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Le Mystère de Quiberon/1

La bibliothèque libre.
Dujarric et Cie, Éditeurs (p. v-xx).


à Monsieur Henri PROVINS

en confraternité d’études et d’efforts

          A. L.

PRÉFACE

À Quiberon, au bout de la presqu’île, deux monuments, statue et pyramide, ont été élevés pour commémorer l’événement sanglant du 21 juillet 1795 : déroute finale des émigrés, suivie de fusillades républicaines. Loin de renseigner, ces deux monuments, l’un par son emplacement, l’autre par son épigraphie, trompent le public et faussent manifestement l’histoire.

En effet, la statue de Hoche se dresse au bout d’un étang, moitié marais, moitié égout ; et, entre un hôtel et des villas, regarde une plage où le général ne passa jamais puisque, géographiquement, elle est située à l’opposite du Fort-Neuf, fort où Hoche arriva le dernier et d’où il partit le premier quand les émigrés, désespérément commandés par Sombreuil, renoncèrent à la résistance.

Sur une plage historiquement plus vraisemblable, entre Port-Haliguen et le Fort-Neuf, dans la partie est du territoire de la commune, à quelque distance d’une fontaine, une pyramide de laide architecture et de médiocre hauteur, porte deux inscriptions. « À Hoche » dit l’inscription tournée du côté de la baie. L’inscription tournée du côté de la campagne affirme que les émigrés et les Anglais furent défaits en cet endroit par les troupes de la Convention : erreur certaine, au moins en ce qui concerne les Anglais, lesquels, de l’aveu de tous les témoins, et d’après les récits de tous les écrivains, sans distinction de parti, assurèrent le débarquement, protégèrent le rembarquement, mais ne mirent jamais un seul homme à terre.

Cette menteuse pyramide, assurément mieux située que la statue, n’occupe cependant pas la place exacte des pourparlers de suspension d’armes, tenus entre Hoche et Sombreuil. S’il est plus poétique de concevoir que les deux chefs de corps se rencontrèrent auprès de la fontaine, sur le chemin menant au Fort-Neuf, pauvre fortification dont le plan annexé aux mémoires de Puisaye démontre la misère, il est plus raisonnable de croire que l’entrevue suprême se passa quelques cents mètres plus loin, dans un champ protégé par le massif rocheux portant la batterie. Là, les interlocuteurs se trouvaient à l’abri du feu de la corvette anglaise. D’où la facilité d’un entretien impossible ailleurs sur un terrain découvert et balayé par la mitraille.

C’est donc dans l’étude de la topographie et non dans la contemplation des monuments qu’il convient de chercher les raisons du désastre de cette entreprise héroïque, puérile en son action, démesurément cruelle en son dénouement qui s’appelle l’Affaire de Quiberon.

Où trouver l’explication de ces efforts sans résultat, de ces batailles qui semblent livrées pour être perdues, de ces mouvements subitement arrêtés, de ces retraites sans motifs, de ces incohérences militaires à la suite desquelles l’armée se décourage et du terrain resté irrémédiablement perdu ?

Le secret se découvre dans l’examen de cette campagne de Quiberon, désolée et si bien faite pour la mort qu’elle affecte l’aspect d’un cimetière. À droite et à gauche, battue par la mer qui, dans son calme même, garde de la menace, sur quatorze kilomètres de long, sur quatre de large, la grande lande de la pointe de Quiberon pousse dans les flots ses sables vert-de-grisés de plantes indigentes, ses villages maigres, et s’embaume au soleil, l’été, du parfum méprisé des œillets sauvages.

Au milieu des œillets, et comme les protégeant d’une ombre paternelle, les chardons fleurissent, hérissés et tout bleus. Les escargots s’y réfugient, envahissent les feuilles et leur donnent l’aspect d’une arborescence de pierre. Sur un monticule, taupinée qui, là-bas, prend des airs de montagne, des fruits rouges, espèces de groseilles inconnues, se traînent au travers de l’herbe métallique et dure à la dent des bestiaux. Il y a du sang sur cette terre, et l’on dirait que, par les beaux jours, le sang se montre en fleurs inquiétantes, au ras du sol.

