Le Vieillard des tombeaux/15

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Le Vieillard des tombeaux ou Les Presbytériens d’Écosse
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 10p. 162-170).



CHAPITRE XV.

les deux armées en présence


Quantum in nobis nous avons bien pensé à épargner le sang chrétien, à essayer si, par la médiation d’un traité ou d’un accommodement, nous ne pourrions pas terminer la querelle et régler ce duel sanglant sans en venir aux coups.
Butler.


Le pas accéléré des cavaliers ôta bientôt à nos zélés captifs la respiration, sinon la volonté nécessaire pour continuer leurs harangues. Ils avaient fait plus d’un mille depuis qu’ils étaient sortis des taillis entrecoupés de clairières qui succèdent au bois de Tillietudlem ; et de loin en loin ils rencontraient encore quelques chênes ou quelques bouleaux qui ornaient les vallons étroits ou qui formaient des groupes rares et chétifs dans les marais ; mais bientôt ces arbres disparurent. Alors ils virent devant eux une vaste contrée aride, qui s’élevait en collines recouvertes d’une sombre bruyère, entrecoupée par de profonds ravins qui servaient de lit aux torrents en hiver, tandis qu’en été ils servaient à l’écoulement de maigres ruisseaux qui serpentaient tristement au milieu de monceaux de pierres et de graviers accumulés pendant les mauvais temps : semblables à ces prodigues ruinés par leurs anciennes extravagances.

Cette région déserte semblait s’étendre plus loin que l’œil ne pouvait atteindre ; elle n’avait aucun trait de grandeur, pas même la majesté sauvage des montagnes. Néanmoins, elle présentait une grande différence avec les parties du pays plus propres à la culture et aux besoins de l’homme. Aussi, elle imprimait irrésistiblement à l’esprit du spectateur le sentiment de la toute-puissance de la nature et de l’inefficacité comparative des moyens d’amélioration si vantés que l’homme est susceptible d’opposer aux désavantages des terrains et des climats.

Un effet remarquable de ces vastes déserts est qu’ils suggèrent l’idée de l’isolement, même à ceux qui les traversent en grand nombre : tant l’imagination est affectée par la disproportion entre la troupe qui voyage et la solitude qui l’entoure ? Ainsi, une caravane de mille individus peut éprouver, dans les déserts de l’Afrique et de l’Arabie, un sentiment d’abandon inconnu au voyageur qui parcourt seul un pays fertile et cultivé. Ce ne fut donc pas sans une singulière émotion que Morton aperçut à un demi-mille environ le corps de cavalerie auquel appartenait son escorte, gravissant péniblement un sentier rapide et sinueux qui conduisait de la plaine dans les montagnes. Leur nombre, qui paraissait considérable quand ils étaient groupés dans des routes étroites et qui se multipliait lorsqu’on les voyait passer un à un entre les arbres semblait diminué lorsqu’ils étaient pleinement exposés aux regards et dans un site dont l’étendue était si grande en comparaison de cette colonne de cavalerie, qu’on l’aurait plutôt prise pou un vaste troupeau de bestiaux que pour une troupe de soldats.

« Certes, se disait Morton, une poignée d’hommes résolus pourrait défendre tous les défilés de ces montagnes contre une force aussi exiguë que celle-ci, pourvu que leur bravoure égalât leur enthousiasme. »

Pendant qu’il se livrait à ces réflexions, la course rapide des cavaliers qui le gardaient leur fit bientôt traverser l’espace qui les séparait de leurs compagnons ; et avant que la tête de la colonne de Caverhouse eût atteint le sommet de la montagne qu’ils gravissent, Bothwell, son arrière-garde et ses prisonniers, s’étaient réunis, ou peu s’en fallait, au corps principal conduit par son commandant. L’extrême difficulté de la route, qui en quelques lieu était escarpée, dans d’autres marécageuse, retarda les progrès de la colonne, surtout vers la queue ; car le passage du gros du corps, dans plusieurs endroits, avait fait enfoncer les marécages qu’il traversait, de sorte que les derniers étaient obligés de quitter le chemin battu et d’en former un nouveau moins dangereux.

