne oublier, car ſe Dieus me doint joie de vous que j’aimme plus que tout le monde, quant je vous lairay, vous verrés toutes les rivières du monde retourner amont, & ne porroit avenir que je vous oubliaſſe pour choſe qui péuſt avenir, nés que porroie faire .i. nouviau monde de nient. Si que, mes dous amis, je vous pri que vous oſtés de voſtre cuer toute melencolie, car je ne porroie avoir bien ne joie, tant que je vous ſceuſſe à meſchief. Je pri Dieu qu’il vous doint honneur & joie de tout ce que voſtres cuers aime.

Voſtre loial amie.


Sa lettre bien conſideray,
Et lors contre moy eſperay[134]
Pluſeurs choſes à moy contraires ;
(Et auſſi fiſt mes ſecretaires,)[135]
Qu’elle en aloit hors de ſon eſtre,

Le droit jour que j’y dévoie eſtre.
Et la belle bien le ſavoit,
Nonpourquant, partir ſe devoit.
Si, devins melencolieus,
Triſtes, penſis & enuieus ;[136][App. XXXIII.]
Et recommençay ſans delay
Mon veu, que je point ne delay ;[137]
Mais le fis de triſte matiere,
Toute contraire à la premiere.

RONDEL.

Long ſont mi jour & longues ſont mes nuis,
Et quanque voy me deſplaiſt & anoie,
Quant ce ne voy que trop me fait d’anuis ;
Long ſont mi jour & longues ſont mes nuis.
C’eſtes vous, belle ; Amours & tu me nuis,[138]
Quant en larmes mes dolens cuers ſe noie ;
Long ſont mi jour & longues ſont mes nuis,
Et quanque voy me deſplaiſt & anoie.

LA DAME.
RONDEL.

Amis, bien voy que tu pers tous deduis,
Pour ce qu’il faut que face ceſte voie ;
Dolente ſuis quant ſi po te deduis.
Amis, bien voy que tu pers tous deduis.
Mais au retour, ſe Dieus plaiſt & je puis,
Je te donray pais, & ſolas & joie.
Amis, bien voy que tu pers tous deduis,
Pour ce qu’il faut que face ceſte voie.

L’AMANT.

Belle, quant vous m’arés mort,
Perdut arés voſtre ami ;
Moult aray piteuſe mort,
Belle, quant vous m’arés mort.
Se vos cuers n’en ha remort,
Helas ! bien puis dire : aymi !
Belle, quant vous m’arés mort,
Perdut arés voſtre ami.

LA DAME.
RONDEL.

Amis, ſe Dieus me confort,
Vous arés le cuer de mi,
Qui ſeur tous vous aime fort ;
Amis, ſe Dieus me confort.
Or laiſſiés tout deſconfort,
Car vous l’avés ſans demi ;
Amis, ſe Dieus me confort,
Vous arés le cuer de mi.

L’AMANT.
RONDEL.

Puis que languir ſera ma deſtinée,
Mes cuers ne puet ſi doucement languir,
Com par vous, belle, où ſont tuit mi deſir ;
Ce m’iert honneur & bonne renommée,
Puis que languir ſera ma deſtinée.
Et ſe je muir ainſi, tres-belle née,
Pour voſtre amour je ſeray vray martir.

Et ce ſera mon millour, ſans mentir,
Puis que languir ſera ma deſtinée.
Mes cuers ne puet ſi doucement languir
Com par vous, belle, où ſont tuit mi deſir.

Si que ces Rondelés ay mis
En celle lettre, & li tramis.


XIII. — Mon dous cuer & ma tres-douce amour, j’ay bien véu ce que vous m’avés eſcript ; ſi vous plaiſe ſavoir que ſe vous ne fuiſſiés en ce pays, je n’i fuiſſe pas venus, juſques à un grant temps, pour riens qui aveniſt ; &, à preſent, je n’ay riens à faire en ce pays fors vous veoir. Helas ! & vous vous en volés partir quant je y doi venir, qui n’eſt trop dure choſe. Et auſſi, Monſeigneur m’a mandé par ſes lettres que, ma .ixne. faite, je voiſe par devers lui. Mon dous cuer, ſi m’eſt & ſera trop dure choſe de voſtre allée, car .i. jour de voſtre demeure me ſera uns ans, & ſe vous povez bonnement demourer, à voſtre honneur, riens ne me porroit tant plaire ; car, mon dous cuer, vous ſavez comment il me convient briefment partir, & ſi ne vous puis mie ſouvent veoir à ma volenté. Et ſe vos dous cuers s’acorde à vos douces paroles, vous vous penriés bien près de demourer ;[139] & auſſi, s’il vous ſouvenoit bien de voſtre borgne vallet.[140] Je vous pri doucement que vous me vueilliés reſcrire voſtre bonne volenté ainſois que vous partés, & toutevoie je vueil tout ce que vous volés. À Dieu mon dous cuer & ma tres-douce amour !

Voſtre tres-loial ami.


Je li envoyay ceſt eſcript :

Et elle tantoſt me reſcript,
En la maniere & en la fourme
Que ceſte lettre m’en enfourme.
Et ce rondelet m’envoia
Que dedens ſa lettre ploia,
Et reſpont à celui deſſeure
Qu’en preſent fis, & en po d’eure.

RONDEL.

Voſtre langueur ſera par moy ſanée,
Tres-dous amis, que j’aim ſans repentir,
Se moy laiſſiez & Amours convenir ;
Je le vous jur, comme amie & amée,
Voſtre langueur ſera par moy ſanée.
Si me devez tenir pour excuſée,
Car il me faut malgré mien obéyr ;
Mais je tenray convent au revenir.[141]
Voſtre langueur ſera par moy ſanée,
Tres-dous amis, que j’aim ſans repentir,
Se moy laiſſiés & Amours convenir.

XIV. — Mon dous cuer & mon dons ami, j’ay receu vos lettres, enqueles vous me faites ſavoir voſtre bon eſtat, dont j’ay moult grant joie plus que de choſe qui me puiſt avenir : & ſe vous ſaviez bien la bonne volenté que j’ay de faire choſe qui vous plaiſe, vous ne m’eſcririés que je méiſſe peine à le faire ; que, par ma foy, j’ay ſi grant penſée & ſi bonne volenté que je ne cuide mie que nulle créature le puiſt avoir plus grant. Et ſoiès certains que à mon retour je y mettray & cuer & corps & une partie de mon honneur, (laquele je m’aten que vous garderés bien), à faire de quanque je ſaray qui vous porra donner joie & con[ort. Et ſe vous dites que vous reſſongnez le partement, je ne cuide mie que vous le reſſongniez plus de moy ; car j’en ay tant de penſées, que en l’eure qu’il m’en ſouvient, je ne puis bien avoir, & ſoubaite bien ſouvent que je peuſſe eſtre voſtre chapelain ou voſtre clerc, pour tousjours eſtre en voſtre compagnie. À Dieu ! mon tres-dous cuer, qui vous doinſt ſanté & pais & joie de quanque vous deſirés.

Voſtre loyal ami.


Ainſi ma dame s’en ala,
Et, la journée, je vins là,
Dont elle s’eſtoit departie.
S’os des griés penſers ma partie ;
Car j’atendi .ii. jours ou trois,
Melencolieus & deſtrois.
Et de ce pas ne me merveil,
Car ſon dous vis blanc & vermeil,
M’avoit là seulement mené :
Car je n’avoie à homme né
Riens à faire n’a marchander,
Fors, ſans plus, pour moy eſchauder
Au feu qui eſprent maint muſart ;
Et qui plus en eſt près, plus art.
Ne penſés pas que je vous die
Que j’en rien tiengne à muſardie,
Se j’aim ma douce dame gente ;
Car ce ne ſu onques m’entente :
N’onques mais li grant bien ne fis
Ne tele honeur, j’en fuis tous fis,
Com de li amer entreprendre,[142]
Si que nuls ne m’en doit reprendre.

Finalement, elle revint,
Mais j’eus des penſers plus de vint,
Par quel voie, ne par quel tour
Je verroie ſon cointe atour.
Car vers li envoier n’oſoie,
Et auſſi je ne congnoiſſoie
En ſon hoſtel homme ne fame
Qui ſcéuſt l’amoureuſe flame
Dont mes cuers eſt bruys & tains,
Et mors, s’il n’eſt par elle eſtains.
Si me mis à une feneſtre
Véant à deſtre & à ſeneſtre ;
Et pris forment à colier,
S’elle me vorroit envoier,
Celeément aucun meſſage,
Ou clerc, ou femme, ou preſtre, ou page.
Si fui longuement en ce point,
Que de meſſage ne vi point.
Lors appellay mon ſecretaire,
Et li dis : « Je ne me puis taire ;
« Je croy que je ſoie en oubli
« De la belle qu’onques n’oubli.
« Pren dou papier, je vueil eſcrire. »
Et il le fiſt ſans contredire,
Si qu’en ſouſpirant court & brief,
Je li fis eſcrire ce brief.
Mes ſecretaires li porta
Et aſſés toſt me raporta
Que la Tres-belle m’atendoit
Et qu’elle par li me mandoit
Que plus illec ne demouraſſe,
Et d’aler vers li me haſtaſſe.
Car elle eſtoit toute ſeulette

Fors ſans plus une pucelette ;
Et que moult volentiers véu
Avoit mes lettres & léu ;
Et diſt qu’elle priſt à ſourire
De cuer & doucement à lire :


XV. — Mon tres-dous cuer & ma tres-douce amour, j’envoie par devers vous, comme cils qui ha ſi grant deſir de vous veoir, que cuers ne le porroit penſer ne bouche dire. Et vous porrés ſavoir que je vous ay atendu .iii. jours en tel eſtat comme Dieu ſcet, & en tel martire : ſi vous ſuppli humblement & pour Dieu, que vous vueilliés penſer comment je vous puiſſe veoir, ou moy mort. Et quant à la bonne volenté que vous avés de faire choſe qui me doie plaire & donner confort, je ne vous en ſay ne puis mercier auſſi comme je le vorroie faire ; car je n’en ſuis mie dignes. Et quant à voſtre honneur[143] que j’aim plus .c. fois que ma vie, jà Dieus ne me doinſt tant vivre que par moy ne par mon fait, elle ſoit en peril en tout ou en partie : car, par Dieu, je l’aim & ameray & garderay, tant comme je vivray ; ne je n’aray penſée du contraire. Et, par la foi que je vous doy, que j’aime .c. fois mieus que moy n’autrui, j’ameroie mieux mort premiere & ſeconde, que faire ne dire choſe dont elle fu empirée ne amenrie. Mon tres-dous cuer, je ſuis à hoſtel où je fui l’autre fois ; mais, pour Dieu, mon tres-dous cuer, vueilliés penſer comment je me partiray de vous & qu’il n’i ait que vous & moy, ſe vous poez bonnement : car, par m’ame, le partir de vous me ſera ſi dur que j’ay tres-grant doubte que je ne le puiſſe endurer. Si que s’il y avoit eſtranges gens, chaſcuns ſe porroit percevoir de ma maniere & je ne le vorroie pour riens qui peuſt avenir. Hélas ! mon dous cuer, vous m’eſcriſiés que pour moy veoir ſouvent vous vorriés eſtre en petit eſtat aveuc moy ; mais par Dieu il n’eſt ſi petite choſe au monde, que je ne voſiſſe faire entour vous, tous les jours de ma vie, pour vous veoir & oÿr à mon gré. À Dieu, mon dous cuer, qui me doint joie de vous & de voſtre honneur, & de quanque voſtres cuers aime.

Vostre vray & loial ami.


Lors alay vers ma dame chiere„
À cuer riant, à lie chiere ;
Et par Dieu paoureuſement
Y aloie & couardement.
Ne ſavoie pour quoy c’eſtoit,
Fors qu’Amours le m’amonneſtoit.
Si fis ce rondel en alant,
Pour s’amour, & tout en parlant.

Trembler, fremir & muer me convient,
Si que ne ſay ſouvent que devenir :
Toutes les fois que de vous me ſouvient,
Trembler, fremir & muer me convient.
Douce dame je ne ſay dont ce vient,
Mais, par ma foi, neis d’un ſeul souvenir.
Trembler, fremir & muer me convient,
Si que ne ſay ſouvent que devenir.

Quant je fui venus devant elle,
Tantoſt me priſt la Bonne & belle,
Et m’aſſéï dalez ſa coſte,
Et mon ſecretaire d’encoſte,
Qui de moy partir ſe voloit ;
Dont li cuers forment me doloit.
Car il avoit un gros afaire,
Qu’il li convenoit à chieſ traire.
Quant elle vit qu’il me laiſſa,
Un petit vers li s’abaſſa,

Et li diſt moult doucettement :
« S’il pooit eſtre bonnement,
« Dous amis, ſe Dieus me ſequeure,
« Moult me plairoit voſtre demeure.
« Car il a tel, bien près de mi,
« Qui en dira ſouvent : « eimi ! »
Il reſpondi : « faire l’eſtuet,
« Car autrement eſtre ne puet :
« Mais toſt revenray, ſe Dieu plaiſt,
« Car là ne feray pas long plait. »

Il s’en ala, je demouray,
Et les tres-dous biens ſavouray
De ſon ueil, de ſon douz viaire,
Qui doit à tous deſſus tous plaire,
En gariſſant les dolereus
Qui ſont plein de mauls amoureus.
Donné me furent à plenté,
Et de ſi bonne volenté,
Si bien, ſi bel, ſi largement,
Et ſi tres-amoureuſement,
Que mieus ſouhaidier ne déuſſe.
Et, certainement, ſe je fuſſe
Le plus parfais de tout le monde,
Et ſe tout l’or qui y habonde
Fuſt miens, en deniers tous contans,
Devoie-je eſtre bien contens.
Et s’aucuns dit que je me vante,
Je n’en donne le vent qui vente,
Car les biens que je ſavouroie
Venoient dou treſor de joie
En qui tout li bien ſont compris.
S’en di ce que j’en ay compris.

Son bel acueil enhardiſſoit
Mon cuer, qui pour li gemiſſoit ;
Sa douceur fine adouciſſoit
Mes tres-dous maus & gariſſoit ;
Son ueil ſur moi reſplendiſſoit
Et doucement me nourriſſoit ;
Son doulz parler m’aſſagiſſoit ;
Par le bien que de li iſſoit ;
Sa bonté me benéiſſoit ;
Son noble cuer m’anobliſſoit ;
Sa franchiſe m’affranchiſſoit,
S’umilité m’aſſerviſſoit,
Ne riens nulle n’amenriſſoit
Son tréſor, pour bien qui cy ſoit.[144]
Si qu’on n’en doit pas faire eſpergne :
Qu’il n’a ſi eſtrange en Auvergne,
S’il fuſt lés ma dame preſens
Qui héu n’euſt de ſes preſens,
Et enrichis de ſa largeſſe.
Si que je di que c’eſt richeſſe
Qui mouteplie & adès croiſt,
Ne pour donner pas ne deſcroiſt.
Doit-on bien dont tel dame amer
Qui puet garir les maus d’amer,
Et fait ceſſer toute dolour,
Sans penſer vice ne folour ?
Et cils qui mal y penſeroit,
Traïtres & mauvais ſeroit ;
Qu’au monde n’a tel meſpriſon
Ne ſi mortele traÿſon
Com d’eſtre privés anemis.

Or dira : « Je ſuis vos amis, »
Et par ce, la vorra traÿr !
Hé Dieus ! qu’on doit tels gens haÿr,
Qui penſent tele deshonnour,
En ſigne de paix & d’onnour !
On devroit telz gens à chevaus
Traïner par mons & par vaus.
Une dame tant fort vaillant,
À dire voir, n’a plus vaillant
Que s’onneur, & s’elle la pert[145]
Chaſcuns dira tout en apert :
« Vés-là celle qui ſe fourfiſt. »
Or regardés dont quel profit
On puet avoir de tels gens ſievre :
Ou monde n’a ſerpent ne wivre,
Dont on n’éuſt grigneur meſtier
Que de gens de ſi vil meſtier. [App. XXXVII.]
N’en monde n’a ſi grant ſigneur
Qu’on priſe rien, s’il n’a honneur.
Pléuſt à Dieu qui à droit juge
Que je fuiſſe de tel gent juge
Qui penſent teles villenies ;
Mais ils perderoient les vies
Et morroient de mort honteuſe
Dure, diverſe, & angoiſſeuſe ;
Et perdroient corps & avoir,
Sans jamais bien ne joie avoir.

Comment ha uns homs hardement

De penſer ſi tres-fauſſement
Qu’un feroit, & l’autre diroit,
Et ſa dame ainſi traÿroit !
Li uns Jheſucriſt li jura[146]
Qu’il l’amera tant com durra,
Li autres li fiancera
Que ſans retollir ſiens fera,[147]
Et ce, tout pour li decevoir !
Qu’elle ne ſaura percevoir
Sa traÿſon, ſa mauvaiſté
Et ſa mortel inimiſté.
Hé Dieus ! quel foy ; hé Dieus ! quel homme !
On le devroit geter en Somme,
Ou deſſoubs le pont à Soiſſons,
Pour faire viande aus poiſſons.
Que demande-on ces famelettes ?[148]
Elles ſont ſi tres-doucelettes,
Si plaiſans & ſi amoureuſes,
Si amiables ſi piteuſes,
Que riens ne ſcevent refuſer ;
Si ne les doit-on pas ruſer,
Decevoir, honnir ne trichier,
Ains les doit-on avoir ſi chier
Com on doit avoir ſa main deſtre.
Endroit de moy, je vueil tels eſtre
Qu’elles ſeront de moi chieries,
Sans penſer maus ne tricheries ;
Et tous mes jours les ſerviray

Et leur loenge adés diray.
Et feray choſe qui leur plaiſe
À mon pooir, cui qu’il deſplaiſe,
Sans ſalaire & ſans guerredon.
Ne jà n’en quier requerre don,
En l’onneur de la gracieuſe
Que faim de penſée amoureuſe.

Taire me vueil d’or en avant,
De ce qu’ay parlé cy devant ;
Car bien ſay que tele matière
Li mauvais ne l’ont mie chiere,
Pour ce qu’il vuelent leur malice
Celer, s’il puelent, & leur vice.

Or vous diray ce qui m’avint,
Et à quel chief ceſt amour vint ;
Car ma douce dame le vuet ;
Quant il lui plaiſt, faire l’eſtuet.

Je fui là .iii. jours & .iii. nuis,
Les jours liés, les nuis plains d’anuis ;
Que Deſirs par nuit me toloit
Le dormir, Amours le voloit.
Si me tournoie & retournoie
En mon lit ou pas ne dormoie.
Mais Pité de jour gariſſoit
Ce qu’Amours de nuit honniſſoit ;
Car des biens de quoy je vous conte,
Eſſoie péu, malgré Honte,
Tous les jours, une fois ou deus ;
Car je n’eſtoie pas honteus
Du prendre ne du recevoir ;

Et je faiſoie mon devoir,
Quant Largeſſe les preſentoit,
Et Bonne-amour s’i aſſentoit.
Et ma douce dame jolie
Eſtoit du donner toute lie ;
Car tout eſtoit à ſa loenge :
N’en ce monde n’a ſi eſtrange,
S’il la véiſt, qui n’en héuſt,
Et qu’elle ne l’en repéuſt.
Et quant je de fin cuer l’amoie,
Sur tout ce je me delitoie.
Nuls homs n’en doit avoir merveille,
Car ſeconde n’a ne pareille,
Ne quanqu’on puet de bon nommer,
Dire, ymaginer ne ſommer.
Mais il n’eſt choſe qui ne fine,
Ne qui ne viengne à ſon termine :
Il me convint de li partir,
Lors fui-je certes droit martir.
Là commenſai-je à larmoier,
Et ma léeſce à deſvoier,
La triſteſce en mon cuer trouvay.
Là certeinnement eſprouvay
Qu’il n’eſt ſi dure departie
Comme c’eſt d’ami & d’amie.
Là pris de la belle congié
Einſi com j’éuſſe ſongié.
Car, certes, pas bien ne ſavoie
Que je faiſoie ne diſoie.
Elle diſt : « À Dieu, dous amis !
« Je tenray ce que j’ay promis ;
« Car bonne & léal vous ſeray,
« Et de fin cuer vous ameray.

« Revenés toſt, je vous en pri,
« Et n’oubliés pas mon depri.
« Car c’iert mal fait ſe vous tenés
« Que vous par ci ne revenés. »
Je li dis : « Par ci revenray,
« Et loial convent vous tenray. »
De là me parti tout en l’eure,
À cuer qui fort ſouſpire & pleure ;
Mais ainſois que je me partiſſe,
Ne qu’à cheval monter volſiſſe,
Cette lettre li envoiay
Qu’eſcris de ma main, & ploiay.[149]


XVI. — Mon tres-dous cuer & ma tres-chiere amour, j’ay grant doubtance que vous ne tenez mains de mi, de ce que, quant je ſuis en voſtre préſence, je n’ay ſens, manière ne advis, & ſuis comme uns boms perdus. Et, par la foy que je doy à vous que j’aim .c. mille fois mieus que mi, toutes les fois que je vous voy, je n’ay vertu qui ne m’oublie. Car il me convient ſuer ſans chaleur, & trembler ſans froideur. Et quant je ne vous puis véoir, & il me ſouvient & ſouvenra de la très-douce & ſade nourriture dont vos nobles cuers m’a franchement & doucement repeu & par pluſieurs fois & ſans demander, Deſirs ſi me point & aſſault par telle manière, qu’il convient que j’aie le cuer ſi eſtreint que la liqueur en deſcent parmi mes yeus. Et par m’ame, s’Eſperance n’eſtoit qui me conforte ſur toutes choſes, je n’ay pas corps pour telz cops endurer ne ſouſtenir. Et auſſi voſtre douce ymage me conforte & me confortera ſur toutes choſes, & ce que je penſe, qu’onques ſi gentil corps, ne ſi nobles cuers ne fu, qui n’i euſt franchiſe & pitié. Et, mon tres-dous cuer, je me part de vous, & ne ſay quant je vous porray veoir ; ne je n’ay pas bien perſonne pour envoier devers vous, ainſi comme je ſoloie ; & ſi ne laiſſe perſonne qui me doie ne puiſt recommender ne ramentevoir à vous ; ſi que ſe vraie amour & voſtre bonté ne m’i ramentoivent, je ſuis perdus & mors : car nuls ſi grans meſchiés ne me porroit avenir, comme ſe je fuſſe de vous entroubliés. Si que il m’en convient du tout laiſſier convenir vous & loial Amour & voſtre bonté, & vivre en eſperance, en attendant la bonne journée que je puiſſe vers vous retourner. Et ce ſera quant je porray, & non mie quant je vorray. Mon tres-dous cuer & ma tres-douce amour, je prie Dieu qu’il vous doint pais, joie, & ſauté ; & grâce que nous nous puiſſiens brieſment à joie reveoir.

Voſtre tres-loial ami.


Je me parti le lendemain ;
Mais je me levay ſi tres-main
Corn je vi le jour ajourner ;
Qu’après congié, le ſejourner
Ne m’eſtoit pas moult honnourable,
N’à ma plaiſance profitable,
Pour ce que ne péuſſe vir
Ma douce dame, n’aſſevir
Mes yeux de li bien regarder.
Pour ce m’en alay ſans tarder
En une moult belle contrée,
Douce & bonne & bien atemprée,
Et où n’eſtoie pas hays :
Car li drois ſires du pays[150]
Me ſiſt grant honneur & grant feſte,
Et toute compagnie honneſte

Voloit ; & on là me tenoit[151]
Trop plus qu’à moy n’appartenoit.
De chevaliers, de damoiſiaus,
D’aler aus chiens & aus oiſiaus,
Ne convenroit-il pas parler :
Tous les jours y pooie aler
Avec mon ſigneur ſouverain,
Que j’aim ſur tous, par ſaint Verain ![152]
Car moult de biaus dons me donna,
Et le ſien moult m’abandonna.
Mais ſe j’éuſſe l’abondance
De tous les biens qui ſont en France,
Ne fuſſe-je pas aſſevis
Ne ſaoulés à mon devis,
Quant véoir ne pooie celle
Qui eſt de tous les biens ancelle.

Là demouray près de quinſaine.
Mais au meins, chaſcune ſemaine,
J’envoioie vers Toute-belle
Pour ſavoir aucune nouvelle
De ſon eſtat, de ſa ſanté
Et de ſa bonne volenté.[153]
Car ſouvent de li me doubtoie,
Et ſouvent m’en aſſéuroie,
Enſi com mes entendemens
Faiſoit ſes divers jugemens.
Si que pour mieus ramentevoir

Et auſſi pour mieus percevoir
S’elle m’eſtoit ferme & ſéure,
Li envoiay ceſte eſcripture ;
Car j’avoie dou mal aſſez,
Et tant qu’eſtoie tous laſſez
Dou porter & dou ſouſtenir ;
Si ne me pooie tenir
Que devers elle n’envoiaſſe,
Et, mon eſtat ne li monſtraſſe.


XVII. — Mon tres-dous cuer & ma tres-douce amour, j’envoie par devers vous pour ſavoir voſtre bon eſtat, lequel je deſire plus à ſavoir que nulle riens née, ne que de créature qui vive : & du mien, s’il vous en plaiſt à ſavoir, j’eſtoie en eſtat que homs amoureus doiſt eſtre, & auſſi comme vous me commandaſtes au partir, & je le vous promis. Je ne partiroie pour riens de ce pays ſans vous véoir ; mais, mon dous cuer, quant ce ſera, je ne vous porray véoir s’il ne vient de vous, & ſe vous ne querés lieu & temps, espace & loiſir de mi véoir : car de vous vient m’amoureuſe dolour, &, pour ce, faut que mes confors en viengne. Et pour Dieu, mon tres-dous cuer, vueilliez faire que uns jours vaille quatre, quant je ſeray vers vous ; car je n’i porray mie demourer tant comme je vorroie, Dieus le ſcet ; & ce me ſera le partir ſi dur que, par m’ame, je ne ſay comment je le porray porter ne endurer, ne comment je m’en conforteray : & c’eſt une choſe que je reſſoingne trop. Si, vous prie pour Dieu, que tant comme je ſeray près de vous, vous mettés peine de mi conforter pour le temps à venir : car, par Dieu, il n’eſt biens ne joie ne confors qui me péuſt venir, s’il ne venoit de vous ; n’onques mais dame ne fu tant aimée ne ſi loiaument deſirée comme je vous aim & deſir, ſans partir ne muer ; en ceſte pel mourray. Ma tres-douce amour, je vous verray brieſment, ſe Dieu plaiſt, & ſeray en l’oſtel ou je fui les autres fois. Si, me recommande à voſtre grâce, car vous ſavés que je ne vous puis bonnement véoir ne parler à vous, s’il ne vient de vous. Et, mon dous cuer, je n’ay mie ſi bien perſonne pour envoier à vous, comme j’avoie, puis ne vous vi-je. Si vous prie pour Dieu, que à ceſte fois vous me monſtrés l’amour que vous dites que vous avez à mi, par quoy je me porte gais, chantans & envoiſiés, jolis & très-fins loyaus amis. Mais, pour Dieu, ne faites choſe pour ma plaiſance dont on puiſt parler ; car, par ycelui dieu qui me fiſt, j’ameroie mieus morir ou que jamais je ne vous véiſſe, dont Dieus me gart ! car s’il advenoit, je ſeroie bien mors. Et, mon tres-dous cuer, je demourray .iii. jours ou quatre là où vous eſtes. Si me porrés des biens faire aſſès s’il vous plaiſt ; & pléuſt à Dieu que jamais ne m’en partiſſe tant comme vous y ſerés. Et, mon très dous cuer, uns biens d’amours donnés & receus amoureuſement & ſecretement vaut .c. ; & uns jours bien emploiés vault .i. an, & eſt remedes & confort contre la mort, contre Deſir & contre Fortune. Je n’en di plus, mais vous ſavés bien qu’aſſez rueve qui ſe complaint. Je ne vous envoie rien de Rondelet, car il ha tant de gent à ceſte court, & de noiſe, & tant m’i annoie que je y puis po faire de nouvel. Touteſvoies, je fais adès en voſtre livre[154] ce que je puis. Mon dous cuer reſcriſiez-moy voſtre bon eſtat & voſtre bonne volenté par ce meſſage. Je prie Dieu qu’il vous doinſt pais & honneur, ſanté & joie de quanque voſtre cuer aime.

Voſtre tres-loial ami.


Quant elle ot véu mon eſcript,
La Tres-belle ainſi me reſcript
Par mon meſſage, & ſans attendre.
Or vueilliés bien ſa lettre entendre :


XVIII. — Mon cuer, m’amour & quanque je deſir ; j’ay bien véu ce que vous m’avés eſcript ; ſi feray de tres-bon cuer ſongneuſement & diligemment le contenu de vos lettres ; car, par icellui Dieu qui me fiſt, il ne m’eſt mie advis que je péuſſe meſprendre, ne que il me péuſt mal venir de faire choſe qui vous pléuſt, ne de choſe que vous me loiſſiés[155] ou conſelliſſiés. Et ne vous doubtés en rien ; que ſe tous li mondes me looit ou conſilloit une choſe & le contraire vous plaiſoit, voſtre douce volenté ſeroit aſſevie & laiſſeroie la volenté de tous les autres. Si devés eſtre bien aſſéur de moy & de mon amour, car je vous ſay ſi bon & ſi loyal en tous cas, & auſſi que vous amez tant moy, mon bien, ma pais & mon honneur, que vous ne me vorriés, ne ſariés ne daigneriés concilier choſe qui ne fuſt à mon honneur, plus que créature qui vive. Si ſuis bien tenue à faire vos bons plaiſirs, & ſi, les feray à mon povoir, & vous ameray ſur toute créature humaine tres-loiaument, tous les jours de ma vie, & plus encores, ſe plus vivre pooie. Et, mon tres-dous amis de mon cuer, vous dites que vous reſſongniés le partir de moy, & que ce vous ſera moult dure choſe ; mais ſoiez certains que je croy que il me ſera plus dur que à vous ; car, en l’ame de moy, c’eſt la choſe du monde de quoy je reſſongne le plus, & à quoy je penſe le plus, après vous. Mais, ſe Dieu plaiſt, vous & moy y pourverrons de tele maniere que nuls ne s’en percevera. Et, mon dous cuer, nous nous en devons conforter ; car c’eſt choſe qu’il convient faire, n’onques ne fu autrement. Si devons penre le temps ainſi comme Dieus le nous envoie. À Dieu, mon dous cuer, qui vous doinſt joie de quanque voſtres cuers aime & deſire.
Voſtre tres-loiale amie.

Je reçus ceſte lettre cy
Droit en la ville de Crecy.[156]
Là fu le duc de Normendie,
Mon droit Signeur, quoy que nuls die.[157]
Car fais ſuis de ſa nourriture,[158]
Et ſuis ſa droite créature.
Et quant je les os pourvéu,
Et .iii. fois ou .iiii. léu,
Je ne péuſſe ſouhaidier
Riens qui tant me péuſt aidier
À ma maladie amoureuſe.
Car ma dame m’eſtoit piteuſe,
Et me promettoit franchement
Joie, pais & alligement,
Par vraie & juſte experience :
Si que je n’avoie grevence
Ne riens nulle qui me fuſt dure ;
Ains vivoie en plaiſance pure,
Pour ce que par amours l’amoie.
Et, en ce plaiſir, je penſoie
À ſa grant biauté ſouveraine,
Qu’ele eſt trop plus belle qu’Elaine ;
Et encor plus à ſa bonté
Dont je vous ay aſſez compté.
Si faiſoie concluſion,
Selon ma ſimple opinion,
Qu’on doit priſier les choſes belles,

Seulement plus pour le bien d’elles,
Qu’on ne fait pour nulle autre choſe
Qui ſoit, dehors ou ens, encloſe.

En monde n’a ſi bel deſtrier,
Soiés ſus, le piet en l’eſtrier,
Et le ferez des eſperons,
(Au mains nous ainſi l’eſperons,)
Que s’il ha mauvaiſe maniere,
Que s’il vuet reculer arriere,
Ou s’il ſe couche ou s’il ſe cabre
Ainſi com cils qui fait la cabre,[159]
Ou s’il fiert & regibe, ou mort,
N’avant n’iroit .i. pas, pour mort,[160]
Qu’on ne die : il eſt trop mauvais,
Donnés-le aus meſeaus de Biauvais.[161]

Ne il n’eſt chevaliers tant biaus,
Ne qui tant face de cembiaus,
Tant ſoit jolis ou biaus ou cointes,
Et de toutes dames acointes,
Que s’il s’en fuit d’une bataille
Où il eſt, tels qu’adès s’en aille,
Qu’on le doie amer ne priſier ;
Ains le doit chaſcuns deſpriſier.
Et s’il eſt aucuns qui le priſe,
En li priſant il ſe deſpriſe ;
Car on ſe doit de telz gens taire
S’on ne vuelt leurs deffaus retraire.

Car c’eſt leur meſtier, c’eſt leur ordre :[162]
Si ne ſe doivent pas amordre
À eulz abſenter ne fuyr,
N’en ce nuls ne les doit ſuyr.[163]

En monde n’a ſi belle dame
Que s’elle ſe jette en diffame,
Tant qu’en perde ſa renommée
Par ſon deffaut, que mains amée
N’en ſoit, & ſouvent mains priſie,
Et qu’on ne la hée & maudie,
L’eure & le jour qu’elle fu née,
Quant elle s’eſt ainſi portée ;
Et qu’honneur touſdis ne la fuie,
Plus que chas ne fait iaue ou pluie ;
Au mains, tant comme elle ſera
En l’eſtat qu’honneur deffera.

Pour ce, di veritablement
Que li ſage communement
Aiment les gens pour leur bonté,
Aſſez plus que pour leur biauté.
Car grant biauté eſt une grace
Des menres que nature face.
Dont ſe je l’aim & belle & bonne,
(Et chaſcuns bons ce nom li donne,)

On ne me doit mie reprendre,
Se de fin cuer l’aim ſans meſprendre.
Et j’en acquier & los & pris,
Si je l’aim, ſer & loe & pris.
Mais ſe j’amoie une chetive,
On me devroit deſſus la rive
Getter en une iaue parfonde,
Ou eſcerveler d’une fonde.
Et ſe chetive la ſavoie,
Par ma foy, jà ne l’ameroie.
Si doy bien eſtre ſus ma garde,
Et fort penſer, que ſi me garde
Qu’envers li ne penſe ne face
Choſe qui ſon honneur efface :
Car en cas que je le feroie
Envers Amour me mefferoie,
Et tout le bien que j’ay de li
Seroit mort & enſeveli.

Moult deſiroie le retour
Vers ma dame au plaiſant atour,
Si ne faiſoie qu’eſpier
Penſer, muſer & colier,
Comment par gré me departiſſe,
Par coy toſt ma dame véiſſe.
En la fin j’alay congié prendre ;
Mais Monſeigneur me ſiſt attendre
Contre mon gré, .iii. jours ou quatre,
Pour ſolacier & pour esbattre.
Et puis par ſon gré me parti,
Et de ſes biens me reparti,
Ainſi com ci-devant dit l’ay.
Et lors me parti ſans delay

Et m’en alay la droite adreſſe
Devers m’amour & ma déeſſe.
Si vins en ſa douce preſence,
Navrés d’une amoureuſe lance :
Mais la belle qui touſdis rit
Moult doucement, mes maus garit.
Je me tais de mon acointance,
Et de ma ſimple contenance ;
Car j’eſtoie adès à mes unes.[164]
Mais ſe je veniſſe de Tunes,
La gracieuſe, que Dieus gart,
De bel acueil, de dous regart
Ne me partiſt plus largement.
Après m’appella ſagement
Et, ce vous di, tout à un cop,
Qu’elle n’en ſiſt ne po ne trop ;
Car ſi ſagement s’i porta
Que de tous bons los emporta.
À dont à li petit parlay
Qu’aveuc les autres m’en alay.
Quant il fu temps de departir,
Moult bas me diſt : « Celle part tir,[165]
« Dous amis, que véoir vous puiſſe.
« Faites qu’en ce vergier vous truiſſe
« Après ſouper, pour nous déduire,
« Quant li ſolaus laira le luire. »
Et je ne m’i oubliay pas,
Ainſois y vins plus que le pas ;
Mais elle y eſtoit jà venue,
S’ot grant joie de ma venue,

Et lors me diſt en ſouſriant :
« Se vous eſtiés le roy Priant
« Si, vous faites-vous bien attendre. »
Et je reſpondi, ſans attendre,
À mains jointes & à genous :
« Douce dame, faites que nous
« Demenions amoureuſe vie ;
« Et qui ſcet bon mot ſi le die :
« Ves-me cy, je le vous amende. »
Et la belle reçut l’amende.
Là parlames de nos amours,
Des griés, des peines, des clamours
Que Deſirs fait aus vrais amans,
Et aus dames qui ſont amans ;
Comment il vient lance ſur fautre
Aſſembler à l’un & à l’autre ;
Comme il les aſſaut & detaille
De ſa lance dont li fers taille ;
Comment il les navre & deffent,
S’Eſperance ne les deffent.
Mais moult ſouvent le pris emporte
Deſirs, quant Eſperance forte
N’eſt contre li, pour bien combatte.
Lors convient ſa baniere abatre,
Et douce Eſperance eſtre en fuite,
Pour ce que ſcet trop po de luite.
Là eſt li amans entre piés ;
Car autreſſi com uns trepiés[166]
De quoy on fait moult grant eſſart,

Eſt tous les jours en feu & s’art ;
Et quant il advient qu’on l’en oſte
On le gette en un coing d’encoſte ;
Mais quant li fus en eſt eſtains,
Il eſt noirs & bruys & tains.
Ainſi eſt-il des amoureus
Qui ſont plains de maus ſavoureus :
Et quant leur deffenſe eſt petite,
Deſirs les aſſaut & deſpite,
Et les fait à martire offrir.
Si, n’ont confort fors de ſouffrir.

Quant nous éuſmes deviſé
De nos amours, je m’aviſé
Que li feroie une requeſte
Qui me ſembloit aſſez honneſte.
Si li di : « Belle, bonne & ſage,
« Vous devés un pelerinage,
« Ce m’a-on dit, à Saint-Denis.
« Bien ſeroit or mes maus ſenis,
« Se le vous plaiſoit apaier,
« Mais que fuſſe voſtre eſcuier :
« Une heure vault une ſemaine,
« Et un bon jour, quant Dieus l’amaine,
« Vault bien .iii. mois, n’en doubtez mie.
« Si que, ma belle douce amie,
« Je vous pri que vous le paiez,
« Et que ce pas ne deſlaiez. »
Et elle reſpondi en l’eure :
« Dous amis, ſe Dieus me ſequeure,
« De ce faire pas ne recroy :
« Et vous ſavez aſſez, ce croy,
« Que je ne ſuis pas mienne dame ;

« Mais nous irons à Sainte-Jame[167]
« Ou à Saint-Denis, ſe je puis,
« Moy & ma ſuer & vous ; & puis
« Nous venrons icy ſejourner,
« Quant Dieus nous laira retourner. »
Moult doucement l’en merciay,
Et d’elles haſter li priay ;
Si qu’elle tint un parlement,
Li & ſa ſuer ſecretement :
Et manderent une voiſine
Qu’elle appellerent leur couſine.
Le jour après nous en alames,
Son pelerinage paiames.

Mais la belle, par ſaint Lieffroy,
Voult chevauchier mon palefroy ;[168]
Dont ſi fort l’aim & ameray
Que jamais ne le venderay.
Ce fu droit le jour que l’en dit
La bénéiſſon du Lendit ;[169]
Mais onques ſi joliement,
Ne ſi tres-envoiſiement,
Ne vi aler hommes ne fames,
Comme faiſoient ces .iii. dames.
Et d’autre part je m’efforçoie

D’eſtre liés, ce que je pooie.
Mais chaſcune avoit un chappel
Floreté d’or, ainſi l’appel,
De roſes doubles & vermeilles, [App. XL.]
Qui bien lor ſéoit à merveilles.
Mais pour ce qu’il en fuſt memoire,
Ainſi alames par la foire,
Où moult de choſes marchandames.
Mais onques riens n’i achetames ;
Car certainement nos penſées
Eſtoient ailleurs ordenées ;
C’eſtoit à ſon pelerinage
Qu’elle voloit d’umble courage
Paier & tres-devotement.
Et je, pour s’amour, vraiement,
Et pour ſa contemplation,
Y avoie devotion.
Si le paiames ſans targier ;
Et puis nous venimes mengier
À une ville qu’on appelle
Par tout à Paris La Chapelle. [App. XLI.]
Mais il y avoit ſi grant nombre
De gent, qu’il n’y avoit pas d’ombre[170]
Qu’on y péuſt bien hebergier
Le corps & le chien d’un bergier.
Nonpourquant nous fuſmes ſi aiſe,
Que, foy que je doy ſaint Nicaiſe,
Il a paſſé plus de ſept ans
Que ne fui ſi bien de ſept tans.
Après mangier, l’oſte paiames ;
Et puis d’ilueques nous levames.

Mais onques ſi bonne journée
Ne fu pour amant adjournée.
Car ma dame diſt : « J’ay ſommeil
« Si grant, que toute m’en merveil,
« Et trop volentiers dormiroie,
« S’une chambre & un lit avoie. »
Il avoit là un ſergent d’armes,
Qui avoit beu juſques aus larmes
D’un trop bon vin de Saint-Pourſain ;[171]
Chaſcuns le teſmoingne pour ſain,
Mais il le faiſoit chanceler,
Si qu’il ne s’en pooit celer.
Li ſergens dit : « Par Saint Guillain !
« Il ha près de ci un villain
« Qui demeure au bout de la ville :
« Il ne penroit ne crois ne pile ;
« Et s’a une belle chambrette
« À .ii. lis, qui eſt aſſés nette,
« Où bien ſerez & à couvert :
« Et ſi ara de l’erbe vert.[172]
« Venés-ent, je vous y menray,
« Et le chemin vous apenray. »
Ma dame li diſt : « Je l’acort. »
Si fuſmes tuit en ceſt acort.
Devant ala & nous après,
Qui le ſiviens aſſés de près.

Quant elles furent là venues,
Au chaut du ſoleil eſméues,
.ii. lis trouverent tout à point.
Lors ſa ſereur n’attendi point,
Ains ſe coucha en un des lis,
Acouveté de fleurs de lis.[173]
Ma dame en l’autre ſe coucha,
Et .ii. fois ou .iii. me hucha ;
Auſſi faiſoit ſa compaignette
Qui avoit à non Guillemette :
« Venés couchier entre nous deus,
« Et ne faites pas le honteus.
« Veſci tout à point voſtre place. »
Je reſpondi : « Jà Dieu ne place
« Que j’y voiſe : més hors ſeray,
« Et là je vous attenderay,
« Et vous eſveilleray à Nonne, [App. XLII.]
« Si toſt com j’orray qu’on la ſonne. »
Adont ma dame jura fort
Que j’iroie, & quant vint au fort,
De li m’aprochay en ruſant,
Et touſdis en moy eſcuſant,
Que ç’à moy pas n’appartenoit :
Mais par la main ſi me tenoit
Qu’elles m’i tirerent à force.
Et lors je criay : « On m’efforce ! »
Mais Dieus ſcet que de là geſir
Eſtoit mon plus tres-grant deſir,
N’autres paſtez ne deſiroie,
D’autre avaine ne heniſſoie.[174]

Li ſergens qui l’uis nous ouvry,[175]
De .ii. mantelés nous couvry,
Et la feneſtre cloÿ toute,
Et puis l’uis ; ſi qu’on n’y vit goute.
Et là ma dame s’endormy,
Touſdis l’un de ſes bras ſur my.
Là fui longuement delès elle,
Plus ſimplement qu’une pucelle ;
Car je n’oſoie mot ſonner,
Ne touchier, ne araiſonner,
Pour ce qu’elle eſtoit endormie.
Là vi-je d’amour la maiſtrie :
Car j’eſtoie comme une ſouche
Delez ma dame, en ceſte couche,
Ne ne m’oſoie remuer,
Nient plus s’on me voſiſt tuer.
Et toutevoie, à la parfin,
Ma dame que j’aim de cuer fin,
Qui là dormi & ſommeilla,
Moult doucettement s’eſveilla,
Et moult baſſetement touſſy,
Et diſt : « Amis, eſtes-vous cy ?
« Acolés-moy ſéurement. »
Et je le fis couardement,
Mais moult le me diſt à bas ton.
Pour ce l’acolay à taſton,
Car nulle goute n’i véoie :
Mais certeinement bien ſavoie
Que ce n’eſtoit pas ſa compaigne.
S’eſtoie com cils qui ſe baigne

En flun de paradis terreſtre ;
Car de tout le bien qui puet eſtre
Par honneur, eſtoie aſſevis
Et ſaoulés, à mon devis
Sans plus, pour la grant habundance
Que j’avoie de ſouffiſance.
Car tout ce qu’elle me diſoit,
Trop hautement me ſouffiſoit ;
Et tout le bien que je ſentoie
À gouſt de merci ſavouroie,
Sans penſer mal ne tricherie ;
Car trop eſtoit de moy cherie.
Pour ce vueil un po parler ci
Quel choſe ce eſt de merci.

L’un aime, crient & ſert ſa dame,
Sans penſer ne deſirer blame,
Sans plus, pour venir à vaillance ;
Et ſe met ſouvent en balance
De toſt valoir ou toſt morir,
Sans demander autre merir ;
Et va cerchant les guerres dures
Et les lointaines aventures.
Souvent ha ſain & po d’argent,
Et moult ſouvent paſſe par gent
Qui trop plus toſt li oſteroient
Le ſien que rien ne li donroient ;
Et moult ſouvent tout perderoit
Puis qu’il ne ſe deffenderoit.

Li autres ne vuet que jouſter :
Mais encor y vueil adjouſter
Danſer, chanter & caroler.

L’autre baiſier & acoler
Vuet ſa dame, & plus ne li quiert ;
Bien li ſouffiſt quand ce acquiert.
Li autres delès li ſeroit
Cent ans, que jà n’i penſeroit ;
N’il ne li oſeroit requerre,
Pour tout le bien qui eſt ſur terre :
Non, par Dieu, faire .i.1 ſeul ſemblant ;
Ainſois ara le cuer tremblant,
Et ce li ſouffit que la voie,
Et que dalès li s’esbanoie.
Et quant à chaſcun d’eus ſouffiſt
Sans deſirer autre profit,
Je di que vraie ſouffiſance
D’amours eſt mercy, ſans doubtance.

Ainſi fui doucement péus
Des tres-dous biens qui ſont déus
À ceus qui aiment loyaument,
Par ſouffiſance ſeulement ;
Car ſe ce ne fuſt ſouffiſance,
Moult petite eſtoit la pitance.
Mais bien n’i ha qui ſoit petit,
Puis qu’on le prent par appetit,
Et qu’on le donne liement
De bon cuer & joliement.

Quant temps fu, d’ilec nous levames,
Et pluſeurs compagnons trouvames,
Qui en chantant nous eſveillierent,
Qu’onques le jour ne ſommillierent.
Puis alames jouer aus boules,
Pour vin, pour chappons & pour poules,

Pour poulés, & pour lappereaus,
Et pour frommages ſautereaus ;
À dire eſt, frommages de Brie.[176]
Si que toute la compagnie
Par accort ſoupames enſemble
En un vergier, qui bien reſſemble
De douceur le biau paradis
Qu’Eve & Adans eurent jadis.
Car tant eſtoit vert & flory
Que, qui ſeroit ou pilori,
Dou véoir ſe esjoïroit,
Et ſa honte en oublieroit.
Là ſoupames bien & attrait ;
Et là ma douce dame a trait
Maint trait à moi, pour moy attraire,
Qui eſtoie ſiens, ſans retraire ;
Car elle ſcet bien qu’elle m’a,
Dès que ſon ami me clama.
Là fumes ſervi de dous lais,

D’entremés, & de virelais,[177]
Qu’on claime chanſons baladées,
Bien oÿes, bien eſcoutées,
Et de tout le fait de muſique,
Tres-bien & tres-proprement ; ſi, que
On ne ſavoit auquel entendre.
Là pooit-on allés aprendre ;
Car chaſcuns faiſoit ſon effort
De chanter bien, & bel & fort.
Là juſques près du jour veillames,
Et puis les dames convoiames
Chaſcune dedens ſa maiſon,
À torches, & ce fu raiſon.
Amours pas là ne m’eſſaia,[178]
Ainçois largement me paia,
Si com bien faire le ſavoit,
Le bon jour qu’elle me devoit :
Et à celle, que j’en mercy,
Embla Souffiſance mercy,
Sans plus, par penſer doucement
À honnourable esbatement.[179]

Là demouray .vii. jours en route,
À grant déduit, moy & ma route ;[180]
Et dalès ma dame dinay,

Où petit prins pain & vin ay ;
Qu’en li véoir me delitoie,
Et de cela me ſaouloie.
Car nous eſtions priveément,
Si qu’il n’i avoit ſeulement
Fors la belle, moy & ſa ſuer
Qui ne la laiſſaſt à nul fuer.
Mais ma dame qui commande ha
Seur moy, me diſt & commanda
Qu’aucune choſe li déiſſe,
Ou que de nouvel la féiſſe ;
Si fis cecy nouvellement
À ſon tres-dous commandement.

BALADE.

Gent corps, faitis, cointe, apert & joly,
Juene, gentil, paré de noble atour,
Simple, plaiſant, de bonté enrichy,
Et de biauté née en fine douçour ;
Mon cuer ha ſi conquis par ſa douçour
Le dous regart de vo viaire cler
Qu’autre de vous jamais ne quier amer.

S’ay droit, que j’ay ſi noblement choify,
Que ſe je fuſſe à chois d’amer la flour
De ce monde, s’éuſſe-je failly
En mieus choiſir qu’en vous, dame d’onnour.
S’en remercy vous & loyal Amour
Qui tient mon cuer en ſi plaiſant penſer ;
Qu’autre de vous jamais ne quier amer.

Tres-douce dame, & puiſqu’il eſt ainſy
Que je vous aim, ſans penſer deshonnour,
Et qu’en tous lieus avés le cuer de my
Qui mercy prie humblement nuit & jour ;
Je vous depri, par vois plaine de plour,
Que vous vueilliés ſavoir, par eſprouver,
Qu’autre de vous jamais ne quier amer.

Et elle fiſt ce rondelet
Qui ne me ſemble mie let,
Car il n’i ha rien que reprendre ;
Mais elle le fiſt ſans attendre,
Et ſi volt que je l’emportaſſe
Ainſois que de là m’en alaſſe.

RONDEL.

Autre de vous jamais ne quier amer,
Tres-dous amis cui j’ay donné m’amour ;
Car à mon gré je ne puis mieus trouver.
Autre de vous jamais ne quier amer.
Et ſi fay bien, ſans le plus eſprouver,
Que voſtre cuer fait en moy ſon demour.
Autre de vous jamais ne quier amer,
Tres-dous amis cui j’ay donné m’amour.

