Le Nez (trad. Henri Mongault)

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Le Nez
Traduction par Henri Mongault.
(p. 221-256).

I

Ce jour-là, 25 mars dernier, Pétersbourg fut le théâtre d’une aventure des plus étranges. Le barbier Ivan Yakovlévitch, domicilié avenue de l’Ascension (son nom de famille est perdu et son enseigne ne porte que l’inscription : On pratique aussi les saignées, au-dessous d’un monsieur à la joue barbouillée de savon), le barbier Ivan Yakovlévitch se réveilla d’assez bonne heure et perçut une odeur de pain chaud. S’étant mis sur son séant, il vit que son épouse – personne plutôt respectable et qui prisait fort le café – défournait des pains tout frais cuits.

« Aujourd’hui, Prascovie Ossipovna, je ne prendrai pas de café, déclara Ivan Yakovlévitch ; je préfère grignoter un bon pain chaud avec de la ciboule. »

À la vérité, Ivan Yakovlévitch aurait bien voulu et pain et café, mais il jugeait impossible de demander les deux choses à la fois, Prascovie Ossipovna ne tolérant pas de semblables caprices.

« Tant mieux, se dit la respectable épouse en jetant un pain sur la table. Que mon nigaud s’empiffre de pain ! Il me restera davantage de café. »

Respectueux des convenances, Ivan Yakovlévitch passa son habit par-dessus sa chemise et se mit en devoir de déjeuner. Il posa devant lui une pincée de sel, nettoya deux oignons, prit son couteau et, la mine grave, coupa son pain en deux. Il aperçut alors, à sa grande surprise, un objet blanchâtre au beau milieu ; il le tâta précautionneusement du couteau, le palpa du doigt… « Qu’est-ce que cela peut bien être ? » se dit-il en éprouvant de la résistance.

Il fourra alors ses doigts dans le pain et en retira… un nez ! Les bras lui en tombèrent. Il se frotta les yeux, palpa l’objet de nouveau : un nez, c’était bien un nez, et même, semblait-il, un nez de connaissance ! L’effroi se peignit sur les traits d’Ivan Yakovlévitch. Mais cet effroi n’était rien, comparé à l’indignation qui s’empara de sa respectable épouse.

« Où as-tu bien pu couper ce nez, bougre d’animal ? s’exclama-t-elle. Ivrogne ! filou ! coquin ! Je vais aller de ce pas te dénoncer à la police, brigand que tu es ! J’ai déjà entendu dire à trois personnes qu’en leur faisant la barbe tu tirailles le nez des gens à le leur arracher ! »

Cependant Ivan Yakovlévitch était plus mort que vif : il venait de reconnaître le nez de M. Kovaliov, assesseur de collège, qu’il avait l’honneur de raser le mercredi et le dimanche.

« Minute, Prascovie Ossipovna ! Je m’en vais l’envelopper dans un chiffon et le poser dans ce coin, en attendant ; je l’emporterai plus tard.

– Il ne manquait plus que cela ! Crois-tu, par hasard, que je vais garder ici un nez coupé ? Espèce de vieux croûton ! tu ne sais plus que repasser ton rasoir ! Tu ne seras bientôt plus capable de raser les gens comme il faut ! Ah ! le maudit coureur, ah ! la brute, ah ! le malappris ! Et il faudrait encore que je réponde pour lui à la police ! Emporte-le tout de suite, saligaud ! Emporte-le où tu voudras, et que je n’en entende plus parler ! »

Ivan Yakovlévitch demeurait pétrifié de surprise. Il avait beau réfléchir, il ne savait que penser.

« Comment diantre cela est-il arrivé ? proféra-t-il enfin en se grattant derrière l’oreille. Étais-je plein quand je suis rentré hier soir ? Je ne m’en souviens plus… Et puis, vraiment, l’aventure tient de l’invraisemblable… Qu’est-ce que ce nez est venu faire dans ce pain ? Non, je n’y comprends goutte ! »

Ivan Yakovlévitch se tut. À la pensée que les gens de police pourraient le trouver en possession de ce nez et l’accuser d’un crime, il perdit définitivement ses esprits. Il crut voir apparaître une épée, un collet rouge vif brodé d’argent…, et se prit à trembler de tout le corps. Enfin, il enfila son pantalon et ses bottes, enveloppa le nez dans un chiffon et se précipita dehors, accompagné des imprécations de Prascovie Ossipovna.

Il avait l’intention de jeter son paquet dans un trou de borne sous quelque portail, ou de le laisser choir comme par hasard au coin d’une venelle. Par malheur, il se heurtait sans cesse à des personnes de connaissance, qui lui demandaient dès l’abord : « Où cours-tu comme ça ? » ou bien : « Qui t’en vas-tu barbifier de si bonne heure ? » Il ne parvenait pas à saisir l’instant propice. Une fois pourtant, il crut s’être débarrassé de son paquet, mais un garde de ville le lui désigna du bout de sa hallebarde en disant :

« Eh, là-bas, le particulier, faudrait voir à relever ça, hein ? »

Force fut bien à Ivan Yakovlévitch de ramasser le nez et de le fourrer dans sa poche. Le désespoir le gagnait, car les boutiques s’ouvraient et les passants se faisaient de plus en plus nombreux.

Il décida de gagner le pont Saint-Isaac dans l’espoir de jeter à la Néva son encombrant fardeau.

Mais je me repens de n’avoir donné aucun détail sur Ivan Yakovlévitch, personnage fort honorable sous beaucoup de rapports.

Comme tout artisan russe qui se respecte, Ivan Yakovlévitch était un ivrogne fieffé ; et bien qu’il rasât tous les jours le menton d’autrui, le sien demeurait éternellement broussailleux. La couleur de son habit – Ivan Yakovlévitch ne portait jamais de surtout – rappelait celle des chevaux rouans : à vrai dire, cet habit était noir, mais entièrement pommelé de taches grises et brunâtres ; le col luisait ; trois bouts de fil pendaient à la place des boutons absents. Quand il se confiait aux soins de notre barbier, l’assesseur de collège Kovaliov avait coutume de lui dire : « Sapristi, Ivan Yakovlévitch, que tes mains sentent mauvais ! – Pourquoi voulez-vous qu’elles sentent mauvais ? répliquait Ivan Yakovlévitch. – Je n’en sais rien, mon cher, toujours est-il qu’elles puent ! » rétorquait l’assesseur de collège. Alors, Ivan Yakovlévitch prenait une prise, et, pour se venger, savonnait impitoyablement les joues, le nez, le cou, les oreilles, toutes les parties du patient que son blaireau pouvait atteindre…

Cependant, ce respectable citoyen avait déjà gagné le pont Saint-Isaac. Il commença par inspecter les alentours, puis il se pencha sur le parapet comme pour voir s’il y avait toujours beaucoup de poissons, et se débarrassa discrètement du chiffon fatal. Aussitôt, Ivan Yakovlévitch se crut délivré d’un poids de cent livres ; il esquissa même un sourire. Au lieu d’aller rafraîchir des mentons de bureaucrates, il résolut d’aller prendre un verre de punch dans un établissement dont l’enseigne indiquait : Ici, l’on sert du thé et à manger. Il y portait déjà ses pas quand, soudain, il aperçut au bout du pont un exempt de police à l’extérieur imposant : larges favoris, tricorne, épée au côté. Il perdit contenance, tandis que l’exempt l’appelait du doigt et disait :

« Approche, mon brave ! »

Ivan Yakovlévitch, qui connaissait les usages, retira sa casquette et accourut à pas rapides.

