L’histoire véritable, ou Le voyage des princes Fortunez de Beroalde de Verville, 1610

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A LA ROYNE


ADAME


Ces Princes qui ont la perfection pour but de leurs belles Fortunes, ayant eſté conduits par les plµs legitimes ſentiers du monde, à la fin ſe rendent au terme deſiré, venant en ceſte Court, qui est la plus magnifique de l'Vnivers : Car à la lumiere de vos vertus, l'ombre du vice est tellement diſſipé, qu’il ne paroiſt plus ; l’honneur & tout ce qui en procede y multiplie, & l’innocence des parfaites fleurs de l’Oriflam y croiſt sous l’aiſle de voſtre Majesté, en eſperāce que les feüilles en couuriront la face de la terre. Ces excellences sont l’occaſion que ces voyageurs se donnēt à vous, pource qu’ailleurs ne peut reüſſir la gloire de leurs deſſeins ; Et puis, tout vous est deu.




BEROALDE.



AVIS AVX BEAVX


ESPRITS,


Touchant le voyage des Princes Fortunez, qui est vn œuure Steganografiqve, contenant ſous le plaisant voile des diſcours d'Amour, tout ce qu'il y a de plus exquis és ſecrets recherchez par les curieux des bonnes ſciences.


ESTANT delecté aux ouurages de plaisir, suyuant auidement les delices d'eſprit où ma curioſité me portois, i'ay eu enuie de faire part de mon contentement à ceux qui ſeront eſmeus de semblable fantaſie, & qui incitez par beaux deſirs, ont volōté de ſe recreer aux objets de perfectiō, leſquels on peut remuer en toute seurté pour ſ'en resiouir Et par les richesses des secrets que l'on y descouvre tous les iours, recognoistre ce grād DIEV, qui en quelque petit ſuiet que ce ſoit, enuelope une infinité de choſes dignes d'eſtre cognues. Or pource que ſi ie traictois ces magnificences apertement, il

n’y auroit pas tant de grace, ie me ſuis mis à retracer mes gentillesses ſelon l’art Steganografique, afin que cecy qui eſt ſi digne, fut plus orné & dauantage deſiré & cheri, & qu’ainſi cet œuure peuſt eſtre agreable à tous : A ceux qui ne pretendent qu’à l’apparēce par la nuë apparēce qui les ſatisfera, & aux rechercheurs plus ſubtils par les énygmes que l’inuention nous fournit, leſquelles ils eſplucheront & se contenteront. Et à ce que ceux qui ne ſauent encor que c’est que de cet artifice, par lequel nous uoilons, ce qu’il nous uient à gré d’offrir aux yeux ; ie dis que la Steganografie eſt l’art de representer naïuement ce qui est d’aiſée conception, & qui toutefois ſous les traits eſpoißis de ſon apparence cache des ſuiets tout autres, que ce qui ſemble eſtre proposé : Ce qui est practiqué en peinture quand on met en ueuë quelque païsage, ou port, ou autre pourtrait qui cependant muse ſous ſoy quelque autre figure que l’on diſcerne quand on regarde par un certain endroit que le maiſtre a designé. Et außi s’exerce par escrit, quand on discours amplement de suiets plausibles, lesquels enuelopent quelques autres excellences qui ne sont cognues que lors qu’on lit par le ſecret endroit qui deſcouure les magnificences occultes à l’apparence cōmune ; mais claires & manifeſtes à l’œil & à l’entendement qui a receu la lumiere qui fait penetrer dans ces diſcours proprement impenetrables & non autrement intelligibles. Et cependant voyant ces diſcours figurez, ces diuerses tapiſſeries, ne penſez point y trouuer un Amour uicieux : Et uous, belles Dames, n’eſtimez pas y rencontrer les inuentions des appas qui enlacent les ames en des concupiſcences iniques. Il n’y a rien icy que chaſte, le contraire eſt reiecté ou puni, Et vous Orateurs qui couuez la uolupté en voſtre ſein, qui la degoiſez sur vos theatres, pour ce qu’elle uous maſtine le cœur, ne uenez pas icy apprendre à diſcourir, car cecy ne ſent rien moins que ce que voſtre entendement cuide, & voſtre outrecuidance preſume, oſtez uous d’icy infames, & n’infectez point ces traits delicatement formez aux douces eſtincelles de uertu. Mais uous, chaſtes cœurs, eſprits debonnaires, courages pudiques plein de charité, uenez uers ces obiets d’amour licite, uenez y trouuer des abiſmes de contentemens, & en deueloppant ces precieuſes raretez, deſcouurez pour voſtre bien les precieuſes rencontres que couurent ces delicieuſes apparences. En fin ie uous auiſe, que ſi uous obtenez quelque fin de ſouhait par ces inuentions, que uous en ſachiez gré à Mōsieur M. Pierre Brochard, ſieur de Marigny, Conſeiller du Roy, Maiſtre de Requeſtes ordinaire, lequel unique & parfait amy, & Mœcenas m’a dōné les beaux loiſirs qui font eſclore ces beautez. C’eſt luy qui eſt l’Aſtre de mon bonheur, & ie luy en donne la gloire, cōme eſtant l’organe dont Dieu s’est ſervi pour m’animer entre les mortels. Outre plus, i’ay eu pour ſtimulation non seulement, ains außi pour fourniture d’esſtofes Monsieur le Digne, ſieur de Condes, qui me connoiſſant preſque dès la ſortie de l’enfance, & ſachant l’inclination de mon eſprit, & les practiques qui m’occupent, m’a dōné des memoires qu’il auoit recueillis de pluſieurs œuures eſtrangeres, doctes & antiques, tendant à meſmes fins : & de son beau labeur i’ay pris ce qui m’a ſemblé se rapporter à mes intētions, & pour n’eſtre point ingrat, ie ueux dire que ce qu’il m’a donné m’a fait inuenter le reſte, & l’adapter ſelon l’analogie de l’ouurage. Or, Belles ames, ſauourez voſtre propre contentemēt, & cognoiſſez que ce que nous faiſons n’eſt que pour uous : Car ie ne fais eſtat que des eſprits de merite, & qui ſe plaiſent à la uertu.


Plus auant vous le lirez,
Et plus au cœur vous l’aurez.

Vir inſipiens non agnoſcet & ſtultus non intelliget hæc. Pſalm. 92

Quelqu’vn me lira enuieux
de la gloirc qu’on me doit rendre,
Lequel taſchant à faire mieux,
Me feuillettera pour apprendre.


BEROALDE.
.
Ni pour ſalaire,
Ni pour complaire.
STANCES,

SVR LE SVIET DE

CET OEVVRE,


Au Sieur de Verville.


Es viuantes ardeurs des flames amoureuſes

Portent leurs mouuemens sur l’eſſence du beau.
Car la Beauté contraint les ames genereuſes
De prendre iour au raiz de l'amoureux flābeau.


Tout ce qu’Amour projette, & tout ce qu'il propoſe,
N’eſt peint que ſur l’object de la meſme Beauté,
Si quelque bel eſprit à l'honneur se diſpose
Son deſir est touſiours sur l'Amour Arreſté


Mais ce qu’on dit d’Amour n’eſt pas ce que l'on pēse.
Le commun n’entend pas ces belles notions,
Les eſprits serieux en gardent la ſcience,
Les autres vont au vent de leurs opinions.


Ceux qui touchez d’Amour à ſes graces aſpirent
Comme chers fauoris de la table des Dieux,
Ne ſont point attachez aux ſujets que deſirent
Ceux qui cerchent la terre & negligent les cieux


Ç’eſt ainſi que l'on voit les choſes plus parfaictes,
Que l'on cognoiſt l'Amour en ſes eſlancements,
Alors qu'en ce tranſport les ames ſont diſtraictes,
Par l'heureuſe douceur de leurs contentements.