Finablement li termes vint
Que de li partir me convint ;
Si prins congie moult humblement,
Acompaigniés petitement
De Sens, de Manière & d’Avis.
Mais elle vit bien à mon vis
Qu’en l’eſperit bleciés eſtoie,
Quant ainſi ma coulour muoie.
Car j’eſtoie deſcoulourés,
Triſtes, dolans & eſplourés ;
Pour ce que j’eſtoie certains
Que de li ſeroie lointains
Longuement, contre mon voloir ;
Et ce me faiſoit trop doloir.
Mais la Très-belle & bonne & ſage,
Au gentil corps, au franc courage,
Me prinſt doucement par la main,

Et diſt : « Vous revenrés demain,
« Qu’au matinet me leveray
« Et à Dieu vous commanderay,
« Et non pas cy, devant la gent. »
Je reſpondi com ſon ſergent :
« Ma dame, à Dieu ! puis qu’il vous plait. »
Je m’en alay ſans autre plait,
Mais je fis ſon commandement ;
Car j’y vins ſi ſongneuſement
Que la belle encor ſe giſoit.
Et l’eſveillay, ce me diſoit,[181]
À l’ouvrir d’une feneſtrelle
Qu’à feneſtre eſtoit delès elle.
Si tiray un po la courtine
De cendal, à couleur ſanguine.
Mais elle n’eſtoit pas ſeulette,
Qu’o li eſtoit la pucellette
Qui, el vergier vert & feuilli,
Les fleurs dou chapelet cueilli.
Moult coiettement la huchay,
Et petit de li m’approchay,
En ſa grant biauté regardant,
S’onneur & ſon eſtat gardant,
Qu’autrement faire ne l’oſoie,
Pour ſon courrous que je doubtoie.
Mais la belle ne dormoit mie,
Ainſois par ſa grant courtoiſie,
Par devers moy ſe retourna.
N’elle prins nul autre atour ha,[182]

Fors que les uevres de nature ;
Tant belle, qu’onques créature
Ne pot eſtre à li comparée ;
Tant en fu richement parée.
Lors par mon droit nom m’apella
Et diſt : « Amis eſtes-vous là ? »
Je dis : « Oÿl, ma douce amour ;
« Mais j’ay grant doubte & grant cremour,
« Pour voſtre pais, qu’aucuns ne veingne. »
Et elle diſt que riens ne creingne,
Car nuls n’y vient s’on ne l’apelle.
Ainſi m’aſſéura la belle.
Quant je vi ſa coulour vermeille,
Et ſa biauté qui n’a pareille,
Son dous vis, ſa riant bouchette,
Douce plaiſant & vermillette,
Et ſa gorge polie & tendre,
Je m’agenouillay ſans attendre
Et encommençay ma prière,
À Venus, par ceſte manière :

« Venus, je t’ay tousjours ſervi,
« Depuis que ton ymage vi ;
« Et dès lors que parler oï
« De ta puiſſance ;
« Et pour ç’humblement te depri,
« Que vueilles oïr mon depri,
« Et que tendes ſans nul detri
« À m’aligence.
« Car je voy ci en ma preſence

« La biauté, la douce ſemblance
« Qui mon cuer ha navré ſans lance,
« Et l’a ravi ;
« Et pooir n’ay que je m’avance
« De li touchier, car j’ay doubtance
« De ſon courrous ; ce point & lance
« Le cuer de mi.

« Tu ies ma dame & ma déeſſe,
« Tu ies celle qui mon cuer bleſſe,
« Et le garis par ta nobleſſe
« Si doucement,
« Qu’il n’i ha doulour ne deſtreſſe
« Fors déduit, plaiſance & léeſſe.
« De ce es ſouvraine maiſtreſſe
« Certainement.
« Tu joins .ii. cuers ſi proprement
« Qu’il n’ont qu’un ſeul entendement,
« Un bien, un mal, un ſentement,
« Une triſteſce :
« Or me donne dont hardement,
« Qu’à ce tres-dous viaire gent
« Preingne pais au departement ;
« S’aray richeſſe.

« Et en cas que ne le feras,
« Tu m’as fait, ſi me defferas,
« Et à la mort me metteras ;
« C’eſt, ſans mentir,
« Mes cuers eſt deſconfis & mas,
« Et tu ſcés moult bien que tu m’as ;
« Si dois eſtre mes advocas,
« Et ſoubſtenir

« Ma pais, ma joie & mon deſir.
« Et ſi dois ma ſanté quérir,
« Et moy bonnement enhardir ;
« Voire en ce cas.
« Mais ſe tu me vues deguerpir,
« Et à ce grant beſoing faillir,
« À Dieu tout ! je vueil ci morir,
« Sans nul reſpas. »

Quant j’os ma prière finée,
Venus ne s’eſt pas oubliée,
N’elle auſſi pas ne s’oublia ;
Car moult bien ſouvenu li a
De mon fait & de la requeſte.
Si fu toſt la déeſſe preſte,
Car tout en l’eure eſt deſcendue,
Couverte d’une oſcure nue,
Pleine de manne & de fin baume
Qui la chambre encenſe & embaume.
Et là fiſt miracles ouvertes,
Si clerement & ſi appertes
Que de joie fui raemplis,
Et mes deſirs fu acomplis :
Si bien que plus ne demandoie
Ne riens plus je ne deſiroie.
Et quant cils miracles fu fais,
Je li di : « Déeſſe tu fais
« Miracles ſi appertement
« Qu’on le puet véoir clairement.
« Dont je te ren grâce & loange
« Sans flaterie & ſans loſange. »

Toutevoie tant vous en di :

Quant la déeſſe deſcendi,
Li cuers me fremy & trembla,
Et de ma dame il me ſembla
Que un petitet fu eſmeue,
Et troublée de ſa venue.
Si, qu’ainſi, de la nue obſcure


Centré


Éuſmes ciel & couverture,
Et tous .ij. en fumes couvert
Si qu’il n’i ot rien deſcouvert.
Et ce durement me ſéoit,
Qu’adont riens goute n’i véoit.
Et ſi dura longuettement
Tant que j’eus fait preſentement,

Ains que Venus s’en fuſt alée,
Celle chanſon qu’eſt baladée :

CHANSON BALADÉE.

Onques ſi bonne journée
Ne fu adjournée,
Com quant je me départi
De ma dame deſirée
À qui j’ay donnée
M’amour, & le cuer de mi.

Car la manne deſcendi
Et Douceur auſſi,
Par quoi m’ame ſaoulée
Fu dou fruit de Dous ottri,
Que Pité cueilli
En ſa face coulourée.
Là fu bien l’onnour gardée
De la renommée
De ſon cointe corps joli ;
Qu’onques villeine penſée
Ne fu engendrée,
Ne née entre moy & li.
Onques ſi bonne journée, &c.

Souffiſance m’enrichi
Et Plaiſance ſi,
Qu’onques créature née
N’ot le cuer ſi aſſevi,
N’à mains de ſouſci,
Ne joie ſi affinée.
Car la déeſſe honnourée
Qui fait l’aſſemblée
D’amours, d’amie & d’ami,
Coppa le chief de s’eſpée
Qui eſt bien temprée,
À Dangier, mon anemi.
Onques ſi bonne journée, &c.

Ma dame l’enſeveli
Et Amours, par ſi
Que ſa mort ſuft toſt plourée.
N’onques Honneur ne ſouffri
(Dont je l’en merci)
Que meſſe li fu chantée.
Sa charongne traïnée
Fu ſans demourée
En un lieu dont on dit : fi !
S’en fu ma joie doublée,
Quant Honneur l’entrée
Ot dou treſor de merci.
Onques ſi bonne journée, &c.[183]

Après, Venus s’eſvanuy,
Et en ſa nue s’en fuy.
Je demouray tous esbahis,
Et auſſi com tous eſtahis :[184]
Et ma dame eſtoit esbahie,
Et un petitet eſtahie.
Adont doucement l’aparlay,
Et par ceſte guiſe parlay :
« Douce ſuer & douce compaingne,
« Je ne cuit que jamais aveingne
« À .ii. amans n’à créature,
« Nulle ſi plaiſant aventure,
« Si douce n’à tant d’onheſté,
« Comme ceſte-ci a eſté.

« Avez-vous bien appercéu
« La déeſſe que j’ay véu,
« Sa grant biauté, ſa contenance,
« Son ſens, ſon pooir, ſa vaillance :
« Comment elle vous aombra
« De ſa nue qui douce ombre ha ;
« Comment elle nous a ſervi ?
« Et ſi ne l’ay pas deſſervi,
« Car nel porroie deſſervir
« Juſques à mil ans pour ſervir. »
Elle me diſt : « Tres-dous amis,
« En nos cuers la déeſſe a mis
« Amours qui touſdis croiſtera,
« Ne jamais ne s’en partira.
« Bien ay véu ſa deſcendue,
« Et ſon alée & ſa venue :
« Or amez fort & loialment,
« Car je vous promet bonnement
« Que mon cuer avez ſi ravi
« Que le bien amer vous renvi ;
« Ne jamais en jour de ma vie
« Je n’aray d’autre amer envie. »
Je di : « Belle, Dieus le vous mire !
« Trop plus vous aim que ne ſay dire,
« Et jamais ne vous fauſſeray ;
« Mais vrais & loiaus vous ſeray. »

Adont la belle m’acola,
Et mis ſon bras à mon col ha,
Et je de .ii. bras l’acolay,
Et mis ſon autre à mon col ay :
Si attaingny une clavette
D’or, & de main de maiſtre faite,

Et diſt : « Ceſte clef porterez,
« Amis, & bien la garderez,
« Car c’eſt la clef de mon treſor.
« Je vous en fais ſeigneur des or,
« Et deſſeur tous en ſerez mettre.
« Et ſi l’aim plus que mon œil deſtre,
« Car c’eſt m’onneur, c’eſt ma richeſſe,
« Et ce dont puis faire largeſſe.
« Par vos dis ne me puet deſcroiſtre,
« Ainſois ne fait touſdis qu’acroiſtre. »[185]
La clef pris, & li affermay
Dou bien garder, car moult l’amay.
Puis, pris un anel en mon doy,
Et li donnay, faire le doy.
Lors en ſouſpirant congié pris
De ma douce dame de pris ;
Car pour le ſoleil qui venoit,
De là partir me convenoit.

Si m’en alay les ſaus menus,
Tant qu’en mon hoſtel ſuis venus.

Et ſe j’ay dit ou trop ou pau,
Pas ne meſpren ; car, par ſaint Pau,
Ma dame vuelt qu’ainſi le face,
Sus peine de perdre ſa grace.
Et bien vuet que chaſcuns le ſache,
Puis qu’il n’i ha vice ne tache :
Et ſe le contraire y héuſt
Elle bien taire s’en ſcéuſt,
Et au celer bien li aidaſſe ;
Car par ma foy bien le celaiſſe.[186]
Jà vous ay ceſte choſe ditte,
Mais ne m’en chaut ſe c’eſt reditte.

Je montay ſur ma haguénée,
Et chevauchay la matinée ;
Ne de chevauchier ne finay
Tant que je vins où je diſnay.
Mais le diſner ne pos attendre,
Ains me convint en l’eure prendre
Mon eſcriptoire pour eſcrire
Les lettres que cy orrez lire.
Et ſi, fu dedens enfermée
La chanſon ci devant nommée,
Et li tramis ſans detrier ;
Qu’à moy grevoit le detrier.


XIX. — Mon tres-dous cuer & ma tres-douce amour, j’envoie par devers vous pour ſavoir voſtre bon eſtat, lequel vueille Noſtre Seigneur tousjours faire ſi bon comme je le deſire de tout mon cuer, & comme vous meiſmes le vorriés ! & par m’ame je ne puis attendre d’envoier à vous ; & du mien plaiſe-vous ſavoir que je fuſſe en tres-bon point, ſe je vous péuſſe veoir touſdis. Mais quant je ſuis & ſeray loing de vous, & il me ſouvient de la tres-douce paſture & ſade nourreture dont vous m’avés ſi doucement nourry & repéu, & ſe j’ay & aray po de joie & de léeſce, nuls ne s’en doit mervillier. Toutevoie, je me conforte en ce que onques encor ne fu qui encores ne ſoit, ſe Dieus plaiſt. Et, mon tres-dous cuer, je ſui nices & rudes, au départir de vous : ſi, le me vueillez pardonner quant je ne vous ſceus mercier ; pour ce que, en l’ame de mi, je eſtoie ſi pris & ſi ſouſpris, que je ne ſavoie qu’il m’eſtoit advenu, pour le grant miracle que la Déeſſe fiſt en noſtre préſence. Et toutes les fois que je y penſe, je en ſuis tous esbabis, auſſi de voſtre grant humilité. Car ſe je eſtoie li plus biaus, li plus ſages & li plus parfais du monde, ſi m’a Dieus & vous bien pourveu ; ne je ne ſuis mie dignes de deſſervir le plus petit des biens que vous m’avés fait : & je prie à Dieu qu’il me doint, avant la mort, que en jour de ma vie, je ne face ne die choſe qui vous doie deſplaire. Si vous prie, pour Dieu, mon dous cuer, qu’il vous ſouveingne de moy ; car par m’ame je ne vous vorroie ne porroie oublier ; & ſe je le voloie, Deſirs ne me lairoit ; car, par Dieu, onques je ne vous deſiray tant à véoir des .c. pars comme je fais & feray ; & il y ha bien cauſe. Et ce ſera quant Dieu plaira & je porray, & non pas quant je vorray, Dieus le ſcet. À dieu mon tres-dous cuer, qui vous doint joie & honneur & ſanté.

Voſtre tres-loial amy.


Mais elle ne fu periſſeuſe
De reſcrire, ne mal ſongneuſe,
Ains me reſeript par le meſſage

Ce qu’eſt eſcript en ceſte page ;
Et le rondel qu’elle avoit fait
Au miracle cy devant fait.


XX. — Mon tres-dous cuer & mon vray amy, j’ay receu vos lettres & ce que vous m’avez envoié, de quoy je vous merci tant & de cuer comme je puis plus ; & par eſpecial de la bonne diligence que vous avés eue de moy faire ſavoir voſtre bon eſtat ; car c’eſtoit le plus grant deſir que je euſſe (après celli que j’ay de vous revoir) que de ſavoir que vous fuſſîés en bon point. Et ay eu plus de bien & de joie au jour & à l’eure que je receus vos lettres que je n’avoie eu puis que vous partiſtes. Et pour un deſir que j’avoie de vous veoir, avant que je vous euſſe veu, je en ay ad preſent .c. mil, & à bon droit. Car je n’avoie mie encores congneu le bien, l’onneur & la douceur que j’ay depuis trouvé en vous. Si vous jure, en l’ame de moy, qu’il n’eſt eure en quelque eſtat que je ſoie que il ne me ſoit avis que je vous voie devant moy, & que il ne me ſouviengne de voſtre maniere & de tous vos dis & vos fais. Et, par eſpecial, de la journée de la beneyçon du Lendit, & de l’eure que vous partiſtes de moy & je vous baillay ma clavette d’or : ſi la vueilliés bien garder, car c’eſt mon treſor plus grant. Si n’os onques-mais .ii. ſi bons jours à mon gré. Si ne cuide mie quil peuſt avenir choſe par quoy je vous peuſſe oublier ; car il n’eſt riens de quoy il me ſouviengne tant, nes Dieu prier.[187] On me diſt, quant vous partiſtes, que on vous avoit veu partir, & que vous me mandiés que vous n’aviés veu nullui, & aviés dit que ce avoit eſté pour ce que vous ne m’aviés point veu. Et j’entendi bien tantoſt que c’eſtoit à dire ; je le ſavoie bien : car tout en tel eſtat que vous me laiſſastes, ſans prendre nulle autre choſe, je alay après vous & vous regarday, juſques vous fuſtes hors : & en vérité il ne fu puis jours, à celle droite heure par eſpecial, que il ne me ſouveniſt de vous. Je vous envoie un rondel qui fu fais le jour & l’eure que le virelay fut fais que vous m’avez envoié, & à l’eure que li miracles fu fais. À Dieu mon dous cuer, qui me doinſt tel joie de vous comme mon cuer deſire & de moy à vous auſſi.

Voſtre loial amie.
RONDEL.

Merveille fu quant mon cuer ne parti,
Quant de moy vi mon dous amis partir,
Car tel dolour onques-mais ne ſenti.
Merveille fu quant mon cuer ne parti.
Tant com je po de reſgart le ſievi,
Mais en po d’eure ne le pos plus véyr.
Merveille fu quant mon cuer ne parti,
Quant de moy vi mon dous ami partir.

Quant j’oÿ ſa reſcription,
Se l’ymage Pymalion,
Polixena la troÿenne,
Deyamira, & belle Heleine,
La belle Roÿne d’Irlande[188]
Me priaſſent, en ceſte lande,
Que je par amours les amaſſe,
Certes toutes les refuſaſſe ;
Car j’eſtoie en ſi tres-bon hait
Que ce n’eſtoit que droit ſouhait.
Si m’en alay, jolis & gais ;
Et paſſay les guéz & les gais[189]

De l’Archepreſtre & des Bretons,[190]
Que ne priſoie .ii. boutons.
Tant que je vins en une plaine[191]
De tous biens & de bon air plaine ;
Et là une dame encontray
Qui, de Tornu juſqu’à Courtray,
Non, de Paris juſqu’à Tarente,
N’avoit ſi belle ne ſi gente.
Et ſi eſtoit acompagnie
De belle & bonne compagnie.
Et quant la belle m’approcha,
De près par mon nom me hucha ;
Et getta ſa main à ma bride,
Dont j’os grant paour & grant hide,
Car elle diſt : « Vous eſtes pris,
« Et vous menray en mon pourpris. »
Les autres venoient de ren ;
Si reſpondi lors : « Je me ren.
« Qui eſtes-vous, qui me prenez ?
« — Venez aveuques moy, venez ! »
Diſt elle, « vous le ſarez bien,
« Mais à preſent n’en ſarez rien. »
Si m’enmena tout en parlant,
Et je li diſoie, en alant,
Devant tous & en audience :
« Vous m’avez pris ſans deffience. »
Si me diſt : « Ne vous y fiés ;
« Qui meffait, il eſt deffiés.[192]

« Et vous m’avez grieſment meffait.
« S’en corrigeray le meffait. »
Après, auſſi com par courrous,
Me diſt tu, & laiſſa le vous.
« Ne t’ay-je pas reconforté,
« Et joie de loing apporté ;
« Et donné déduis & léeſce
« Et fait joie de ta triſteſce ?
« Et ay eſté tes champions
« En toutes tribulations :
« Quant Honte te vint aſſaillir,
« Tes cuers eſtoit au defaillir ;
« Ne ploiay-je pour toy mon gage ?
« N’onques n’i ot nul autre oſtage
« Fors moy, qui en fis la bataille
« À mon eſpée qui bien taille,
« Et la rendi plus deſconfite[193]
« Que ce qu’elle fuſt enſoubite.
« Toutes fois que Deſirs t’aſſaut,
« Je me met ou premier aſſaut,
« Ne pas ne ſuis la derreniere,
« Ains porte par tout la baniere.
« Ne Deſirs n’a tant de puiſſance
« Qu’il te puiſſe faire grevance.
« À tous beſoins me treuves preſte,
« Sans appeller & ſans requeſte ;
« Dont je di que la bonté double.
« Et tu ne me priſes un double,[194]
« Ne tu n’as encor de moy dit
« Rien d’eſpecial en ton dit,

« Ne rendu graces ne loenge. »
« Tu le ſcés bien, di le voir, ment-ge ? »
Je li dis : « Par ſainte Yſabel,
« Ma dame, vous parlés moult bel,
« Et puet-eſtre que dites voir ;
« Mais je vorroie bien ſavoir
« Voſtre nom ; ſi, m’eſcuſeroie
« Par devers vous, ſe je pooie. »
Elle diſt : « J’ay nom Eſperance :
« Voi-ci Meſure & Attemprance,
« Bon-avis & Confort-d’ami,
« Qui ſont touſdis avecques mi,
« Et qui t’ont fait maint biau ſerviſe,
« Non par devoir, mais par franchiſe. »

Je li fis lors la reverence,
Et les autres, en ſa préſence,
Moult humblement ; & m’acuſay ;
Qu’onques de rien ne m’eſcuſay,
Pour ce qu’Eſperance avoit droit
Et je le tort, en tout endroit.
Et ſi la merciay moult fort
De ſa grace & de ſon confort,
Qui m’avoit nourri & refait ;
Et des biens qu’elle m’avoit fait.
Lors Bon-avis prinſt la parole,
Qui bien & ſagement parole,
Attempreément, par meſure ;
Et diſt : « Dame, ſe meſpreſure
« Vous a fait, il le vous amende ;
« Car en meffait ne giſt qu’amende.
« Prenez-la, je le vous conſeil,
« Et ce me ſemble bon conſeil. »

Ainſi diſt chaſcuns & chaſcune,
Si que j’eus la bonne fortune
Qu’Eſperance diſt : « Je l’ottroy ;
« Venés avant entre vous troy,
« Dalès Avis, qui tauxera[195]
« Quele amende il nous en fera. »
Confort-d’ami diſt doucement :
« Ma dame, je los vraiement,
« Que vous le mettés à renſon,
« Et qu’il en paie une chanſon,
« Rondel, balade ou virelay. »
Et elle diſt : « Je vueil un lay
« Apellé : le Lay d’Eſperance,
« Et par ce li feray quittance :
« Si ſe partira franchement
« Sans plus avoir d’empeſchement. »

Lors di-je : « Dame, à ce traitié
« Que vous avés fait & traitié,
« Moult volentiers je me conſens ;
« Mais, je n’ay mie ſi bon ſens,
« Com pour faire ſi bon ouvraige.
« Mais tant bonne & ſage vous ſay-je
« Que, s’aucune choſe y deffaut,
« Vous ſupplierez mon deffaut. »
Si, requis terme competant,
Je l’os ; ſi m’en parti atant.
Mais je fui depuis ſus ma garde,
Et dis à mon vallet : « Regarde
« Environ toy ſongneuſement ;

« Car on va mal ſéurement,
« Tu le vois bien, en ceſte marche.[196]
« Et fier cheval des eſperons,
« Par quoy plus toſt nous en alons.
« Je te le di pour le milleur.
« En ce paÿs ſont tuit pilleur,
« Qui prennent les gens & detiennent
« Et robent ; ne ſay dont il viennent,
« Et s’en tuent, car en leur ombre[197]
« Chaſcuns à mal faire s’aombre.
« Di-je chaſcuns ? je ment, ſans faille,
« Car il n’eſt regle qui ne faille ;
« Mais pluſeurs avec eus ſe mettent,
« Qui de leurs euvres s’entremettent. »
S’avoie .iiii. contre ſept ;[198]
Tant que je vins à mon recept.
Et quant je vins en ma chambrette
Qui eſtoit belle & gente & nette,
Petit doubtay la pillerie
De ces pilleurs, que Dieus maudie !
Car, là fui fermes & ſéurs,
Sans plus doubter leurs meſéurs.
Et à moy acquitter penſay
Si qu’ainſi mon lay commenſay.
Quant il fu ſais, je le tramis
Si com je l’a voie promis ;
Et tout ainſi comme dit ay
Vers Eſperance m’acquitay.

LAY et y a chant.[199].
I

Longuement me ſui tenus
De faire lais ;
Car d’amours eſtoie nus.
Mais, deſormais,
Feray chans & virelais ;
J’y ſuis tenus :
Qu’en amours me ſuis rendus
À tousjours-mais.

S’un petit ay eſté mus,
Je n’en puis mais ;
Car pris ſuis & retenus
Et au cuer trais,
Tout en un lieu, de .ii. trais
D’uns yeus fendus[200]
Vairs, poingnans, ſès & agus,
Rians & gais.

II

Car ma dame que Dieus gart
Pour un dous riant regart,
D’ardant Deſir fiſt un dart,

Et un d’Eſperance :
Mais mort m’éuſt, ſans doubtance,
Deſirs, & ſans deffiance,
S’Eſpoirs où j’ay ma fiance
Ne fuſt de ma part.

Car quant je ſenti l’eſpart
Dou regart qui mon cuer art,
Ne perdi, à tiers n’à quart,
Sens & contenance,
Mais tout : maniere & poiſſance.
Lors me fiſt penre plaiſance
En ma jolie ſouffrance
Eſpoirs, par ſon art.

III

Mais ce durement m’eſmaie,
Que ne ſay
Se cette amoureuſe plaie
Qu’au cuer ay
Vient d’Amours ou de Cuer vray.
Car Dous regars maint cuer plaie,
Qu’ailleurs, dame ami ha gay.[201]
S’en morray
S’ainſi m’eſt ; mais d’amour vraie
L’ameray.

De voloir que m’en retraie
Jà n’aray,[202]
Pour dolour que mes cuers traie ;
Ains feray
Vrais, & de cuer ſerviray
Ma dame plaiſant & gaie.
Et quant mes jours fineray
Sans delay

Mon cuer, que s’amour deplaie,
Li lairay.

IV

Ne ſavoie
Quant fui pris,
Se j’eſtoie
Mors, ou vis ;
N’entendoie
Gieu ne ris,
Ains ſambloie
Homs ravis ;
Ne queroie
Paradis,
N’autre joie,
N’autre pris ;
Ne ſentoie
Riens, tandis
Que véoie
Son cler vis
Qui m’a de s’amour eſpris.

Toute voie
Je repris,
En la coie,
Mon avis ;
À qui proie,
Com ſougis,
Qu’elle m’oie.
Car envis
Gariroie,
S’eſcondis
Me trouvoie
À touſdis :
Faut que ſoie
Ses amis.
Or ſoit moie,

Ne devis
Plus, ſi ſeroie aſſevis.

V

Ne ſay ſe je dor ou veil,
Quant ſon riant ueil,
Son gent corps qui n’a pareil,
Et ſon dous accueil
Voy & ſon cointe appareil,
Simple, ſans orgueil ;
Et ſon vis blanc & vermeil
Plus que fueille en brueil,
À qui d’amer me conſeil ;[203]
Dont maint plaiſant mal recueil.

Son chief d’or ſamble au ſoleil,
Et s’a bel entr’ueil ;
Pour ç’avoir autre conſeil
Jà ne quier ne vueil ;
Ainſois du tout m’appareil
À faire ſon vueil,
Et à li ſervir m’eſveil ;
Qu’en li tel bien cueil
Dont je me ſeingne & merveil ;
Car tous vices en deſpueil.

VI

Ne fait-il bon tel dame amer
Et deſirer
Et honnourer,
Où homs trouver
Ne puet amer,
Fors douceur fine à ſavourer ?

Tres-noble deſtinée
Ha cils qui ſi puet aſſener,
Sans deſſevrer :
Qu’elle n’a per,
Ains eſt nomper ;
Et, ſans doubter,
On ne puet milleur regarder,
Ne ſi tres-belle née.

Dont doi-je bien s’onneur garder
Et, ſans ceſſer,
Ymaginer
À li porter
Foy, ſans fauſſer,
Et là tout mon ſens appliquer,
Sans villaine penſée.
Mais mieus vorroie eſtre oultre mer
Sans retourner,
Qu’entr’oublier
Son dous vis cler,
Ne que penſer
Choſe qui peuſt empirer
Sa bonne renommée.

VII

Certes, j’ay ſi grant deport,
Quant je voy ſon noble port,
Et quant, ſans villain rapport,
J’oy que chaſcuns ſon effort
Fait de li priſier tres-fort,
Deſſus toute créature ;
Que je n’ay penſée oſcure,
Triſteſce, mal, ne pointure,
Ne choſe qui me ſoit dure ;
Ains ay une envoiſéure
Si tres-douce, & ſi tres-pure
Qu’elle vault merci au fort.

En li véoir me deport,
En li ſervir me confort,
En li amer pren confort,
Et l’eſpoir qui me fait fort
Contre Deſir, qui me mort ;
Mais riens ne pris ſa morſure.
Et s’on dit qu’elle m’eſt dure,
Ou qu’elle n’a de moy cure,
Ne m’en chaut, qu’en ſa figure
Preng li douce norriture,
Que ne doubt rien que j’endure,
Mal d’amour ne deſconfort.

VIII

Et quant je puis vivre einſi,
Si liément & ſans ſouſſi,
Trop grant folour
Seroit de rouver s’amour
Ou ſa merci.
Car je n’ay pas deſſervi
Si grant honnour,
Et ſi n’en ſuis, par nul tour,
Dignes auſſi.

Toſt m’aroit dit : « Va deci ! »
Helas ! ſe ce avoie
De ſa douçour,
Bien ſeroit la joie plour
Du cuer de mi ;
Car il partiroit parmi.
Pour ce demour
En ſouffrance & en cremour,
Subjés à li.

IX

Là font mis tuit mi plaiſir,
Là m’ottroy,

Là porter foy
Vueil bonnement.
Là vueil amoureuſement
Vivre & morir :
Là, me tir ;
Là, mi deſir
Sont, là m’employ :
Là maint tous li cuers de moy
Entierement,
Doucement
Et humblement,
Pour li ſervir.

D’amer ne me puis tenir,
Quant je voy
Le maintien coy
De ſon corps gent
À qui je ſuis ligement
Sans retollir,
Sans partir,
Sans repentir.
Faire le doy
Car .c. mille biens reçoy
Contre un tourment :
Autrement
Certainement
N’ay à ſouffrir.

X

Si, n’eſt vie
Si jolie
Com de deſirer amie,
En eſpoir
Qui chaſtie
Et maiſtrie
Deſir, fi qu’il n’ait maiſtrie
Ne pooir,

Qu’il detrie
Vie lie,
Quant Eſpoirs ne l’amolie.
Pour ç’avoir,
Quoyqu’on die,
Sans partie,
Vueil d’Eſpoir la compagnie
Main & ſoir.

XI

Car je fuſſe, longtemps a, mors,
S’il ne fuſt à martire,
Par l’ueil qui trait en mon corps
De Deſir une vire,[204]
Qui jà n’en fera traite hors,
Se m’amour ne l’en tire,
Ou Bons eſpoirs qui m’a, dès lors,
Viſité com dous mire,
Et conforté mes deſconſors
Doucement ; Dieus li mire !

C’eſt mes chaſtiaus, c’eſt mes reſſors,
C’eſt ce qui eſtaint m’ire ;
C’eſt li avoirs, c’eſt li treſors
Dont on ne puet meſdire ;
C’eſt de ma vie li drois pors,
Ceſt ma joie à droit dire.
Tous li argens & tous li ors
De France & de l’Empire
Ne vault pas l’un de ſes confors
Où Déſeſpoir s’aïre.

XII

Et quant ad ce ſuis venus
Qu’amis ſuis vrais,

Et d’Eſpoir bien pourvéus,
Un joli fais
Gracieus & plains de pais
M’eſt accréus,
Qui ne ſera mis en ſus
De mi, jamais.

Car ſe j’avoie aſſez plus
Que je ne fais,
Et s’éuſſe plus que nus
Pris, en tous fais,
Si ſuis-je norris, refais,
Et pourvéus
Largement, & bien péus
De ſes biens fais.

Quant j’eus fait le dit & le chant
De ce joli lay que je chant,
Moult ſouvent en la ramembrance
De ma dame & douce Eſperance,
Je le fis eſcrire & noter,
Si bien qu’on n’i péuſt noter,
Fors tant ſans plus qu’en bon eſpoir
Vivre & ſervir ma dame eſpoir.
Quant il fu fais, je le ploiay,
Et en ces lettres l’envoiay
À ma dame par un varlet
Qui pour autre choſe n’alet ;
Et li eſcris comment j’eſtoie
Pris d’Eſperance enmi ma voie.


XXI. — Mon tres-dous cuer & ma tres-chiere ſuer & ma tres-douce amour, onques je n’eus ſi grant deſir de ſavoir & oÿr bonnes nouvelles de vous & de voſtre bon eſtat ; & auſſi que vous les oÿſſiés de mi, comme j’ay eu en chemin & ay encores. Et, ma tres-douce amour, vous ſavés bien comment tous li pays eſt pleins & chargiés de gens d’armes & d’annemis & pilleurs ſus les bonnes gens ; ſi vous plaiſe à ſavoir, ma douce amour, que onques ne ſui en ſi grant pzril comme j’ay été, ſe ce ne fuſt li ſouvenirs & li dous penſers que j’ay eu & ay à vous : car yceuls me donnent & ont donné ſi grant vertu, que, mercy à Dieu & à vous, je ſuis eſchapés des mauvais. Mais toutesfois, je n’ay ſceu ne peu ſi bien eſchiver ne guenchir le perilleus pas, que je n’aie eu moult grant paour. Car quant je os paſſé auques les plus perilleus pas, & cuidoie eſtre & chevauchier plus ſeurement, je vins en une moult belle plaine, & penſoie à la grant biauté & à la parfaite bonté & honnourable courtoiſie qui en vous ſont, & auſſi aus grans biens que vous m’avés fais, deſquels je ne ſuis pas dignes, ne ne les porroie ne ne ſaroie remunerer ne deſſervir. Je ne me donnay de garde, en regardant ſus coſté : & vi chevauchier une moult grant compagnie de moult nobles gens qui vinrent tout droit vers mi. Si que ſe os paour, nuls ne s’en doit mervillier ; car, & devant tous vint une dame qui me diſt : « Vous eſtes prins. » Et quant je m’aperceus que c’eſtoit une ſi noble dame, & auſſi qu’il me ſouvint plus ardemment de vous, pour ce qu’elle eſtoit dame moult noble, je reſpondis moult humblement : « Dame je me « rens, » & li demanday qui elle eſtoit qui m’avoit pris. Et elle reſpondi que bien le ſaroie, & qu’elle m’avoit fait moult de ſervices & de bontés, deſqueles onques ne li avoie fait remuneration : mais, avant que jamais partiſſe de li, elle ſaroit bien comment ce ſeroit. Et finablement me diſt qu’elle avoit à non Eſperance, & adont fui moult confortés. Et lors vint chevauchant Meſure & Attemprance, avec l’autre compagnie qui moult noble eſtoit, & li dirent : « Dame, plaiſe-vous à ordener de li telement qu’il puiſt eſtre acordés à vous. » Et lors, tint moult grant & long conſeil, & avec ſa gent fu ordené & par grace que, pour ce qu’elle m’avoit toute ma vie donné & procuré moult d’onneurs & de biens ; que, en reſtitution renumeration d’iceuls, & auſſi pour amende tauxée par li & par ſes gens, de ce que en ce livre ne avoie riens fait d’eſpecial choſe qui feiſt à conter pour li, je féiſſe un lay appellé Lay d’Eſperance. Lequel lay, mon tres-dous cuer & ma tres-douce amour, je vous envoie enclos en ces préſentes & vous prie, tant amoureuſement & de cuer comme je puis plus, qu’il vous plaiſe à le ſavoir, car il vient de vous, ne n’ay meſtier d’Eſperance ſe n’eſt pour vous. Et, ma tres-douce amour, puis qu’il eſt fais pour vous, il eſt raiſon que vous le ſachiez premier que li autre. À Dieu, mon tres-dous cuer, qui vous doint tel bien, tel honneur & tele joie come je vorroie pour moy-meiſme.

Voſtre tres-léal ami.


Lors ma douce dame jolie,
Qui de ma léeſce eſtoit lie,
Et de ce qu’eſtoie eſchapés
Dou lieu où j’eſtoie attrapés,
Ne fiſt pas mon meſſage attendre ;
Ains le delivra ſans attendre,
Ainſi com véoir le porrés
Quant ces lettres lire vorrés.


XXII. — Mon tres-dous cuer & mon tres-dous & mon tres-loial ami, j’ay bien veu, par vos amoureuſes lettres, comment & queles aventures vous avés eu en chemin, & que vous eſtes en bon point & en ſanté ; de quoy j’ay plus grant joie que de choſe de ce monde. Et, mon tres-dous cuer, plaiſe-vous ſavoir que onques lettres ne vinrent ſi bien apoint comme les vostres darrenieres ; car vraiement depuis que vous m’eſcriſiſtes l’autre fois, je ne fui ſans penſement, ſouſſi & paour, que vous n’euiſſiés aucun empeſchement. Mais quant je vis vos lettres, onques n’os joie qui ſi m’alaſt au cuer ; car à paine me pos-je ſoustenir de joie, quant je les tins ; tous li cuers m’efvanuy : de quoy moult de teles dames avoit avecques mi[205] qui ſe mervillierent que j’avoie : & toutesfois li cuers me revint, & m’en alay en ma chambre, diſant que je m’aloie repoſer un po. Et chaſcuns s’en ala, & me laiſſierent, car il cuidoient que je fuiſſe moult malade : & ſi eſtoie-je. Et fermay ma chambre, & leu vos douces lettres, & entendi bien tout le fait & ſceu la vérité de nos .ii. cuers qui jamais ne porront desjoindre ; car je voy bien & enten que l’un porroit po vivre ſans l’autre. Si eus, en liſant, moult de biens & moult de maus, mais je les ſouſtien bien, & me ſont moult dous. Si ſachiés bien, mon dous cuer, que j’ay pris & veu le lay qui eſtoit enclos en voſtre douce lettre, & vous promet que je le ſaray au plus toſt que je porray, & ne chanteray autre choſe juſques à tant que je ſache le dit & le chant : Car c’eſt choſe de dit & de chant qui onques plus me plaiſt. Mon tres-dous amis, Noſtre ſeigneur vous doint bonne ſanté, pais & tele joie comme voſtres cuers & li miens mieus le deſirent.

Voſtre leal amie.


Mais je vous ay autre fois dit,
Si com il apert par mon dit,
Que cils qui ſent l’amoureus point
N’eſlt mie touſdis en un point :
Ainçois reçoit mainte pointure,
Une heure douce, l’autre ſure.
Et Deſirs qui a mis à mort
Maint amant, deſiroit ma mort,
Et en tous lieus me couroit ſeure.
En tous eſtas, & à toute heure.
Si ne le pooie endurer,

Car il ne me laiſſoit durer
En egliſe, n’à champ, n’à ville.
Si me ſembloit choſe trop vile
De vivre en tele peſtilance ;
Ne Dous penſer, ne Eſperance
Ne pooient avoir victoire
Encontre li, c’eſt choſe voire ;
Ainçois nous .iii. deſconfiſſoit,
Dont ſouvent mes cuers gemiſſoit.
Quant je vi la deſconfiture,
Je fis tantoſt celle eſcripture
Et ſi, l’envoiay à ma dame ;
Car je n’avoie confort d’ame,
Ne nuls ne ſavoit la doulour
Qui faiſoit palir ma coulour.
Si qu’à plourer me confortoie,
C’eſtoit tout le bien que j’avoie.

Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,XXIII.
Oy de ton ami la clamour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Voy comment je pour toi demour ;
Fay tant qu’o toi ſoit mon demour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Oy du grand deſir la rumour
Qui fait en mon cuer ſon demour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Fay qu’avec toy face ſejour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Fay que j’aie encor un bon jour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Oy de long comment pour toy plour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Voy comment pour toy je m’eſplour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Tari le ruiſſel de mon plour.

Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Eſtain de Deſir la chalour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Amenuiſe ſa grant rigour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Ajes pité de mon labour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Met en ton tres-dous cuer tenrour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Voy ma peine, voy mon labour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Voy comment pour t’amour labour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Voy ma tres-amere triſtour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Voy mes meſchiés, voy ma dolour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Conſidere ma grant fréour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Voy que de mort ſuis en paour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Regarde comment je m’atour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Voy comment je pleur en deſtour,
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Pour ton cointe corps fait à tour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Voy qu’en toy ſunt touſdis mi tour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Voy comment pour toy deſcoulour.
Mon cuer, ma ſuer, ma douce amour,
Ouvre le flun de ta doucour,
S’arouſe ma pale coulour.

À Dieu mon tres-dous cuer, qui vous doint joie, pais & tout le bien que voſtres cuers deſîre.

Voſtre tres-loial amy.

Lors ma dame, comme dolente,
De reſcrire ne fu pas lente,
Car certeinement bien appert
Par ſa lettre tout en appert.


XXIV. — Mon tres-dous cuer, & mon tres-dous amy, vous m’avez envoié vos lettres qui m’ont plus donné à faire & à eſtudier que lettres que vous m’envoÿſſiés onques mais. Sachiés[206] que je me merveille moult pourquoy vous faites tels plains ne tels clamours, ne pourquoy vous menés ſi dure vie : car il m’eſt avis que vous n’avés pas trouvé en mi pour quoy vous le devés faire ; ne n’eſt pas m’entention que vous li trouvés jamais ; combien que je ſoie certaine que li cuers vous fait moult mal de ce que vous eſles ſi loing de moy ; & je le ſay bien par moy-meiſme : car, en verité, je ne vous porroie eſcrire le grant meſchief que j’en ay. Mais je me reconforte en ce que, ſe Dieu plaiſt, je vous reverray brieſment : & je vous prie tant comme je puis, & commande de tel pooir comme j’ay ſur vous, que vous vueilliés oſter voſtre cuer de tout plour & de tout anoy, ſe vous volés que le mien ſoit aiſe ; & penre bon reconfort en vous. Car je vous jur & promet par ma foy que je ne vous fis onques tant de bien ne de doucours, de .c. mille tans comme j’ay grant deſir de vous en faire. Ne toute ma vie, vous ne me trouverés laſſe de faire choſe qui vous doie plaire. Si m’eſt avis que vous ne me devés point faire de dueil, ains devés eſtre en joie & en léeſce. Et je vous prie que vous y ſoiez, ſe vous m’amés de riens. Et pour ce, je vous envoie ceſte balade que j’ay puiſie en la fontaine de larmes où mes cuers ſe baingne, quant je vous voy à tel meſchief ; car par Dieu je ne porroie ne vorroie bien ne joie avoir, puis que je vous ſaroie en doleur & en triſleſce. Et, pour ce, ay fait ceſte balade, — de cuer plourant en corps malade.

Voſtre léal amie.

Il n’eſt dolour, deſconfort ne triſteſſe,
Anuy, grieté ne penſée dolente,[207]
Fierté, durté, pointure ne aſpreſſe,
N’autre meſchief d’amour, que je ne ſente :
Et tant plaing, ſouſpir & plour,
Que mes las cuers eſt tous noiés en plour.
Mais tous les jours me va de mal en pis,
Et tout pour vous, biaus dous loiaus amis.

Car quant je voy que n’ay voie, n’adreſce
À toſt véoir voſtre maniere gente,
Et vo douceur qui de long mon cuer bleſce,
Que toudis m’eſt par penſée preſente,
Je n’ay confort ne retour
Fors à plourer, & à haïr le jour
Que je vif tant ; c’eſt mes plus grans delis,
Et tout pour vous, biaus dous loyaus amis.

Mais ſe je ſuis loing de vous ſans léeſce,
Ne penſés jà que d’amer me repente,
Car Loiauté me doctrine & adreſce
À vous amer en tres-loial entente.
Si que Cuer, Penſer, Amour,
Voloir, Eſpoir & Deſir ſans retour
Ay eſlongié de tous & arrier mis,
Et tout pour vous, biaus dous loiaus amis.

Quant je vi qu’elle ſe plaignoit
Pour m’amour, & qu’elle baignoit
Son cuer en larmes amoureuſes,

Et que ſes penſées joieuſes
Eſtoient toutes converties
En droites grienges, o uerties,[208]
Et que c’eſtoit tout par ma coulpe
Qui vers li me grieve & encoulpe,
Seulement pour mon eſcripture
Qui pour ſa pais eſtoit trop dure ;
Moult durement me repenti,
Quant pour ce qu’avoie ſenti
D’ardant deſir l’amoureus point,
Li avoie eſcript en tel point.
Qu’auſſi bien le ſentoit la belle
Au cuer, par deſſus la mamelle,
Que moult de meſchief li faiſoit,
Mais toutevoie s’en taiſoit ;
Elle ſouffroit en pacience
Pour ce qu’elle avoit eſperence
Qu’onques ne fu qu’encor ne ſoit.[209]
Car cils qui tel dolour reçoit
Ne ſe doit pas deſeſperer
Pour Deſir, ains doit eſperer
Que, comment que joie demeure,
Encores venra la bonne heure
Que de la tres-douce rouſée
De Mercy ſera arrouſée.
Là pluiſeurs fois ſa lettre lui,
Tous ſeuls qu’il n’i avoit nelui,
Fors moy ſans plus & ſon ymage,
À cui j’amenday mon outraige,
Mon meffait, & ma grant folie,

Pour ma douce dame jolie.
Si que, ſans faire long detri,
Ceſte lettre-ci li eſcri
Moult humblement, en accuſant
Deſir, & en moi eſcuſant.


XXV. — Mon tres-dous cuer, ma chiere ſuer & ma tres-douce amour ; je vous mercye tant humblement comme je puis, & non mie tant comme je doy, de vos douces & gracieuſes eſcriptures qui m’ont tant conforté qu’il n’eſt triſieſce ne doleur qui me puiſt venir. Si feray ce que vous me commandés à mon pooir ; & ſe je vous ay un po rudettement eſcript, ce fait Deſir que j’ay plus creu que je ne déuſſe. Si, le me vueilliés pardonner. Des nouvelles de par de ça & vous plaiſt ſavoir, pluſeurs grans ſigneurs ſcevent les amours de vous & de mi, & ont envoié par devers moy un chapellain qui eſt moult mes amis, & m’ont mandé que par li je leur envoie de vos choſes & les reſponſes que je vous ay fait ; eſpecialement : Celle qui onques ne vous vit ; ſi ay obéy à leur commandement. Car je leur ay envoyé pluſeurs de vos choſes & des miennes, & ont volu ſavoir ſe il eſt verité que je aie voſtre ymage, & je l’ay monſtré à leur meſſage, bien & richement parée & miſe haut au chevés de mon lit ; ſi que chaſcuns ſe merveille que ce puet eſtre. Et ſachiez qu’il ſcevent comment vous m’avez reſuſcité, & rendu joie & ſanté ſans ce que vous m’éuſſiez onques véu. Si tiennent ſi grand bien de vous, de voſtre douceur & de voſtre humilité, comme de dame dont il oÿſſent onques parler. Si leur ay eſcript, à voſtre loenge, le bien & la douceur qui y eſt & ce qu’il m’en ſemble, mon dous cuer. Et puiſque il eſt ainſi que, ou royaume & en l’empire, nos amours ſont ſceues & revelées, & eſpeciauement des meilleurs, bien ſeroit ores de male heure nés cils qui fauſſeroit de nous .ii., car jamais n’aroit honneur. Et, par m’ame, ma tres-douce ſuer, j’ay ſi grant fiance en voſtre noble cuer & en voſtre tres-fine douceur, que je ſay certainement qu’il n’i porroit avoir que loyauté : ſi en ſuis tous ſeurs, & je m’en aten à vous de tous poins. Et, quant à moy, il ne me ſemble mie que nes la mort péuſt mon cuer oſter ne departir de vous. Si en devés bien eſtre en voſtre pais, : & certes, ma tres-douce ſuer, j’ay ſi grant joie & ſi grant plaiſance en voſtre bon renon & en voſtre loenge qui ainſi s’eſpant par tout & eſpandera, ſe Dieus me donne vie, qu’il n’eſt doleur ne triſteſce qui me peuſt venir. Et m’eſt avis que tout le bien & la joie que je voy que li autre ont, ſoit doleur & tribulation contre la joie & le bien que j’ay, & il y ha bien cauſe ; car ſe j’eſtoie li plus parfais en toute choſe qui onques fuſt, ſi truis-je en vous aſſez de biens & de douceurs. Et, mon dous cuer, quant au noble & au riche treſor dont j’ay la clef, par Dieu je l’iray deffermer le plus toſt que je porray, & ſeront au deffermer Foy & Loiauté, Droiture & Meſure. Et ſe Deſirs voloit faire le maiſtre on ne li ſoufferroit mie, puiſque vous & moy & Loiaulté & bonne Eſperance ſommes alliés contre li.[210] Et, par ma foi, il eſt à moitié deſconfis ; ne je ne priſe mais riens choſe qu’il me puiſt faire, pour les douces & amiables lettres que vous m’avez eſcriptes. J’ay fait un Rondel que je vous envoie, & arez le chant par le premier que j’envoieray vers vous : & y eſt voſtre nom, ainſi comme vous le verrez, par ceſte cedule encluſe en ces preſentes. Et, mon dous cuer, s’il vous ſouvient de moy, par Dieu vous n’eſtes pas deceue, car je laiſſe tout autre ſouvenir & toutes autres penſées pour vous : & de ce que vous dites que vous vous fiez tant en moy que je ne porroie faire choſe qui vous péuſt deſplaire, Dieus le vous mire, car par m’ame je m’en garderay bien, ſe Dieu plaiſt. Mon tres-dous cuer, par m’ame, onques je n’oy dire de vous que bien & loyaulté & honneur. Si ay toute doubte, toute ſouſpeçon bouté hors de mon cuer, & tien que voſtre belle & douce bouche ne daigneroit mentir. Si tenés fermement que je vif en joie & en revel plus que amans qui ſoit en pays où je demeure ; & me ſuis remis à faire voſtre livre, enquel vous ſerés loée & honnourée de mon petit pooir, & toutes autres dames pour l’amour de vous. Et, ma tres-douce amour, les oreilles vous deveroient bien fort & ſouvent mengier ;[211] car je ne ſuis en compagnie que on ne parole tousjours de vous, & en tel bien que tous cils qui vous ont véu vous comperent à l’eſcharboucle, qui eſclairciſt les oscures nuis, au ſaphir qui garit de tous maus, & à l’eſmeraude qui fait tous cuers resjoir : &, brief, chaſcuns vous tient comme la fleur des dames. Et, par icellui qui me fiſt, j’en ay tele joie que je ne le vous porroie dire n’eſcrire, & tout ce ſaurés-vous bien par autre que par moy. Si ne donroie mie mes ſouhais, mes ſouvenirs & mes douces penſées pour l’avoir d’un tres-bien riche roiaume. Car quant je penſe bien à voſtre pure, fine & eſmerée douceur qui eſt dedens mon cuer enfermée comme treſor en coffre, & enclavée comme pierre en or, il m’eſt ſouvent advis que je ſoie avec vous auſſi doucement que je fui onques. Et, mon dous cuer, ſe je ne vous envoie de mes choſes ſi ſouvent comme je ſoloie, je vous ſuppli humblement qu’il ne vous deſplaiſe mie. Car ſe je avoie la teſte de fer & le cuer d’acier & le corps d’aymant, ne porroie-je mie bien faire voſtre livre & penſer à faire autres choſes, qu’il ne convint laiſſier l’un pour l’autre. Je vous ſuppli tant humblement comme je puis & de tout mon cuer que vous me vueilliez envoier l’une des choſes que vous mettés plus près de voſtre cuer, par quoy je la puiſſe mettre ſi près du mien comme je porray. Et certes ſe vous la m’envoiez, je la tenray comme vraie & digne relique. Et vous eſtes ſi bonne & ſi ſage que vous ſarez bien que c’eſt à dire. Et auſſi me vueilliez faire ſi bien de voſtre ſuer que, quant je venray vers vous, nous puiſſons mener bonne vie ſans dangier.

À Dieu, mon tres-dous cuer, qui vous doint le bien & la joie que vous deſirés !

Voſtre loial ami.


Ma dame ainſi me resjoÿ,
Comme deſſus avez oÿ,
Par ſon gracieus mandement
Et par ſon dous commandement,
Com celle en qui tout mon cuer maint.
Or pri Dieu que vers li me maint
Brieſment, ſi ſeray aſſevis ;
Car plus ne me faut, ce m’eſt vis.
Mais jà Dieus ne me laiſt tant vivre,
Ains me toille honneur & mon vivre,
Quant de li me departiray ;
Car quant devers ſa part iray
Ce n’iert mie à repentir.
Si puis bien dire, ſans mentir,
Et s’en parole qui volra !
Mais certeinnement on verra
Tout clerement, je n’en doubt mie,
La fleur de lis croiſtre en l’ortie,
Et le fruit naiſtre en la racine,
Et fin baſme porter eſpine,
Et en ſuzin germer la roſe,[212]
Qui ſeroit moult eſtrange choſe ;
Aincois que queurre de tel laiſſe[213]

Que je l’entroublie ne laiſſe.
Tous ſiens ſuis ſans departement,
N’il ne porroit eſtre autrement.
Ainſi j’ay eſperance qu’elle
Vuet moult bien quant ami m’appelle,
Et, de ſon bon, claime chaſcun
Ami, ne n’en aimme adès qu’un.
Et ſa reſponſe le m’enſeingne,
Avoir n’en quiers nulle autre enſeingne.
Vés-là ci, je la vous liray,
Que jà mot n’i oublieray.