« Je souhaite le bonjour à Votre Seigneurie !

– Laisse là ma seigneurie et dis-moi plutôt ce que tu faisais sur le pont.

– Par ma foi, monsieur, en allant raser mes pratiques, je me suis arrêté pour voir comme l’eau coule vite.

– Ne m’en conte pas, réponds-moi franchement.

– Je suis prêt à raser gratis Votre Grâce deux ou trois fois par semaine, répliqua Ivan Yakovlévitch.

– Trêve de sornettes, l’ami ! J’ai déjà trois de tes pareils qui s’estiment fort honorés de me barbifier. Voyons, dis-moi ce que tu faisais sur le pont ? »

Ivan Yakovlévitch pâlit… Mais la suite de l’aventure se perd dans un brouillard si épais que personne n’a jamais pu le percer.

II

L’assesseur de collège Kovaliov se réveilla d’assez bonne heure en murmurant : « Brrr ! » suivant une habitude qu’il aurait été bien en peine d’expliquer. Il s’étira et se fit donner un miroir dans l’intention d’examiner un petit bouton qui, la veille au soir, lui avait poussé sur le nez. À son immense stupéfaction, il s’aperçut que la place que son nez devait occuper ne présentait plus qu’une surface lisse ! Tout alarmé, Kovaliov se fit apporter de l’eau et se frotta les yeux avec un essuie-mains : le nez avait bel et bien disparu ! Il se palpa, se pinça même pour se convaincre qu’il ne dormait point : mais non, il paraissait bien éveillé. Kovaliov sauta à bas du lit, s’ébroua : toujours pas de nez !… Il s’habilla séance tenante et se rendit tout droit chez le maître de police.

Il me paraît nécessaire de dire quelques mots de Kovaliov, afin que le lecteur sache à quel genre d’individu ce personnage appartenait. Les assesseurs de collège à qui les parchemins universitaires confèrent de droit ce titre ne sauraient se comparer à ceux qui l’ont obtenu au Caucase. Ce sont deux catégories bien différentes. Les premiers… Mais la Russie est un pays si étrange que si l’on parle d’un assesseur de collège, tous les autres, de Riga au Kamtchatka, croiront qu’il s’agit d’eux. Et il en va de même pour tous les autres grades… Kovaliov était assesseur de collège caucasien. Comme il l’était depuis à peine deux ans, Kovaliov s’en montrait encore très fier. Même, pour se donner plus de poids, il se faisait toujours appeler : Monsieur le Major[1]. « Écoute, ma brave femme, avait-il accoutumé de dire quand une vendeuse de plastrons de chemises lui offrait ses services ; écoute, ma bonne, viens me trouver chez moi ; j’habite avenue des Jardins ; tu n’auras qu’à demander le logis du major Kovaliov, tout le monde te l’indiquera. » Si, d’aventure, il rencontrait parmi ces vendeuses un joli minois, il lui passait en outre des instructions secrètes en ayant soin d’ajouter : « Tu n’oublieras pas, mon petit cœur, de demander le logis du major Kovaliov ! » Nous ferons comme lui et dorénavant nous donnerons du major à cet assesseur de collège.

Le major Kovaliov avait l’habitude d’aller faire les cent pas sur la Perspective. Son col et son plastron étaient toujours admirablement empesés. Il portait des favoris comme en portent encore aujourd’hui les géomètres, les architectes, les médecins-majors, d’autres personnes encore exerçant les fonctions les plus diverses[2], en général tous les individus qui étalent des joues rebondies et jouent au boston avec dextérité. Ces favoris descendent jusqu’au milieu de la joue, et, de là, gagnent en droite ligne le nez. Le major Kovaliov portait en breloque un grand nombre de cachets en cornaline, où se trouvaient gravés, soit des armoiries, soit le nom des jours : lundi, mercredi, jeudi, etc. Le major Kovaliov était venu à Pétersbourg pour y chercher quelque emploi en rapport avec son grade : une charge de vice-gouverneur, voire une place d’inspecteur dans une administration importante. Le major Kovaliov eût volontiers pris femme, à condition que la dot se montât à deux cent mille roubles. Le lecteur peut maintenant se figurer l’état du major quand, à la place d’un nez point trop laid, il ne trouva plus qu’une bête de surface lisse.

Par un fait exprès aucun fiacre ne se montrait dans la rue ; il dut faire le chemin à pied, enveloppé dans son manteau, et le visage enfoui dans son mouchoir, comme s’il saignait du nez. « Eh ! se dit-il, j’ai sans doute été victime d’une hallucination. Mon nez n’a pas pu se perdre sans rime ni raison, que diable ! » Et il entra aussitôt dans un café afin de se regarder dans une glace. Le café était heureusement vide ; les garçons balayaient les salles et rangeaient les chaises ; d’aucuns, les yeux bouffis de sommeil, apportaient des plateaux chargés de petits pâtés chauds ; les journaux de la veille, maculés de café, jonchaient les tables et les chaises. « Dieu merci, il n’y a personne, je vais pouvoir me regarder ! » se dit Kovaliov en s’approchant d’une glace. Mais après un timide coup d’œil : « Pouah, l’horreur ! murmura-t-il, en crachant de dépit. S’il y avait au moins quelque chose en place de nez ; mais non, rien, rien, rien ! »

Il sortit du café en se pinçant les lèvres et bien résolu, contre sa coutume, à n’adresser ni regard, ni sourire à personne. Soudain il s’arrêta, cloué sur place : un événement incompréhensible se passait sous ses yeux : un landau venait de s’arrêter devant la porte d’une maison ; la portière s’ouvrit ; un personnage en uniforme sauta tout courbé de la voiture et grimpa l’escalier quatre à quatre. Quels ne furent pas la surprise et l’effroi de Kovaliov en reconnaissant dans ce personnage… son propre nez ! À ce spectacle extraordinaire il crut qu’une révolution s’était produite dans son appareil visuel ; il sentit ses jambes flageoler, mais décida pourtant d’attendre coûte que coûte le retour du personnage. Il demeura donc là tremblant comme dans un accès de fièvre. Au bout de deux minutes, le Nez réapparut ; il portait un uniforme brodé d’or, à grand col droit, un pantalon de chamois et une épée au côté. Son bicorne à plumes laissait inférer qu’il avait rang de conseiller d’État. Il faisait à coup sûr une tournée de visites. Il regarda de côté et d’autre, héla sa voiture, y prit place et disparut.

Le pauvre Kovaliov tout pantois ne savait que penser de cet étrange incident. Comment diantre son nez, hier encore ornement de son visage et incapable de se mouvoir, pas plus à pied qu’en voiture, portait-il aujourd’hui l’uniforme ? Il courut derrière la voiture qui, heureusement pour lui, s’arrêta bientôt devant le Bazar[3]. Kovaliov s’y précipita à travers une rangée de vieilles mendiantes, dont le visage entièrement emmitouflé, sauf deux ouvertures pour les yeux, provoquait d’ordinaire ses quolibets. Il n’y avait pas encore grand monde. Kovaliov se sentait si déprimé qu’il ne savait à quoi se résoudre. Ses yeux cherchaient le monsieur dans tous les coins ; ils le découvrirent enfin, arrêté devant une boutique. Le visage dissimulé dans son grand col droit, le Nez se plongeait tout entier dans l’examen des marchandises.

