Le Maréchal Macdonald/02

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Le Maréchal Macdonald
Revue des Deux Mondes3e période, tome 107 (p. 761-787).
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LE
MARÉCHAL MACDONALD

DERNIERE PARTIE[1]


V.

Le moment venu d’évacuer, aux termes du traité de Presbourg, les provinces restituées à l’Autriche, une députation des états de Styrie, reconnaissans des soins qu’avait pris Macdonald pour ménager le pays et maintenir parmi ses troupes une discipline exemplaire, vint lui offrir en présent une somme considérable; il refusa, et, comme ils insistaient : « Eh bien ! dit-il, si vous vous croyez mes obligés, il y a un autre moyen plus digne de vous acquitter envers moi : soignez les blessés et les malades que je suis forcé de laisser ici provisoirement, ainsi que le détachement et les officiers de santé commis à leur garde. »

Au mois d’avril 1810, quelques jours après le mariage de l’empereur avec l’archiduchesse Marie-Louise, Macdonald fut nommé gouverneur-général de la Catalogne. Cette guerre d’Espagne lui répugnait; l’ennemi était partout et on ne le rencontrait nulle part. La plus grande partie de ses troupes était d’ailleurs en Aragon à la disposition du général Suchet. La campagne de 1810 fut donc pour lui sans intérêt ni importance ; il en aurait été pareillement de la suivante, s’il n’y avait pas eu la surprise de Figuières par les Espagnols et le siège, ou plutôt le blocus qu’il en fallut faire. En écrivant ses commentaires, César ne se doutait certes pas qu’il fournirait un modèle profitable à l’un des lieutenans de Napoléon, et c’est cependant ce qui arriva : « Je me souvins du fameux siège d’Alise, dit Macdonald, et je fis faire des travaux analogues. » La place se rendit enfin; le maréchal en rapporta un douloureux souvenir dont il fut hanté plus d’une fois ; ce fut sous les murs de Figuières qu’il eut sa première et très violente attaque de goutte ; quand il eut obtenu son rappel en France, il ne pouvait encore marcher qu’avec des béquilles.

Sa santé n’était pas rétablie entièrement, lorsqu’au mois d’avril 1812 il fut appelé à faire la campagne de Russie; il en prit son parti allègrement : « j’avais, dit-il, laissé mon fauteuil dans la forteresse de Figuières, je laissai une béquille à Paris et l’autre à Berlin. » Sauf une division française, son corps d’armée, le 10e, était composé d’étrangers, du contingent prussien formé de deux divisions d’infanterie avec une brigade de cavalerie légère, et d’une division mixte de trois régimens polonais, d’un régiment bavarois et d’un westphalien ; l’état-major général était français. Macdonald passa le Niémen avec toute la grande armée, le 24 juin, puis s’en sépara pour aller occuper, à l’extrême gauche, une position d’observation et d’attente sur les côtes de la Baltique, à l’embouchure de la Dvina. Après avoir pris possession de la tête de pont de Dunabourg, il attendit longtemps et vainement de nouvelles instructions. Il n’en reçut que de Yilna, c’est-à-dire tout à la fin de la désastreuse retraite de Moscou, et non plus de l’empereur, mais de Murat, qui cherchait à réunir les derniers restes de la grande armée.

L’ordre était de se replier sur Tilsit; cette retraite partielle commença le 19 décembre ; tout alla bien d’abord ; les troupes étaient reposées, bien nourries, chaudement vêtues de pelisses en peau de mouton. Le 10e corps arriva sur le Niémen, faiblement harcelé par les Russes ; l’arrière-garde, composée de la majeure partie du contingent prussien et commandée par le général York, avait jusque-là suivi exactement le gros à une journée de distance ; à Tilsit, Macdonald l’attendit vainement pendant cinq jours; il envoyait de tous côtés aux nouvelles : on ne savait rien du général York, c’était comme un mot d’ordre. Macdonald s’était bien aperçu depuis quelque temps d’un refroidissement notable dans la correspondance du général, mais il n’en était pas encore à suspecter sa conduite. L’état-major était d’avis de poursuivre la retraite sans plus attendre; déjà les Russes avaient passé le Niémen et d’un moment à l’autre ils pouvaient couper la route de Kœnigsberg : « Si j’avais été, dit Macdonald, moins confiant dans les sentimens d’honneur que j’accordais aux autres, l’attitude des Prussiens qui étaient avec moi m’aurait dessillé les yeux sur ce qui se tramait alors; loin d’être inquiets sur le sort de leur arrière-garde, ils paraissaient ne pas s’en occuper. » Mais de même qu’à la Trebbia il avait craint, s’il se retirait, d’être accusé d’abandonner Moreau, de même sur le Niémen il ne voulait pas qu’on l’accusât d’avoir abandonné son arrière-garde : « Je déclarai positivement, dit-il, que ma vie, ma carrière ne serait jamais entachée du reproche d’avoir commis la lâcheté d’abandonner une troupe confiée à mes soins. » Cette loyauté faillit lui coûter cher.

Il y avait, chez les Prussiens, des symptômes d’insubordination ; ils devenaient arrogans, exigeans ; ils demandaient le partage des contributions de la Courlande. Un matin, dès le point du jour, — c’était le 31 décembre, — le colonel du génie Marion entra chez le maréchal, pensant qu’il avait enfin des nouvelles du général York ; sur la réponse négative de son chef : — « Je le croyais, reprit-il ; comme, d’après vos ordres, je faisais sonder la glace, j’ai vu tous les Prussiens retraverser précipitamment le Niémen ; je pensais que vous les envoyiez au-devant de l’arrière-garde. Le général Massenbach, en passant, m’a remis ces deux lettres pour vous. — Ciel ! s’écria le maréchal, nous sommes trahis, peut-être livrés ; mais nous vendrons cher notre vie. » York avait fait défection ; il avait traité, la veille, avec le général russe Diebitch ; voici un fragment sec de sa lettre à Macdonald : u Quel que soit le jugement que portera le monde de ma conduite, j’en suis peu inquiet : le devoir envers mes troupes et la réflexion la plus mûre me la dictent ; les motifs les plus purs, quelles qu’en soient les apparences, me guident. » La lettre de Massenbach était plus émue : « Votre Excellence pardonnera que je ne sois pas venu moi-même l’avertir du procédé; c’était pour m’épargner une sensation très pénible à mon cœur, parce que les sentimens de respect et d’estime pour la personne de Votre Excellence, que je conserverai jusqu’à la fin de mes jours, m’auraient empêché de faire mon devoir. »

Il y avait, au quartier-général, un peloton d’escorte fourni par la cavalerie prussienne ; dans la hâte de leur défection, les Prussiens avaient oublié de l’avertir. Quand l’officier commandant entra le matin chez le maréchal pour recevoir des ordres, à son attitude calme il fut facile de voir qu’il ne se doutait de rien; il n’entendait pas le français; Macdonald lui fit dire en allemand ce qui venait d’arriver ; alors il changea de couleur et des larmes d’indignation jaillirent de ses yeux. Il voulait à toute force suivre le maréchal ; le maréchal s’y refusa, donna l’ordre de sonner à cheval, remercia l’escorte de son zèle, de sa fidélité, de son attachement, fit donner aux cavaliers 600 francs de sa propre bourse, autant à l’officier pour un cheval qu’il garda, et, malgré les instances de ces hommes, les renvoya vers leurs compatriotes. Ceux-là, du moins pour leur part, avaient voulu sauver ce qui restait de l’honneur prussien.

La générale avait été battue; Français, Polonais, Westphaliens, Bavarois, 4.000 ou 5,000 hommes environ, se rassemblèrent en hâte; ils marchèrent pendant vingt-deux heures sans discontinuer, sous la pluie, dans l’eau, par la nuit la plus noire; ils réussirent à gagner la forêt de Boemwald ; il était six heures du matin ; dans la journée, il n’y eut qu’une courte canonnade à l’arrière-garde. Enfin, on atteignit Kœnigsberg; là se trouvait une division de conscrits tout récemment arrivés de France; Macdonald la réunit à ses troupes et continua sa retraite sur Elbing. Il y trouva le roi de Naples qui lui enjoignit de se rendre à Dantzig, d’y laisser toutes ses troupes à la disposition du général Rapp, gouverneur de la place, et d’aller de sa personne au grand quartier-général attendre de nouveaux ordres. Murat avait hâte de retourner à Naples; il partit aussitôt, sans même prévenir l’empereur, laissant le commandement au prince Eugène. v Dantzig, Macdonald remit ses troupes au général Rapp ; la séparation fut pénible ; le chef et les soldats, presque tous étrangers, s’étaient liés d’une affection mutuelle que les périls affrontés en commun, les privations, les fatigues avaient rendue de jour en jour plus vive et plus sincère.

Où était le grand quartier-général? On n’en savait rien à Dantzig. A Berlin, où il passa d’abord, Macdonald apprit qu’il était à Posen ; il écrivit et reçut en réponse l’ordre de se rendre immédiatement à Paris.


VI.

En le voyant entrer, l’empereur tressaillit et ne lui dit pas un mot; le maréchal sortit indigné, jurant de ne plus retourner à la cour. Quelques jours après cependant, il y fut appelé par ordre ; l’empereur lui avoua qu’il avait été trompé sur son compte ; on l’avait faussement accusé d’avoir provoqué par sa rigueur la défection du contingent prussien. Lui et Macdonald avaient commencé dans le même temps à faire la guerre ; il fallait la finir ensemble, puisque la campagne qui allait s’ouvrir serait certainement la dernière. Ainsi parlait l’empereur.