XXVI. — Mon dous cuer, ma douce amour & mon tres-chier ami, plaiſe vous à ſavoir que, la merci Dieu & la voſtre ! je ſuis en tres-bon point de corps & de cuer auſſi ; car je le ſay en ſi plaiſant & ſi dous demour, que il ne porroit nul mal avoir ; tant que il ſoit par devers vous. Car, par Dieu, il i eſt à toute heure & ſera toute ma vie. Et quant je m’aviſe que je l’ay ſi tres-bien hebergié que je porroie ne voldroie mieus, il n’eſt nuls maus que li corps puiſt avoir. Et ainſi comme je ſay que li voſtres cuers eſt tous par devers moy & que vous vous tenés ſeurs de m’amour, & que vous eſtes en joie & en revel, j’en ay tel joie que je ne le porroie dire ; car certes je ne porroie avoir joie ne aiſe tant comme je vous ſentiſſe à meſchief. Mon dous cuer, j’ay receu vos lettres enqueles vous me faites aſſavoir que pluiſeurs grans ſigneurs ſcevent les amours de vous & de moy, & que il vous ont mandé que vous leur envoiez de vos choſes & des moies. Si me plaiſt tres-bien que vous leur en aiés envoié, car je vueil bien que Dieu & tout le monde ſache que je vous aime & ay plus chier que homme qui au jour de hui vive. Et ſi, me tien à mieus parée & à plus honnourèe de voſtre amour, que de roi ne de prince qui ſoit en monde. Car, à mon gré, il n’a femme en monde mieus aſſenée d’ami que je ſuis; de quoy je loe Dieu, Amour & Venus, tous les jours plus de cent fois, & ſi ſay certainement que je ne feray jà vers vous fauſſété par quoy je doive avoir nul blaſme. Et pour toutes ces cauſes ne me chaut-il ſe nos amours ſont deſcouvertes. Et ainſi vous ſavés bien que c’eſt pour le milleur. Et, mon dous cuer, vous m’eſcrivés que vous avés ſi grant joie de mon bon renon qu’il n’eſt mal qui vous puiſt venir. Et, par Dieu, mon dous cuer, ſi ay-je dou voſtre, & je l’en doi bien avoir, car je croy qu’en tout le monde n’en a nul qui ait meilleur renommée de vous de tous les bons ; & vous ſavés que ce fu le commencement de nos amours, lequel fu trop tart, à mon gré ; car c’eſt le plus grand regret que j’aie que du bon temps que nous avons perdu : & n’ay riens que je ne voſiſſe avoir donné par quoy nous éuſſions plus toſt commencié. Et, mon dous cuer, vous m’eſcriſiés que vous venrés briefment deffermer le treſor dont vous avés la cteſ ; & ſe ceuls que vous m’avez mandé qui ſeront au deffermer y ſont, la compagnie en vaudra mieus, & je penſe bien que il y ſeront. Et ne cuide mie que ſe Deſirs y vient, qu’il nous puiſt en riens grever ;[App. XLVI.] car celle noble compagnie l’aroit toſt deſconfit. J’ay veu le rondel que vous m’avez envoié, & y ay bien trouvé mon nom : & ay grant joie de ce que vous eſtes remis à faire noſtre livre, car j’ay plus chier que vous le faciés que autre choſe, & me ſouffira, ſe vous m’envoiés, toutesfois que vous m’eſcrivés, .i. petit rondelet ou aucune chanſon nouvelle. Car je n’en vueil nulles aprendre que des voſtres ; &, par ma foi, il ne me deſplaiſt point ſe vous envoiés à autres qu’à moy ; car choſe qui vous plaiſt ne me porroit deſplaire. Mais qu’il vous plaiſe que je les aie la premiere. Je ne vous envoie pas ce que vous m’avés mandé, pour ce qu’il m’eſt avis qu’il ne ſeroit pas bon de l’envoier par ce meſſage ; mais je le vous envoieray par voſtre vallet, la premiere fois que vous le m’envoierés, avec vos patemoſtres[214] que je ne puis envoier ſi toſt comme je voſiſſe. Mais je vous envoie la coeffe & le cuevrechief & le touret[215][App. XLVII.] que je avoie affublé le jour que je reçu vos lettres. Ma ſuer ſe recommande à vous, & n’aiez nulle doubte, car je trouveray aſſez chemin par quoy nous pourrons tout à loiſir deffermer le treſor. H. Voſtre amis,[216] ha eſté à Paris, il ſe recommande à vous moult de fois ; ſi a grand joie de voſtre bien & du mien, & metteroit volentiers peine comment nous en euſſions plus. Et, par Dieu, nous le devons amer, car c’eſt cils par quoy nos amours furent premiers commenciés. Et, mon dous cuer, je ne penſe point de mal en ce que vous me mandés que je vous envoie &c ;[217][App. XLVII.] car je ſay bien qu’il n’en y a point : & ſi, le vous envoieray le plus toſt que je porray. Par le Dieu en qui je croy, vous ne me trouverés jà laſſe de faire choſe qui vous doie plaire. Je vous pri, recommendés-moy à mon frère & le voſtre,[218] & li donnés ceſte verge d’or ; & li dites que je li prie que il la porte pour l’amour de moy. Mon chier ami, je prie à Noſtre ſeigneur que il vous doint tel bien & tele honneur comme je vorroie.

Voſtre loial amie.


Véu avés le dous eſcript
Que ma douce dame m’eſcript.
Et auſſi je l’ay bien véu,

Ymaginé & concéu.
Et certes quant bien l’ymagine,
Je la compere à la roÿne
Qu’on appelloit Semiramis,
Qui d’avoir fu riche & d’amis,
Et roÿne de Ninivée,
Séant en marches de Caldée.
Valerius Maximus conte
Et ſi dit ainſi en ſon conte :
Semiramis fut une dame
Qui voult honneur & haÿ blame,
Et n’ot pas le cuer ſi entort
Que à nul voſiſt faire tort ;
Et elle auſſi ne voloit mie
Que l’en li féiſt villenie,
N’à ſa gent honte ne damage.
Garder voloit ſon héritage,
Et moult amoit ſes bons amis,
Mais fort haoit ſes ennemis ;
Et trop plus amoit, ſans doubtence,
Miſericorde que vengence.
Car elle eſtoit franche & piteuſe,
Et dou mal d’autruy dolereuſe.
Un jour advint qu’en ſon palais,
Qui fu grans & biaus, non pas lais,
Où il ot grant chevalerie,
Et pluſeurs gens de ſa maiſnie,
Un meſſage vint en grant halle,
Qui diſoit à tous : « Or me haſte,
« Parler m’eſtuet à la Roÿne. »
Encor eſtoit en ſa courtine[219]

La roÿne, qui s’atournoit :
Et li més celle part tournoit,
Et fiſt tant qu’il vint devant elle,
Et puis li conta la nouvelle ;
Et il jura, par ſaint Antoine,[220]
Que la cité de Babiloine
Eſtoit contre li revelée.
La dame eſtoit eſchevelée,
Fors tant qu’une treſſe treſſie
Avoit, & l’autre deſtreſſie.
Mais en ce point où elle eſtoit,
La dame tantoſt ſe veſtoit,
Et s’en ala à grans eſlais
À ſa gent, dedens ſon palais ;
Et leur dit, com vaillant & ſage,
Sa deſconvenue & l’outrage
Que cils li avoit recité
De Babiloine la cité ;
Et que jamais n’aroit bon jour,
N’en ville ne feroit ſejour,
N’a ſon cuer n’aroit grant léeſce,
Ne treſſeroit ſon autre treſce,
Tant que li ſeroit amendé.
Et lors à ſes grans os mandé,
Et ſi bien les ſot pourvéoir
Que la ville vint aſſéoir ;
Et là fiſt tant qu’en ſa preſence
Vinrent tuit à obéiſſence.
Ne fu ce fait tres-honnourable ?
S’Hector, le puiſſant combatable,
L’éuſt fait, ne fut-ce grant choſe ?

Dont il avint, à la parcloſe,
Que ceuls du paÿs, pour celle ouevre,
Firent une ymage de cuevre
Qui d’une part eſtoit treſſie,
Et de l’autre part deſtreſſie
À ſa ſamblance, de tel taille
Comme elle eſtoit à la bataille,
En ligne de ceſte victoire ;
Par quoy il en fuſt grant mémoire.

Or vueil ma dame comparer
À Semiramis qui parer
Ne volt ſon chief ne ſa figure,
Fors que des euvres de nature,
Juſqu’atant que la villenie
Qu’on li avoit fait fuſt vengie.
Je ſuis la cité proprement,[221]
Que ſiene fuis entièrement,
De ſon droit & de ſon demainne ;
Et elle eſt de moy ſouveraine.
Mais Deſirs & Merencolie,
Doubtance de perdre ma mie,
Longue demeure, Longue attente
Du véoir, Penſée dolente,
Et ce que je n’ay congnoiſſance
Où elle maint ne acointance,
N’en ce monde n’a créature
Qui li die ce que j’endure,
Font ſouvent murmuration
En mon cuer, & rebellion :
Et ſi eſtaingnent la lanterne

D’Eſpoir qui la cité gouverne.
Dont il faut que li las s’enfuie
Par nuit, dont durement m’anuie.
Mais quant ma chiere dame entent
Ceſte nouvelle, pas n’attent
Qu’on la prie de moy aidier,
Car on ne ſaroit ſouhaidier
Comment de moy aidier s’apreſte,
Et comment la belle eſt toſt preſte.
Car en quel eſtat qu’elle ſoit,
Si toſt com mes lettres reſſoit,
Et entend la deſconvenue
Qu’en ſa cité eſt advenue,
N’oublie pas qu’elle n’aqueure,
Et que tantoſt ne me ſequeure
Par la voie plus honnourable
Qu’elle puet & plus convenable ;
Et qu’Eſperance ne remette
En ſiege, & les autres demette.
Si que tuit à deſtruction
Sont mis & en ſubjection.
Et pour l’ymage qui fu faite
De Semiramis & pourtraite ;
Enſement, les gens du pays,
Ma dame liges & naÿs,[222]
Féirent pourtraire une ymage
Gente de taille & de corſage,
De manière & de contenance,
Toute pareille à ſa ſamblance.
Et tant eſtoit belle à véoir
Qu’à tous devoit plaire & ſéoir ;

Et pour ſa grant biauté l’apelle
Chaſcuns qui la voit : Toute-belle.

Mais trop fort me deſconfortaſſe
Se ce ne fuſt : & trop doubtaſſe
Deſir, & ceſte autre merdaille
Qui ne font que noiſe & bataille,
Et qui ſe vuelent reveler,
Quant ne ſe puelent plus celer.
Ceuls dou pays la me tramirent ;
Or vous diray ceuls qui la firent :
Ce furent Franchiſe, Pité,
Fine douceur, Vraie amiſté,
Loyauté, Raiſon & Meſure,
Qui toutes y mirent leur cure ;
Tres-dous Eſpoirs le m’aporta,
Qui doucement me conforta,
Et encor touſdis me conforte,
Et de mon cuer garde la porte.
Si que jamais n’i enterront
N’à la cité mal ne feront :
Et ſe Deſirs y vuelt venir,
Doucement le faut maintenir,
Et qu’il n’aporte fu ne flame
Qui la cité brule & enflame ;
Ne jamais n’i ara penſée
Qui contre moy ſoit ordenée.
Et ſe je ſuis trop longuement
Loing de la belle vraiement,
J’eſpoir qu’à joie la verray
Nompas ſi toſt com je vorray,
Et à ſon ymage touſdis
Trairay, comme à mon paradis.

Or eſt ma dame comparée
À Semiramis qui, parée
Ne volt eſtre, tant que vengence
Fuſt priſe de l’outrecuidence
Que ſi ſubgés avoient fait ;
S’en corrigea bien le meffait.
Si eſt bien temps que je reſponde
À la milleur qui ſoit en monde,
C’eſt à ma dame, & à ſa lettre
Où l’on ne puet plus de bien mettre
Ne de douceur qu’il en y ha ;
Et, pour ce, mon oeil la tria
Com la plus monde & la plus pure
De toute humaine créature.
Si li reſpondi ſans attendre
Si com ci le porrés entendre.


XXVII. — Mon tres-dous cuer, ma douce ſuer, ma douce amour & quanque mes cuers aime. J’ay receu vos lettres, eſqueles vous me faites ſavoir voſtre bon eſtat, dont j’ay ſi tres-grant joie que plus ne puis. Car tant comme je vous ſache en bon eſtat, il n’eſt nulz maus qui me puiſt venir. Et ſe je ſavoie le contraire, dont Dieus vous gart & moy auſſi ! certes je ſeroie perdus & mors. Si vous pri, mon tres-dous cuer, que vous vous vueilliés bien garder ; car li temps eſt trop perilleus, eſpeciaument là où vous eſtes. Et, mon tres-dous cuer, ſe vous eſtes lie de ma pais, de ma joie & de mon bien, vous n’eſtes pas engingnie ; car voſtre pais & voſtre joie eſt la moie. Ne je ne mes nulle différence entre vous & moy que le bien de l’un ne ſoit le bien de l’autre. Et, mon dous cuer, vos douces lettres m’ont telement resjoÿ que, par ycelli Dieu qui me fiſt, toutes les fois que je les lis, les larmes me viennent aus yeus de droite fine joye : car c’eſt un val plein de joie, un flun de douceur, un reſpit de mort que de les oÿr ; & je les ay leues plus de .xx. fois : & qui onques n’aroit amé, par ma foi s’il les ooit, il ameroit, s’il n’eſtoit trop rudes ou trop meſchéans. Mon tres-dous cuer, vous m’avés fait garde & treſorier de .ii. plus nobles choſes qui ſoient en tout le monde, c’eſt de voſtre cuer & de voſtre riche treſor. Et ſe Dieu plaiſt, j’en feray ſi bonne garde, que Dieus & vous & tous ceuls qui le ſaront s’en tenront bien apaié : car je ſay bien que vous gardés mieus le mien cuer que je ne ſaroie faire le voſtre. Et vous plaiſe ſavoir que quant je reçus vos lettres, li ſeigneur dont autre fois vous ay eſcript, envoierent vers moy pour avoir de vos choſes & des miennes ; & eſpecialement pour véoir voſtre ymage, comment & en quele reverence je l’ay miſe & l’onneure. Et je leur monſtray, ſi en ont moult grant merveille, & m’ont bien mandé que vous eſtes la non pareille des dames. Et, mon dous cuer, vous m’avés mandé que vous loés Dieu, Amours & Venus de ce que vous eſtes ſi bien pourveue d’ami, & que vous ne volriés mie avoir le plus grant homme du monde à ami pour moy. Certes, ma douce amie de mon cuer, vous eſtes trop decéue : car, par m’ame, je ne ſuis mie dignes de vous regarder, ne de vous deſchauſſier. Si n’en devés pas loer amours ; mais je la doi loer & mercier, quant elle m’a ſi bien aſſené, comme en vous qui eſtes la fleur des dames, & que eſtes ſi moie que vous dites que je ne porroie faire choſe qui vous deſpléuſt, & que jamais vous ne ſerés laſſée de faire choſe qui me plaiſe. Dieus le vous mire, car je ne le porroie deſſervir ne je n’en ſuis pas dignes. Mon tres-dous cuer, je vous mercy trop chierement de ce que vous m’avés envoié & envoierés ; &, par m’ame, toutes les nuis je les couche ſur mon cuer, & les baiſe plus de .c. fois le jour. Voſtres livres ſe fait & eſt bien avanciés ; car j’en fais tous les jours .c. vers, &, par m’ame, je ne me porroie tenir du faire, tant me plaiſt la matere, & pour ce que je ſay bien que vous le verriés tres-volentiers. Mais j’ay trop à faire à querir les lettres qui reſpondent les unes mis autres.[223] Si vous pri qu’en toutes les lettres que vous m’envoierés d’ores-en-avant, il y ait date, ſans nommer le lieu. Je fuiſſe alés vers vous avec le porteur de ces lettres, ſe ce ne fuſt pour .ii. raiſons, leſqueles vous ſarés bien cy après. Et, par Dieu, mon dous cuer, je iray deffermer ce precieus & gracieus treſor, le plus toſt que je porray, car ſe Dieus me doinſt joie de vous que j’aime plus que tout le monde, onques en ma vie je ne deſiray tant choſe, & en ay laiſſié le dormir plus de .xxx. fois puis .i. mois. Et, mon tres-dous cuer, vous eſtes courrecie de ce que nous avons ſi tart commencié : par Dieu auſſi ſuis-je ; mais ves-cy le remede : menons ſi bonne vie que nous porrons, en lieu & en temps, que nous recompenſons le temps que nous avons perdu ; & qu’on parle de nos amours juſques à cent ans cy après, en tout bien & en toute honneur ; car s’il y avoit mal, vous le celeriés à Dieu, ſe vous poviés. Mais il n’i ha que bien ne n’ara jà ; & on ne puet trop de bien faire. Et, pour ce, doit chaſcuns de nous .ii. renvier le bien amer à ſon tour.[224] Recommendés-moy tres-humblement à voſtre ſuer. Mon dous cuer, tous li cuers me rit de la joie que j’aten, & de ce que vous trouverés bien voie & loiſir de deffermer ce riche treſor. Je vous envoie une balade qui fu faite au bout du mois que je me parti de vous. Et puis je commençai voſtre livre.[225] Et ma tres-douce ſuer, je vous pri trop acertes, que vous & voſtre ſuer promettés la voie à ſaint Nichaiſe de Reims, pour vous & pour ſes enſans ;[226] & je vous promet par ma foy que je vous iray querre à la porte ſaint Anthoine,[App. XLVIII.] & .T. voſtre frere venra avec moy. Mon tres-dous cuer, vous me faites veillier grant partie des nuis, & eſcrire grant partie des jours ; mais par m’ame, il ne me grieve riens ; ainſois y ay ſi grant plaiſance que je ne puis entendre à autres choſes, & pour amour de Toute-belle que vous devés bien congnoiſtre. À Dieu mon tres-dous cuer & ma tres-douce ſuer & ma tres-chiere dame, qui vous doint pais & ſanté & joie de quanque voſtre cuers aime ! Eſcript le viiie. jour d’aouſt.

Voſtre léal ami.
BALADE.

Hui ha .i. mois que je me departi
De celle en qui j’ay mis toute ma cure,
Mais onques mais mes las cuers ne ſenti
Nulle dolour à endurer ſi dure
Com fu le departement ;
Car je ne pos dire : « À Dieu vous commant, »
Au departir de ma dame jolie ;
Tant me fiſt mal de li la departie.

Car à peine que mes cuers ne parti,
Tant fu chargiés de dolour & d’ardure,
Quant je perçus que le maintien joli,
Le dous regart & la noble figure,
Et le dous viaire gent
De ma dame laiſſoie ; & vraiement,
En grant paour fui de perdre la vie,
Tant me fiſt mal de li la departie.

Et ſans doubtance onques puis je ne vi
Riens qui péuſt mettre en envoiſéure
Moy ne mon cuer ; & c’eſt drois, que ſans li
Ne quier avoir nulle bonne aventure,
Ne joie, n’alligement ;
Car à li ſuis donnés ſi ligement
Que je ne fis onques puis chiere lie,
Tant me fiſt mal de li la departie.

LA DAME.
BALADE.

Amis ſi parfaitement
Suis à vous donnée.
Que c’eſt ſans departement
Et ſans deſſevrée,
Ne, tant com j’aray durée,
Mes cuers ailleurs ne ſera,
Et s’il eſt autre qui bée
À m’amour, il y faurra.

Car ſi amoureuiement
Suis enamourée
De vo gracieus corps gent,
Qui ſeur tous m’agrée,
Que pour créature née
Mes fins cuers ne vous laira,
Et s’il eſt autres qui bée
À m’amour, il y faurra.

Si qu’avés certeinement
Toute ma penſée,
Et m’amour entierement
Eſt en vous fermée ;
Ne pour longue demourée
Mes cuers ne ſe changera ;
Et s’il eſt autres qui bée
À m’amour, il y faurra.

Ceſte balade que j’ay dite
Eſtoit dedens la lettre eſcripte
Qui s’enſieut, & me reſpondoit
Ainſi comme reſpondre on doit.


XXVIII. — Mon dous cuer, frere, compains & vrais amis, j’ay receu vos lettres, & par mon frère .T. qui m’a dit qu’il ha longtemps qu’il ne vous vit en milleur eſtat que vous eſtes. Si en ay ſi grant joie que je ne porroie avoir greigneur de choſe qui me péuſt advenir, ſe n’eſtoit de vous veoir, que je deſir plus que nulle autre choſe. Et, s’il vous plaiſt, vous me venrés veoir au lieu que le porteur de ces preſentes vous dira, où je penſe à eſtre, ſe Dieu plaiſt, dedens les octaves de la mi-aouſt ; car nous devons partir ce lundi prochain venant, ma puer & moy, pour y aler, pour doubte de la mortalité[App. L.] qui eſt trop grant ou je ſuis ; & le plus toſt que je ſeray là, je le vous feray ſavoir. Si ne m’eſcrivés rien juſques à tant que vous orrés nouvelles de moy. Mon tres-dous cuer, je vous envoie ce que vous m’avés mandé, & vos paternoſtres. Et vous promet loyaument que je les ay portées, tout en l’eſtat que je les vous envoie, .ii. nuis & .iii. jours ſans oſter d’entour moy. Et depuis que li fremaillés fu fais ai-je tous jours porté les paternoſtres en ycelle maniere que je les vous envoie ; ſi vous pri que vous le vueilliés porter. Et je vous envoie unes autres petites, & un petit fremaillet pour voſtre ymage,[227] & les ay ainſi portées longuement en l’environ de mon bras. Si vous pri, mon tres-dous cuer, que il ne vous deſplaiſe ſe je les vous ay envoiés ſi tart ; car je ne le pus amender : & ſe j’ay nulle autre choſe qui vous plaiſe, ſi le me mandés, & je le vous envoieray de bon cuer ; car, par ma foy, je n’ay rien qui ne ſoit voſtre. Et ſe vous ne mettés difference entre les biens de vous & de moy, que le bien de l’un ne ſoit le bien de l’autre, par ma foi, vous avés droit ; car auſſi n’i en mes-je point ; & je tien certainement que tout le bien de vous eſt le mien, & le mien ſi eſt le voſtre : ne je ne porroie eſtre mieus à mon gré. Et je vous jur, par ma foy, que l’amour que j’ay à vous eſt ſi grans que nul puet plus eſtre. Et ſi, m’eſt avis que elle croiſt encore tous les jours & s’i renvie le bien amer.[228] Et je ſuis certaine que ſi faites vous à voſtre tour ; ſi, ne ſera pas legere choſe à faire faillir le jeu qui ſouvent eſt renviez. J’ay eu les .iiii. balades que vous m’avés envoies, & en ay aprinſe l’une, ainſi comme celle qui ſe fait fort de vous. Mais il me fait grant mal de voſtre peine. Si vous pri, mon tres-dous cuer, que vous ne prengniés pas tant de peine que voſtre corps en vaille pis ; car, par Dieu, il m’en ſeroit trop mal. Et il me ſouffiroit bien toutesfois que vous m’eſcriſîés, ſe vous m’envoiés une petite chanſon ou aucun rondel ; mais qu’il fuſt notés : car je n’en vueil nuls chanter que des voſtres ; & ſi, m’en aporte-l’en bien ſouvent ; mais je ne vueil mettre paine à les apenre, car il m’eſt avis que tout ce que les autres font ne vault rien à regarder ce qui vient de vous. Si vous pri, mon tres-dous cuer, que vous m’en envoiez mains, ſi les m’envoiez notées : &, s’il vous plaiſt, que vous m’envoiez le virelai que vous féyſtes avant que vous n’éuſſies veue, qui s’appelle L’ueil qui eſt le droit archer ou Plus belle que le biau jour, car il me ſemblent tres-bons. Et, mon dous cuer, vous m’avez eſcript que je vous faiz veiller grant partie des nuis & eſcrire grant partie des jours ; &, par ma foy, auſſi le me faictes vous, excepté ce que je n’eſcris mie tant que vous faictes. Maiz je penſe tant à l’amour qui eſt entre vous & moy, que par le Dieu en qui je croy, je y penſe plus que en nulle autre choſe. Et avient ſouvent que ſuis l’eſpace d’un grant jour en ma chambre ou en aucun lieu où je me deſtourne de la gent, pour ce qu’il ne me deſtourbent de penſer à vous ; & en ſont aucune fois ma ſuer & les gens de l’oſtel bien esbaÿs de ce que je me tiens ſi volentiers toute ſeule. Car je ne l’avoie pas accouſtumé & je ne m’en puis tenir ; tant me plaiſt de penſer à vous. Mon dous cuer, ma ſeur ſe recommande à vous aſſez de fois & vous deſire moult à véoir. Elle vint à moy quant je faiſoie ces lettres & me demanda ſe j’eſcrivoye à mon amy & je luy reſpondi que oïl ; & elle me diſt : « Recommandez moy à luy beaucoup de fois ; car, par Dieu, je le véiſſe volentiers. » Et je vous pri, mon dous cuer, que vous me recommandés à voſtre frère & au mien ; car par ma foi, c’eſt un des hommes du monde que je deſire plus à véoir après vous. Mon dous cuer & mon dous ami, je pri à Noſtre ſeigneur qu’il vous doinſt honneur, pais, ſanté & joie, de quanque voſtre cuer aimme ; ſi, y partiroie. Eſcript le diemenche devant la mi-aouſt.

Voſtre loyal amie.


Ceſte balade encor encloſe
Fu en ſa lettre, & ſi ſuppoſe
Que de ſa main eſcrit l’avoit,
Ainſi com eſcrire ſavoit.

BALADE.

Puis que tant à languir ay,
Pour vo longue demourée,
Tres-dous amis, je prendray
Grand confort en la penſée
Que loyaulement ſuis amée
De vous, auſſi vous affie ;
Car le bien amer renvie.

Et ſi toſt com je verray,
Amis, voſtre retournée,

La dolour oublieray
Que j’ay longuement portée.
De tous maus ſeray ſanée,
Et diray à chiere lie
Que le bien amer renvie.

Et auſſi je gariray
Doucement à recelée,
La dolour qu’en vo cuer vray
Eſt par Deſir engendrée.
Là ſera joie doublée
Et verrés un cuer d’amie
Que le bien amer renvie.

Or avés-vous oÿ comment
Celle qui m’a en ſon comment
M’envoia lettres & joiaus,
Et reliques & dis nouviaus.
Et certes je les aouroie,
Et ſi richement les tenoie
Comme ce fuſt mon dieu terrien.
Brieſment je n’amoie tant rien,
Fors que ma dame ſeulement ;
Et à toute heure vraiement
Si près de mon cuer les mettoie
Et de mon corps, com je pooie ;
Car la douceur qui en iſſoit
Si doucement me nourriſſoit,
Que c’iert ma plus grant nourreture,
Qui venoit de plaiſance pure.
C’eſtoit ce qui me ſoubſtenoit
Et qui en vie me tenoit.
C’eſtoit mon cuer, c’eſtoit ma joie,
C’eſtoit quanque je deſiroie ;
Si que je puis compariſon

Faire, ſanz nulle meſpriſon,
De Hebe & de ma dame gente.

Hebe déeſſe de Jouvente
Qui des cielz eſtoit boutilliere,
Rajoueniſt, à la prière
D’Ercules, le vieil Yolus,
Deſſus le mont de Tymolus ;
Filz fu Carliore le ſage.[229]
Si n’i avoit ſigneur ne page
Qui ne ſe ſeingnaſt à merveille.
De ce fait chaſcuns ſe merveille
Et nés li dieu s’en mervilloient,
Quant pour certain dire l’ooient.
Si que li dieu, leurs viés parens,
Pour eſtre jones & parans
Souvent à Hebe preſentoient,
Et moult doucement li prioient
Qu’il les voulſiſt rajouenir ;
Mais onques n’i porrent venir :
Car la Déeſſe bien appriſe
Lors reſpondoit par bonne guiſe.
Et diſoit qu’elle n’avoit cure
De tollir ſon droit à Nature.

Ainſi fait ma dame de mi :

Car, foi que je doy ſaint Remi,
Sa grant biauté me rajoueniſt,
Car de mon cuer nulle fois n’iſt ;
Et, par ymagination,
En voy touſdis l’impreſſion ;
Dont j’en fais oeuvre de joneſce,
Et s’ay touſdis en moy léeſce,
Et l’eſperit juene & legier :
Ce fait tous mes maus alegier ;
Comment que nuls ne puet faillir
Qu’il puiſt vivre ſans enviellir.
Car à Nature chaſcuns paie
Son droit, ſon tréu & ſa paie ;
Et qui autrement le feroit
Nature trop s’en plainderoit.
Mais ma dame, de ſa nobleſſe,
Le fait comme mere & déeſſe
Que j’aim, aour, criem & deſir,
Et en qui ſont tuit mi deſir.

Longuement ainſi demouray,
Que je ne gemi ne plouray ;
Car ainſi vivre me plaiſoit
Tant que riens ne me deſplaiſoit,
Qui d’elle me péuſt venir.
S’en laiſſoie Amours convenir ;
Pour ce que j’eſtoie aſſevis
De toute joie à mon devis,
Fors itant que pas ne véoie
Ma douce dame ſimple & coie,
Et qu’elle s’eſtoit departie,
Pour cauſe de l’épidimie,
Dou lieu où fu ſa demourée ;

Ains ala en autre contrée.
Et au lieu je ne cognoiſſoie
Créature, ſe Dieus me voie,
À qui rien déuſſe prier,
N’en qui je m’oſaſſe fier.
Et s’on me diſt que j’envoiaſſe
Devers li, faire ne l’oſaſſe,
Car elle m’avoit deffendu,
Se ſa lettre avez entendu,
Que vers li point ne traméiſſe
Tant que nouvelles en oÿſſe :
Et ce fu .ii. mois tous entiers
Et aveuc ce j’entrai en tiers,[230]
Qu’onques de li n’oÿ nouvelle
Si que je ne ſavoie s’elle
Faiſoit d’eſcrire ce demour,
Par ruſe ou par deffaut d’amour.
Lors me prinſt trop à avoier, [App. LIII.]
Quant vers li n’oſoie envoier.

Adont, anemis qui ne dort,
C’eſt Deſirs qui m’a fait maint tort,
Tenoit en ſa main un tiſon,
Et ſi s’en vint en traÿſon.
Et dedens mon cuer ſe bouta,
Si que près le manoir tout ha
À force ars, malgré moy par m’ame,
Et mis tout à feu & à fiame.
Et Souvenirs qui conforté
M’a cent fois & joie aporté,
Qui tous biens faire me ſoloit,

Toute ma joie me toloit.
Car il m’aminiſtroit penſées
Diverſes & deſordenées,
Qui eſtoient entortillies
De courrous & merencolies.
Et pour ice trop me doubtoie
Que celle qu’aim, où que je ſoie,
De ſi vrai cuer, tout en appert,
En lieu de bleu ne veſtit vert.
Si qu’en ce penſer où j’eſtoie
Droitement d’anui ſommilloie,
Et en ceſt anui m’endormi,
Qui ne fu pas trop bon pour mi.
Qu’en dormant un ſonge ſonjay,
Et véu dedens mon ſonge ay,
Qu’en aourant ma douce ymage,
Son chief tournoit & ſon viſage ;
Ne regarder ne me daignoit,
Dont mes cuers trop fort ſe plaingnoit :
Et tout eſtoit de vert veſtie,
Qui nouvelleté ſignifie.
Adont me ſouvint des ymages
Qu’avoit fait Virgiles li ſages,
Qui aus Rommains le chief tournoient
Quant leurs ſubjés ſe reveloient.[231]
Comment qu’en moy ſubjection
Fuſt ſans nulle rebellion,
Et qu’en rien n’avoie meſpris

Par devers ma dame de pris ;
Si que ſe je fui à meſchief,
Quant je li vi tourner ſon chief,
Et ſi vi qu’elle eſtoit parée
De vert, ſans couleur aſurée,
Nuls homs ne le me doit enquerre ;
Qu’en l’air n’en la mer n’en la terre,
N’ot onques-mais homs, en ſongant,
Tel mal comme j’os, pour ſon gent
Et tres-dous vis qui me véoit[232]
Que mon ueil plus ne le véoit.
Si me parti de ſa préſence,
Plains de dolour & de peſence,
Et, ſans véoir ſa douce face :
Si m’embati en une place [App. LIV.]
Où il ot dames, chevaliers,
Damoiſelles & eſcuiers,
Un en y ot appert & cointe
Qui fiſt ſur une coutepointe
De ſoie, bonne & belle & riche ;
Bien croy qu’elle fu faite à liche :[233][App. LV.]
Et plus haut des autres ſéoit.
Mais trop bien ſur ſon chef ſéoit
Un chapellet de violettes,
Fait & donné par amourettes.
Si ſaluay la compagnie
Qui ſi bien eſtoit enſeingnie
Qu’aveuc euls me firent ſéoir,
Pour leur esbatement véoir.

Si m’aſſis & vi clerement
Que c’eſtoit le Roi qui ne ment.[234]
Là li firent obéiſſance
Tuit & toutes, & reverence ;
Et j’auſſi li fis brief & court.
Chaſcuns d’eus ala à ſa court :
Là ot mainte belle demende
Dont il n’eſt meſtier que je rende
Raiſon, car long ſeroit à faire
Dou dire, pour ce m’en vueil taire.
Mais à mon tour atant alay,
Et par tel guiſe au Roy parlay : [App. LVI.]

« Rois, tu dois eſtre véritable,
« Juſtes, loiaus & charitables,
« Et bien amer tes bons amis,
« Et fort haÿr tes anemis ;[235]
« Car trop fait à blaſmer li hons
« Qui eſt crueus comme lyons,
« En temps de pais à ſon ami ;
« Et courtois à ſon anemi,
« Méeſmement en temps de guerre :
« Qu’il ne puet en ce monde acquerre
« Riens dont ſon pueple tant le blaſme,
« Comme de chéoir en tel blaſme.

« Belle choſe eſt de vérité

« En bouche à roy, & grant vilté
« De roy qui ha bouche qui ment :
« S’il avoit les dens de ciment,
« Et en la bouche le lampas,
« Ne le compleinderoit-l’en pas ;
« Que ſeroit ſages : car, ſans doubte,
« Mentir eſtaint ſon honneur toute.
« Et c’eſt pechiés & decevance
« De dire contre ce qu’on penſe.

« Juſtice dois faire à toute ame :
« Et ſi la dois peſer à drame,
« C’eſt-à-dire ſi léalment
« Qu’à tous ſoit faite egalement ;
« Qu’ire, faveur, pitié, n’amour,
« Haÿne, grandeur & cremour
« Ne te doivent à ce mouvoir
« Que menſonge faces dou voir.[236]

« Se tu vues honneur recouvrer,
« Tu ne te dois pas eſprouver
« À la miſere des chétis ;[237]
« Ains doit tes cuers eſtre ententis
« À ſouſmettre & donter la force
« De ton anemi, s’il t’esforce. [App. LVII.]
« Car nobles cuers ne ſe doit prendre
« À ce qui ne ſe puet deffendre.
« Mais s’un vaillant homme conquiert,[238]
« Honneur & loenge en acquiert ;

« Et en ſon cuer en ha grant gloire,
« Quant il ha ſi noble victoire.

« Tu dois eſtre plains de largeſſe,
« Sans couardie & ſans pereſſe ;
« Ce qu’as, donner à chiere lie,
« Promettre ce que tu n’as mie,
« Et ce qu’aquiers abandonner.[239]
« Ne te chaille d’aſſés donner.[240]
« As-tu paour d’avoir deffaut ?
« Trop plus aras qu’il ne te faut,
« Se tu fais ce que je t’encorne.
« Fay pendre ton ſeel à la corne
« De cerf qui pent emmi ta ſale,[241]
« Si qu’il n’i ait langue ſi male,
« Qui lettre ou or de toy n’emporte.
« Et ſi lai ouverte ta porte ;
« Car largeſſe ainſi le commande
« Pour ceus qui te feront demande.
« Mais garde-toi bien d’avarice,
« Qu’en cuer de roy eſt trop grant vice ;
« Que pris, honneur, loenge & grace
« Et bonne renommée efface ;
« Et ſi le fait tant diffamer
« Qu’à paines le puet nuls amer.[242]

« En tous cas les dames honneure
« De fait, de bouche & à toute heure :
« Aime Dieu & chevalerie,
« Conſcience & honneſte vie,
« Ainſi porras terre tenir
« Et les grans guerres ſouſtenir.

« Roys, bien ſay que loiaument juges
« Et que tu hes tous mauvais juges ;
« Et pour ç’as nom rois qui ne mens,
« Que tu fais loyaus jugemens.
« Bien ſay que tu hes villonie
« Et aimes toute courtoiſie.
« Armes, dames, honneur & joie :
« Pour c’encor .ii. mos te diroie,
« S’il ne te devoit anuier.
« Tu n’as chevalier, n’eſcuier,
« Ne homme dont ne ſois haïs,
« Se tu ne deffens ton païs,
« Et ſeye encor en aventure[243]
« Du perdre, qui eſt choſe dure.
« Et s’aucuns t’aiment, ce ſont gent
« Qui ne t’aiment que pour argent.
« Car il n’ont de ton honneur cure
« Ne de toy, fors tant qu’argent dure.
« Et ſe tu les vues aſſevir,[244]
« Il ne te vorront point ſervir.
« Et, s’il te ſervent, il ſeront
« Tel que jà bien ne te feront.
« Que vault le ſervir ſans amour.

« Ne que vault terre, ſans ſignour
« Qui ne la vuet mie deffendre,
« Quant il la voit pillier ou prendre ?
« Molins oiſeus, fours qui ne cuit,
« Il ne valent guères, ce cuit.
« Et ſe tu avoies, tres-or,
« De ce monde tout le treſor,
« Et cent fois le jour l’aouraſſes,
« Ne departir ne l’enduraſſes,
« Il ne te vaurroit une ortie ;
« Et ſi, ſeroit ydolatrie.
« Car li treſor pas ne deffendent
« Les royaumes quant il contendent ;
« Mais bons amis le font de fait.
« Sages eſt qui tel treſor fait.
« Qu’on dit : mieus vault amis en voie,
« Que ne font deniers en courroie.
« Ne te conſeille par merdaille,[245]
« Qu’il ne valent rien en bataille ;
« N’à garſons, car, ſe tu les crois,
« Je te jur ſur toutes les crois
« Qui furent en Jheruſalem,
« Il te mettront en ſi mal an
« Que tu n’i porras conſeil mettre,
« Par cop d’eſpée ne par lettre.
« Mais tu ies ſages & ſubtis,
« Larges, courtois, nobles, gentis,
« Si que d’eus bien te garderas,
« Et aus bons te conſilleras,
« Qui metteront corps & avoir
« Ad ce qu’honneur puiſſes avoir.

« Se tu fais ce que je t’enſeingne,
« Tu porteras d’onneur l’enſeingne,
« Et bons amis ſeras ſans faille
« De Mars, qui eſt dieu de bataille.

« Et ſe trop largement parole
« Mon ſonge, eſcuſe ma parole. [App. LIX.]
« Mais cils petitement beſongne
« Qui riens ne fait de ſa beſongne.
« Et pour ce que j’y ſuis tenus
« Diray pour coy j’y ſuis venus.

« Rois, je m’en vieng à toy complaindre
« Des maus d’amour que me font taindre,
« Et de Deſir qui maint aſſaut
« Me fait, & maint tour & maint ſaut,
« Si te diray tout mon affaire
« Et auſſi quanque j’ay à faire :
« J’aim une dame par amours
« Sur toutes ; or eſt mes demours
« Loing d’elle, dont petit la voy,
« Et po ſouvent vers li envoy.
« N’il n’eſt perſonne qui li die
« Mon amoureuſe maladie,
« Ne qui à li me ramentoive,
« Pour mal que pour elle reçoive.
« Ne je n’oſe vers elle aller,
« Car riens ne vaurroit mon aler ;
« Pour ce que je ne congnois ame
« Où elle demeure, par m’ame ;
« N’elle ne doit vers moy venir,
« Ne ce ne porroit advenir,
« Qu’Argus o ſes .c. yeus la garde.

« Malebouche la fait couarde,
« Paour & Doubte de meffaire.
« Et Fortune m’i eſt contraire :
« Car il ha près de .ix. ſemaines
« Que de li nouvelles certaines
« N’oÿ, dont je ſuis en doubtance
« Qu’elle n’ait aucune grevance,
« Où que ſon cuer ne ſoit ailleurs ;
« Qu’elle trop en voit de milleurs.
« Toute-voie j’ay ſon ymage
« Pourtraite au vif en une page,
« Si bien, ſi bel, ſi vivement,
« Qu’on ne porroit plus proprement.
« N’a qu’un po que je l’aouroie
« Et mon ſervice li paioie,
« Mais elle me tourna le chief,
« Dont je fui à trop grant meſehief.
« Mais encore, pour mon mal eur,
« Sa robe qui eſtoit d’aſur,
« Qui Loyauté ſignefioit,
« Et où mes cuers moult ſe fioit,
« Fu en couleur de vert changie,
« Qui nouvelleté ſignefie.
« Dont je ſuis en ſi petit point
« Que mais de joie en moy n’a point,
« Qu’elle ne puet à moy venir ;
« Et ſeulement par ſouvenir[246]
« Qui li empeſche ſa venue ;
« Las ! ce m’ociſt, & me par-tue.

« Ainſi ay tous maus à toute heure
« Et ſi ne truis qui me ſequeure.

« Mais une choſe trop m’anoie :
« Qu’on quiert tant à avoir monoie,[247]
« Qu’il me faut paier quarantieſme,
« Trentieſme, vintieſme, treizieſme,
« Et auſſi trois fois le diſieſme,
« Huitieſme, ſiſieſme, cinquieſme,
« Et encor parl’-on du deuſieſme,
« Voire, par Dieu, & du centieſme ; [App. LX.]
« Les blez & les vins ſont faillis,
« Dont li pueples eſt mal baillis,
« Si que Dieus d’amont nous guerrie ;[248]
« Et li Papes ne s’en ſeint mie.
« Li diables atiſe la guerre,
« Auſſi fait li rois d’Engleterre. [App. LXI.]
« Or y revient la Grant-compagne[249]
« Qui va juſques en Alemaigne.
« Mais trop me pleing de l’Archepreſtre,
« Et des Bretons qui font le meſtre
« Si, que li païs eſt pilliés,
« Tous gaſtés & tous eſſiliés.
« Avec ce, li leu nous menguent,
« Qui nous eſtranglent & nous tuent ;
« Et s’eſt ſi grans mortalités
« En bours, en villes, & en cités,
« Et tout par tout le plat païs,

« Que chaſcuns en eſt esbahis.
« N’ame n’oy qui ne prophetiſe
« Pis pour le pueple & pour l’egliſe ;
« Si que trop ſerons accoupis,
« Quant chaſcuns dit : Vous arés pis.
« À cy dolour & meſchéance,
« À cy meſchief & peſtilence,
« Et qui le porra endurer,
« Ne comment porra-on durer ?
« Certes les dis plaies d’Egipte,
« Contre ce, fu choſe petite ;
« Car li egiptien eſperoient
« Qu’après le mal bon temps aroient,
« Ainſi com fait l’omme ſauvage,
« Quant il voit plouvoir ou boſcage,
« Il eſpoire qu’il ſera bel ;
« Pour ce chante & eſt en revel.
« Mais nous vivons en eſperance
« D’avoir adès plus de grevance,
« Et c’eſt la conſummation
« Et fin de no deſtruction,
« Se Dieus de ſa grace n’i euvre :
« Si m’aten à lui de ceſte euvre.
« Car s’il a la choſe baſtie,
« D’omme ne puet eſtre garie.
« N’eſtre miſe à point nullement,
« S’il ne vient de li proprement.

« Mais toutes ces maléurtés
« Ces peſtilences, ces durtés,
« Ne font à moy ne froit ne chaut :
« Car, par ma foi, il ne m’en chaut.
« Mais ce me fait pene & anoy

« Que ne voy ma dame & n’oy,[250]
« Ne que nouvelles de li n’ay ;
« Et piece a que je ne finay
« De vivre & languir en attente
« Qu’à moy fuſt ou j’à li preſente,[251]
« Ou que nouvelles en oÿſſe
« Teles que je m’en resjoÿſſe.

« Et pour ce, Roy, je te depri
« Que vueilles oÿr mon depri,
« Et que de ton cuer les oreilles
« Ouevres, ſi que tu me conſeilles. »

Li rois ma parole entendi,
N’onques un mot ne reſpondi,
Tant que j’eus dit ma volenté
De s’onneur, & de ma ſanté,
Et toutes les conditions
De mes grans tribulations.
Et lors commença à ſourire,
Et en riant me prinſt à dire,
Sagement & de bel arroy,
Ainſi com il affier à roy :

« Amis, je t’ay moult bien oÿ,
« Et mon cuer as moult resjoÿ
« De tes courtois enſeignemens ;
« Mais ſi lons eſt tes parlemens,

« Que trop longue choſe ſeroit
« Qui chaſcun mot repeteroit.
« Si me paſſeray pour brieté
« De m’onneur & de ta grieté ;
« Et me garderay de meſprendre :
« Si que n’i ara que reprendre,
« Se je puis & Dieus le m’ottroie.

« Et de ce mal qui te maiſtroie,
« Et qui t’a ſi mal atourné
« Pour l’ymage qui t’a tourné
« Son chief, & de ſa veſtéure
« De bleu qu’eſt muée en verdure,
« Qui ſignefie fauſſeté ;
« Biaus amis, c’eſt grant niceté
« Dou penſer ; car il le te ſemble,
« Tu dors & paroles enſemble,[252]
« Et ſi m’eſt avis que tu ſonges.
« On ne doit pas croire les ſonges ;
« Raiſons eſt que tu la véiſſes,
« Ainſois que d’elle te plaingniſſes.
« Et s’en bon eſtat la trouvoies,
« De li plaindre ne deveroies ;
« Car amans qui ſe plaint à tort
« Ha cuer rude, nice & entort.
« Eſveille-toy & la regarde ;
« Car t’amour n’eſt pas li muſarde
« Qu’elle jamais riens te déiſt
« De quoy le contraire féiſt.
« Tu ſeroies plus esbahis
« Que cers ramés & eſtahis,

« Et s’aroies paour & hide,
« Que ſe tu véoies d’Ovide
« Les diverſes mutations
« Faites en maintes regions.

« Joſephus nous dit & raconte,[253]
« Que pour le pechiés & la honte
« De ceus de Sodome & Gomorre,
« Dieus les volt tous confondre en porre.
« Par ſouffre ardant les confondi,
« Et la terre environ fondi ;
« N’onques n’en pot eſchaper ame,
« Fors Loth, ſes enfans & ſa femme.
« Car Dieus, qui tout fiſt & fourma,
« À trois angles donné fourme ha
« Tele qu’il ſembloient homme eſtre.
« Sages eſt qui ſert ſi bon meſtre :
« Et les envoia à Abram,
« Qui puis fu nommés Abraham :
« Cils les reçut deſſous le chaiſne
« Où il habitoit, car de fraiſhe
« N’avoit ne maiſon ne palais,
« Ne de pierre, ne biaus ne lais.
« Les .iii. angles de li partirent,
« Et Loth hors de Sodome mirent,
« Aveuc ſa femme & ſes enfans,
« Qui d’aler ne furent pas lens.
« Mais li angle leur deffendirent,
« Et de par Dieu moult bien leur dirent

« Qu’adès devant euls en alaſſent,
« Et darrier euls ne regardaſſent.
« La feme Loth mal ſe garda,
« Car darrier elle regarda,
« Et tantoſt elle fut muée
« En ſel, c’eſt vérité prouvée ;
« Car en ſa forme & ſa figure
« Eſtoit de ſel ſon eſtature.
« Joſephus le teſmongne, & dit
« Qu’en ce point pluſeurs fois la vit.

« Auſſi li Dieu les gens muoient
« En quelque forme qu’il voloient,
« Et les Déeſſes enſement :
« Car on véoit appertement
« Les uns mués en forme d’arbre,
« Les autres en pierre de marbre.
« Perſéus qui par l’air voloit
« Se muoit en ce qu’il voloit ;
« Politetus le deſpriſoit,
« Et partout de li meſdiſoit ;
« Mais en pierre ſi le mua,
« Qu’onques puis ne ſe remua,
« Par le chief Gorgon qu’il gardoit :[254]
« Qu’ame ce chief ne regardoit
« Que en pierre ne fuſt muée,
« Tant fut ſoutive ne deſrée.
« Ovides le dit en ſes fables,
« En moralitez veritables.

« Se tels mutations véoies,
« Certes moult t’en mervilleroies,
« Quant de joie ainſi te deſrobe
« La mutation d’une robe,
« Il puet eſtre qu’as deſſervi,
« (En ce que ta dame as ſervi,)
« La rage que tu li mès ſeure ;
« Ou merancolie demeure
« En ton cuer, qui te fait penſer
« Vers elle ſi villain penſer ;
« Ou que tu la ſers fauſſement ;
« Ou que ta bouche fauſſe ment.
« Si qu’amis, en vain te traveilles,
« Qui de ce à moy te conſeilles.
« Puet-eſtre qu’elle n’a loiſir
« D’eſcrire à toy à ſon plaiſir,
« Pour ce qu’elle eſt trop près tenue,
« Or maintiens-tu qu’elle te tue ?

« On voit & ſcet tout en appert,
« Que moult furent ſage & appert
« Cil qui les ſciences trouverent,
« Et aus peuples les lois donnerent.
« Lamech li mauvais fu bigames,[255]
« Et ſi ot tout premier .ii. femmes,
« Dont l’une avoit à non Ada,
« Et l’autre avoit à non Stella.
« Il engendra d’Ada Jabel,

« Qui fu tantoſt après Abel,[256]
« Et Tubal ; cil .ii. furent frere,
« Iſſu d’un pere & d’une mere.
« Jabel trouva les panetieres
« Que portent bergiers & bergieres,
« Et la guiſe d’euls hesbergier,
« Et tout ce qu’il faut à bergier ;
« Et premiers les beſtes ſevra,
« Et ſelon leurs genres ouvra.
« Tubal trouva l’art de muſique,
« Tubtaÿn trouva la fabrique ;[257]
« Mais Tubal au ſon des martiaus
« Fiſt tons & ſons & chans nouviaus,
« Et notes, & les ordenances
« De muſique & les concordances.
« Et s’aucuns y ont amendé,
« Je ne leur ay pas commandé.[258]
« Et Noéma trouva le tiſtre[259]
« Et le filer, car, à ſon titre,
« On fait linges & draperies,
« Et les belles toiles delies.
« Chus, li fils Chan fils de Noé
« Qui premiers en l’arche a noé,
« Fuſt cils qui trouva la ſcience
« Que l’en appelle nigromance,
« Et fiſt une ymage fondiſe,
« Par tel manière & par tel guiſe
« Que l’ymage li reſpondoit

« À tout ce qu’il li demandoit :
« Et ce fut la premiere ymage
« Qu’onques fu, ce dient li ſage.
« Phoronéus donna les lois
« Tout premierement aus Grijois.
« Quant Silivius Tullius
« Gouverna après Juſtius,[260]
« Il avoit .vii. ſages à Romme,[261]
« Veſci les nons, je les te nomme :
« Li premiers fu Tales nommés,
« De Mileſe fu ſeurnommés ;
« Et Pictatus de Mutteleine,
« Qui ot pour ſavoir moult de peine ;
« Li tiers eſtoit Solons Dathenes,
« Attrais de la cité d’Athènes ;[262]
« Et Sillum de Lacedomoine
« Fu des marches de Babiloine ;
« Et Periander de Corinthe,
« Li .vme., en l’ordre quinte ;
« Li ſiziemes, Cléobolus
« D’Elyode,[263] & Byaüs
« De Peine[264] fu attrais & nés,
« Homs nobles, vaillans & ſenés.
« Li Sept ſage furent nommé

« Ainſi com je le t’ay nommé.
« Biaüs fu cils qui diſoit
« Que nulle rien ſiene n’eſtoit,
« Puis que l’en li péuſt oſter.
« Tu dois bien ce mot cy noter.
« En ce temps fu Pictagoras
« Dont, ſe de Romme yes, encor as
« Les lois & les enſeingnemens
« Qu’il fiſt ſur les .iiii. élemens.
« Il vint des parties d’Auffrique,
« Et trouva l’art d’ariſmetique,
« Et la maniere de compter :
« Pour ce ne te dois pas doubter
« De dire leurs ſens & leurs euvres.

« Dont il m’eſt vis que petit euvres,
« Quant ainſi yes envelopés
« D’amourettes & attrapés.
« Certes longue choſe ſeroit
« À dire, qui la te diroit ;
« Mais ſe treſtuit juré t’avoient
« Que tres-bien te conſeilleroient
« De ceſte dame qui t’aſſote.
« Et ſi héuſſes Ariſtote,
« Senecque, Virgile, Caton,
« Salemon, Boeſſe, Platon,
« Et auſſi tous les advocas
« Qui ſont en ce monde, en ce cas
« Ne te ſaroient conſillier ;
« Non, par Dieu, tuit mi conſillier,
« Dont veſci la plus grant partie.
« Dont mervillier ne te dois mie
« Se renommée de moy court,

« Quant j’ay tel conſeil à ma court.[265]
« Si te convient à ce venir
« Que laiſſes Amours convenir.
« Se tu le fais, bien t’en venra,
« Et eſpoirs qu’il t’en meſcherra ;[266]
« Car pour un à qui bien en chiet,
« À .iiii. ſouvent en meſchiet. »

Et quant on li oÿ ce dire,
Chaſcune & chaſcuns priſt à rire,
Dames, chevaliers, damoiſiaus…
Et ſi avoit un chien d’oiſiaus[267]
Qui priſt ſi fort à abaier
Qu’il m’eſveilla ſanz délaier.