Mais ces belles Amours ne ſont pour toutes ames,
Chacun ne peut porter de ſi nobles deſirs,
Ceux qui ſont epurez dedans ces belles flames
Cinglent le uent en poupe, au haure des plaiſirs.


I’auois cogneu iadis aux terres eſtrangeres
Des Princes Fortunez les loüables Amours,
Mais ie n’auois pas ueu les importans myſteres
Que Veruille a tiré de mes libres diſcours.


J’allois ſuyuant ma route où le soleil ſe monſtre,
Pour ſi loing contenter mes curioſitez
Mais ie n’auois compris ſinon ſur ce rencontre
Que le parfaict ſe faict dans les diuerſitez.


Ce n’est aſſez de uoir les mœurs & les polices,
Des peuples eſtrangers, les uilles & les ports,
Veruille plus ſubtil, fonde les artifices,
Tire la quinte essence, & uoit tous les reſſorts.


Vous qui uous delectez de la grace accomplie,
Si uous leuez le uoile, & le bandeau d'Amour,
Vous uerrez la beauté de ſon luſtre accomplie,
Eſtre l'honneur du monde, & la clarté du iour.


Deſſous ces beaux deſſeins, que l'Amour a fait naiſtre
Sont cachez les treſors des myſteres parfaicts,
Heureux le iuste Amant qui les peut recognoiſtre
Et iuger de la cauſe en uoyant les effects.


Plus uous deſtournerez le creſpe de ces uoiles,
Plus uous aurez d'Amour, de flames, & d'ardeurs,
Et plus uous tirerez le rideau de ces toilles,
Plus uous deſcouurirez de celeſtes grandeurs.





C'eſt aſſez beaux esprits, il ne faut pas tout dire.
Si vous ſentez d'Amour quelque diuin effort,
Vous ſçaurez par amour, les trais d'Amour eſlire,
Et iugerez qu'Amour est tousiours le plus fort.


Braues Enfans du Ciel de conſtance louable,
Qui cherchez curieux les ſecrets plus hardis,
Si uous ſuyuez d'Amour l'ordōnance immuable,
Vous ferez de la terre un petit Paradis.




N. le Digne
Sieur de Condes













EN FAVEUR DV

SR DE BEROALDE.



SOrtez des monumens, Philoſophes antiques,
Qui giſez endormis ſous le faix du tombeau,
Ouurez vos yeux aux rais de cet aſtre nouueau,
Qui comme un beau ſoleil eſclaire à uos reliques.


Admirable flambeau qui parmi la nuict ſombre,
De uos uieilles erreurs, eſclaire à nos eſprits,
Et perçant le broüillas qui couure uos eſcrits
Tire un iour d'une nuict, la lumiere de l'ombre.


Sous le silence obſcur des choſes retenues,
Que le temps reſeruoit à la posterité,
Paroiſſent aux rayons de la belle clarté,
Comme aux rais du ſoleil les choses ſont cognues.


Fleur ſur le printemps de ſa ſaison premiere,
Plus de flammeux rayons, que uous en uoſtre eſté,
Et au point de son iour, plus de uiue clarté
Qu'au midy de uos ans uous n'auiez de lumiere.


Dans l’abiſme profond des œuures de Nature,
Vos yeux bien que ſubtils, se trouuoient empeſchés.
Mais les points plus ſecrets qui uous eſtoient cachez.
Les deſtins les gardoient pour ſa gloire future.


Tous les traits plus parfais de la Philoſophie.
De uostre âge ignorez, ou du noſtre oubliez ;
En ce ſiecle par luy, ſont au iour publiez,
ſiecle qui d’un tel bien sur uöus ſe glorifie.


O ! des uieux temps l’enuie, & du noſtre la gloire ;
Les delices du ciel, du monde l’ornement,
Eſprit dont la grandeur excede infiniment
L’eſpoir de l’auenir, du paſsé la memoire :


Vous deuiez luire au ciel, non parmi la pouſſiere
Naiſtre comme une fleur en ces terreſtres lieux,
La terre y euſt perdu, mais il ualloit bien mieux,
La terre eſtre ſans fleur, que le ciel ſans lumiere.


N. Chavvet, Blaiſois.








SONNET

DE ROLAND BRISSET,

SIEVR DV SAVVAGE.


Au Sieur de Verville, sur

son Histoire veritable.



’Inimitable Homere au iugement d’Horace,

Mieux & plus pleinement que Chryſippe & Crantor
Du deuoir, de l’honneſte, & de l’utile encor
Parle és deux beaux ſujets que ſa Muse compaſſe :
Mais à mon iugement, meſme Homere tu paſſe,
Voilant ſous les replis de ceſte gaze d’or
Cent discours de vertu que tu mets à l'eſſor,
Où auec le plaiſir le profit s'entrelaſſe,
Le sage Alcidamai l’Odyssee appelloit
Le miroir de la vie, où chacun ſe reglolt :
Tel la nomme autrement cōme il la trouue utile :
Si tu n'auois icy ton liure intitulé,
Ie ſerois ſon parrain, & ſeroit appellé
le Miroir des Seigneurs, & d’honneur domicile.




οίζ τό άυτό.

Ζήσεται Βερβιλία γλυκερόζ πόνοζ, ήδεσι μηγούζ

Όπλα τ, κ τερπνω ούασιν ίσνείαν.








TABLE DV CONTENV

AV LIVRE DU VOYAGE

des Princes Fortunez

______________________________


ENTREPRISE I.


FRONTISPICE. 
 
1




ENTREPRISE II.


PREPARATION


FRONTISPICE. 
 
208



ENTREPRISE III.


PRELVDE


PRELVDE. 
 
445
____________________________________________________________

ENTREPRISE IIII.

ENTREE

ENTREE


ENTREE. 
 
710
PRIVILEGE. 
 
P












L’HISTOIRE

VERITABLE,

OV

LE VOYAGE DES PRINCES

FORTUNEZ.

ENTREPRISE PREMIERE :

FRONTISPICE.