Le 10 avril 1813, Macdonald fut nommé commandant en chef du 11e corps de la grande armée. Ce corps était composé de trois divisions d’infanterie et d’une brigade de cavalerie légère; l’infanterie était française pour les deux tiers; le surplus westphalien, hessois, italien et napolitain; la cavalerie était italienne; Macdonald allait donc avoir sous ses ordres des Napolitains ! Le lendemain même de son arrivée au grand quartier-général, il eut à enlever Merseburg qui était défendu par le corps prussien d’York; l’attaque et la défense furent d’autant plus opiniâtres; Merseburg fut forcé le 29 avril. Trois jours après était livrée la bataille de Lutzen.

Pendant la première partie de la journée, le 11e corps avait opéré vers Leipzig, parce que l’empereur s’était persuadé d’abord que l’ennemi avait de ce côté-là ses principales forces ; mais le feu étant devenu de plus en plus vif sur la droite et le corps de Ney en ayant de plus en plus à souffrir, Macdonald fut rappelé en hâte ; il arriva au pas de course, dégagea Ney et soutint de ses carrés les charges plusieurs fois reprises des gardes russe et prussienne ; malheureusement l’empereur n’avait pas encore assez de cavalerie pour y répondre ; il n’y avait que quelques esca Irons qu’on ménageait comme une précieuse et presque unique ressource. La journée de Lutzen fut à l’honneur exclusif de l’infanterie et de l’artillerie.

L’ennemi ne tint pas à Dresde ; en se retirant, il fit sauter en partie le pont de l’Elbe. Macdonald, qui avait l’honneur d’être à l’avant-garde, fit jeter des échelles par-dessus les arceaux effondrés ; son infanterie passa, puis le génie aidant, l’artillerie même. Un matin, se croyant suivi du gros de l’armée, il se trouva tout seul en face de l’ennemi qui était en force; pour lui en imposer, il s’étendit comme une toile d’araignée, suivant son expression très juste ; mais la journée lui parut longue; la nuit venue, il fit allumer de grands feux sur plusieurs lignes; deux autres jours se passèrent ainsi; enfin, l’armée vint le soutenir. Le IP corps prit une part honorable aux journées de combat qui portent le nom de bataille de Bautzen, puis un armistice ayant été conclu, il prit ses cantonnemens en Silésie, dans le cercle de Löwenberg.

On sait ce que fut le congrès de Prague, une fantasmagorie, un trompe-l’œil ; les négociations rompues, la Prusse et la Russie rentrèrent en action, mais non plus seules, avec l’Autriche et la Suède ; la coalition était complète. En Silésie, les hostilités furent reprises par les alliés même avant l’expiration de l’armistice. L’empereur accourut, fit reculer Blücher, se retourna brusquement et bouscula devant Dresde Autrichiens et Russes. Ce fut le dernier éclair, non pas de son génie, mais de sa fortune. La victoire de Dresde est du 27 août; trois jours après, Vandamme était écrasé à Kulm, dans le défilé de Tœplitz, entre deux corps ennemis ; déjà, le 23, le maréchal Oudinot avait été battu à Gross-Beeren, sur la route de Berlin; enfin, le 26, Macdonald avait subi un grave échec sur la Katzbach. Afin qu’il pût tenir tête à Blücher, l’empereur avait joint à son corps d’armée celui de Ney, provisoirement commandé par le général Souham, celui du général Lauriston, et la réserve de cavalerie du général Sébastiani. Blücher se tenait sur les hauteurs de Jauer; Macdonald fit porter à Souham, qui était du côté de Liegnitz, l’ordre de tourner la droite des Prussiens, pendant qu’avec le 11e corps et celui de Lauriston il les attaquerait de front et sur leur gauche. Depuis la veille, la pluie était incessante, le terrain détrempé ; la pente était raide ; la seule route que pouvait prendre la cavalerie n’avait pas plus de quinze pieds de large ; Sébastiani y avait d’abord engagé toute son artillerie ; arrivées à grand’peine au sommet, les pièces s’embourbent jusqu’à l’essieu ; impossible de les mouvoir; l’infanterie pendant ce temps montait à droite et à gauche ; mais la pluie pénétrant dans les bassinets, les amorces ne prenaient pas; d’autre part, Souham avait manqué son mouvement. Pour les mêmes raisons, le feu de l’infanterie ennemie n’était pas redoutable; mais l’artillerie prussienne, depuis longtemps en position, ne ménageait pas les salves, et la cavalerie, déployée sur le plateau, chargeait tout ce qui essayait de prendre pied sur la crête. Il fallut redescendre, faire une retraite de nuit dans les ténèbres, à travers les ruisseaux débordés et les ravins devenus torrens ; les colonnes décousues allaient à l’aventure, semant derrière elles les éclopés et les traînards. En deux mots, c’était la débandade et la déroute.

Je n’ignore pas qu’il est malséant de se citer soi-même; néanmoins je prie qu’on me permette de reproduire ici un passage écrit ailleurs, dans un temps où je ne prévoyais pas que j’aurais à m’occuper un jour de Macdonald et à l’étudier de près. « Soutenue par des hommes faits et des soldats faits, la bataille de la Katzbach n’eût pas été perdue peut-être; elle n’eût du moins été qu’un échec réparable : avec des hommes trop jeunes et des soldats de la veille, elle fut le commencement d’un désastre. Jamais on ne verra mieux, par opposition, ce que vaut l’énergie physique et morale, la résistance du corps et de l’âme aux injures du temps, à la faim, à la soif, à toutes les misères de la guerre, ce stoïcisme, en un mot, que donne, non pas tout d’un coup, mais insensiblement, l’éducation militaire, et qui n’est après tout que le sentiment de plus en plus raisonné de l’honneur et du devoir. Sur cette bataille de la Katzbach et sur ses suites, ce ne sont pas les témoignages qui manquent; mais il n’y a pas de témoin plus autorisé, plus convaincant et plus sincère que le maréchal Macdonald. On sent qu’on est en face d’un honnête homme, qui ne s’attribue pas le droit et n’a pas même la tentation de rien déguiser ni de rien faire : c’est ainsi que la vérité devient une force, et l’histoire un enseignement profitable[2]. »

Le 29 août, le maréchal écrivait, de Bunzlau, au major-général : « L’ennemi n’a poursuivi que faiblement, mais sa cavalerie légère, l’épouvantail des fuyards, s’est montrée partout avec du canon. Nos troupes sont dans un état pitoyable, percées de la pluie pendant quatre-vingts heures consécutives, marchant dans la boue jusqu’à mi-jambe, et traversant des torrens débordés. Dans cet état, les généraux ne peuvent empêcher que le soldat ne cherche un abri, son fusil lui étant inutile.» Puis le même jour, quelques heures plus tard : « J’ai la douleur de vous informer que les pluies ont occasionné une succession de désastres qui me navrent le cœur. La division Puthod n’est plus ; ses restes ont été culbutés ce soir dans les inondations de Löwenberg, sans qu’il ait été possible d’établir un passage pour les hommes. Je tâcherai de tenir demain la ligne du Bober, mais je ne puis me réunir que derrière la Queiss. Sa Majesté connaît les circonstances ; je n’ai pu prévoir ni maîtriser les élémens ; ils sont cause de tous nos malheurs, car l’échec essuyé par la cavalerie était peu considérable en proportion de la force de l’armée et eût été très réparable sans un déluge continuel de trois jours et autant de nuits. Il ne m’a pas été possible de connaître encore l’état de nos pertes et le nombre de combattans qui me reste. »

En somme, les pertes étaient peu considérables ; les fuyards, les traînards, les isolés rejoignaient tous les jours en grand nombre. Quand l’empereur arriva, le 4 septembre, à Bautzen, avec sa garde et ses réserves, il fut tout surpris de trouver des troupes reposées, réorganisées, ne demandant qu’à être menées à l’ennemi. Il donna publiquement à Macdonald les plus grandes marques d’estime et voulut qu’il gardât le commandement général des quatre corps; puis il les mena, selon leurs vœux, à l’ennemi, qui n’accepta pas le combat. Après des alternatives de marches et de contremarches pendant le mois de septembre, Macdonald reçut l’ordre de se rapprocher de Dresde.

Un matin, il vit entrer chez lui un officier d’ordonnance chargé par l’empereur de lui demander son avis sur ce que, les circonstances étant données, il serait à propos de faire. Macdonald montra le soldat mourant de faim, l’armée sans vivres, presque sans munitions, s’affaiblissant tous les jours ; dans ces conditions défavorables, le plus sage parti était d’évacuer les places de l’Oder et de l’Elbe, en laissant une forte garnison à Leipzig, et de se retirer derrière la Saale. L’officier s’effraya de rapporter à l’empereur un pareil avis : « Allez, lui dit le maréchal; l’empereur en comprendra l’importance; il me saura gré de ma franchise. » Quelques heures après le messager revint ; l’empereur, qui était au bain, l’avait fait entrer, avait prêté une grande attention à son rapport et s’était borné à dire que, la Saale n’étant pas une bonne position défensive, il n’y en avait pas de meilleure que le Rhin : « Nous irons sur le Rhin ; allez dire cela au maréchal. » Macdonald ne pouvait croire à tant de sagesse; à peine l’officier était-il parti qu’un autre survint, apportant l’ordre de marcher immédiatement, non pas à l’ouest, dans la direction du Rhin, mais du côté justement opposé, vers l’ennemi. Macdonald marcha donc, laissant un peu en arrière de son infanterie ses pièces de position au sommet d’une colline. L’ennemi occupait les hauteurs de Bischofswerda ; au loin sur la droite on apercevait une faible ligne de cavalerie. Pendant les premières attaques, Macdonald, mandé par l’empereur, le trouva sur cette colline où était son artillerie, aidant à la mettre en batterie et poussant lui-même de l’épaule avec les canonniers. « Sur quoi voulez-vous tirer? dit le maréchal. — Sur cette ligne de cavalerie, là-bas devant nous. — Mais elle est hors de portée. — N’importe. » Au dix-septième coup, l’empereur fit cesser le feu; puis, prenant Macdonald à part : «Vous êtes surprix; que j’aie fait tirer. — Oui, parce que cette cavalerie, hors de portée, ne valait pas un coup de canon. — Peut-être ; mais c’est qu’à toute volée on attrape toujours quelque chose, qui sait ? un homme de marque ; voyez Moreau, c’est un boulet perdu qui l’a tué à Dresde; voyez Duroc; voyez Bessières. » C’était une idée de fataliste.

