Le Pyrrhonisme de l’histoire/Édition Garnier/36

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Le Pyrrhonisme de l’histoireGarniertome 27 (p. 291-292).
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CHAPITRE XXXVI.
réflexion.

Il n’est que trop vrai qu’il suffit d’un fanatique pour commettre un parricide sans aucun complot. Damiens n’en avait point. Il a répété quatre fois dans son interrogatoire qu’il n’a commis son crime que par principe de religion. Je puis dire qu’ayant été autrefois à portée de connaître les convulsionnaires, j’en ai vu plus de vingt capables d’une pareille horreur[1], tant leur démence était atroce ! La religion mal entendue est une fièvre que la moindre occasion fait tourner en rage.

Le propre du fanatisme est d’échauffer les têtes. Quand le feu qui fait bouillir les cervelles superstitieuses a fait tomber quelques flammèches dans une âme insensée et atroce, quand un ignorant furieux croit imiter saintement Phinée, Aod, Judith, et leurs semblables, cet ignorant a plus de complices qu’il ne pense. Bien des gens l’ont excité au parricide sans le savoir. Quelques personnes profèrent des paroles indiscrètes et violentes ; un domestique les répète, il les amplifie, il les enfuneste[2] encore, comme disent les Italiens ; un Châtel, un Ravaillac, un Damiens, les recueillent : ceux qui les ont prononcées ne se doutent pas du mal qu’ils ont fait ; ils sont complices involontaires, mais il n’y a eu ni complot ni instigation. En un mot, on connaît bien mal l’esprit humain, si l’on ignore que le fanatisme rend la populace capable de tout.

  1. Un entre autres dont il a été question dans le procès de Damiens. (Note de Voltaire.)
  2. Ce mot est employé ici par Voltaire pour la première fois. Il reproduit ce morceau en 1770 ; voyez tome XVII, page 203. Le mot funestèrent est au tome XIII, page 87.