« Comment faire pour l’aborder ? songeait Kovaliov. Tout, le bicorne, l’uniforme, indique le conseiller d’État. Que décider ? »

Il tourna autour du personnage en toussotant. Mais le Nez ne bougea pas.

« Monsieur, dit enfin Kovaliov en s’armant de courage, monsieur…

– Que désirez-vous ? demanda le Nez en se retournant.

– Je suis surpris, monsieur ; vous devriez, il me semble, un peu mieux connaître votre place… Mais puisque je vous retrouve… Avouez que…

– Mille pardons, je ne parviens pas à comprendre ce que vous voulez dire ; expliquez-vous. »

« Comment lui expliquer ? » songea Kovaliov qui, s’enhardissant, reprit : « Évidemment, je… Mais enfin, monsieur, je suis major. Et je ne saurais, convenez-en, me promener sans nez. Que pareille aventure arrive à une vendeuse d’oranges pelées du pont de l’Ascension, passe encore ! Mais moi, monsieur, je suis en passe d’obtenir… Et puis, je suis reçu dans de nombreuses maisons ; je compte parmi mes connaissances Mme la conseillère Tchékhtariov, et bien d’autres dames… Je ne sais vraiment… Excusez, monsieur (ici, le major Kovaliov haussa les épaules), mais à parler franc, si l’on envisage la chose selon les règles de l’honneur et du devoir… Bref, vous conviendrez…

– Je n’y comprends goutte, répéta le Nez ; expliquez-vous plus clairement.

– Monsieur, répliqua Kovaliov d’un ton fort digne, je ne sais quel sens donner à vos paroles… L’affaire est pourtant bien claire… Enfin, monsieur, n’êtes-vous pas mon propre nez ? »

Le Nez considéra le major avec un léger froncement de sourcils.

« Vous vous trompez, monsieur, je n’appartiens qu’à moi-même. D’étroites relations ne sauraient d’ailleurs exister entre nous. À en juger par les boutons de votre uniforme, nous appartenons à des administrations différentes. »

Sur ce, le Nez tourna le dos à Kovaliov, qui perdit contenance et ne sut plus ni que faire ni que penser. À ce moment, un agréable froufrou se fit entendre ; deux dames arrivaient : l’une, d’un certain âge, couverte de dentelles ; l’autre, toute menue, moulée dans une robe blanche et dont le chapeau jaune paille avait la légèreté d’un soufflé. Un grand flandrin de heiduque, dont le visage s’ornait d’énormes favoris et la livrée d’une bonne douzaine de collets, s’arrêta derrière elles et ouvrit sa tabatière.

Kovaliov redressa le col de batiste de sa chemise, mit en ordre ses cachets suspendus à une chaînette d’or et, souriant à la ronde, concentra toute son attention sur la jeune personne aérienne, qui, s’inclinant un peu, comme une fleur printanière, porta à son front une main blanche aux doigts diaphanes. Le sourire de Kovaliov s’épanouit davantage encore quand il aperçut sous le chapeau un petit menton rond, d’une blancheur éclatante, et une moitié de joue fraîche pareille à une rose de mai. Mais il recula aussitôt à la façon d’un homme qui se brûle : il venait de se souvenir qu’il n’avait pas de nez ! Il se retourna pour déclarer sans ambages au monsieur en uniforme qu’il usurpait le titre de conseiller d’État, puisqu’il n’était en réalité que son fripon de nez. Cependant le Nez avait eu déjà le temps de s’éclipser et poursuivait, sans doute, le cours de ses visites.

Ce nouveau contretemps plongea Kovaliov dans le désespoir. Revenu sur ses pas, il s’immobilisa un instant sous la colonnade, et promena ses regards de tous côtés, à la recherche de son nez. Il se rappelait fort bien que son coquin portait un chapeau à plumes et un uniforme brodé d’or ; toutefois, il n’avait remarqué ni la coupe du manteau, ni la couleur de la voiture, ni la robe des chevaux, ni même la livrée du valet de pied, si valet de pied il y avait. Les équipages se croisaient si nombreux et roulaient à si belle allure qu’il était difficile d’en distinguer un parmi les autres ; et d’ailleurs, comment l’arrêter ? Par cette belle journée ensoleillée, la Perspective était noire de monde : du pont de la Police au pont Anitchkov, le flot des dames s’écoulait le long du trottoir comme une cascade de fleurs. Kovaliov reconnut un conseiller aulique auquel il donnait volontiers du lieutenant-colonel, surtout en présence d’un tiers. Il aperçut son grand ami Yaryjkine, chef de bureau au Sénat, qui perdait toujours lorsqu’il demandait huit au boston. Il vit aussi de loin un autre major, qui avait également décroché son grade au Caucase et lui faisait signe de venir le rejoindre…

« Saperlipopette ! maugréa Kovaliov en sautant dans un fiacre. Cocher, au galop ! chez le maître de police ! »


« Monsieur, le maître de police est-il visible ? s’écria-t-il en pénétrant dans l’antichambre de ce haut fonctionnaire.

– Non, répondit l’huissier, Monsieur vient de sortir.

– Il ne manquait plus que ça !

– Une minute plus tôt et vous l’auriez trouvé », crut devoir ajouter le suisse.

Kovaliov, le visage toujours enfoui dans son mouchoir, se rejeta dans son fiacre en criant d’une voix désespérée :

« Marche !

– Où cela ? demanda le cocher.

– Droit devant toi !

– Droit devant moi ? Mais nous sommes à un carrefour ; faut-il prendre à droite ou à gauche ? »

Cette question contraignit Kovaliov à réfléchir. La situation lui commandait de s’adresser à la préfecture de police. Bien que l’affaire ne fût pas précisément de son ressort, cette administration était à même de prendre plus rapidement qu’une autre les mesures nécessaires. Il ne fallait pas songer à demander satisfaction au directeur du département auquel le Nez s’était prétendu attaché ; les réponses de cet effronté montraient qu’il ne respectait rien ni personne ; qui l’empêchait en l’occurrence de mentir comme il l’avait fait en prétendant ignorer le major ? Kovaliov allait donc donner au cocher l’adresse de la préfecture de police ; mais il se fit soudain la réflexion qu’un sacripant capable de se conduire dès la première rencontre d’une manière aussi indigne pouvait, si on lui en laissait le temps, gagner le large en douceur ; les recherches dureraient un mois entier, si tant est qu’elles aboutissent jamais. Enfin, le ciel daigna l’inspirer. Il résolut de recourir à la presse et de publier dans les journaux une description détaillée de son nez ; tous ceux qui rencontreraient le fugitif pourraient ainsi le lui ramener ou, tout au moins, lui indiquer le logis du fripon. Il se fit aussitôt conduire à un bureau d’annonces et, tout le long du chemin, ne cessa de bourrer de coups de poing le dos du cocher.