Es Rois verront icy la gloire de leurs magnificences, les Grands qui ont fait eſtat de la Vertu, iugeront par ces diuerſitez des fruicts heureux que produisent les actions genereuſes : Et les Dames pudiques iettant l’œil sur ces trauerſes y remarqueront les fideles profits qu’apportent les passions legitimes conduites par la Raison : Car toutes ames d’honneur que la curiosité pouſſera vers ces recherches, diſcerneront en ces meſlanges les effects accomplis qui reüſſiſſent abondamment du Devoir. Mais ie demande pardon au Ciel, à l’Amour, & aux beaux eſprits, de ce que ie preſente indiferemment à tout le monde les excellens myſteres de perfection, pour ſouffrir meſmes les plus ineptes eſtre iuges de cet ouurage. Le Ciel me le pardonnera, d’autant qu’il m’a conduit auec les autres, qui tant plus ont excellé & plus ont eſté ſuiets aux iugemens des moindres, & de ceux qui eſtoient indignes d’y penſer, l’Amour m’excuſera pource qu’il veut que ſes feux paroiſſent ; & les beaux Eſprits me remettront ma faute, pour autant que leur loüange s’augmentera en ce qu’ils ſont ſeuls, auſquels i’adreſſe ces raretez pour leur y repreſenter ce que ie tiens d’eux : Si ie ſuis moindre que pluſieurs qui excellent, ma reputation fera qu’ils m’enſeueliſſent en l’honneur de leurs merites ; Si i’en egale quelques-vns, ils ſeront touſiours mes lumieres ; & ſi quelqu’vn taſche de me faire voir au deſſus de ma valeur, i’auray ce beau contentement de l’auoir eguillonné à la iuſte enuie qui nous meine tous vers le terme de felicité : Et ceux que ie ſurpaſſeray n’auront point honte de ma gloire, qui ſera le Fare de leurs eſperances. Doi-je craindre le haſard qui eſchet aux plus grāds ? Ces memoires auront-ils la diſgrace de tōber quelques fois entre les mains communes ? Les bouches ignorātes profereront-elles ces paroles qui enuelopent tant d’exellences ? Qu’il arriue ; Si est-ce que i’auray ce glorieux auantage pour conſolation, qu’il n’y aura que les ames d’intelligence qui conceuront ce qui eſt icy de notable, les prudens ſeuls l’entendront ; & ce qui eſt de beau ne fera point, le chant ny les paroles vagantes des indiſcrets : Et bien que parfois les aërs apparens en soyent poſſible reſonnez par les leures abiectes, le ſecret pourtant n’en ſera cognu que des Sages ; C’eſt ce que mon courage reſolu m’en fait penser. En cette liberté vous ayant pour guide aſtre de mon bon-heur, vous seul dont l’vnique faueur m’eſleue à produire ces grands deſſeins ; ie ne fay plus de difficulté d’eſtaler les precieux ſecrets de Sapience : Ie me licentie donc, & prenant carriere pour eſtre conduit aux vrais ſentiers d’Amour, ie m’adresse auſſi à vous Belle que ie reuere sous plusieurs de ces noms, eſquels la vertu reluit ; à vous lumiere de mon cœur de laquelle ie chante l’honneur sous ces feintes veritables où ie meſle mes deſirs, mes ſeruices, mes paſſions, & les galantises de ma dexterité : Prenez y plaisir, afin que ie trauerse heureusement toutes dispositions contraires à mes belles entrepriſes. Et vous tous qui participerez à ces delices, rezſiouyssez-vous d’icelles & les goustez ; Ne pensez pas que ces Rois ſoient causes de ces effects : Amour qui triomphe de tout, les a reduits ſous son obéissance pour les faire trophees de mes artifices : Ce n’eſt pas aussi pour leur seruices que ie m’occupe ; ie les fay seruir aux intentions qui eſlancent ma valeur : Ceux qui ſont maiſtres de leurs penſees sont Rois en leurs courages ; ce qu’ils honorent, est la loy & le loyer qui les contraint à mettre au iour ce qu’ils meditent. Ces escriuains qui se donnent de l’affliction au recueil des Hiſtoires dont possible ils ne ſçauent rien, pource que tout ce qui fort des humains, est souuent iuiet à ne conuenir à la verité. Ces pauures qui mercenaires se moleſtent l’ame à esſrire les actes des Grands, ſont ſeulement proclameurs de la gloire des autres, qui ont l’honneur entier des actions vertueuses. Ie ne ſeray point de la ſorte, car ſans eſtre suject à la calomnie qui les perſecute, ou aux reproches probables, ie me trace vne belle voye auec la Renommee, en laquelle ſans crainte ou ſoucy des censeurs iniques, ie m’eſgaye en mes precieuses inuentions. Ie ſeray le ſujet & le Heraut de mes geſtes, & sauourant ma vie, ie la dilateray à mon gré en ces beaux proiects, eſquels ie remarqie, voile, ou deſcouure industrieuſement parmy les mignons creſpes de ces deſſeins, ce qu’il y a de recommandable és plaisir d’esprit, recueüillant de quelques ouurages d’autruy ce qu’il falloit ioindre à mes agreables fantaiſies. ainſi meſtant le mien de ce que i’ay glorieusement enleué aux champs par leſquels i’ay passé, ie vay ſuyuant les pointes des occaſions qui m’attirent apres les idees, leſquelles me fourniſſent ces abiſmes de contentements en l’obiect de mes vertueuſes affections, & puis tout nous eſt permis. Et ma Belle ie vous proteſte que

Ce n’eſt point mon deſſein de dire des grandeurs.
Les Princes ny les Rois, ne ſont point ma penſee,
Amour domteur des grāds, monarque de tous cœurs,
D’vne plus belle pointe a mon ame eſlanncee.
Amour veut que raui de vos perfections
Je N’aye que vous ſeule obiet de ma memoire,
Que ie n’aye autre but preſſé de paſſions
Que uous le ſeul ſujet de mon unique gloire.
Les Rois ne me font rien, ie n’ay Rois que vos yeux
Qui ſeuls ſont ſur mon cœur abſolu en puiſſance,
C’eſt icy que ie veux paroiſtre ambitieux,
car ce fuiect est ſeul le ſuiect d’importance.
L’eſperance des Grands ne tend qu’à vanité,
La Fortune s’en ioüe, & le Temps la meſprise.

Mais des deſſeins tracés au iour d’une beauté
La fortune s’auance, & le Temps s’autorise
Auſſi ie ne pretends autre felicité
Que de me conſumier en ma fidelle flame,
Car ie ne recognoy que la ſeule beauté
Qui cauſe, & qui nourrit, ce beau feu dās mon ame.
Je n’ay point de deſir de Fortune ou d’eſpoir,
Que de me diſposer à uous faire ſeruice,
Mediter apres uous, & uous rendre deuoir,
Eſt de mon cœur heureux l’agreable exercice.
Vn doux aër de uos yeux bluettant doucement,
Plus que toutes grandeurs mon ame gratifie,
Je ne vay recherchant autre contentement
Que uiure de ces feux qui font uiure ma vie :
Ma Belle croyez moy que ie n’eſtime rien
Aupris d’auoir l’honneur de uoſtre belle grace,
Seulement le penſer, m’apporte tant de bien
Que tout autre deſir de mon eſprit s’eſface.
Ie ne practique point les Rois pour leur faueur,
Et ie ne diſcours pas ainsi qu’un mercenaire ;
Je ſuis aſſez contant de uous dire l’honneur,
Que i’ay de rechercher ma Belle à uous complaire.

Toutesfois quand les deſtours de mes penſees m’en donnneront le loiſir, & que ie m’auiſeray de preſter mon induſtrie aux geſtes recommandables de quelque Roy qui m’excitera dignement à manifeſter ſes vertus aux yeux du monde, il ny aura rien de galant que ie ne propoſe ; rien de braue que ie ne face briller, & rien de vertueux que ie ne face eſclatter : Et bien que parauanture les paroles que i’en retracerois, fuſſent de petite apparence, ſi eſt-ce que ſous l'humble eſcorce de ma façon de dire on verroit tant reluire de beautez, qu’encor que le ſujet de mon diſcours fut tout grand, on doutera qui ſurmonteroit en gloire ou le Prince ou l’Historien.

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DESSEIN PREMIER.


Entrepriſe pour la conqueſte de la Nymphe Xyrille : condition des Conquerans, qui ayyans eſté eſchouez ſont ſecourus par un uaiſſeau de Nabadonce, où ils trouuerent les Fortunez auec leſquels ils uont en Sympſiquée.