Et quant je fui bien eſveilliez,
Bonnes gens, ne vous mervilliez
Se je fui esbahis forment,
Quant véu avoie, en dormant,
Les merveilles que dit vous ay.
Adonc durement goulouſay,
À ſavoir ſe ma doulce ymage
Tourneroit vers moy ſon viſage.
Si alumay de la chandelle,
Et vins à genous devant elle,
Et la regarday longuement.
Mais il me ſembla vraiement
Que ſi doulcement me rioit

Que mon cuer d’amer desfioit.[268]
Si qu’adonques bien eſprouvay
Mon ſens, quant ainſi la trouvay.
Car clerement vi que mon ſonge
N’avoit riens de vray fors menſonge.

Mais ains que je fuſſe levez,
Uns vallés vint tous abrivez,
Qui fort hurté à ma porte ha,
Et une lettre m’apporta
De ma tres-doulce dame chiere.
Je la reçus à lie chiere,
Et puis je la lus ſans attendre,
Si come vous porrez entendre :


XXIX. — Mon cuer, m’amour & mon tres-dons amy, plaiſe-vous ſavoir que je ſuis en bon point, la merci Noſtre ſeigneur, qui ce vous otroit ! Et ſuis où vous ſavez, dès le xxe jour d’aouſt.[App. LXIII.] Et cuidoie que nous déuſſions tantoſt partir à aler ailleurs ; mais on nous diſt qu’il y avoit grant foiſon de gens d’armes & d’anemis tout à l’environ & n’y oſoit nuls aler. Et pour ce, n’y avons-nous point eſté encor : mais nous partiſmes environ .xvii. jours après que nous fuſmes là venus, pour aler en Brie, pour véoir les maiſons de mon frere que ma ſuer n’avoit onques-mès veues.[269] Et avons là demoré xv jours entiers, & ay eſté à ſi grant ennuy que onques choſe ne m’anuya tant. Et ſi avoie des esbatemens biau cop ;[270] car en tout le chemin on ne faiſoit que chanter & veoir dames & damoiſelles & dames de religion. Mais quant je véoie plus d’esbatement & de joie, & plus me deſplaiſoit quant il me ſouvenoit que je ne vous pouvoie veoir. Et m’avint que j’eſtoie une nuit en une maiſon de mon frere, & fu la nuit de la veille de Sainte Crois ;[App. LXIII.] & m’eſtoie endormie en penſant à vous. Si me fu avis, en mon dormant, que je vous trouvoie couchié en une ſalle en un biau lit bien paré ; & là m’eſtoit avis que vous giſiez forment malade ; & avoit une bonne femme vieille encoſte vous qui vous gardoit, ce m’eſt avis. Sitoſt come je commençay à aprouchier de voſtre lit, je commençay à plorer & à vous baiſier bien fort, & me ſembloit que vous me blaſmiez de ce que je vous avoie baiſié devant celle femme ; & je diſoie qu’il ne m’en chaloit & que de vous bien faire ne porroie avoir blaſme, & me ſembloit que vous vous leviez tantoſt en tres-bon point & me diſiez que je vous avoie gari : & de ce eſtoie moult lie, ſi come il me ſembloit en mon dormant. Et toute la nuit fu avec vous en ceſt eſtat, dont je fu tout le jour en grant merencolie : car je doubtoie que vous n’éuſſiez éu aucune eſſoine ; & me ſouvint de Morpheus. Et quant il me ſouvenoit que je vous avoie gari, j’en eſtoie un po plus lie, & tout le jour fui en male penſée. Si vous pry, mon dous cuer, que vous me vueilliez eſcrire ſi, celle journée, vous éuſtes nul ennuy & auſſi de tout voſtre eſtat que je deſire moult à ſavoir : & que, par m’ame, il meſt avis qu’il a bien un an que je n’oÿ nouvelles de vous. Et vous prie que vous me vueilliez envoier de vos chançons, pour moy esbatre & mettre hors de merencolie. Et ſommes là, ma ſuer & moy, auſſi come .ii. priſonieres ; ne je n’y cognois nulle perſonne dou monde, ſe n’eſt de mes gens. Si m’eſt nuls esbatemens que j’aie, ſe ce n’eſt de lire voſtre livre & ce que vous m’avez envoié, & de penſer à vous. Et ſe ne fuſt la penſée & le ſouvenir que j’ay de vous, je fuſſe trop à malaiſe. Mais, par Dieu en qui je croy, je y penſe tant & à toutes heures que c’eſt tout mon conſort, ne n’en puis oſter ma penſée. Et s’il vous plaiſoit à moy envoier la copie de ce que vous avez fait de voſtre livre, je vous en ſaroie moult bon gré : ſi feriez grant aumoſne & me donriez grant esbatement ; & je le deſire trop à véoir. Et s’il ne vous plaiſoit, je ne le monſtreroie à nulluy. Mon tres-dous cuer, je vous prie qu’il ne vous deſplaiſe ſe je ne vous ay plus toſt eſcript ; car, par m’ame, je ne l’ay peu amender bonnement. Mes freres va pardevers le Roy ; ſi, vous prie que vous le voiez & que vous lui faciés telle chiere & à ſes gens auſſi come vous ſavez quil eſt bon doit faire ;[271] & s’il va en voſtre maiſon ne li monſtrez pas voſtre ymage ; car il m’eſt avis qu’il ne ſeroit pas bon. Mais je vueil bien que vous li dictes, un po & non pas trop, que vous m’amez & pour ce que je chante volentiers, & que vous m’avez avant envoié de vos chançons, pluſeurs ſoiz avant que vous me véiſſiez onques. Je ne vous ay riens eſcript par les gens de mon dit frere, pour cauſe que je le vous diray bien, quant il plaira à Dieu que je vous voie, laquelle choſe me tarde plus que ne fiſt onques nulle autre choſe. Et il n’eſt pas de merveille, car je ne puis avoir, ſans vous, nuls des biens du treſor dont vous avez la clef.[272]

Mon tres-dous cuer, je vous pry que, en tous eſtas que vous porrez, vous vous vueilliez conforter & esjoïr, & ne penſez mie que jà jour de ma vie je me doie repentir de vous amer, ne de faire quanque je ſaray qui vous doie plaire. Et certes je le doy bien faire, ſe onques femme le déuſt faire pour ſon amy ; car je voy bien que en tous eſtas vous amez & gardez mon honneur come la voſtre meiſmes. Et, par Dieu, quant il me ſouvient de vous de la journée que vous partiſtes de moy, & de l’onneur & dou bien que je trouvay en vous, tous li cuers me resjoïſt. Mon tres-dous cuer, je penſe qu’il ſera avant grant piece que nous partions du lieu où nous ſommes ; ſi vous prie que le plus ſouvent que vous pourrez vous me eſcrivez de voſtre eſtat : & par ce meſſage, tout comment il vous a eſté depuis que je n’oÿ nouvelles de vous. Et ne doubtez mie à moy reſcrire longuement, car, par Dieu, toutes les foiz que je reçoy lettres de vous c’eſt la première choſe que je regarde ſe elles ſont bien longues & s’il y a beaucoup de choſes. Et quant je voy qu’elles ſont petites, je ſuis treſtoute courrecie. Si, ne doubtez mie que choſe que vous m’envoïſſiez me péuſt ennuyer. Et ſi, me poez eſcrire tout à loiſir ; car ce meſſage ne va par devers vous pour autre choſe que pour porter ces lettres. Mais il ne ſcet pas que je les vous envoie, car je les li ay faites baillier par un mien bon ami en qui je me fie moult & qui a eſté longtemps avec moy ; & l’ay ainſi fait, pour ce que je ne vueil mie que on ſaiche que je vous envoie meſſaige qui n’aille pour autre choſe. Mon tres-dous ami, s’il avient choſe que li pays ſoit ſeurs, tant que nous puiſſons aler où vous ſavez que nous yrons,[App. LXIII.] & ſitoſt come je ſeray là, ſoiez certains que je le vous feray ſavoir. Je prie à Noſtre ſeigneur qu’il vous doint joie de quanque voſtre cuer aime. Eſcript le xvii jour de ſeptembre. Mon tres-dous cuer & vray ami, je me recommande à vous, tant come li cuers de moy puet plus penſer, come celle qui eſt toute voſtre & qui plus regrette voſtre compaignie que ne fiſt onques turtre ſon per.

Voſtre loyal amie.
BALADE.[273]

Nuit & jour en tel traveil
Eſt le povre cuer de moy,
Car onques tourment pareil
Ne ſenti, ſi com je croy.

Car ſanz ceſſer, en recoy,
De celui cui ſui amie
Regrete la compaignie.
Car je ne dors ne ne veil,
Se n’eſt en penſant à ſoy,
À ſon maintieng ſans orgueil,
À ſon gracieux arroy :
Et de ſon dous esbanoy,
Souvent, à ſace mouillie,
Regrete la compaignie.

Je delivray ſon meſſagier
Le lendemain après mengier ;
Maiz de ma grant adverſité
Que j’ay ci-devant recité,
Avoie geté une lettre
Que je li voloie tramettre ;
Si l’encloÿ en ces preſentes.
Dont j’os de penſées dolentes
Plus d’un millier, ſe Dieus me gart ;
Car ma dame au plaiſant regart
Un petit ſe courſa à my,
Dont je dy pluſieurs ſoiz : aimy !
Et ſi, n’y avoit ſeel ne cire,[274]
N’il n’avoit en moy courroux, n’ire,
Quant je li mis ; mais bien vouloie
Qu’elle ſcéuſt qu’eſté avoie
À meſchief, pour l’amour de li ;
Dont j’eus le cuer taint & pali,
Qu’elle me reſcript durement,
Rudement & diverſement :

Et bien l’avoie deſſervy,
Quant ainſi l’avoie ſervy.
Car pechié fis & negligence,
S’en ſouffroie la penitence.
Petit au lire s’arreſta,
Pour ce qu’en un feu les geta.
Et l’envoy deſſus vous enforme
Qui eſtoit de lettre de forme :

LONGUE DEMOVRÉE FAIT CHANGIER AMY.

XXX. — Helas ! mon dous cuer, je vous avoie pluſieurs fois dit que je n’eſtoie pas dignes de vous ſervir. Si avez fait pechié de moy ſi loier en vos laz qui jamais ne ſeray deſliez. Et vous le ſavez bien & je m’y ſuis folement embatus. Mais, mon dous cuer, je cuidoie bien faire. Mon dous cuer, vous m’avez mandé de bouche & par eſcript que je envoiaſſe point vers vous jusques vous envoieriez vers my, & j’ay obéi à voſtre commandement qui m’a eſté & eſt moult dure choſe ; pour ce que je ne ſavoie mie la cauſe. Mais je penſe que on vous ait blaſmé ou dit aucune choſe de my, ou que vous me vueilliez eſlongier de vous. Car qui de po aime de po het. Non mie que vous ſcéuſſiez haïr moy ne autrui, mais qui bien aime à tart oublie, & de pou pleure à qui la leppe pent. Et, par Dieu, je ne vous ay pas oublié, car j’ay fait pour amour de vous, depuis la Magdelaine,[275] ce que je ne cuidoie mie faire en un an ; ainſi come cils meſſaiges le vous dira, s’il vous plaiſt à oÿr. Dont je ne dors nuit ne jour ſe po non, que adès n’y labeure & ne me ſouveingne de vous. Mais puis que matere me fault il me convient laiſſier oeuvre.[276] Et ne penſez mie que on le m’ait dit ; car expérience le m’aprent ; & auſſi, qui eſlonge de lueil il eſlonge dou cuer. Et pourroit eſtre que quant vous me manderez, je ne porray aler vers vous, pour les ſeigneurs qui ſont en maiſon. Adieu mon dous cuer, qui vous doint joie & pais plus que je n’en ay, & congnoiſſance de ce que vous me faictes.

De par voſtre amy qui ne ſcet ſe voz cuers l’aime ou s’il le het.


XXXI. — Mon tres-dous cuer, ma douce amour & ma ſouveraine dame, j’ay receu vos lettres la vigile St Michiel,[277][App. LXIV.] eſquelles vous me mandez voſtre eſtat dont je vous mercy tant come je puis. Car, par m’ame, ceſtoit la choſe de ce monde que mes cuers deſiroit plus à ſavoir ; ne pour riens je n’éuſſe laiſſié que je n’éuſſe envoié devers vous & pluſeurs fois, ſe ne fuſt ce que vous me mandaſtes par vos lettres darreinnement & de bouche par Th. que je n’envoiaſſe point à vous juſques atant que j’aroie eu nouvelles de vous ; dont j’ay eſté à moult grant meschief. Car je penſoie bien qu’il y avoit certaine cauſe, &, pour ce, je m’en ſuis tenus. Et, mon dous cuer, de mon eſtat dont il vous plaiſt à ſavoir, je ſuis en bon point, la mercy noſtre ſeigneur, & n’os mal, Dieu merci, depuis que je me parti de vous, fors de Deſir qui me meine trop dure vie. Et, par Dieu, j’ay fait enqueſte où vous eſtiez & à pluſeurs, mais nuls n’en ſavoit dire le certain, dont j’ay éu maintes penſées diverſes. Et quant à ce que jeus, revels ne esbatemens ne vous puevent plaire quant vous ne me poez veoir, hélas dolent ! & dont me venroit joie, quant je ne vous voy, tres-doulce, ſimple & coie ! Certes ce ne pourroit eſtre qu’elle me vinſt d’ailleurs que de vous ; car vous avez fait la plaie qui ne puet eſtre garie ſans vous. Et quant à voſtre ſonge de la vigille de Sainte Crois, vueilliez ſavoir & pour certain que .iiii. jours devant ou .v. après, je fui tellement blecié en l’eſprit que je laiſſay de tous poins l’ouvrer en voſtre livre, & avoie fine eſperance en mon cuer que jamais n’y penſeroie, pour ce que je n’ooie nouvelles de vous ; & dis pluſeurs fois à pluſeurs de mes amis privez qui me demandoient que j’avoie, que vous m’aviez oublié. Et, par m’ame, je le cuidoie. Dont je juray moult tres-fort s’il eſtoit ainſi, que jamais n’ameroye autre ne ne me fieroie en femme. Dont, ainſi come par deſeſperance, je fiz unes lettres, encloſes ès preſentes, & autres choſes avecques pour vous envoier : mais je ne vorroie pour riens que je le vous éuſſe envoié adont[278]. Et ſachiez certainement que je ſongay environ la Sainte Crois que voſtre ymage me tournoit la teſte & ne me daignoit regarder, & eſtoit veſtue de vert qui ſignifie nouvelleté ; dont je fui en ſi tres-grant merencolie que nuls ne le pourroit penſer. Et à mienuit fis alumer chandeilles pour regarder ſe c’eſtoit vray, & quant je vy le contraire, je la baiſay & prins à rire & dis : Morpheus ſe moquoit de my. Et m’endormy toute nuit en penſant à vous. Et, par m’ame, ſe vous aviez Morpheus loué dix mille mars d’or, ſi ne vous pourroit-il mieus ſervir qu’il vous ſert : car, ſi toſl come la chandeille eſt eſtainte, il ſaut en place & ſe figure en toutes manieres qui me peuvent & doivent plaire, comment que paour m’eſveille aucune ſois en diſant : Longue demorée fait changier amy. Mon tres-dous cuer, voſtre frere vint à moy le jour St Michiel au matin, & me vint veoir tantoſt qu’il ot oÿ meſſe, & li fis toute l’onneur que je pos & fu par tout mon oſtel où il ne partira, ſe je puis, nullement, que je ne li face auſſi come au milleur ſeigneur & ami que j’aie en ce monde, & à ſa gent auſſi. Mon dous cuer, je ſaroie volentiers la cauſe que vous ne volez eſcrire par les gens de voſtre frere, & pourquoy vous me mandaſtes que je n’envoiaſſe point à vous, juſques a tant que vous m’envoïſſiez le contraire. Si vous prie que vous le me vueilliez mander, car je ne penſe à envoier vers vous juſques atant que je le ſache. Mon tres-dous cuer, par m’ame, je croy bien que vous me deſirez à veoir, mais je deſire tant que je vous voie que, nés de penſer-y, j’en laiſſe ſouvent toutes autres choſes du monde. Helas ! mon dous cuer, ſe vous ne poez avoir joie ne bien ſans moy, ne nuls biens du treſor, helas ! auſſi n’en puis-je nuls avoir ſans vous ; ſi deſire tant que l’eure vieigne, que je ne le ſaroie dire ne penſer. Et, ſe Dieu plaiſt, elle venra, car il n’eſt choſe qui ne veingne. Helas ! mon dous cuer, vous me mandez que je ſoie liés & confortés de toutes choſes ; mais c’eſt trop fort à faire, quant je ſuis loing de vous. Et bien ſçay, quant je ne vous puis après veoir, un ſeul jour m’eſt .i. an ; & penſez que vous eſtes tout le bien, la joie & toute la doulceur de ce monde, à mon avis, ne ſans vous ne puis avoir bien ne joie ne douleur ; c’eſt bien fort à faire que j’éuſſe ne joie n’envoiſéure. Toutevoie je fais de neceſſité vertu, & reſſemble le meneſtrel qui chante en place & n’y a plus courrecié de lui. Et quant à voſtre honneur garder, je l’aime autant come je deſire paradis ; ne jà, jour de ma vie, ne penſeray ne feray le contraire, pour choſe qui aveigne. Mon tres-dous cuer, je voy bien que vous rejoignez à moy eſcrire, ſelon ce qu’il m’appert par lettres ; & vraiement li cuers me dit qu’il y a aucune choſe laquelle ne me volez mander, dont je ſuis bien esbahys, come deſſus vous eſcris. Et ce n’eſt mie ſans cauſe, car vous me ſouliez eſcrire couvertement, & maintenant vous me faites envoier vos lettres par eſtranges. Si ne ſçay que penſer, & ne penſe envoier à vous, juſques atant que je le ſache. Mon dous cuer, j’ay fait le chant d’un rondelet où voſtre noms eſt, & le vous envoieray par le premier qui yra à vous. Je ſuis ſi enbeſongnez de faire voſtre livre que je ne puis à rien entendre. Et ſachiez que je en fais autant .iii. fois come tient Morpheus ; & quant à ce que vous me mandez que je vous en envoie copie, ce ſeroit longue choſe à faire & ſi, ſeroie moult courreciez s’il eſtoit perduz au chemin. Si le vous porray envoier par le chapellain de voſtre frere. Et en ay plus fait depuis la Magdeleine que je ne cuidoie faire en un an entier, Je vous envoie la laiette que vous me baillaſtes au partir de vous, & tout ce qui eſt dedens, car tout eſt mis par ordre dedens voſtre livre.[279] Ma douce amour, je vous remercie de vos dignes & precieuſes reliques, de voſtre fermail, de vos paternoſtres & de voſtre belle balade. Je vous envoieray la pareille par le premier qui ira vers vous. Je vous envoie un rondel noté, dont je fis pieça le chant & le dit. Sy y ay fait nouvellement teneure & contreteneure.[App. LXIV.] Si, le vueiliiez ſavoir,[280] car il me ſemble bon. À Dieu, mon tres-dous cuer, qui vous doint joie, pais, honneur & ſanté, ſi come mes cuers le deſire.

Voſtre loial amy.


Quant ma dame mes lettres vit,
Amours, qui maint cuers aſſevit
De grant joie & de grant doulour,
Mua tellement ſa coulour
Qui eſtoit vermeille & roſine,
Qu’elle devint pale & terrine.
Si ſe geta ſeur une couche
Com celle qu’Amours au cuer touche,
Et qui durement ſe complaint.
Si, dit ainſi en ſon complaint :[281]

Dous amis, que t’ay-je meffait ?I.

De cuer, de penſée & de fait
Ay touſdis ta volenté fait,
Sans deshonnour ;
Car je t’aim de cuer ſi parfait,
Que tout me ſemble contrefait
Quant je te voy que Dieux parfait
En toute honnour.
Et tu fais teindre ma coulour,
Et tiens mon cuer en grant dolour,
En dueil, en triſteſſe & en plour.
Oy mes ſouſpirs, oy ma clamour,
Voy la peine, voy le labour
Qui mes cuers trait.

Tu dis que longue demouréeII.
Fait changier amy & amée,
Mais quant tu m’as bien eſprouvée,
Il m’eſt advis
Que pas ne m’as faulſe trouvée.
Qu’onques Jaſon belle Medée,
Ne Dido de Cartage Enée,
N’auſſi Byblis
Cadmus[282], né Helaine Paris,
N’amerent tant, ſoies-ent fis,
Com je t’aim. À Semiramis
M’as comparée,
Et dis qu’ailleurs mes cuers eſt mis :
Mais ainſois, mons & vaus unis
Seront, qu’à ce, tres-dous amis,
Aie penſée.

Tres-dous amis, quant ç’avenraIII.
Que mes fins cuers te changera,
Li ſolaus jamais ne luira
Là-fus amont ;

Ne lune nuit n’alumera,
N’eſtoile ne reſplendira,
N’arbre en terre ne verdira,
Dont il eſt moult ; [App. LXV.]
Car par tout tenebres ſeront,
Toutes yaves retourneront,
Li Signe ſe combateront,
Mer ſechera,
Les pierres par l’air voleront,
Les .iiii. elemens fineront,
Et Nature par tout le mont
Toute faura.

L’amour des déeſſes de merIV.
Conquiſt Ulyxes, par rouver
Et par courtoiſement parler,
Et doucement ;
Mais ne te puis aſſéurer,
Pour fiancier ne pour jurer,
Pour doulceur ne pour toy amer
Tres-chierement !
Amis, tu m’aimes vraiement
Et dis que c’eſt tres-loiaument ;
Mais c’eſt pour moy donner tourment
Et tout amer,
Quant tu me meſcrois tellement :
S’en criem morir prochainement.
Se Venus ne fait autrement
Ton cuer muer.

À Venus en feray la plainteV.
Qui ſcet que ma douleur eſt tainte,
Et que j’ay plouré larme mainte
Par ſon deſroy ;
Car elle m’a, par ſa contrainte,
Enyvré d’amour & enceinte,
Si devroit oïr ma complainte
En bonne foy.
S’elle y pourvoit, à li m’ottroy,

Et s’elle en faut je la renoy.
Car je ne vueil croire ne croy
En ſaint n’en ſainte
Qui me facent peine & annoy.
Que par droit mieus valoir en doy ;
Et j’en vail pis, par ſaint Eloy,
Quant tant l’ay crainte.

Qu’en puis-je, ſe je me courreſſe ?VI.
Amours me point, Venus me bleſſe,
Et tu es pleins de grant rudeſſe,
Qui ne vues croire
Que je ne ſoie changerreſſe,
Et qu’ailleurs mon cuer ne s’adreſſe
Qu’en toy, dous amis, qui l’adreſſe
Yes de ma gloire.
Certes je n’ay mie memoire
Qu’onques veniſt biens de meſcroire,
N’onques ne vi chanſon n’yſtoire
Contre nobleſce,
Qui vaulſiſt une ſeule poire.
Ce eſt pechié, c’eſt choſe voire,
Mieus vauroit eſtre en fons de Loire
Qu’en tel triſteſce.

Cephalus, qui corps ot legier,VII.
Un jour aloit au bois chacier
À piet, en guiſe d’un archier,
O l’arc poly ;
S’amie pour luy eſpier
En .i. buiſſon s’ala mucier,
Com celle qui d’autre acointier
Le meſcréy ;
Cephalus celle part traÿ
D’aventure, & l’en meſchéy,
Qu’il l’ataint, dont elle mory
Sans atargier,
Fors tant qu’elle lui diſt : « Amy,
« Dous amis, tu m’as morte cy,

« Et ſi, t’amoie plus que my,
« De cuer entier. »

Quant Cephalus vit le meſchié,VIII.
Il a ſon arc en .ii. trenchié,
Et les ſaiettes depecié ;
Tous les dieux jure
Qu’il s’ocirra pour ce pechié ;
Moult a crié, moult a huchié.
Quant il a le corps aprochié,
N’eſt créature
Qui véiſt le mal qu’il endure,
Son brait, ſon plaint, ſa grieté dure,
Et com ſes .v. ſens de nature
Sont empeſchié,
Qui n’en plouraſt à larme ſure.
Tant fut mis à deſconfiture,
Que Neron de ceſte aventure
Éuſt pitié.

Amis ce ne puet advenir,IX.
Que je te péuſſe guerpir,
Nés que je pourroie advenir
Au ciel de terre ;[283]
Car en toy ſont tuit mi deſir,
Mi penſer & mi ſouvenir.
Et pour ce que ton bien deſir,
Te vueil requerre
Que faciens paix de ceſte guerre.
Or apaiſe ton cuer qui erre,
Car ſans mentir
Tes courrous le mien ſi fort ſerre
Que mon bien & ma joie enſerre
Plus fort que n’eſt treſors en ſerre ;
Dont trop ſouſpir.

Pymalion de ſon ymageX.

Quant il l’ot pris à mariage
Ot un fil cointe, appert & ſage
Qu’on appelloit
Adonis, biaus fu de corſage
Et de vis, pleins de vaſſelage,
Mais trop volentiers en boſcage
Chacier aloit.
Venus qui chierement l’amoit,
De ce trop fort le reprenoit
Pour ce qu’un pou le meſcréoit
En ſon corage.
Mais cils riens faire n’en vouloit ;
Car, à chacier tant li plaiſoit,
Qu’ocis en fu à grant deſroit
D’un porc ſauvage.

Or uſe dont de mon conſeil,XI.
Et fay ce que je te conſeil ;
Car tu vois bien que mon vis mueil
Et ma poitrine,
De larmes que moult parfont cueil
Oy les meſchiés que je recueil,
Regarde mon cuer & mon vueil,
Et l’amour fine
Qui en moy d’acroiſtre ne fine.
Dous amis, retien ma dottrine,
Et mez en moy la medecine ;
Enten mon dueil.
Se tu le fais mes maus termine,
Et me mainne à joieus termine.
Se non, li maus ma vie fine,
Tant fort me dueil.

Si qu’amis dous je te chaſtie :XII.
Se tu vues mener bone vie,
Que ne ſoies en jalouſie ;
Car c’eſt la mort.
Et ſe tu as dame ou amie,
Amez-vous d’une amour unie

Sans hauſſage, ſans ſignourie,
Et ſans deſcort.
Ainſi le fait qui aime fort ;
Et qui oſte le deſconfort
Et nourriſt, en lieu de confort,
Merencolie,
Par ma foy je le tien pour mort ;
Qu’Amours, pour un petit remort,
Ou pour un mot rude & entort,
Eſt anientie.

Ainſi ſa complainte fin ha,[284]
N’onques puis elle ne fina,
Tant qu’elle ot cette lettre eſcripte.
Et ſa complainte deſſus dicte
Fu dedens bien & bel encloſe,
Sanz addicion & ſanz gloſe.


XXXII. — Mon tres-dous cuer, ma doulce amour, mon tres-dous amy, j’ay receu vos lettres, & ſachiez que je me merveille moult de la petite fiance que vous avez à moy, qui cuidiez, pour ce que je vous ay un pochet[285] trop tardé à eſcrire, que je vous doie oublier & mettre en nonchaloir. Si ſuis moult deceue en ceſte partie ; car je ne penſe pas tant de mal en vous come vous faictes en moy. Se vous ne m’eſcriſiez ne véez juſques à un an, qui me ſeroit moult dure choſe, ſi tien-je voſtre cuer ſi bon & ſi eſtable, que vous ne m’oublieriez mie ; & toute perſonne qui a bien & loiaulté en luy le doit ainſi penſer des autres. Et de ce que vous avez moult grant deſir de ſavoir pourquoy je vous manday par mon frere que vous ne n’eſcriſiez point, juſques atant que vous orriez nouvelles de moy, ſachiez que je le fis pour ce que je ne ſavoie de certain quel chemin nous tenrions, ne combien nous demorrions en chemin. Et j’avoie doubte que ſe vous envoiez vers moy, que voſtre meſſaige ne faulſiſt à moy trouver ; & ſi cuidoie de jour en jour aler ailleurs, & de là vous eſcrire de mon eſtat. Et de ce que vous eſtes esbahis de ce que je ne vous ay eſcript par les gens de mon frere, ſachiez que je le fis pour ce que je vous vouloie envoler meſſaige qui de vous m’apportaſt tantoſt certaines nouvelles ; & ſe je vous éuſſe eſcript por eus je n’éuſſe pas ſi toſt oÿ nouvelles. De ce que vous dites que je vous eſcript par gens eſtranges, je le fis tout à eſcient auſſi, pour ce que les gens, là ou nous ſommes à hoſtel, ſont ſimples gens & ne vous cognoiſſent ; ſi y pourroient penſer autre choſe qu’il n’y a ; & cils par qui je les fis bailler n’eſt pas eſtranges, car il eſt bien mes amis & me fieroie bien en luy de plus grant choſe. Et ſoiez certains que je ne le fis pour autre choſe du monde & ne doubtez mie ; car onques en ma vie je ne trouvay perſonne qui me blamaſt de choſe que je féiſſe pour vous[286]. Si, vous prie, tant acertes come je puis & ſi chier come vous avez le cuer, le corps & l’amour de moy, que vous n’aiez plus telles ſouſpeçons ſeur moy : car, par m’ame, vous ne me poez plus courrecier ou monde que de moy mettre fus ce que je ne penſay onques. Car, puis que je vous acointay, je n’os penſée de vous eſlongier, ne ne cuide mie que je l’aie toute ma vie. Et ſe vous ſaviez bien les penſées que j’ay de vous & à toutes heures, vous ne diriez mie que je vous éuſſe oublié. Car, ſe m’aïſt Dieus, je ne ſuis en nul eſtat qu’il ne me ſemble adès que je vous voie devant moy. Si ne vourroie pour nulle choſe que vous m’éuſſiez envoié les lettres qui eſtoient encloſes dedens les autres, lorsqu’elles furent eſcriptes. Car je ne cuide mie que vous me féiſſîez onques ne faciés jamais autant de bien come vous m’éuſſiez fait de mal. Et par Dieu encore, amaſſe-je mieus que vous vous en éuſſiez ſouffert[287]. Car je les commençay à lire plus de .x. fois, & ſi ne les pouvoie parlire, tant avoie le cuer courrecié & les yeus plains de larmes. Si les ay arſes & jetées au feu, afin que je ne les voie jamais : car elles me courreſſeroient toutes les fois que je les verroie. Si vous prie, mon tres-dous cuer, que vous vueilliez penſer de loyauté autant en moy come je fais en vous ; car, par ma foy, du petit & povre ſens que Dieus m’a donné, j’en ay fait à mon povoir ce que j’en ay fait pour le meilleur. J’ay éu .i. rondel noté que vous m’avez envoié ; mais je l’avoie autrefois éu & le ſcay bien.[288] Si vous prie que vous me vueilliez envoier des autres, & ſe vous avez nuls des virelaiz que vous féiſtes avant que vous m’éuſſiez veue, qui ſoient notez, ſi m’en vueilliez envoier, car je les ay en grant deſir de ſavoir, & par eſpecial L’ueil qui eſt le droit archier. J’ay trouvé en la laiette que vous m’avez envoié unes lettres cloſes qui aloient à vous. Si les ouvry pour ce que je ne ſavoie pourquoy vous les aviez envoies & trouvay que c’eſtoit une balade que on vous envoioit. Si la vous r’envoie pour ce que je penſe que vous ne la véiſtes onques, car elle eſt encores toute ſcellée. Mon tres-dous cuer, ſe il va vers vous des gens de par deçà, ſi leur faites bonne chiere, afin que quant vous venrez là ou je ſuis, qu’il vous cognoiſſent mieus. Je vous prie que vous me vueilliez eſcrire le plus ſouvent que vous pourrez ; & tant come je ſeray là ou je ſuis, ſi envoiez chiez le curé de Saint Pierre[289] à Bernart de Flourent ſon frere, tout ce que vous m’envoierez. Car il m’eſt avis que c’eſt le meilleur, ſelon le pays là où on eſt. Ma ſuer ſe recommande à vous. Je vous pry que vous me recommandez à mon frere, le voſtre. Mon tres-dous cuer, je prie à Dieu qu’il vous doint honneur & joie de quanque voſtre cuers aime. Eſcript le .ve. jour de may.[App. LXVI.]

Voſtre loial amie.
BALADE.

Ne ſoiez en nul eſmay,
Amis n’en merencolie,
Car tant come je vivray
Vous ſeray loyal amie.
Car amours qui tout maiſtrie
Veult que ſoie ſanz partir
Voſtre juſques au mourir.

Si vous pri que tenir gay
Vous vueilliez à chiere lie,
Et croire que ſans delay
Sur moy avez ſeigneurie
Tant com amans ſur amie
Puet avoir ; que ſans mentir
Voſtre ſuis juſqu’au mourir.

Et ſitoſt que vous verray,
Je vous promet & affie,
Que tous vos maus gariray
Et auſſi ſeray garie.
Que trop m’eſt tart que vous die,
Mon dous cuer qu’aim & deſir,
Voſtre ſuis juſqu’au mourir.

Quant de ma dame vi l’envoy,
Je dis : Helas dolens ! bien voy
Que j’ay vers ma dame meſpris,
Et qu’en autre maniere a pris

Ma lettre que je ne l’enten.
Elle m’avoit dit, tres-anten,[290]
Que cuers qui vrais amans ſe claime
Ne doit pas courcier ce qu’il aime ;
Mesfait ay, ſi l’amenderay
Se je puis, & reſponderay
À ſa complainte dolereuſe
Qui me ſemble moult amoureuſe.

COMPLAINTE.

Dame en qui j’ay mis toute m’eſperance,
Mon cuer, m’amour, mon deſir, ma plaiſance,
Tout mon penſer & toute ma fiance,
Se j’ay meſpris, ce fu par ignorance :
Qu’onques nel fis de certaine ſcience,
Ainſois le fiſt Amours qui mon cuer lance,[291]
Quant longtains fuis de vo douce ſemblance,
Dont en mon cuer remaint la remembrance.
Or me commande,

Doulce dame, que je le vous amende ;
Veſcy mon cuer, prenez-le pour amande.
Car il convient que li las en .ii. fende,
Se vo grace pers, dont Dieus me deffende !
Or me gart Dieus que plus ne vous offende,
Et que jamais n’envoie à vous ne mande
Lettre ne riens qui à vo pais ne tende,
Où il convient que je penſe & entende
Tant com vivray.

Car je vous aim, dame, de cuer ſi vray
Que mis en vous cuer & corps & vivre ay ;
Car c’eſt raiſon que jamais bien n’auray,

Et à martire & à douleur vivray,
Moy & mon cuer, quant premier l’enyvray
De voſtre amour, & que le deſſevray
De moy pour vous ; dont maint mal recevray,
Et maint ennoy nuit & jour ſouferray
Et mainte peine.

Car vraiement Deſirs trop fort ſe peine
De moy grever quant vous m’eſtes longtaine.
Et quant de moy vo dous cuer eſt prochaine,
Si doucement me contraint & demaine
Que je n’ay cuer ne corps ne nerf ne vaine
Qui ne tremble, dont ma parole eſt vaine :
Bien le ſavez, dame de grace pleine
Et de biauté, mille foiz plus qu’Helaine.
Helas, helas !

Et quant je ſuis ainſi pris en vos laz,
Se je vous pers je perdray tous ſolas,
Et s’en mourray dolens, triſtes & las.
Maiz, mon dous cuer, certes je n’eſpoir pas
Que voz dous cuer ne vueille mon treſpas,
Et qu’en tous lieus ne ſoit mes advocas ;
Et que Pitié, aſſez plus que le pas,
Ne viene à vous, s’elle ſcet mon treſpas.
Car, à voir dire,

Trop bien vous puis comparer ſanz meſdire
À la mouſche qui porte miel & cire.
Le miel eſt dous & le ſur à lui tire
Et l’adouciſt, homs nel puet contredire.
Tout enſement, vo dous cuer, Dieus li mire !
De tous mes maus eſt touſdis mon dous mire ;
Et en mon plour me fait liement rire,
Pour ce qu’adès vers lui toudis le tire.
Et, la cire art

Qui alume le monde, main & tart,
Plus que ne fait du tonnoirre l’eſpart.

Ainſi vos noms qui en mains lieus s’eſpart,
Le bien de luy à pluſeurs gens depart,
Et fait ſouvent .i. hardi d’un couart,
Et un ſage home & raſſis, d’un coquart,
Et les mauvais amender par ſon art,
À l’aïde de voſtre dous regart
Qui eſt ſans blaſme.

Ne fu vaillans Lancelos pour ſa dame,[292]
Triſtans, Paris & Percevaus qui ame
Ne congnoiſſoient de bien ? oïl, par m’ame !
Telz xv.m. en ſont mis ſoubs la lame,
Et xv.m. vivans que pas ne blaſme,
Qui n’éuſſent valu d’or une drame
Ou de poivre, ſe ce ne fuſt pour fame.[293]
Dont a cils bien cuer entort & eſclame,
Et de pute aire,

Qui ne s’aplique à leur ſervice faire.
Et pour ce à vous, tres-douce debonnaire,
Me ſuis donnés ſanz partir ne retraire,
Pour vous ſervir tous mes jours ſanz mesfaire,
Com à celle qui eſtes exemplaire
Des biens qu’on puet dire, penſer & faire.
Or vueille Amours que je vous puiſſe plaire !
Qu’en vous eſt tout de moy faire & desfaire.
Hé ! bonne & belle,

Pour vo biauté, chaſcuns hons vous appelle
Fleur d’humaine biauté & Toute belle,
Et en douceur douce com coulombelle,

En loyauté loyal com teurterelle,
En fine odeur printemps qui renouvelle,
Et en coulour roſe freſche & vermeille.
Honneur vous tient par l’eſtrier de la ſelle,
Sens vous conduit, raiſon vous eſt ancelle,
N’eſtableté en vous pas ne chancelle ;
En ce diſant tous li cuers me ſautelle.
Vous eſtes telle

Qu’en vous maint joie, & deduis s’i revelle :
Pour ce ſera Venus vo damoiſelle,
Et vous déeſſe, & ſerez plus haut qu’elle.
Juno ſera voſtre riche pucelle,
Auſſi Pallas, voſtre ſage baiſſelle,
Sans fineté :
Li Dieu feront feſte de la nouvelle,
Qu’il vous ſervent bonnement ſans cautelle ;
Et quant tous biens avez ſoubz voſtre aiſſelle,
Serez-vous donc à mon depri rebelle ?
Certes nennil, ains aray ma querelle,
J’en ſuis certains.

Quant Julius Ceſar fu des Rommains
En traïſon ocis, mors & eſtains,
Moult fu des Dieus & des Déeſſes plains,
Pour la tres-grant valeur dont il fu plains,
Deÿfiez fu de leurs propres mains.
Et d’Ercules ne firent-il pas mains,
Qui tant cercha mons, valées & plains,
La mer profonde & les païs lontains ;
Et qui deſtruit Troies, li primerains,
Qui fu des Dieus après ſa mort prochains,
Et à leur deſtre.

Si que, dame, vous y devez bien eſtre,
Car vous avez, à deſtre & à ſeneſtre,
Honneur, raiſon, & ſens voſtre bon maiſtre,
Et tous les biens que Nature fait naiſtre.
N’avec les Dieus n’a preſtreſſe ne preſtre

Qui ſcéuſt rien amender en voſtre eſtre :
Pour ce, ſuis ci voſtres, par ſaint Seveſtre,
Qu’avec les bués me povez faire paiſtre,
À voſtre guiſe,

Si que, dame que chaſcun loe & priſe,
Que j’aim & ſers loyaument ſanz ſaintiſe,
D’un cuer vous pri, qu’Amours art & atiſe,
Qu’en gré pregniez mon tres-petit ſerviſe.
Et ſe j’ay fait riens que vo cuer deſpriſe,
Vueilliez-le moy pardonner par franchiſe ;
Et je vous jur & promet par l’Egliſe,
Qu’ainſois courroit parmy Damas Tamiſe,
Que ma penſée ailleurs qu’à vous ſoit miſe.

Mais encor ne me puis-je taire :
Ainſois vous vueil dire & retraire
De Julius Ceſar la fin.
Li Dieu furent de lui affin[294]
Si fort qu’une eſtoile en féirent,
Et en firmament l’aſſéirent,
Aſſez près de la Treſmontaine,
Qui eſt une eſtoile haultaine
Qui par nuit le monde enlumine
De ſa clarté qu’eſt pure & fine.
À li repprennent leur avis
Li maronier, ce m’eſt avis.
Quier en l’iſtoire des Romains,
Là le verras, ne plus ne mains.
Li Dieu de vous auſſi feront
Une eſtoile, & vous metteront
En firmament, dalès l’eſtoile
Qui a fait retourner maint voile ;
Si qu’à vous bon avis penra
Qui à bon port venir vorra.
Et, tout ainſi com le biau monde,

Vo grain bonté, qu’eſt pure & monde,
Enlumine, enluminerez,
Quant des Dieus là miſe ſerez.
Ainſi ſerez glorifiie,
Dame, après ceſte mortel vie,
Et en grace du roy celeſtre
Qui fu, ſur tous dieus, ſire & maiſtre.

Veſcy la reſponſe de fait[295]
Que j’ay à ſa complainte fait.
Mais nulle rime n’y ay priſe
Qui ſoit à la ſienne compriſe ;
Et ſi n’eſt mie de tel mettre.
Après li eſcris celle lettre :


XXXIII. — Mon tres-dous cuer & ma tres-douce amour & ma tres-chiere dame, j’ay bien veu ce que vous m’avez eſcript ; ſi ne vous devez point mervillier, ce m’eſt avis, de ce que je vous ay envoié enclos en mes lettres : car vous ſavez bien que cuer qui ſent l’amoreus point n’eſt mie tousjours en .i. point, ains a moult de diverſes penſées & de ſauvaiges ymaginacions. Et li bon cuer ferme & loial monſtrent comment il leur eſt, ſans nulle couverture. Et, par m’ame, mon tres-dous cuer, onques m’entencion ne fu que je vous envoiaſſe les lettres ſéellées, dont vous eſtes un po méue contre moy. Et, touteſvoies, je l’ay fait par quoy vous ſcéuſſiez à quel meſchief j’ay eſté des lettres & du mandement que vous me mandaſtes par Th.[296] voſtre frere. Et, mon dons cuer, pour Dieu vueilliez me tenir pour excuſé & ne vueilliez penſer nullement que je ne vous tiengne pour bonne & pour léal : car, par m’ame, ſe je ſavoie le contraire, je ne vous lairoie mie pour ce à amer, mais jamais n’aroie joie. Mais ainſi, (come autres fois vous ay eſcript,) ce que je ne ſuis mie digne de vous amer me donne trop de pointures & de penſées dont je n’euſſe meſtier. Touteſvoies je m’atens & fie en voſtre bonté : car je n’ay nul autre fors moy & ma loyauté, qui m’aidera touſdis, ſe Dieu plaiſt, envers vous. Et ſe Dieus me doint joie, je vous aime tant, & priſe tant l’onneur & la bonté de vous, qu’il ne me puet ſembler que vous aiez pareille. Si ne ſaroie penſer qu’il peuſt avoir nul mal en vous, & vous tiens bien pour excuſée de tout ce que vous m’avez mandé.[297] Et auſſi j’ay moult grant joie de ce que on ne vous diſt onques choſe de my par quoy je déuſſe laiſſier à envoyer vers vous ne vous vers moy. Et auſſi, je penſe certainement que tout ce que vous en avez fait & faites, c’eſt pour le meilleur. Et ſe vous dites que je vous mette ſus choſe que vous ne penſaſtes onques & que vous ne me pourriez oublier ne laiſſier, pardonnez-le moy s’il vous plaiſt ; car, en l’ame de moy, en tout le ſiecle je n’ay penſée que à vous, ne je ne pourroie ne ſaroie amer ne deſirer autre que vous ; & ce eſt ſans partir ne muer. Et, par Dieu, je me ſuis cent fois repenti des lettres que je vous envoiay. Et, mon tres-dous cuer, je vous promet & jur loyaument que ſe jamais vous ne m’eſcriſiez ne n’envoiez vers moy, ne ſe jamais je ne vous véoie, (dont Dieus me gart !) jamais je ne vous eſcriray, diray ne commanderay choſe dont vous doiez courrecier à mon povoir. Et, ſe Fortune ou li temps me ſont contraire, je ſoufferray au mieus que je porray & ſi en lairay Amours convenir. Mon tres-dous cuer, j’ay fait le rondel ou voſtre nom eſt, & le vous éuſſe envoié par ce meſſaige : mais par m’ame je ne l’oÿ onques[298] & n’ay mie acouſtumé de bailler choſe que je face, tant que je l’aye oÿ. Et ſoyez certaine que c’eſt une des bonnes choſes que je féiſſe, paſſé a .vii. ans à mon gré.[299] Vous me mandez que je vous envoie noté L’ueil &c. Plaiſe vous ſavoir que j’ay eſté ſi enbeſongnés de faire voſtre livre & ſuis encores, & auſſi des gens du Roy, & de monſeigneur le duc de Bar qui a géu en ma maiſon, que je n’ay peu entendre à autre choſe. Mais je vous envoieray bien toſt & par certain meſſaige ce qui eſt fait de voſtre livre & voſtre rondel auſſi. Mais je vous pry, ſi cher que vous m’amez, que vous ne monſtrez le livre que à gens qui ſoient trop bien de voſtre cuer ; & ſe il y a aucune choſe à corrigier, que vous y faites enſeignes. Car il vous a pleu que je y mette tout noſtre fait, ſi ne ſcay ſe je y met ou trop ou po : & ſachiez voſtre rondel s’il vous plaiſt ; car je l’aime trop. Quant vous arez voſtre livre, ſi le gardez chierement, car je n’en ay nulle copie & je ſeroie courrecié s’il eſtoit perdu & ſe il n’eſtoit ou livre ou je met toutes mes choſes.[300] Adieu mon dous cuer, qui vous doint honneur & joie de quanque voſtre cuer aime, & nous doint grace que nous nous puiſſons brieſment veoir : ſi ſeront acompli tout mi deſir. Eſcript le ixe jour d’octembre.[301]

Voſtre loial amy.

Quant ma dame oÿ m’eſcuſance,
Elle ne fiſt mie doubtance
Que tout ce ne fuſt verité
Que j’ay cy devant recité.
Si me pardonna bonnement
Le mesfait, & dit doucement,
Que ſe jamais la meſcréoie,
Si toſt le pardon pas n’aroie ;
Qu’en amours jà bien ne fera
Jalous, ne loyaus ne ſera :
Car touſdis tent à eſprouver
Ce qu’il ne voudroit pas trouver.
Cy-après verrez l’eſcripture
De ma dame plaiſant & pure.


XXXIV. — Mon tres-dous cuer & ma douce amour & mon loyal amy, jay bien veu ce que vous m’avez eſcript, que jamais vous ne ſerez en doubte ne ne penſerez que je vous oublie. Et par ainſi, je vous pardoin ce que vous m’avez mesfait. Mais ſe vous y renchéez plus, je croy que je ne le vous pardonneray pas ſi legierement ; que, par ma foy, je ne penſe pas à faire choſe à mon povoir de quoy vous doiez eſtre en doubte. Mais vous dites trop mal de ce que vous dites que vous n’eſtes pas dignes de moy amer, car, par ma foy, ſi eſtes à mon gré meilleur cent fois que je ne ſuis pour vous ; & ſi me tieng de vous à mieus aſſenée que du plus grant ſeigneur du royaume de France. Je vous prie que vous m’envoiez voſtre livre par ce meſſagier, & ne doubtez, car je le garderay bien. Et auſſi, vous me poez ſeurement eſcrire par ce meſſaige. Si vous prie que vous li faciez bonne chiere & je vous en ſauray tres-grant gré. Je prie à Noſtre Seigneur qu’il vous doint honneur & joie de quanque voſtre cuer aime. Eſcript le xxviiie jour d’octembre.

Voſtre loial amie.

Or avez-vous oÿ comment
Celle qui m’a en ſon commant
Sera des déeſſes ſervie,
Et en la fin glorifiie,
Et faite eſtoile en firmament
Des Dieus, pour luire clerement,
Et pour le monde enluminer
De ſon bien qu’on ne puet miner ;
Et comment joie me donna,
Quant doucement me pardonna
La villenie & le mesfait
Qu’envers li avoie mesfait.
Et ſe jà Dieus joie me doint
D’elle, & mes pechiez me pardoint,
Je ne voulſiſſe querre don
Fors ſa pais, pour tout guerredon.

Si me tins aſſez longuement,
Que n’avoie pas l’aiſement
D’envoyer vers ſa douce face
Qui toutes mes douleurs efface.
Toutevoie j’y envoiay,
Et ce livre moult fort loiay
En bonne toile bien cirée,
Que la lettre n’en fuſt gaſtée.
Voire, ce que fait en avoie,
Ce li tramis de ceſte voie,
Et un rondel que ſouvent chant,
Dont je fis le dit & le chant.
Et ſi, mis ſon droit nom par nombre
Entierement, qui bien le nombre ;
Et une lettre bien eſcripte
De vray ſentement faite & ditte.

Si reçut tout à grant deſduit
Et au lire moult ſe deduit.
Veſcy la lettre, liſiez-la,
Pour ce que la Tres-belle l’a.


XXXV. — Mon tres-dous cuer, ma chiere ſuer & ma tres-douce amour, j’envoie par devers vous pour ſavoir voſtre bon eſtat, lequel Noſtre Seigneur vueille tousjours faire ſi bon come vous voudriez & come je deſire de tout mon cuer ; car, par Dieu, c’eſt une des choſes de ce monde que je plus deſire que d’en oïr bonnes nouvelles & vous veoir auſſi. Et du mien, s’il vous plaiſt à ſavoir, plaiſe vous ſavoir que, la mercy noſtre Seigneur, moy, mon frere & nous tous eſtions en bon point quant ces lettres furent eſcriptes. Et, mon tres-dous cuer, ſe je n’ay envoié par devers vous ſi toſt come je déuſſe, ſi le me vueilliez pardonner : car Dieus ſcet que ce n’a mie eſté par deſfault d’amour ne de bonne volenté. Car monſeigneur le duc de Bar & pluſeurs autres ſeigneurs ont eſté en ma maiſon : ſi y avoit tant d’alans & de venans, & me couchoie ſi tart & me levoie ſi matin, que je ne l’ay peu amender ; ne de jour n’y povoie entendre, ne à voſtre livre auſſi ſe po non, dont moult me poiſe : lequel je vous envoie par ce meſſaige, ce qui en eſt fait. Si vous prie ſi chierement come je puis & ſçay, que vous le vueillez bien garder, & le me vueillez renvoier, quant vous l’arez leu, par quoy je le puiſſe parfaire : car je ſeroie trop courrecié ſe tel peine & ſi grant come je y ay miſe & entens à mettre eſtoit perdue. Ores vient le fort & les belles & ſubtives fictions dont je le penſe à parfaire,[302] par quoy, vous & li autre le voiez volentiers, & qu’il en ſoit bon memoire à tousjours-mes. Et ſachiez qu’il n’y fault mais à mettre que les lettres que vous m’avez envoïes & je à vous, puis que vous partiſtes.[303] Renvoyez-moy la lettre que je vous envoiay derreinnement. Mon tres-dous cuer, vous m’avez eſcript & commandé pluſeurs fois que je ſoie liez & joieus ; &, ſi chier come je vous aime, il ne vous plaiſt que je me pleingne de choſe que j’endure pour vous. Si, vous plaiſe ſavoir que ce m’eſt trop dure choſe à faire. Et auſſi, voſtre livre avera nom le Livre dou Voir dit ; ſi, ne vueil ne ne doy mentir. Et, mon dous cuer, veſcy pourquoy ce m’eſt trop dure choſe. Je ſcay bien que je ne vous puis à piece[304] veoir ; &, ſe je volois aler vers vous, je ne cognois homme ne femme au lieu ou vous demorez. Et ſe j’envoie vers vous, il le me convient faire par gens eſtranges qu’onques ne vy ; ne n’eſt créature qui me ramentoive à vous ; ne il n’appartient mie que vous veingniez à mi ; & ſe je en devoie eſtre la tierce fois reſuſcités de mort, ne le porriez vous faire.[305] Et auſſi vous ſavez bien que je ne ſcay faire que de ſentement :[306] & coment pourray-je faire joieuſement, & vivre dolereuſement ? Par m’ame, ce m’eſt fort à faire. Maiz je reſſemble le meneſtrel qui chante telle foi en la place, & il n’y a plus dolent de lui. Et pour ce, il me ſemble que Amours & porter la haire ceſt auques tout un meſtier.