Dans ces circonstances, la détresse du révérend Gabriel Kettledrumle et de Mause Headrigg était de beaucoup augmentée, car l’escorte brutale qui les conduisait les contraignait, malgré le risque que devaient courir des cavaliers aussi inexpérimentés, à faire sauter leurs chevaux par-dessus des tranchées et des ravins, où à les pousser au travers des marécages ou des flaques d’eau.

Grâces au secours du Seigneur, j’ai franchi une muraille, » s’écriait la pauvre Mause au moment où son cheval avait été contraint par ses conducteurs à franchir le tertre de bruyère qui servait d’enclos à une bergerie abandonnée, et dans ce haut fait elle avait laissé envoler son bonnet, ce qui laissait ses cheveux gris à découvert.

« Je me trouve au milieu d’un limon sans fond ; je me suis précipité dans la profondeur de la mer, et la tempête m’a noyé, » s’écriait Kettledrummle au moment où le cheval sur lequel il était monté plongeait jusqu’au cou dans une mare, faisant jaillir sur le visage et la personne du prédicateur captif un liquide noir et infect.

Ces exclamations excitaient de bruyants éclats de rire parmi leur escorte militaire ; mais bientôt survinrent des événements qui les ramenèrent à des idées plus sérieuses.

Les premiers rangs du régiment avaient presque atteint la cime de la montagne escarpée dont nous avons parlé, lorsque deux ou trois cavaliers, qu’on reconnut bientôt pour un parti de leur propre garde avancée qu’on avait envoyé en reconnaissance, arrivèrent au grand galop, leurs chevaux tout essoufflés, et les hommes paraissant fuir en désordre. Ils étaient poursuivis bride abattue par cinq ou six cavaliers, bien armés de sabres et de pistolets, qui firent halte au sommet de la colline en voyant approcher les dragons. Un ou deux de ces hommes, qui avaient des carabines, descendirent de cheval, et, d’un air calme et délibéré, déchargèrent leurs armes sur le premier rang du régiment : deux dragons furent blessés, un surtout très-grièvement. Ensuite ils remontèrent à cheval et disparurent derrière la colline, se retirant avec tant de tranquillité, qu’il était évident qu’ils n’étaient nullement effrayés par l’approche d’une force aussi considérable, et qu’ils se savaient soutenus par un nombre suffisant pour les protéger. Cet incident suspendit la marche de tout le corps de cavalerie ; et tandis que Claverhouse lui-même recevait le rapport de sa garde avancée, qui avait été repoussée ainsi sur le corps principal, lord Evandale s’avançait vers le sommet de la côte où s’étaient retirés les cavaliers de l’ennemi ; le major Allant, le capitaine Graham et les autres officiers s’occupaient à tirer le régiment des mauvais chemins et à le faire ranger sur le coteau en deux lignes, destinées à se soutenir l’une l’autre.

On donna ensuite l’ordre d’avancer ; et en peu de minutes la première ligne atteignit le sommet, d’où elle pouvait découvrir l’autre côté de la colline ; la seconde ligne venait après elle, et enfin l’arrière-garde et les prisonniers ; de sorte que Morton et ses compagnons pouvaient juger de tous les obstacles qui s’offraient à ceux qui les retenaient prisonniers.

Les gardes-du-corps se rangèrent sur la cime de la montagne, qui, du côté opposé à celui par lequel ils venaient de monter, descendait par une pente douce, l’espace de plus d’un quart de mille, et offrait un terrain qui, quoique inégal en quelques endroits, n’était pas entièrement défavorable pour les manœuvres de la cavalerie, tandis que vers le bas la pente se terminait par un fond uni et marécageux, traversé dans toute sa longueur par ce qui paraissait être ou un ravin naturel ou une profonde tranchée artificielle ; les côtés étaient coupés par des sources, des fossés remplis d’eau, où l’on avait creusé pour retirer de la tourbe, et çà et là se trouvaient des bouquets épars de sureau, tellement bien placés au milieu de cette humidité, qu’ils continuaient à croître en buissons, quoique trop rabougris par la mauvaise qualité du terrain et l’eau stagnante pour devenir jamais des arbres. Au-delà de ce fossé ou retranchement, la terre s’élevait et formait une seconde colline couverte de bruyères, et c’était à sa base, et comme pour protéger le terrain rompu et le fossé qui le couvrait en avant, que le corps des insurgés semblait s’être rangé pour attendre l’attaque.