NOs aërs eſtoient adoucis de l’odeur de la Paix, le beau loiſir rendoit les affaires ſeures, l’abondance de commoditez eſgayoit les bons eſprîts, la douceur de la frequentation cordiale les conduiſoit aux fuccez de leurs agreables desseins. Et la tranquilité de cœur faisoit qu’auec plaisir les ames curieuses s’addonnoyent aux hōnestes recherches & entreprises notables ; Quand la renommee volant par tout, se donnoit licence parmy les courages auantureux d'avācer le glorieux nom de la Nymphe Xyrile, de laquelle où repetoit tant de veritables merueilles, que si les statües inanimees eufsēt eu les oreilles percees, elles s'en fussent esmeües. Au retentissement de tant de loüanges, trop de cœurs furent esueillez pour la desirer. Et qui a-il plus aymable que ce qui est beau ? ou de plus desirable que le Bien ? On la paragonnoit à la beauté, on faiſoit cas de ſa ieuneſſe accomplie en prudence : mais ces fleurs ineſtimables ne ſont rien au prix des abondans profits qu’elle peut communiquer auec un abyſme de commoditez à celuy qui pourra l’obtenir. Ces diſcours exciterent les ſouhaits des deſirans, ioint qu’à ceſte auanture eſtoit adiouſté l’acqueſt d’un Royaume eſgal aux plus riches, ce qui donnoit une vehemente pointe à la premiere emotion. Et puis la condition requiſe à tant heureuſe conqueſte, eſtoit commune à pluſieurs ; c’eſtoit tout un de n’eſtre point Roy, n’importoit de ne tenir pas rang de Prince : L’ordre de grandeur ny faiſoit rien, l’eſtat ny apportoit aucune commodité, la race ny eſtoit pas diſcernee : Il n’y conuenoit que de la magnanimité coniointe à une valeur durable, conduite d’vn amour parfaict, animé de piété. A ce bruit nous fuſmes ebranlez & nous aſſemblants pluſieurs curieux aſſez pour employer vn vaſſeau, nous-nous miſmes sur mer. Nous eſtions tous d’une meſme volonté, il ny auoit entre nous aucune enuie, & le reſte des vices auoit eſté si bien arraché que nos ames eſpurees de la lie des malignitez vulgaires, eſtants tous vnis de fidelité, nous voguions vnanimemēt portez au contentement les vns des autres, chacun fourniſſoit ce qu’il auoit d’induſtrie pour le ſeruice de la compagnie ; les actions de tous eſtans temperees de perpétuel reſpect : Ce qui ſe maintenoit de ſi franc zele, que tous en particulier eſperoyēt du bien par l’auancement de celuy qui ſeroit tant heureux que d’obtenir, ſçachās qu’en ſa grandeur il nous communiqueroit ſa felicité, & veroit tous ſes confederez eſgaux à luy-meſme. Quelques- vns s’eſmerueilleront & tireront, en doute comme il se pourroit, que celuy qui iouyroit de la Belle Xyirile en daignait faire part à vn autre ! Nŏ ames de courage ne preſumez pas selon les iniques penſees, & ne preſumez rien icy de deſraisonnables ; Sçachés que celuy qui sera tant heureux que d’auoir ceſte vjerge, pourra sans ſe preiudicier rendre contans & bien fortunez tous ſes amis & les eſgaler à luy, sa Belle ſera toute à luy, & ſes biens & lieſſe n’auront aucun hazard de communité : mais la belle grace de la Dame entretenant son cher fauory ſera tant brillante de lumiere ſur ſes conſors, qu’ils en ſeront ſatisfaits : & la suſſiſance de ceſte accomplie leur fera tant d’ombre de bonheur, qu’ils n’auront deſir que de la magnifier, eſtimer tres-heureux son fidele, & ſe iuger tres-contans de viure en les admirant. En l’aſſeurance de celles certitudes, nous nous laissions emporter aux vents & voguions plainement sur la grand Mer de Triſconie. Tandis que nous estions sur le vaste de ces plaines molles, nous entretenions nos eſprits de ce qui plus nous plaiſoit, & comme l’Amour fut propoſé il aueint que d’vn meſme ſentiment nous conclumes tous à l’honneur de la paſſion pudique qui nous fait ſoupirer apres la felicité, dequoy ayant l’ame tpuchee, ie consolé nos amis en leur chantant cet hymne qui leur fut agreable.

Ne menez plus de bruit trompettes amoureuſes
Qui faites eſclatter un amour uicieux
Nos ames maintenant toutes deuotieuses
Sçauent d’un meilleur aër s’eſleuer sur les cieux.
Jà desiâ nos eſprits meus de belles penſees,
Deſdaignent uos deſſeins, meſprisent uos accens,

Nos pointes de diſcours vers le ciel eſlancees,
Ne ſont comme vos tons, des accords periſſans.
Ores retirez uous paſſions animees.
De cette uanité dont let fols sont ſurpris,
Les celeſtes deſirs des ames enflammees
De l’aër deuotieux rauiſſent nos eſprits.
Qu’on ne nous priſe plus ces souſpirs deceuables
Qui ont aſſaſſiné la vie à tant de cœurs,
Les chants de pieté qui ſont plus agreables
Nous vont ſollicitans de meilleures ardeurs.
Puis qu’on peut entonner d’auſſi belles paroles
Pour la perfection, que, pour la vanité,
Ie vous quitte à iamais inuentions friuoles
Pour recueillir les aers_formez de pieté.
Beaux cœurs qui vous plaisez aux ſouſpirs de lieſſe,
Oublians vos deſirs tranſmuez vos amours ;
Faites qu’un beau ſouhait vers le ciel vous addreſſe,
Pour de ſuiects heureux repolir uos diſcours.
Ainſi puiſſions nous tous reparer nos courages
Ainsi d’accens diuins reſonner en tous lieux :
Et qu’en ſi beaux accords eſleuants nos courages
Sur l’aiſle de nos voix nous volions dans les Cieux.

Voicy des effects de la cognoiſſance qui, s’acquiert ſur la Mer par la reſolution que l’on y prend entre l’eſperance & la ruine : aussi à la verité la pieté qui eſt és cœurs, s’y fait voir & par exēple s’y engendre. Eſtants doncques reſolus apres auoir eſté aſſeurez & dignement preparez pour courir bonne & mauuaise fortune, nous nous miſmes auſſi quelqueſfois à conferer de noſtre affaire. Or est-il que les ſages de noſtre pays parfaits en la ſaincte tradition des meilleures cognoiſſances, ſçauoyent bien le ſuiet de noſtre entreprise : pourquoy les ayans pratiquez, ils inſtruiſirent les plus aduisez d’entre nous leſquels receurent d’eux vne carte marine pour l’adreſſe de nos voyes : Auec ce beau moyen & autres instructions nous taſchasmes de prendre la route de Nabadonce & Glindicee : Mais trop nouueaux & à dire vray trop aiſes de noſtre fortune tant proſpere, eſtimans eſtre deſia les plus auancez en cognoiſſance, nous nous laiſſasmes emporter aux vents de Soniponi, qui nous enueloperent en tant d’ondes que lors que nous cuidions eſtre pres de surgir en vn port delectable, nous fuſmes jettez contre l’eſcueil de Filoé, ou noſtre vaiſſeau fut vn peu froiſſé a coſté & en fin eut eſté briſé & nous perdus du tout, sans l’ineſperé ſecours qui nous vint d’vn nauire qui nous fut propice. A la verité ceux de ce vaiſſeau nous firent grande aſſistance & dauantage nous receurent benignement auec eux, c’est vn grand bien de faire rencontre de gens charitables, ces perſonnages nous firent tant de demonſtrations de charite naïue & de bonnes compaſſions, que nous eſtimions noſtre dommage à bon-heur, ils nous preſenterent viures & commoditez & par leur moyen noſtre triſte vaisseau fut releué : nous le deſchargeames & refiſmes par cy, par là, le mettant en eſtat de ſuyure le Grand, auquel nous fusmes reçeus. Ce bien dernier nous fut un ſignalé bon-heur & encor plus grand que la conſeruation de la vie, d’autant que trouuer ce qui fait bien viure, eſt plus que viure : Auſſi ce n’est pas viure que trainer vne vie morte, telle eſt celle de ceux qui n’ont point de beaux deſſeins, & ne pretendent à aucune perfection. Ha ſi dès cét heureux inſtant nous euſſions recognu ce que nous auions rencontré, & que nous euſſions pu diſcerner le bien qui s’eſtoit offert à nous, ou que dés lors noſtre ame eut eſté capable de reſentir la verité qui ſe preſentoit à nous au commencement de noſtre fortune, nous n’euſſions pas ſi longuement & incertainement ſuiuy le vain pourchas où les apparēces nous pouſſoient à des entrepriſes hazardeuses & grandes, & pour dire vray tres-notables, leſquelles nous ont allechez & attirez vogants trop eſlongnez (par noſtre indiſcretion) de ce qui s’offroit à nous en l’enfance de nos pourſuites ! La frequentation de ces gens de bien nous rendit familiers ; par ainsi nous ſçeumes vne partie de leur eſtre, & nous leur racontaſmes qui nous eſtions, nos eſtats & deſirs, vray eſt que comme font les fins qui cuident l’eſtre : ce n’eſtoit qu’en termes generaux, faiſans vn peu les entendus : Car nous ne uoulions pas ouurir la bouche de l’entrepriſe pour Xyrile. Miſerables que nous eſtions. Si nous leur en euſſions parlé certes à la bonne humeur où ils eſtoiēt, ils nous l’euſſent decellee, & nous euſſent mis en la droite voye de la rencŏtrer. Auſſi l’auons nous biē ſçeu : car ſans eux il ny a pas moyē dy auoir accez, & ils euſſent eſté tres-aiſès deſlors de nous tāt gratifier, dautāt que c’est leur gloire, & sur tout de trois que nous viſmes là qui ſont ceux qu’ils falloit cognoiſtre. Nous ſçeumes biē à peu pres d’où ils eſtoient, parce qu’on nous declara ce qu’ils auoienc diuulgµé de leur eſtre ; c’est qu’ils eſtoient freres, se diſans fils d’vn ſage pere qui les enuoyoit voir le pays pour faire fortune, à cauſe de quoy ils ſe nommoyent les Fortunez, qui depuis quelques iours auoient fait voile partant de Nabadonce. Nous auions vn ſingulier plaiſir de leur frequentation, car elle eſtoit douce, leur humeur deſirable, leur preſence accoſtable, & leurs façons extremement accortes. Eſtans en ce plaiſir nous sentiſmes le reſpir d’vn vent auſſi doux que celuy de fidele Amour, & entraſmes en vne route incognuë, tant aux nochers qu’à nous tous, excepté à vn vieil curieux qui autres fois s’eſtoit trouué en ceſte contree de mers & de terre : ceſtuy-là nous aſſeura, en nous racontant de grands merueilles de l’endroit où nous eſtions, & de l’Iſle que nous voyons, au haure de laquelle nous surgiſmes bien toſt. Ayans eſté deſcouuerts par les habitans, il partit d’entre les chaines vn esquif qui nous veint recognoiſtre : Le Capitaine ayant parlé à nous, & le vieil curieux apres quelque mutuelle conference s’entrefirent chere, & au signal la grand chaine fut baiſſee, & nous arriuaſmes en l’Iſle Sympſiquee, de laquelle les couſtumes sont cogneuës de ceux qui ont frequenté la Pucelle d’Orleans. Or pource que tant ceux qui eſtoient de Nabadonce, que nous qui auions deſià veſcu quelques iours auec eux, auions recognu les Fortunez eſtre tres-capables, ils furent d’vn commun accord eſleus nos conducteurs : Parquoy ceux de l’Iſle nous ayans receus honorablement, & gratieusement, nous ne fiſmes que suiure les trois Freres. Cependant ces bons inſulaires meus de compaſſion mirent ordre à ce que noſtre vaisseau fut racouſtré.

