Le Théâtre des Chinois/Entr’acte

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Calmann Lévy (p. 263-265).
ENTR'ACTE


IV


ENTR'ACT


J'ai réuni dans ces dernières pages quelques sujets de fantaisie qui n'appartiennent pas, il est vrai, au théâtre chinois, mais que j'ai fait entrer dans la composition de mon programme, pour établir d'une manière plus persuasive l'esprit de nos mœurs. J'exprime, en effet, dans cette dernière partie, l'opinion que je me suis faite des représentations qui se donnent dans le monde, quand on le parcourt avec un certain esprit d'indépendance, assez utile en cette occasion. L'observation a, en général, un double résultat : d’établir premièrement le fait particulier qui a été remarqué ; et secondement de signaler à l’attention un fait directement opposé, dont la connaissance est habituelle à l’observateur.

Une observation est en soi une découverte, et cette découverte se fait le plus souvent par contraste. Ce sont les antipodes qui peuvent se juger le mieux.

Cela étant, le lecteur, s’il veut bien avouer que j’ai cherché à occuper agréablement ses loisirs, ne m’en voudra pas de lui faire connaître mes observations personnelles sur des sujets remarqués, si, par cette méthode, je dégage des sujets diamétralement opposés dont la connaissance peut l’intéresser. En lui décrivant ce qu’il sait, il comprendra ce que je ne lui dis pas. De la sorte, il aura une représentation à deux tranchants.

Du reste, il existe un genre comique, qu’on pourrait appeler la comédie des caractères ou des mots, qui a bien le droit de trouver une place dans cet ouvrage. Le sujet mériterait d’être approfondi ; peut-être en tenterai-je plus tard l’essai ; car il y a beaucoup à apprendre dans l’étude des mots et des caractères, comme on pourra s’en convaincre un peu plus loin. La comédie des mots révèle la comédie des mœurs et éclaire parfois d’une lumière bien vive certains détails obscurs de la civilisation européenne. Les mots sont des esclaves, mais qui ne craignent pas de dénoncer leurs maîtres, quand ils abusent de leur autorité. Il y a des mots qui accusent ; il y a des mots qui ont de la honte ; il y a des mots qui ne se montrent plus. Je voudrais les faire monter sur mon théâtre, leur faire raconter toutes leurs aventures, entendre leurs éclats de rire ou leurs indignations ; mais il faudrait tenir les ficelles, et je ne me sens pas l’envie de rire, même aux dépens d’autrui. Que le lecteur se contente donc de ces premières esquisses et qu’il s’en amuse s’il a de la gaieté.