Le Vieillard des tombeaux/19

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Le Vieillard des tombeaux ou Les Presbytériens d’Écosse
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 10p. 195-202).




CHAPITRE XIX.

alarme au château.


Eh bien donc ! dites qu’un vieillard sait faire quelque chose.
Shakspeare, Henri IV, partie ii.


Nous devons retourner maintenant à la Tour de Tillietudlem, que le départ des gardes-du-corps, le matin de cette journée aventureuse, avait jetée dans le silence et l’inquiétude. Les assurances de lord Evandale n’avaient pas réussi à calmer les craintes d’Édith. Elle le savait généreux et fidèle à sa parole ; mais il paraissait trop clair qu’il soupçonnait que l’objet de ses prières était un rival heureux ; et n’était-ce pas attendre de lui un effort au-dessus de la nature humaine, que de supposer qu’il allait veiller à la sûreté de Morton et le sauver de tous les dangers auxquels l’exposeraient sans cesse et son emprisonnement et les soupçons qu’on avait conçus contre lui ? En proie aux plus vives alarmes, elle était insensible à toutes les consolations que lui offrait l’une après l’autre Jenny Dennison, comme un habile général qui charge avec les différentes divisions de ses troupes, en les faisant se succéder régulièrement.

D’abord Jenny était certaine qu’il n’arriverait aucun mal au jeune Milnwood ; ensuite, s’il en était autrement, il était consolant de penser qu’Evandale était le meilleur parti et le plus convenable des deux ; ensuite, les chances d’une bataille dans laquelle lord Evandale pouvait être tué étaient assez nombreuses, et alors on n’entendrait plus parler de ce mariage. Si enfin les républicains l’emportaient, Milwood et Cuddie pourraient arriver au château et enlever de vive force leurs bien-aimées.

« Car j’ai oublié de vous dire, madame, » continua la jeune fille en mettant son mouchoir devant ses yeux, « que le pauvre Cuddie est entre les mains des Philistins, ainsi que le jeune Milnwood, et ils l’ont amené ici prisonnier ce matin, et j’ai été obligée d’intercéder auprès de Tom Holliday pour qu’il me laissât approcher de ce pauvre garçon ; mais Cuddie n’en a pas été aussi reconnaissant qu’il aurait dû l’être, » ajouta-t-elle en changeant de ton et en retirant vivement son mouchoir de ses yeux. « Ainsi je ne veux pas user mes yeux à pleurer. Il resterait toujours assez de jeunes gens, quand même on en pendrait la moitié. »

Les autres habitants du château étaient également tristes et inquiets. Lady Marguerite trouvait que le colonel Graham, en commandant une exécution sur le seuil de sa porte, et en refusant d’accorder un répit à sa requête, avait manqué aux égards dus à son rang, et avait même anticipé sur ses droits seigneuriaux.

« Le colonel, dit-elle, aurait dû se rappeler, mon frère, que la baronnie de Tillietudlem a le privilège de haute et basse justice, et par conséquent, s’il fallait que le jeune homme fût exécuté sur mes terres (ce que je considère comme fort inconvenant, attendu qu’elles appartiennent à des femmes que de pareilles scènes ne peuvent qu’affliger), il aurait dû au moins le livrer à mon bailli pour qu’il présidât à l’exécution.

— La loi martiale, ma sœur, reprit le major, fait taire toutes les autres ; mais j’avoue que je trouve que le colonel Graham manque un peu d’égards pour nous, et je ne suis pas tout à fait flatté de lui voir accorder au jeune Evandale (sûrement parce que c’est un lord et qu’il a de l’influence dans le conseil privé) une grâce qu’il avait refusée à un aussi vieux serviteur du roi que je le suis. Mais dès l’instant où la vie du pauvre jeune homme est en sûreté, je saurai me consoler en chantant le refrain d’une chanson aussi vieille que moi. » Et aussitôt il fredonna ce couplet :

Qu’importe que l’hiver de son souffle glaçant
Vienne s’appesantir sur ton front blanchissant

Et sur ton vieux manteau de bure ?
Allons, Cavalier, en avant !

Un verre de bon vin chassera la froidure.

