Le Symbolisme/Préface

La bibliothèque libre.
Jouve et Cie, éditeurs (p. vii-ix).




PRÉFACE





Le point délicat de cette étude était de juger, sans parti pris, les poètes symbolistes. Si beaucoup d’entre eux ont déjà cédé au sort, d’autres sont encore vivants. En pareil cas, un critique obéit presque toujours à ses préférences personnelles. Invinciblement la partialité devient sa loi.

L’auteur de cette étude ne s’est proposé ni d’allumer des encensoirs ni de donner les étrivières. Il sait, par expérience, qu’il est difficile d’écrire un livre, et qu’un ouvrage, aussi mauvais soit-il, réalise toujours une intention. Or, celle-ci est, à son sens, plus essentielle à signaler que les défaillances de l’écrivain. Au reste, ceux qui tentent une œuvre originale ont droit à la bienveillance. Le métier littéraire est une entreprise où le courage est trop utile pour que l’auteur de cette étude vienne à son tour crier haro sur des poètes estimables, sinon par leur génie, du moins par leur labeur. Assez d’autres y pourvoiront sans lui. À tort ou à raison, il a pensé qu’à propos de tout poète, trois questions sont possibles : « Qu’a-t-il voulu faire ? Comment l’a-t-il fait ? Comment aurait-il pu le faire ? » Les deux premières questions sont objets d’histoire de la littérature ; la dernière de critique. L’auteur de cette étude n’a voulu traiter ici que d’histoire littéraire. Il ne se sent pas qualifié pour dicter des remèdes ou proposer des exemples. C’est dans ces scrupules qu’il convient de chercher les raisons pour lesquelles il préfère souffrir que les uns jugent l’examen proprement critique du symbolisme, sur certains points, peut-être un peu superficiel, les autres, diverses parties de ce livre privées de tout le développement qu’elles comporteraient nécessairement dans une étude plus critique. L’auteur explique, il ne défend, ni ne blâme. Inquiet des diatribes répandues à profusion contre le symbolisme, étonné qu’une école littéraire n’ait eu d’autre but sérieux que de fomenter le ridicule, et profondément surpris qu’il n’existât sur ces poètes aucun travail d’ensemble permettant de connaître exactement leur rôle, il s’est mis à étudier les milieux symbolistes. Il a consulté les panégyristes et les détracteurs de la jeune école. Il a ensuite essayé de fixer la part d’originalité poétique, prosodique, syntaxique et lexicographique qui revenait à chacun de ces poètes.

Leur esthétique pouvait être exposée selon deux méthodes. Ou bien, l’auteur la déduisait uniquement d’une lecture sérieuse des poèmes ; ou bien, il s’inquiétait de savoir si, sur tel ou tel point, le sujet n’avait pas donné des explications précises et il faisait part au lecteur de ses investigations. La première méthode est sans doute plus rapide, mais elle incline l’historien à chercher dans l’œuvre étudiée de quoi confirmer ses propres hypothèses, plutôt qu’à juger d’après les idées de son sujet. C’est une manière de partialité, sans danger, quand il s’agit de matières antiques où, forcément, l’art de résurrection doit suppléer à l’insuffisance des sources, mais dont les inconvénients sont nombreux quand il n’y a pas pénurie absolue de documents. La deuxième méthode est plus longue. Elle oblige l’historien à lire l’œuvre entière du sujet, à l’interroger, même en personne, s’il est encore possible. Elle a le tort de présenter au lecteur, non plus l’opinion personnelle du critique, mais une collection de documents habilement noués par lui. L’auteur de cette étude a préféré la seconde méthode. Il croit que l’histoire tend de plus en plus à s’approprier les procédés des sciences expérimentales, qu’il y a en un mot une chimie historique où la personne de l’historien n’intervient que pour découvrir les phénomènes et relier leurs données. Il prévoit que, parmi tant d’objections dont ce livre est susceptible, celle d’avoir abusé du document ne sera pas une des moindres, mais il s’y résigne en objectant, à son tour, qu’il n’y avait peut-être pas d’autre moyen vraiment scientifique d’aider à la manifestation de la vérité.

A. B.