« Plus vite, animal ! Plus vite, scélérat !

– Eh là ! monsieur », disait le pauvre diable en hochant la tête et en stimulant des guides son méchant bidet dont le poil était aussi long que celui d’un épagneul.

Le fiacre finit par s’arrêter ; Kovaliov hors d’haleine se précipita dans une petite salle où un employé grisonnant, vêtu d’un vieux frac fort usé et portant des lunettes, comptait, la plume entre les lèvres, de la monnaie de billon.

« À qui faut-il s’adresser pour une annonce ? s’écria dès l’abord Kovaliov. Ah ! pardon, bonjour, monsieur !

– J’ai bien l’honneur…, répondit l’employé grisonnant, qui leva un instant les yeux pour les reporter aussitôt sur ses piles de monnaie.

– Je désirerais faire insérer…

– Si vous voulez bien attendre », dit l’employé en inscrivant un chiffre de la main droite, tandis que de la gauche il faisait glisser deux boules sur son boulier.

Un domestique de grande maison, à en juger par sa livrée galonnée et sa tenue assez décente, se tenait devant l’employé, un papier à la main. Il crut bon de faire montre de son savoir-vivre.

« Vous pouvez m’en croire, monsieur, le toutou ne vaut pas quatre-vingts kopeks ; je n’en donnerais pas dix liards, quant à moi ; mais la comtesse l’adore, oui, monsieur, c’est le mot : elle l’adore. Voilà pourquoi elle promet cent roubles à qui le lui rapportera. Que voulez-vous, tous les goûts sont dans la nature ! À mon avis, quand on se pique d’être amateur, on se doit d’avoir soit un caniche, soit un chien couchant. Payez-le cinq cents, payez-le mille roubles, mais que cette bête-là vous fasse honneur ! »

Le brave employé prêtait l’oreille à ces discours avec une mine de circonstance, tout en comptant les lettres de l’annonce en question. Billets à la main, un grand nombre de commis, concierges et commères attendaient leur tour. Dans tous ces billets on cédait quelque chose : un cocher d’une sobriété parfaite ; une calèche presque neuve, ramenée de Paris en 1814 ; une fille de dix-neuf ans, blanchisseuse de son métier, mais également apte à d’autres travaux ; un solide drojki auquel il ne manquait qu’un ressort ; un jeune cheval fougueux, gris pommelé, âgé de dix-sept ans ; des graines de navet et de radis récemment reçues de Londres ; une maison de campagne et ses dépendances, soit deux boxes à chevaux et un emplacement fort commode pour y planter sapins ou bouleaux ; un lot de vieilles semelles vendues aux enchères tous les jours de huit heures du matin à trois heures de relevée.

Toute cette compagnie assemblée dans une pièce aussi exiguë en rendait l’atmosphère particulièrement lourde. Cependant le major Kovaliov ne s’en trouvait point incommodé : il tenait son mouchoir sur son visage, et d’ailleurs son nez se promenait… Dieu sait où.

« Permettez, monsieur, je suis très pressé, fit-il enfin, pris d’impatience.

– Tout de suite, tout de suite !… Deux roubles quarante-trois kopeks… Tout de suite !… Un rouble soixante-quatre kopeks, disait le grison en jetant leurs billets à la tête des concierges et des commères… Vous désirez ? reprit-il en s’adressant, cette fois, à Kovaliov.

– Je voudrais…, déclara celui-ci. Voyez-vous, je ne sais s’il s’agit d’une canaillerie ou d’une friponnerie… Je voudrais seulement faire savoir que quiconque me ramènera mon coquin recevra une honnête récompense.

– Votre nom, si vous le permettez ?

– Mon nom ? Impossible ! Vous comprenez, j’ai beaucoup de connaissances : Mme la conseillère Tchékhtariov, Mme Podtotchine, Pélagie Grigorievna, une veuve d’officier supérieur… Les voyez-vous apprenant tout à coup… Que Dieu m’en préserve !… Écrivez tout simplement : un assesseur de collège, ou mieux encore, un monsieur ayant rang de major…

– Et le fugitif est l’un de vos serfs ?

– Un serf ! Il s’agit bien de cela ! Non, le fugitif n’est autre que… mon nez.

– Vous dites ? Quel nom bizarre ! Et ce monsieur « Monnez » vous a emporté une forte somme ?

– Eh non ! vous faites erreur ! Mon nez, monsieur, mon propre nez a pris la poudre d’escampette. C’est le diable, sans doute, qui m’a joué ce beau tour !

– Comment diantre cela est-il arrivé ? Je ne comprends pas très bien !

– Je ne saurais vous le dire ; toujours est-il que ce monsieur roule carrosse et se fait passer pour conseiller d’État. Je vous prie donc d’annoncer que quiconque mettra la main dessus ait à me le remettre dans le plus bref délai possible. Voyons, monsieur, je vous le demande, que puis-je faire sans cet organe apparent ? S’il ne s’agissait que d’un orteil, je fourrerais mon pied dans ma botte et personne n’en remarquerait l’absence. Mais, vous comprenez, je vais tous les jeudis chez Mme la conseillère Tchékhtariov ; Mme Podtotchine, Pélagie Grigorievna, une veuve d’officier supérieur et sa charmante fille sont aussi de mes amies… Jugez-en vous-même… Impossible maintenant de me présenter décemment chez elles !… »

L’employé se prit à réfléchir ; du moins la contraction de ses lèvres permettait de le supposer.

« Non, déclara-t-il après un long silence. Aucun journal ne voudra insérer une pareille annonce.

– Pourquoi cela ?

– Parce que cela nuirait à leur réputation… Vous comprenez, si chacun se met à déclarer que son nez a pris la clef des champs… On reproche déjà aux journaux d’imprimer tant de sornettes…

– Permettez, il ne s’agit pas de sornettes…

– Vous avez beau dire. Pas plus tard que la semaine dernière, là où vous êtes, il y avait un fonctionnaire désireux de faire passer une annonce… Cette annonce qui, je m’en souviens, se montait à deux roubles soixante-treize, signalait la disparition d’un caniche noir. Rien de plus innocent, n’est-ce pas ? Eh bien, monsieur, vous me croirez si vous voulez, c’était un libelle : le caniche désignait le trésorier de je ne sais plus quelle administration.

– Mais, dans mon annonce à moi, il ne s’agit pas de caniche ; il ne s’agit que de mon propre nez, comme qui dirait de moi-même !

– Non, je vous assure, c’est impossible !

– Mais puisque mon nez a réellement disparu !

– Alors consultez un médecin. Certains sont, dit-on, fort habiles à poser tous les nez qu’on désire. À ce que je vois, monsieur, vous êtes d’humeur gaie ; vous devez aimer les farces de société.

– Je vous jure que je dis vrai. Si vous ne me croyez pas, je puis vous faire voir.

– Inutile ! objecta l’employé en prenant une prise. Après tout, si cela ne vous dérange pas », reprit-il, cédant à la curiosité.

Le major se découvrit le visage.

« C’est ma foi vrai ! s’écria l’employé. Quelle étrange aventure ! La place est lisse et plate comme une crêpe au sortir de la poêle !