« Il faut que je sois votre convive pour aujourd’hui, ma sœur. Je serai bien aise d’apprendre le résultat de ce rassemblement à Loudon-Hill, quoique je ne puisse m’imaginer qu’il ait pu résister à un corps de cavalerie monté comme nos hôtes de ce matin. Quel malheur est le mien ! il fut un temps où il m’aurait peu convenu de rester tranquillement en attendant les nouvelles d’une escarmouche qui se passait à dix milles de moi ! Mais, comme dit la

vieille chanson :

Les glaives les plus éclatants
Sont vite rouillés par le temps,
Qui rompt la lame la plus forte
Comme les arcs les plus puissants.
Tout mortel, jeune ou vieux n’importe,
Succombe sous le poids des ans,
Ou dans son vol le vent l’emporte.

— Nous serons très-satisfaits de vous voir parmi nous, mon frère, dit lady Marguerite ; je vais user de mon vieux privilège pour jeter un coup d’œil dans ma maison que cette collation a mise en désordre, quoiqu’il ne soit pas très-poli de vous laisser seul. — Oh ! je hais les cérémonies autant que je hais un cheval qui bronche, dit le major ; d’ailleurs votre personne serait avec moi, que votre esprit courrait après les viandes froides et les pâtés qui ont survécu à la fête. Où est Édith ? — J’ai appris que, se sentant indisposée, elle s’était retirée dans sa chambre : elle s’est jetée sur son lit pour se reposer, dit sa grand’mère ; dès qu’elle s’éveillera, je lui ferai prendre de l’élixir. — Bah ! bah ! il n’y a que la peur des soldats qui l’a rendue malade, reprit le major Bellenden ; elle n’est pas habituée à voir une de ses connaissances conduite pour être fusillée, et l’autre partant avec la chance de ne pas revenir. Elle y serait bientôt habituée si la guerre civile recommençait. — À Dieu ne plaise, mon frère ! reprit lady Marguerite. — Oui, comme vous le dites, à Dieu ne plaise ! Et, en attendant, je vais faire une partie de trictrac avec Harrison. — Il est parti à cheval, monsieur, dit Gudyill, pour tâcher d’avoir des nouvelles de la bataille. — Au diable la bataille ! dit le major ; elle met toute cette famille en désordre, comme si l’on n’avait jamais vu pareille chose dans le pays ; et cependant il y a eu celle de Kilsythe, John. — Oui, et celle de Tippermuir, Votre Honneur, reprit Gudyill ; et j’y étais avec Son Honneur feu mon maître. — Et celle d’Alford, John, poursuivit le major, où je commandais la cavalerie ? et celle d’Inverlochy, où j’étais l’aide-de-camp du grand marquis ? et Auld-Eard ? et le pont de la Dee ? — Et Philiphaugh, Votre Honneur ? dit John. — Hum ! reprit le major ; moins nous en dirons à ce sujet, John, mieux cela vaudra. »

Quoi qu’il en soit, une fois embarqués dans les campagnes de Montrose, le major et John Gudyill continuèrent la guerre avec tant de vigueur, qu’ils tinrent en échec, pendant très-long-temps, ce redoutable ennemi, le temps, avec lequel les vétérans retirés sont toujours en querelle pendant la fin paisible d’une vie agitée.

On a souvent remarqué que les nouvelles des événements importants volent avec une célérité presque incroyable, et que les rapports, assez exacts dans le point principal, mais fort inexacts dans les détails, précèdent la nouvelle certaine, comme s’ils étaient portés sur les ailes des oiseaux. De pareilles rumeurs anticipent sur la réalité, à peu près comme l’ombre des événements qui viennent[1] se présente à l’esprit du prévoyant montagnard. Harrison dans sa course apprit le résultat de la bataille ; et, rempli de consternation, il reprit le chemin de Tillietudlem.