On était vers le milieu d’octobre; l’ennemi ne montrait plus que quelques éclaireurs ; il était, sinon évident, au moins très probable qu’il manœuvrait pour tourner l’empereur ; Macdonald l’en avertit. Le lendemain, il reçut l’ordre, d’abord de se diriger sur Wittenberg, puis de se rabattre sur Leipzig. Il y arriva, le 16 octobre, premier jour de la bataille, assez tard dans la journée, mais encore assez tôt pour enlever à la baïonnette une position appelée la Redoute suédoise.

Je dois dire qu’à dater de ce moment, les Souvenirs, dont le résumé qui précède a déjà dû indiquer l’importance, ont une telle abondance, une telle richesse de détails serrés et précis, et en même temps une telle ampleur, une telle grandeur d’impressions et de sentimens que je ne connais guère de morceaux d’histoire plus dramatiques et, comme on dit, plus suggestifs. Une analyse ne suffirait plus; c’est l’œuvre même qu’il faudra lire.

On a fait cent récits de la bataille et de la retraite de Leipzig ; je n’en connais aucun d’aussi émouvant, d’aussi poignant que le récit de Macdonald. Ce qui me frappe avant tout, c’est l’attitude de l’empereur ; il paraît comme un homme qui vient de recevoir un coup de massue ou qui vient de faire sur la tête une grande chute. Il est étourdi, étonné, affaissé; cela durera jusqu’à ce qu’il ait touché la terre de France ; alors il retrouvera, comme Antée, la force, la lucidité, l’activité, tout le génie de sa jeunesse; aux immortelles campagnes d’Italie il donnera comme pendant ses succès foudroyans, mais, hélas ! remportés vainement, en Champagne. De ce que j’ose avancer je vais donner quelques preuves.

Le dernier jour de la bataille, le 19 octobre, le matin même de la retraite, Macdonald, acculé au boulevard de Leipzig, reçoit tout à coup l’ordre d’envoyer, sur sa droite, au secours du maréchal Augereau ; à peine a-t-il assez de monde pour tenir tête à l’ennemi qui le presse ; néanmoins il détache une brigade de la division hessoise ; au bout d’une demi-heure la brigade revient ; là où on l’envoyait, elle n’a trouvé ni amis ni ennemis ; mais alors, montant sur le rempart, elle fait ce qu’ont fait, la veille, les Saxons du corps de Reynier, elle tire de haut en bas sur les Français! « Quand j’eus, l’année précédente, à subir la détection des Prussiens, s’écrie avec indignation Macdonald, ils eurent au moins la pudeur de ne pas faire feu immédiatement sur nous ! » Le lendemain, dans le désarroi de la retraite, il rencontre par hasard Augereau ; il lui demande l’explication de ce qui s’est passé la veille, lorsqu’on est venu lui donner l’ordre de secourir un camarade, et voici ce qu’Augereau lui répond : « Est-ce que le b….. sait ce qu’il fait? Ne vous en êtes-vous pas aperçu déjà? N’avez-vous pas remarqué, dans les derniers événemens et dans la catastrophe qui les a suivis, qu’il avait perdu la tête ? Le lâche ! il nous abandonnait, nous sacrifiant tous, et me croyez-vous assez fou ou assez bête pour me faire tuer ou me faire prendre pour un faubourg de Leipzig? Il fallait faire comme moi, vous en aller. » Quand, jadis, Vandamme injuriait Napoléon, c’était du moins après une victoire, après Wagram.

Dès la veille, Macdonald avait pu juger lui-même de l’état d’esprit de l’empereur. Le maréchal avait failli périr, comme Poniatowski, noyé dans l’Elster ; il venait de faire, pour gagner à Markranstadt le grand quartier-général, trois lieues à pied, ruisselant d’eau, frissonnant; il arrive; l’empereur était assis près d’une table, les yeux sur la carte, la tête appuyée sur une main; la chambre était remplie de généraux et d’officiers. Macdonald fait en pleurant, oui, en pleurant, le récit de ce qu’il vient de voir et d’entendre, ses soldats, sur l’autre bord de l’Elster qu’ils ne peuvent franchir, criant, implorant : « Monsieur le maréchal, sauvez vos soldats, sauvez vos enfans ! » Quelle scène! tous les assistans sont émus; seul l’empereur est impassible : « Allez vous reposer; » il ne dit pas autre chose. « Je sortis indigné de cette indifférence, » ajoute Macdonald. Était-ce vraiment indifférence? Non, c’était affaissement.

Quelques jours après, à Erfurt, l’empereur le fait appeler ; en arrivant au château, Murat le prévient que l’empereur veut faire reconnaître par lui une bonne position défensive, de manière qu’on puisse faire un arrêt de quatre ou cinq jours. « F….. ! dit en jurant le roi de Naples, si vous en trouvez une, trouvez-la mauvaise ; autrement il achèvera de se perdre avec nous. — Soyez tranquille, lors même qu’elle serait excellente, je lui dirai mon sentiment sur notre situation. » Il entre; l’empereur lui donne en effet la mission dont Murat l’a prévenu. « Songez-vous sérieusement à vous arrêter ici? Dans la désorganisation, et, puisqu’il faut appeler les choses par leur nom, dans la démoralisation où sont les troupes, vous n’en tirerez aucun parti. Il faut gagner le Rhin au plus vite ; d’ailleurs, la plus grande partie des hommes s’y dirige en désordre. — Cependant, on m’a rapporté qu’on en avait arrêté un grand nombre et formé une quinzaine de bataillons. — On vous flatte et on vous trompe. Vous ne devez compter que sur votre garde, et craignez qu’elle ne soit entraînée par l’exemple, comme dans la dernière campagne. » Il y avait, dans la chambre où s’était engagé ce colloque, trois témoins attentifs, deux secrétaires et le duc de Bassano : ils avaient cessé d’écrire. Celui-ci, la plume entre les dents, les bras croisés, regardait fixement Macdonald, stupéfait, confondu ; jamais il n’avait entendu parler au maître avec cette fermeté franche. « Eh bien ! dit le maître, nous partirons demain. — Ce sera encore trop tard. »

On partit le lendemain; le 30 octobre, au matin, on était en vue de Hanau ; l’armée bavaroise du général de Wrède barrait la route. Macdonald faisait l’avant-garde ; il délogea l’ennemi d’un bois, mais lui-même n’en pouvait pas déboucher; sa petite troupe déployée, dispersée en tirailleurs, faisait, comme en Silésie naguère, la toile d’araignée; il fallait du renfort; il en envoya demander, on ne lui envoya rien; alors il prit le parti d’en aller demander lui-même ; il n’y avait pas plus d’un quart de lieue à faire. Il exposa vivement à l’empereur la situation critique de l’avant-garde, et l’empereur lui répondit placidement : « Que voulez-vous que j’y fasse? je donne des ordres et l’on ne m’écoute plus. — Mais remarquez que notre situation n’est pas ordinaire; il faut forcer le passage et envoyer, sans perdre un instant, tout ce que vous avez de disponible. Votre garde, pourquoi n’est-elle pas en marche? Dans peu, nous serons tous f... si elle, n’arrive pas promptement. — Je n’y puis rien. » — « Et autrefois, ajoute Macdonald, d’un signe, d’un geste, d’une parole brève, tout s’ébranlait; autrement il eût fait feu des quatre pieds! » Cependant l’empereur appela le major-général et fit marcher quatre bataillons de chasseurs. Quelque temps après, il arriva lui-même avec le reste de la garde. « Peut-on voir sans danger, demanda-t-il à Macdonald, la position de l’ennemi? — Sans danger, non, mais il faut risquer. — Eh bien! allons! » Presque au même instant, un obus éclata près de lui, d’ailleurs sans blesser personne; aussitôt il s’arrêta, mit pied à terre, et de tout le jour il n’y eut pas moyen de le tirer du bois. Enfin, grâce aux grenadiers à cheval et aux dragons de la garde, soutenus par un régiment des gardes d’honneur, grâce à l’artillerie de Drouot, — pourquoi distinguer? — grâce à l’effort commun de tous, car on savait bien qu’il fallait à tout prix vaincre ou mourir, les Bavarois furent contraints à la retraite. La route était dégagée ; mais Hanau, que l’on croyait évacué, ne l’était pas encore. Il faisait nuit : une masse confuse de voitures, de caissons, d’équipages de toute espèce sortait du bois ; on apercevait en avant la lueur rougeâtre d’une torche ; au voisinage de la ville, quelques coups de feu éclatèrent ; aussitôt la torche fit un à-droite, décrivit une courbe et rentra sous le couvert; c’était l’empereur qu’elle précédait. Le lendemain, on put traverser Hanau et de là gagner le Rhin.