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DESSEIN SECOND.


Vne Dàme raconte à vn des Fortunez la perte de Fulonde, duquel on portoit le Cenotaphe en ceremonies, durant leſquelles il apparoiſt & eſt recognu.



SI on vouloit naifuement repreſenter la Metropolitaine de ceſte Iſle, il conuiendroit aſſembler toutes les belles maiſons qui ſont en France çà & là, & en conſtituer vne ville qui ſeroit le vray pourtraict de ceſte-cy, ornee de Palais magnifiques, decoree de theatres, & amphitheatres ſomptueux, embellie de iardins & parterres exquis, & accompagnee d’vn haure tout industrieuſement acheué. Eſtans-là nous n’euſmes pas ſeulement pour obiet des edifices excellens, mais nous faiſions rencontre de pluſieurs trouppes de Dames & Gentils-hommes qui nous demonſtroyent tant d’accueïl, que ce que nous en voyons, ſurmontoit aiſement ce que nous en pouuions eſperer. Or à notre arriuee nous remarquaſmes que ces Dames auoyent le viſage vn peu triſte ; Ce n’eſtoit pas ſans cause que nous eſtimames qu’il y eut là quelque auanture notable, & principalement voyans pluſieurs portiques parez, eſquels diuerſité de gens conuenoyent, celà occaſionna l’aiſné des Fortunez d’arraiſonner ainſi la Dame qui l’entretenoit. Madame, ie vous supplie par vostre courtoisie de m’exçuser si ie vous requiers d’vne faueur ; Quelle, dict la Dame, caualiree Le Fortune’. De m’expoſer librement ſi noſtre arriuee en ce lieu, vous cauſe quelque deſplaiſance qui rende voſtre façon (au moins à mon aduis) vn peu contrainte, ce nous ſeroit vn grief deſplaiſir que celà fut, n’ayans intention que d’apporter tout ſeruice où nous nous rencontrons. Ce qui me fait vous en requerir plus inſtamment, eſt que ie crains que nous troublions quelque partie : car comme ie puis iuger, il y a icy quelque beau haſard, ou bien vne couſtume particuliere à ce lieu, & qui ne ſe practique pas autre part, meſmes és autres ports & haures où l’on oit vn grand bruit, on void vne populace meſlee en confuſion, vn amas de toutes ſortes de gens groſſiers & rudes, qui excitent vn murmure deſagreable : & icy nous rencontrons des perſonnes d’honneur vne aſſemblee qui ne denote que modeſtie, vn peuple poly, & vn ſilence diſcontinué parcy, parla de petits bruits raiſonnables & gracieuſement releuez, le tout orné de diuerſes & belles bandes de Dames qui repreſentent toute apparence de vertu. La Dame : Monſieur, puis que noſtre commun bon-heur vous a pouſſez en ces terres, nous ſommes aſſeurees que la iuſte curioſité vous incite à voir & rechercher ce qui peut rendre parfaits ceux qui font profeſſion de l’honneur, parquoy vous pouuez vous aſſeurer d’eſtre les bienvenus : Ce que nous ſommes triſtes n’eſt pas à voſtre occaſion, ou que nous craignions d’eſtre ſurpriſes, bien qu’il nous tourne à deſplaiſir que vous ayez remarqué à la premiere veuë que noſtre viſage fait preuue de quelque alteration interieure : Vous’eſtes en lieu, où ſi nous pouuons, vous receurez toute courtoiſie & honneur : Et afin que ie vous en aſſeure par effect, vous ſatisfaiſant ſelon voſtre demande, ie vous conduiray à ce Palais prochain où voſtre repos vous attend, & pour eſclarcir voſtre penſee, ie vous declareray vn ennuy que nous auons, lequel vous ſera encores plus deſcouvert par la ceremonie qui ſera faite apres midy en ce bel eſpace que vous voyez entre ces deux iardins qui ſ’eſtendent à la mer. Ie ne puis le dire ſans regret. Depuis ſept mois en ça il nous eſt aduenu vne grande diſgrace : C’eſt que le fils du Roy dernier recognu en ce Royaume, ieune Prince, beau entre les accomplis, vaillant parmy les magnanimes, l’œil de ceſte Iſle & l’eſpoir de noſtre deffence, ſ’il nous aduenoit de la guerre, comme quelques fois il ſuruient apres vne tourmente generale, & que les luminaires ſont en grande ecclypſe, car alors noſtre mer qui eſt du tout differente des autres, deuient durant vingt iours ſemblable aux autres aſſemblees d’eaux, & les Pyrates & autres qui ſuiuent les routes marines peuuent ſurgir icy, & nous faire de l’ennuy : Celuy doncques que nous tenions pour noſtre deffenſeur au beſoin, Patron auquel on faiſoit aduiſer les enfans pour les inciter à la perfection, celuy que chacun aymoit, ſans qu’aucun luy voulut mal, qui eſtoit chery & reueré de tous, eſt perdu, & d’vne façon trop eſtrange : Le dernier iour que nous le viſmes il eſtoit icy parmy nous à fe recreer ſelon les douces occurrences dont nous auiſions nos cœurs, & ayans paſſé le temps iuſques au ſoir, il inuita la compagnie eſleuë de ſe trouuer le lendemain en ſa maiſon, où il y auoit partie faicte de combatre à la barriere, courre la bague, rompre en lice, & practiquer pluſieurs autres exercices vertueux, pour leſquels authoriſer dauantage, il fit dés le ſoir chanter vn aër nouueau deuant ſa maiſtreſſe, & ſi vous penſez y prendre plaiſir, ie le vous monſtreray, le voylà, ſ’il vous plaiſt, iettez l’œil deſſus, tandis que ie prendray aleine en montant ce petit tertre.