Montons à la cote 30 sur la carte de l’État-Major, atteignons la suprême éminence de ce pays nu. Là, près du sémaphore, d’un seul regard, au milieu du vent qui siffle dans la plaine sans ombre, arrache aux cailloutis des murs une poussière agressive qui vole, pique les yeux et provoque les larmes ; là, par dessus les murs de pierre séparant les champs, apparus au lointain ainsi que des cases de damier ; par dessus les chardons, les escargots, les œillets, le sang revenu dans les fleurs, les monuments fallacieux, les menhirs qui, depuis des siècles, impassibles dans leur granit, connurent d’autres conflits et furent éternellement témoins des guerrières calamités du monde ; le panorama de l’aventure de Quiberon se développe et le malheur se fait comprendre.

Devant vous, vers le nord, voyez la plage de Carnac arrondie et dorée derrière le flot bleu de la baie. C’est la plage où débarquent les émigrés. Point de retard, et sitôt descendus de leurs navires, les voilà commandant les routes d’Auray et de Vannes. Hoche qui les a vus venir, loin de les attaquer, leur a laissé le champ libre. Reculant étrangement sur la gauche au delà de Locoal-Mendon, il leur abandonne la droite et leur permet d’avancer tout à l’aise. Les contingents de la terre se joignent aux contingents de la mer et se disposent à marcher avec eux. La plus naturelle des ententes les rendrait immédiatement maîtres du pays d’où ils pourraient pousser jusqu’à Rennes et jusqu’au Mans.

Or il arrive que, précisément, l’entente ne se fait pas. Point d’accord, point de décision ; des conflits de préséance, des querelles de personnes, des incertitudes de commandement. Quand il conviendrait de brusquer les opérations, des lenteurs, des piétinements de corps d’armée s’épuisant à rester en place ; et une telle confusion dans l’esprit des chefs que, hésitant sur le plan arrêté dès l’abord, ne sachant à quoi se résoudre pour la conduite d’une expédition cependant concertée et préparée de longue date, dans une fainéante temporisation, ils attendent qu’un émissaire envoyé à Londres leur rapporte des conseils, des ordres, le parti nouveau qu’ils doivent prendre.

Voyez maintenant à dix kilomètres en arrière de Carnac, voyez le Fort Penthièvre, citadelle peu imposante aujourd’hui et qui, en 1795, malgré son assise sur un rocher dominant la baie de Quiberon à l’est, la grande mer à gauche, tout en barrant l’étroit défilé de la presqu’île, de ses canons trop lointains, ne menaçait ni les navires de transport, ni les cantonnements de Carnac. C’est vers cette forteresse inutile que se retournent les émigrés. Ils s’en emparent par un succès maladroit en tout pareil à une retraite. Que signifie de se replier ainsi et de triompher à reculons ?

On ne saurait valablement admettre la doctrine stratégique par laquelle les émigrés souhaitaient faire de la presqu’île de Quiberon un camp retranché, grand arsenal d’approvisionnements et de munitions. Si l’on considère la difficulté du transbordement maritime sur un territoire aujourd’hui encore dénué de ports assez spacieux pour la décharge des navires de guerre ; si l’on considère la difficulté plus grande encore de ravitailler une armée en traversant une contrée sablonneuse et sans chemins, à cette époque ; de quelle utilité pouvaient devenir ces magasins très distants du lieu de concentration, fort éloignés du champ d’opération, et que le moindre rideau de troupes ennemies interposé à l’étranglement de la presqu’île couperait certainement de toute communication avec le corps d’armée en marche ?

Carnac restait la seule position normale pour l’installation du matériel de réserve. Entre l’anse du Pô et la Trinité-sur-Mer, après comme avant le débarquement, la plage demeurait facile à occuper, facile à défendre. Or, l’observateur s’étonne en voyant que les chefs royalistes abandonnent une position commode, point menacée, et éminemment stratégique puisque, à l’heure première de la décision et de la logique, Carnac, habilement, devenait l’endroit choisi pour le débarquement des troupes et leur point d’appui, sur la flotte.

Quel délire pousse les royalistes à se refouler eux-mêmes, à s’emparer absurdement du Fort Penthièvre et à prendre position au delà de cet ouvrage fortifié ? Les émigrés sont dans la presqu’île comme des rats dans un piège, écrit Hoche. Heureuse expression, sans doute. Mais pourquoi les émigrés cherchaient-ils si volontairement la ratière ?