A Mayence, l’empereur fît appeler Macdonald et le retint à dîner. La conversation roula sur les événemens militaires et politiques de cette année fatale. Pourquoi, au congrès de Prague, l’empereur n’avait-il pas fait les concessions que réclamaient les alliés? Ne lui laissait-on pas la France jusqu’au Rhin, l’Italie et le protectorat de la confédération helvétique? « Je n’ai pas consenti, dit l’empereur, parce que je craignais que les alliés, plus exigeans, ne me demandassent autre chose. — Mais alors pourquoi avez-vous fini, malheureusement trop tard, par y consentir? Si vous l’aviez fait à temps, vous eussiez rendu évident votre désir de la paix ; la France et l’armée vous en auraient su gré, et peut-être auraient-elles fait plus d’efforts pour la conquérir. Vous pouviez faire plus, vous débarrasser honorablement de ce ver rongeur qui détruit vos vieilles troupes en Espagne et ruine le trésor, en montrant une modération dont l’évidence eût frappé la France, vos armées et l’Europe, en rendant l’Espagne à elle-même. — Oui, cela est vrai, mais à présent il faut garder ce pays pour des compensations. »


VII.

La campagne de 1813 était finie; la campagne de 1814 allait commencer. Macdonald eut d’abord le commandement de la ligne du Rhin depuis Coblentz jusqu’au-dessous d’Arnheim. L’empereur lui avait promis quatre-vingts bataillons et soixante escadrons; les journaux lui prêtaient un corps de 50 à 60,000 hommes; en réalité, quand il eut retiré de Hollande le faible détachement du général Molitor, dans les premiers jours de décembre, il en avait au plus 5,000. « C’est tout ce que nous avons d’infanterie de Nimègue à Coblentz, et rien derrière, écrivait-il ; nous sommes partout pris au dépourvu et je n’entends parler d’aucun renfort ; mais à Paris on est dans une sécurité désespérante. O France! ma patrie! tout mon sang, et sois sauvée!.. »

Après plusieurs essais et démonstrations plus ou moins sérieuses, les alliés passèrent définitivement le Rhin le 1er janvier 1814 ; l’empereur quitta Paris le 25, pour n’y plus revenir.

Refoulé de proche en proche par l’écrasante poussée de l’ennemi, Macdonald se trouvait alors à Châlons. Je ne veux pas le suivre dans ses marches, contremarches et combats à travers la Champagne, sur la Seine, l’Aube et la Marne ; j’en retiendrai seulement quelques faits significatifs. A la fin du mois de février, tandis que l’empereur arrêtait et faisait reculer Blücher, il avait donné à Macdonald le commandement général des troupes qu’il laissait derrière lui et mis sous ses ordres, avec le corps dont il était déjà titulaire, ceux du maréchal Oudinot et du général Gérard, soit 25,000 hommes; la mission qu’il lui confiait était d’observer et de contrarier, autant que possible, les mouvemens de la principale armée de la coalition. Arrivé à Troyes bien avant son corps, qui ne pouvait suivre que le lendemain, Macdonald fit des dispositions de défense : une des divisions de Gérard dans la ville, l’autre en-deçà, le corps d’Oudinot en réserve; Gérard avait pour instruction de tenir le plus longtemps possible. L’attaque eut lieu le lendemain 4 mars; Macdonald, qui était dans le faubourg, savait, par un rapport du général Gressot, chef d’état-major d’Oudinot, que les troupes étaient bien dans les positions indiquées, lorsque soudain un officier vint le prévenir que l’ennemi, ayant forcé la ville, arrivait dans le faubourg et qu’il n’y avait pas un moment à perdre ; le maréchal n’en voulut d’abord rien croire : « Toutes les troupes sont parties, lui dit l’officier. — Par quel ordre? » Il n’eut que le temps de monter à cheval et de courir, avec son escorte, sur les éclaireurs ennemis. Quand il eut rejoint la colonne, effectivement en retraite, il apprit du général Gérard que c’était sur l’ordre du maréchal Oudinot, et quand, arrivé le soir au bivouac, il demanda une explication à ce maréchal, dont le corps avait dû, selon les dispositions arrêtées, demeurer en réserve, il lui fut répondu que la jeune garde n’était pas faite pour être en arrière-garde! Ne semblerait-il pas, à cette réponse étrange, qu’on en fût encore aux beaux jours de Wagram? « En ce cas, repartit Macdonald, je n’ai plus d’ordres à vous donner, réclamez-en de l’empereur. »

Celui-ci, abandonnant Blücher, revenait en hâte sur la grande armée alliée; il appela à lui Oudinot et Macdonald, qui le rejoignirent à Arcis-sur-Aube au moment même où il faisait marcher ses troupes dans la direction de Vitry-sur-Marne. Il était sur la place d’Arcis, près d’un feu de bivouac. « Quel motif, demanda Macdonald, vous porte à retirer d’ici vos troupes? — L’ennemi, répondit l’empereur, est en pleine retraite, et je me porte sur ses communications; nous le tenons, il paiera cher son audace. — Comment! L’ennemi s’en va? Mais il est en position de l’autre côté de l’Aube; j’ai vu, en arrivant, des forces considérables. — Il ne songe qu’à repasser le Rhin; et, s’il est encore là, c’est pour laisser filer ses nombreux équipages. » Un quart d’heure après, l’ennemi venait à l’attaque; l’empereur, entêté dans son idée, avait déjà rejoint la colonne en marche sur Vitry, et les deux maréchaux eurent fort à faire pour se maintenir dans Arcis ; mais le lendemain matin il en fallut sortir et se diriger vers la Marne. Ils rejoignirent à Saint-Dizier l’empereur, qui se remit incontinent à la recherche des alliés; on ne les trouva pas. Qu’étaient-ils devenus? Évidemment, après un temps d’arrêt et une certaine hésitation, ils avaient repris la direction de Paris. En se portant sur leurs derrières, l’empereur s’était flatté de leur faire peur et de les contraindre à rétrograder; son espoir était déçu; quelque diligence qu’il put faire, il était impossible de les devancer, et ce n’était pas les faibles corps de Marmont et de Mortier qui seraient capables de défendre victorieusement Paris contre des forces si considérables.

Macdonald était d’avis de jouer le tout pour le tout, et, puisque l’empereur avait voulu manœuvrer vers l’est, de s’y enfoncer jusqu’au fond : « A votre place, disait-il, je me rendrais en Lorraine, en Alsace; j’en réunirais les garnisons, je ferais une guerre à mort sur les derrières de l’ennemi, coupant ses communications, interceptant ses convois, ses renforts. » La présence de l’empereur dans les Vosges en eût fait descendre des milliers de bons tireurs; plus tard le tsar Alexandre avouait, par deux fois, à Macdonald, que, dans cette région, les alliés avaient perdu plus de 3,000 hommes, sans qu’on eût vu un seul soldat français. Le projet d’Alsace n’eut pas de suite, et l’empereur se hâta vers Paris.

« J’arrive enfin, dit Macdonald, au terme de cette lutte désespérée ; notre longue agonie militaire et politique va finir par un coup de tonnerre. »

VIII.

Ce fut entre Troyes et Villeneuve-l’Archevêque que les troupes eurent connaissance de la capitulation de Paris ; cette nouvelle jeta la désolation dans tous les cœurs; beaucoup de soldats quittaient les drapeaux et rentraient chez eux ; la garde elle-même n’avait plus confiance. Cependant le bruit courait que l’empereur voulait marcher et reprendre Paris. A la dernière étape avant Fontainebleau, le général Gérard vint à Macdonald ; il lui dit, au nom de ses généraux et de ses troupes, que tout le monde en avait assez, qu’il fallait en finir et que les malheurs de la France étaient assez grands pour ne pas les aggraver en exposant Paris au sort de Moscou. On arriva; c’était le 3 avril. Une lettre adressée de Paris à tous les maréchaux venait d’être envoyée tout ouverte d’Essonne par le maréchal Marmont qui commandait aux avant-postes ; c’était lui qui l’avait décachetée; elle était du général Beurnonville, membre du gouvernement provisoire ; elle annonçait en substance que Paris était tranquille, que les alliés ne voulaient plus traiter avec Napoléon et que la constitution anglaise serait donnée à la France. Macdonald la fit lire à haute voix et se rendit au palais avec le maréchal Oudinot, un grand nombre de généraux et une foule d’officiers qui insistèrent absolument pour les suivre, craignant que l’empereur ne voulût leur faire un mauvais parti.

L’empereur était dans son cabinet, avec le duc de Bassano, Caulaincourt, Berthier, Ney, le vieux maréchal Lefebvre et quelques autres; Macdonald et Oudinot entrèrent. « C’est ici, dit Macdonald, que commença la scène qui changea tant de destinées. L’empereur vint à moi: « Bonjour, duc de Tarente, comment va? — Fort tristement; tant d’événemens malheureux! Succomber sans gloire ! n’avoir pas fait un effort pour sauver Paris ! Nous sommes tous accablés, humiliés. — C’est vrai, c’est un grand malheur. Que disent vos troupes ? — Que vous nous appelez pour marcher sur la capitale ; je viens vous déclarer en leur nom qu’elles ne veulent pas l’exposer au sort de Moscou. Nous croyons avoir assez fait, assez prouvé notre dévoûment, pour ne pas hasarder une tentative plus qu’inégale et achever de tout perdre. Quelque parti que l’on prenne, c’est assez de cette malheureuse guerre, sans allumer la guerre civile ! — Mais non, dit l’empereur, on n’a point l’intention de marcher sur Paris. » J’aurais cru qu’il aurait éclaté; au contraire, sa réponse fut faite avec calme et douceur. Il répéta : « c’est vrai, c’est un grand malheur que la prise de Paris.