Leur infanterie était disposée sur trois lignes. La première, assez bien pourvue d’armes à feu, était avancée si près du bord du bourbier, que son feu devait nécessairement incommoder beaucoup la cavalerie royale dans sa descente de la montagne opposée, puisque son front se trouvait à découvert ; il était probable qu’elle leur serait encore plus fatale, si les cavaliers tentaient de traverser le marécage. Derrière cette première ligne était un corps de piqueurs, qui devait la soutenir si les dragons parvenaient à forcer le passage. En arrière se trouvait la troisième ligne, consistant en paysans armés de faulx placées toutes droites sur des pieux, de fourches, de broches, de massues, d’aiguillons, de lances à pêcher, et d’autres instruments rustiques de même genre, que le ressentiment avait convertis en instruments de guerre. Sur chaque liane de l’infanterie, mais un peu en arrière du bourbier, comme pour avoir une terre sèche et solide où ils pussent agir si leurs ennemis forçaient le passage, on avait placé un petit corps de cavalerie, qui, en général, n’était que mal armé et encore plus mal monté, mais plein de zèle pour la cause, étant presque tout recruté parmi les petits propriétaires, ou les fermiers assez riches pour servir à cheval. Ou voyait retourner lentement vers cet escadron quelques-uns de ceux qui avaient servi à repousser l’avant-garde des troupes royales. C’étaient les seuls individus de l’armée des insurgés qui parussent en mouvement : tous les autres se tenaient fermes et aussi immobiles que les pierres grises éparses sur la bruyère autour d’eux.

Le nombre total des insurgés pouvait monter à mille hommes ; mais il n’y avait guère qu’une centaine de cavaliers, et la moitié au plus était passablement armée. Quoi qu’il en soit, la force de leur position, l’idée qu’ils s’étaient engagés dans un pas désespéré, la supériorité de leur nombre, mais par-dessus tout l’ardeur de leur enthousiasme, tels étaient les moyens sur lesquels leurs chefs comptaient pour suppléer au défaut d’armes, d’équipement et de discipline militaire.

Sur le revers de la montagne qui dominait le champ de bataille, on voyait les femmes et même les enfants, que leur zèle contre la persécution avait poussés dans le désert. Ils paraissaient stationnés pour être témoins de l’engagement qui devait décider de leur sort et de celui de leurs pères, de leurs époux, de leurs fils. Semblables aux femmes des anciennes tribus germaniques, elles poussèrent des cris aigus, quand elles virent les rangs étincelants de leurs ennemis paraître sur la cime de la colline opposée : ces malheureux semblaient ainsi exhorter leurs parents à combattre jusqu’à la mort pour défendre les objets de leurs affections. Une exhortation de cette nature produisit un effet électrique et difficile à décrire ; un cri sauvage, qui partit des rangs des insurgés, annonça qu’ils étaient disposés à combattre jusqu’au dernier soupir.

Quand les cavaliers se furent arrêtés sur le plateau de la montagne, leurs trompettes et leurs tymbales firent entendre une fanfare guerrière de menace et de défi, qui retentit dans le désert comme l’appel effrayant de l’ange exterminateur. Les persécutés y répondirent en réunissant leurs voix, et en chantant sur un ton solennel les deux premiers versets du soixante-seizième psaume, d’après la traduction en vers de l’Église écossaise :

« Dans la terre de Juda Dieu est bien connu ; son nom est dans le grand Israël ; dans Salem est son tabernacle ; dans Sion est son trône.

« Là il a brisé les flèches de l’arc, le bouclier, l’épée, et tous les instruments de la guerre. Seigneur, tu es plus glorieux que les montagnes où se fait le butin : tu es bien plus excellent. »

Un cri, ou plutôt une acclamation générale, suivit ces deux stances ; et après un instant de morne silence les insurgés reprirent le second verset, qui semblait leur prophétiser le résultat de la bataille qui allait se livrer :

« Ceux dont le cœur était ferme sont détruits ; ils ont dormi complètement leur sommeil ; et ils n’ont plus rien retrouvé dans leurs mains, ceux qui étaient des hommes du pouvoir.