Aſtres dont les beaux feux influent en mon ame
Les fideles ardeurs de mes affections,
Ainſi qu’vn beau miroir vous receueK ma flame
Dont vou me conſume% par vos reflexions :
Comme en perfections vous eſtes la premiere,
Auſſi rien n’eſt egal à mes fidelitez,
Et mon ame qui eſt en ſes deſirs entiere
Ne forme point pour vous de deſſeins limitez.
I’ay le cœur releué pour vous faire ſeruice,
Vos fauorables yeux touſiours m’animeront,
Auſſi ie chercheray la fortune propice
Aux infinis effects qui le teſmoigneront.

Nous luy auions promis d’aſſiſter à ces belles parties, & de fait des le matin nous allaſmes en ſa mais nous ne trouuaſmes pas celuy que nous deſirions, il ne parroiſſoit point, & n’y auoit perſonne qui nous en peuſt dire des nouuelles : Nous allions & venions aſſez, & rien ne le manifeſtoit, pour vn temps, chacun eſtimoit que ce fut vne ioyeuſe feinte qu’il fit pour nous faire debattre : Helas la feinte eſt deuenuë verité, nous ne l’auons pas veu depuis : & bien que nous ayons fait diligente enqueſte en tous les endroits de l’Iſle, dont il n’eſt ſorty perſonne ſans noſtre ſceu, nous n’en auons entendu aucunes nouuelles : par quoy eſtimans qu’il n’eſt plus, le conſeil a eſté d’auis de luy faire ſes obſeques, & luy eſleuer vn Cenotafe que vous verrez tantoſt : voila qui eſt cauſe de noſtre triſteſſe, qui ne vous touchant que par commiſeration, ne vous empeſchera de prendre en ce lieu le temps & le plaiſir honneſte que vous deſirez.

Pluſieurs diſcours s’eſtans ſuiuis, le midy paſſé que la ceremonie ſe preparoit, les Fortunés ſe proumenans auec quelques Demoyſelles filles, auxquelles il n’eſt pas permis en ce pais-là, d’aſſiſter les conuois mortuaires, d’autant qu’elles ſont deſtinees pluſtoſt à nopces & lits Hymeneens qu’à cimetieres, les troupes funebres commencerent à paroiſtre : & les Fortunez eurent congé de ſ’auācer vers les Dames, pour aller voir & recognoiſtre ce qu’ils pourroyent : Les hommes veſtus de dueil cheminoyent de tel ordre, ſeptaloyent enſemble l’vn apres l’autre, & arriuez à certain terme ſ’arreſtoyent, tant que ſept autres ſe ioigniſſent à eux, pour cheminer deux enſemble îuſques à vn autre poſe, où ils ſ’arreſtoyent encor, cela ſe continuoit tant que peu à peu ainſi tous les rangs fuſſent ioints, puis apres ils ſ’eſchappoyent & retenoyent petit à petit tant qu’il ſe fit vne lozenge, apres laquelle eſtoit porté le Cenotafe ſuyui des chantres, puis de l’aſſemblee generale du peuple, ſelon les qualitez & rangs modeſtes. Le Cenotafe fut poſé au milieu du parterre preparé, & les gens de ceremonie ſ’en retirerent vingt pas loin, à ce que par l’eſpace d’vne heure, on le peut vifiter auant que faire les plaintes. Le plus ieune des Fortunez apres l’auoir obtenu des Demoyſelles & de ſes freres alla viſiter le Cenotafe & en eſplucha l’edifice, qui eſtoit en forme de pauillon, ayant les coſtez de long fermez de vingt piliers de iaſpe, & ceux de la largeur accommodez de ſept d’ebene, tellement diſpose, qu’aiſément on diſcernoit ce qui eſtoit dedans, c’eſtoit vne lame d’or fin toute nuë autour, & au milieu il y auoit en lettres d’argent ceſte proſe,

Icy eſt vn ſepulchre qui n’eſt point ſepulchre,
Icy repoſe vn corps qui n’eſt point corps,
Icy eſt vn eſprit, qui ne fut onc eſprit,
Il n’y a icy ny corps, ny eſprit, ny ſepulchre,
Tout eſt ſepulchre, eſprit, & corps.

Le Fortuné ayant rapporté à ſes freres ce qu’il auoit veu, leur en demanda leur auis : Ils luy dirent, puis que vous auez tout bien conſideré, c’eſt à vous d’en dire ce qu’il vous en ſemble, à cela les Demoyſelles adiouſterent leurs prieres : adonc il dit, Ie ſuis deceu en mon opinion, s’il n’y a icy vne grande feinte, & ne doute que qui a fait cet eſcrit ſçait ce qui en eſt : Ie m’aſſeure que c’eſt vne persöne ſcauante qui recognoiſt le dueil des autres que elle flatte en s’en riant, ou bien ſ’en attriſtant par telle pitié, qu’il n’y a pas eu moyen de ſ’exprimer qu’en celant quelque ſignalee meſauenture. Durant ces diſcours la Dame qui le matin auoit entretenu les Fortunez, ſurueint, & ayant ſceu ce que le ieune Fortuné penſoit de ce ſujet, par la repetition qu’il en fit & la ſuite qu’il en continua, elle luy reſpon, Heureux cheualier ie croy que Vous auez des particulieres intelligences, & que le plus recellé des cognoiſſances eſt en voſtre cœur : quand ie penſe à ce que vous dites, ie m’auiſe que nous auons entre nous vne vieille Fee, qui eſt celle là meſme qui à la priere des parens a pris le ſoin de tout ce qui appartiḕt à ce feint tombeau pour y mettre ordre & l’executer. Sans doute elle qui eſt pleine de tous artifices, pourroit bien ſcauoir des nouuelles du ſuiet de noſtre ennui. Des le matin elle m’a dit qu’elle auoit affaire, & que difficilement ſe trouueroit au conuoy, i’entre en quelque ſoupçon d’elle qui eſt forte en ſcience, grande en ſecrets, magnifique en inuentions, & abondante en toutes fineſſes.Comme ils deuiſoyent il ſ’eſleua vn grand bruit, vn tumulte de gens qui ne ſcauent ce qu’ils diſent, La Dame appelle vn page pour ſcauoir que c’eſt & l’enuoye ſ’en enquerir, il ſ’en recourt tout esmeu : C’eſt dit-il, Madame, l’eſprit du defunct qui ſ’eſt preſenté à la compagnie, voyez ceux qui l’ont auiſé comme ils fuyent, meſmes les plus ſages ſe retirent. Les Fortunez auancerent auec les Dames & faiſans ſigne font arreſter ceux qui ſ’eſpouuantoyent ; vn de la troupe veint à eux diſant, Sans doute c’eſt luy, il veut ſ’approcher, on le fuit, il ſe preſente, on recule, il veut paſſer par le chemin haut & on l’empeſche ; Alors es Fortunez ſ’approchans de la nobleſſe, apres auoir parlé aux plus auiſez, allerent gayement vers celui qui ſ’approchoit, Ce n’eſt point, disḕt-ils, vn eſprit, ce n’eſt pas vn fantoſme, ſes yeux ſont humains, ſon geſte eſt d’vn homme, alons à lui & l’oyons. Adonques ceux qui l’auoient eſtimé vn ombre, eurent l’aſſeurance de le recognoiſtre, & ainſi pluſieurs le vindrent ſaluer lui donnans la main, & la Dame s’approchant de lui s’auance à l’embraſſer auec ces mots, Fulondes mon cher couſin ie voy bien que ce qui eſt deuant moy n’eſt point vn ombre, ni vne ame veſtue d’vne triſte repreſentation impalpable, vous eſtes celui dont ſ’abſence nous a cauſé tant de triſteſſes, auſſi vous nous ſerez cauſe d’vn grand contentement : puis que vous reſpirez encor auec nous l’air de ceſte vie. Puis ſe tournât vers les autres leur dit, Approchez vous, vous ne rencontrerés point vne vapeur vagante, ni vne ſemblance eſpouuentable ; En verité les bons diſcours de ces Gentils-hommes eſtrangers m’ont donné l’aſſeurance à laquelle ie vous inuite : Puis prenant le perſonnage par la main, Reuenez, lui dit-elle, pour iouïr encor de la frequentation de ceux qui conuerſent enſemble temporellement : Fulondes autant aiſe que ceux auſquels il occaſionnoit le ſemblable plaiſir, ſe voyant recognu ne voulut point paſſer outre, & biḗ qu’on le priaſt inſtamment d’aller en ſa maiſon pour ſe refraichir, ſi voulut-il deduire ſa fortune à l’inſtant, & ſurtout ayant entendu l’occa ſion des ceremonies qui s’offroyent, & ayant fait ſigne à vn ſoldat qu’il lui apportaſt vne chaire, il s’y repoſa pour raconter ſon auanture.