– Refuserez-vous encore d’accepter mon annonce ? Impossible de rester comme ça, vous le voyez bien ! Je vous serai extrêmement reconnaissant et me félicite que cette aventure m’ait procuré le plaisir de votre connaissance. »

Le major, on le voit, s’était résolu à baisser un peu le ton : une fois n’est pas coutume…

« Évidemment, acquiesça l’employé, cela peut se faire ; mais, à mon sens, pareille annonce ne vous servira de rien. Mieux vaudrait soumettre le cas à un habile écrivain : il le présentera comme un jeu bizarre de la nature et publiera son article dans l’Abeille du Nord (ici l’employé huma une nouvelle prise) au grand profit de la jeunesse (ici l’employé s’essuya le nez) ou, simplement, à la grande satisfaction des curieux. »

Le major avait perdu tout espoir. Ses yeux tombèrent sur une annonce de spectacle, au bas d’une page de journal. Au nom d’une charmante actrice il s’apprêtait à sourire, voire à chercher dans sa poche un billet de cinq roubles, car il était d’avis que les officiers supérieurs ne doivent se montrer qu’aux fauteuils. Mais, hélas ! le souvenir de son nez absent lui revint…

L’employé lui-même parut touché de la situation embarrassée de Kovaliov. Désireux de lui alléger sa peine, il jugea convenable de lui témoigner un peu de sympathie.

« Je suis vraiment désolé de ce qui vous arrive. Puis-je vous offrir une prise ? Cela calme les maux de tête et dissipe les humeurs noires ; c’est même excellent contre les hémorroïdes. »

Tout en parlant, l’employé tendait à Kovaliov sa tabatière, non sans en avoir adroitement fait sauter le couvercle, qu’agrémentait le portrait d’une dame en chapeau.

Cette offre innocente mit le comble à la fureur du major.

« Eh quoi ! s’exclama-t-il, vous avez le front de plaisanter ! Vous ne voyez donc pas qu’il me manque justement l’organe avec lequel on prise ! Le diable soit de votre sale tabac ! Je suis dans un état à refuser le meilleur « râpé » ! »

Sur ces mots, Kovaliov quitta, fort irrité, le bureau d’annonces et s’en fut tout droit chez le commissaire du quartier. Il le trouva en train de s’étirer, de bâiller en marmonnant : « Ah ! quelle bonne petite sieste je viens de faire ! » Le major n’aurait su arriver plus mal à propos. Le commissaire aimait fort à encourager les arts et les métiers, mais il aimait encore davantage les billets de banque. « Qu’y a-t-il de meilleur ? avait-il coutume de dire. Un billet, cela ne prend pas de place, cela ne demande aucun entretien : on peut toujours le fourrer dans sa poche, et si on le laisse tomber, il ne se fait aucun mal. »

Le commissaire reçut Kovaliov plutôt froidement : on ne procède point à des enquêtes aussitôt après dîner ; la nature a sagement ordonné une légère sieste après la réfection corporelle (le commissaire montra ainsi au major que les maximes des anciens ne lui étaient pas inconnues) ; d’ailleurs un homme comme il faut ne se laisse pas arracher le nez.

Le commissaire ne mâchait pas ses mots. Et Kovaliov, remarquons-le en passant, était fort susceptible. Il pardonnait à la rigueur les attaques dirigées contre sa personne, mais n’admettait aucun manque de respect envers son grade ou son état. À l’en croire, on pouvait permettre aux auteurs dramatiques de railler les officiers subalternes à condition de les empêcher de s’en prendre aux officiers supérieurs. L’accueil du commissaire déconcerta Kovaliov à tel point qu’il proféra sur un ton très digne, les bras légèrement écartés du corps :

« Après une réflexion aussi désobligeante, je n’ai plus rien à ajouter. »

Il se retira donc et rentra chez lui en chancelant. La nuit tombait déjà. Après toutes ses démarches infructueuses, son logis lui parut d’une tristesse, d’une laideur infinies. Il trouva dans l’antichambre son domestique Ivan qui, vautré sur un divan de cuir sordide, s’exerçait avec assez de bonheur à cracher au même endroit du plafond. Une pareille indifférence redoubla la fureur de Kovaliov ; il donna au faquin un grand coup de chapeau sur le front en criant :

« Ah, le dégoûtant ! toujours des sottises en tête ! »

Ivan sauta à bas du divan et se mit précipitamment en devoir de retirer le manteau de son maître.

Une fois dans sa chambre, le major, en proie à la fatigue et à la mélancolie, se laissa choir dans un fauteuil. Il poussa quelques soupirs, puis se tint ce discours :

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’envoyez-vous cette calamité ? S’il s’agissait d’un bras ou d’une jambe, ce ne serait que demi-malheur. Mais, sans nez, un homme n’est plus un homme ; c’est un rien qui vaille, bon à jeter par la fenêtre. Si encore je l’avais perdu en duel, ou à la guerre, ou par ma faute !… Hélas non ! il a disparu comme cela, sans rime ni raison… Non, reprit-il après quelques instants de silence, c’est inconcevable. Je suis le jouet d’un cauchemar, d’une hallucination. Sans doute ai-je bu, au lieu d’eau pure, de cette eau-de-vie dont je me frotte le menton quand on m’a fait la barbe. Cet imbécile d’Ivan aura oublié d’emporter le flacon et je l’aurai avalé par distraction. »

Pour se convaincre qu’il n’était pas ivre, le major se pinça si fort qu’il en poussa un cri. La douleur le convainquit qu’il jouissait bel et bien de toutes ses facultés. Il s’approcha à petits pas du miroir, les yeux à demi clos, dans l’espoir qu’en les rouvrant, il aurait la surprise de retrouver son nez en bonne et due place ; mais il bondit aussitôt en arrière en grommelant :

« Pouah ! quelle sale bobine ! »

C’était vraiment à n’y rien comprendre. Un bouton, une cuiller d’argent, une montre ou tout autre objet de ce genre, passe encore ! Mais perdre son nez, et dans son propre logis !…

Tout bien considéré, le major Kovaliov se persuada que l’auteur du délit ne pouvait être que Mme Podtotchine. Cette personne désirait le voir épouser sa fille ; lui-même, à l’occasion, courtisait volontiers la demoiselle, mais reculait devant un engagement définitif. Mis au pied du mur par la maman, il avait rengainé ses compliments et déclaré qu’il était encore trop jeune : encore cinq ans de service, il aurait alors quarante-deux ans, et l’on verrait. Par esprit de vengeance, la Podtotchine s’était résolue à le défigurer, sans doute, et avait employé à cette fin quelque jeteuse de sorts. En effet, le nez n’avait pu être coupé : personne n’avait pénétré dans sa chambre ; le barbier Ivan Yakovlévitch l’avait encore rasé le mercredi ; et ce jour-là ainsi que le suivant, le nez était encore en place ; Kovaliov s’en souvenait parfaitement. Au reste, une blessure de ce genre, sans doute fort douloureuse, ne se fût pas cicatrisée si vite ; elle n’eût point affecté la forme plate d’une crêpe. Le major ruminait divers plans de conduite. Devait-il porter plainte contre Mme Podtotchine ou se rendre chez elle pour la confondre ? Une lueur qui filtrait à travers les fissures de la porte interrompit ses méditations et lui révéla qu’Ivan avait allumé une bougie dans l’antichambre. Bientôt Ivan apparut, porteur de ladite bougie, qui répandit une vive clarté dans toute la pièce.