« Quand la réprobation, ô Dieu de Jacob, eut été lancée contre eux, leurs chevaux et leurs chariots aussi tombèrent dans un profond sommeil. »


Il y eut une autre acclamation suivie du plus profond silence.

Tandis que ces sous solennels, poussés par mille voix, se prolongeaient dans les montagnes désertes, Claverhouse examinait avec attention le terrain et l’ordre de bataille que les insurgés avaient adoptés, et où ils paraissaient disposés à attendre qu’il les attaquât.

« Il faut, dit-il, que ces rustres aient parmi eux quelques vieux soldats ; ce n’est pas un paysan qui a choisi ce terrain. — On assure que Burley est avec eux, répondit lord Evandale ; on cite aussi Haaton de Rathillet, Paton de Meadowhead, Cleland, et autres militaires distingués. — Je l’ai pensé, dit Claverhouse, à la manière dont ces cavaliers détachés ont fait franchir le fossé à leurs chevaux en regagnant leur position. Il était facile de voir qu’il y avait parmi eux quelques têtes rondes, les vrais rejetons du vieux Covenant. Il nous faut conduire l’affaire avec prudence et hardiesse. Evandale, que les officiers se rendent sur ce monticule. »

Il s’avança vers un petit tertre recouvert de mousse, qui était peut-être le tombeau de quelque chef celtique des temps reculés, et ces mots : « Officiers, volte-face, » les rassemblèrent bientôt autour du commandant.