Trop font de peine & de haire,
Amours & porter la haire.

Or le faites, ſil vous plaiſt, mon dons cuer, que au mains, par voſtre grace, je me puiſſe plaindre & complaindre tous ſeuls ; car, par m’ame, je ne m’ay à qui complaindre de mal ne de peine que je ſueffre pour vous. Et auſſi que, par voſtre grace, je puiſſe faire du ſentement qui me venra, ſoit de doleur ſoit de joie. Et, s’il le vous plaiſt à faire, j’en porteray plus legierement les cruautez de Fortune & mon amoureus mal ; car cils eſt trop batus qui ne s’oſe plaindre. Et, mon tres-dous cuer, encores y a pis : car ce riche treſor dont je porte la clef, j’en uſe ainſi come cils qui eſt rois, & nuls ne le ſcet que lui ; ſi n’a nul bien de ſon royaume, & reſemble Tantale qui muert de ſoif & qui eſt en l’yaue juſques au menton, & ne puet boire ; & le riche aver qui a tout le treſor du monde & n’y endure à touchier, ains a grant deffaut d’encoſte.[307] Mais ce me grieve trop que Raiſon m’a dit que Dangier[308] porte une clef de ce treſor avec moy, & que je ne le puis deffermer ſans li ; & auſſi que Argus à tous ſes .c. yeux ne fait que regarder & eſpier que nuls n’y atouche,[309] & s’il en véoit aucune choſe oſter, il le diroit tantoſt à Malebouche, qui le chanteroit à note par tous les quarrefours dou païs. Si n’y voy rien de bon pour mi, fors que Raiſon s’accorde à Bonne amour. Mais c’eſt choſe qui ne puet eſtre. Et, mon dous cuer, mes derreniers confors & refuges eſt tels que je ſcay bien que, quant il vous plaira & Dieu, avenra la bonne heure ; que vous eſtes ſi bonne & ſi douce que Dangier n’oſera groucier contre voſtre douceur. Et ſi eſtes ſi ſaige que vous endormirez Argus, ſi qu’il ne verra nez que une taupe. Et par ce, Malebouche ſe taira. Si que, mon dons cuer, vous véez bien que ma mort & ma vie, mon deduit & ma joie, ma doleur & ma ſanté giſt en voz mains & en voſtre ordenance ; & en povez ordener come de ce qui eſt voſtre, ſanz rien retenir. Mon tres-dous cuer, je vous envoie le chant du rondel où voſtre noms eſt, & a convenu par force que je l’aie baillié ailleurs avant que à vous ; car li eſtranges qui eſtoient à Reins ne m’en laiſſoient en pais. Et ſachiez certainement que paſſé a .vii. ans, je ne fis ſi bonne choſe ne ſi doulce à oïr ; dont j’ay grant joie, quant je y ay ſi bien aſſené pour l’amour de vous. Et pour ce que voſtres noms y eſt, ſi vous prie, ſi chier que vous m’amez, que vous le vueilliez ſavoir, ſe vous poez, & ne dictes à nulluy comment voſtres noms y eſt ; car je n’en feroie plus de ceſte maniere ; & laiſſiez muſer les muſeurs.[310] Je vous fais faire aucune choſe à Paris, laquelle je ne puis avoir ſi toſt que je cuidoie, pour la mortalité ;[311] maiz ſitoſt come je l’aray je la vous envoieray. Mon tres-dous cuer un chevalier[App. LXX.] vint à my n’a pas granment qui me preſſoit trop fort que je vous eſcriſiſſe, & ne m’apportoit vraies enſeignes de vous ; & pour ce j’en tins pou de compte & li reſpondi eſtrangement. Si, ne vous en tenez pas mal apaïe, je vous en pry, car par m’ame ce fu cils qui me donna matere de eſcrire : Longue demorée fait changier amy, dont je vous ay prié merci, & fais encores tres-humblement. Ma tres-chiere ſuer, je penſe à eſTre à ceſte Touſſains à Saint Quentin, & de là aler vers monſeigneur le Duc,[312] & ne ſcay com longuement il me vorra tenir, quant je ſeray vers ly. Et ne vous tenez pas à malpaïe ſe je n’envoie ſi brieſment vers vous ; car de tout ce j’en feray à votre ordenance & ſelon ce que vous me manderez par ce meſſaige. Je vous envoie la balade T. Paien, & la reſponfe que je li fais, laquelle je fis en preſent ; mais il fiſt devant, & priſt toute la graiſſe du pot à ſon pooir, & la fis après : ſi en jugerez, ſil vous plaiſt. Mais vraiement il avoit l’avantage de trop, & touteſvoies je y feray chant. Si, ne les bailliez à nullui, je vous en prie. Et, toutevoie me diſt-il une fois que s’il n’éuſt ailleurs à faire, je n’y fuſſe jamais venus à temps. Et onques mais ne le vous vos dire ne eſcrire pour eſchiver voſtre courrous & pour la fiance que j’ay en voſtre bonté. À Dieu, mon tres-dous cuer & ma tres-chiere ſuer qui vous doint le bien & l’onneur & la joie que je vorroie, & grace que nous nous puiſſiens brieſment veoir. Et, mon dons cuer, ſe je vous eſcri[313] trop brieſment, pardonnez-le moy. Eſcript le xviie jour d’octembre.

Voſtre loial amy.
RONDEL. et y a chant.

Dis & ſept, v, xiii, xiiii & xv,[314]

M’a doucement de bien amer eſpris.
Pris a en moy une amoureuſe prinſe,
.x. & vii. v. xiii. xiiii. & xv.
Pour ſa bonté que chaſcun loe & prinſe
Et ſa biauté qui ſeur toutes ont pris,
.x. & vii. v. xiii. xiiii. & xv,
M’a doucement de bien amer eſpris.

Ainſi envoiay à ma dame,
Que Dieus gart en corps & en ame !
Et brieſment la reſponfe orrez
Si la lirez quant vous vorrez.

LA DAME.

XXXVI. — Mon tres-dous cuer & mon loial amy, j’ay eu ce que vous m’avez envoié par voſtre vallet, & ne doubtez ; car je garderay bien voſtre livre. Mon dous cuer, vous m’eſcrivez que vous ne me povez veoir juſques à longue piece, ne venir là où je ſuis ; & auſſi ne vouldroie-je mie que vous y veniſſiez. Et de ce vous souffrez moult de peine, & j’en ſuis certeinne ; & le ſay bien par moy-meiſmes, car je ne m’ay à qui complaindre, né que vous avez ; & c’eſt une choſe qui trop nous fait de mal. Et auſſi vous m’eſcriſiez que par mon gré vous puiſſiez complaindre de voz doleurs à vous tout ſeul ; ſachiez qu’il me plaiſt bien, mais que vous aiez en vous reconfort & bonne esperance ; & penſer que tout autel ſent-je come vous faites, ne jour de ma vie je ne vous oblieray. Vous m’eſcriſiez auſſi qu’il vous grieve trop de ce que Raiſons vous dit que Dangier[315] porte la clef par deſſeur vous, du treſor dont vous l’avez, & que ſans li vous ne pourriez avoir nuls des biens qui y ſont : maiz n’aiez de ce doubte ; car j’en cuide bien chévir à l’aide de vous. Car je ſay l’amour que vous avez à my est ſi loial & ſi honneſte, que vous n’oſterez jà des biens du treſor riens de quoy il amenriſſe, ne de quoy Dangier doive groncier. Et pour ce, je ne doubte riens Argus, car ſe il avoit encor autant de yeus que il a, n’y verra-il jà choſe de quoy Malebouche doie meſdire. Si ne doubtez que quant il plaira à Dieu que je vous voie, que je les lieray ſi qu’il n’en y aura nuls qui oſe groucier. Mon dous cuer, vous m’eſcrivez que vous ſerez à ceſte Touſſains à Saint Quentin, & de là vers Monſeigneur le Duc. Pourquoy je penſe bien qu’il ſera avant grant piece que je oye nouvelles de vous ; & auſſi ne penſé-je pas que je demeure ci longuement ; mais penſe à aler brieſment aillours ; & ſitoſt come je y ſeray, je l’eſcriray à mon frere, qui le vous fera ſavoir. Et auſſi vous prie que vous li eſcrivez de voſtre eſtat & li mandez qu’il le me face ſavoir. J’ay bien veu ce que vous m’avez eſcript de Thommas, & quant il plaira à Dieu que je vous voie, je vous diray tout ce qu’il en fu, & auſſi le vous ſara bien à dire H. J’ay receue unes lettres leſquelles vous envoiez audit Henri ; mais je ne ly envoieray mie, pour ce que je ne ſcay où il eſt, & ſi, croy mieus que j’en feray le meſſaige que autres. Je vous envoie la darreniere lettre que vous m’envoiaſtes, pour ce que vous le m’aviez mandé ; mais je ne vous envoie pas voſtre livre pour ce que je ne l’ay encores leu. Mais quant je l’aray leu, je le vous envoieray. Mon tres-dous cuer, je prie à Noſtre Seigneur qu’il vous doint bonneur & joie de quanque voſtres cuers aime. Eſcript le jour Saint Symon & Saint Jude xxviiie jour d’octembre.

Voſtre loial amie.


Bien avez véu l’eſcripture
De ma dame plaiſant & pure,

Qui eſt parfaite ſans deffaut
De quanque à Bonne & belle faut.
Si me ſemble qu’en ſa reſponſe
N’a pointure, eſpine ne ronſe,
Ne choſe qui face à blaſmer.
Ainz eſt tout dous, ſanz riens d’amer.
Dont moult voulentiers la véoie,
Et au lire me delitoie,
Pour ce qu’entre piez avoit mis
Les plus grans de mes annemis,[316]
Si qu’il ne feront jamais grongne
De bien que ma dame me dongne.
Car je les reſſongnoie fort
Pour ce qu’il eſtoient trop fort
Et trop puiſſant encontre my,
Dont j’ay pluſieurs fois dit : aimy !
Maiz Deſir qui ſanz dormir veille,
N’en mon cuer onques ne ſommeille,
Me vint dire & ramentevoir
Que je ne faiſoie pas devoir,
Et qu’il ne me lairoit durer
Ains me feroit tant endurer
Que ſouſtenir ne le pourroie,
Se tour ne voie ne queroie
Comment ma douce amour véiſſe ;
Car il me tenoit trop pour niſſe,
Si qu’en moy toudis acroiſſoit,
Et Amours pas ne deſcroiſſoit ;
Qu’Amour & Deſir, ce me ſemble,
D’une laiſſe courent enſemble :
Et quant li deſirs amenrit,

Cuers qui fauſſement aime en rit,
Et cuers qui aime loyaument,
En pleure ; car certainement
L’un ou l’autre convient acroiſtre,
Entre les mondains & en cloiſtre.
Et de tel piet & de tel dance
Com li uns va, li autre dance.

Si me pris tous ſeuls à complaindre,
Et de mon grant deſir à plaindre,
Si que profondement penſoie,
Et en penſant ymaginoie
À ceuls dont j’ay devant parlé,
Ce ſont Piramus & Tisbé.
Il furent enclos en .ii. tours,
Si qu’il ne fu voie ne tours
Qui leur oeil péuſt avoier
Pour euls enſemble esbanoier.
Trop leur deſplaiſoit cils demours,
Si que force & rage d’amours
Dont il eſtoient yvre & plain
Fiſt tant qu’il iſſirent ad plain,
Pour euls deſduire & ſolacier,
Baiſier, acoler, embracier :
Et en la fin en furent mort,
Enſemble de piteuſe mort.

Amours Leandon ſi laçoit[317]
Qu’un bras de mer à no paſſoit,
Pour véoir ſa dame & s’amie,
En la fin en perdi la vie.

Ne paſſa le pont de l’eſpée
Lancelos, pour la bien amée
Genievre qui eſtoit royne,
Qui tant s’amerent d’amour fine
Que leur amour, dont ce fu perte,
En fu ſcéue & deſcouverte ?[318]

Ne ſe fiſt porter en un ſac
Jadis li fils Pierre Touſac,[319]
Par un ribaut qui, ſur la greve,
Portoit une affautrure en greve ?
Oïl, pour véoir vis à vis
De ſa doulce dame le vis.
Certes ce fut fait à Paris.

Ne paſſa haulte mer Paris,
Pour véoir & ravir Helaine ?
Et de Vergi la Chaſtelaine,
Ot moult de haire au chiennet duire,[320]

Pour elle à ſon amy deduire,
Et pour lui véoir à loiſir,
Douleement & à ſon plaiſîr ;
Mais, finalment, elle en fu morte,
Et cil, de l’eſpée qu’il porte.

Auſſi Paris en fu deſtruis,
Einſi come en eſcript le truis.

Li dieu qui par amours amoient,
Leurs formes en autres muoient,
Et ſi muoient leurs amies
Souvent en vaches ou en pies,
Ou ainſi come il leur plaiſoit ;
Chaſcuns à ſon vueil le faiſoit.
Mais, quant devers elles eſtoient,
Leurs propres formes reprenoient,
Pour mener plus ſecretement
Leurs amours & plus ſagement.

J’ay les oreilles & les temples
Toutes plaines de tels exemples
Pour ce di, & ſi n’en doubt mie,

Sans lober & ſans tricherie,
Que s’à un en voy bien chéoir,
J’en voy à .xii. meſchéoir.
Dont qui puet au moien venir,
C’eſt le plus ſéur à tenir ;
Car c’eſt uns grans perils, par m’ame,
De trop ou po véir ſa dame,
Et aventure d’enchéir
En ce qu’on ne vorroit véir.
Car le trop eſmuet les paroles
Des meſdiſans, rudes & foles,
Qui ſont en amours neceſſaire ;
Las ! & ſi ne ſe pevent taire
Pour le hanter qu’i fait l’amour.
Et aucune fois lonc demour
Engendre ſouvent & attrait
Que dame d’amer ſe retrait.
Or me gart Dieus de tel encontre !
Car dire n’oſeroie contre.

À toutes ces choſes muſoie,
Et ès exemples me miroie,
Que j’ay dit qui ſont advenu,
Et qu’on voit, ſouvent & menu.
Mais riens n’y poroie trouver,
Que pour bon péuſſe prouver,
Aſin que ma dame véiſſe.
Si me penſay que j’eſcriſiſſe,
Et que devers elle envoiaſſe
Pour eſſaier s’en li trouvaſſe
Por qu’elle y péuſt conſeil mettre.
Si fis eſcrire ceſte lettre ;
Mais n’oubliay pas ces .ii. choſes,

Qui furent en ma lettre encloſes ;[321]
Et furent miſes par eſcript :
.T. fiſt devant, plus n’en eſcript ;
Et le mieus & le plus qu’il pot,
Print toute la greſſe du pot,
Si qu’il ot aſſez l’aventage
De faire millour ſon potage.
Et je reſpondi par tel rime
Et par tel metre come il rime.
Et ſi ay fait les chans tous .iiii.
Pour elle deſduire & esbattre :
Ne homs vivans tant fuſt amis
N’es avoit, quant je li tramis ;
Car pour elle eſtoit jà li fais
De ces .ii. dis, lonc temps a, fais.
Or ay fait le chant ſi preſent ;
Pour ce humblement li preſent.

BALADE. Et y a chant.
THIBAUT.

Quant Theſéus, Hercules & Jaſon
Cerchierent tout, & terre & mer profunde,
Pour acroiſtre leur pris & leur renon,
Et pour véoir bien tout l’eſtat dou monde,
Moult furent digne d’onnour :
Mais, quant je voy de biauté l’umble flour,
Aſſevis ſuis de tout, ſi que par m’ame,
Je voy aſſez puis que je voy ma dame,

Car en véant ſa biauté, ſa façon,
Et ſon maintieng qui de douceur ſeuronde,
J’y preng aſſez bien pour devenir bon,
Car le grant bien de li en moy redonde,
Par grace de fine amour,
Qui me contraint à haïr deshonnour
Et tout vice : ſi puis dire, par m’ame,
Je voy aſſez puis que je voy ma dame.

Véoir ne quier la dorée toiſon,
Ne les Indes, ne de Rouge mer l’onde,
N’aus infernaus penre guerre ou tenſon,
Pour eſlongier le regart de la blonde
Dont me vient joie & baudour,
Et dous penſer. Mais tieng pour le millour
Qu’à tout compter & bien peſer à drame,
Je voy aſſez puis que je voy ma dame.

RESPONSE G. DE MACHAUT.

Ne quier véoir la biauté d’Abſalon,
Ne d’Ulixés le ſens & la faconde,
Ne eſprouver la force de Sanſon,
Ne regarder que Dalila le tonde.
Ne cure n’ay, par nul tour,
Des yeux Argus, ne de joie gringnour,
Car Plaiſance ay & ſans aïde d’ame,
Je voy aſſez, puis que je voy ma dame.

De l’image que fiſt Pymalion
Elle n’avoit pareille ne ſeconde,
Mais la belle qui m’a en ſa priſon
c. mille fois eſt plus belle & plus monde[322].
C’eſt uns drois fluns de douçour
Qui puet aſſez garir toute doulour.

Dont cils a tort qui de dire me blaſme :
Je voy aſſez puis que je voy ma dame.

Si ne me chaut du ſens de Salemon,
Ne que Phebus en termine ou reſponde,
Ne que Venus s’en meſte, ne Menon
Que Jupiter fiſt muer en aronde.
Car je dy quant je l’aour
Aim & deſir, ſers & crain & honnour,
Et que s’amour ſur toute riens m’enflame :
Je voy aſſez puis que je voy ma dame.

XXXVII. — Mon tres-dous cuer, ma douce ſuer & ma tres-douce amour, j’ay receu vos lettres par mon vallet qui m’a dit de voſtre bon eſtat, duquel j’ay plus grant joye que de choſe en ce monde. Et du mien, s’il vous plaiſt à ſavoir, j’eſtoie en bonne ſanté de corps, la mercy Noſtre Seigneur qui ce vous ottroit, quant ce fu eſcript. Je ne ſuis pas alés à Saint Quentin, ne vers Monſeigneur le Duc, pour aucuns ennemis qui ſont en Beauveſis. Si le m’a-on deſconſillié ; pour laquelle choſe je ſuis demourés. Mon tres-dous cuer, ma douce ſuer & ma tres-douce amour, vous ne m’avez mie eſcript de mon livre ne de mes .ii. balades jugié,[323][App. LXXI.] que je vous ay envoïe, dont je fis l’empriſe pour vous, comment que je ordenaſſe que li autres féiſt premiers. Et n’eſt avis que vous m’avez eſcript plus brieſment que vous n’avez acouſtumé. Si ne ſay ſe vous avez loiſir ou ſe vous le faites pour ce que je vous eſcrive plus brieſment. Mais c’eſt une choſe que je feroie à malaiſe ; car quant je commence, je n’y puis faire fin. Mon dons cuer, ma chiere ſuer & ma tres-douce amour, je vous pri que vous gardez bien mon livre, & que vous le monſtrez à meins de gens que vous pourrez. Et s’il y a aucune choſe qui vous deſplaiſe, ou qui vous ſemble qui ne ſoit mie bien, ſi y faites un ſignet & je l’oſteray & amenderay à mon povoir. Mon dons cuer & ma tres-douce amour, je croy que li uns des grans biens & la millour fortune qu’Amours & Fortune donnent aux amoureus eſt d’amer près de luy ; & li plus grans meſchiés eſt amer long, & je m’en ſcay bien à quoy tenir & je croy que auſſi faictes-vous. Car ſe ce ne fuſt, je ne voſiſſe plus ſouhaidier en ce monde fors vivre pour vous veoir à mon gré & vous ſervir. Si penſe tant comment on y porroit mettre remede que c’eſt une des plus grans penſées que j’aye. Mais je n’y voy tour s’il ne vient de vous. Et, mon tres-dous cuer, vous ſavez comment Piramus & Tysbé, que on avoit enfermé en divers lieus pour ce que il ne ſe véiſſent, quirent voie par quoy ils ſe péuſſent veoir ; comment Leandon paſſoit un bras de mer à no pour aler veoir ſa dame, que autrement n’y pooit aler ; & comment la Chaſtellaine de Vergi quiſt voie pour aler veoir ſon amy, & comment Lancelot paſſa le pont de l’espée. Et tout ce faiſoient pour l’amour des dames. Et, mon tres-dous cuer, comment que je ne ſoie mie ſi bon come il furent, il n’eſt choſe en ce monde que mes corps péuſt ſouffrir que je n’entrepréiſſe à faire à voſtre commandement, & par quoy je vous péuſſe veoir. Car voſtre parfaire biauté & voſtre fine douceur qui attrait moy & mon cuer auſſi come l’aymant attrait le fer, trairoient moy & mon cuer à eus ſi doucement, que riens ne me porroit grever, que je féiſſe à voſtre dous commandement. Et vous eſtes ſi ſage & ſi ſavez bien tant, que Aſſez rueve qui ſe va complaignant ; car je n’y ſaroie mettre conſeil ſe il ne vient de vous. Mon tres-dous cuer, je vous envoie les .ii. balades que vous avez véues autrefois qui furent faites pour vous, par eſcript. Si vous ſuppli humblement que vous les vueilliez ſavoir : car je y ay fait les chans à iiii, & les ay pluſeurs fois oïs, & me plaiſent moult bien. À Dieu, mon dous cuer, ma chiere ſuer & ma tres-douce amour, qui vous doint parfaite joie de ce que voſtre cuer aime, & bonne vie & longue ; & nous doint temps & lieu que nous nous puiſſons brieſment veoir. Eſcript le iiie jour de novembre.

Voſtre loial amy.


Après ceſte lettre preſente,
Ne fiſt une moult longue attente
Ma dame bonne & belle & ſage ;
Ainſois delivra mon meſſage
Si brief, que ce fu la journée
Que ma lettre lui fu donnée.
Et m’envoia ce rondelet
Avec un tres-bel anelet :

Tant com je ſeray vivant
Vous ſeray loyal amie,
Loing de vous & en preſent,
Tant com je ſeray vivant.
De ce ne ſoiez doubtant,
Amis, que je vous affie,
Tant com je ſeray vivant
Vous ſeray loyal amie.

BALADE.

Se par Fortune, la laſſe & la deſvée,
Qui onques n’eſt eſtable ne ſéure,
Mes dous amis fait longue demourée,
Et m’eſt loingtains par aucune aventure,
N’eſt pas raiſon que l’en ſoie plus dure,
Ne que le doie oublier ne guerpir.
Car cuers donnez ne ſe doit retollir.

Certaine ſuis que toute ſa penſée,
Tout ſon deſir eſt, & toute ſa cure,

Comment il puiſt faire brief retournée,
Et que, par ce, ſouvent grief peine endure.
Dont ſe je fais mon devoir, par droiture,
Je le doy bien pour excuſé tenir,
Car cuers donnez ne ſe puet retollir.

Je ſuis de li en tous lieus honourée,
Et par ſon bien mon honneur croiſt & dure ;
Or ſoit certains, tant com j’aray durée,
Je l’ameray de loial amour pure.
Ne je ne croy qu’où monde ait créature
Qui m’amour puiſt de lui faire partir,
Car cuers donnez ne ſe puet retollir.

XXXVIII. — Mon tres-dous ceur, ma tres-douce amour & mon tres-chier amy, j’ay receu vos lettres & ay moult grant joie de ce que vous n’eſtes pas alez là ou vous m’aviez eſcript ; car j’avoie grant doubte que n’éuſſiez anoy en chemin. Je ne vous eſcris riens à l’autre fois de voſtre livre que vous m’avez envoié, pour ce que je ne l’avoie mie leu. Mais je l’ay leu depuis .ii. fois. Si me ſemble qu’il eſt moult tres-bons ; & quant il plaira à Dieu que je vous voie, laquelle choſe ſera briefment, ſe Dieu plaiſt, je vous diray aucune choſe dont il amendera. Les .ii. balades que vous m’avez envoïes ſont ſi bonnes que on n’y ſaroit trouver que redire. Mais ce n’eſt pas compariſon, car ce que vous faictes me plaiſt trop mieus à mon gré que ce que li autre font. Et auſſi ſuis-je certaine que auſſi fait-il aux autres. Vous m’avez eſcript qu’il n’eſt doleur ſi grant come d’amer long de li, & par ma foy je le ſçay bien, car je ne cuide mie qu’il ſoit créature ou monde qui en puiſt avoir plus de peine que j’endure. Et, mon dous cuer, pour ce que je ſay bien que vous l’avez autele come j’ay, vous promet-je à y mettre tel remede que nous nous verrons briefment à grant joie. Et pour ceſte cauſe ſeulement, je ſeray ou vous ſavez, dedens .viii. jours, ſans faulte. Et ſi toſt come je ſeray là, vous orrez telles nouvelles qui bien vous plairont. Car onques tous ceus & celles que vous m’avez eſcript[324] ne mirent ſi grant peine come je y penſe à mettre. Et, par Dieu, c’eſt le plus grant deſir que j’aie en ce monde. Mon tres-dous cuer, ſe je vous eſcri briefment, je vous prie qu’il ne vous vueille deſplaire ; car ſe vous ſaviez bien où je ſuis & les gens ou j’ay à faire, vous me tenriez bien pour excuſée. Mon tres-dous cuer, je prie à Dieu qu’il vous doint honneur & joie de quanque voſtre cuer aime. Et, mon tres-dous cuer, je vous envoie .i. rondel & une balade que j’ay faicte pour l’amour de vous, & .i. anel que vous porterez pour l’amour de moy s’il vous plaiſt, & je vous en pry. Eſcript le .ve. jour de novembre.

Voſtre loial amie.


Longuement pas ne demoura
Que ma dame ſon demour a
Mué en un autre manoir,
Pour ſon esbatement avoir,[325]
Ou cuer d’une tres-bonne ville.
Et ſi vous jur par l’Evangille
Qu’elle m’eſcript qu’elle y aloit,
Pour ce que véoir me vouloit
Plus ſouvent & mieus à ſon gré.
Si le receus en moult bon gré,
Qu’elle mandoit que j’y alaſſe,
Et mon ſecretaire menaſſe
Priveément, à po de gent,
Pour véoir ſon corps bel & gent.
Et que pas n’éuſſe doubtance ;

Qu’elle avoit fait telle ordenance
Qu’Argus eſtoit bien endormis
Et Dangiers, mes fors anemis ;
Et que Malebouche groucier
N’oſeroit, pour nous courrecier ;
N’elle n’aroit jamais envie,
Se nous meniens joieuſe vie ;
Et qu’elle avoit mis en priſon
Plus fort qu’onques ne fu pris hom,
Ceuls qui nous pooient grever ;
Et en déuſt Raiſon crever.
Vous le verrez par ſon eſcript,
Car veſcy ce qu’elle m’eſcript.


XXXIX. — Mon tres-dous cuer, ma doulce amour & mon tres-chier amy, plaiſe-vous ſavoir que je ſuis où vous ſavez, en tres-bon point, la mercy Noſtre Seigneur qui ce vous ottroit ! Et ſachiez que quant il vous plaira à y venir, vous y trouverez telle joie & tele douceur que vous porriez penſer & ſouhaidier. Car j’ay empriſonné Dangier & Malebouche & ſi ay endormi Argus en telle maniere qu’il n’y a celluy qui vous péuſt grever de riens. Et, mon tres-dous cuer, combien que je vous deſire à veoir plus que nulle choſe terrienne, je vous pry que vous ne vous metez point en chemin de venir, ſe n’eſt à l’aiſe de voſtre corps. Car les chemins ne ſont pas bien ſéurs & je n’aroie jamais bien ne joie, ſe vous vous metiez en chemin & vous aviez mal. Et, mon dous amy, quant ce ſera que vous venrez, je vous pry que vous prenez voſtre hoſtel en l’oſtel que vous ſavez, car il me ſemble que c’eſt le milleur ; & vouldroie bien, ſe il povoit eſtre, que voſtre ſecretaire veniſt avec vous, ou celuy de voz gens en qui vous vous fiez le plus ; & venez ſi ſecretement que nuls ne ſache riens de voſtre venue, juſques à tant que j’aie parlé à vous. Et, à mon povoir, le treſor ſera deffermez avant ce qu’il ſoit nulle nouvelle de voſtre venue. Et ſi toſt come vous ſerez deſcenduz en l’oſtel deſſus dit, ſi envoiez par devers moy en l’oſtel de ma mere[App. LXXII.] aucun de vos gens, & par celui m’eſcriſiez voſtre venue. Et s’il trouvoit en l’oſtel de ma mere aucune perſonne qui li demandaſt dont il venoit, qu’il déiſt qu’il veniſt de ma ſuer, & qu’il m’apporte lettres de par elle. Mon tres-dous cuer, je vous pry que vous m’eſcriſiez voſtre eſtat par ce meſſaige, & quant vous venrez par devers my, afin que je puiſſe mieus eſtre aviſée de mon fait. Car je vous promet loialment que la plus grant cauſe pourquoy je ſuis venue où je ſuis, ſi eſt pour ce que je vous y pourray veoir plus à loiſir que ailleurs. Je ne vous envoie point voſtre livre, pour ce que, ſe Dieus plaiſt, je le vous bailleray. Une de mes compaignes & amies qui s’appelle la Colombelle, ſe recommande à vous moult de fois ; & je vous promet que c’eſt une femme qui vous puet faire aſſez de bien : maiz je ne lui ay encores riens deſcouvert de voſtre affaire, ne ne feray juſques atant qu’il ſera poins. H.[326] eſt hors du païs, & ne puet venir quant à preſent, pour certaine cauſe : ſi ay ouvertes les lettres que vous li envoiez. Et ſi toſt come il revenra qui ſera brieſment ſe Dieu plaiſt, je l’envoieray vers vous, pour vous amener. Je prie à Noſtre Seigneur qu’il vous doint honneur & joie de quanque voſtre cuer aime. Eſcript le .xiiie. jour de novembre.

Voſtre tres-leal amie.

Mon ſecretaire envoiay querre,
Qui eſtoit en eſtrange terre,
À .iii. journées loing de my.
Si n’arreſta jour ne demy
Juſqu’atant qu’à moy fuſt venus ;
Car il deſiroit plus que nuls
À ſavoir que je li vouloie,
Qui en tel haſte le mandoie.
Ce fu droit ou mois de novembre
.xxviii. jours, bien m’en remembre ;
Et ſi vous ay bien en convent
C’onques ne vi faire tel vent :
Car les tieules par l’air voloient,
Ou les cheminées chéoient,
Et ſi chéi pluſeurs maiſons.
Onques tel vent ne vy mais homs.
On n’oſoit aler ne venir,
N’on ne ſe povoit ſouſtenir ;
Car ſi horriblement venta
Que li vens maintes fois jetta
Pluſeurs gens plus loing, par ſaint Pierre,
De .c. pas ou d’un get de pierre.
Lui venu, je li deſcouvri
Tout mon affaire, & li ouvry
Ces lettres, ſi les priſt à lire.
En la fin me préiſt à dire :
« Vraiement, ves-ci un eſcript
« Qui eſt mout doucement eſcript,
« Et de cuer d’amours anobly ;
« Qui pas ne vous met en oubly.
« Or reſgardons que nous ferons. »
Je reſpondi : « Nous monterons ;
« Car aler vers elle me faut,

« Si qu’il n’y ait point de defaut ;
« Qu’aſſez mieus morir aimeroie
« Que delaſſaſſe ceſte voie. »

Quant il m’oÿ, il priſt à rire,
Et me dit en riant : « Biau ſire,
« Vous n’avez meſtier de conſeil ;
« Alez-y je le vous conſeil :
« Car, foy que doy ſainte Marie,
« Avecques vous n’iray-je mie. »
Je li dis : « Pour quoy, dous amis ?
« Vous véez que ma dame a mis
« En ſa lettre qu’o moy vous meine ?
« Car ſans vous perderay ma peine. »
Et il diſt : « Je le vous diray,
« Ne jà ne vous en mentiray.

« Sire, je dis premierement
« Que je vous aim ſi bonnement,
« Que voulentiers, ſe je ſavoie,
« En tous cas vous conſeilleroie.
« Mais je voy en cette beſoingne
« Pluſeurs choſes que je reſſoingne,
« Et que moult devez reſſoingnier,
« Et tous ceuls qui ont à ſoingnier
« De vos biens & de vo perſonne.
« Et cil qui le conſeil vous donne
« D’aler-y ſi haſtivement,
« Il vous conſeille folement.
« Or m’eſcoutez, veſcy pour quoy :
« Se voſtre dame au maintieng coy,
« A de vous vir affection,
« Onques ne fu s’intention

« Que vous vous metez en peris,
« Où pluſeurs ont eſté peris.
« Les anemis de toutes pars
« Sont parmy le païs eſpars,
« Qui font grans & petis ounis ;[327]
« Cui il tiennent il eſt hounis.
« Trop ſont faus & mauvais leur tour ;
« S’il vous tiennent en une tour
« .iii. jours ou .iiii. durement,
« Vous ſerez mors certeinnement ;
« Car vous eſtes un tenres homs :[328]
« Pour ce l’aler n’eſt pas raiſons,
« Ne vo dame mais n’aroit joie
« S’il vous meſchéoit en la voie.
« Ne véez-vous comment il vente ?
« Gens, maiſons & clochiers cravente ;
« N’on n’oſe venir ne aler,
« Pour les tieules qu’on voit voler,
« Pour le vent qui ainſi les ſouffle
« Par ſon fort & merveilleux ſouffle.
« Il a des ans plus de .l.,
« Voire, par Dieu, plus de .lx.,
« Que li temps ne fu ſi divers. [App. LXXIII.]
« Et ſe commence li yvers,
« Glaces, neiges & grans froidures,
« Qui vous feront à ſouffrir dures.
« N’i a ſi dur ne ſi juene homme
« Qui ne les doubte, c’eſt la ſomme.
« Or vous voulez mettre au chemin !
« Honnis ſoie s’o vous chemin.

« Encor y a une grant doubte,
« Souvent vous prent ou pié la goute,
« Si que, ſire, s’elle venoit,
« Et en voſtre pié vous prenoit,
« S’en un povre lieu demouriez,
« Par m’ame, ſire, vous morriez.
« Et que diroit voſtres bons freres,
« Qui vous eſt fils, ſires & pere,
« Qui ſi doulcement vous norrit,[329]
« Que chaſeuns hons de joie en rit ;
« Et auſſi tuit voſtre autre amy ?
« Il ſeroient my annemy,
« Et diroient : il nous a mort
« No chier amy, & mis à mort.
« S’en ſeroie deshounourez,
« Mains priſiez & mains honorez,
« Et maudis en pluſeurs païs,
« Et de .xxm. hommes haÿs.
« Or me gart Dieus que je n’encharge
« Si grant fardel ne ſi grant charge,
« Com d’aler en vo compaignie,
« Voire en peril de voſtre vie !
« Qu’en autre cas ne vous faurroie,[330]
« Nés qu’Hettor fiſt à ceus de Troie.

« Mais ſe Circé l’enchantereſſe

« Qui d’enchantement fu déeſſe
« Et fiſt muer Piquus en pique,
« Qui de ſon bec les arbres pique ;
« Et auſſi mua les meſſages
« De Ulixés en pors ſauvages ;
« Et la riviere envenima
« Pour Scilla, que Glaucus ama
« Qui eſtoit un dieu de la mer,
« Et elle ne le volt amer ;
« Dont elle fu envenimée
« Sans raiſon & deshonnorée,
« Et ſes corps de chiens enragiez
« En plus de .c. lieus domagiez ;
« Ne vous pourroit-elle conduire
« Tant ſcéuſt bien ſes charmes duire,
« Que ne vous en repentiſſiez,
« Et en grant peril ne fuſſiez
« De corps, de membre ou de chevance,
« Ou d’avoir aucune grevance.

« Ne ſay ſe vous ſavez l’eſtoire
« De Piquus ; mais c’eſt choſe voire,[331]
« Que Piquus fu roy de Laurente,
« Et ſi fu de façon ſi gente
« Si biaus, ſi cointes, ſi jolis,
« Si gens, ſi apers, ſi polis,
« Et plain de ſi tres-bon afaire
« Com nature le ſavoit faire :
« Et fu li plus vaillans, ſanz faille,
« De la troïenne bataille ;
« De hardement, de vaſſelage,

« Voire ſelon ſon juene age,
« Car ans n’avoit pas plus de .xx. :
« Or vous diray-je qu’il avint.
« Maintes dames le convoiterent,
« Et ſon amour li demanderent ;
« Nimphes de bois & de rivieres
« Lui en firent maintes prieres ;
« Més onques n’en volt nulle amer,
« Ne dames n’amies clamer,
« Fors une ſeule qu’il amoit
« Qui ſon dous amy le clamoit.
« Circé, dame d’enchanterie,
« Le pria de ſa druerie,
« Mais onques ne la volt oïr,
« Ne ſes paroles conjoïr ;
« Dont la déeſſe ſe courſa,
« Si que Piquus mué pour ce a
« En un oiſel de lait plumage
« Qu’on treuve ſouvent en boſcage.
« Mais la franche & noble roÿne
« Que Piquus amoit d’amour fine,
« Et elle l’amoit & cremoit
« Et ſon droit ſeigneur le clamoit,
« Ce fu la belle Canéus
« Dont li chans fu ſi congnéus
« Que ceus qui bien la congnoiſſoient
« Déeſſe de chant l’appelloient.
« (Caneus, c’eſt chant en grégois,
« Ce dient nobles & bourgois).
« Caneus ſi tres-bien chantoit
« Que les montaingnes enchantoit,
« Et les roches faiſoit mouvoir
« Par ſon tres-dous chanter, pour voir.

« Les cheſnes, les cèdres, les pins,
« Les amendeliers, les ſapins,
« Et tous les arbres s’enclinoient,
« Quant ſon tres-dous chanter ooient ;
« Et venoient à li faire ombre,
« Quant elle a chaleur qui t’encombre.
« Retourner faiſoit les rivieres ;
« Les belles ſauvages & fieres
« Faiſoit à ſon chant arreſter,
« Ne n’y povoient contreſter ;
« Les nymphes des bois & des champs
« Souvent danſoient à ſes chans,
« Et en biers li juene enfançon[332]
« Entendoient à ſa chanſon.

« Mais de Circé l’enchantement,
« Ne de Piquus le hardement,
« Ne de Canéus le chanter,
« Ne porroient ſi enchanter
« Le vent, le froit & les compaignes
« Qui ſont au bois & aux champaignes,
« Que vous menaſſent là ſéur,
« Sans avoir aucun mal éur.

« Se vous eſtiez or ſur la roche
« Dou jaiant qui les nés arroche
« Des grans pierres & des grans cros ;
« Tant eſt fors, orguilleus & gros,
« Que les nefs periſt & affonde
« Dedens la haulte mer parfonde,

« Et quanqu’il attaint il cravante,
« Pour paiſtre ſa gueule ſanglante :
« Quant les hommes prent, il les tue,
« Puis les deveure & les mengue,
« Si que li ſans aval degoute
« Parmy ſa barbe goute à goute :
« Trop eſt plains de deſloyauté
« De traïſon, de cruauté :
« À paine riens ne li eſchape,
« Trop eſt chetis cil qu’il attrape ;
« Car riens ne li puet eſchaper
« Qu’il puiſt tenir & attraper.
« S’a crine loçue & diverſe[333]
« Pingne des gros dens d’une herſe ;
« Un ſeul oeil a enmy le front
« Grant & gros, orrible & parfont,
« Com feu rouge eſt ſoubz la paupiere,
« À plus dou tour d’une paviere ; [App. LXXIV.]
« Si ſorcil ſont de tel façon
« Comme la pel d’un hericon.
« Ou crues de ſon nez ſe j’eſtoie
« Tous armés, bien y muceroie.
« La barbe eſt au corps afferans,
« Qui reſſemble dens de cerens,[334]
« Qu’elle eſt poingnant & rude & groſſe.
« Sa bouche reſſemble une foſſe,
« Puant com charoigne des mors
« Qu’il a mengié, ocis & mors.
« Quant aſſis eſt deſſus ſa roche
« Un pin tient dont ſes beſtes croche ;

« Mais il n’eſt pas en tout couvert,
« Ainſois eſt tout à deſcouvert ;
« N’il n’a maiſons, chambres ne ſales,
« Fors cavernes ordes & ſales,
« Eſquelles li maufés ſe boute,
« Quant ſaoulée eſt ſa panſe gloute.
« À ſeneſtre a un aviron
« Lonc de .c. piez ou environ,
« Et gros à l’avenant, ſans faille,
« Dont il retourne ſon aumaille.
« Et quant il voit le ſoleil luire,
« Et li maufés ſe vuet deduire,
« En ſa main prent une flahute
« De .c. roſeaus dont il flahute.
« Mais quant il la vuet fort ſonner,
« Mer & terre fait reſſonner,
« Entour lui .iii. lieues ou .iiii.
« Ainſi ſe ſcet li bers esbatre.
« Mais, loing & près, tous ceus qui l’oient
« De ſon encontre ſe deſvoient.
« Par amours amoit Galatée
« Qui le haoit plus que riens née,
« Pour ſa façon vile & orrible
« Qui eſtoit hideuſe & terrible ;
« Et pour ſon dous amy Acis,
« Que li mauvais avoit ocis
« En traïſon & par boidie,
« Par fureur & par jalouſie.
« Car une roche li rua
« Si qu’il le deſtruit & tua.
« Auſſi éuſt-il Galatée,
« S’il péuſt, honnie & tuée ;
« Mais Galatée s’enfuy

« En un crot, dont bien li chéy[335].
« On l’apelloit Poliphemus.
« Jupiter menace & Venus ;
« Et dit qu’il les eſtranglera,
« Ne jamais ne les aimera,
« Quant par amours le font amer,
« Et ſi n’y puet trouver qu’amer.

« Galatée nous fait un conte
« De li, cui Dieus doint male honte !
« Et diſt qu’il eſtoit uns devins
« Qui ſavoit les ſecrez divins ;
« Thelephus eſtoit appellez :
« Les chans des oiſiaus revelez
« Et l’abay des chiens li eſtoient,
« Si qu’il ſavoit quanqu’il diſoient.
« Au jaiant vint & ſi li dit :
« Garde ton oeil & croy mon dit :
« Car Ulixés le t’emblera,
« Ne riens ne t’en deffendera.
« Li anemis, (que Dieus maudie !)
« Tenoit ſon dit à moquerie,
« Mais Ulixés le li embla,
« Dont depuis la roche trembla ;
« Que quant il ot ſon oeil perdu,
« Il ot le cuer ſi eſperdu,
« Que li anemis s’eſtendi
« Si, qu’en .ii. la roche fendi.
« Il va hulant com beſte mue,
« Il brait, il crie, il huche, il mue ;
« Mais aſſez puet braire pour voir,

« Que ſon oeil ne puet-il r’avoir.
« Ulixés menace forment,
« Qui embla ſon oeil en dormant ;
« Et auſſi font ſi compaignon[336]
« Qui eſtoient mauvais gaignon ;
« Mais jamais ne le reverront,
« Menacent tant com il vourront.
« Achimenides qui le vit [App. LXXV.]
« Diſoit comment il ſe chevit,
« Quant de ſon oeil fu defferez ;
« Jamais diable ne verrez
« Si forſené, ſi enragié,
« De ſon oeil qu’on a arragié.
« Ne portoit perches ne baſtons,
« Ainſois s’en aloit à taſtons,
« Querant les voies & les ſentes,
« À ſes ordes mains & ſanglantes.
« Souvent aux roches ſe hurtoit,
« Dont li ſans de lui degoutoit.
« Lors maudiſſoit dieus & déeſſes,
« Autez, mouſtiers, preſtres, preſtreſſes,
« Et menaſſoit tous ceus de Greſſe.
« Mais jamais ne lui feront preſſe ;
« Car jamais ne l’aprocheront
« Ne plus près de lui ne ſeront.
« Achimenides le ſivoit ;
« S’il ſe dreſſoit, il s’enfuioit,
« Car ſe près de lui demoraſt,
« Li maufez toſt le devoraſt.
« Ulixés fu de grant courage
« Qui oſa baſtir tel ouvrage.

« Encor raconte Galatée
« Qui dou jaiant fu tant amée,
« Ainſois que il fuſt deſſinglez
« De ſon ſeul oeil & avuglez.
« Souventes fois eſtoit aſſis
« Sur un perron gros & maſſis,
« Et quant deduire ſe vouloit
« De ſa flahute flajoloit,
« Et de ſes .c. roſiaus enſemble,
« Si que tous li païs en tremble.
« Ce ſembloit à ceus qui l’ooient
« Que plus que foudre le doubtoient :
« Si qui li maufez chante & note
« En ſon flaiol ne ſay quel note,
« Mais il fiſt le chant & le dit
« Si com Galatée le dit.[337]

« Oÿ avez juſqu’à la fin
« Comment li jaians, de cuer fin,
« Ama la belle Galatée,
« Et ſa manière forſenée,
« Sa traïſon, ſa cruauté,
« Et ſa tres-grant deſloiauté.
« Et comment cils eſt mal venuz
« Qui eſt de ſes gros poins tenuz :
« Mais je vous promet & vous jur
« Qu’il ne vous menroit pas ſi dur,
« S’il vous tenoit entre ſes mains,

« Com li pilleur, dont il eſt mains
« En ce païs, & d’anemis
« Que dyable nous ont tramis.
« Auſſi li frois, li vens qui vente,
« Qui plus eſrache qu’il ne plante,
« Car il fait les arbres tumer,
« Et plungier les coques de mer,[338]
« Vous aroit mort en moult po d’eure.
« Et pour ce, conſeil la demeure ;[339]
« Si que, ſire, vous demorrez :
« Et, tout le mieus que vous porrez,
« Unes lettres li eſcrirez,
« Et en vos lettres li direz
« Voſtre eſſoinne & voſtre eſcuſance ;
« Et elle eſt telle ſans doubtance
« Que jà ne vous en blaſmera,
« Ne mains ne vous en aimera.
« Et auſſy je li eſcripray,
« Et en ma lettre li diray
« La cauſe de voſtre demeure.
« Or eſcriſons à la bonne heure,
« Et ſi, tenez vo cuer en joie,
« Car c’eſt le meilleur que j’y voie. »

Quant il ot finé ſa parole,
Que je tins pour nice & pour fole,
Je dis : « Amis, par ſaint Symon,
« Vous m’avez fait un long ſermon,
« Afin que ma dame ne voie ;

« Mais vous paierez la lamproie ;[340]
« Car vous n’eſtes pas advouez,[341]
« Ne conſillier ne me povez
« Tel conſeil, qu’il n’y ait deffaut ;
« Quant vous ſavez bien qu’il me faut
« Aler au dous commandement
« De celle que j’aim loyaument. »

Ainſi fumes en grant debat,
Que chaſcuns de nous ſe debat
En ſouſtenant s’entention.
Mais n’y ot pas concluſion ;
Pour ce qu’uns ſires s’embaty
En ma chambre, qui abaty
Nos paroles & nos debas,
Qui vint coiiettement, & bas
Diſt : « Dieus gart ceſte compaignie
« De courrous & de villonnie,
« Et li doint pais, honneur & joie,
« Telle com d’amour la vorroie ! »
Si qu’en l’eure nous nous levames
Et humblement le ſaluames,
Et li ſéiſmes reverence
De cuer & de noſtre puiſſance.
Si me mena par la main deſtre
Acouter ſur une feneſtre,
Et ſur un couiſſin s’acouta,
Et de chief en chief me conta
Comment il avoit eſcouté

Tout ce que nous avions conté
Entre moy & mon ſecretaire ;
Et qu’il véoit moult bien l’affaire,
Le deſir qu’avoie & l’envie
De véoir ma dame jolie ;
Et qu’il le me penſe à deffendre,
Se véoir le vueil & entendre.
Et je qui l’amay & doubtay
Moult diligemment l’eſcoutay.

Lors diſt : « Amis, ſe je ſavoie
« Voſtre grant bien, je le vourroie
« Croiſtre, eſlever & eſſaucier,
« Et voſtre dommage abaiſſier ;
« Car certes vous avez en my
« Un tres-vray & loial amy.
« Et, pour ce, vous vueil deviſer,
« Seulement pour vous adviſer,
« Comment li ancien entailloient
« L’image d’Amour, ou paignoient. [App. LXXVII.]

Il faiſoient un jouvencel
« D’entailléure ou de pincel,
« Si bel de corps ou de viaire
« Com main de ſubtil le puet faire,
« Son chief avoit tout deſcouvert,
« Fors que d’un chapelet tout vert[342]
« Qui eſtoit moult bel & moult gent.
« Lettres avoit d’or ou d’argent
« En front, diſant par amiſté :
« Et en yver & en eſté.

« Nient plus deſſus ſon chief n’avoit.
« Et le coſté fendu avoit,
« Si qu’on véoit apertement
« Son cuer, ſans nul empeſchement.
« Et ſi l’enſeingnoit de ſon doy,
« Où il avoit, dire le doy,
« En eſcript : De près & de loing.
« Bien le ſay pour ce le teſmoing.
« Une cote avoit ceſte ymage,
« Plus vert que fueille de boſcage,
« À lettre d’or fin entaillie,
« Qui diſoit : À mort & à vie.
« Et ſi n’avoit ſoler ne chauſſe,
« Ainſois eſtoit toute deſchauſſe.
« Or vous dirai-je ſans attendre,
« S’un petit me volez entendre,
« Ce que l’image ſignefie :[343]

« Li chapiaus dit qu’à chiere lie
« Doit chaſcuns toudis ſon amy
« Aidier contre ſon anemy,
« Et en tous cas qu’il a à faire :
« Et doit eſtre parez dou faire.[344]
« Et ſi n’eſt ſi biau parement
« Com de loyauté vraiement :
« Et li chapiaus monſtre léeſce,
« Qui en cuer eſt moult grant richeſce.

« Ce qu’elle a deſcouvert le chief,
« Signeſie que pour meſchief,
« Pour mal ne pour adverſité,
« Pour bien ne pour proſperité,
« N’ara jà la face enclinée ;
« Ains va partout teſte levée
« Amoureuſement, ſans dangier,
« Pour ſon amy toudis aidier.
« Ainſi le font li vray amy
« Qui n’ont cuer lent né endormy,
« Mais champion & advocas
« Sont pour leur amy, en tous cas.

« L’eſcripture qui eſtoit miſe
« En ſon front, enſeigne & deviſe
« Qu’à parfaite amour rien ne chaut,
« D’iver, d’eſté, de froit, de chaut ;
« Ne elle ne ſe varie point,
« Ainſois eſt toudis en un point,
« Ferme, loial, viſte & ounie.
« Car qui bien aime à tart oublie,
« Et quand m’arez bien entendu,
« Ce qu’elle a le coſté fendu,
« Si qu’on voit ſon cuer plainement,
« Enſeigne qu’on doit clerement
« Véoir l’amy parmi le cuer,
« Et que riens ne face, à nul-fuer,
« Qu’Amours n’i ſoit ferme & entiere,
« Et qu’Amours porte la baniere ;
« Qu’avoir ne doit, en amour pure,
« Ne feintiſe ne couverture.

« La cote de vert qu’elle porte

« Monſtre qu’Amours n’eſt onques morte
« Ne ſeche, ains eſt toudis nouvelle
« Et verte, ainſi comme lentelle[345]
« Qui en yver ſa verdeur cuevre,
« Et en temps d’eſté la deſcuevre.
« Ainſi l’amour qui eſt couverte
« Doit eſtre au beſoing deſcouverte.

« La lettre dit que ſans remort
« Dure Amours à vie & à mort.
« Ce que dou doy ſon cuer enſeigne
« Dit quil eſt voirs, comment qu’il preigne ;
« Et la lettre qui eſt entour
« Diſt, qu’en preſence & en deſtour,
« Soit près, ſoit loing, amis ſera
« Qui parfaittement aimera.

« Mais je ſuis à dire tenus
« Pourquoy elle a les piez tous nus.
« Veſcy pourquoy : ſon chief, ſa face
« Sont deſcouvert en toute place,
« À celle fin que chaſcuns voie
« Qu’en chambre n’en ſale n’en voie,
« N’a chief ne cuer qui ſoit couvert.
« Pour ce ſont li pié deſcouvert.
« Auſſi, que chauſſe ne ſouler
« Ne doit attendre pour aler
« Vers ſon amy, ſe beſoingnier
« À de li, ne riens reſſoingnier,
« Ronce, pierre, groe, n’eſpine.
« Telle eſt Amour qu’eſt vraie & fine,

« Qui n’eſt couverte ne celée
« À champs n’à ville n’en alée.