Son premier soin fut de chercher le major. Il l’interrompit au milieu d’un long récit du siège et de l’assaut de Dundee, en s’écriant : « Dieu veuille, major, que nous ne voyions pas un siège de Tillietudlem avant qu’il soit long-temps ! — Qu’est-ce, Harrison ? Que diable voulez-vous dire ? » s’écria le vétéran tout étonné. — Vraiment oui, monsieur ! on dit, et ce bruit s’accrédite d’heure en heure, que Claverhouse est entièrement défait, d’autres disent tué ; que les soldats sont totalement dispersés, et que les rebelles viennent de ce côté, menaçant de mort et de dévastation tout ce qui ne veut pas adopter le Covenant. — Je ne croirai jamais cela ? » dit le major en se levant subitement ; « je ne croirai jamais que les gardes-du-corps aient fui devant des rebelles ! Et pourquoi parlé-je ainsi, » continua-t-il en se modérant, « quand moi-même j’ai vu pareille chose ? Envoyez Pike avec un ou deux des domestiques chercher des nouvelles, et que tous les hommes du château et du village à qui on peut se fier prennent les armes. Cette vieille tour les arrêterait quelque temps, si elle était approvisionnée et si elle avait une garnison ; elle commande le passage qui sépare les terres basses des terres hautes. Il est heureux que je me trouve ici ! Allez recruter des hommes, Harrison ; vous, Gudyill, voyez quelles sont vos provisions, et ce que vous pourrez y ajouter, et soyez prêt, si la nouvelle se confirme, à abattre autant de bœufs que vous aurez de sel pour les saler. Le puits ne se dessèche jamais ; il y a de vieux canons antiques sur les batteries ; si nous avions seulement des munitions, nous nous tirerions d’affaire. — Les soldats ont laissé quelques caissons de munitions dans la grange, ce matin, pour y attendre leur retour, dit Harrison. — Dépêchez-vous donc de les faire entrer au château, dit le major, ainsi que toutes les piques, les épées, les pistolets, les fusils qui se trouveront sous votre main : ne laissez pas seulement un poinçon. C’est fort heureux que je me trouve ici ! Il faut que je parle à ma sœur. »

Lady Marguerite Bellenden fut stupéfaite en apprenant cette nouvelle aussi inattendue qu’effrayante. Il lui avait semblé que la force imposante qui avait quitté son château dans la matinée devait suffire pour mettre en déroute tous les mécontents d’Écosse, eussent-ils été réunis en un seul corps ; et sa première idée fut qu’elle ne pourrait résister à une armée assez forte pour avoir défait Claverhouse et des troupes d’élite. « Le malheur me poursuit ! le malheur me poursuit ! dit-elle : à quoi servira tout ce que nous pourrons tenter, mon frère ? à quoi servira la résistance, sinon à amener une ruine certaine sur cette maison et sur ma chère Édith ! car Dieu sait que je ne m’inquiète point de mon existence. — Allons, ma sœur, dit le major, il ne faut pas vous décourager : la place est forte, les rebelles sont ignorants et mal approvisionnés : la maison de mon frère ne deviendra jamais un antre de voleurs et de rebelles, tant que le vieux Miles Bellenden y sera. Ma main est plus faible qu’elle ne l’était ; mais, grâce à mes cheveux gris, j’ai encore quelque connaissance de la guerre. Mais voici Pike ; il nous apporte des nouvelles. Quelles nouvelles, Pike ? Encore une affaire comme Philiphaugh, hein ? — Oui, oui, » dit Pike tranquillement ; « une déroute complète. J’ai bien pensé ce matin qu’il n’arriverait rien de bon de leur nouvelle manière de porter leurs carabines. — Qui avez-vous vu ? de qui tenez-vous ces nouvelles ? demanda le major. — Oh, de plus d’une demi-douzaine de dragons qui au grand galop luttent à qui arrivera le premier à Hamilton. Ils gagneront le prix de la course, j’en réponds ; gagnera la bataille qui voudra. — Continuez vos préparatifs, Harrison, dit l’alerte vétéran ; faites entrer vos munitions et tuer le bétail. Envoyez au bourg chercher autant de farine que vous pourrez ; ne perdons pas un instant. Ne vaudrait-il pas mieux qu’Édith et vous, ma sœur, vous vous rendissiez à Charnwood, tandis que nous avons les moyens de vous y envoyer ? — Non, mon frère, » répliqua lady Marguerite, pâle mais ferme ; « si l’on doit attaquer la vieille maison, j’y resterai, et j’attendrai le résultat ; J’en ai fui deux fois dans ma vie, et à mon retour je l’ai trouvée dépourvue de ses habitants les plus braves et les plus beaux ; ainsi j’y demeure, et j’y finirai mon pèlerinage. — C’est peut-être, après tout, la marche la plus sûre pour Édith et pour vous, dit le major ; car les républicains se soulèveront tout le long du chemin d’ici à Glasgow, de sorte que votre voyage ou votre séjour à Charnwood serait dangereux. — Ainsi soit-il donc, dit lady Marguerite ; et, mon cher frère, en qualité de plus proche parent de défunt mon mari, je vous délègue, par ce symbole (elle lui remit le respectable bâton à pomme d’or du défunt comte de Torwood), la garde, le gouvernement et le sénéchalat de ma tour de Tillietudlem, et tous les droits qui y sont attachés, avec plein pouvoir de tuer, détruire et chasser tous ceux qui l’attaqueront, aussi librement que je le ferais moi-même. Et j’espère que vous la défendrez ainsi qu’il convient à une maison où Sa très-sainte Majesté n’a pas dédaigné… — Bon ! bon ! ma sœur, » dit le major en l’interrompant, « nous n’avons pas le temps dans ce moment de parler du roi et de son déjeuner. »