« Je ne vous mande pas autour de moi, messieurs, dit Claverhouse, dans l’intention de former un conseil de guerre, car je ne ferai jamais retomber sur les autres la responsabilité que m’impose mon rang. Je veux seulement profiter de vos avis, me réservant, ainsi que le font la plupart des hommes qui demandent des conseils, la liberté de suivre mes idées. Que dites-vous, cornette Graham ? Attaquerons-nous ces drôles qui crient là-bas ? Vous êtes le plus jeune et le plus pétulant, et par conséquent vous parlerez le premier, que je le veuille ou non. — Alors, dit le cornette Graham, tant que j’aurai l’honneur de porter l’étendard des gardes-du-corps, il ne reculera jamais par ma volonté devant les rebelles. Je réponds : Chargez au nom de Dieu et du roi ! — Et que dites-vous, Allan ? continua Claverhouse, car Evandale est si modeste, que jamais nous ne viendrons à bout de le faire parler avant vous. — Ces drôles, » dit le major Allan, qui était un vieil officier de cavalerie très-expérimenté, « sont trois ou quatre contre un. Je ne m’en inquiéterais guère dans un beau terrain, mais ils occupent une position forte, et ne paraissent pas disposés à la quitter. Je crois donc, malgré tout mon respect pour l’opinion du cornette Graham, qu’il faut que nous retournions à Tillietudlem : nous occuperons les passages entre les collines et le pays ouvert, et l’on enverra demander des renforts à milord Ross, qui est à Glasgow avec un régiment d’infanterie. Par ce moyen nous pourrons leur couper la retraite dans la vallée de la Clyde, et nous les contraindrons à sortir de leur place forte et à nous livrer bataille à des conditions plus favorables pour nous ; ou, s’ils restent ici, nous les attaquerons dès que notre infanterie nous aura rejoints et nous aura mis à même d’agir efficacement au milieu de ces fossés, de ces bourbiers et de ces fondrières. — Bah ! dit le jeune officier, qu’importe un bon terrain quand il n’est défendu que par une troupe de vieilles dévotes chantant des cantiques ? — Un fanatique ne s’en bat pas moins bien, répliqua le major Allan, pour honorer sa bible et son psautier. Ces hommes-là se montreront aussi opiniâtres que l’acier ; je les connais d’ancienne date. — Leur psalmodie nasale, dit le cornette, rappelle à notre major la course de Dunbar. — Si vous vous étiez trouvé à cette course, jeune homme, reprit Allan, le souvenir vous en resterait jusqu’au dernier jour de la plus longue vie. — Paix, paix, messieurs, dit Claverhouse, ces discours sont hors de saison. Major Allan, votre avis me plairait, si nos maudites patrouilles, que je ferai punir en conséquence, nous avaient avertis à temps du nombre et de la position de l’ennemi. Mais nous étant une fois présentés en ligne devant les rebelles, la retraite des gardes-du-corps indiquerait une honteuse timidité, et serait le signal d’une insurrection générale dans l’ouest. En ce cas, loin d’obtenir du secours de milord Ross, je vous assure que je craindrais beaucoup de le voir bloqué avant de le rejoindre ou d’en être rejoint. Une retraite serait aussi fatale à la cause du roi que la perte d’une bataille. Et quant à la différence de risque ou de sûreté qui pourrait exister pour nous, je suis bien sûr que personne n’y pense en ce moment. Il doit y avoir dans le marais quelque gorge ou quelque chemin par lequel nous pourrons passer ; et si nous étions une fois sur une terre ferme, j’espère qu’il n’est pas un homme dans les gardes-du-corps qui suppose que nos escadrons, quoique peu nombreux, ne fussent pas capables de réduire en poussière deux fois le nombre de ces rustres inexpérimentés. Qu’en dites-vous, milord Evandale ? — Je pense humblement, dit lord Evandale, que, quel que soit le résultat de la journée, elle sera sanglante, et que nous perdrons plus d’un brave, et que probablement nous serons obligés d’égorger un grand nombre de ces hommes égarés qui, après tout, sont des Écossais et des sujets du roi Charles aussi bien que nous. — Des rebelles ! des rebelles ! et qui sont indignes du nom d’Écossais ou de sujets, dit Claverhouse. Mais voyons, milord, à quoi tend votre opinion ? — À traiter avec ces hommes ignorants et égarés, dit le jeune noble. — Traiter ? et avec des rebelles qui sont sous les armes ? Jamais tant que je vivrai, répondit le colonel. — Au moins envoyez un parlementaire qui leur ordonnera de déposer leurs armes et de se disperser, reprit lord Evandale, avec promesse d’un libre pardon. J’ai toujours ouï dire que si l’on eût fait ainsi avant la bataille de Pentland-Hills, on aurait épargné beaucoup de sang. — Eh bien, dit Claverhouse, qui diable portera cet ordre à ces fanatiques opiniâtres et exaspérés ? Ils ne reconnaissent nulle loi de la guerre. Leurs chefs, qui ont tous eu part à l’assassinat de l’archevêque de Saint-André, combattent la corde au cou, et sont capables de tuer le messager, quand ce ne serait que pour faire tremper leurs complices dans un assassinat, afin de leur ôter tout espoir de pardon tout aussi bien qu’à eux. — J’irai moi-même, dit Evandale, si vous voulez me le permettre. J’ai souvent risqué mon sang pour répandre celui des autres ; permettez que je le fasse maintenant pour sauver des hommes. — Vous n’irez pas, milord, dit Claverhouse ; votre rang et votre situation rendent votre vie trop importante pour le pays, dans un siècle où les bons principes sont si rares. Voici le fils de mon frère Dick Graham, qui craint le plomb et l’acier aussi peu que si le diable lui avait donné une armure à l’épreuve, ainsi que les fanatiques disent qu’il en a donné une à son oncle. Il se rendra en parlementaire, accompagné d’un trompette, sur le bord du marécage, pour leur ordonner de déposer les armes et de se disperser. — De toute mon âme, colonel, répondit le cornette, et je vais attacher ma cravate au bout d’une pique pour servir de drapeau blanc. Les coquins n’ont jamais vu de leur vie un morceau de dentelle de Flandre. — Colonel Graham, » dit Evandale tandis que le jeune officier s’apprêtait pour son expédition, « ce jeune gentilhomme est votre neveu et probablement il sera votre héritier ; pour l’amour de Dieu, permettez-moi d’y aller ; c’était mon avis, et je dois en courir le risque. — Quand il serait mon fils unique, dit Claverhouse, nous ne sommes pas dans un temps ni dans une position où l’on puisse l’épargner. J’espère que mes affections particulières n’interviendront jamais dans mon devoir public. Si Dick Graham succombe, je souffrirai seul de cette perte ; si Votre Seigneurie venait à périr, le roi et le pays en souffriraient tous. Allons, messieurs, chacun à son poste. Si nos ordres sont mal reçus, nous attaquerons aussitôt ; et, comme dit la vieille devise ; de l’Écosse : Dieu défend le droit ! »