Dès lors, profitant sur le tard de fautes qu’il semble s’étonner de voir commettre, Hoche lassé de tant d’incapacité, Hoche, inquiet peut-être de sa retraite du premier jour, laquelle a toutes les apparences d’une condescendance, Hoche revient et pousse trois colonnes en avant.

Du terre-plein, autour du sémaphore, on suit aisément, dans l’espace ensoleillé, l’évolution de ces trois colonnes, dans le passé. Ménage, le long de la côte sauvage, commande la colonne de l’ouest. Celle-là, sans rencontrer d’ennemis, admirera à son aise la splendeur des perspectives de l’Océan. Humbert passant par Kerostin, Saint-Pierre, Ker-David et Rohu, suit la baie où il rencontre de la résistance et des balles.

À l’est, le long de cette falaise, se massent des émigrés. Naturellement en désordre par suite des erreurs du commandement, incertains du but à atteindre et de l’autorité à obéir, mourant à l’aveuglette, ils essaient seulement de garder leurs communications avec la mer, où là-bas, les frégates anglaises les attendent.

Ils reculent par échelons. De Saint-Julien enlevé, ils gagnent Port-Haliguen, se réfugient en troupeau vers le Fort-Neuf qui de fort n’a que le nom, et de canons que des embrasures du côté de la mer.

Hoche s’avance, tenant le milieu de la presqu’île avec des grenadiers ne tiraillant guère que pour démonter quelques canons faisant feu, par hasard, sur une butte, au-dessus de Kerboulevin. Il arrive sans difficulté, ici, où nous sommes, au pied de la colline où se dresse actuellement un sémaphore, la contourne, passe entre Saint-Julien et Kermorvan, se défile dans le lit d’un ruisseau qui, dans ce temps-là, coulait sous des saules entre Roch-Priol et Port-Haliguen, met ses soldats à l’abri dans ce fossé, et montant sur le plateau, va rejoindre Humbert le vrai vainqueur de la déroute qui tient le Fort-Neuf et Sombreuil. Avec Sombreuil, Hoche parlemente.

On a éperdument discuté sur la nature des propos tenus par le général surveillé par les conventionnels et sur les promesses de clémence qu’il chargea d’autres de ne point respecter. Parallèlement à l’incohérence de l’expédition venue d’Angleterre, une autre incohérence est digne de remarque : celle de ce commandant en chef agissant tardivement, — on pourrait presque dire à contre-cœur, — et sitôt le succès assuré, s’enfuyant du terrain de sa victoire pour laisser aux commissaires de la Convention la responsabilité de la répression qui s’impose.

L’affaire terminée à sept heures du matin, Hoche, brusquement, rentre au fort Penthièvre, s’empresse de le quitter pour gagner Auray où il rédige son rapport ; et d’autres que lui racontèrent, sans recevoir de démentis, combien, à l’extrémité de la défaite, sur un rocher, il avait familièrement conversé avec Sombreuil.

Où trouver, dans la nuit de l’histoire, le fanal qui, pareil au phare de Belle-Isle, allumé là-bas dès le crépuscule, et guidant les plus humbles barques sur l’inconnu des ténèbres et des flots ; où trouver le fanal qui dirigera le chercheur parmi les obscurités des diplomaties, des complicités, des illusions et des désenchantements qui créèrent et détruisirent les efforts des émigrés descendus à Carnac et non pas à Quiberon. Que s’est-il passé entre cet espoir et cette tombe ?

Un passant fort excédé de l’exercice de la critique et de la littérature et renonçant à trouver quelque secours intellectuel dans une bibliothèque publique d’où il se retirait écœuré par l’esprit de système et d’entretien d’ignorance officielle qu’il surprenait autour de lui ; un passant, moins attiré par le souvenir du massacre que par le goût des horizons immenses où disparaissent les hommes, poussait sa retraite jusque dans Quiberon.