— Savez-vous, lui dis-je, ce qui s’y passe? — On dit que les alliés ne veulent plus traiter avec moi. — Est-ce là tout ce que vous savez? — Oui. — Eh bien ! lisez cette lettre. » C’était la lettre de Beurnonville; le duc de Bassano en donna lecture à haute voix. « Eh bien ! messieurs, reprit l’empereur, puisqu’il en est ainsi, j’abdiquerai. J’ai voulu faire le bonheur de la France, je n’ai pas réussi ; les événemens ont tourné contre moi. Je ne veux pas augmenter nos malheurs; mais, quand j’abdique, que ferez-vous ? Voulez-vous le roi de Rome pour mon successeur et l’impératrice pour régente? » Tous unanimement nous acceptâmes. « Il faut d’abord, ajouta-t-il, traiter d’une suspension d’armes; je vais envoyer des commissaires à Paris ; je désigne, pour cette importante mission, les maréchaux prince de La Moskowa, duc de Raguse, et le duc de Vicence. Ces choix vous conviennent-ils? » Nous répondîmes affirmativement. L’empereur dit : « Messieurs, vous pouvez vous retirer. Je vais faire dresser les instructions des commissaires, mais je défends qu’ils stipulent rien qui me soit personnel. » Puis se jetant sur un canapé et se frappant la cuisse, il reprit d’un ton dégagé: « Bah! messieurs, laissons cela et marchons demain, nous les battrons ! » Je répétai en peu de mots ce que je venais de dire sur la situation de l’armée : « Non, ajoutâmes-nous, nous en avons assez, et prenez garde que chaque heure qui s’écoule tourne contre le succès de la mission que les commissaires ont à remplir. « Il n’insista pas et dit aux commissaires désignés : « Tenez-vous prêts à partir à quatre heures, » après quoi il nous congédia. A peine étions-nous dans la galerie qu’il chargea le duc de Vicence de me rappeler. « J’ai changé d’avis quant au maréchal Marmont, me dit-il; il est utile qu’il reste à Essonne et je désire que vous soyez commissaire à sa place; acceptez-vous? — Oui, et vous pouvez compter sur mes efforts. — Je le sais, vous êtes un homme d’honneur. »

J’ai un peu abrégé le récit de cette scène, la première du drame de l’abdication et qui en demeure la scène capitale. Par un retour fatal de la destinée, l’armée qui, quinze années auparavant, avait aidé Bonaparte à saisir le pouvoir, sommait Napoléon de s’en déprendre; cette journée du 3 avril a été la réplique et comme la revanche du 18 brumaire.

Il faudrait, depuis ce moment, citer les Souvenirs d’un bout à l’autre ; on les lira, on y verra l’erreur fatale et l’embarras de Marmont, la légèreté de Ney se jetant sans vergogne à la tête des Bourbons, son manque absolu de caractère et sa vanité; on y verra surtout la grandeur d’âme, la loyauté chevaleresque de l’empereur Alexandre. Cependant, il convient de rapporter ici la conversation qui termina la première entrevue d’Alexandre et des commissaires, parce qu’elle donne une idée très nette des sentimens intimes de Macdonald. Il s’agissait de la plus importante des questions à résoudre, la succession du roi de Rome aux droits de son père et la régence de l’impératrice. « Il est trop tard, nous dit-il; l’opinion a fait des progrès trop rapides; nous l’avons laissée aller; à chaque instant elle s’étend. Que ne vous êtes-vous entendus avec le sénat conservateur? — De quel droit a-t-il agi? nous récriâmes-nous; il a menti à son titre; il n’avait aucune mission; plat, rampant, complaisant esclave, il tenait son existence des constitutions de l’empire ; elles sont renversées, il n’est donc rien ; il usurpe en ce moment une autorité qui ne peut émaner que de l’opinion nationale, et cette opinion a tout à craindre du ressentiment des Bourbons, des émigrés, des royalistes. Toutes les existences vont être menacées ; les acquéreurs de biens nationaux vont être recherchés ; il en naîtra une affreuse guerre civile; car la nation a fait trop de sacrifices, elle a payé trop cher le peu de liberté qu’elle a conquis pour ne pas tout faire afin de le conserver. L’armée ne laissera pas fouler aux pieds la gloire dont elle s’est couverte ; malheureuse par son chef, avec ou sans lui, elle renaîtra de ses cendres, plus forte, plus remplie d’ardeur que jamais pour les libertés, les institutions et l’indépendance nationale ; elle se bornera désormais à l’assurer, sans plus songer à conquérir ou à troubler d’autres peuples. Soyez notre médiateur, sire ; c’est un autre genre de gloire digne de la grande âme de Votre Majesté. » L’empereur parut très touché de notre confiance et nous dit : « Je ne tiens nullement aux Bourbons; je ne les connais pas. Il sera impossible, je le crains, d’obtenir la régence; l’Autriche y est la plus opposée; pour moi, j’y consentirais volontiers, mais je dois agir de concert avec mes alliés. Puisque les Bourbons ne conviennent point, prenez un prince étranger ou choisissez parmi vos maréchaux, comme la Suède a fait de Bernadette. Enfin, messieurs, afin de prouver ma sincère estime et ma haute considération pour vous, je vais faire connaître à mes alliés vos propositions et je les appuierai. Revenez à neuf heures ; nous terminerons. »

Les commissaires allaient être remplacés chez le tsar par les membres du «prétendu gouvernement provisoire; » quand on se croisa dans le grand salon, il y eut un échange de mots très vifs; les provisoires voulurent le prendre de haut ; les autres leur rabattirent le ton, les traitant de factieux, d’ambitieux livrant la patrie, de parjures : il fallut que Caulaincourt rappelât à ceux-ci et à ceux-là qu’ils étaient chez l’empereur de Russie. Pendant l’altercation, M. de Talleyrand était resté impassible, le menton dans sa cravate ; il invita les commissaires à descendre chez lui pour s’entendre; ils refusèrent.

Vers la fin de l’audience, un aide-de-camp du tsar lui avait dit quelques mots à mi-voix ; Macdonald crut entendre ces deux-ci : totum corpus. Les commissaires s’en étaient allés déjeuner chez le maréchal Ney. Ils étaient confians, tandis que leurs adversaires semblaient atterrés; on disait le sénat tremblant, les cocardes blanches tombant des chapeaux par milliers. On vint appeler Marmont; un moment après il rentra pâle, l’air égaré : « Tout mon corps a passé cette nuit à l’ennemi! « Il prit son sabre, sortit; on ne le revit plus. Totum corpus était expliqué. Il est vrai que Marmont s’était engagé avec le prince de Schwarzenberg; mais il avait été convenu depuis que, puisque les commissaires venaient négocier au nom de l’armée entière, le traité particulier de Marmont n’aurait pas de suites; il en eut, par la faute du général qui commandait à Essonne en l’absence de son chef; Souham, appelé à Fontainebleau, craignit que l’empereur, au courant de la fatale intrigue, ne le fit arrêter, et précipita la catastrophe. C’en fut une et la dernière ; atterrés à leur tour, les commissaires sentaient le terrain, jusque-là solide, trembler et s’entr’ouvrir sous leurs pieds. L’audience du soir fut décisive; le tsar déclara le roi de Rome irrévocablement écarté. Qu’allait-il advenir de Napoléon? Il conservait le titre de souverain; on lui donnait l’île d’Elbe. Alexandre eut un beau langage : « J’ai été autrefois son plus grand admirateur; dès ce moment je cesse d’être son ennemi et je lui rends mon amitié. Dites-lui, messieurs, s’il ne veut pas de cette souveraineté, et dans le cas où il ne trouverait d’asile nulle part, dites-lui qu’il vienne dans mes états; il y sera reçu en souverain ; il peut compter sur la parole d’Alexandre. »

Tout était fini. Quand il fallut rapporter à Fontainebleau la fatale nouvelle, Ney se déroba ; il avait d’avance et publiquement adhéré à la révolution qui venait de se faire. Le traité négocié par les commissaires fut signé le 11 avril; le soir même, l’acte d’abdication fut remis entre les mains du gouvernement provisoire. M. de Talleyrand avait préparé pour ce dénoûment une mise en scène théâtrale; l’assistance était nombreuse; il s’avança vers les commissaires : « Maintenant que tout est consommé, nous vous demandons, messieurs, votre adhésion au nouvel ordre de choses établi. » Ney s’écria qu’il l’avait déjà donnée : « Aussi n’est-ce pas à vous que je m’adresse, c’est aux ducs de Tarente et de Vicence. » L’un et l’autre refusèrent d’un ton sec. « Talleyrand, dit Macdonald, ne pouvait changer de couleur ni pâlir, mais sa figure s’enfla, comme bouffie et prête à éclater : « Mais, monsieur le maréchal, il est important pour nous d’avoir votre adhésion personnelle, car elle doit exercer une grande influence sur l’armée et sur la France; tous vos engagemens sont maintenant tenus et vous êtes dégagé. — Non, et personne ne doit savoir mieux que vous que tant qu’un traité n’a pas été ratifié, il peut être annulé ; mais lorsque cette formalité sera remplie, je saurai ce que j’aurai à faire. »

Le lendemain, 12 avril, Macdonald et Caulaincourt retournèrent à Fontainebleau afin de recevoir la ratification de l’empereur. Il était calme et les remercia affectueusement ; il remarqua l’absence de Ney: « Est-ce que le maréchal n’est pas revenu avec vous? » On ne répondit pas. Il dit à Macdonald qu’il lui demandait de venir le lendemain matin à neuf heures.