Et sortant promptement, il courut, avec toute la pétulance d’un jeune homme de vingt-cinq ans, examiner l’état de sa garnison et surveiller les mesures qu’on prenait pour la défense de la place.

La tour de Tillietudlem avait des murs très-épais, des fenêtres très-étroites, et les murs de la cour étaient aussi très-forts, flanqués de tours du côté accessible, et de l’autre s’élevant du bord même du précipice ; elle était donc pleinement en état de se défendre contre toute attaque, excepté contre l’artillerie.

La famine ou l’escalade était ce que la garnison avait de plus à craindre. En effet, le haut de la tour était garni de quelques vieilles pièces de remparts et de petits canons qui portaient les noms antiques de couleuvrines, de canons de murailles, de demi-bâtardes, faucons et fauconneaux. Le major, à l’aide de John Gudyill, les fit charger, et les pointa de manière à commander la route qui passait au-dessus de la montagne en face et que devaient suivre les rebelles pour avancer, faisant en même temps abattre deux ou trois arbres qui auraient nui à l’effet de l’artillerie. Il fit prendre les troncs de ces arbres, y joignit d’autres matériaux, et fit construire des barricades dans l’avenue sinueuse qui montait de la grande route jusqu’à la tour, ayant soin que chacune dominât sur l’autre. Il fit barricader encore plus fortement la grande porte de la cour, ne laissant d’autre passage qu’un guichet. Ce qui l’inquiétait le plus était la faiblesse de sa garnison ; car tous les efforts de l’intendant n’avaient pu faire prendre les armes qu’à neuf hommes, en y comprenant lui-même et Gudyill : tant la cause des insurgés était plus populaire que celle du gouvernement ! Le major Bellenden et son fidèle serviteur Pike complétaient un nombre de onze personnes. On aurait bien fait la douzaine, si lady Marguerite eût consenti à laisser reprendre les armes à Goose Gibbie ; mais elle se refusa à la proposition que lui en fit Gudyill. Le souvenir désagréable des premiers hauts faits de ce malheureux cavalier était si vif en elle, qu’elle déclara préférer que le château fût perdu plutôt que de l’enrôler pour le défendre. Ainsi avec onze hommes, en se comptant, le major Bellenden se décida à défendre la place jusqu’au dernier soupir.

Ces préparatifs de défense ne se firent pas sans cette confusion qui accompagne toujours de pareilles circonstances. Les femmes criaient, le bétail meuglait, les chiens hurlaient, les hommes couraient çà et là, jurant sans relâche. Le déplacement des vieux canons ébranlait les remparts ; la cour retentissait du galop des messagers qui allaient ou revenaient chargés de commissions importantes, et le bruit des préparatifs de guerre se mêlait aux lamentations des non combattants.