À chaque pas qu’il faisait le long de ce qu’on appelle « la falaise » — expression fausse, puisque la définition de la falaise implique une idée de hauteur, et que le pays, sauf en certaines parties de la côte sauvage, de toutes les façons, est démesurément plat, — malgré son indifférence, l’histoire de 1795 le sollicitait. Du sang criait autour de lui dont il fut amené à chercher les raisons.

Il avait vu, à la Chartreuse d’Auray, des squelettes déplacés dans un but ecclésiastique et lucratif. Ces débris passaient pour les ossements des émigrés traînés prisonniers depuis Quiberon et fusillés deux kilomètres plus loin que leur tombeau, au « Champ des Martyrs » vidé de ses cadavres.

Une femme montrait ces ossements vagabonds. Au bout d’une corde, elle descendait dans la fosse une lanterne sourde, et quand on interrogeait ce guide sur les tibias, les fémurs, les clavicules ou péronés gisant dans l’ombre, on n’entendait point de réponse.

La clarté était vague. La femme était muette. Pourtant elle savait demander l’aumône. Aux lueurs de son mendiant falot, j’ai cru voir toute l’histoire : l’histoire qui se tait sur les origines des faits, demande des subsides pour ses professeurs et reste bien empêchée de donner une réplique quelconque quand on lui dit : Pourquoi ?

Ce pourquoi de l’affaire de Quiberon, le passant le cherchait, à tout hasard, pour son plaisir, dans l’examen du paysage. Or le paysage ne coïncidait nullement avec les démarches militaires. Absurdité flagrante que des généraux se soient si mal servis d’un terrain ils rêvaient des exploits. Toute part faite à l’infirmité humaine, il imaginait cependant que cette infirmité, en cet endroit particulier, n’allait pas sans causes profondes et secrètes.

Quand il se souvenait que le 26 juin 1795, l’escadre montée par des Français ordonnait à la citadelle de Belle-Île de se rendre et d’obéir au roi Louis XVII, il tirait de cette sommation inscrite dans un document officiel, des déductions renseignantes et personnelles.

À cette heure Louis XVIII n’existe pas en qualité de prétendant légitime au trône. Un seul roi, Louis XVII le Dauphin, fils de Louis XVI, vit prisonnier et régnant au Temple. C’est lui seul que les émigrés viennent tenter de rétablir. Mais sur la plage de Carnac leur projet se trouve soudain singulièrement contrarié.

L’Enfant-Roi passe pour mort. À cette nouvelle, l’enthousiasme se déconcerte. Point armés pour Louis XVIII qu’ils jugent méprisable et indigne du royaume, les champions de la monarchie légitime ne savent plus orienter leur courage. D’où le dégoût d’une entreprise désormais sans but, les discussions, les dissentiments, et cet esprit de confusion conduisant fatalement aux sottises et au désastre.

Le passant concevait que, par une rare ressource de sa ruse toujours en mouvement, Louis XVIII, en répandant le bruit de la mort de son neveu, mettait tout ensemble à néant les espérances des royalistes sincères et les ambitions des généraux de la Convention, honnêtes gens d’après les manuels circulant dans les classes, la Révolution devient une sorte d’évangile ; mais, humainement disposés à une restauration à la faveur de laquelle ils garderaient leurs grades et trouveraient des bénéfices.

La preuve de leur indépendance de morale et de cœur, ils la donnèrent amplement, du reste, sous l’Empire, dont ils ne se détournèrent point ; et sous la Restauration dont, honneurs comptant, ils devinrent sans révolte, les meilleurs auxiliaires.

Le passant ne pouvait s’empêcher de soupçonner que la mort présumée du Dauphin, en gênant la tactique des chefs de Carnac, gênait non moins les calculs de Hoche. Hoche, en effet, semble surpris par la disparition d’un Roi qu’il a tout l’air d’attendre, puisqu’il se retire d’abord et fait évidemment place à ses partisans.

Le passant n’oubliait pas les paroles révélatrices de Napoléon 1er sur Hoche. « Il était accoutumé à la guerre civile et savait comment s’y prendre pour la faire réussir, à son avantage. » Il avait lu les panégyristes du général. Ces panégyristes le défendaient mal de projets obscurs et de sourdes menées.