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DESSEIN TROISIESME.


Fulondes raconte ce que la vieile Fee luy fit, & comme ietté en la grotte, il fut auec le ſerpent, ou il veſcut de la pierre raſſaſiante. Le ſerpent l'eſleua de la grotte. Et la vieille Fee s'y precipita.



LE iour que ie penſois receuoir la compagnie que i'auois inuitee en la maiſon de ma mere, m'eſtant leué aſſez matin à cauſe que mon eſprit eſtoit vn peu eſmeu, ie ſorty auec vne harquebuſe de chaſſe en ma main, & m'en allay en intention de tirer quelque coup, ie tracé ſur les orees de la foreſt noire, où ie vy vn loup ceruier cheminant negligemment, ie m'auancé, mais en vain : car m'ayant apperceu, il s'enfuyt, la pour ſuitte que i'en entrepris m'attira tant auant en la foreſt, que ie m'eſgaré, & plus ie penſois me deſueloper de la ſorest, plus ie m'y enlaçois, à la fin allant & venant, ie commencé à me recognoiſtre, car ie remarqué la fontaine de la Fee Fleuroſe, qui eſt autant gracieuſe que ſa mere eſt meſchante : ie trouué la belle cueillant quelques herbes, & elle m'ayant enqueſté de mon auenture, me pria d'entrer en ſa petite maiſonnette, elle m'en preſſa aſſez, mais ie la refuſé, luy faiſant mes excuſes qui eſtoient legitimes, leſquelles ouyes & receues, elle me monſtra le chemin pour eſtre bien toſt hors de la foreſt. Ie prenois congé d'elle, & n'en auoit pas encor laiſſé aller la derniere voix, que ſa mere ſuruint, qui m’ayant arraiſonné, me remöſtra qu’il eſtoit trop tard pour retourner à ieun, & me ſçeut tant perſuader que ie luy obeis, & demeuré à deſieuner auec elles : ô que grandes ſont les perſuaſions des vieilles qui font ſemblant de ſe ſoumettre, afin d’ḗlacer les eſprits qui croyḗt. Cette vieille me fit tant de ſeruices (ainſi ie les nomme, car il n’y a que les amans & les traiſtres qui ſe dilatent extremement afin de s’obliger les eſprits) me faiſant ſecher, chauffer, & popeliner ainſi qu’il en eſtoit de beſoin, d’autant que i’eſtois tout en ſueur, ſa fille l’auoit bien veu, mais la höte que ſa pudicité luy efcrit aux yeux, la retenoit, ſi qu’elle m’enuoyoit bien toſt, & cette vieille hardie, à laquelle il eſtoit ſeant de me gratifier mollettement, executoit en moy ce qui m’eſtoit neceſſaire, & qui l’aidoit à la trame d’acheuer ce qu’elle ourdiſſoit. Le repas champeſtre fut appreſté & preſenté : ie m’en ſoulagé à mon beſoin, puis ie pris congé des Dames, remportant auec moy l’innocence, auec laquelle i’y eſtois entré. Ie fus remis courtoiſement en mon chemin, & m’en allay auec la couſtumiere facon qui me guide en mes actionº, mais ie ne fus pas à deux cens pas de là, que ie ſenti l’effort du ſommeil qui me contraignit de luy obeyr, dont ie me iettay ſous vn arbre ſans election. Me voilà pris, ie ne ſcay qui ie fus, à qui ie me trouué recommandé, ny comment il m’aduint, car plein de venim ſomnifere, ie dormy profondement, puis le pouuoir dormitif eſtant ceſſé, ie m’eſueille, & me trouue non ſous des arbres où ie me ſouuenois m’eſtre endormy, ains en vne grotte creuſe, my-obſcure, ſeiche, triſte & eſpouuantable, là n’y auoit qu’vne veuë dont le ſouſpiral eſtoit inacceſſible : En ce lieu de miſere giſant ſur la dure impiteuſe, ie me ſentis pres du roc deſſeiché, & touchant viuement la dureté de la pierre, i’appris que i’eſtois tout nud, le ſentiment m’y fit prendre garde, par quoy ie me vis à la clairté telle qu’elle ſe pouuoit communiquer, que i’eſtois deſpouillé de tous veſtemens, n’ayant que ceſte peau de cheure deuant moy, dōt ie ſuis ceint, au reſte i’eſtois las, abbatu & de forces ſi aneanti, que mon reſueil me fut eſpouuantable. Mes ſens raſſemblés, mon eſprit recueilli, mon iugement ramené, ie me vy en ceſte caue profonde, loing de tout moyen d’en ſortir : Et puis ſi ie le diſois en la ſorte que ie le recogneus, ie vous ferois perceuoir les plus horribles peurs dont on nous faict crainte pour domter nos actiōs folles : ie me trouué là ſeul, c’eſt peu, ſans eſpoir, il peut reuenir, ſans commodité, elle ſe renconsre, mais i’aduiſé outre ma penſee vne compagnie de difficile frequentation, qui me mit en l’ame toutes les idees de crainte, c’eſtoit vn grand ſerpent aiſlé qui repairoit au fonds de l’antre : Ce ſerpent ietta ſes yeux ſur moy, les rouillant horriblement, & ie cuiday qu’en ce geſte il me marchandaſt pour ſe venir ietter ſur moy & ſe raſſaſier de ma triſte chair. Tout deſeſperé, ne craignant plus que ce dernier hazard, que i’eſtimois ineuitable, ie m’allay tappir en vn petit cognet, qui touſiours depuis a eſté mon logis, vn cœur valeureux le peut-il dire ? la nuict me fut biē longue : d’autant que i’auois peur, & ſi pourtant ie faiſois de belles entrepriſes pour eſtouffer le dragon, mais ce que ie meditois eſtoit vne audace d’enfant nud contre vn geant armé ; d’vn petit chien vers vn cheual valeureux. Au matin que le iour nous eut faict veoir ce que ie trouuois encor plus eſpouuentable, ce grand & dangereux animal, ſe ſecoua eſpouuantablement & ſe battant d’aiſles & de queue, fit toute reſonner la cauerne : Ie me iugeois à ce coup & m’attendois d’eſtre deffait, m’aſſeurant qu’il ſe preparoit pour me venir deuorer & faire vne gorge chaude de ſi peu que i’auois de bon ſang, i’eſtois en ceſte perplexité : & toutesfois le pauure animal ne ſ’en eſmeut aucunement. Enuiron le midy le dragon comme eſueillé fit vne vehemente ſaillie, & ſ’aidant de ſes aiſles ſe donna large parmi l’antre, vers la voute duquel il vola pluſieurs fois, l’eſgayant en ſes passades aërees, puis ſ’eſtant roulé sept ou huict tours cōtre le fons de noſtre deſplaiſant habitacle, & ayāt ietté ie ne ſcay d’intention quelles œillades ſur moy qui l’attendois tout deſolé pour terminer ma vie & ma triſteſſe, il ſ’alla renger vers vne pierre qui eſt au ſeptentrion de la grotte & ſ’eſtant alongé de toute ſon eſtendue ſe redreſſant vn peu ſur les mains, ſe mit à lecher ceſte