Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise II/Frontispice

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L'HISTOIRE

VERITABLE,

OV

LE VOYAGE DES PRINCES

FORTUNEZ.


ENTREPRISE SECONDE

PREPARATION.


E Soleil apres plusieurs malignitez de temps, r’amenant les beautez du iour, qui font esperer que les fascheries, que causoit l’importunité de la mauuaise saison cesseront, ne lance point tant de lumiere, que l'Empereur de Glindicee en imagine, par les consolations auantageuses qu'il reçoit, de toutes ses delicieuses rencontres, qui le courent à pleines ondes de felicitez. Et semble que le surcroist de propperité luy en vueille. C'est l'ordinaire que quand le mal ou le bien auiennent, ils abondent en leur exquise rencontre, & l'excès s'en remarque en la suite de ce qu'ils produisent. Nous le voyons en cette

court, & nous participions à ce bien, comme au doux ombre qui delecte les amis. Auſſi tous ces bons progrez ne nous eſtoyent qu’vne agreable figure, car rien ne nous touchoit que noſtre propre deſir, en la pointe duquel nous nous inſinuames aux belles graces des Fortunez, & nous auint vne fauorable commodité : C’eſt que l’Empereur qui prenoit cognoiſſance de tout, & qui nous auoit remarquez, & ſingulierement à cauſe du deuoir que nous rendions aux Fortunez, voulut ſçauoir qui nous eſtions. Il nous fit appeller & nous parlaſmes à ſa Majeſté, qui nous enquit de noſtre nation & condition, à quoy nous reſpondiſmes à noſtre ſeurté, & à ſon gré, que nous eſtans r’amaſſez, tant gentilshommes qu’autres, tous eſtions curieux, & meus du deſir de voir & entendre : A la verité nous ayās gouſté, il ſe monſtra en noſtre endroit, non ſeulemeent debonnaire, mais admirablemët accompli en charité : car ayant aucunement diſcerné nos deſſeins, ne nous voulut pas moleſter ou inquieter d’interrogations, mais nous ſoulager magnifiquement en la tendreur de nos entrepriſes : Il nous commāda de le ſuyure, ſans nous deſtourner pour occaſion que ce fut, nous aſſeurāt amiablement, que puis que noſtre fortune nous auoit addreſſez par ceſte voye, qu’il falloit neceſſairement continuer, & que fuſſions attentifs d’accompaigner ſes entrepriſes, ſelon leſquelles il nous reuſſiroit du bien, d’autant qu’ayant pris ce train, nous n’euſſions peu trouuer autre voye pour noſtre cōqueſte, à l’effet de laquelle il nous promit ayder & aſſiſter, à cauſe de ſon amitié vers les curieux. Ayans ceſte commodité donc nous vſaſmes le plus prudemment qu’il nous fut poſſible, , & nous façonnant à ſi glorieuſe habitude, nous euſmes cognoiſſance la plus part de ce qui ſe paſſoit, Meſmes le Sage qui preſidoit au conſeil de l’Empereur, fut noſtre amy : ce qu’il me manifeſta particulierement, me communiquant vne admirable inuention de cabinet, qu’il auoit propoſee à ſa Majeſté, & que les Fortunez approuuerent, d’autant que c’eſtoit touſiours adiouſter moyen ſur moyen pour diuertir l’Empereur, & le confirmer en la gaye pēſee de ſa ioye future, car tandis que les preparatifs ſe faiſoyent, il le falloit entretenir de ce qui conuenoit à ſon eſprit : Et puis ces grandes ames capables de tant de ſujets, cognoiſſans tant d’affaires, ambraſſans tant de deſſeins, & ſuſceptibles de continuels obiets, & de notable merite, ne peuuët eſtre arreſtees à vn vnique, il eſt neceſſaire qu’ils en ayēt infinis, parquoy entre tels entretiens, qui tous les iours ſ’entreſuiuoyēt, ce cabinet lui fut propoſé lequel il gouſta ſagement, & ſ’eſtant eſgayé apres ceſte belle induſtrie, il determina de faire baſtir vn pauillon, au plus bel endroit du Palais de la fōtaine, pour y colloquer vn tant exquis labeur, duquel il fera vn beau preſent à Etherine à ſon retour, en ſigne de l’amour, fidelité & paſſions de leurs eſprits, qui ſe repoſe tôt en la gloire de leur mutuelle rēcōtre, laquelle deſia il retrace és mouuemēs, figures, proportions & beaux paremēs de ce rare edifice. Le voyant en ceſte excellente humeur, & qu’il auoit agreable d’eſtre entretenu de tout ce qui auoit de l’attrait à ſon plaiſir, ie lui chanté vn hymne ſur le ſujet de ſon cabinet, & prenant le temps à propos ſans quoy ce qui eſt plus auantageux en perfection deſchet de grace, ie lui fis voir & entēdre ce qui en eſtoit, & ce ſous les accords que les Fortunez en auoyent deſignez, & par la conuenance deſquels l’ame fut donnee à cet aer, dont les paroles & le chāt, fut l’occupatiō de la court vn peu plus longtemps, que les belles pointes & galantes rencontres n’ont accouſtumé, pource que chacū en vouloit iuger, & les Dames pour monſtrer la beauté de leurs entendemens en diſcouroyent. Ayēs le plaiſir d’ouir auſſi ces effets de la meditation de mon cœur qui n’imagine rien que de grand.