Le lendemain, à neuf heures, Macdonald se présenta; les ducs de Vicence et de Bassano étaient entrés avant lui; l’empereur, vêtu d’une robe de chambre de basin, les jambes nues, en pantoufles, était assis devant la cheminée, les coudes sur les genoux, la tête dans les mains, profondément absorbé. Quand Macdonald avait été annoncé, il n’avait pas entendu; après quelques minutes d’attente silencieuse, Caulaincourt l’avertit doucement; il parut sortir d’un rêve, se leva, tendit la main au maréchal. Il avait le visage altéré, le teint jaune, olivâtre. « Est-ce que Votre Majesté est souffrante? — Oui, j’ai été fort indisposé cette nuit. » Il se rassit, reprit sa première attitude et se remit à songer. Les trois assistans échangeaient des regards attristés. Enfin Caulaincourt crut devoir de nouveau l’avertir. Cette fois, il se leva d’un air plus dégagé : «Je me sens un peu mieux. Duc de Tarente, je suis on ne peut plus touché et reconnaissant de votre conduite et de votre dévoûment. Je vous ai mal connu; on m’avait prévenu contre vous. J’ai comblé de faveurs tant d’autres qui m’ont délaissé, abandonné; vous, qui ne me deviez rien, m’êtes resté fidèle. J’apprécie trop tard votre loyauté et je regrette sincèrement d’être dans une situation à ne pouvoir vous en témoigner ma reconnaissance que par des mots; j’étais autrefois riche et puissant ; maintenant je suis pauvre. — Je me flatte, sire, que Votre Majesté m’estime assez pour ne pas croire que, dans votre position actuelle, j’accepterais une récompense; la conduite que j’ai tenue était tout à fait désintéressée. — Je le reconnais ; mais vous pouvez, sans blesser votre délicatesse, accepter un cadeau d’un autre genre : c’est le sabre de Mourad-bey que j’ai porté à la bataille du Mont-Thabor; conservez-le en souvenir de moi et de mon amitié pour vous. » Macdonald remercia l’empereur. « Nous nous jetâmes, dit-il, dans les bras l’un de l’autre en nous embrassant avec effusion. Il m’engagea à venir le voir à l’île d’Elbe; enfin nous nous séparâmes. On me remit tous les documens dont je devais être porteur, et depuis lors je ne revis jamais Napoléon. »


IX.

Macdonald était libre ; rien ne l’empêchait plus d’accepter le changement de régime qui venait de s’accomplir ; il l’accepta franchement et loyalement : « Vous remarquerez, mon fils, que j’ai par la suite fidèlement tenu les nouveaux engagemens que je venais de contracter; c’est un exemple que je vous conseille et recommande d’imiter. » Toutefois il laissa passer quelques jours avant d’aller aux Tuileries saluer le comte d’Artois, lieutenant-général du royaume. « Mes amis, dit-il, m’en parlèrent, je n’y avais assurément aucune répugnance; mais je pensais qu’il était dans les convenances de ne pas montrer trop d’empressement, après avoir rempli une mission qui ne devait pas trop plaire au prince, et surtout après avoir manifesté autant de résistance et d’opposition, lorsque mon adhésion me fut demandée la première fois. »

A l’arrivée de Louis XVIII, il se rendit au-devant de lui, avec les autres maréchaux, à Compiègne ; le roi leur fit bon accueil, leur dit qu’ils étaient les plus fermes colonnes de l’État, et pour donner tout son sens à la métaphore, il mit une main sur l’épaule de Macdonald et l’autre sur celle de l’un de ses camarades. L’entrée à Paris eut lieu, le 4 mai, au milieu d’une grande affluence et de vives acclamations. Il n’y eut, ce jour-là, qu’une note fâcheusement discordante : on avait fait venir de Fontainebleau à marche forcée l’ex-garde impériale; mais on n’avait pris aucune disposition pour la loger, ni pour la faire vivre ; ce fut dans l’armée un premier germe de mécontentement.

Beaucoup de fautes et de sottises s’accumulèrent les unes par-dessus les autres; le duc d’Angoulême eut la singulière idée de se montrer pour la première fois aux Parisiens en habit de général anglais. Les grades, les décorations, les faveurs, les emplois de toute sorte étaient prodigués aux gentilshommes, aux émigrés, à l’exclusion presque absolue des officiers de l’ancienne armée et des fonctionnaires les plus méritans de l’administration impériale. « Le gouvernement dit avec une énergique trivialité Macdonald, paraissait comme un malade qui laisse tout aller sous lui. « Il s’indignait à titre de militaire, il ne s’indignait pas moins à titre de libéral, ou, suivant l’expression du jour, à titre de constitutionnel. Il y avait une constitution, la charte, et il la prenait au sérieux. Nommé membre et secrétaire de la chambre des pairs, il combattit la première loi politique qui y fut présentée; c’était une loi restrictive de la liberté de la presse; il avait cru y voir une violation de l’article 8 de la charte.

Quand, selon le règlement, le bureau de la chambre alla porter au roi la loi qui venait d’être votée à une voix de majorité seulement, Louis XVIII, s’adressant à Macdonald : « Monsieur le maréchal, dit-il d’un ton sec, je suis surpris que vous ayez parlé et voté contre; lorsque je me donne la peine de rédiger un projet de loi, j’ai mes raisons pour qu’il passe. — Sire, répondit l’apostrophé, Votre Majesté ne m’a pas mis dans la confidence de ses projets; ils doivent donc tous passer, puisque c’est elle qui les fait présenter. A elle seule appartenant l’initiative, autant vaudrait un enregistrement; à nous de rester muets comme le ci-devant corps législatif; mais si j’ai bien compris les dispositions de la charte, elle laisse à chacun liberté d’opinion et de suffrage; j’ai cru voir une violation de son article 8, et j’ai usé de cette liberté comme je le ferai toujours avec conscience. » Le roi ne répliqua pas ; on sortit, le chancelier Dambray arrêta Macdonald au passage : « Mais, monsieur le maréchal, est-ce ainsi qu’on parle au roi? — Comment! est-ce que j’ai manqué à Sa Majesté? — Non pas précisément, mais il fallait mettre plus de formes, plus de mesure. — C’est-à-dire qu’il fallait voiler la vérité ou se repentir; non, je n’ai pas appris à calculer les courbes, et je plains le roi si on lui déguise ce qu’on doit lui apprendre. Quant à moi, je lui parlerai toujours avec franchise et le servirai de même. » Louis XVIII le bouda quelque temps, mais l’humeur passa; en parlant de Macdonald, il l’appelait « son très véridique. »

On ne sait guère que le maréchal fut un des inspirateurs de la future loi sur l’indemnité des émigrés; les événemens empêchèrent alors que la première proposition n’eût des suites.

Macdonald était gouverneur de la 21e division militaire à Bourges ; il venait d’en faire les honneurs au duc et à la duchesse d’Angoulême en tournée de voyage, lorsque, dans la nuit du 6 au 7 mars 1815, il reçut une dépêche lui enjoignant de se rendre immédiatement à Nîmes, et de diriger toutes ses troupes sur Villefranche (Rhône) ; point d’explication. Il n’eut le mot de l’énigme que vingt-quatre heures après, par un rapport de l’un de ses subordonnés qui parlait du débarquement de Napoléon. « Cette nouvelle, dit-il, me confondit, et je prévis dès lors les malheurs qui sont venus fondre sur la France. » Il partageait les ressentimens de l’ancienne armée ; il était de cœur avec elle ; il blâmait les fautes du gouvernement ; mais il avait prêté serment à Louis XVIII et il était résolu à lui rester fidèle. Entre ses sympathies et sa conscience, il n’eut pas un moment d’hésitation ; il alla droit au devoir.

Il prit la route de Lyon ; à Fougues, il rejoignit le duc d’Orléans qui suivait, à une journée de distance, le comte d’Artois, Monsieur, envoyé à Lyon pour prendre le commandement des troupes. Monsieur s’y trouva dès l’abord fort embarrassé ; le péril crevait les yeux; la garnison, la population étaient ouvertement bonapartistes. Macdonald arriva, le 9 mars, à dix heures du soir; heureux de retenir un pareil auxiliaire. Monsieur lui dit que les routes étant interceptées, il fallait qu’il restât près de lui et qu’il exerçât le commandement avec les pouvoirs les plus étendus. La nuit fut employée à donner des ordres, à recevoir des informations toutes désespérantes. Une revue était commandée pour le lendemain matin, 10 mars, à six heures, sur la place Bellecour; avis fut donné au maréchal que les troupes ne souffriraient pas qu’elle fût passée par les princes. Macdonald s’y rendit d’abord seul; il fut personnellement bien accueilli, salué même par des acclamations; mais quand, ayant fait former les carrés, il se mit à haranguer les troupes, à leur rappeler leur serment, à les exhorter au devoir, une attitude morne, un silence de glace lui prouvèrent que ses paroles n’étaient pas écoutées. Il voulut voir les officiers à part; sans cesser d’être pour lui respectueux et pleins d’égards, ils ne répondirent que par des récriminations à ses discours. Tout était perdu; Monsieur et le duc d’Orléans avaient dû partir au plus vite ; les éclaireurs de la troupe napoléonienne étaient proches et les reconnaissances qu’on avait envoyées fraternisaient avec eux. Les quais du Rhône étaient envahis par la foule; Macdonald avait peine à s’y faire jour; il venait de donner l’ordre de faire sortir de Lyon toutes les troupes, quand un général osa lui dire : « c’est inutile, monsieur le maréchal, toutes les mesures sont prises pour empêcher votre départ. — Vous me connaissez sûrement trop bien, monsieur, pour croire que je puisse être facilement arrêté ; je saurai me faire jour l’épée à la main. » Cependant il courut le très grand risque d’être pris ; il fallut se mettre au galop et fuir à toute vitesse; vers le soir, au sommet de la montée de Tarare, il atteignit enfin les voitures des princes; Monsieur lui donna place dans la sienne ; les ducs de Fitz-James, de Polignac et le comte des Cars s’y trouvaient avec lui.