Quand, après Quiberon, en messidor an V, Hoche concentrait, près de la Ferté-Alais, ses troupes de Sambre-et-Meuse, il avait peine à croire que cette indiscipline, violant l’arrêté du Directoire, interdisant l’approche des armées à plus de vingt kilomètres de Paris, ne se commettait pas sans quelque arrière-pensée. Hoche était-il d’accord avec Barras pour tenter un coup de main destructeur du gouvernement ? N’empêche que par cette incorrection militaire, dont il n’a pas donné de justification suffisante, il reste soupçonné d’une intention de coup d’État.

D’ailleurs, à cette époque troublée, la plus effrayante peut-être des époques du monde, par l’hypocrisie de la vertu et l’absence totale de conscience, le coup d’État latent ou avéré, sournois ou accepté, existe en permanence.

C’est l’argument terrible que Bonaparte jettera à la face des Cinq Cents, le jour audacieux de brumaire. Les Cinq Cents, devant cette vérité, s’enfuirent, moins peureux des baïonnettes que confondus de n’avoir rien à répondre ; car tous, ils avaient conspiré.

Hoche, esprit patient, retors, rusé, attend toute sa vie les événements que Bonaparte, plus brutal, détermine et précipite. Il se réserve, se crée toujours des alibis, sauf à prendre des allures de vainqueur quand il ne craint plus rien des risques courus par ses lieutenants.

À Quiberon, il se dérobe tant qu’il peut ; se prétend à Metz quand ses soldats menacent Paris. En Irlande, il ne débarque pas. L’affaire lui semble tourner à mal, et il se travaille en toutes circonstances pour apparaître seulement au milieu du succès tout fait et qui ne peut plus le compromettre.

La continuité appliquée de cet esprit de dissimulation et de casuistique renseignait le passant sur la conduite de Hoche à Quiberon. Il temporise de son mieux, étudiant de quel côté viendra la victoire. Il attend, selon l’expression de Rouget de Lisle, « le moment de faire le général ». Qu’attendait-il avant de se résoudre à l’action ? Qu’attendait-il ? sinon ce même Roi qui a manqué aux royalistes !

Le Roi ne venant pas, les commissaires de la Convention arrivent qui, eux aussi, peut-être, comme on dit dans la langue du pays « espéraient » Louis XVII. Il redoute leurs dénonciations sur son zèle suspect de retard, et s’empresse à la fin quand, pour sa sécurité personnelle, il regarde comme dangereux de persister dans l’expectative.

Avec Sombreuil, il se montre déférent et presque fraternel. Il a des tendresses de décor pour cet adversaire contre lequel il n’est guère animé, car depuis le traité de La Jaunaye, avec d’autres chefs royalistes, il a vécu en relations aimables. Même il n’a pas dédaigné les faveurs des dames. À Vannes, dans une maison point ignorée, il entretenait commerce de galanterie avec une chouanne : une espionne, disent les uns, sa maîtresse, disent les autres.

Préoccupé surtout de ménager ses intérêts et ses relations, il conclut alors au Fort-Neuf, cette suspension d’armes sur laquelle on a tant discuté. Il sait pertinemment que, aux termes de la loi de brumaire an III, contre les émigrés, d’autres, derrière lui, Blad et Tallien, ne souscriront pas à la clémence qu’il affecte de consentir ; et il s’en va, en hâte, dégageant sa responsabilité, peut-être, mais laissant à rêver sur son caractère. Il sait bien que Sombreuil est moins vaincu que victime de mystérieuses machinations.

Ces hypothèses, toutes à l’opposé des doctrines qu’on enseigne et auxquelles il est convenable de croire ; ces présomptions suscitées chez un passant songeur parmi les sables étendus depuis le Fort-Penthièvre jusqu’au Fort-Neuf, ont trouvé leur confirmation dans le livre d’un historien sans préjugés ; leurs preuves appuyées sur des documents nouveaux, contrôlés, authentiques.

Ce livre, le voici. Il s’appelle le « Mystère de Quiberon ». Le mystère n’existera plus pour quiconque aura la fortune de lire le présent volume, c’est pourquoi le passant a volontiers interrompu ses promenades pour écrire cette préface.

Henry CÉARD.

Ker Dister.
Port-Haliguen en Quiberon, 21 juillet 1903.