Le premier mouvement de Kovaliov fut de s’emparer de son mouchoir et de dissimuler l’emplacement où, la veille encore, trônait son nez : il ne tenait pas à ce que ce maraud de valet demeurât bouche bée à contempler l’aspect hétéroclite de son maître.

Ivan avait à peine regagné sa tanière qu’une voix inconnue retentit dans l’antichambre.

« C’est bien ici qu’habite M. l’assesseur de collège Kovaliov ? »

Le major bondit.

« Entrez ; le major Kovaliov est chez lui », dit-il en ouvrant la porte.

Celle-ci livra passage à un exempt de belle prestance, dont les joues plutôt rebondies se paraient de favoris ni trop clairs ni trop foncés, le même que nous avons rencontré au commencement de ce récit, au bout du pont Saint-Isaac.

« Vous avez perdu votre nez ?

– Tout juste.

– Eh, bien, il est retrouvé !

– Que dites-vous ? » s’écria le major Kovaliov, à qui la joie enleva l’usage de la parole. Il dévorait des yeux l’exempt planté devant lui, sur les lèvres et les joues duquel se jouait la lueur vacillante de la bougie. « Comment l’a-t-on retrouvé ?

– Oh, d’une manière fort étrange ! On l’a arrêté au moment où il se disposait à prendre la diligence de Riga. Il s’était depuis longtemps muni d’un passeport au nom d’un fonctionnaire. Et le plus bizarre, c’est que je l’ai tout d’abord pris pour un monsieur ! Heureusement que j’avais mes lunettes ! Cela m’a permis de reconnaître que ce n’était qu’un nez. Je dois vous dire que je suis myope : vous êtes là devant moi, mais je ne vois que votre visage, sans distinguer ni votre nez ni votre barbe. Ma belle-mère, j’entends la mère de ma femme, a, elle aussi, la vue faible. »

Kovaliov ne se sentait plus de joie.

« Où est-il ? Où est-il ? Que je coure le chercher !

– Inutile de vous déranger. Sachant que vous en aviez besoin, je vous l’ai apporté. Le plus curieux de l’affaire, c’est que le principal complice est un chenapan de barbier de la rue de l’Ascension ! Il est maintenant sous les verrous. Il y a longtemps que je le soupçonnais de vol et d’ivrognerie : pas plus tard qu’avant-hier, il a chapardé dans une boutique une douzaine de boutons. Votre nez est d’ailleurs en parfait état. »

L’exempt fouilla dans sa poche et en retira un nez enveloppé dans un papier.

« C’est bien lui, s’écria Kovaliov, c’est bien lui ! Permettez-moi de vous offrir une tasse de thé.

– J’accepterais avec grand plaisir ; par malheur, je n’ai pas le temps ; il me faut encore passer à la maison d’arrêt… Les denrées, voyez-vous, deviennent inabordables… J’entretiens ma belle-mère, mes enfants ; l’aîné, un garçon très intelligent, donne de grandes espérances ; mais je n’ai pas les moyens de leur donner de l’instruction[4]… »

Après le départ de l’exempt, le major fut quelque temps sans recouvrer l’usage de ses sens : la joie avait failli lui faire perdre la raison. Il prit avec force précautions dans le creux de sa main le nez retrouvé et le considéra très attentivement.

« C’est lui, c’est bien lui ! dit-il. Voici sur la narine gauche le bouton qui m’est venu hier ! »

Le major faillit éclater de rire. Mais rien n’est durable ici-bas ; au bout d’une minute, la joie perd de sa vivacité ; une minute encore et la voilà plus faible ; elle se fond ainsi par degrés avec notre état d’âme habituel, comme le cercle fermé par la chute d’un caillou se dilue à la surface de l’eau.

Toutefois, en y réfléchissant, le major s’aperçut que tout n’était pas dit. Il ne suffisait pas d’avoir retrouvé le nez, il fallait encore le remettre en place.

Et s’il allait ne pas tenir ?

À cette question qu’il s’était posée à lui-même, le major pâlit. Sous le coup d’une peur indicible, les mains tremblantes, il se précipita vers le miroir de sa table de toilette. Il risquait bel et bien de replacer son nez de travers ! Doucement, avec précaution, il le posa à son ancienne place. Horreur ! le nez ne voulait pas tenir !… Il l’approcha de ses lèvres, le réchauffa de son souffle, l’appliqua sur la surface lisse qui s’offrait entre les deux joues : peine perdue, le nez n’adhérait toujours pas !

« Allons, allons ! remets-toi en place, animal ! » lui disait-il, mais le nez semblait sourd et retombait chaque fois sur la table en émettant un son étrange, comme s’il eût été de liège.

« Ne voudra-t-il jamais tenir ? » s’écria le major, les traits contractés. Mais plus il le remettait en place et moins le nez voulait adhérer.

En désespoir de cause, Kovaliov envoya chercher le médecin qui habitait au premier, dans le meilleur appartement de la maison. Cet homme de belle mine possédait une femme appétissante et des favoris d’ébène ; il mangeait des pommes crues et tous les matins passait trois quarts d’heure à se rincer la bouche et à se frotter les dents avec cinq brosses différentes. Il ne tarda pas à se présenter et demanda tout d’abord quand s’était produit l’accident. Puis il souleva le menton du major et lui appliqua une chiquenaude à l’endroit où aurait dû se trouver le nez : la violence du coup fit reculer Kovaliov qui alla donner de la nuque contre le mur. L’esculape lui conseilla de ne pas prêter attention à cette bagatelle et d’éloigner légèrement sa tête du mur. Il la lui fit alors tourner, d’abord à droite, puis à gauche, en palpant chaque fois l’endroit où aurait dû se trouver le nez et en murmurant : « Hum ! » Finalement il lui donna une seconde chiquenaude : cette fois-ci, Kovaliov rejeta la tête en arrière comme un cheval auquel on inspecte les dents. Après cet examen, l’homme de l’art branla le chef et déclara :

« Restez donc comme vous êtes, pour éviter des complications. On peut évidemment remettre votre nez en place ; je m’en chargerais volontiers ; mais, je vous le répète, vous vous en trouverez plus mal.