Le fracas d’une pareille tour de Babel aurait réveillé les morts, et, par conséquent, ne tarda pas à rompre le sommeil agité d’Édith Bellenden. Elle envoya Jenny pour apprendre la cause du tumulte qui ébranlait la tour jusque dans ses fondements ; mais Jenny, une fois au milieu de ce désordre, eut tant de choses à entendre, tant de choses à demander, qu’elle oublia l’état d’anxiété de sa jeune maîtresse. N’ayant pas de colombe qu’elle pût envoyer en quête quand son corbeau messager ne revenait pas auprès d’elle, Édith fut contrainte de sortir de sa chambre, et de subir l’assaut de six voix parlant à la fois, qui lui apprirent, en réponse à sa demande, que Claverhouse et tous ses hommes étaient tués, et que dix mille républicains venaient assiéger le château ; qu’ils avaient à leur tête John Balfour de Burley, le jeune Milnwood et Cuddie Headrigg. Cette étrange association de personnages semblait indiquer la fausseté de toute l’histoire, et cependant le mouvement général indiquait qu’on redoutait certainement quelque danger.

« Où est lady Marguerite ? demanda ensuite Édith. — Dans son oratoire, » répondit-on : c’était une cellule attenante à la chapelle, dans laquelle la bonne vieille dame avait coutume de passer la plus grande partie des jours destinés par l’église épiscopale aux devoirs religieux ; elle s’y rendait aussi aux jours anniversaires de celui où elle avait perdu son mari et ses enfants, et enfin, à ces heures où elle adressait au ciel des prières ferventes et solennelles à l’occasion de quelque calamité nationale ou domestique. — « Où donc est le major Bellenden ? » dit Édith fort alarmée. — Sur le haut de la tour, madame ; il pointe les canons, » lui répondit-on.

Elle se rendit alors près des batteries, bien qu’arrêtée en chemin par mille obstacles, et trouva le vieux gentilhomme au milieu de son élément naturel, commandant, grondant, encourageant, donnant ses instructions : bref, exerçant tous les devoirs d’un bon gouverneur.

« Au nom du ciel, qu’y a-t-il, mon oncle ? s’écria Édith. — Ce qu’il y a, ma nièce ? » répondit tranquillement le major, tandis que, ses lunettes sur le nez, il pointait un canon ; « ce qu’il y a ? mais… Levez encore un peu la culasse, John Gudyill… Ce qu’il y a ? mais Claverhouse est en déroute, ma chère, et les républicains viennent en force sur nous ; voilà tout ce qu’il y a. — Puissance céleste ! » dit Édith, dont les yeux se portèrent en même temps sur la route qui côtoyait la rivière ; « et les voilà là-bas ! — Là-bas, où ? » dit le vétéran ; et parcourant des yeux la même direction, il aperçut un gros corps de cavalerie qui descendait la route. « À vos pièces, mes amis ! » s’écria-t-il d’abord ; « nous leur ferons payer le passage quand ils traverseront la rivière. Mais, attendez, attendez, ce sont certainement les gardes-du-corps. — Oh, non, mon oncle, non, reprit Édith. Voyez comme ils sont en désordre, et comme ils conservent mal leurs rangs, ce ne sont pas là les beaux soldats qui nous ont quittés ce matin.

— Oh, ma chère enfant ! reprit le major, vous ne savez pas quelle différence il y a entre des hommes avant une bataille et après une défaite ; mais ce sont les gardes-du-corps, car je distingue le rouge et le bleu des couleurs du roi. Je suis bien aise qu’ils aient sauvé leur étendard.

Son opinion se confirma quand les troupes, s’étant approchées, firent halte devant la route qui conduisait à la tour, tandis que leur officier commandant, les laissant reprendre haleine et rafraîchir leurs chevaux, galopa vers la colline.

« C’est Claverhouse assurément, dit le major ; je suis charmé qu’il ait échappé : mais il a perdu son fameux cheval noir. Allez avertir lady Marguerite, John Gudyill. Faites préparer des rafraîchissements ; donnez de l’avoine pour les chevaux des soldats, et rendons-nous dans la salle, Édith, pour le recevoir. Je crois que nous n’apprendrons que de bien tristes nouvelles.



  1. The shadows of coming events, expression de Thomas Campbell dans sa belle ode ayant pour titre Lochiel, devin qui prédit la bataille de Culloden, où fut perdue la cause des Stuart. a. m.