« Or vous ay deviſé l’image
« D’Amour & comment li plus ſage
« Anciennement la figuroient
« Et les cauſes qu’il y mettoient.
« Tels vous ſui-je, je le vous jur,
« Amis, & pas ne m’en parjur :
« Et pour ç’, amis, je vous vueil dire
« Quel chemin vous devez eſlire,
« Se mon conſeil croire volez.
« Mais vous eſtes ſi affolez,
« Et entrepris de cette dame
« Que je me doubt & croy, par m’ame,
« Que j’y gaſteray mon langage.
« Mais ce n’iert pas ſi grand dommage.
« Car ſoit qu’il vous plaiſe ou deſplaiſe,
« N’eſt pas raiſon que je m’en taiſe,
« Et que ne face mon devoir.
« Pour ce, vous en diray le voir :

« Amis, par Dieu, c’eſt choſe voire,
« Qu’il a plus d’un aſne à la foire,
« Car vo dame a pluſeurs acointes,
« Juenes, jolis, appers & cointes,
« Qui la vont viſeter ſouvent.
« Et encor vous ay-je en convent
« Que par tout vos lettres flajolle
« Et monſtre, nés à la carole. [App. LXXVIII.]
« Dont ce n’eſt qu’une moquerie,
« Et po y a qui ne s’en rie.
« Par tout de voſtre amour ſe vante ;

« Certeinnement, li vens qui vente
« N’eſt pas de tous ſi congnéus
« Comme on dit qu’eſtes decéus.
« Et cuidiez-vous qu’elle vous aime,
« Pour ce que ſon amy vous claime ?
« Auſſi amy clameroit-elle
« Le plus eſtrange de Caſtelle,
« Et li ſeroit chiere d’amie
« S’il venoit en ſa compaignie.
« Car elle eſt aperte & courtoiſe,
« Et ſcet bien qu’Amours vault & poiſe.
« Je ne di pas qu’elle l’amaſt,
« Pour ytant qu’amy le clamaſt ;
« Car mainte dame amy clamé
« À maint, ſans eſtre d’elle amé. [App. LXXIX.]
« Je ne parole pas en blaſme,
« Car elle eſt bonne & preude femme,
« Sage, honneſte, cointe & aperte ;
« Et n’eſt ombrage ne couverte.[346]
« Mais je le di pour vous, amis,
« Qu’Amours en voſtre cuer a mis
« Une amour qui n’en puet partir,
« Et qui vous fait vivre martir :
« Et folement vo temps uſez,
« Qu’engluez eſtes & ruſez ;
« Et ſoiez certeins qu’on s’en moque.
« Et pour ç’, amis chiers, je vous lo que
« Vous laiſſiez ceſte amour eſter,
« Et plus n’y vueilliez arreſter.
« Si qu’, amis, créez mon conſeil,
« Qu’en bonne foy le vous conſeil. »

Quant il ot dit tout ſon plaiſir
Longuement & à grant loiſir,
Je ne fui mie moult haſtis
De reſpondre ; car amatis
Eſtoit mon ſens & mon memoire
Plus aſſez qu’on ne porroit croire.
Car tuit li membre me trembloient,
Et my oeil tenrement plouroient.
Si que ne ſavoie que dire,
Tant avoie de dueil & d’ire.
Auſſi m’avoit uns miens amis,
Qu’avoie vers elle tramis,
Eſcript, piece a, que la laiſſaſſe
Et que d’elle mon cuer oſtaſſe,
Sans querre eſſoingne n’eſlongne ;
Car ce n’eſtoit pas ma beſongne.
Si qu’à ces .ii. choſes penſoie,
Et enſemble les aſſembloie ;
Et me ſembloit bien voir ſemblable
Que de perſonne ſi notable
Com dou ſigneur qui là eſtoit,
Qui ſi mes grans amis eſtoit,
Et com l’autre, que je créuſſe,
De quanque faire à voir péuſſe,
Autant com moy ; & au ſeurplus
Il m’amoit, ce croy, encor plus
Que li ſires qui me blaſmoit
De ce que mes cuers trop amoit.
Que ce n’eſtoit truffe ne ſonge,
Fable, contrueve ne menſonge,
Ains falloit de neceſſité
Qu’il en déiſſent vérité,
Ou qu’aucune choſe en ſcéuſſent :

Car autrement il ſe téuſſent.
Si, fui bleciez en l’eſperit,
Si qu’en mon cuer joie en perit,
Et prins ſi grant merencolie
C’onques puis ne fis chiere lie.

Touteſvoies, finablement
Je dis : « Sire, certeinnement,
« Vous m’avez dit une nouvelle
« Qui ma grant douleur renouvelle ;
« Secretement la porteray,
« Et petit ſemblant en feray,
« Juſqu’àtant que ſoie enformez
« S’il eſt voirs ce que dit m’avez.[347]
« Sire, comment que bien vous croie,
« Et que ſéurs & certeins ſoie
« Que vous ne le diriez jamais,
« Se ce n’eſtoit vérité ; mais
« Il eſt bon que je ſace à point
« Ce que j’en feray, & par point.
« Car mauvaiſe haſte n’eſt preus,
« N’onques n’en vint honneur ne preus. »
Il diſt : « N’en voulez-vous plus faire ? »
Et je dis : « Oïl, car retraire
« M’en vueil, ſe je puis nullement,
« Mais n’iert pas ſi ſoudainement.
« Car les mutacions ſoudaines
« Sont perilleuſes & grevaines.
« Par franchiſe & par amiſté
« M’a .ii. fois de mort reſpité ;
« S’aroie cuer villain & rude,

« Et plain de grant ingratitude,
« Se j’oublioie les biens fais
« Qu’elle m’a par maintes fois fais.
« Avec ce, je li ay promis
« Que toudis ſeray ſes amis,
« Et qu’autre jamais n’ameray ;
« Si qu’ainſi ſans amour ſeray,
« Que li, n’autre ne vueil amer.
« Si que je me porray clamer
« Des hommes le plus dolereus
« Et le plus tres-maléureus :
« Qu’onques-mais ne fui ſans Amour,
« Qu’elle en moy ne féiſt demour.[348]
« Et s’aray perdu ma ſcience ;
« Car mais ne feray, ſans doubtance,
« Balade, rondel, virelay,
« Biau dit, biau chant n’amoureux lay.
« Ne mais, après ceſte retraite,
« Mes cuers n’ara joie parfaite ;
« Ains ſera merencolieus,
« Triſtes, penſis, & envieus
« De morir ſanz remiſſion.
« Or vous ay dit m’entencion. »

Quant il m’oÿ ainſi parler,
Il dit : « Plus ne m’en vueil meſler,
« Bien ſavoie que je perdoie
« Mon langage, ſe j’en parloie. »
Il but, & puis il s’en parti,
Et me laiſſa en ce parti.

Mes ſecretaires bien l’oÿ,
Et me diſt : « Sire vous loe y[349]
« Bon conſeil ? dites-m’en la voire,
« Foy que vous devez ſaint Gringoire. »
À ce mot ne li vos reſpondre ;
Et il priſt un petit à grondre,
Puis diſt : « Sire, bien m’en doubtoie,
« Mais dire ne le vous oſoie ;
« Car je doubtoie vos courrous,
« Et que li feſtus ne fuſt rous[350]
« Entre nous .ii. ſans renouer ;
« Si que jamais ne quier vouer
« À femme, ne moy oubligier ;
« Car on les pert trop de legier. »

Et quant j’entendi ceſte note
Que mes ſecretaires me note,
En mon cuer ſi fort la notay
Qu’onques puis je ne l’en oſtay.
Après des jours plus de .xl.
Ou environ, que je ne mente,
Uns miens amis eſpeciaus
Qui m’eſtoit certeins & loiaus,
Me diſt : « il eſt uns advocas [App. LXXX.]
« Qui ſcet trop mieus monſtrer ſon cas
« Que vous ne faites vraiement :
« Car il le ſcet ſi proprement,
« Biaus dous amis, que mis ſerez
« Avec les pechiez oubliez. »

Après environ .iii. ſepmaines,

Chevauchay par mons & par plaines,
Pour viſeter un mien ſigneur,
Mille fois de l’autre gringneur.[351]
Quant il me vit, il priſt à rire ;
Et puis me commança à dire :
« Amis, vous batez les buiſſons
« Dont autres ont les oiſillons. »
Mais il le diſt en audience,
Devant tous, & en ma preſence.
Quant ainſi me vi ſalués,
Si eſperdus & ſi mués
Fui, qu’onques mot ne reſpondi ;
Si que un petiot attendi,
Et puis après le ſaluay.
Mais maniere ſi fort muay
Au ſaluer, que ne ſavoie,
Se Dieus me gart, que je diſoie.

Ainſi chaſcuns me rapportoit
Choſe qui mon cuer enortoit
D’oublier ma dame de pris,
Que j’aim, criem, ſers, & loe & pris.
Nés, en alant parmi la rue,
Chaſcuns un eſcrabot m’en rue,[352]
En diſant, & par moquerie :
« Je voy tel qui a bel amie. »
Ainſi chaſcuns me rigoloit,
Pour ce que ma dame voloit

Que nos amours fuſſent chantées
Par les rues, & flajolées ;
Et que chaſcuns appercéuſt
Qu’elle m’amoit & le ſcéuſt.
Et c’eſtoit choſe aſſez commune
Et à chaſcun & à chaſcune.
Si vous diray ce que je fis,
Bien croy que ce fu mes profis.

Ce fu droit en mois de novembre,
Qu’on fait feu en ſale & en chambre,
Si demouray en ma maiſon,
Juſqu’à la nouvelle ſaiſon ;
Qu’onques vers elle n’envoiay,
Ne lettre eſcripte ne ploiay,
Pour li envoier ne tramettre ;
Qu’ailleurs voloie mon temps mettre.
Là demouray mainte journée,
Qu’ainſois qu’elle fut adjournée,
Eſtoie ſaous de plourer.
Si ne vos depuis aourer
La belle image, ainſois l’oſtay
De mon chevés & la boutay
Et mis en un petit coffret,
Qui dedens un plus grant coffre eſt.
Là eſt encore & y ſera,
N’a piece-mais n’en partira ;[353]
Ains la tenray en ma priſon
Fermée, pour la meſpriſon
Que ma dame a fait envers my,


Centré


Quant elle a fait nouvel amy.
Lors pour allegier ma dolour,
Qui taint & palit ma colour,
Je fis ceſte balade-ci
À cuer taint & malade, ſi
Plein d’amoureuſe maladie,
Que meure en eſt la melodie.[354]

Se pour ce muir qu’Amours ay bien ſervi,
Il fait mauvais ſervir ſi fait ſignour,
Car je n’ay pas mort d’amour deſſervi
Pour li amer de tres-loial amour.
Mais je voy bien que finé ſont mi jour,
Quant je cognois & voy tout en apert
Qu’en lieu de bleu, dame, vous veſtez vert.

Helas ! dame, je vous ay tant chieri
En deſirant de mercy la douçour,
Que je n’ay mais ſens ne povoir en mi ;
Tant m’ont miné mi ſouſpir & mi plour.
Et m’eſperance eſt morte ſans retour,
Quant Souvenir me monſtre à deſcouvert
Qu’en lieu de bleu, dame, vous veſtez vert.

Pour ce maudi les yeus dont je vous vi,
L’eure, le jour & le tres-cointe atour,
Et la biauté qui ont mon cuer ravi,
Et le plaiſir enyvré de folour.
Et ſi maudi Fortune & ſon faus tour,
Et Loyauté qui ſueffre & à ſouffert
Qu’en lieu de bleu, dame, vous veſtez vert.

Ne demoura pas longuement,

C’uns meſſages, ſoudeinnement
Vint à moy droit enmy la rue,
Et diſt : « Vo dame vous ſalue,
« Et vous envoie ceſte lettre,
« Où l’en ne puet oſter ne mettre
« Mot ne ſillabe ſans meſprendre :
« Or la vueilliez lire & entendre. »
Quant il m’ot dit tout ſon ſalu,
J’ouvri la lettre & ſi la lu :


XL. — Tres-chiers & tres-dous amis, j’envoie pardevers vous pour le tres-grant & parfait deſir que j’ay de oÿr aucunes bonnes nouvelles de vous, leſquelles Noſtre Sires, par ſa grace, me doint oïr telles come mes cuers le deſire ; car je n’en oï nulles depuis la Chandeleur. Et ſi, vous ay depuis eſcript & daireinnement par voſtre ſecretaire ; & ſi li dis pluſeurs choſes de bouche leſquelles il vous devoit dire ; & ſi me promiſt qu’il feroit tant pardevers vous que j’en aroie brieſment reſponſe. Mais vous n’en avez riens daignié faire ; dont il me ſemble pour certain que vous m’avez de tous poins guerpie & miſe en nonchaloir, & que vous n’avez mais nulle amour à moy. Si avez tort & faites mal & pechié ; car je pri à Dieu que jamais ne me doint honneur & joie de choſe que je li requiere, ſe onques, n’en dis n’en fais n’en penſée, je fis riens vers vous pourquoy me déuſſiez ainſi laiſſier, ne mettre mon cuer en ſi grant deſtreſſe come il eſt pour vous. Si le povez bien ſavoir, & ſi ne vous en chaut, ne il n’eſt nul remede que vous y vueilliez mettre. Et par Dieu, mon dous cuer, mes cuers ne fu onques vers vous ytels. Car je n’os onques bien ne joie tant come je ſcéuſſe voſtre cuer à meſchief, & que tantoſt que je le ſavoie, je ne méiſſe peine de vous conforter à mon pooir. Et je croy que vous ſavez bien le grant meſchief que mes cuers a pour vous, & ſi, ne vous en chaut de riens : dont j’ay plus grant merveille que je n’éuſſe de tous les homes du monde. Car je croy quil ne fu onques nuls homs qui tant ait gardée & amée la pais,[355] le bien & l’onneur de toutes femmes, come vous avez tousjours fait. Et meeſmement de celles que vous ne véiſtes onques & qui onques ne vous amerent ne bien ne vous firent. Et moy qui vous aime plus chierement que tous les hommes qui ſont aujourd’hui en vie, & plus que autre femme ne vous ama onques, je ſuis par vous en ſi grant doleur & en ſi grant angoiſſe de cuer que je ne croy mie que cuers humains péuſt croire la .xe. partie de ce que j’endure. Et il n’eſt mie de merveille : car je ſuis en aventure, ſe vous n’y metez brieſment conſeil, de perdre honneur & toute joie. Vous ſavez que les amours de vous & de moy ont eſté ſceues de pluſeurs bonnes perſonnes ; que, ſe il ſavoient que elles fuſſent departies, il cuideroient que je vous éuſſe fait fauſſeté, ou que vous éuſſiez trouvé en moy aucune mauvaiſtié ou folie, pourquoy vous l’éuſſiez fait. Et certes s’il eſtoit ainſi, je me tenroie la plus deshonourée qui ſoit au monde, ne jamais n’aroie bien ne parfaite joie. Et pour ce, mon tres-chier & dous amy, je vous ſuppli ſi humblement & ſi chierement que le cuer triſte & dolent de voſtre vraie & léale amie puet plus penſer, come celui en qui giſt tout mon bien, toute mon honneur[356] & toute ma joie, que voſtre dous cuer qui a tousjours eſté ſi dous & ſi humble vers toutes femmes, ne vueille pas eſtre ſi crueus vers moy qu’il vueille que je reçoive tant de mal. Mais vueille voſtre tres-grant douceur humilier à moy oſter du grant meſchief où je ſuis & moy donner confort & joie. Et ſachiez certeinnement qu’elle ne me puet jamais venir de nulle part s’elle ne vient de vous. Car s’il eſt ainſi que vous m’ayez de tous poins guerpie, & ſans ce que je l’aye deſervi, & voſtre cuer ſoit ſi crueus envers moy que je n’y puiſſe trouver confort ne amour, je ſuis celle qui me doy plaindre de vous plus que nulle femme ne fiſt onques de ſon amy, & plus que ne fiſt Medée de Jaſon. Et ſi, vous promet loiaument & jure, ſeur tous les ſacremens que nuls creſtiens puet jurer ; car ſe il eſt einſi que Amours que j’ay ſi longuement & ſi loiaument ſervi & en qui j’ay mis cuer, penſée & amour, me tolt la riens ou monde que j’aime plus chierement, dont elle m’avoit promis bien & parfaite joie, je la renye, & renunce de tous poins à li & à ſon ſervice. Ne jamais ſa ſerve ne ſeray, n’en telle ſubjeccion, ne moy ne nulle autre femme que j’en puiſſe deſtourner. Ne jamais bien ne plaiſir ne feray à nul homme que je ſaiche qui aime par amours moy ne autre femme ſeur qui j’aye pooir ; ainſois leur feray tout l’anuy & tout le deſtourbier que je pourray, & tout, en deſpit d’Amours qui tant de mauls me fait. Mais s’il vous plaiſt, mon tres-dous amy, vous poez bien toſt amender ce courrous. Car ſe vous me voulez tenir pour bonne & vraie & loial amie, tele come je suis & ſeray toute ma vie, & que vous ne vueilliez nuls croire de choſe que on die contre moy, & auſſi que vous me vueilliez eſtre bons & loiaus amis, ainſi come autrefois avez eſté, ſachiez certainement que onques Amours ne fu autant ne ſi loiaument ſervie ne honorée, come elle ſera encores de moy, pour l’amour de vous. Si vous pry & ſupply ſi humblement & ſi chierement come je puis & en tout guerredon, que vous me vueilliez eſcrire par ce meſſaige en telle maniere que je puiſſe eſtre confortée. Car vous poez ſavoir certeinnement qu’il eſt du tout en vous de mon bien, de mon honneur & de toute ma joie. À Dieu, mon tres-dous cuer, à qui je prie de bon cuer & léal, & à ſa douce vierge mere, qu’il vous doint honneur & joie de quanque voſtre cuer aime ; & qu’il vous mette en volenté de faire choſe dont je ſoie resjoïe. Eſcript le .xiiie. jour de novembre.

Voſtre léal amie.

Or avez oÿ & véu
Les lettres, s’il vous a pléu,
De ma dame ; & comment ſeure
Me couroit chaſcuns à toute heure,[357]
Pour l’amour que j’avoie a ly ;
Et comment pas ne m’abely,
Ainſois trop fort me deſplaiſoit
Tous les jours ce qu’on m’en diſoit ;
Et com ſon ymage aourée
Mis dedens ma priſon fermée,
Qui mort n’y avoit deſſervi.
Las ! & je l’avoie ſervi
Tellement que je me cuidoie
Sauver en ce que j’en faiſoie !
Toutevoie je m’aviſay,
Et moult y penſay & viſay,
Qu’unes lettres li eſcriroie,
Et que riens ne li manderoie
De ce qu’on dit tout en appert,
Qu’elle veſt, en lieu de bleu, vert.
Veſcy de la lettre la fourme
Qui mot-à-mot vous en enfourme :[358]


XLI. — Mon tres-dous citer & ma tres-chiere ſuer & ma tres-vraie amour, j’ay bien véu ce que vous m’avez eſcript ; ſi, vous merci moult chierement de voſtre bon eſtat que vous m’avez fait ſavoir ; car, par m’ame, c’eſt la plus grant joie que je puiſſe avoir que d’en oÿr bonnes novelles, apres vous veoir, que je deſire ſur toutes les choſes du monde. Et, mon tres-dous cuer, quant à ce que vous me mandez que vous eſtes où vous ſavez & que je vous puis aler veoir quant il me plaira, & auſſi de l’ordenance que vous en avez fait, qui moult me plaiſt, (car, par ce, voy-je clerement que vous avez vray cuer & bonne volenté par devers moy), je vous en merci tant humblement come je puis, & non mie tant come je doy. Si ay mandé mon ſecretaire, & me trairay pardevers vous le plus toſt que je pourray, la ſaint Andrieu paſſée, ou plus toſt ſe je puis ; car li conſeil ſe remuent aucunes fois. Et n’y menray que trois de mes vallés avec mon ſecretaire, ſe avoir le puis. Mon tres-dous cuer, je ſavoie bien que vous aviez pooir d’endormir Argus & d’empriſonner Dangier & Malebouche ; &, par m’ame, j’ay grant joie de ce qu’il ſont en ce point. Si, vous prie chierement que juſques à tant que je vous aray véue, il ne ſe partent de ceſt eſtat ; &, ſitoſt come je ſeray partie de vous,[App. LXXXI.] qu’il ſoient delivre & facent leur office de vous garder encontre tous. Et, mon tres-dous cuer, ne vous doubtez que quant je ſeray venus à vous, qui ſera bien toſt, ſe Dieu plaiſt & je puis, je ſeray ſaigement & ſecretement ce que vous m’avez mandé ; & dou ſeurplus m’atendray à voſtre noble cuer. Recommandez-moy tres-humblement, s’il vous plaiſt, à la Colombelle ; car je la deſire moult à veoir pour l’amour de vous. Et ſachiez que là où vous eſtes, je n’y cognois perſonne fors vous ; ſt convient bien, quant je y ſeray, que je vive à voſtre ordenance. Recommandez-moy à H., quant vous le verrez. Et certes, ſe il me povoit venir querre je ſeroie honnorez & ſi ſeroit moult la pais de mon frere ; qu’il ne puet avoir bien ne joie tant come je ſoie hors. Je vous avoie fait faire aucune choſe à Paris ; mais on m’a dit que li orfevres eſt mors : ſt croy que je aray perdu ma beſongne & mon or. Mon tres-dous cuer, vous m’eſcrivez moult ouvertement, & avez tousjours eſcript ; ſi ne ſcay s’il eſt bon que je mette vos lettres en mon livre tout ainſi come elles ſont. Si m’en vueilliez mander voſtre volenté. À Dieu, mon tres-dous cuer qui vous doint bonneur & joie de quanque voſtre cuer aime, & nous doint grace que nous nous puiſſions veoir à honneur, à joie & à ſanté, & brieſment. Eſcript le .xiiie. jour de novembre.

Voſtre tres-loial amy.


Ainſi à ma dame reſcri,
Que je ne fis plainte ne cri
De choſe qu’on m’éuſt conté ;
Ne pour gaingnier une conté,
Non vrayement, pour nul avoir,
Ne li éuſſe fait ſavoir ;
Car trop courrecier la péuſſe,
Se ſignifié li éuſſe,
Et ſi l’éuſſe fait plourer.
Et meſſages trop demourer
Ne puet, ne tart hurter à porte,
Qui maiſes nouvelles apporte.
Si me couchay dedens mon lit,
Tous nus, ſans joie & ſans delit,
En penſant à ceſte aventure
Qui trop m’eſtoit peſant & dure.
Si mendormi à moult grant peine ;
Car preſque toute la ſemaine
Plus plouré avoie & gemy
.c. fois que n’avoie dormy.
Si ſongay ce que vous orrez,
Ne ſay ſe croire le pourrez.

En mon ſonge m’eſtoit avis
Que je véoie vis-à-vis,
L’image ma dame honourée
Qui eſtoit toute eſchevelée,

Et qui plouroit moult tendrement,
Et ſouſpiroit parfondement ;
Et qui eſſuioit de ſa crine
Ses yeux, ſa face & ſa poitrine ;
Et diſoit : « Laſſe ! empriſonnée,
« Et en .ii. coffres enfermée
« Sanz départir, ſire, m’avez,
« Et nulle cauſe n’y ſavez.
« S’on vous a donné à entendre
« Qu’ailleurs voſtre dame vuet tendre,
« Amy, qu’en va, qu’en puis-je mais ?
« Li fai-je faire ? nennil. Mais
« Vous créez trop legierement ;
« Si, vous en venra tellement
« Que brieſment vous en meſcherra ;
« Et tous li mondes le verra,
« Car vous en perderez vo dame
« Qui vous aime de cuer & d’ame.
« Or ſuppoſons qu’elle ſoit fauſſe
« Envers vous, & qu’elle vous fauſſe ;
« Le doi-je pour ce comparer ?
« Helas ! vous me ſoliez parer
« De chanſonnettes amoureuſes,
« D’or & de pierres precieuſes,
« Et de dras d’or d’outre la mer ;
« Or voulez delaiſſier l’amer !
« Convient-il que je le compere ?
« Ce n’eſt pas raiſon, par Saint Pere :
« Car riens n’ay, s’il y a meffait,
« Meſpris, ne meſdit, ne meffait,
« Et, certes, elle n’y a courpe :
« Si, fait grant pechié qui l’encourpe.
« Il n’eſt d’elle plus vray amant,

« Ainſi le croy, ſe Dieus m’amant.
« Faites li ſavoir, ſans muſer ;
« Et s’elle ſe puet eſcuſer,
« Si ſoie hors de la villonnie.
« Et ſi, doit-on oïr partie,
« Car bons juges jà ne ſera
« Qui partie n’eſcoutera.
« Et vous la voulez condampner
« Et de voſtre grace planer,
« Pour .iii. ou pour .iiii. paroles
« Qui font menſonges & frivoles
« Plus que ſerpens envenimées,
« Et de meſdiſans controuvées !
« C’eſt grans pechiés de ſi toſt croire,
« Et plus grans dou dire. Une hiſtoire
« Vous en vueil dire & raconter
« Se vous me voulez eſcouter.[359] »

Li Corbiaus jadis plume blanche
Avoit plus que la noif ſur branche,
Ne que coulon, gante, ne cine,
Ne que la fleur de l’aube-eſpine.
Brief en li n’avoit riens de lait,
Car il eſtoit plus blans que lait.
Phebus l’amoit moult chierement,
Et y prenoit esbatement
Plus qu’en ſon arſon n’en ſa harpe,
Dont il s’esbat ſouvent & harpe.
Or vous diray comment ç’avint
Que ſa blancheur noire devint.

En Theſſale ot une pucelle
Qui eſtoit avenant & belle,
Et de grace la plus loée
Qui fuſt en toute la contrée ;
Née en la cité de Laurice[360]
Fu, ſi n’eſtoit rude ne nice ;
Ains eſtoit cointe, aperte & ſage,
Et eſtraite de haut lignage.
Coronis ot nom la meſchine.
Phebus l’en amoit d’amour fine,
Si fermement & de tel cuer
Qu’il ne l’oubliaſt à nul-fuer.
Mais elle amoit un damoiſel
Plus que Phebus ſon blanc oyſel.
Brief riens tant n’amoit autre choſe :
Bien y parut à la parcloſe ;
Car li Corbiaus les vit enſemble,
Joins par nature, ce me ſemble,[361]
Que chaſcuns prenoit ſon deſduit,
Si com nature les y duit.
Quant li Courbiaus vit l’avoutire,
Il les commença à maudire,
Et ſi jura grant ſairement
Qu’il yroit dire iſnellement
À Phebus la grant lecherie
Qu’il a véu en ſon amie.
De ſes ailes l’air accola,
Et ſans plus dire s’envola
Pour dire à Phebus la nouvelle

Du damoiſel & de la belle,
Comment il les avoit trouvé
Preſentement en fait prouvé.
La Corneille qui l’encontra
Pris ſon vol en ſon encontre a,
Moult enquiſt où voler vouloit
Qui ſi haſtivement voloit ?
Li Corbiaus tantoſt li reſpont
Et de chief en chief li eſpont
De Coronis tout l’avoutire,
Et dit qu’à Phebus le va dire,
Car pas ne vuet celer la honte
De ſon ſigneur, qu’il ne li conte.

Quant la Corneille l’entendi
Elle diſt : « Corbiaus, tant t’en di,
« Se me croies, tu n’iras pas ;
« Arreſte & vole par compas,
« Et enten ce que je diray,
« Car jà de mot n’en mentiray.
« Tous voirs ne ſont pas biaus à dire :
« Cuides-tu que Phebus, ton ſire,
« Ne ſoit dolens & à meſchief
« Et qu’il n’ait bien mal en ſon chief,
« Quant tu li diras villennie
« De Coronis qui eſt s’amie ?
« Cuides-tu qu’il t’en ſache gré,
« Et t’en mette en plus hault degré ?
« Nennil voir, ainſois t’en harra,
« Et jamais bien ne te vorra.
« Et l’image qui parle a dit[362]

« Cy deſſus, un notable dit :
« Que tart ne puet hurter à porte,
« Qui malvaiſes nouvelles apporte. [App. LXXXIII.]
« Souvent meſchiet de dire voir,
« Et tu pues clerement ſavoir
« Que grant mal t’en puet advenir,
« Je m’en ſay bien à quoy tenir.
« Car je ſui maiſtreſſe, jadis,
« En la maiſon de Palladis ;
« Et y eſtoie à grant honnour.
« Or en ſuis hors à deshonneur,
« Et tout pour dire verité[363].
« Ne fu-ce grant iniquité ?
« Eſcoute, & retien mon chaſtoy,
« Et voy comment je te chaſtoy ;
« Car noblement laiſt ſa folie
« Cils qui par autrui ſe chaſtie.
« Or te diray ce qui m’avint :
« Il a jà des ans plus de .xx.
« Je fui jadis dame & maiſtreſſe
« De l’oſtel Pallas la déeſſe.
« Mon ſervice tant li plaiſoit
« Que meilleur chiere me faiſoit
« Qu’à nuls qui fuſt en ſa maiſon.
« Se ſavoir vues pour quel raiſon
« Je ſui banie de ſa court,
« Je le te diray brief & court :
« Vulcans li vieus & li deſpis

« (Que malegoute fiere ou pis !)
« Qui forge foudres & tempeſtes,
« Par jours ouvrables & par feſtes,
« Et, pour malfaire ſeulement,
« Ama Pallas ſi ardamment
« Qu’il la requiſt de puterie ;
« Mais el ne s’i accorda mie.
« Ains volt garder ſon pucellage
« Comme bonne & vaillant & ſage.
« Vulcans long temps la pourſui,
« Et elle tousjours le fui.
« Li anemis & li maufez
« Fu une fois ſi eſchaufez
« Que ſon germe en terre eſpandi ;
« La terre s’ouvry & fendi,
« Et de ce la Terre conçut
« Un enfant que Pallas reçut.[364]
« Eurithonus fu appellés,
« Maiz mauvaiſement fu celés ;
« Car jà l’accuſay comme fole
« Par ma jengle & par ma parole.
« Or te diray de l’enſançon :
« Trop ot merveilleuſe façon ;
« Car Nature qui le forma
« Le fiſt tel que double forme a.
« Pallas le miſt dedens un coffre,
« Et puis jura par ſaint Onoffre,
« Qu’elle verroit que ce ſeroit,

« Et que bien garder le feroit :
« Et ne voloit pas qu’on ſcéuſt
« Que la terre enfanté l’éuſt.
« À .iii. ſeurs Ciroperiennes,[365]
« Qu’elles tenoit pour toutes ſiennes,
« En Athenes bailla la garde ;
« Et deffendi qu’on ne regarde
« Dedens le coffre nullement :
« Qu’elle veult que celeément
« Soit nourrie la créature
« Qui eſt née contre nature.
« Et c’eſt voirs qu’elle fu ſans mere,
« Née de la ſemence au pere.
« Pandraſos fut la ſuer primiere,
« L’autre Hercé, & la darreniere
« Aglaros eſtoit appellée :
« Mais elle fu mal aviſée,
« Qu’à force le coffret ouvry,
« Et tout le ſecret deſcouvry.
« Deſſus un chaiſne m’eſpluchoie,
« Et de haut en bas regardoie,
« Si que je vi tout le covine,
« Comment Aglaros la meſchine
« Ouvri le coffre pour ſavoir
« Ce qu’il pooit dedens avoir ;
« Et le vi tout certeinnement
« Mieus qu’elle, ou auſſi proprement.
« Et vi qu’il ot piez de ſerpent
« Dont par le coffre aloit rampant.
« Auſſi vi-je ſa double fourme,

« Qu’Aglaros, deſſus une fourme,
« Le coffre ouvry & defferma :
« Ne ſay ſe depuis le ferma.
« En l’eure de là m’en volay
« Et devers Pallas m’en alay,
« Pour garguillier & reveler
« De mot-à-mot, ſans rien celer,
« Par qui le coffre eſtoit ouvert
« Et tout le ſecret deſcouvert.
« J’en cuiday avoir tel ſalaire
« Qu’elle me déuſt grant bien faire ;
« Ne ſay qui ce me pourchaſſa,
« Mais tout en l’eure m’enchaſſa,
« Et me bani ſans rappeler ;
« Ne puis n’oſay vers elle aler.
« Mais la choſe qui plus m’eſt dure
« En ceſte dolente aventure,
« C’eſt ce qu’elle a mis la Suette[366],
« Qui n’eſt belle, gente ne nette,
« Ains eſt orde, vils & becue,
« Et ſa face eſt toute quocue,[367]
« En lieu de moy ; & tout gouverne,
« En l’oſtel & en la taverne,
« L’orde eſraillie, l’orde garce :
« Pléuſt à Dieu qu’elle fuſt arſe !
« Elle ne vole que par nuit,
« Chaſcuns la het, chaſcuns la fuit ;
« Il n’eſt oiſiaus qui bien li vueille
« Et qui ne s’en pleingne & s’en dueille ;
« Et ſi coucha avec ſon pere.

« Et maintenant Pallas s’en pere.[368]
« J’en ay tel dueil & tel envie
« Que certes j’en perdray la vie.
« Or pues-tu bien apercevoir
« Ce qu’il m’avint pour dire voir.
« Si que, Corbiaus, je te conſeil
« Que tu uſes de mon conſeil,
« Et te ſouvieigne que l’on dit :
« Tant grate chievre que mal git. »

Li Corbiaus dit que non ſera,
Et que jamais ne ceſſera,
Tant qu’à Phebus ait recité
De Coronis la vérité.
Il fiert de l’elle & ſi s’en vole.
N’a pas eſté à bonne eſcole ;
Car il avient ſouvent contraire
De parler, quant on ſe doit taire.
Si qu’il en ara telle paie
Comme raiſon aus gengleurs paie,
Au moins à ceus qui ont à faire
À gens qui ſont de bon affaire.

De ſes elles l’air accolant,
Sen va li Corbiaus en volant,
Sans voie & ſans chemin ferré ;

Tant a cerchié, tant a erré
Qu’il eſt venus droit en Teſſale.
Phebus eſtoit en une ſale
D’or, d’argent & de pierrerie
Bien & richement entaillie.
Du ſon qui de ſa harpe iſſoit
Moult doucement retentiſſoit
La ſale & tous li lieus d’entour ;
N’il n’y avoit chambre ne tour
Dont on ne le péuſt oïr.
Li blans Corbiaus à resjoïr
Se priſt moult fort, quant il l’entent :
Grant chiere & grant ſalaire attent ;
Mais il faurra à ſon entente.
Il reſſemble au ciſne qui chante
Et resjoïſt contre ſa mort,
Car cils eſt trop fols qui s’amort
À dire choſe qui deſplaiſe
À ſon ſeigneur, quant il eſt aiſe.
Et vraiement trop parler nuit.
N’onques, ne de ſoir ne de nuit,
Ne fu janglerie en ſaiſon.
Quant li Corbiaus vit la maiſon
De Phebus, l’air fent & depart,
Et toſt s’en vole celle part.
Phebus le vit, ſi li commande
Que raiſon li die & li rende
Dont il vient, car moult longuement
À pris hors ſon esbatement.
Li Corbiaus en l’eure li conte
L’outrage, le lait & la honte
De Coronis & l’avanture ;
Encore lui diſt-il : « Biau ſire,

« Par tous les ſairemens qu’on fait,
« Je les vi en preſent mesfait ;
« À vous le di j’y ſui tenus,
« Et pour ce ſui-je cy venus. »

Quant Phebus oÿ la nouvelle
Du Corbel, qui diſt que la belle
Qu’il aime de fin cuer entier
Le laiſt pour un autre acointier,
De ſon chief chéy ſa coronne,
Et ſa harpe qui ſouef ſonne
De ſes mains chéy à ſes piez.
S’il fuſt férus de .ii. eſpiez
Parmy le corps, il ne fuſt mie
Plus dolens qu’il eſt pour s’amie,
De ce qu’on li a raporté
Que vers li a fait fauſſeté.
Mais, ce n’eſt pas neceſſité
Que quanqu’on dit ſoit vérité ;
N’en ce qu’on dit n’a pas le quart
De vérité, ſe Dieus me gart.
Phebus trop forment ſe tourmente,
Trop ſe complaint, trop ſe demente,
Trop a de mal & de dolour ;
En ſa rage & en ſa furour,
D’aventure la belle vit.
Or orrez comme il ſe chevit :
L’arc priſt, la fleſche miſt en coche,
Et ſi roidement la deſcoche
Qu’à Coronis l’a traite ou pis,
Pour ce qu’elle fu acoupis.
Coronis chiet toute eſtendue,
Li cuers li fault, & la véue

Li trouble en chief, & de la plaie
Li ſans juſqu’à la terre raie.
En morant diſt : « Laſſe dolente !
« Bien voy que la mort m’eſt preſente ;
« Et ſi n’ay pas mort deſſervi,
« S’en vo gré ne vous ay ſervi.
« Amis, mais vous vous haſtez trop,
« Car .ii. en tuez à .i. cop.
« Au moins entendez ma complainte :
« Je ſuis de vous groſſe & enſeinte,
« Et li enfes n’a rien meffait,
« Dous amis, que vous m’avez fait. »
Après ce mot, l’ame rendi.
Quant Phebus la belle entendi
Et qu’il vit qu’elle eſt toute morte,
Trop mortelment ſe deſconforte ;
Trop fu courciés, trop fu dolens,
Il maudiſt tous oiſiaus volans,
Eſpecialment le Corbel
Qui deſſus tous avoit corps bel.
Il maudiſt l’arc & la ſaiette,
Et la main dont il l’avoit traitte.[369]
Le corps fiſt aromatiſer
D’oingnement qu’on doit moult priſier,
Fait par manière ſi ſoutive
Qu’elle ſemble encor toute vive.
Ou temple Venus la déeſſe
Fu là miſe, à moult grant richeſce,
Mais il la fiſt ouvrir & fendre

Avant toute euvre, & l’enfant prendre,
Qui fu puis de moult grant renon :
Eſculapius ot à non,
Et ſi ſceuſt plus de ſurgerie
Que nul homme qui fuſt en vie.
Car il faiſoit les mors revivre,
Si com je le truis en mon livre.

Li Corbiaus attendoit merite
De la nouvelle qu’il a dite ;
Moult le deſire, moult li tarde.
Phebus le vit & le regarde
Et dit : « En ſigne de memoire,
« Sera ta blanche plume noire,
« Et tuit li corbel qui l’ont blanche
« L’aront plus noire que n’eſt anche,
« À tousjours perpetuelment ;
« Ne ſera jamais autrement,
« Pour ta mauvaiſe janglerie
« Qui m’a tolu ma druerie
« De la plus belle de ce monde.
« Et puet eſtre qu’elle eſtoit monde
« De ce fait, & que menti m’as.
« Dont dolens ſuis triſtes & mas.
« Jamais ne feras que jangler ;
« Maus aigles te puiſt eſtrangler !
« Va-t’en ! de ma court es banis,
« Se plus y viens, tu es honnis. »
Ainſi fu li Corbiaus paiez :
Si s’envola tous eſmaiez,
Et devint lerres ; c’eſt la ſomme.
Et ſi, le ſcevent bien maint homme,
Qu’en tous les leus où il repaire,

Il ne fait que jangler & braire.
« Sire, m’avez-vous entendu ?[370]
« Vous ay-je bien raiſon rendu
« Du Corbel & de la Corneille ?
« Se Dieus me gart, trop me merveille
« Comment vous créez telles bourdes.
« Avoir devez oreilles lourdes,
« Envers tous ceus qui vous apportent
« Telles paroles & enortent ;
« Et c’eſt pechié contre nobleſce,
« De croire choſe qui tant bleſce
« Qu’on en pert l’onnour & la vie,
« Et l’amour de ſa douce amie.
« Se vous les voulez croire ainſi,
« Vo dame ocirez de ſouſſy,
« Et puis vous en repentirez,
« Et .c. foiz encor maudirez
« La journée & ceus qui le dirent,
« Et les oreilles qui l’oïrent,
« Le lieu le damage & la perte ;
« Qu’evident ſera & apperte,
« Si com Phebus. Mais c’eſt à tart ;
« Si que, pour Dieu, aiés regart
« À Phebus qui ſe repenti
« De Coronis qui li menti ;
« Car ſa foy l’y avoit plevie
« Qu’autre n’ameroit en ſa vie.
« Pluſt à Dieu que ceuls qui ce font,
« Et qui amour ainſi deffont
« Par faus & par mauvais rappors,
« Deveniſſent ſauvages pors ;

« Ou qu’il fuſſent muez en arbre,
« Ou en noire pierre de marbre :
« Si changeroient blanc en noir,
« Ainſi com cils qui du manoir
« Phebus fu bannis ſans rappel,
« Sur perdre la teſte ou la pel.[371]

« Sire, tant vous ay ſermonné,
« Que veez bien que raiſon hé ;
« Si dois eſtre depriſonnée,
« Et en m’onneur reſtituée,
« Et raſſiſe auſſi haultement
« Com je ſouloie ; ou autrement,
« Par devant Venus en appelle :
« Là debateray la querelle
« Vo dame, & vous feray demande,[372]
« Car elle n’a qui la deffende. »

À ce mot, la gaite corna,[373]
Et li vachiers, qui de corne a
Son cor qui ſonne hault & bruit,
Si m’eſveillerent de leur bruit.
Et quant je fui bien eſveilliés,
Si fui moult fort eſmerveilliés,
Et s’os le fanc tout eſméu
De ce que j’avoie véu ;
Qu’onques mais, n’en paroy, n’en page,
N’avoie oÿ parler image.

Que di-je ? elle ne parla mie,
Car Morphéus, par grant maiſtrie,
Priſt de l’image la figure,
Et à mon lit, de nuit obſcure
Où je ſongeoie moult forment,
Vint & me diſt, en mon dormant,
La requeſte & la complainte
De l’image qui eſtoit painte.
Qui ne ſcet qui eſt Morphéus,
Dont longuement me ſuis téus,
Liſe L’amoureuſe fonteine,[374]
Si le ſara à po de peine.

Ainſi penſoie & repenſoie :
Et, en la penſée où j’eſtoie,
Je penſay que j’avoie tort,
Et que cils fait mal & ſe tort
Qui met créature en priſon
Où il n’a nulle meſpriſon.
Si m’eſveillay & m’aſſeuray,
Et puis mes coffres deffermay
Où l’image eſtoit enfermée
Qui Toute-belle eſtoit nommée.
Je di : « Ma belle, eſtes-vous ci ?
« Je vous requier & pri merci,
« De ce qu’empriſonné vous ay. »
Moult courtoiſement la levay,
Et la remis de ma main deſtre
En lieu où elle ſoloit eſtre,
Et auſſi honorablement.

Et puis je penſay longuement,
Et avoie moult grant merveille
Du Corbel & de la Corneille
Que Phebus & Pallas haïrent,
Pour ce que verité leur dirent.
Et quant leur parler recorday,
De Morphéus bien m’accorday,
Que cils eſt fols qui fait meſſage
Dont on a courrous ou damage,
Eſpeciaument en amours.
Car nuls n’eſt ſi parfais en mours,
S’il eſt poins d’amoureuſe lance,
Qu’il n’ait courrous ou deſplaiſance,
S’en li rapporte de ſa dame
Choſe qui puiſt tourner à blaſme.
Si ne vous devez merveillier,
Se penſer, muſer & veillier,
Plourer, ſouſpirer & gemir
Me convenoit, & pou dormir,
Quant on me rapportoit nouvelle
Qu’avoie perdu Toute-belle.
Par icellui Dieu qui me fiſt,
Cuer avoie ſi deſconfiſt,
Et ſi fort ſe deſconfortoit,
Qu’à pou qu’en .ii. pars ne partoit.
Lors maudi Amours & Fortune
Qui ſi mortelment me fortune,
Et ſi m’avoit promis en don
Plus de cent fois, en .i. randon,
Que jamais ne m’oblieroit
Toute-belle, & ne changeroit.
Mais pas ne m’a tenu convent,
Car ſa convenance eſt tout vent ;

S’il eſt voirs ce qu’on m’en a dit.
Autrement ne di-je en mon dit.

Et toutevoie, doit Confort
Querir cils qui a deſconfort.
Si que, pour moy deſanuier,
Pris un livret à manier
Qu’on appelle Fulgencius,[375]
Si trouvay Titus-Lyvius
Qui de Fortune deſcriſoit
L’image, & ainſi diſoit :

Jadis les matrones de Romme
De leurs teſtes, ſans conſeil d’omme,
Un temple à Romme edifierent,
Et en l’onneur le dedierent
De la déeſſe de fortune.
Son image au gré de chaſcune
Firent en fourme & en ſemblance
De femme, pour ſon inconſtance :
Car c’eſt choſe aſſez veritable,
Que trop eſt femme variable.
L’image que ci vous devis
Fu belle de corps & de vis :
Deux petis cercles à ſa deſtre
Avoit, & .ii. à ſa feneſtre ;
Et un grant qui environnoit
Les .iiii. petis & tenoit.

En premier cercle avoit eſcript,[376]
D’or fin en latin, ceſt eſcript :

FORTUNE.

« J’afflue & me depars ſans bonne[377],
« Tels eſt li geus où je me donne. »

En ſecont cercle eſcript eſtoit
Un mot qui grant gloſe portoit :

Chierie ſuis, tant com je dure,
Et à la mort, amere & dure.[378]

Au tiers cercle avoit .i. notable
Qu’on ne doit pas tenir à fable :

La penſée avugle & enorte
Que d’amer ſon dieu ſe deporte,[379]
Et c’eſt tout que dois Dieu amer,
Qui forma ciel & terre & mer.

En quart cercle un eſcript avoit
Dont chaſeuns garder ſe devoit :

Je chante & m’esbat fauſſement,
Ma chanſon deçoit, fauſſe & ment.[380]

Le quint cercle qui environne
L’image, abat ceptre & coronne,
Et met tout à deſtruccion.
Cy a dure concluſion,
Voire à ceus qui ne la deſpriſent,
Ainſois l’aiment, ſievent & priſent.
Et veſcy la droite eſcripture
Que Tytus Livius figure :

Penſe & regarde qui je ſui,
Quant tu le ſaras hé-m’ & ſui.[381]

Ainſi vi l’image deſcripte
De Fortune, qui trop deſpite
Het, honniſt, deſtruit & deçoit
Tous ceus qu’en ſa garde reçoit.
Si que longuement y penſay :
Et tout ceuls en mon cuer tenſay
Qui m’orent d’amer eſméu
La belle qui m’a decéu ;
Si que ma joie en ſera morte,
S’il eſt voirs ce qu’on m’en raporte.

Et, par ma foy, j’en ſuis en doubte.
S’appliquay ma penſée toute
À comparer ma dame chiere
À Fortune & à ſa maniere,
Et la comparay, par tel guiſe,
Com je ci-après le deviſe.

La reſponſe au premier cercle.

Quant je amay premierement
Ma dame à qui ſuis ligement,
Si doucement me ſot atraire
Qu’onques puis ne m’en po retraire.
Mais je ne ſay par quel attrait
Son cuer de moy ſi toſt retrait,
Qu’en attraiant ſe retraioit,
Quant parmi le cuer me traioit
Son dous regart qui trop meſpriſt
Quant onques de s’amour m’eſpriſt. [App. LXXXVI.]
Si qu’à Fortune comparer
La puis proprement, & parer
Son cuer, ſon corps & ſes atours,
Aus jeus de Fortune & ſes tours.
S’il eſt voirs ce qu’on m’en a dit ;
Aultrement, ne di-je en mon dit.[382]

(Reſponſe au ſecont cercle.)[383]

Helas ! je l’avoie ſi chier !
Et tant l’amoie ſans trichier,
Qu’en verité je ne ſavoie
Se je la looie ou véoie.
C’eſtoit mon cuer, c’eſtoit m’amour,
C’eſtoit mon amoureuſe amour.
C’eſtoit mon deſir, ma plaiſance,
Ma joie & toute m’eſperance.
Aimy ! aimy ! aimy ! aimy !
Or eſt s’amour morte pour my,
Et ſa grace eſt eſvanuie,
Et ſa doulceur en fiel changie,

Qui m’a eſté nourrice & mere.
Or m’eſt com mort ſure & amere.
S’il eſt voirs ce qu’on m’en a dit,
Autrement, ne di-je en mon dit.

(Reſponſe au tiers cercle.)

Chieri ſi amoureuſement
L’ay, & ſervi ſi humblement,
Qu’en li ma droite entencion
Et mon imaginacion,
Mon cuer, mon plaiſir, ma penſée,
Eſtoit en li ſans deſevrée.
Car ſa grant biauté m’excitoit,
Et ſa douceur m’amoneſtoit
D’entroublier mon créatour,
Pour ſon gent corps à cointe atour.
N’au monde n’avoit créature
Fors lui de quoy j’éuſſe cure ;
Quant en amours or m’a traÿ,
Et, ſans nulle cauſe, haÿ !
S’il eſt voirs ce qu’on m’en a dit,
Autrement, ne di-je en mon dit.

(Reſponſe au quart cercle.)

Plus douce que vois de ſeraine,
De toute melodie plaine
Eſt ſa vois ; car quant elle chante
Mon cuer endort, mon corps enchante,
Ainſi com Fortune enchantoit
Ses ſubgiez quant elle chantoit,
Et les decevoit au fauſſet,
Pour ce que malvaiſe & fauſſe eſt.
Ce tour m’a fait ma dame gente,
Qui reſſemble le vent qui vente
Qui legierement va & vient,
Et ſi ne ſcet-on qu’il devient.

Ainſi ſa grace donne & tolt,
Et legierement la retolt ;
S’il eſt voirs ce qu’on m’en a dit,
Autrement, ne di-je en mon dit.

(Reſponſe au quint cercle.)

Quant, premiers, ma dame acointay.
Et véu ſon atour cointe ay,
Ne regarday commencement
Ne fin ; dont je fis folement :
Car on dit que ſagement ouevre
Cils qui voit la fin de ſon ouevre.
Si que folement m’eſgarday,
Dont certains ſuis qu’encor aray
Aſſez de meſchief & d’angoiſſe.
Fortune veult qu’on la congnoiſſe,
Et s’on la congnoiſt qu’on la fuie
Plus que li chas ne fait la pluie.
Las & j’ay ma dame ſievi
Que je déuſſe avoir fui ;
Dont je me tieng pour decéu,
Que je ne l’ay mieus congnéu.
S’il eſt voirs ce qu’on m’en a dit
Autrement, ne di-je en mon dit.

Or eſt ma dame comparée
À Fortune la forſenée,
Car bien pevent aler enſemble ;
Pour ce qu’à Fortune reſſemble,
En cas de variableté
Où il n’a point d’eſtableté.
Car vraiement elle ſe mue
Si com fait eſpreviers en mue.
Mais elle mue ſon courage
Et li eſpreviers ſon plumage,
Et ſi ſcet bien aler au change,
Car ſouvent varie & ſe change.

S’il eſt voirs ce qu’on m’en a dit ;
Autrement, ne di-je en mon dit.

Et ſur ce vous diray un conte
Que j’oÿ conter à un conte
Qui m’eſt ſires & grans amis,
Et qui toute s’entente a mis
En l’esbatement des faucons ;
Pour ce que il ſcet plus que homs,
Et trop plus qu’autre s’i deduit.
Là ſont preſque tuit ſi deduit.[384]
Quant ſes faucons s’en va au change,
Il le reclame & le laidange ;
Il crie, il huche, il huie, il brait,
Tant que li faucons oit ſon brait.
Auſſi ſont tuit ſi fauconnier
Qui font du déduit parſonnier ;
Et quant li faucons les entent,
Aucune fois gaires n’atent,
S’il eſt de tres-bonne nature,
Qu’il ne reviengne à ſa droiture.
Si ſe radreſſe & ſe r’avoie,
Et ſe met à la droite voie.
Lors le traitte amiablement
Li Contes, & tres-doucement
Il le conjoït, l’aplanie,
Et li fait chiere ſi tres-lie
Que li faucons bien apperçoit
Que ſon ſervice en gré reçoit,
Et qu’il a bien fait ſa beſongne.
Lors faut que li Contes li dongne

Le cuer de l’oiſel, c’eſt la chaſſe ;
C’eſt ce pour quoy il vole & chaſſe.
Einſi le paiſt, einſi le livre
Dou cuer de l’oiſel ſeur le luire.
Et quant, pour crier ne pour braire,[385]
Ne pour choſe qu’on puiſſe faire,
Li faucons ne laiſſe l’empriſe
Dou change qu’il a entrepriſe,[386]
Se ſa proie prent en volant,
Li gentils quens, à cuer dolent,
Le traite felonneſſement,
Et ſi, parle à li rudement.
Et quant il prent aucun oiſel,
Dedens un molin à choiſel,[387]
Ou en la riviere le gette.
Par quoy li faucons ait diſette :
Ne de l’oiſel cuer ne coraille
N’autre paſture ne lui baille.
C’eſt la vengence qu’il en prent,
Quant il change & ne ſe reprent.