– Comment cela ? dit Kovaliov. Quelle situation peut être pire que la mienne ? Que voulez-vous que je devienne sans nez ? Où irai-je, accommodé de la sorte ? Pourtant, je suis assez répandu dans le monde : aujourd’hui même, je dois assister à deux soirées. J’ai de nombreuses connaissances : Mme la conseillère Tchékhtariov, Mme Podtotchine, la veuve d’un officier supérieur… Il est vrai que je ne saurais dorénavant fréquenter cette dernière. Après de pareils procédés, je n’aurai de relations avec elle que par l’intermédiaire de la police… Mais enfin… Voyons, docteur, poursuivit Kovaliov d’une voix suppliante, n’y a-t-il vraiment pas moyen ? Arrangez-le tant bien que mal ; à la rigueur et en cas de danger, je puis le soutenir de la main. Comme d’ailleurs je ne danse pas, il n’y a pas à redouter de geste imprudent… En ce qui concerne vos honoraires, soyez persuadé que, dans la mesure de mes moyens, je…

– Voyez-vous, répliqua le médecin d’une voix entre deux tons extrêmement persuasive, voyez-vous, je n’exerce pas la médecine par esprit de lucre. Cela serait contraire à mes principes et à la dignité de mon art. Si je fais payer mes visites, c’est uniquement pour ne pas faire aux gens l’affront d’un refus. Je pourrais, c’est certain, remettre votre nez en place, mais je vous jure sur l’honneur que votre situation ne ferait ensuite qu’empirer. Laissez agir la nature. Faites de fréquentes ablutions à l’eau froide ; je vous assure que, sans nez, vous vous porterez aussi bien que si vous en aviez un. Quant à votre nez, je vous conseille de le mettre dans un bocal et de le conserver dans un peu d’alcool, ou mieux encore dans un peu de vinaigre tiédi après y avoir versé deux cuillerées d’esprit de sel. Vous pourrez alors en tirer une somme assez coquette : je serai le premier à l’acheter, si vous n’en demandez pas trop cher.

– Non, non, s’écria le major exaspéré ; je ne vous le vendrai pas, je préfère le perdre tout à fait.

– À votre aise, dit le praticien en prenant congé. Je désirais vous être utile ; vous ne le voulez pas ; c’est votre affaire. Tout au moins, croyez bien que j’ai fait tout mon possible pour vous. »

Sur ces paroles, il se retira avec un grand air de dignité, auquel Kovaliov, complètement désemparé, ne prit d’ailleurs point garde : c’est à peine si le malheureux remarqua les manchettes d’une blancheur de neige qui tranchaient sur l’habit noir de l’esculape.

Le lendemain, le major se résolut, avant de porter plainte, à une tentative de conciliation : Mme Podtotchine consentirait peut-être à lui retourner son bien sans esclandre. En conséquence, il lui écrivit la lettre suivante :

« Très honorée Alexandrine Grigorievna, Je n’arrive pas à comprendre votre manière d’agir. Vous n’y gagnerez rien. Pareil procédé ne saurait me contraindre à épouser mademoiselle votre fille. Car l’affaire est éclaircie : vous en êtes la principale instigatrice, nul ne l’ignore plus. La disparition subite de mon nez, sa fuite, son déguisement sous les traits d’un fonctionnaire, sa réapparition sous sa propre forme, sont l’effet des sortilèges opérés par vous ou par les personnes qui vous prêtent leur concours pour de si nobles exploits. Je crois bon de vous prévenir que si mon nez n’a pas repris dès aujourd’hui sa place, je me verrai contraint de me placer sous la protection des lois.

Sur ce, j’ai l’honneur d’être, madame, avec un profond respect,

Votre dévoué serviteur,

Platon Kovaliov. »


« Très honoré Platon Kouzmitch,

Votre lettre a tout lieu de me surprendre. Je ne me serais jamais attendue à pareils reproches de votre part. Je n’ai jamais reçu, ni sous un déguisement, ni sous son véritable aspect, le fonctionnaire dont vous m’entretenez. Philippe Ivanovitch Potantchikov a, il est vrai, fréquenté chez moi et recherché la main de ma fille. Cependant, malgré ses bonnes mœurs, sa sobriété, son instruction, je ne lui ai jamais donné le moindre espoir. Vous me parlez d’une histoire de nez. Si vous entendez par là que vous avez reçu un pied de nez, en d’autres termes que vous avez essuyé un refus de ma part, laissez-moi vous dire que c’est précisément le contraire. J’ai toujours été et je suis toujours prête à vous accorder la main de ma fille ; c’est le plus cher de mes désirs. Et dans cet espoir, j’ai l’honneur d’être

Votre bien dévouée,

Alexandrine Podtotchine. »

« Non, se dit Kovaliov après lecture de cette lettre, non, elle n’est pas coupable ! Impossible ! Je ne reconnais pas là le style d’une criminelle. »

L’assesseur, qui avait procédé au Caucase à plus d’une enquête, s’entendait en ces matières.

« Mais alors, comment cela est-il arrivé ? Le diable seul pourrait débrouiller l’affaire ! » s’exclama-t-il enfin en laissant retomber ses bras de désespoir.


Cependant, cette singulière aventure faisait, non sans les embellissements coutumiers, le tour de la capitale. Les esprits étaient alors tournés vers le surnaturel. Des expériences de magnétisme venaient depuis peu de passionner le public. L’histoire des chaises tournantes de la rue des Grandes-Écuries était encore présente à toutes les mémoires. Aussi ne tarda-t-on pas à prétendre que le nez de l’assesseur de collège Kovaliov se promenait tous les jours à trois heures précises sur la Perspective. Les curieux affluèrent. Quelqu’un ayant affirmé que le nez se trouvait chez Junker, il se forma devant ce magasin un rassemblement si considérable que la police dut intervenir. Un spéculateur, homme qui d’ordinaire vendait des gâteaux secs à la porte des théâtres et qui ne manquait pas de prestance, grâce à des favoris bien fournis, fabriqua incontinent de solides banquettes qu’il loua aux curieux à raison de quatre-vingts kopeks la place. Attiré par ce faux bruit, un brave colonel en retraite partit de chez lui plus tôt que de coutume et se fraya un chemin à grand-peine à travers la foule. En fait de nez, il aperçut dans la vitrine un vulgaire gilet de laine, ainsi qu’une lithographie exposée là depuis plus de dix ans, laquelle représente un petit-maître à barbiche et gilet en cœur, épiant, de derrière un arbre, une jeune fille en train de rattacher son bas. Le colonel ne dissimula pas son dépit et se retira en grommelant :

« A-t-on idée de répandre des bruits aussi ineptes, aussi invraisemblables ! »

D’autres nouvellistes jurèrent alors que ce n’était point sur la Perspective, mais au Jardin de Tauride que se promenait le nez du major Kovaliov ; cela ne datait pas d’hier ; lorsque Khozrev-Mirza y avait sa résidence, ce jeu de la nature l’avait fortement intrigué. Plusieurs élèves de l’École de chirurgie allèrent alors voir ce qui en était. Une grande dame très respectable écrivit au gardien de bien vouloir montrer à ses enfants ce rare phénomène, en leur donnant, si possible, quelques-unes de ces explications qui sont si profitables à la jeunesse.

Tous ces événements réjouirent fort les habitués des réceptions mondaines, qui se trouvaient justement à court d’anecdotes propres à distraire les dames. En revanche, un petit nombre de personnes bien pensantes ne cachèrent point leur mécontentement. Un monsieur s’indignait hautement : comment, en un siècle aussi éclairé, pouvait-on propager de telles sornettes, et pourquoi le gouvernement n’y mettait-il pas bon ordre ? Le monsieur appartenait à la catégorie des individus qui voudraient voir le gouvernement intervenir partout, même dans les disputes qu’ils ont journellement avec leurs femmes.

Alors… ; mais de nouveau l’aventure se perd dans un brouillard si épais que personne n’a jamais pu le percer.