Quel langage doit-on penser que Macdonald ait tenu alors? C’est à lui-même qu’il faut le demander. « La conversation roula d’abord sur l’événement du jour et ses causes, le mécontentement général, de l’armée surtout, le choix des ministres, leur incapacité en matière de gouvernement, leurs opinions intempestives, leur nullité et celle de leurs agens. Je dois cette justice à Monsieur et à ses officiers qu’ils me parurent convenir franchement des fautes commises; étaient-ils de bonne foi? je le crois; la peur avait fortement agi. Monsieur dit qu’il allait éclairer le roi et solliciter des réparations : « Il est trop tard, répondis-je, l’élan est donné ; mais je ne me dissimule pas les calamités qui vont fondre à la fois sur la France. Vous-même, monseigneur, ajoutai-je, dans vos tournées, dans celles de vos fils, qu’avez-vous appris de l’opinion? Rien d’autre que les passions de vos partisans aveuglés par leur domination du moment. Vous avez dédaigne les hommes qui auraient pu vous servir utilement et vous conseiller. Il fallait attirer les militaires, vous mettre en rapport avec eux, mélanger vos officiers; ils eussent fraternisé ensemble; ils auraient été les anneaux de la grande chaîne. » Toutes ces observations étaient trouvées justes, sensées ; on répondait : c’est vrai, très vrai. Monsieur ajouta : « J’ai bien eu dans la pensée de prendre quelques-uns des officiers-généraux pour aides-de-camp ; quarante ou cinquante m’avaient offert leurs services; mais la crainte de désobliger le plus grand nombre m’a fait ajourner le choix. »

A Paris comme à Lyon, Macdonald eut le commandement supérieur des troupes ; ce ne fut pas avec un meilleur succès. « Où Votre Majesté compte-t-elle se retirer, dans le cas où elle serait forcée d’abandonner momentanément sa capitale? » avait-il demandé la première fois qu’il était venu aux Tuileries ; cette idée ne s’était pas encore présentée à l’esprit de Louis XVIII ; il en tressaillit de surprise: « Mais nous n’en sommes pas encore là? — Non, mais dans cinq ou six jours. Votre Majesté devrait connaître l’activité de Napoléon. — Je compte beaucoup sur le maréchal Ney ; il m’a promis de se saisir de lui et de l’amener dans une cage de fer. Je réfléchirai. » Le lendemain, Macdonald renouvela la question ; le roi répondit sans hésitation : « Dans la Vendée. — Si Votre Majesté prend cette direction, tout sera perdu. Vous y serez poursuivi ; on bloquera les côtes ; toute retraite deviendra impossible. Rendez-vous plutôt en Flandre; Lille ou Dunkerque vous offrent toute sûreté ; vous y établirez votre gouvernement. — Je goûte assez vos observations ; attendons les nouvelles ultérieures. » Les nouvelles arrivèrent de plus en plus menaçantes; Napoléon était à Fontainebleau.

Dans la nuit du 19 au 20 mars, Louis XVIII sortit clandestinement des Tuileries et prit la direction du nord. Le lendemain Macdonald attendit vainement à Saint-Denis les troupes qui avaient ordre de s’y rassembler; elles ne vinrent pas. Il se mit alors en chemin pour rejoindre Louis XVIII ; la maison du roi cheminait péniblement; la queue de la colonne s’allongeait; cette marche décousue avait un air de déroute. Le roi, qui avait pris les devans, s’était arrêté dans Abbeville ; le maréchal le pressa d’en partir ; il était urgent de gagner Lille au plus vite. On arrive à Béthune à cinq heures du matin ; la population curieuse, mais bienveillante, accourt en déshabillé ; le sous-préfet lui donne l’exemple, à la portière de la voiture royale, une jambe à moitié nue, souliers en pantoufle, son habit sous le bras, gilet déboutonné, et chapeau sur la tête ! Le malheureux, les mains embarrassées de son épée et de sa cravate qu’il tâchait d’ajuster, n’avait pas pu se découvrir.

Enfin on arrive à Lille ; l’esprit de la ville est bon, mais celui de la garnison est inquiétant ; le duc d’Orléans et le maréchal Mortier n’ont plus sur elle d’influence; Louis XVIII veut s’en aller de nuit à Dunkerque ; Macdonald proteste ; il n’est pas digne d’un roi de France de partir ainsi furtivement d’une ville dont la population est dévouée ; le roi persiste ; on se mettra en route à minuit. Dans la journée, le vieux prince de Condé avait cru devoir demander au roi si le lendemain, jeudi saint, il ne ferait pas la cérémonie du lavement des pieds. En vérité, le moment était bien choisi. Au sérieux des événemens se mêlaient des incidens comiques ; on vient de voir celui de Béthune. En quittant les Tuileries, on avait garni à la hâte un porte-manteau pour le roi : six chemises, une robe de chambre, une paire de pantoufles ; le porte-manteau fut égaré ou volé en route; le roi dit tristement à Macdonald : « On m’a pris mes chemises, je n’en avais pas déjà trop; ce sont mes pantoufles que je regrette davantage; vous saurez un jour, mon cher maréchal, ce que c’est que des pantoufles qui ont pris la forme du pied! » Comme Louis XVIII, Macdonald était goutteux; il devait compatir à son infortune. « En ce moment, remarque le maréchal, le roi ne songeait pas que, quelques heures plus tard, il allait perdre son royaume. »

Il était onze heures du soir ; Macdonald, qui devait précéder Louis XVIII à Dunkerque, était prêt à partir quand il vit entrer le comte de Blacas. Frappé des représentations par lui faites le matin sur ce qu’il y aurait de contraire à la dignité royale dans cette évasion nocturne, le ministre allait tenter auprès du roi un nouvel effort. Une demi-heure après il revint ; le roi avait cédé, mais dans quel état ! M. de Blacas l’avait trouvé en chemise, les manches retroussées, se faisant la barbe ; au premier mot, il s’était redressé, avait posé son rasoir et, la figure moitié rouge de colère, moitié blanche de savon, il s’était écrié: « Pourquoi change-t-on d’avis à chaque instant et m’empêche-t-on de partir ou de me coucher? » Après quoi, il avait achevé sa barbe et s’était couché en effet. Le lendemain matin à sept heures, nouveau changement; le roi décidément passait en Belgique : « Sire, dit Macdonald, qui quitte la partie la perd. J’ai fait loyalement tout ce qui a dépendu de moi pour maintenir l’autorité de Votre Majesté et pour la retenir dans ses États: elle veut les abandonner; je la conduirai en sûreté jusqu’à la frontière, mais je n’irai pas plus loin; je lui resterai inébranlablement attaché, dévoué, fidèle à mes sermens. » Le roi, dont le front s’était rembruni d’abord, reprit son calme et donna son acquiescement. Le duc de Reggio obtint également la permission de demeurer; seul des quatre maréchaux qui se trouvaient à Lille, auprès de Louis XVIII, — le duc de Trévise était le quatrième, — le malheureux Berthier, retenu par son service de major-général de la garde royale en quartier, fut contraint de suivre le roi hors de France ; il se désespérait de passer devant l’opinion publique pour un émigré volontaire. Arrivé à la frontière, Louis XVIII fit à Macdonald des remercîmens affectueux ; le maréchal, très ému, ne put que lui dire : « Adieu, sire, au revoir, dans trois mois. »

Macdonald reprit le chemin de Paris; à Doullens il put modérer la fougue d’Exelmans qui courait sabrer à Béthune les restes déjà licenciés de la maison du roi ; un peu plus loin, il croisa la voiture du maréchal Ney qui fit arrêter : « Vous vous rendez à Paris; allez, vous serez bien reçu ; l’empereur vous accueillera bien. — Je le dispenserai de toute politesse ; je ne le verrai point et n’entrerai pas dans son parti. » Macdonald ne voulait passer à Paris que le temps strictement nécessaire pour régler ses affaires, après quoi il irait s’enfermer à Courcelles. Sa porte, close à tous les visiteurs, fut cependant forcée par le maréchal Davout, ministre de la guerre, qui fit d’inutiles efforts pour l’amener à voir l’empereur. Arrêté par une violente attaque de goutte qui le retint à la chambre pendant trois mois, il partait enfin pour Courcelles quand vint la terrible nouvelle du grand désastre de Waterloo. Ce n’était plus le moment de s’éloigner de Paris.