Si que, ſe ma dame de pris
À vers moy un petit meſpris,
Je li doy monſtrer ma clamour
Piteuſement & en cremour,
Com cils qui ſon courrous reſſongne ;
Et li prier que ne m’eſlongne.

Et s’elle ſe vuet corrigier,
Pardonner li doy de legier ;
Et le faire aimablement,
Doucement & courtoiſement.
Et s’à raiſon ne ſe vuet mettre,
Ains ſe vuet de m’amour demettre,
Je l’en doy laiſſier convenir,
Puis qu’à raiſon ne vuet venir ;
Et, ſans plus plaindre ne crier,
L’en doy hautement mercier,
Et li dire à chiere levée :
« Puis qu’il vous plaiſt, forment m’agrée. »
Car s’amour riens ne me vaudroit,
Puis qu’en li loiauté faudroit.

Toutevoie finablement
Je m’aviſay que nullement
En ce point vivre ne povoie ;
Que touſdis merencolioie,
Et s’eſtoit mes cuers en triſtece,
Qui eſt choſe qui trop ſort blece.
Si qu’une lettre li eſcry,
Et courtoiſement li deſcry
Non pas tout ce qu’on me diſoit,
Mais ſeulement qu’elle liſoit
À pluſeurs gens mes eſcriptures,
Qui m’eſtoient nouvelles dures ;
Si que pluſeurs gens s’en moquoient
Qui les ooient ou liſoient.
La lettre verrez ſans attendre,
Se vous voulez au lire entendre.


XLII. — Ma tres-chiere & ſeule dame, je ſuis moult deſirans de ſavoir de voſtre bon eſtat. Si, vous ſupply, tant humblement comme je puis, que vous le me vueilliez faire ſavoir le plus ſouvent que vous pourrez ; car Dieu ſcet que c’eſt une des plus grans joies que je puiſſe avoir que de oïr de vos bonnes nouvelles. Et ſe du mien il vous plaiſt ſavoir, j’eſtoie en bonne ſanté de corps & en tres-bon point, quant ces lettres furent eſcriptes. Ma tres-chiere & ſeule dame, ſe je vous eſcri ce qu’on m’a dit, je vous pri qu’il ne vous deſplaiſe. Vueillez ſavoir que uns riches homs, qui eſt tres-bien mes ſires & mes amis, m’a dit pour certain que vous monſtrez à chaſcun ce que je vous envoie, dont il ſemble à pluſeurs que ce ſoit une moquerie. Si en faites votre volenté : mais j’ay bien aucune fois eſté en tel lieu, comment que je vaille pou, que on ne faiſoit mie ainſi, & que cils qui ſavoit mieus celer ou celle, c’eſtoit li plus dignes de guerredon. Si, ne vous penſe plus à eſcrire choſe que vous ne puiſſiez monſtrer à chaſcun. Car il ſemble que ce ſoit pour vous couvrir, douce amie, & faites ſemblant d’un autre amer.[388] Et certes je ne fis riens en voſtre livre puis Paſques, & pour ceſte cauſe ; ne ne penſe à faire, puiſque matiere me faut. Mais on ne doit pas tout croire ce qu’on oit. Je vous envoie ce que j’ay fait depuis de voſtre livre, ſi le povez monſtrer à qui il vous plaiſt ; car, par ma foy, je mettoie grant peine au faire. Et comment que vous teniez que ce ſoit moquerie, par m’ame, il n’a mie .iii. perſonnes au monde pour qui je l’entrepriſſe à faire ; comment que ce ſeroit legiere choſe à un autre. Mais, ſe Doulce plaiſance & Fine amour n’eſtoient, ce me ſeroit moult dure choſe au faire. Ma tres-chiere & ſeule dame, li Sains Eſperis vous ait en ſa ſainte garde, qui vous doint honneur & joie de quanque voſtre cuer aime. Eſtcript le xvie jour de juing.

Voſtre tres-loial amy.

Quant ma dame ma lettre oÿ,
Tout en l’eure qu’elle entroÿ
Les paroles & le rapport
Qu’on avoit conté de ſon port,
Ma lettre li chéi des mains,
N’onques, par ſemblant, corps humains
Ne ſenti ſi dure dolour ;
Car tantoſt ſa fine coulour
Blanche & vermeille fu deſtainte,
Et en coulour de morte tainte :
Sus un lit chéoir ſe laiſſa,
Son chief & ſon vis abaiſſa.
Là plouroit moult piteuſement,
Et ſouſpiroit parfondement,
Et en ſa dolente penſée
Fiſt ceſte chancon baladée :

Cent mille fois esbahie,
Plus dolente & courrecie
Suis que nulle voirement,
Quant de cellui proprement
Je ſuis de tous poins guerpie
Qui & ſa dame & s’amie
Me clamoit ſi doucement.

Car à mon gré mieus eſlire,
Qui plus me déuſt ſouffire,
Ne pourroie nul choiſir
De li ; car joie ſans ire
Seroit a moy, à voir dire,
S’aſſez véoir & oïr
Pooie en ma compaignie
Son gent corps qui eſlongnie
M’a, & ſi ſoudainement,
Sans ce que aucunement
Ait en moy congnut folie,

Dont avoir déuſt envie
De moy laiſſier tellement.
Cent mille fois esbahie,
Plus dolente & courrecie
Suis que nulle voirement.

Helas ! or voy, tire à tire,
Meſchief, langour & martire
De tous lieus à moy venir ;
Mon povre cuer fondre & frire,
Dont la mort me fera mire ;
À ce ne puis-je faillir.
Ma léeſſe eſt amortie,
Et ma vertu affoiblie
Eſt ſi dolereuſement,
Que ſans faire ceſſement,
Tourmentée & apalie
Maudi mes jours & ma vie,
Sans avoir confortement.
Cent mille fois esbahie,
Plus dolente & courrecie
Suis que nulle voirement.

Helas ! la douce débonnaire,
Le tiers ver ne pot onques faire,[389]
Tant eſtoit laſſe & adolée,
Triſte dolente & eſplourée.
Mais les .ii. vers qu’avez oÿ
Dedens cette lettre encloÿ.


XLIII. — Mon tres-dous cuer, mon tres-chier & dous amy, j’ay receu voz lettres dont j’eus moult grant joie. Car après vous véoir, c’eſt la choſe du monde que je déſiroie le plus. Car, en verité, il m’eſtoit avis qu’il avoit .iii. ans que je n’avoie oÿ nouvelles de vous ; & en ay eſté à tel meſchief que je ne cuidoie avoir autant de mal pour homme. Et ſe je vous ay eſcrit un pou rudement & mal ſaigement, par m’ame, je ne l’ay peu amender, car j’eſtoie ſi troublée & avoie le cuer ſi marry & ſi courroucié que à peine péuſſe-je dire choſe ne faire qui péuſt plaire à perſonne ; ne il n’eſtoit riens qui ne me deſpléuſt, pour ce que je ne ſavoie nouvelles de vous. Et auſſi, vous m’aviez promis que vous me venriez veoir ſi toſt que vous porriez chevauchier ; & vous avez eſté en bonne ſanté, & ſi, ont eſté les chemins plus ſeurs qu’ils ne ſouloient puis Paſques, qu’il n’avoient eſté depuis .iii. ans ; & ſi ne m’eſtes point venu veoir. Par le Dieu qui me fiſt, je n’éuſſe mie einſi fait ſe j’éuſſe eſté en voſtre eſtat. Et einſi me promiſtes-vous, il a .i. an tout droit en ce mois, quant j’eſtoie au Biau chaſtel, que jamais ne m’eſcroiriez que je ne fuſſe voſtre bonne & léal amie, ne diriez choſe dont je me déuſſe courrecier. Et vous avez fait le contraire, ſi come il appert par les lettres que vous m’envoiaſtes derreinnement, leſquelles je vous r’envoie, pour veoir s’il y a choſe dont je me déuſſe courrecier. Car, par le Dieu qui me fiſt, ne par treſtous les ſeremens que bons puet jurer, il n’a aujourduy home vivant au monde à qui j’aie donné ne promis m’amour que à vous ; & pour ce fuis-je courroucie quant vous créez le contraire. Et pour ces .ii. cauſes que j’ay devant dites, vous eſcri-je que vous eſtiez variables & que vous ne teniez pas bien vérité. Et, par Dieu, combien que je le vous aie eſcript, me garderoie-je bien de le dire en lieu où il vous tournaſt à villenie. Mon dous cuer & ma tres-douce amour, je vous pri ſi acertes come je puis, pour garder le bien & la pais de vous & de moy, que toute ire & tous courrous, & tous eſcris & toutes paroles qui ont eſté dites & eſcriptes entre vous & moy, dont nos cuers peulent eſtre & ont eſté correciez, ſoient toutes miſes en oubli, & que jamais il n’en ſouveingne ne à vous ne à moy ; & que nous nous puiſſions doucement & loiaument amer & demener bonne vie, quant il plaira à Dieu que nous nous puiſſiens veoir. En laquelle choſe je penſe à mettre tele diligence & bonne ordenance qui bien vous plaira. Mon dous cuer, vous dites que uns bien grans ſires & pluſeurs autres vous ont moqué par esbatement de moy & de tel que vous ne congnoiſſiez. Et, par Dieu, je ne fis onques choſe que nuls péuſt ſavoir l’amour que j’avoie à vous, & ſe j’en ay dit ou fait choſe qui ne ſoit bonne à faire, vueilliez le moy mander & y mettre tele ordenance come bon vous ſemblera ; & je vous promet loiaument que je la tenray. Mais, pour Dieu, ma tres-doulce chiere amour, pour choſe qu’on vous die ne vueilliez penſer ne croire que je ne vous ſoie bonne & loial amie, tant come je vivray. Que, par le Dieu qui me fiſt, de la journée que je vous dis que ſe je povoie prenre mon cuer dedens mon corps & le vous mettre en voſtre main, je le vous bailleroie afin que vous en fuſſiez plus ſeur, je le vous donnay & le mis en vous ſi parfaittement que je pourroie auſſitoſt avoir & eſrachier tous les dens de voſtre bouche ſans vous malfaire, & ſans ce que vous en ſcéuſſiez riens, come je pourroie y avoir ne oſter mon cuer de vous que je vous ay donné. Et auſſi, par Dieu, ne vueil-je mie ; car il me plaiſt mieus qu’il ſoit en vous que en nul home qui ſoit vivant au monde. Si, en povez ou devez eſtre tous aſſéur. Mon dous cuer, je vous pri que vous me vueilliez eſcrire de voſtre eſtat & le plus ſouvent que vous pourrez, & s’il puet eſtre bonnement que je vous voie. Car, en vérité, ſe Dieu m’avoit donné .i. ſeul ſouhait en ce monde, je ne ſouhaideroie riens fors vous veoir. Car c’eſtoit tout mon deſir & toute ma penſée, ne je ne cuide avoir parfaitte joie, juſques à l’eure. Mon dous cuer, vueilliez ſavoir que je n’ay point véu le vallet que vous m’avez eſcript que vous m’envoiaſtes, eu mois de may, ne n’en ay oÿ nulles nouvelles. À Dieu, ma tres-chiere amour qui vous doint paix, ſanté, honneur & joie de quanque voſtre cuer aime. Mon chier amy je vous envoie ce virelay qui eſt fait de mon ſentement, & vous pri que vous me vueilliez envoier des voſtres. Car je ſçay bien que vous en avez fait depuis que je n’oÿ nouvelles de vous. Et j’ay veu une balade en laquelle il a En lieu de bleu dame vous veſtez vert, & ſi ne ſcay pour qui vous la ſéiſtes ; ſe ce fu pour moy, vous avez tort. Car, foy que je doy à vous que j’aime de tout mon cuer, onques puis que vous méiſtes & envelopaſtes mon cuer en fin azur, & l’enſermaſtes eu treſor dont vous avez la clef,[App. LXXXIX.] il ne fu changiez ne ne ſera toute ma vie. Car ſe je le voloie bien, ne le pourroie-je faire ſans vous, car moy ne autres n’en porte la clef que vous. Si en poez einſi eſtre aſſeur, comme ſe vous le teniez en voſtre main. Mon chier amy, je vous pri que vous me vueilliez renvoier par ce meſſaige le commencement de voſtre livre, celui que vous renvoiay pieſſa. Car je n’en retins point de copie, & je l’ay trop grant fain de veoir. Et ſe les lettres ſont mal eſcriptes ſi le me pardonnez : car je ne trueve mie notaire tousjours à ma volenté.[390] Eſcript .xe. jour d’octenbre.

Voſtre tres-loial amie.


Or avez oÿ le reſcript
Que Toute-belle me reſcript,
Les pleurs, les lamentacions,
Et les humbles affliccions,
Les ſeremens, les griés penſées
Qui ſont en ſon cuer amaſſées.
Et, certes, qui bien conſidere,
Honte ſeroit & grant miſere
Qu’une bonne dame juraſt
Si forment & ſe parjuraſt ;
Ne le contraire ne croiroie

Ne qu’en un mahommet de croie.[391]
Si ne demoura pas quinzeinne
Qu’en un lundi, à bon eſtreinne,
Un mien amy qui eſtoit preſtres,
Et en l’art de logique maiſtres,
Vint à moy & me ſalua,
Et moult ſagement m’argua ;
En diſant que trop meſprenoie,
Qu’ainſi legierement créoie,
Eſpecialement vers ma dame :
Et me jura ſon corps & s’ame
Que dit toute s’entencion
Li avoit en confeſſion ;
Mais bien vouloit & li plaiſoit[392]
Dou dire à moy, & li loiſoit.
Lors me diſt qu’onques ne fauſſa
Vers moy, ne fauſſer ne penſa,
En fait n’en deſir n’en penſée,
Ne que jà de moy deſſevrée
Ne fera s’amour ne ſa grace,
Pour choſe qu’elle die ne face.
Et que, pour Dieu, que plus ne vueille
Souffrir que ſi grieſment dueille ;[393]
Car tant pareſt deſconfortée,
Laſſe, dolente & eſplourée,
Cils me jura Saint Eſperit,
Que c’iert pechiés s’elle perit.

Quant il ot dit tout ſon plaiſir,

Longuement & à grant loiſir,
Unes lettres me preſenta,
Et dit, avec ſon preſent, a :[394]
« Sire, ſe la lettre eſt moillie
« Que tenez & que j’ay baillie,
« Je vous pry qu’il ne vous anoit,
« Car, ſe Jheſucriſt ne renoit
« Mon ame au jour du Jugement,
« Les larmes vi piteuſement
« Deſcendre de la fontenelle
« Du cuerinet de Toute-belle,[395]
« Quant ces lettres furent eſcriptes ;
« Et, en plourant, furent maudites
« Les langues des faus meſdiſans
« Si fort, que, paſſé a .x. ans,
« Ne vy choſe ſi fort maudire :
« Si que Toute belle, à voir dire,
« De ſes larmes ainſi mouilla
« Ceſte lettre & la me bailla. »
Et quant il ot dit ſa parole,
Je, qui ay eſté à l’eſcole,
Liſi la lettre mot à mot,
En l’eure que baillié la m’ot.
Si, vi qu’il y avoit créance ;[396]
Lors fui-je ſans nulle doubtance
Que ce qu’il avoit dit tenoit
De ma dame, & qu’il en venoit,
Qui a de la douce roſée

De ſon cuer ſa lettre arouſée ;
C’eſt de ſes larmes proprement,
Ou ſon meſſage propre ment ;
Le quel je reputay, ſanz fable,
Sage, loial & veritable,
Et croy que pas ne ſe parjure.
Lire les poez ſans injure.


XLIV. — Mon tres-chier amy bien amé de mon cuer, je me recommande à vous, tant come le cuer de voſtre amie puet plus penſer, & comme celle qui tousjours eſt en .i. propos de ce que je vous ay promis ; ne pour riens je ne m’en pourroie tenir que je ne vous eſcriſiſſe & féiſſe ſavoir mon eſtat. Et pour ce que je ne vous pourroie tant eſcrire, car ce ſeroit trop longue choſe, j’ay dit la plus grant partie de ma volenté au porteur de ces lettres, liquels eſt bien mes grans ſires & amis ; & je ſcay bien que auſſi eſt-il li voſtres. Et tout ce que je ly ay dit, je ly ay dit en confeſſion, & chargié, ſeur l’ame de lui, que jamais ne ſoit dit à nulle perſonne que à vous. Et, pour Dieu, je vous ſupply qu’il ne vous vueille deſplaire ſe je ly ay dit, car, en l’ame de moy, je croy que le cuer me fuſt crevez ou ventre ſe je n’éuſſe deſcouvert mon meſchief à aucune perſonne ; & je cuide qu’il eſt bien ſi voſtre amy que vous ne vous en devriez mie courroucier. Si vous pri tant humblement come je puis que vous le vueilliez croire de ce qu’il vous dira de par moy ; que, jà Dieu ne me doint honeur ne joie de choſe que je lui requiere, ſe je ly ay de riens menty de ce que je ly ay dit. Mon tres-chier amy, vueilliez moy reſcrire de voſtre eſtat ; ſi me ferez grant joie & grant confort. Et ne vueilliez mie perdre la clef du treſor que j’ay,[397] car ſe elle eſtoit perdue je ne croy mie que péuſſe jamais parfaitte joie. Par Dieu, il ne ſera jamais deffermés d’autre clef que de celle que vous avez, & il le ſera quant il vous plaira ; car, en ce monde, je n’ay de riens plus grant deſir. Mon chier amy, s’il vous plaiſt, je vous pry que vous me vueilliez envoier le livre dont autres fois vous ay eſcript, ou aucunes de vos autres choſes pour moy esbatre. Car il m’eſt avis que vous vous en eſtes trop tenus. Mon tres-chier amy, je prie à Noſtre Seigneur qu’il vous doinſt honneur & joie de quanque voſtre cuer aime & qu’il vous vueille mettre & tenir en l’eſtat que vous eſtiez, quant vous partiſtes de moy. Par ma foy je y ſuis adés. Eſcript le .viiie. jour de mars.

Voſtre léal amie.


Quant j’eus ceſte lettre véu,
Et en mon cuer bien concéu
Ce que la lettre deviſoit
Et que li meſſages diſoit,
Sa parole recommenſa,
Et un petiot me tenſa,
En diſant qu’avoie meſpris
Trop fort, vers ma dame de pris.
Je demanday par quel manière ?
Et il me diſt : « La derreniere
« Balade que vous avez fait,
« Eſt la cauſe de vo mesfait ;
« Car vous dites tout en appert
« Qu’elle veſt, en lieu de bleu, vert.
« Et ſachiez que ceſte balade
« Eſtraint ſon cuer & fait malade ;
« Si qu’en ma preſence jura
« Que jamais vert ne portera,
« En chaperon n’en veſtéure,
« En verge, en chappel, n’en ceinture ;

« Mais tous jours pers ou aſur fin
« Portera juſques à la fin.

« Auſſi, vous l’avez comparée
« À Fortune la forſenée,
« Et dit ce qu’il vous a pléu ;
« Elle & moy l’avons bien ſéu.
« Mais ne lairay que je ne die
« Que vous avez fait villenie,
« D’einſi parler en grant ſimpleſce ;
« Car chaſcuns le tient à rudeſce.
« Comment que toudis aiez dit :
« S’il eſt voirs ce qu’on m’en a dit.
« Si que ſa cauſe vueil deffendre,
« S’un petit me voulez entendre.
« Et, pour ce, comparer vous vueil
« À Fortune : car, à mon vueil,
« Tres-bien comparer vous y puis.
« Et veſcy comment je la truis. »

(Comment li Païen figuroient l’ymage de Fortune.)

Li Paien anciennement
La figuroient autrement
Que vous ne l’avez figuré ;
Car en eſcript ſa figure hé :[398]
Il avoient une cité
Noble & de grant auctorité,
Là eſtoit com déeſſe & dame
Fortune, en figure de fame,
Emmy une roe qui tourne,

Si que rien ſon tour ne deſtourne,
N’on ne puet à li contreſter
Si, qu’on puiſt ſon tour arreſter.
Trop eſt fiere, trop eſt crueuſe,
Trop pareil fauſſe & perilleuſe.
Deus faces avoit la déeſſe,
L’une de joie & de léeſce,
L’autre monſtroit en ſa colour
Signiſiance de dolour.
La premiere reſplandiſſoit
Et de lui grant clarté iſſoit ;
Et l’autre eſtoit noire & obſcure,
De nulle joie n’avoit cure.
La Déeſſe ne véoit goute ;
Comment que Chatons pas ne doubte,
Ains deffent ſon fil qu’il ne croie
Que Fortune tres-bien ne voie,
Ne qu’elle ſoit borgne & avugle :
Mais elle deçoit & avugle
Les ſiens qui deſirent les tas
Des florins & les grans eſtas.
Preſque tuit danſent à ſa danſe,
Fors qu’aucuns qui ont ſouffiſance,
Et qui ne vuelent plus avoir
D’onneur, de proffit, ne d’avoir.
Car Franchiſe & Raiſon les maine ;
Tels gens font hors de ſon domaine.

Emmy la cité dont je compte,
Avoit .v. fontaines par compte ;
Et quant les gens, qui aoroient
La ditte déeſſe, vouloient
Avoir d’elle ou empetrer grace,

Venir faiſoient en la place
Sus la fontaine .v. pucelles,
Vierges, juenes, cointes & belles,
Veſtues precieuſement,
Et aceſmées richement.
Et chaſcune qui là venoit
Une fleur en ſa main tenoit.
Chaſcune chantoit à ſon tour
Une chanſon par grant douçour.
Pour adoucir la grant rigueur
De la déeſſe & ſa fureur,
Les vierges .v. ſignes avoient
Par leſquels vraiement ſavoient
Se leur prière eſtoit oÿe
De la déeſſe, & eſſaucie.

Vez-ci le ſigne & la maniere
De l’iaue, au chant de la primiere.
Quant la fontaine ſe mouvoit,
En ſon ſort la vierge trouvoit
Que ſa chanſon & ſa requeſte
Tenoit pour juſte & pour honneſte.

S’au chant de la vierge ſeconde,
La fontaine afflue & habonde,
C’eſt à dire que la Déeſſe
Promet honneur, joie & richeſce.

S’au chant de la vierge pucelle
Croiſt & s’enfle la fontenelle,
La Déeſſe eſt pacefiÿe
Apaiſantée & adoucie.

S’à la quarte qui après vient,
La fontenelle cler devient,
La vierge ne fait mie doubte
Que la Déeſſe ne l’eſcoute,
Et que faulſement ne li baille,
En lieu de pais, guerre ou bataille.

S’au dous chant de la vierge quinte
Ne demeure ne pot ne pinte
De l’iaue, ainſois s’eſvanuit
Et de tous poins ſeche & tarit,
Ceſt à dire que c’eſt Fortune
Qui, tout ainſi comme la lune,
Eſt belle & clere, toute plaine,
Et riens n’y a, dedens quinzaine.

« Si que monſtrer vous vueil au doy,
« Que trop bien comparer vous doy
« À Fortune & aus .v. fontaines,
« Qui eſtoient combles & plaines ;
« Et faire comparacion
« De leur évacuacion.

« Je vous di, ſire, que, par m’ame,
« Vous avez maniere de fame.
« Trop ſouvent mue vos corages.
« Socrates, li bons & li ſages,
« N’eſtoit mie ſi fort eſtables,
« Com vo corages eſt muables,
« Et ſi, eſtes emmy la roe
« Qui n’arreſte ne qu’une aloe :
« Car riens n’y a d’eſtableté
« Ne d’arreſt ne de fermeté.

« Auſſi n’a-il en vous ſouvent
« Nés qu’en un cochelet au vent.[399]

« Et ſi avez double viſage,
« Tout ainſi comme avoit l’image
« De Fortune, dont li uns pleure,
« Et li autres rit à toute heure.
« Ainſi riez-vous & plourez,
« Toutes les fois que vous voulez ;
« Et nulle goute n’y véez,
« Quant ſi legierement créez.
« Ce vous avugle & vous deçoit :
« Fols eſt qui tels parlers reçoit.

« Cinc perſonnes, ſi com vous dites,
« Grandes, moyennes & petites,
« Vous ont chanté de Toute-belle
« Une chanſon qui n’eſt pas belle,
« Ne gracieuſe à recorder :
« Pour ce ne m’y puis accorder.
« Ces cinq, à parler proprement,
« Sont les .v. vierges droitement,
« Fors tant que les unes meſdient,
« Et les autres loenges dient. »

Des .v. fontaines vous diray,
Et à vous les apliqueray ;
Et vous orrez par quel maniere
Vous reſſemblez à la premiere
Des fontaines qui ſe mouvoit
Au chant de la vierge ; qu’on voit
Que vous eſtes ſi fort méus

Et de vos ſens ſi dechéus,
Que vous perdez vo bon memoire,
Et tout par legierement croire.

La ſeconde vous eſt dehue,
Qui au chant de la vierge afflue.
Qu’en voſtre cuer ſont affluées
Merencolieuſes penſées,
Souſpirs, triſteſces & frivoles,
Et ymaginacions foles ;
Et toudis penſez contre vous.
Et ſi cuidiez en vos courrous
C’une blanche brebis ſoit noire ;
Et tout par legierement croire.

Et la tierce qui croiſt & s’enfle
Au chant de la vierge, en exemple
Vous met, car moult eſtes enflez ;
Mais vous vous eſtes deſenflez,
En parlant moult diverſement
De Toute-belle & rudement.
Ne ſay qui ce vous a apris,
Mais mendres en ſera vos pris
Et voſtre honneur ; c’eſt choſe voire ;
Et tout par legierement croire.

À la quarte qui devient clere,
Au chant de la vierge, compere
Vous & voſtre cuer qui s’eſclaire
Aus dis meſdiſans deputaire,
Et vous les déuſſiez blaſmer,
Haïr, fuir & diffamer.
Comment les poez-vous oïr,
Ne leurs paroles conjoïr,
Quant il vous font d’amer recroire ?
Et tout par legierement croire.

Et la .ve. qui s’eſpart
Et s’eſvanuit & depart

Au chant de la vierge, m’enſeigne
Qu’Amours, qui eſt la droite enſeigne
D’onneur, s’eſt toute eſvanuie
De vo cuer ; & s’en eſt partie
Honneur devant, pais, joie après,
Et deduit qui les tient de près.
Ainſi perdez d’amours la gloire.
Et tout par legierement croire.

« Or ay fait la comparaiſon
« De Fortune qui traïſon
« Fait à tous ceus qu’elle gouverne,
« Soit en egliſe ou en taverne,
« Soit en cité ou en palais.
« Empereres, roys, clers & lais,
« N’y a neluy que ne deçoive,
« Puis, qu’en ſa grace n’es reçoive.
« Et de vous & des .v. fontaines,
« Où, plus doucement que ſeraines,
« En chantant, Fortune appaſſoient
« Les .v. vierges, & l’aouroient
« Comme déeſſe ſouveraine,
« Pour donner repos qui eſt peine,
« Boneur qui eſt maléurté,
« Richeſces en mendicité ;
« Pour ce vous pri qu’il vous agrée
« Que léal amour confermée
« Soit entre vous & Toute-belle,
« Car je vous jur loiaument qu’elle
« Vous aime d’amour vraie & pure,
« Par deſſus toute créature.
« Et ſe vers li avez meſpris
« N’en fais, n’en dis, bien ay compris
« Que de bon cuer le vous pardonne,

« Et que cuer & amour vous donne,
« Et vous li devez pardonner
« Et le cuer & amour donner. »

Quant il m’ot tres-bien laidengié,
Et ſon parler bien arrengié,
Et dit toute ſa volenté,
Je reſpondi : « Par ma ſanté,
« Mes amis eſtes & mes ſires,
« Si ſerez de ma dolour mires ;
« Et Dieus vous a ci amené.
« Car ſi bien m’avez ſermonné
« Qu’en vérité je ne croy mie
« Que ma dame, qui eſt m’amie,
« Daignaſt faire une laſcheté
« Ne penſer nulle fauſſeté.
« Pour ce bonnement li pardoing
« De bon cuer, & m’amour li doing
« Et met en ſon tres-dous ſervage.
« Ne jamais, jour de mon aage,
« Pour perſonne n’en partiray,
« Ains ſuis ſiens & toudis ſeray.
« Et ſe j’ay créu folement,
« Je li ſuppli tres-humblement
« Que de bon cuer le me pardoint,
« Et que cuer & amour me doint.
« Et ſeur ce, je li eſcriray
« Si doucement com je ſaray,
« Et, vous en ferez le meſſage,
« Qu’en vous me ſi, comme en plus ſage,
« Et en milleur amy que j’aie,
« Et que j’aime d’amour plus vraie.
« Et ce li direz de par my,

« Que je ſuis ſon loial amy,
« Sans barat & ſans tricherie,
« Et ſans partir, n’à mort n’à vie.
« Et, pour ce qu’elle mieus vous oie,
« Li eſcriray qu’elle vous croie ;
« Si que mes lettres porterez
« Quant de ci vous departirez,
« S’il vous plaiſt & je vous en pry.
« Et pour ce qu’ay fait lonc detry
« D’envoier vers elle & eſcrire,
« S’il vous plaiſt vous li povez dire
« Qu’elle m’a, long temps a, tramis
« Une lettre, ſi que j’ay mis
« En ces preſentes la reſponſe,
« Où il n’a pointure ne ronce,
« Fors que courtoiſie & douceur,
« Pais, joie, amour & toute honeur. »


XLV. — Mon tres-dous cuer & ma tres-douce ſuer & ma tres-chiere dame, plaiſe-vous ſavoir que je deſire moult à ſavoir voſtre bon eſtat, ſeur toutes les choſes que Dieu & Nature firent onques ; & du mien je ſuis en tres-bon point, la mercy Noſtre Seigneur, fors d’une ſeule choſe, c’eſt de vous véoir. Mais ce que je voy & cognoy que ce n’eſt mie par voſtre deffaute, ains eſt par ma miſere qui me fait & a fait telle plaie & ſi mortel en mon fin cuer loial & amoureus, que jamais ne ſera ſanée ſe voſtre douceur ne la cure. Mais, par m’ame, je ne le puis amender, ainſi come vous le ſarez cy après, ſe Dieus plaiſt & je puis ; & oultre pooir nient. Et, mon dous cuer, il ne convient point vous excuſer pardevers moy, ſe vous ne m’eſcriſiez plus ſouvent ; car, par Dieu, il me ſemble que vous en faites trop & tant que jamais ne le pourvoie deſſervir. Et ſi ſcay certainement que vous faites tout en bonne intencion, ne tous li mondes ne me feroit entendant le contraire. Et certes, mon dous cuer, je vous mercie moult de ce que vous ne me porriez oublier jour ne heure, & les exemples que vous metez en vos douces courtoiſes & aimables lettres me font certain que ce que vous me mandez & eſcrivez eſt pure verité. Mais, mon tres-dous cuer & ma tres-chiere dame, il m’eſt avis que vous m’escriſiez plus brieſment que vous n’avez acouſtumé, plus obſcurement & de pieur lettre : & me ſemble, par voſtre lettre, qui m’eſt plaiſant à l’ueil & douce au cuer & ſavoureuſe à la bouche, que vous n’avez mie loiſir de moy eſcrire, ou que vous le faites reſſongnamment, pour doubtance d’autrui ; ou que il y a autre choſe, laquelle je ne puis ſavoir ſe vous ne le me mandez. Et ſe il le vous plaiſoit à moy mander, dont je vous pri ſi acertes come je puis qu’il vous plaiſe à le moy mander, je m’aviſeroie d’envoier vers vous pour voſtre honneur & pour voſtre pais, & auſſi pour mon bien & pour ma joie. Car par m’ame je n’aroie jamais bien, ſe vous cheiez en paroles ou en blaſme pour moy, comment que Dieus ſcet qu’il n’y a nulle cauſe ne n’ara jà. Mon tres-dous cuer, mes ſecretaires a eſté devers moy, & m’a dit pluſeurs choſes de par vous, leſquelles je ne vueil pas eſcrire ; pour ce que vous le ſavez bien. Et de ce qu’il m’a dit, je vous en merci ſi tres-humblement come bouche le porroit dire ne cuers penſer. Et, ſe Dieu plaiſt, environ ceſte Paſque, je metteray tel peine a acomplir ce qu’il m’a dit, qu’il n’y avera point de deffaut. Car, par m’ame, là ſont tuit my deſir & tuit my penſer. Mais, mon tres-dous cuer, coment que j’aime moult mon ſecretaire & que je me fie fort en li, & vous auſſi, vous m’avez envoïe de vos joiaus par lui, liquel ont eſté pris en voſtre riche tréſor ; par m’ame ! je vueil que vous ſachiez certeinnement que ſe vous poviez fere choſe qui me deuſt deſplaire, cils preſens que vous m’avez envolé par luy me deſplairoit.[400] Et vous ſupplie humblement, ſe vous amez mon bien, ma pais & ma joie, que jamais il ne vous avengne,[App. XCII.] par lui ne par autre : que, par Dieu, je ne le recevroie point de li ne d’autre ; pour ce que trop grant familiarité engendre haine. Et coment que je ſuis certains com de la mort que vous le me donniſſiez plus voulentiers en preſent, j’ameroie mieus les attendre .xx. ans, que ce que vous m’en envoiſſiez .i. ſeul ne par li ne par autre. Et auſſi, mon tres-dous cuer, j’ay bien véu, oÿ & conſideré tout ce que le porteur de ces lettres m’a dit de par vous, par la créance qui eſtoit en ces lettres ; ſi me plaiſt moult de ce que vous vous eſtes deſcouverte à li. Car il m’a dit & monſtré pluſieurs choſes ſi bien & ſi ſaigement, que mes cuers eſt tous rapaiſiez. Si vous pri, ſi tres-chierement & humblement come je puis, que tous rappors, toutes choſes faites, dites ou eſcriptes entre vous & moy, ſoient oubliées & pardonnées de tres-vray cuer d’amie & d’amy ; & que jamais rien ſouveigne. Si menrons bonne vie, douce, plaiſante & amoureuſe. Et, mon tres-dous cuer, je vous ay eſcript aucune choſe que on m’avoit dit. En l’ame de moy, je l’ay fait pour voſtre bien & pour voſtre honneur, & auſſi pour vous aviſer ; ſi ne vous en déuſſiez mie ſi troubler. Quant à la clef que je porte du tres-riche & gracieus treſor, qui eſt en coffre où toute joie, toute grace & toute douceur ſont, ne ayez doubte que elle ſera tres-bien gardée, ſe Dieus plaiſt & je puis ; & la vous porteray le plus brieſment que je porray, pour veoir les graces, les gloires & les richeſces de ceſt amoureus treſor. Mon tres-dous cuer, plaiſe-vous ſavoir que j’ay enfourmé le porteur de ces lettres de toute m’intencion,[401] plus pleinnement que je ne le vous porroie eſcripre. Si vous pri que vous le vueilliez croire de ce qu’il vous dira de par moy, autant come moy meiſmes. Et quant à voſtre livre, il ſera parfait, ſe Dieus plaiſt & je puis, dedens .xv. jours. Et le fuſt pieçà : mais j’ay eſté lonc temps que je n’y ay riens fait. Et tenra environs .xii. quahiers de .xl. poins[402]. Et quant il ſera parfais je le feray eſcrire & puis ſi le vous envoieray. À Dieu, ma tres-chiere dame, mon tres-dous cuer & ma tres-douce amour qui vous doint honneur & joie, de quanque voſtres cuers aime. Eſcript le .xe. jour d’avril.

Voſtre tres-loial amy.[403]


Encor li dis-je : « Biau dous ſire,
« Je vous pri que vous vueilliez dire
« À Toute-belle, en qui comant
« Suis tout, qu’à li me recomant
« Autant de fois com ceuls qui ſont,

« Qui ont eſté & qui ſeront,
« Feront de pas, diront paroles,
« Et feront de tours de karoles,
« De vertillons & de fuiſiaus ;[404]
« Et ferront de cops de martiaus,
« De cloches, de haches, d’eſpées ;
« Et com il auront de penſées,
« Comme pirouelles & tours
« Ont fait, font & feront de tours,
« Et com il naiſt en mai fueillettes,
« Fruis, fleurs, graines & poils d’erbettes ;
« Comme il eſt d’arbres, de buiſſons ;
« Et de tous eſpis en moiſſons,
« De grains, de feves & de pois,
« Et de drames en touz les pois
« Qui ſeront, qui ſont & qui furent ;
« Com tous les grains qui onques crurent,
« De grains de ſel & de gravelle,
« De ſablon, de poudre & de grelle ;
« Orge, aveinne, ſoile & froment,
« Et d’eſtoilles en firmament ;
« De jours ouvrables & de feſtes,
« Et de nuis, & de toutes beſtes ;
« Et com il fu onques d’oiſiaus,
« De créatures, de roſiaus,
« De grans fueilles, de glans de chaiſnes,
« De poins d’aguilles & d’aleſnes,
« De grans pierres & de pierrettes

« Et de toutes autres choſettes ;
« Et autant com il a de goutes
« En la mer & en yaves toutes,
« Et comme il a en mer parfonde
« De poiſſons, & par tout le monde ;
« Et comme il eſt goutes de ſanc,
« D’oile, de vin & de lait blanc,
« Et de treſtoute autre liqueur ;
« Et autretant comme li cuer
« Par les yeux ont plouré de larmes,
« Et comme il a & aura d’armes
« En paradis, en purgatoire,
« Et en enfer qui eſt ſans gloire ;
« Et com on a forgié monnoie,
« Et comme il a en dras de ſoie
« De coulours & d’uevre ſauvage
« Et comme il a en tout ouvrage
« De chanvre, de lin & de lainne,
« Deljés filz qu’on file à grant peinne ;
« Et autant comme de poil a
« Sur quanque Dieus onques créa ;
« Com il eſt plumes & cincelles,
« Mouches, mouchettes & azelles
« En tout le monde entierement,
« Einſi, ſire, tres-humblement
« Moy, mon cuer, mes afflictions,
« Par .ve. mile milions
« Plus que je ne dis, li direz,
« Quant vous m’i recommanderez.
« Auſſi, par .ve. mille fois
« Autant quon a menti de fois,
« Dit menſonges & fait faus tours,
« Eſpeciaument en amours,

« Et fait de ſouſpirs amoreus,
« Et d’autres qui ſont dolereus ;
« Et autant comme il a de trais
« D’arc, d’arçons, d’arbaleſtes trais,[405]
« Et de pennes & de pinceaus,
« Et qu’on a mengié de morceaus,
« Et fera dou commencement
« Du monde juſqu’au finement. »

Il reſpondi : « Par Saint Martin !
« Trop me faurroit lever matin
« Se tout ce dire li voloie ;
« Et, par ma foy, je ne ſaroie :
« Mais mon pooir & mon devoir
« En feray, ſachiez-le de voir. »

À tant ſe départi de moy,
Le premier jour du moys de Moy ;
Et erra tant par ſes journées
Qu’il a mes lettres preſentées,
Et parfiſt ſa legacion
Si tres-bien, qu’en droite union
Miſt nos .ii. cuers, & ſi les joint
Que jamais ne ſeront desjoint,
Departis, ne deſaſſemblez ;
Car par amours ſont aſſemblez,
Et par la déeſſe Venus.
Que tous les haus dieus ſont venus,
Et les déeſſes enſement
Qui onques amoureuſement
Amerent, à ceſſe aſſemblée,

Pour que jamais déſaſſemblée
Ne puiſt eſtre, par nulle voie ;
Et qu’en pais, en ſolas, en joie
Puiſſiens vivre & manoir touſdis,
Et puis en la fin paradis.

Veſci la lettre qui teſmongne
L’effect de toute la beſongne
Que mon cuer & ma dame chiere
M’eſcript à bonne & lie chiere,
Et qui à la mienne reſpont,
Qui bien l’entent & bien l’eſpont.


XLVI. — Mon très-dous cuer, ma tres-douce, vraie & loial amour, j’ay receu vos lettres, eſquelles vous me faites ſavoir voſtre bon eſtat, qui eſt la plus ſouveraine joie que je puiſſe avoir que de oir en bonnes nouvelles ; & du mien dont il vous plaiſt à ſavoir, je vous en mercy tant doucement & tant amoureuſement come je puis. Si vous plaiſe ſavoir que j’ay bien oÿ & entendu tout ce que li porterres de ces lettres m’a dit de par vous, par unes lettres de créance. Et ce m’a réſuſcité mon cuer, ma joie, mon eſperit ; & moy donné tel eſtat qu’il n’eſt joie en ce monde qui ne ſoit triſtece, encontre la parfaite joie que j’ay, de ce que Dieus, Amours & Venus la déeſſe, qui a oÿ mes prieres, mes complaintes & mes lamentacions, ont remis voſtre cuer où il doit eſtre & en voie de verité. Car, par celi dieu qui me fiſt, onques ne fis ne penſay choſe par quoy vous me déuſſiez eſlongier, ne ne feray jamais jour de ma vie. Et puiſque tout eſt pardonné d’une part & d’autre, pour Dieu, mon tres-dous cuer, gardons-l’un l’autre d’ore en avant pais, honneur & parfaite amour. Si vivrons en joie & en plaiſance, & ſi aurons parfaite ſouffiſance. Et auſſi, nous ſerons hors des dangiers de Fortune. Et, mon tres-dous cuer, je vous jure, par tous les ſeremens que femme porroit faire, que jamais créature ne croiray encontre vous, pour choſe qu’on m’en die ne raporte ; & je vous tien pour ſi bon & ſi loial, je ſuis certeinne que auſſi ferez-vous de moy. Mon tres-dous cuer, freres, compains & tres-loiaus amis, vous m’avez eſcript que vous me venriez veoir. Si, vous pri ſi chierement come vous amez mon bien, ma pais, ma joie & ma vie, que vous ne vous metez point en chemin, ſe li païs n’eſt plus ſéurs. Car vous ne me porriez plus correcier en monde que de venir vers moy en peril de voſtre corps ; & jamais je n’aroie bien ne joie, ſe vous aviez aucun empeſchement. Mon tres-dous cuer, vous m’avez eſcript pieſſa, en unes autres lettres dont je ne fis onques reſponſe, que je vous eſcri plus brieſment & plus obſcurement que je ne ſoloie : & en verité vous dites voir. Mais c’eſt pour ce que je ne trueve pas tousjours clerc en qui je me fie bien, pour eſcrire pardevers vous. Et comment que je vous aie tousjours acouſtumé à eſcrire ouvertement, & que pluſeurs ſcevent les amours de vous & de moy, n’eſt-il nuls qui en ſaiche parfaitement la verité, fors une[406] & moy & voſtre ſecretaire. Et, pour Dieu, mon dous cuer, ne doubtez que je le face pour nulle autre choſe : car il ne ſe fait pas bon fier en tous, & tels le porroit veoir qui porroit penſer ce qui n’eſt pas. Et vorroie bien que vous ne me eſcriſiſſiez point, ſi ce n’eſtoit chanſons, ou ſe ce n’estoit par voſtre vallet qui autrefois y a eſté, & qui ſcet la maniere. Et ſi m’eſt advis que c’eſt le meilleur. Mon tres-dous cuer & mon tres-dous amy, je vous pri tant doucement comme je puis, que vous ne vous vueilliez courrecier du joiau que je vous ay envoié par voſtre ſecretaire, lequel a eſté pris en mon treſor. Car je vous jur par tous les ſeremens que nuls puet faire, que puis que je vous vi, je n’en oſtay nuls, fors celi que je vous ay envoié. Et ſoiez certeins que ſe je héuſſe cuidié qu’il vous déuſt deſplaire, j’euſſe auſſi toſt mors mon doit juſques à l’os, que je le vous euſſe envoié. Si vous pri, pour Dieu, mon dous cuer, que vous le me vueilliez pardonner. Et, par ma foy, je vous promet que je ne le feray jamais. Mais je le fis pour ce qu’il me faiſoit moult mal de ce que je ne le vous pooie donner, & auſſi que je vous envoieroie volentiers choſe qui vous donaſt confort & léeſce. Et, pour Dieu, mon dous cuer, ſe j’ay riens qui vous plaiſe par quoy vous péuſſiez avoir bien & joie, ſi le me vueilliez mander, & je vous promet que je le vous envoieray de tres-bon cuer. Je ne vous envoie pas voſtre livre, pour ce que j’ay trop grant doubte qu’il ne fuſt perdus. Et auſſi, c’eſt tout mon esbatement & que je y vueil aucunes choſes amender, lesquelles je vous diroie volentiers de bouche. Et toutevoie le vous envoleray-je le plus toſt que je porray avoir certain meſſage. Je n’ay pas eu les .ii. balades que vous me mandez que vous m’avez envoïes, dont je ſuis moult courrecie ; car j’ay grant doubte qu’elles ne ſoient truandées[407] avant que je les ſaiche. Ne je n’eus de vous nouvelles, puis que je vous eſcris par voſtre vallet derreinnement. Mon tres-dous cuer, je vous envoie .i. rondelet ou voſtre nom eſt. Si vous pri tres-amoureuſement que vous le vueilliez prenre en gré ; car je ne le ſceuſſe faire ſe il ne veniſt de vous. Je pri à Dieu qu’il vous doint honneur & joie de quanque voſtre cuer aime.

Voſtre tres-loial amie.
RONDEL.

Cinq, ſept, douze, un, nuef, onze & vint,[408]
M’a de tres-fine amour eſpriſe,

Dès qu’à ma congnoiſſance vint
.v. vii. xii. i. ix. xi. & .xx.
Je ſienne & il tous miens devint,
Pour ſon renom que chaſcuns priſe.
.v. vii. xii. i. ix. xi. & .xx.
M’a de tres-fine amour eſpriſe.

Ainſi fuſmes nous racordé,
Com je vous ay ci recordé.


Or eſt raiſon que je vous die
Le nom de ma dame jolie,
Et le mien qui a fait ce dit
Que l’en appelle le Voir-Dit.
Et s’au ſavoir volez entendre,
En la fin de ce livre prendre
Vous convendra le ver .ixieme.
Et puis .viii. lettres de l’uitiſme
Qui ſont droit au commencement.
Là verrez nos noms clerement.
Veſcy comment je les enſeigne :
Il me plaiſt bien que chaſcuns teigne
Que j’aim ſi fort, ſans repentir,
Ma chiere dame & ſans mentir,
Que je ne deſire, par m’ame,
Pour li changier nule autre dame ;
Madame le ſaura de vray,[409]

Qu’autre dame jamais n’auray ;
Ains ſeray ſien juſqu’à la fin,
Et, après ma mort, de cuer fin
La ſervira mes eſperis.
Or doint Dieus qu’il ne ſoit peris,
Pour li tant prier, qu’il appelle
Son ame en gloire : Toute-belle ![410]


Explicit le Livre du Voir-Dit.
  1. Vers obſcur, ſans doute pour : « arrêter la marche des conſtellations. »
  2. Ces mots confort, reconfort ſont tellement néceſſaires que nous les avons aujourd’hui redemandés aux Anglois qui nous les avoient, dans l’origine, empruntés. L’Académie dit de Confort & de Reconfort, qu’ils ſont vieux : c’eſt plutôt du renouveau.
  3. Pour diſtinguer les chiffres romains des lettres ordinaires, l’ancien uſage étoit de placer, comme ici, les lettres de chiffre entre deux points.
  4. Ce fut durant le cours de cette maladie dont la goutte étoit le principe, & avant d’avoir reçu le meſſage dont il va parler, que Machaut fit le teſtament en forme de ballade qu’il enverra bientôt à ſa dame.
  5. Et en ſon conte a dit ainſi. La paſſion des poëtes du quatorzième ſiècle pour la richeſle des rimes leur faiſoit toujours préférer les mots qui dans la même forme différoient de ſens. Cette affectation, ſi déplaiſante aujourd’hui, ſe retrouve ici trop fréquemment.
  6. L’humilité paſſoit autrefois pour ajouter aux grâces des dames. Nous avons un peu changé cela.
  7. De plus, elle danſe mieux que perſonne. — Le ſens du radical magis eſt ici conſervé.
  8. L’emploi du temps préſent de ce mot vaincre eſt des plus déſagréables & des plus indiſpenſables.
  9. L’étoile polaire.
  10. On prononçoit brément, en deux ſyllabes, de même plus bas griefment, grément.
  11. On voit par cet exemple comment la forme du Rondeau s’eſt modifiée. On ſe contenta, à partir du ſeizième ſiècle, de prendre pour refrain les premiers mots des premiers vers qu’on répétoit entiers auparavant. Ainſi l’on eut dit ſeulement : Celle qui vous, & dans la répétition de ces premiers mots, on eût tâché de trouver une pointe agréable, comme dans le fameux rondeau de Chapelle : À la fontaine.
  12. Dont, par conſéquent ; du latin undè. L’amour étoit alors plus ſouvent féminin que maſculin : c’eſt le contraire aujourd’hui.
  13. Dans l’ancien uſage, les verbes vouloir, pouvoir, devoir, étaient ſouvent des formes du temps conditionnel : comme en anglois les could, would, should ; ainſi : Je porroie eſtre voir diſant, doit s’entendre : Je ſerois dlſant vrai.
  14. Cette trinité fut auſſi plus tard celle de l’abbé Cotin :

    Nous n’eſtions que nous trois, elle, l’Amour & moi,
    Et l’Amour fut d’intelligence.

  15. Machaut appelle bien le meſſager ſon compain, mais ne le qualifie pas Sire, parce qu’il étoit d’une condition inférieure.
  16. C’eſt-à-dire : Dont je n’ai pas acquitté la dette.
  17. Machaut lui propoſe ici d’être déſormais le confident ſecret & diſcret de ſa correſpondance. C’eſt lui en effet auquel rien ne demeure caché, & qui ſemble avoir écrit le plus ſouvent ſous la dictée de la dame.[App. V.]
  18. Il étoit encore un peu malade, comme on a vu plus haut.
  19. Un certain eſpace de temps, — un mois, deux mois peut-être, — ſépara le premier meſſage du ſecond.
  20. Machaut laiſfe toujours deviner qu’il étoit d’un rang plus élevé que l’on ami. Il daigne le prendre par la main.
  21. En ce pays, c’eſt-à-dire vers Conflans ou Armentières.
  22. Et ſi ſon doux viſage eſt trompeur.
  23. Quand vous en aurez compoſé & noté la muſique.
  24. Il eſt bien juſte que j’entende à le faire.
  25. C’eſt-à-dire : Je vous parlerai des autres œuvres, dont vous trouverez l’intention, ſi vous cherchez bien, dans maintes pièces notées & ballades non chantées : je les ai faites dans une même penſée qu’on n’a pas reconnue : en pareille matière, l’auteur doit donner le change.
  26. Et ſi vous m’appelez ami, en amie de cœur.
  27. Je ne vous demanderai rien de plus.
  28. On peut ſuppoſer que la demoiſelle ſéjournoit alors à Paris.
  29. Je lui tins compte de ſes journées de voyage.
  30. La penſée. C’eſt la ſeconde fois que le mot ſouvenir eſt pris dans cette acception. — De même plus bas : me ſouvient.
  31. Il ſemble qu’il eût fallu : ne ſe partiſt mie. « Mais que le meſſager ne partît pas avant… »
  32. Elle les feroit mieux valoir.
  33. J’eus une rechute.
  34. Il y a grande apparence que Machaut avoit compoſé ce Teſtament pendant le cours de ſa maladie, & avant d’avoir reçu le premier meſſage de la demoiſelle.
  35. Et que le corps aille où il doit aller.
  36. C’eſt-à-dire la première réponſe, no II.
  37. Le roman d’Artus de Bretagne, compoſé au quatorzième ſiècle, offre les plus confus récits ; il jouit cependant d’une grande vogue. Artus, fils du duc Jean, aime la belle Jeannette : il conſent pourtant à épouſer Peronne de Flandres. Mais, la nuit des noces, Jeannette eſt ſubſtituée à Peronne. La fraude découverte, la fée Proſerpine fait venir Florence, fille du roi Emenidus : celle-ci finit par concourir à la réunion d’Artus & de Jeannette, & parvient elle-même à épouſer le preux Hector qu’elle aimoit.
  38. Peronnelle connoiſſoit la plupart des chants & ballades de Machaut ; non les livres qu’il avoit compoſés.
  39. Ce varlet étoit apparemment le confident & le ſecrétaire de la demoiſelle. Il apportoit la lettre qu’on vient de lire.
  40. C’eſt-à-dire, ſans avoir beſoin d’aide.
  41. Il entend ſans doute parler de l’infidélité, du mariage ou de la
    mort de Jehanne, ſa première amie.
  42. Pour un accueil un peu dur. — Var. recointement.
  43. On donnoit le nom de couche au meuble que remplace aujourd’hui le divan ou le canapé.
  44. Du Cange, ou plutôt Carpentier, rend ce dernier mot par flèche & bouclier. Je le crois plutôt ſynonyme de plates, lames de métal qui, juxtapoſées, remplaçoient au quatorzième ſiécle les mailles du haubert.[App. XI.]
  45. Dans la lettre IV, placée un peu plus loin.
  46. J’étois devenu lourd, groſſier, muet, impotent,
  47. C’eſt la balade qu’il appela ſon Teſtament & qu’on vient de lire précédemment, p. 25.
  48. Quand Seigneurie prend la place, Amour s’enfuit.
  49. Je n’avois plus le friſſon. Ce mot n’eſt pas dans les gloſſaires.
  50. Abril, ou abri. Couvert des arbres.
  51. Lieu planté d’aunes.
  52. Sans retollir, ſans retour ou rachat, terme de droit.
  53. N’arrête, d’où refréner.
  54. Repondre, repoſer.
  55. Il ſemble qu’il faudroit :

    Il n’en donneroit une aloe.