Ceſſés diſcours enflez des actes orgueilleux
De ceſte antiquité qui s’eſt tout fait accroire,
Periſſez auiourd’huy deſſeins audacieux
Car vn trait plus hardi ſupprime voſtre gloire,
S’eſcoule ſans humeur ce criſtal admiré *[1]
Des eſprits qui ſcauoyent diſcerner la ſcience,
Bien qu’en luy fut au vif tout l’vniuers tirè
Si n’eſt-il rien au pris de ceſte experience.
L’aſtrolabe magic ou ce grand Empereur,
Ciſela l’auenir de la grand’Republique,
N’auoit rien de ſecret, n’auoit rien de grādeur,
Au prix de l’accōpli de ce chef d’œuure vnique.
Qu’on vole dans les cieux qu’on fouille les enfers,
Que l’on raſe les mers, qu’on eſpluche la terre,
On ne trouuera rien que les ſuiets diuers
Que ce grand lieu petit abondamment enſerre :
Artifice admirable & merueilleux ſuccés
Des deſſeins d’vn eſprit releué ſur nature,

Unique cabinet, tu contiens par exces
Tout l’eſtat du creé & tout l’art de facture.
De la ſource du feu la ſemence eſt icy,
Dont le Soleil doré ce pourpris illumine,
On recognoiſt la nuict en ce ciel racourcy,
Ou la Lune en ſon cours exactement chemine.
Tous les aſtres y ſont auec leurs qualitez,
Auſſi leurs mouuemens y ont leurs influences,
Et en proportion de toutes quantitez
Ils produiſent en bas, les meſmes excellences :
Qui peut imaginer le trait ingenieux
Qui fait eſtre & mouuoir ceſte exquiſe machine,
Il eſt en l’eſchelon ou l’eſprit glorieux,
Commence à ſe porter à la gloire diuine.
Mortels nous n’auons pas encor les paſſions,
Qui pouſſent par eſlans à ſi grandes extaſes,
C’eſt aſſez d’en auoir en nos deuotions,
Contenans nos deſſeins en ſes petites baſes.
Tout ce qui eſt mauuais procede du malheur
Infus par le peché de noſtre grand enceſtre.
La terre le produit, & puis par la faueur
Du correcteur de tout le bon on en void maiſtre.
Au ſolide plancher du plan inferieur
Reſide l’excellent de ce rare edifice,
Tout ce que le bon art façonne de meilleur,
S’y trouue abōdamment, car s’en eſt la matrice.
Icy eſt en liqueur des Peres reueré
Le Royal scyllitin qui conſerue la vie,
Et le meſlange ſaint des Dames deſiré
Pour engendrer des Dieux la pudique Ermeſie.
L’œil ſera bien heureux qui aura l’heur d’y voir
Le parfait Nepentez le pere de lieſſe,
Cet abiſme de bien qui fait par ſon pouuoir,

Fuir la maladie & durer la jeuneſſe.
De tout ce que l’on peut faire operation,
Le Magiſtere y eſt, le Mercure, l’eſſence,
Le ſouffre, le lixir, la ſeparation,
Le ſel, le ſpecific, l’arcane, la ſubſtance.
Que ſert de deſigner cet œuure precieux,
Si vous ne l’animez pour ſa proche naiſſance,
Prince vnique entre ceux qui attirent les yeux
Des plus galans espris qui cerchent l’excellence.
Ce ſujet eſt ſi grand, qu’il eſt d’vn grand l’hōneur,
Excitez le, car c’eſt vn œuure de memoire,
Celuy qui l’a tracé n’en ſera que facteur,
Vous en aurez le bien, le plaiſir, & la glaire.
Les diſcours ſont petits, ie voudrois auoir l’heur
De dire vos vertus & en eſtre capable,
Ma voix iroit ſi bien auec voſtre grandeur,
Que mon diuin accent ſeroit inimitable.
Ayant pour m’exercer vn champ ſi ſpacieux,
I’y ſerois tant parfait, & ia dire ie l’oſe
Que meſme vous ſeriez de ma gloire enuieux,
Si ſeul vous n’en eſtiez & l’auteur & la cauſe.

Beaux eſprits voyez, cōſiderez, pēſez, gouſtez, & iugez, & quād vous aurez apperceu quelque bluette ou plus de ceſte verité, vous aurés regret, vo° aurés grand dueil, que ceci s’eſt paſſé en tēps que vous n’y eſtiés pas, & ſi vous eſtiés presés, vo° vo° deſpeceriés de defplaiſir de ne l’auoir pas cognu.

En ces occupations nous attendions le départ de l’Empereur, non point ſeulement à cauſe de l’honneur que nous lui deuions, ou ſeruice que lui euſſions voué ou deu, ou pource que nous luy euſſiōs de l’affection, mais principalemēt (cōme c’eſt l’ordinaire des ſuyuans) pour noſtre propre commodité. Car rien ne nous agitoit que nos grands deſſeins, riē ne nous contraignoit que nos belles penſees, rien ne nous opiniaſtroit à ce deuoir que nos heureuſes conceptions, & rien n’ēportoit nos deliberatiös, que les ſerieuſes fātaiſies qui nous attiroyēt à la conqueſte de la parfaicte Xyrile, pour l’amour de laquelle nous auions de la patience, noſtre cœur ſ’obligeoit à vne ſeruitude honneſte, noſtre ame ſe ſubmettoit a vne obeiſſance volontaire, & noſtre courage ſe proportionnoit à l’aparence qui nous eſtoit vtile ; ayant inceſſamment l’œil & le deſir ſur les Fortunez, deſquels par vne diligente enqueſte, nous apriſmes l’origine, les conditiōs, & les auantures depuis leur enfance. Et pource que ie ſcay qu’il vous ennuye que vous ne les cognoiſſez : Ores que l’Empereur & les ſiens ſont occupez, & ſans qu’ils ſ’en apperçoiuét, ie vous racōteray ce que i’en ſcay, le retraceant apres la verité ſans fraude & ſans enuie, mais ſelon le plaiſir que l’integrité de mon cœur ſ’en propoſe.


  1. C’eſt la ſphere à Archémédes.