Malgré sa répugnance pour le personnage, il fut obligé de voir Fouché. Ce président du gouvernement transitoire lui dit qu’il était urgent que le roi se hâtât d’arriver à Paris avant les étrangers, autant que possible, et, s’il voulait surprendre agréablement la population et l’armée, que ce fût avec la cocarde tricolore. Davout lui tint le même langage; c’était également l’opinion de Macdonald : « En bonne politique, dit-il, je reste convaincu encore aujourd’hui que l’adoption de ces couleurs, en 1814, aurait épargné à la France les calamités qui pesaient sur elle en 1815 ; quoique la politique excuse tout, même les plus grandes fautes, c’en fut une à la première restauration, peut-être aussi à la seconde de ne l’avoir pas compris ; si on y est retombé, ce ne sont pas les bonnes raisons qui ont manqué pour empêcher qu’elle ne fût commise : le roi était ébranlé, lors de mon entrevue avec lui ; mais les ministres qu’il ramenait de Gand le dissuadèrent. » C’est à Gonesse qu’avait eu lieu cette entrevue; Louis XVIII l’avait embrassé cordialement et s’était enfermé avec lui pendant plus d’une heure; il s’étonnait qu’on attachât tant d’importance à un détail si futile, à cette cocarde, un hochet : « Mais, répondait Macdonald, le roi s’en est donc joué quand, avant l’émigration, il a pris lui-même et porté ces couleurs? — Ah ! les circonstances étaient bien différentes, il fallait maîtriser la révolution. — Et s’en emparer aujourd’hui, sire. N’était-ce pas d’ailleurs, au temps jadis, les couleurs de la famille royale, et les Hollandais ne les reçurent-ils pas d’Henri IV? — Oui, mais c’était la livrée de sa maison. — Votre Majesté se rappelle sans doute ce qu’il a dit, que Paris valait bien une messe. — Oui, mais ce n’était pas très catholique. » Le comte d’Artois, le duc de Berry, les grands officiers, les ministres, avaient précédé le roi au château d’Arnouville : « Mon frère, mon neveu, dit-il en arrivant, voilà notre ami le maréchal ; embrassez-le. » Monsieur le fit avec beaucoup de grâce; son fils avec un peu d’embarras et de contrainte; la franchise de Macdonald le heurtait; elle le heurta tout de suite quand le maréchal, voulant épargner à la seconde restauration les fautes de la première, en reprit la longue énumération : abus, prodigalités, faveurs sans discernement, d’une part; de l’autre, injustices, hauteurs, mépris, il osa même dire violation de la charte; il ajouta qu’au mois de mars il n’y avait pas eu de complot, à preuve que, pendant les cent jours, personne ne s’était vanté d’y avoir eu part. « Il y a bien du vrai, mon frère, dans ce que dit le maréchal, » remarqua le roi ; mais Monsieur et les autres se contentaient de hocher la tête.

Le lendemain, au moment où Macdonald prenait congé pour retourner à Paris, le roi le retint : « Mon cher maréchal, j’ai besoin d’un nouveau service que je demande à votre zèle. Voici l’ordonnance qui vous nomme grand-chancelier de la Légion d’honneur; elle a été signée à mon passage à Roye, sur la présentation de M. de Talleyrand. » Macdonald remercia de cette grande marque de faveur; mais, se demandait-il, comment était-ce M. de Talleyrand qui la lui faisait accorder? Quel intérêt y avait-il? En roulant vers Paris, le maréchal trouva le mot de l’énigme : le président du conseil, redoutant de l’avoir pour collègue comme ministre de la guerre, l’exilait honnêtement dans une haute fonction qui n’avait rien de politique.

Louis XVIII allait mettre le dévoûment de Macdonald à une bien rude et bien cruelle épreuve : il lui demanda de prendre le commandement de l’armée de la Loire, en d’autres termes, d’en préparer le licenciement. Le maréchal se récria, refusa longtemps, « mais, dit-il, le roi insista tellement, avec tant d’opiniâtreté, sur le service personnel qu’il me suppliait de lui rendre, — ce sont ses propres expressions, — qu’il vainquit la mienne, toutefois sous deux conditions formelles : la première, qu’il me serait donné toute latitude d’agir; la seconde, que je ne serais nullement chargé d’être l’instrument des mesures qui pourraient être prises contre les individus, encore moins de leur exécution. Les ordonnances impolitiques du 25 juillet, par lesquelles étaient mis en jugement ou envoyés en exil plusieurs généraux et autres qui avaient plus activement pris part au début des cent jours, étaient publiques et, — qui le croirait? — c’était sur le rapport de Fouché, duc d’Otrante, ministre de la police, qu’elles étaient rendues, de lui qui, avant et pendant cette période, avait si largement participé à tous les événemens intérieurs dont elle avait été remplie ! »

Dès le lendemain de son arrivée à Bourges, Macdonald profita de la visite de corps qui lui fut faite pour prendre une position nette, franche et, vis-à-vis du gouvernement, hautement courageuse. L’assistance était nombreuse ; tous les généraux, tous les officiers étaient présens. « Que ceux, dit-il en élevant la voix, qui ont le malheur d’être portés sur les fatales ordonnances songent à leur sûreté ; ils n’ont pas un moment à perdre ; d’un instant à l’autre il peut arriver des porteurs de mandats dont je ne serai pas maître d’empêcher l’exécution ; tout ce que je peux faire est de les prévenir par cet avertissement, en leur facilitant les moyens d’y échapper. » Dans le nombre était le général Braver, qui, à Lyon, avait voulu, même par la force, empêcher son départ ; il se confondait en excuses : Fuyez, fut la seule réponse de Macdonald.

Il fit mieux. Le soir même, arrivèrent, mais sans leur uniforme, en habit civil, des gardes du corps, des exempts, comme on disait sous l’ancien régime ; ils étaient porteurs de mandats d’arrestation et d’ordres pour les commandans de gendarmerie d’obtempérer à leurs réquisitions. Quand ils se présentèrent au maréchal, celui-ci leur dit que, vu l’état exaspéré des esprits, il les engageait à ne pas se faire voir, qu’on allait leur donner à souper, des matelas pour la nuit, et que le lendemain on aviserait. On les mit sous clé ; des estafettes coururent dans tous les cantonnemens sonner l’alarme, et le matin venu, quand les chasseurs se mirent en campagne, le gibier avait disparu. MM. les exempts se plaignirent : « Vous avez tort, leur dit le maréchal, vous me devez plutôt des remercîmens, car, si l’on eut soupçonné votre déguisement, vous auriez couru un péril certain. — Nous l’eussions bravé. — Alors pourquoi vous déguiser ? Puisque votre mission est maintenant sans objet, dans votre intérêt partez, quittez sur-le-champ l’arrondissement de l’armée ; allez faire votre rapport. » Il n’en résulta pour Macdonald qu’une lettre assez aigre du duc de Berry où il était dit que, s’il commandait à sa place, il ferait jeter les récalcitrans par les fenêtres : à quoi le maréchal répondit que ce serait fort bien fait, si on ne courait pas le risque d’y passer d’abord soi-même.

Enfin il fallut faire cet odieux licenciement ; Macdonald y apporta tous les ménagemens possibles ; mais il lui était douloureux de concourir au malheur de tant de braves qui perdaient le traitement d’activité, c’est-à-dire la moitié de leurs moyens d’existence. Il n’y eut que peu de mutinerie ; le licenciement s’acheva dans le calme. « Ce ne fut point sans un cruel serrement de cœur, a dit éloquemment le maréchal, que je vis disparaître cette vaillante et si malheureuse armée, si longtemps triomphante ; aucune trace n’en restait plus; un mauvais vent avait soufflé, la dispersant comme la poussière; on était ainsi à la merci de l’étranger! »

Tout était fini ; le dernier ordre du jour du maréchal est daté du 21 octobre 1815; cependant, il ne reçut que le 6 février 1816 l’autorisation de rentrer à Paris ; on voulait bien lui dire que sa présence à Bourges était une force morale, à défaut de la force matérielle ; c’était une façon polie de le tenir à distance. Enfin, il vint reprendre ses fonctions de grand-chancelier de la Légion d’honneur.

Ici s’arrête le récit des Souvenirs. « Depuis cette époque, a dit le maréchal, aucune circonstance personnelle se rattachant à ma carrière militaire ou politique ne mérite plus d’être mentionnée. » Accablé par la goutte, hors d’état de monter à cheval, il se démit de la grande chancellerie le 15 novembre 1830, et se retira dans sa terre de Courcelles où il mourut, le 25 septembre 1840 : il avait soixante-quinze ans.

Le manuscrit a pour épilogue un souvenir caractéristique. C’était à Saint-Cloud, sous le règne de Louis XVIII; Macdonald, major-général de la garde royale en quartier de service, déjeunait à la table du roi; il était assis à côté de Monsieur. « Avant la révolution, lui dit son auguste voisin, vous serviez dans la brigade irlandaise. — Oui, monseigneur. — Presque tous les officiers ont émigré. — Oui, monseigneur. — Pourquoi n’avez-vous pas fait comme eux? Quelle raison vous a retenu en France? — Monseigneur, j’étais amoureux. — Ah! ah ! monsieur était amoureux. — Oui, monseigneur, tout comme un autre, j’étais marié ; j’allais être père; et puis monseigneur sait bien qu’il y a eu bien des motifs d’émigration ; ce n’a pas toujours été le dévoûment, l’opinion qui a déterminé, surtout parmi les jeunes officiers qui, comme moi alors, entendaient fort peu la politique, mais souvent de mauvaises affaires, quelques-unes fort sales, des dettes, etc. D’ailleurs, il faut que je fasse un aveu à votre altesse royale. — Lequel? — C’est que j’adore la révolution. » Monsieur fit un mouvement de surprise et changea de couleur. « J’en déteste les hommes et les crimes; l’armée n’y a point participé ; jamais elle n’a regardé derrière elle, toujours en face de l’ennemi, elle déplorait les excès de l’intérieur. Comment n’adorerais-je pas la révolution? C’est elle qui m’a grandi, élevé; sans elle aurais-je aujourd’hui l’honneur de déjeuner à la table du roi à côté de votre altesse royale? » Monsieur, qui s’était remis et avait repris sa belle humeur, lui frappa sur l’épaule en disant: « Eh ! vous avez bien fait; j’aime cette franchise. »

Voilà l’homme.


CAMILLE ROUSSET.

  1. Voyez la Revue du 1er octobre.
  2. La Grande Armée de 1813, p. 200 et suiv.