III

Il se passe en ce bas monde des choses d’où la vraisemblance est bien souvent bannie. Un beau jour, ce fameux nez, qui se promenait affublé en conseiller d’État et faisait tant parler de lui, se retrouva soudain, comme si rien ne s’était passé, à son ancienne place, c’est-à-dire entre les deux joues du major Kovaliov. L’événement eut lieu le 7 avril. À son réveil, le major jeta par hasard un coup d’œil à son miroir et s’aperçut du retour de son nez. Il y porta la main. C’était bien lui.

« Ah bah ! » s’écria Kovaliov qui, dans sa joie, aurait dansé, pieds nus, un trépak endiablé au travers de sa chambre si la venue d’Ivan ne l’en avait empêché. Il se fit aussitôt apporter de l’eau pour ses ablutions. En se débarbouillant, il se mira de nouveau : le nez était bien là ! Il se mira encore tout en s’essuyant : le nez restait en place !

« Dis-moi, Ivan, il me semble que j’ai un bouton sur le nez ? demanda-t-il en songeant avec anxiété : « Et si Ivan allait me dire : – Un bouton ? mais non, monsieur, puisque vous n’avez pas de nez ! »

Mais Ivan répondit :

« Pas le moindre bouton, monsieur, votre nez est absolument net. »

« Ça va, ça va, saperlotte ! » se dit le major en faisant claquer ses doigts.

À ce moment apparut au seuil de la chambre le barbier Ivan Yakovlévitch, craintif comme un chat qui vient d’être fouetté pour avoir volé du lard.

« D’abord et avant tout, as-tu les mains propres ? lui cria de loin le major Kovaliov.

– Oui, monsieur.

– Tu mens !

– Parole d’honneur, monsieur !

– Prends garde ! »

Kovaliov s’assit, Ivan Yakovlévitch lui passa une serviette au cou et, en une minute, lui convertit à coups de blaireau le menton, puis une partie de la joue, en une crème pareille à celle que l’on sert les jours de fête dans le monde marchand.

« Ah ! très bien ! » se dit-il en regardant le nez, après quoi il inclina la tête de l’autre côté et le contempla de biais. « Le voilà revenu, le brigand ! » reprit-il in petto. Quand il se fut absorbé un temps suffisant dans la contemplation du nez, il leva deux doigts pour le saisir par le bout avec toutes les précautions d’usage. Telle était sa méthode.

« Attention, nom d’une pipe ! » lui cria Kovaliov.

Ivan Yakovlévitch laissa retomber son bras, intimidé comme il ne l’avait encore jamais été. Enfin il se mit à racler prudemment le menton du major. Bien qu’il éprouvât une grande difficulté à raser ses pratiques sans les tenir par leur organe olfactif, il parvint, en appuyant son pouce calleux sur la joue et la gencive de Kovaliov, à mener non sans peine sa tâche à bien.

Kovaliov s’habilla à la hâte, sauta dans un fiacre et se fit conduire au café.

« Garçon, un chocolat ! » cria-t-il dès l’entrée. Un regard dans une glace lui permit de constater aussitôt la présence de son nez. Il se retourna tout joyeux et lança en clignotant une œillade sarcastique du côté de deux militaires, dont l’un avait le nez pas plus gros qu’un bouton de gilet.

De là, il se rendit dans les bureaux où il sollicitait une charge de vice-gouverneur, et, en cas d’insuccès, une place d’inspecteur. En traversant l’antichambre, il se regarda au miroir : le nez était toujours là.

Puis il alla faire visite à un autre assesseur ou major, un grand railleur aux brocards duquel il répliquait d’ordinaire : « Je te connais, mauvaise langue ! » En chemin, il se disait : « Si le major n’éclate pas de rire en me voyant, c’est que tout va bien. » Le major ne souffla mot. « Ça va, ça va, saperlotte ! » se répéta Kovaliov.

Il rencontra Mme Podtotchine et sa fille. Ces dames répondirent à son salut par de joyeuses exclamations, preuve que tout allait bien. Une longue conversation s’engagea. Kovaliov tira sa tabatière et se bourra consciencieusement les deux narines en marmonnant : « Voilà, belles dames ! Et vous aurez beau faire, je n’épouserai pas la gamine…, si ce n’est de la main gauche… »


Depuis lors, le major Kovaliov se fait voir partout, à la promenade comme au théâtre. Et son nez demeure planté au bon endroit, comme s’il n’avait jamais eu la fantaisie d’aller se pavaner ailleurs. Aussi le major Kovaliov se montre-t-il toujours d’excellente humeur ; il poursuit, le sourire aux lèvres, toutes les jolies femmes. On l’a même vu une fois au Bazar en train d’acheter le ruban de je ne sais plus quel ordre, chose d’ailleurs surprenante, car il n’est chevalier d’aucun ordre.

Telle est l’aventure qui eut pour théâtre la capitale septentrionale de notre vaste empire. À y bien réfléchir, beaucoup de détails en paraissent inconcevables. Sans parler de la disparition, vraiment surnaturelle, du nez et de sa réapparition en divers endroits sous forme de conseiller d’État, comment Kovaliov a-t-il pu songer à réclamer son nez par la voie des journaux ? Je ne parle pas du coût de l’annonce – n’allez pas me ranger parmi les avares ! – mais de son inconvenance, de son immodestie ! Et puis comment le nez s’est-il trouvé tout d’un coup dans un pain frais ? Comment Ivan Yakovlévitch… Non, cela ne tient pas debout, je ne le comprends absolument pas… Mais, ce qu’il y a de plus étrange, de plus extraordinaire, c’est qu’un auteur puisse choisir de pareils sujets… Je l’avoue, cela est, pour le coup, absolument inconcevable, c’est comme si… non, non, je renonce à comprendre. Premièrement, cela n’est absolument d’aucune utilité pour la patrie ; deuxièmement… mais deuxièmement non plus, d’aucune utilité. Bref, je ne sais pas ce que c’est que ça…

Et cependant, malgré tout, bien que, certes, on puisse admettre et ceci, et cela, et encore autre chose, peut-être même… et puis enfin quoi, où n’y a-t-il pas d’incohérences ? Et après tout, tout bien considéré, dans tout cela, vrai, il y a quelque chose. Vous aurez beau dire, des aventures comme cela arrivent en ce monde, c’est rare, mais cela arrive.

  1. Grade militaire équivalent au grade civil (le 8ème de la Table des Rangs) de Kovaliov. L’expression « assesseur de collège caucasien » fut longtemps proverbiale après la nouvelle de Gogol. (Note du traducteur.)
  2. diverses fonctions policières… portait le manuscrit : la censure biffa l’épithète. (Note du traducteur.)
  3. Le bazar (Gostinyï Dvor), immense édifice du XVIIIème siècle où chaque genre de négoce avait sa galerie, était situé au centre de la ville, avec une façade sur la Perspective. (Note du traducteur.)
  4. Gogol avait donné à cet épisode la conclusion suivante, que biffa la censure : Kovaliov devina de quoi il retournait : avisant un billet de dix roubles qui traînait sur son bureau, il le fourra dedans la main de l’exempt. Le digne homme lui tira incontinent sa révérence. À peine était-il dehors que Kovaliov l’entendait morigéner de la voix et du poing un lourdaud de moujik qui avait eu le front d’engager sa charrette sur le boulevard. (Note du traducteur.)