    C’eſt-à-dire : il ne s’en inquiéteroit pas.
  56. Savez-vous qui vous tranſmet cela ? — Votre dame, qui…
  57. Il ſemble ainſi faire entendre que la demoiſelle étoit alors dans le comté de Foix. Mais il y a grande apparence que Machaut, fidèle aux recommandations de ſa maîtreſſe, veut ici déjouer toutes les inductions de ce genre. Le varlet, en allant de Gaſcogne en Lorraine, avoit pu, d’ailleurs, chemin faiſant, recevoir la lettre qu’il devoit remettre à Machaut, en traverſant Reims.
  58. Ce frère pourroit bien avoir été Henry d’Armentières. En 1394, nous voyons Jean II de Conflans repréſenter les quatre enfans mineurs de Henry d’Armentières, & ſaiſir en leur nom des fiefs ſitués à Armentières.
  59. Vous comptiez ſur moi, pour cela & plus.
  60. On vient de voir que Peronnelle l’annonce comme virelai.
  61. Aux lieux où elle étoit arrêtée en voyage.[App. XIV.]
  62. C’eſt apparemment le valet, porteur du ſecond meſſage.
  63. À l’impoſſible nul n’eſt tenu.
  64. Morpheus, compoſé pour Jean, duc de Berry, ne put avoir été commencé avant la fin de l’année 1360.
  65. Belle, je te plains ; ou plains toi.
  66. Sa chambrière, nommée, plus loin, Guillemette.
  67. Ici eſpoir a le ſens de peut-être.
  68. La lamentation ou complainte précédente.
  69. C’eſt-à-dire : le 4e jour après avoir reçu vos lettres, je reçus celles que vous m’aviez auparavant écrites, &c.
  70. La complainte tranſcrite avant cette lettre.
  71. Si je l’avois ſoupçonnée d’en aimer un autre.
  72. Comme s’il y avoit : « Ainſi pouvoit-il arriver que je n’alaſſe ſi tôt vers elle. »
  73. Et je vis le printemps…
  74. La Grande compagnie qui, ſous les ordres d’Arnaud de Cervoles, l’Archipreſtre, vint en aide à Henry de Joinville, comte de Vaudemont, contre le duc de Bar. Elle fit d’horribles ravages en Bourgogne & en Champagne de 1360 à 1365. « Cum difficultate poterant tranſire itinerantes quin eſſent ab illis modo praedonico ſpoliati ; & ſi ſe defendiſſent, forſitan interfecti fuiſſent. » (Continuatio Chronici Guillelmi de Nangiaco, éd. Geraud, t. II, p. 329.) — « Lors (en 1361) avoit, » diſent les Grandes Chroniques de France, « grant foiſon d’Anglois & autres és parties de Brie & de Champagne qui gaſtoient tout le pays & faiſoient du pis qu’ils povoient ; dont aucuns ſe apelloient la Grant compagnie. (Éd. de 1838, t. VI, p. 221.)
  75. Morpheus, compoſé pour Jean duc de Berry, au moment de ſon départ de France pour ſe rendre otage en Angleterre, ne peut avoir été écrit avant le mois de novembre 1360. Dans ce poëme il n’y a que la complainte de l’amant qui ait pu demander un chant & c’eſt la muſique que Machaut auroit ſeule compoſée pour ſa dame.[App. XVII.]
  76. J’avoue ne rien entendre à ce point de comparaiſon.
  77. Il ſemble qu’il devroit y avoir :

    Tous les jours dit nouvel ſeroie…

    Dit ou vers.
  78. Il entend ſans doute par le premier, Charles, Dauphin, & par le ſecond, le Roy Jean, qui venoit de retourner en Angleterre (1362).
  79. Il devoit partir de cet endroit, pour rejoindre le Dauphin, cinq jours après avoir accompli ſa neuvaine ; &, ajoute-t-il, « je n’étois pas fâché de demeurer cinq jours de plus dans la ville où étoit ma dame. »
  80. Être entais, avoir en tâche, être chargé.
  81. Récompenſerai.
  82. Ma contenance.
  83. Les dames nobles du quatorzième ſiècle portoient, dit M. Viollet-Leduc, le chaperon en manière d’aumuſſe, ou autour du cou. Voyez la figure donnée dans le Dictionnaire du Mobilier, t. III, p. 134.
  84. Plus tard : ſouquenelle. Vêtement de deſſus.
  85. Vous voyez que le ſens d’écarlate n’entraînoit pas l’idée de couleur rouge. Il en étoit de même du mot pourpre.
  86. Eſpoir, peut-être.
  87. Largement, librement.
  88. Ainſi, il y avoit dix mois qu’il avoit reçu le premier meſſage : apparemment vers la fin de l’année 1361.
  89. On va voir ici que Machaut, en s’étendant ſur ce que lui repréſentent tour à tour dames Honte & Eſpérance, ne ſonge à intéreſſer que ſa maitreſſe. Ce débat de la Honte & de l’Eſpérance nous paroîtra un peu long, quoiqu’il ſoit ici bien a ſa place.
  90. Ajax.
  91. Nous diſons dans le même ſens : bien drappé, bien blaſonné.
  92. Et c’eſt parce que tu es trop interdit.
  93. N’écrivis, ne dictas lettres.
  94. De Honte, qui avoit parlé la première.
  95. De Pruſſe, où Machaut étoit allé.
  96. Feuillage, chevelure.
  97. Se leva.
  98. Péronne l’avoit empêché de finir ſa neuvaine. Il n’étoit reſté en mouſtier ou chapelle que ſept jours.
  99. La ceinture de notre Machaut valoit bien le collier d’Hernani :

    Mais tu l’as le plus doux, le plus beau des colliers,
    Les deux bras d’une femme…

    d’autant mieux qu’une femme peut faire de ſes bras plus aiſément une ceinture qu’un collier.
  100. Envoyer.
  101. Synonyme de notre : au bout du compte.
  102. Loange ſemble avoir ici le ſens de récompenſe.
  103. Si je vous demandois le don d’amoureuſe merci.
  104. Je me ronge en ſecret.
  105. Que rompre l’arc en le tendant.
  106. Par la vertu de certaines paroles.
  107. Car je m’écarte de votre voie.
  108. Acide, aigre.
  109. Je chante vos vers, je vous conſole.
  110. « Quant à mon tréſor, c’eſt-à-dire mon honneur, que vous dites être ſans prix, je vous en fais l’abandon. » Il faut avouer que la jeune fille ne pouvoit mieux dire ni faire, pour encourager ſon amoureux tranſi.
  111. Tout me reprend.
  112. Par précaution.
  113. Me cacher.
  114. Me fit part.
  115. M’enfermer.
  116. J’ai mon cœur à ſéparer du vôtre.
  117. Quand ce cœur ſera partout où vous ſerez.
  118. J’ai accompli ma neuvaine.
  119. Sur les épines.
  120. Voire dans le ſens de mais.
  121. M’échut, m’arriva.
  122. S. Caprais ou Capraiſe, abbé de Lérins.
  123. Le Pax Dei, plaque ou patène que l’on baiſoit à la meſſe. Ici les lèvres de Péronne furent apparemment le Pax Dei.
  124. On donnoit autrefois ce nom à l’épilepſie que ſaint Acaire, évêque de Noyon, guériſſoit ; mais ici je crois qu’il faut entendre que le ſecrétaire mouroit de faim.[App. XXIX.]
  125. À ma demoiſelle, puellula. Diminutif du mot allemand fraülein, fraaulette ou vraaulette.
  126. Aſſouvi.
  127. J’étois tout abattu, parce que je la voyois avec trop de difficulté.
  128. Que le ſecrétaire enferma dans la lettre.
  129. Remarquez qu’a partir des gages d’amour donnés & reçus, Machaut ne l’appelle plus ſa tres-chiere & ſouveraine dame, mais ſeulement mon tres-dous cuer.
  130. Var. Paraboles, bavardages.
  131. Sauf le malheur d’être éconduit.
  132. Unite ou unité, c’eſt-à-dire union, égalité de penſées.
  133. Que lundi ou mardi matin viendra avant notre retour.
  134. Eſperay, j’attendis, je prévis.
  135. Il ſembleroit que le ſecrétaire eût mis ſon dévolu ſur la ſuivante de Peronnelle.
  136. Chargé d’ennuis.
  137. Le vœu qu’il avoit fait de compoſer une neuvaine de vers.
  138. C’eſt vous, belle, l’amour & vous, qui me nuiſez.
  139. Sans doute : vous prendriez bien à cœur… ou « vous ſauriez bien prendre le temps de… »
  140. Il entend, je crois, parler de lui-même, apparemment comme l’appeloit en badinant la demoiſelle.
  141. Convent, choſe convenue, engagement.
  142. Comme d’entreprendre de l’aimer.
  143. Par honneur, ils entendent toujours, bon renom, réputation.
  144. Son tréſor. Son honneur.
  145. On voit que cette longue tirade eſt faite pour être attentivement lue de la dame & pour la maintenir en ſécurité contre l’indiſcrétion de celui auquel elle ne refuſe rien.
  146. L’un lui jura par Jéſus-Chriſt.
  147. Sans retollir, ſans garder droit de reprendre. Expreſſion juridique qui revient ſouvent ici.
  148. Que demande-t-on à ces foibles femmes…
  149. Il écrit lui-même parce qu’il n’a pas avec lui ſon ſecrétaire.
  150. Charles, dauphin, duc de Normandie. (Voy. p. 71, v. 1529.)
  151. Voloit. On chaſſoit au vol : « On tenoit de moi plus de compte qu’à moi n’appartenoit, ſans parler de chevaliers, de damoiſeaux, de chaſſe aux chiens & aux oiſeaux. »
  152. Saint Véran, évêque de Lyon au ſixième ſiècle.
  153. De ſes bonnes diſpoſitions pour moi, dont je n’étois pas bien ſûr.
  154. Le Voir-dit, qu’il compoſoit, on le voit, à meſure des événements.
  155. Ou louaſſiez. Le verbe louer ſe prenoit ordinairement à peu près comme ſynonyme de donner avis, conſeil.
  156. Apparemment Crécy en Brie, à deux lieues de Meaux.
  157. Nuls, c’eſt-à-dire ceux de la faction du roi de Navarre. — Cette lettre fut écrite près d’un an avant le 8 avril 1364, date de la mort du roi Jean.
  158. Je crois que par ces mots « de ſa nourriture », il entend « de ſa maiſon ».
  159. La chèvre. En latin : capra ; en eſpagnol : cabra. Cabri ſe dit encore en Champagne.
  160. Et n’avanceroit d’un pas en dépit du mors.
  161. Aux lépreux.
  162. C’eſt leur office, le devoir de l’ordre de chevalerie de bien combattre.
  163. Machaut parloit auſſi librement, ſix ou ſept ans après la funeſte bataille de Poitiers (19 ſeptembre 1356). « Pluſieurs des batailles de la partie du roi de France, tant chevaliers comme eſcuiers, s’enfuirent vilainement & honteuſement ; & dient aucuns que pour ce fu l’oſt du Roi deſconfit. » (Grandes Chroniques de France, t. VI, p. 33.)
  164. À mes unes, toujours de même. Le ſens eſt incertain.
  165. Tire, dirige-toi de ce côté où, &c.
  166. Un trépied de cuiſine. Les queux s’en ſervoient fréquemment pour frapper, aſſommer ; comme dans le Lai d’Havelok : « ad trepez & ad chauderons. » (Éd. de F. Michel.)
  167. Il y a une Sainte-Jamme dans l’Île de France ; une autre en Champagne, à douze ou quinze lieues de Conflans au midi, & d’Unchair au nord. Il s’agit apparemment de la Sainte-Jamme ou Jemme de l’Ile de France.
  168. Mon propre cheval.
  169. Cette bénédiction ſe célébroit le 12 juin, lendemain de la fête de ſaint Barnabé. On s’accorde aujourd’hui à dire que ce mot Lendit ou Landit répond à indictum, & ſe prenoit dans le ſens de foire régulièrement indiquée, fixée.
  170. C’eſt-à-dire : ombre d’eſpoir.
  171. Petite ville d’Auvergne ſur la Sioule, à cinq ou ſix lieues de Gannat. Ses vins, autrefois ſi recherchés, conſervent encore une certaine réputation. Saint Pourçain vivoit en Auvergne au ſixième siècle.
  172. Remarquez cette herbe verte dont les chambres étoient jonchées ; & ce vilain, aſſez aiſé pour avoir une belle chambre à deux lits qu’il offre aux étrangers, ſans exiger de ſalaire.
  173. Acouveté, parſemé. Variante : « à couverte » coutepointe.
  174. Je ne henniſſois pas pour une autre avoine. Ce vers rappelle le fabliau : De la femme qui demandoit pour Morel ſa pourvende avoir. (Recueil de Méon.)
  175. Qui nous avoit ouvert la porte du logis.
  176. À dire eſt. C’eſt-à-dire. — Sautereaus, qu’on ne trouve pas dans les gloſſaires, avoit le ſens de meſſier, moiſſonneur. Voyez Du Cange, au mot Saltarius. Fromages ſautereaus ſont donc fromages de moiſſon, nommés encore fromages de gain ; ce dernier mot ayant le ſens d’automne &, par extenſion, de moiſſon. De là gagner, pour moiſſonner, & notre regain, ſeconde moiſſon. Ce furent donc des fromages de Brie que l’abbé de Saint-Denis avoit envoyés à ſaint Louis : « L’abbé de S. Denis en France, » diſent les Grandes Chroniques, « fu en moult grant paine & en moult grant penſée quel preſent il envoieroit au Roy en la terre d’Oultremer. Si lui fu loé qu’il luy envoiaſt fourmages de gain ; que c’eſtoit une viande de quoy les barons de France avoient grant ſouſfraite. L’abbé crut le conſeil ; ſi envoia deux moines à Aiguemorte pour avoir une nef, laquelle il firent emplir de chapons & poulles & de fourmages de gain & de pois de Vermandois… De leur venue fu le Roy moult lie & toute ſa compaignie. » (À l’année 1252.)

    Dans mon édition des Grandes Chroniques je n’avois pas bien entendu cette acception des mots fourmages de gain.

  177. Entremets a bien ici le ſens d’intermèdes ; jeux entre les deux ſervices de table. — Les virelais n’ont jamais été confondus avec les chanſons baladées ; il faut donc à mon avis entendre ici : « chanſons qu’on claime baladées. »
  178. Ne me ſoumit pas à une nouvelle épreuve.
  179. Ceſt-à-dire, je crois : La ſatisfaſtion que je reſſentois m’empêcha de réclamer ou d’obtenir entière merci, & d’aller au delà de douces penſées & d’honnêtes ébats.
  180. Ma compagnie.
  181. Je l’éveillai en ouvrant la fenêtre, comme elle me dit.
  182. Et ne prit-elle aucun autre atour. Il n’y a pas ici d’obſcurité, ni ſurtout dans le vers ſuivant. Cependant la miniature les repréſente tous deux un peu plus atournés ; Machaut, comme on va voir, p. 158, n’y eſt pas même débarraſſé de ſon ſurcot.
  183. On pourra ſourire de cette façon de laiſſer entendre tout ce qui dut ſe paſſer entre le poëte & ſa jeune amie ; & cette invocation à Vénus, déeſſe de volupté, qui intervient ſans donner priſe à Danger, c’eſt-à-dire aux refus de la belle. Mais au moins conviendra-t-on qu’on ne pouvoit raconter d’une manière plus délicate une converſation de ce genre. On peut, à la rigueur, admettre que les exigences de Machaut furent fatisfaites, ſans anticipation ſur les droits d’un futur époux.
  184. Extaſié, en extaſe. Ce mot n’eſt pas dans les Gloſſaires.
  185. « Mon bon renom, ma richeſſe ne peuvent diminuer par vos vers ». — Aſſurément, cette clef, dont Machaut reçoit le don, eſt l’honneur, le bon renom de celle qui vient de lui abandonner ſon plus cher tréſor. Dès ce moment, Machaut en avoit la clef, c’eſt-à-dire pouvoit en faire un bon ou mauvais uſage, par ſa diſcrétion ou ſon indiſcrétion. Il peut ſembler inutile de réfuter l’opinion de M. Proſper Tarbé, qui voit dans le don de cette clef la preuve d’un expédient matrimonial auquel les maris italiens ont eu, dit-on, quelquefois recours, mais dont un ſeul fou, le client d’un avocat nommé Freidel, eut jamais en France l’idée de faire l’épreuve. Quoi qu’il en foit, pouvoit-on ſuppoſer qu’une jeune fille de dix-huit ans, libre de ſes actions comme on a vu, ait eu volontairement recours à un pareil moyen de rendre ſa vertu inattaquable ; ou qu’on lui eût laiſſé la liberté d’uſer de cet expédient, quand & comme elle l’entendroit, & de ſe deſſaiſir de ce droit en faveur d’un autre dont l’abſence pouvoit ſe prolonger indéfiniment ? Cela eſt abſurde ; cela fait venir, bien mal à propos, de vilaines penſées, & nous pouvons aſſurer que ni Machaut ni la demoiſelle ne ſoupçonnèrent qu’on pût jamais prendre le change ſur le véritable ſens de cette clef de l’honneur, confiée à la garde d’un amant.
  186. On ne voit pas bien ce qu’elle auroit voulu tenir ſecret, après ce qu’elle vouloit qui fût découvert.
  187. Même de prier Dieu.
  188. Dame dont Meliadus, dans le roman dont il eſt le héros, devint éperdument amoureux.
  189. Gais ou guets, aguets.
  190. Arnaud de Cervoles, un des plus redoutés capitaines de la Grande-Compagnie. (Voyez plus haut, p. 68.)
  191. Ici nouvel épiſode allégorique dont l’agrément dut être ſurtout bien ſenti par la dame. — Tournu, Tournus.
  192. Celui qui eſt ſurpris mal faiſant eſt tout défié.
  193. La rendi, rendis la honte… — enſoubite, ſubjuguée.
  194. Petite pièce de monnoie, comme un double tournois.
  195. Autour de Bon-avis qui taxera l’amende.
  196. On court grand riſque ſur ce chemin.
  197. Et ils en tuent ; car ſous leur couvert, &c.
  198. Nous étions quatre « contre ſept ». Apparemment qu’ils voyoient non loin d’eux.
  199. Guillaume de Machaut paſſoit pour avoir excellé dans la compoſition des lais, dont les règles étoient des plus difficiles à obſerver. Il y a donc un certain intérêt à voir un de ceux qu’il croyoit apparemment avoir le mieux faits. En voici les règles d’après Euſtache Deſchamps : « Il y faut avoir douze couples, chaſcune partie en deux, qui font vingt-quatre. Et eſt la couple aucune fois de huit vers, qui font ſeize ; aucune fois de neuf, qui font dix-huit, aucune fois de dix qui font vingt, aucune fois de douze qui font vingt-quatre de vers entiers ou de vers coppez. Et convient que la taille de chacune couple à deux paragraphes ſoit d’une rime différente, d’une double couple à l’autre, excepté que la dernière couple de douze qui font vingt-quatre ſoit de pareille rime & d’autant de vers ſans redite comme la première. » Nous allons voir que Machaut a très-exactement obſervé ces règles compliquées.
  200. Comme s’il y avoit « d’une paire d’yeux. »
  201. Car maint regard bleſſe, quand l’amant heureux eſt ailleurs.
  202. Jamais n’aurai de volonté qui m’en retire.
  203. Auquel je prens conſeil pour aimer.
  204. Une flèche. D’où l’ancien mot vireton.
  205. Il y avoit avec moi telles nombreuſes dames qui, &c.
  206. Elle ſemble lui donner à entendre ainſi, qu’elle n’a pas trouvé trop ingénieuſe cette façon de correſpondre ; & nous ſommes un peu de cet avis.
  207. Ou grieveté. Choſe pénible.
  208. Converties ou tournées en vrais chagrins.
  209. Qu’il n’eſtoit rien arrivé qui n’arrivât encore.
  210. Il faut admettre ici que la jeune fille lui avoit dit : « Je vous confie le ſecret & la propriété de mon honneur. Vous pouvez en diſpoſer à votre gré ; j’ai l’aſſurance que vous garderez bien notre ſecret & n’abuſerez pas des droits abſolus que je vous donne. » De là la proteſtation que fait l’heureux dépoſitaire de garder meſure & loiauté, juſqu’a retenir Deſir s’il vouloit trop faire le maître.
  211. Mengier, pour démanger. Nous diſons aujourd’hui tinter.
  212. Succin, ſubſtance bitumineuſe ; ambre jaune.
  213. Avant qu’on me voie aller, courir de tel pas, que…
  214. Les paternoſtres étoient un chapelet dont chaque grain répondoit à un Pater Noſter qu’on devoit réciter ; de là : dire ſes patenôtres.
  215. Le touret, & non tourez (comme l’écrit M. Viollet-le-Duc), étoit, ainſi que l’a conjecturé le même hiſtorien du Coſtume, une partie de la coiffure des dames ; je crois qu’elle ſervoit à retenir & envelopper les cheveux : de là touret de nez.
  216. C’eſt apparemment Henri, le même qui avoit porté la première lettre de Peronnelle. Machaut lui avoit longtemps avant adreſſé une curieuſe pièce de vers ſur les ennuis que lui cauſoit l’obligation de monter la garde ſur les murs de Reims.
  217. Cet &c n’en dit-il pas plus qu’il n’eſt gros ?
  218. Ces deux frères ſemblent bien déſigner affectueuſement la même perſonne, le frère de Machaut.
  219. Dans ſes rideaux.
  220. Forme de ſerment pour le moins douteuſe.
  221. Je ſuis à l’égard de ma dame ce que Babylone étoit à Sémiramis.
  222. Les hommes liges-nés de ma dame.
  223. Auſſi avoit-il un peu brouillé les premières qui, dans le manuſcrit du duc de Berry, ont été écrites après le texte des vers. Une place leur avoit été réſervée, ſans doute par Machaut lui-même, qui aura chargé ſon ſecrétaire de les tranſcrire & mettre en ordre ; celui-ci ne l’a pas fait avec aſſez de ſoin. Auſſi M. Proſper Tarbé, qui en a publié pluſieurs d’une façon très-incomplète, n’en a-t-il pas retrouvé le fil.
  224. C’eſt-à-dire redoubler d’amour, tour à tour.
  225. Ainſi il commença ſon livre, comme il en étoit ſans doute convenu avec ſa dame, lors de leur première entrevue ; il le continua, a meſure de la matière que les lettres & les pèlerinages de Saint-Denis & de Reims lui fournirent.
  226. Ainſi la ſœur étoit mariée & avoit pluſieurs enfans. Ce devoit être une demoiſelle de Conflans[App. XLIX.].
  227. Pour ſuſpendre au cou de ſon image. La meſure du bras de Péronne répondoit donc à celle du cou de l’image.
  228. S’i renvie, s’y renchérit, s’y accroît.
  229. Ovid., Metam., lib. IX, v. 400. — Machaut confond ici le rajeuniſſement des enfans de Calirrhoé avec celui d’Iola. On fait ordinairement Iola fils d’un Iphiclus. Tymolus, comme l’écrit Ovide :

    Deſeruere ſui Nymphae vineta Tymoli
    (Met., lib. VI, v. 15),

    pour Tmolus, célèbre montagne de Phrygie.
  230. Au troiſième mois, vers la mi-oſtobre 1363.
  231. Voyez les poëmes de Cléomades, le Dolopathos, & les Fais merveilleus de Virgile. — Le pauvre amoureux, n’ayant rien à raconter de nouveau ſur ſes amours, continue pourtant ſon poëme, mais en ſe jetant dans des digreſſions que Peronnelle dut lire avec plus de profit que nous ne pouvons en recueillir.
  232. À cauſe de ſon gentil & dous viſage qui défendoit à mes yeux de le voir.
  233. À liſſe, de haute liſſe.
  234. Eſpèce de jeu. Le poëte, continuant à nous raconter ſon rêve, va faire un cours d’éducation royale. Nous ſommes à la fin de 1363, quand le roi Jean, retournant en Angleterre, vient de remettre au dauphin, duc de Normandie, la régence du royaume.
  235. Double principe de politique que les rois de nos jours ont dû plus d’une fois regretter d’avoir oublié.
  236. Que de vérité tu faſſes menſonge.
  237. Tu ne dois pas éprouver ta puiſſance contre les foibles.
  238. Mais il un noble cœur dompte & attire à ſoi un vaillant homme.
  239. Et faire abandon de ce que tu as acquis.
  240. Aſſez a toujours le ſens de beaucoup.
  241. Il y avoit alors dans la grand’ſalle du Palais un énorme maſſacre de cerf armé de ſes cornes.[App. LVIII.] Seroit-ce la tête du dragon que Godefroi de Bouillon avoit, dit-on, tué, & dont parle le poëte Aſteſan :

    Cujus pellis adhuc muro eſt affixa palati ?

  242. On fait que la ſage économie du roi Charles V fut toujours taxée d’avarice par les gens de ſa maiſon.
  243. Seye, & ſi tu es. Var. « Et ſeyes. » Et que tu ſois encore.
  244. Et quand tu les auras aſſouvis.
  245. Que la lie du monde (la merdaille) ne te conſeille.
  246. Par la préoccupation de ce qui peut l’empêcher de venir. Souvenir a été pris plus haut dans le même ſens.
  247. Le poëte revient bruſquement à un autre ſujet politique.
  248. Le Dieu d’en haut, comme le déclare le Pape.
  249. La Grande Compagnie.
  250. Ces vers rappellent ceux qu’on a tant reprochés au grand Corneille :

    Quelque ravage affreux qu’étale ici la peſte,
    L’abſence aux vrais amans eſt encor plus funeſte.

  251. Qu’elle recherchât ma préſence ou moi la ſienne. Vers déteſtable.
  252. Tu dors & tu parles en même temps, comme ſi tu étois éveillé.
  253. De Antiquitatibus Judæor., lib. I, c. xviii. Machaut cite ici Joſèphe de préférence à la Bible, pour me pas être accuſé d’accorder la même autorité aux livres ſaints & aux Métamorphoſes d’Ovide.
  254. Le chief, la tête de Méduſe la Gorgone, qu’aucune âme ne pouvoit regarder, &c. Voy. Ovid. Metam., lib. V. vers 242.
  255. Bigame. Ceſt-à-dire : deux fois marié. Le mot bigame n’avoit alors que cette acception. Les clercs, dont l’Égliſe étoit cenſée l’épouſe, étoient bigames s’ils ſe marioient en réalité. — Cette tirade eſl priſe de Joſèphe. De Antiquitatib. Jud., lib. I, c. v.
  256. Qui vint au monde après le temps d’Abel.
  257. C’eſt-à-dire, les inſtruments de fer (fabrica).
  258. Machaut ſemble être de ces « aucuns » qui auroient perfectionné l’art de muſique, ſans avoir attendu les encouragements du Roi.
  259. L’art de tiſſer.
  260. Il n’eſt pas aiſé de ſe reconnoître dans ces deux noms de Juſtius & de Silivius Tullius. Phoronée paſſe pour avoir donné des lois aux Argiens. Le Roman des Sept ſages les fait contemporains de Dioclétien.
  261. Ou plutôt en Grèce.
  262. Machaut, dans ces mauvais vers, prend le mot Athènes de la rime précédente pour un ſurnom de Solon, & dans la ſuivante pour la ville même.
  263. De Linſes, dans File de Rhodes.
  264. De Priene en Ionie.
  265. C’eſt-à-dire je crois : il ne faut pas t’étonner de mon bon renom, quand j’ai pour me conduire des conſeillers tels qu’Ariſtote, &c.
  266. Eſpoirs, peut-être.
  267. Un chien de chaſſe pour les oiſeaux.
  268. Qu’elle défioit mon cœur au combat amoureux.
  269. C’étoit apparemment la terre de Vielmaiſons en Brie, qui appartenoit à la maiſon de Conflans. Un fils de Jean, beau-père de Peronnelle, l’aurait alors reçue de ſon père, à l’époque de ſon mariage.
  270. Des divertiſſements.
  271. En partant d’Unchères, ſon frère devoit paſſer par Reims pour ſe rendre à Paris, où étoit alors Charles V.[App. LXIII.]
  272. C’eſt-à-dire nulle des joies du cœur.
  273. Cette balade étoit enſermée dans la lettre.
  274. Il n’avoit ſcellé ni fermé cette lettre, comme pour laiſſer entendre à Peronne qu’elle n’y trouveroit pas ſa dernière penſée. — Je n’avois plus de reſſentiment quand je la joignis à l’autre.
  275. Le 22 juillet.
  276. C’eſt apparemment à cauſe de ce déſaut de matière qu’il a tant parlé du Roi qui ne ment, des Sept ſages, &c.
  277. La lettre de Peronne ayant été écrite, comme on a vu, le 27 ſeptembre, Machaut l’avoit reçue le lendemain, veille de la ſête de ſaint Michel. Cette promptitude indique une allez ſaible diſtance entre Reims & le lieu où Peronne ſéjournoit.
  278. Envoyé quand je l’avois écrite, & ſans y joindre celle-ci.
  279. Cette layette contenoit apparemment les vers & les lettres que la demoiſelle avoit reçus de Machaut, & dont celui-ci avoit beſoin pour joindre à ſon livre.
  280. Apprendre.
  281. Peronne va répondre au lai de ſon ami, par une complainte également compoſée de douze couplets, mais moins heureuſement faite. Encore ſe peut-il que Machaut l’ait retouchée.
  282. Ou plutôt : Caunus.
  283. Plus que je ne pourrois de terre arriver au ciel.
  284. On remarquera que Machaut écrit cette troiſième perſonne de l’auxiliaire, tantôt a, tantôt ha. Il choiſit ordinairement, dans une intention euphonique. D’ailleurs peut-être faut-il regretter qu’on ait proſcrit ha ; c’étoit un moyen de mieux diſtinguer à prépoſition de a verbe.
  285. Comme diſent les Italiens : un’ pochetto.
  286. C’eſt-à-dire : je ne connois perſonne qui, juſqu’à préſent, ait pu ſoupçonner nos ſecrètes privautés.
  287. Que vous vous en fuſſiez abſtenu.
  288. Il y a grande apparence que le rondeau dont elle parle avoit été fait pour une autre, & que Machaut le lui avoit envoyé, comme s’il eût été fait pour elle. Ce qu’elle ſemble finement lui laiſſer entendre.
  289. Apparemment une paroiſſe de la ville où elle ſéjournoit.
  290. Bien avant cette année.
  291. Après ce vers, le mſc. 1584 donne celui-ci :

    Et point ſouvent de l’amoureuſe lance.
     
  292. Vaillans, parce qu’ils avoient aimé. Les trois derniers exemples ſont mal choiſis. Car Triſtan étoit vaillant avant d’avoir aimé Iſeult ; Paris, pour avoir enlevé Hélène, n’en fut pas meilleur. Pour Perceval, qui d’abord ne diſtinguoit pas le bien du mal, les romanciers ne lui donnent pas de maîtreſſe en titre.
  293. Une dragme d’or ou même de poivre.
  294. Affin, unis de parenté.
  295. C’eſt-à-dire, les vers qui précédent.
  296. Ce nom abrégé ne ſe trouve que dans le mſc. 1584.[App. LXIX.]
  297. Apparemment par le frère de la dame.
  298. Je ne l’oy. Il veut dire qu’il ne l’a pas encore fait chanter devant lui, pour le bien juger.
  299. C’eſt-à-dire, je ſuppoſe, depuis la mort de Jeanne, ſa première amie.
  300. C’eſt-à-dire au Livre de mes œuvres complètes.
  301. La lettre de Peronne à laquelle celle-ci répond eſt datée du 5 mai. C’eſt apparemment une mépriſe. Pour celle-ci, le mſc. 1584 porte « Decembre ». C’eſt apparemment une autre erreur. Encore devons-nous croire que la date eſt ici mal reproduite, & qu’il faudroit y ſubſtituer le 19 d’octobre. Le roi Jean étoit encore à Reims le 18, il y étoit accompagné du Dauphin duc de Normandie, & de Robert duc de Bar, qui prit hôtel chez Guillaume de Machaut. Il eſt vrai que l’année ſuivante, le 19 mai, Charles V vint ſe faire ſacrer à Reims, & que le 9 mai de la lettre de Peronne pourroit s’accorder avec le 19 mai, jour du ſacre. Mais la date du mois d’octobre répond ſeule à la date des lettres ſuivantes, où l’on voit que Charles, duc de Normandie, n’étoit pas encore roi.
  302. Pour ſuppléer au peu de changement qui ſe fait dans ſa ſituation amoureuſe, Machaut va raconter bien des choſes que les lecteurs d’aujourd’hui connoiſſent mieux, il eſt vrai, que ne les connoiſſoit peut-être Mlle d’Armentières.
  303. Dans le beau mſc. in-folio qui avoit été donné au duc de Berri, les Lettres ont été ajoutées plus tard au texte courant : la main qui les a tranſcrites eſt toute différente. J’y reconnois un ſecond exemplaire que Machaut faiſoit exécuter en même temps que le no 1584, & ſur lequel il aura fait ajouter le texte de ces lettres. Ce ſuperbe volume eſt généralement écrit avec moins de ſoin & d’exactitude que le no 1584, conſtamment ſous nos yeux.
  304. Plus tard on a dit : pieça.
  305. Il entend rappeler qu’elle l’avoit déjà deux fois reſſuſcité, comme on a vu au début des Amours.
  306. Je ne ſais dire que ce que je ſens.
  307. Il eſt près de ſon tréſor & a grand dénûment.
  308. Réſiſtance dans l’intérêt du bon renom, c’eſt-à-dire de l’honneur.
  309. Ne porte atteinte au tréſor d’honneur.
  310. Et laiſſez les oiſifs chercher inutilement.
  311. « Eodem anno m. ccc. lxiii. in menſe Julii & modicum ante, uſque ad feſtum Sanctae Lucae, (18 octobr.) fuit tanta mortalitas hominum Pariſius, & ſpecialiter puerorum & juvenum, & plus virorum quam mulierum, quod erat mirabile dictu & ſtupendum valde. Senes enim in reſpectu juvenum obibant pauci ; undè quando mors intrabat aliquod hoſpitium, primo moriebantur pueri parvi, deindè familia, ad extremum vero parentes vel alter eorum… Et quod mirum eſt, hodiè ſani erant & jucundi ; infrà biduum vel triduum moriebantur. Nec evaſerunt mortem Religionſi, ſacerdotes & curati… Undè dicebatur tunc temporis, quod in multis parvis villulis, eo modo ſicut Pariſius, in tanto numero obierunt, quod in Argentolio ſpecialiter, ubi ante mortalitatem erant mille ſeptingenti ignes ſeu maneria, non remanſerunt quinquaginta vel quadraginta… » (Continuatio Guillelmi de Nangiaco.) On remarquera cette ancienne population d’Argenteuil, auſſi conſidérable qu’elle étoit encore au dix-huitième ſiècle, & ſupérieure à celle d’aujourd’hui.
  312. Le duc de Normandie, depuis Charles V.
  313. Il ſemble qu’il faudroit ou qu’il eût fallu lire : « Se je ne vous eſcris. »
  314. Ces cinq chiffres nous donnent dans l’ordre de l’alphabet R.E.N.O.P, & répondent, en doublant l’e & l’n, à Peronne. Machaut, pour laiſſer deviner moins facilement le nom à ceux auxquels ce petit tour de force ſeroit montré, a omis de redoubler les deux lettres dont il avoit beſoin. C’eſt une précaution qu’il abandonnera dans les derniers vers du poëme.
  315. Réſiſtance.
  316. Danger & Malebouche.
  317. Enlaçoit Léandre.
  318. Voyez dans le quatrième volume de mes Romans de la Table ronde, ou dans le poëme de La Charette, publié par M. Jonckbloet, cette aventure du Pont de l’épée, tranchant & mince en effet comme la lame d’une épée & que Lancelot parvint à franchir pour délivrer la reine Genièvre, &c.
  319. Les hiſtoires contemporaines parlent beaucoup de Charles Touſſac, échevin de Paris & grand partiſan des idées d’Étienne Marcel & du roi de Navarre. Les Grandes Chroniques le nomment ſouvent parmi les plus violents ennemis du Dauphin. Le 15 juin 1358 il avoit « preſché » aux halles de Paris en faveur du roi de Navarre. À ſix ſemaines de là, ce héros populaire fut ſaiſi par les gens du peuple, traîné en place de Grève & décapité. Pierre étoit apparemment de la même famille. Nous regrettons que Machaut ne nous diſe pas comment & pour qui cet amoureux tranſi s’étoit fait enfermer dans le ſac d’un portefaix, afin de paſſer ſans être reconnu devant la dame de ſes penſées.
  320. De haire, ce mot, qu’on a rencontré déjà page 264, répond à ennui, embarras pénible. On dit encore dans un ſens analogue en Champagne : Quel haria ! — La Châtelaine de Vergi, nièce du duc de Bourgogne, faiſoit ſavoir au chevalier ſon ami qu’elle étoit ſeule, & qu’il pouvoit la venir voir,

    De ci que vin petit chiennet
    Verroit par le vergier aller :
    Et lors veniſt ſans demorer.

    Le Chevalier ſe trouva forcé de livrer au duc le ſecret de ſes amours ; la Châtelaine mourut de chagrin d’avoir perdu le treſor de ſon honneur, & le Chevalier ne voulut pas lui ſurvivre. Voyez, dans Méon, le beau fabliau de la Chaſtelaine de Vergi. On a fait plus tard de cette dame, & bien à tort, l’amie du Châtelain de Couci.
  321. La ballade de Thibaut Paien & la ſienne qui vont ſuivre. On verra qu’elles ſont faites ſur les mêmes rimes & de la même meſure. C’étoit une lutte poétique dans laquelle Machaut avoit bien voulu laiſſer à ſon concurrent tout l’avantage, & la facilité, comme il dit, de « prendre toute la graiſſe du pot. » Quel étoit ce Thibaut Paien ? L’auteur inédit des Regles de la ſeconde rhetorique ne le nomme pas parmi les poëtes qui floriſſoient en ce temps-là.
  322. Monde, pure.
  323. C’eſt-à-dire, je crois : du Jugié, du concours jugé. Peronne avoit dû entendre parler de ce jugement, & Machaut s’étonne qu’elle ne lui en ait encore rien dit.
  324. C’eſt-à-dire Pirame, Léandon, la Chaſtelaine de Vergy, &c.
  325. Mſc. 1584 :

    Plus long que ne ſoloit manoir.
     
  326. Il ſemble bien que cet Henry, le grand & ancien ami de Machaut, ſoit un frère de Peronne, ou du moins un fils de Jean de Conflans, ſon beau-père. Dans une lettre précédente, Peronne parle des lettres de Machaut adreſſées à ſon frère, qu’elle auroit gardées pour les lui remettre plus tard. C’eſt H. qui auroit été l’intermédiaire des relations, & l’on comprend alors comment Peronne, entendant les éloges que ſon frère ne ceſſoit de faire de Guillaume, s’étoit épriſe d’amour pour lui.
  327. Pour leſquels grands & petits ſont tout un.
  328. Un homme de complexion délicate.
  329. Guillaume étoit donc bien moins âgé que ce frère qui l’avoit élevé.
  330. Rien de plus à propos juſqu’ici que le diſcours du ſecrétaire ; mais il faut que pour l’amuſement & l’inſtruction de Peronne, Machaut ait couſu à ces premières remontrances les hiſtoires qu’on va lire, & qui amèneront l’intervention du duc de Normandie. Ces hiſtoires, tout à fait hors de propos, ſonnoient bien apparemment à l’oreille de la jeune Peronnelle, qui n’avoit pas lu ſans doute le charmant livre des Métamorphoſes.
  331. Voyez Metamorph., lib. XIV, v. 320–434. Machaut n’a pas toujours bien entendu le texte latin, comme il eſt aiſé de s’en convaincre.
  332. En biers : dans leurs berceaux.
  333. Loçue. Ce mot doit répondre à orde, ou gluante.
  334. Cerens, ou ſerres, ſcie.
  335. Crot, grotte.
  336. Les compagnons de Polyphème.
  337. Ici Guillaume de Machaut avoit traduit aſſez exactement la longue chanſon de Polyphème que, dans Ovide, Galatée vient répéter à Glaucus. (Metam., lib. XIII, v. 790–870.) Si la place ne nous fait pas défaut, nous la donnerons dans l’Appendice.
  338. Les bâtiments, les navires.
  339. Je conſeille de demeurer.
  340. Apparemment pour « vous paierez une gratification ». Je ne crois pas que ce proverbe ait encore été recueilli.
  341. Avoué, approuvé.
  342. Une couronne, un bandeau.
  343. Dans la miniature du mſc. 1584, l’Amour indique de ſon doigt la place du cœur. Sa tunique eſt verdâtre ; les trois bandes poſées, l’une ſur la tête, l’autre ſur le cœur, la troiſième ſur la frange inférieure de la robe, portent les mots : Hyems & eſtas — Longè & propè — Mors & vita. Quoi que notre poëte en diſe, ce n’eſt pas ainſi que les anciens figuroient l’Amour.
  344. Parez, prêt, préparé.
  345. Lentille, plante légumineuſe bien connue.
  346. Ombrage, adjectif. Cachée.
  347. Var. Mieus de ce dont vous m’enfourmés.
  348. Qu’elle, que l’Amour.
  349. Vous donne-t-il.
  350. Et que la paille ne fût rompue.
  351. Apparemment le duc de Normandie. L’autre pouvoit être un baron de Champagne.
  352. Eſcrabot ou eſcarbot, eſcargot. Cette expreſſion proverbiale, faire l’eſcarbot ou ruer un eſcrabot, répond à notre « faire les cornes ».
  353. On voit ici qu’il écrivoit jour par jour ; car il ne tardera guère à décoffrer ſa chère image.
  354. Meure ſemble avoir le ſens muſical de en mineur.
  355. C’eſt-à-dire : « ait tant aimé & gardé ſon engagement. »
  356. On comprend aiſément la crainte qu’elle a de perdre le tréſor de ſon honneur, mis depuis longtemps à la diſcrétion de ſon ami.
  357. Et comment, chacun me pourſuivoit, me relançoit.
  358. On va voir qu’il affecte de ne répondre qu’à l’avant-dernière lettre de Peronnelle.
  359. Ovidii Metamorphoſ., lib. II, vers 542–632.
  360. Lariſſæa Coronis.
  361. Sed ales
    Senſit adulterium Phœbeius…
    (Vers 544.)
  362. L’image, le portrait de Peronnelle. Machaut eſt bien hardi de faire parler la corneille de ce qu’il vient de faire dire à cette image l’inſtant d’avant.
  363. « Acta Deae refero : pro quo mihi gratia talis
    « Redditur, ut dicar tutela pulſa Minervae. »
    (Vers 562.)
  364. Il eſt à remarquer qu’Ovide ne dit rien des circonſtances de la naiſſance d’Éreſichton, qu’il ſe contente d’appeler Prolem ſine matre creatam. C’eſt apparemment dans Hygin (fable 166) que Machaut étoit allé déterrer cette ridicule légende mythologique.
  365. « Virginibuſque tribus gemino de Cecrope natis. »
    (Metam., II, vers 555.)
  366. La chouette.
  367. Couverte, chaperonnée. Même racine que cucculus, coule, cuculle.
  368. S’en accompagne, ou s’en pare. Voici les beaux vers d’Ovide qui les fait dire à la Corneille (vers 590) :

    « Diro facta volucris
    « Crimine Nyctimene, noſtro ſucceſſit honori.
    « An, quae per totum res eſt notiſſima Lesbon,
    « Non audita tibi, patrium temeraſſe cubile
    « Nyctimeneu ? avis illa quidem : ſed, conſcia culpae,
    « Conſpectum lucemque fugit, tenebriſque pudorem
    « Celat & a cunctis expellitur aethere toto. »
     
  369. « Odit avem per quam crimen cauſamque dolendi
    « Scire coactus erat ; necnon arcumque, manumque
    « Odit, cumque manu temeraria, tela, ſagittas. »
    (Vers 614.)
  370. Ici l’Image reprend ſes exhortations.
  371. À peine de perdre…
  372. Je ſoutiendrai la cauſe de votre dame, & ſerai demandereſſe.
  373. La gaite, ou ſentinelle, corna le retour du jour, ainſi que le bouvier menant ſes bêtes à la pâture.
  374. Le Livre de Morpheus ou de la Fontaine amoureuſe.
  375. Fulgentii Fabii Planciadis Mithologiarum libri III, ad Catum præsbyterum. Mais il n’y a rien de pareil dans les Mythologies de Fulgence, & je n’ai pas découvert où Machaut avoit trouvé ce qu’il va mettre ſur le compte de Fulgence & de Tite-Live.
  376. Les manuſcrits reproduiſent l’image ici décrite de la déeſſe Fortune. Autour du grand cercle on lit : Affluo, diſcedo, talis ludus cui me do.
  377. Sans bornes.
  378. Vivens ſum cara ; dum mors accedit amara.
  379. C’eſt-à-dire : J’aveugle la penſée & je l’exhorte à ceſſer d’aimer ſon dieu. Excæco mentem, ne diligat omnipotentem.
  380. Ludo, compſallo, deludens carmine ſallo.
  381. Quand tu le ſauras, hais-moi & fuis. Quid fui dicerne, cum scieris me fuge, ſperne.
  382. Autrement je ne dis rien de pareil.
  383. Les réponſes au ſecond cercle & au troiſième ſont omiſes dans le mſc. 1584. Tout cela eſt d’un goût déteſtable. Quandoque dormitat
  384. On doit croire qu’il entend ici parler de Gaſton Phebus.[App. LXXXVII.]
  385. Mais quand le faucon n’obéit pas à celui qui l’a lancé…
  386. C’eſt-à-dire, quand le faucon, au lieu de ſuivre l’oiſeau vers lequel on l’a lancé, s’attache à une autre proie. Variante :

    Tant qu’il ait conſéu ſa priſe…
     
  387. À choiſel, c’eſt-à-dire à écluſe. (Ducange, au mot Molendinum.)
  388. Pour donner le change à d’autres ſoupçons.
  389. C’eſt-à-dire le troiſième couplet.
  390. C’eſt-a-dire qu’elle n’a pas trouvé un auſſi bon copiſte ou notaire qu’elle eût voulu. Nouveau témoignage de l’usage de dicter ſes lettres, ou de les faire copier par d’autres. — Nous ſommes au 10 octobre 1363.
  391. Une idole (ou Mahomet) de craie.
  392. La dame vouloit & deſiroit… & elle le lui permettoit.
  393. Et que, pour Dieu, il ne la laiſſe ſouffrir plus longtemps.
  394. Et a dit en me les préſentant.
  395. Du petit cuer.
  396. C’eſt-à-dire, qu’elle avertiſſoit d’avoir créance en celui qui lui remettroit cette lettre.
  397. C’eſt le point qui devoit lui donner le plus d’inquiétude.
  398. , j’ai.
  399. Un coq en girouette.
  400. On voit ici combien Machaut mettoit plus de prudence que la jeune fille dans les cas de haute délicateſſe comme paroît avoir été celui-ci. On peut conjecturer que Peronne au moment de ſe marier avoit envoyé à Guillaume un ſouvenir très-expreſſif & très-confidentiel des ſentiments qu’elle lui conſervoit.
  401. Le manuſcrit no 1584 porte mon intention, et c’est la première fois que je remarque ce ſoléciſme aujourd’hui adopté du pronom perſonnel maſculin devant un ſubſtantif féminin, mon intention au lieu de mon intencion.
  402. Ou lignes. Les cahiers étoient ordinairement de 8 feuillets ; ainſi 12 cahiers donnoient 96 feuillets ou 192 pages, leſquels, à 40 lignes la page de chaque colonne, donnent 15,520 lignes. Le mſc. 1584, qui porte en effet 40 points ou lignes par colonne, ſoit 160 lignes par feuillet, n’emploie que 86 feuillets ; ce qui donne environ 13,800 lignes. C’eſt à peu près le calcul de Machaut ; car aux lignes de vers il faut ajouter celles des 46 lettres, & les titres de chaque pièce, ballades, lais, virelets, complaintes & autres rubriques qu’il nous a le plus ſouvent paru inutile de reproduire.
  403. Pourquoi Machaut achève-t-il ſon livre ? Pourquoi promet-il de renvoyer la clef du tréſor, c’eſt-à-dire la preuve ſenſible de l’engagement qu’avoit pris la demoiſelle de n’accorder à nul autre que Machaut le don d’amoureuſe merci ? Pourquoi avoit-elle la première tourné en innocent badinage la paſſion qu’elle avoit inſpirée à Machaut, & qu’elle-même avoit partagée & partageoit peut-être encore ? Je n’en vois l’explication que dans un mariage projeté, qui ne lui permettoit plus de conſerver avec Machaut les mêmes privautés, mais qui ne devoit pas interrompre leurs relations affectueuſes.
  404. C’eſt-à-dire, je crois, « de tours de vertillons & de fuſeaus. » Le vertillon étoit le morceau de plomb que les femmes paſſoient au bout de leurs fuſeaus pour le tourner plus facilement. (Dictionnaire de Trévous.)
  405. Var. Fais en papier ou en parois.
  406. La Colombelle.[App. XCIV.]
  407. Répandues, chantées par les rues.
  408. E. g. m. a. i. l. u, ce qui donne Guilame, & en doublant les lettres u & l, Guillaume : comme, dans le précédent rondeau de Guillaume, nous avons trouvé Peron, & en doublant les lettres e & n, Peronne. Le diminutif Peronnelle indiquoit que la demoiſelle n’étoit pas majeure. À compter de là, elle fut Peronne, ainſi qu’Euſtache Deſchamps la nomme dans la balade qu’il lui adreſſa après la mort de Machaut.
  409. Le neuvième vers & les huit premières lettres du huitième donnent : Perone d’Armantiere & Guillaume de Machau. Seulement, au lieu de la bonne rime dame, les mſſ. portent fame, contre l’orthographe ordinairement ſuivie dans le poëme. Peut-être Peronne elle-même, qui avoit déſiré quelques changemens dans le texte, avoit-elle fait cette petite correction, pour avoir un argument à oppoſer aux médiſans qui l’auroient reconnue.
  410. Machaut nous paroît ſouhaiter ici que Peronne d’Armentières ſoit un jour reçue en Paradis ſous le nom de ſainte Toute-telle. Nous ſuppoſons que le Voir-Dit n’auroit rien ajouté aux pièces justiſicatives de la canoniſation.