Le Mirage perpétuel/LA MUSIQUE/Symphonie

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Librairie Paul Ollendorff (p. 81-84).


SYMPHONIE



C’est l’heure. La ténèbre est opaque et profonde,
On souffre dans le froid et dans l’obscurité,
Nul ne sait d’où pourrait advenir la clarté
Et c’est comme un chaos où se forme le monde.

Une aile frémissante, un voile épais et lourd
Étouffe sous ses plis toute plainte terrestre,
Mon cœur s’identifie aux rumeurs de l’orchestre,
Mon âme aveugle attend la lumière et l’amour.


Rien ne déchire encor les ombres solennelles,
C’est la houle. Voici l’éclair d’un coup d’archet,
Puis le silence ; enfin tel qu’un blanc feu follet
Les trilles d’une flûte ou d’une chanterelle.

Une fugue apparaît du fond de l’horizon ;
Elle roule, grandit, s’approche, s’exaspère,
Et passe dans un souffle angoissant de colère,
Sombre et dure comme un passage de caissons.

Le souffle des hautbois se tait — puis recommence,
C’est une voile blanche au-dessus de la mer,
Il brille et chante, ainsi parmi les nuits d’hiver
Un feu qui tremble au loin ranime l’espérance.

Mais que les violons soudain prennent l’essor !
Leur voix monte, subtile et pure, jusqu’aux nues
Et délivre d’un coup les notes contenues
Au creux des noirs bassons et dans les harpes d’or.


Ah ! tintinnabulez, triangles et clochettes,
Sonnez, cuivres, vibrez, ô fifres orgueilleux,
Que montent d’un seul trait vers le ciel radieux
Les appels éperdus des flûtes inquiètes !

Mon être tout entier devient un instrument
Sonore, je palpite à la même cadence,
Et mes nerfs contractés jusqu’à la défaillance
Se crispent d’un espoir éphémère et fervent.


Lumière du bonheur qui luit dans les ténèbres,
Ô désir inutile et tendre d’être aimé,
Quand donc mon être en vain par l’amour consumé
Surgira-t-il vivant de ces ruines funèbres ?

Sauvage volupté de vivre, ô tourbillon !
Qu’un rhytme ensorcelé m’entraîne et que la danse
Martelant sa mesure emporte en sa cadence
Mes rêves plus légers qu’un vol de papillons !


Je me sens désormais au-dessus de la vie,
Comme les cloches dans les contes de Noël
Je vois les notes d’or qui glissent dans le ciel
Étoiles de la voûte où mon âme est ravie,

Ô coup d’archet strident et clair comme un appel !
Guitares, tambourins, mandolines, violes,
Chant de flûtes au vent comme des banderolles,
Mèlez votre cantique à l’hymne universel !

Je vogue sur les flots changeants de la musique,
Je me sens pénétré d’arômes et d’air pur,
Tout m’apparaît trempé de lumière et d’azur,
Dans la fluidité d’un rêve mélodique.

Qu’importent maintenant les rafales du cor ?
Flots de caresses, de parfums et de nuances
Je ne distingue plus parmi les résonnances,
Et mon âme, je crois, absorberait mon corps !