pierre, & fut à ceſt exercice quelque demi cartd’heure, puis ſ’eſtant vn peu eſiouy ſ’en retourna en ſon lieu : ſans me # du dommage auquelie m’eſtois reſolu ie patientois attendant le treſpas que ie me tenois tout aſ ſeuré deuoir auenir par les déts de ceſte beſte, la quelle toutesfois ne fit aucū ſemblant de me vouloir offēcer. Deux iours ſe paſſerēt que ie veid ſes geſtes de meſme, & ie ne bougeay de mon petit coin auiſant le ſerpent viure à ſa fantaiſie comme il auoit accouſtumé au troifieſme iour que la faim me preſſoit, ne fcachant qu’eſlire ou la cruauté du dragon, ou l’extremité de la miſere, ie me hazardé & m’approchay de la pierre, eſtimant que poſſible la beſte me viendroit deſtruire, ou ſans m’attaquer me laiſſeroit en paix. Le pauure animal me regardoit aſſez faire, mais il ne ſe bougea. Ie me beſſay pres la pierre & la leché, ayant opinion par l’obſeruation que i’en auois faite, que le ſerpēt viuoit de la ſubſtāce qu’il en ſuccoit, apres l’auoir vn peu lechee ie ſentis en mon eſtomach, vn paiſible allegement, ſi que mon grand appetit fut eſteint : i’eu frayeur de cet accidēt, dont pourtant ie me conſolé, croyãt que le venin refroidiſſant le chaud de mon interieur, me communiquoit le repos de la mort, qui m’eſtoit plus douce en ceſte penſee, que d’eſtre auec douleur deſchiré & tué. Mais ceſte opinion paſſee par le ſuccés, ie me reſolu, & depuis ie ſoulageois ainſi mon deſir, quād la faim m’en ſollicitoit. Quelques iours s’eſtans passez ſans que ma peur le fut, le Dragon s’approcha de moy, me faiſant ſigne de la queuë & de teſte : ie les pris à careſſe, d’autāt qu’il me fit tout au rebours de ce que ie cuidois, parquoy i’obtemperé à ſes façons flatteuſes que ie receu, vſant du reciproque, ſi bien que ie m’appriuoiſay auec lui, tellement que depuis nous frequentions & iouions librement enſemble : il ſe venoit coucher aupres de moy & m’eſchaufoit, ſe mettant entre le vent & moy. Les premiers iours il auoit vn peu l’aleine puante, & cela paſſa peu à peu parce qu’apres qu’il eut digeré l’odeur du ſuc des mauuaiſes viandes & corruptibles à putrefaction infecte, telle que la nourriture ordinaire de ces animaux rauiſſans, & que ſon eſtomac fut netoyé ceſte puanteur ceſſa. En ceſte familiarité nous priſmes habitude mutuelle, & priuauté auec aſſeurance l’vn de l’autre, tellement que ie le touchois où ie voulois, ie lui mettois la main entre les dens, & il me leſchoit les doigts, ceſte façon de viure nous fit contracter telle amitié qu’il ne me fit aucun deſplaiſir, & ie ne luy en pouuois faire, & de fait ie n’euſſe oſé & depuis ne le voudrois, quand ie le pourrois. Il eſt bien vray que i’auois neantmoins toutes ſes faueurs vne friuole peur, qui me faiſoit penſer qu’au renouueau il feroit de ma triſte chair gorge fraiſche auant que s’en aller. Ceſte apprehenſion me rendit ſi deuot, que i’eſpere qu’à mon imitation pluſieurs embraſſeront la pieté : quand i’auray donné au monde le pourtrait des mouuemens interieurs qui m’y ont pouſſé. Or il y a treze iours que deſia, ainſi que ie pouuois iuger, le temps eſtoit clair & beau, & mon Dragon humant ceſte douceur leuoit le nez, vers la iourniere de la grotte, à laquelle il vola & ſortit, puis reuint enuiron vne heure apres, & ſe mit à me faire plus de careſſes qu’auparauant : Il ſembloit qu’il me raconta des nouuelles du beau temps : Ceſte beſte ſe gliſſoit contre les bords de l’ouuerture, dont la mouſſe tomboit, & durant trois iours continuoit ce labeur, ſortant & reuenant, & à chaque retour il me faiſoit infinies douces demonſtrations que ie ne pouuois bien entendre : à la fin comme me voulant perſuader expreſſément, il me fit des geſtes gracieux plus & en plus auantageuſe ſorte que iamais, les ornant de ſouſmiſſions apparentes, & m’incitant à ce qu’il vouloit, & ie ne l’entendois pas, il ſe veautroit deuant moy, & comme il m’eſtoit auis, il ſouſpiroit ne plus ne moins que s’il eut eu regret de me laiſſer, ou que ie ne le pouuois ſuyure. En cet excés de bonne volonté s’il y en a aux animaux d’autre genre que les hommes, ce piteux animal, ce pitoyable ſerpent, me faiſoit tous les iours & à toutes heures des geſtes, qui ſembloyent m’exciter à ſortir auec luy, il s’eſleuoit & en la violence de ſon vol, ſe bandant pour ſe grimper il me preſentoit ſa queuë, il me la laçoit mignardement autour des iambes, me l’offroit amoureuſement, pour l’embraſſer, & la coulant mignonnement, m’inuitoit à l’empoigner. Ces façons, ceſte grace, ceſte vehemente recherche, me donna courage, adonc d’vne determinee reſolution, ie me laçay à ceſte longue queuë, à laquelle ie me ioigni le plus eſtroittement que ie peu, & le dragon qui conſpiroit à mon bien, crochant l’extremité de ſon eſtendue me lia fermement à luy, & de telle force que quand i’euſſe voulu m’en diſtraire, il ne m’eut pas eſté poſſible. Eſtans ainſi ioints, il s’eſlança de force, & donnant des aiſles au vent, s’enleua m’emportant auec luy, & m’arracha de ce miſerable tombeau, où ma vie & mon corps giſoyent ainſi que hors du monde : Eſtans dehors & allez auant en l’air à cauſe de la viſte ſecouſſe & vehemente volee dont il ſe banda, ie me vis encor entre la mort & la vie, ne ſçachant qu’eſperer, tandis que ie formois ce penſement, le bō animal acheuāt la voulte de ſon vol, ſe rabaiſſa languidemēt vers terre, & auec telle conſideration, qu’approchāt d’ēbas, il en raſoit la ſuperficie de peur de m’offēcer en me laſchant, ſe laiſſant couler ſi doucement ſur l’herbe, que ie n’euſſe peu mieux me ſoulager : ce faiſant, il allongea ſa queuë & ſe deſlia de moy fort agreablement, puis apres auoir (ie ne ſcay comme ie dois nommer ceſte mignardife) dit en geſtes najfs ce que ſon cœur imaginoit de bon, il prit le vaſte des aers, ſur leſquels il s’eſt guindé prenant la route de Leuant : Eſtant hors de ce gouffre, & du pouuoir du Dragon, de la raiſon duquel ie n’ay aucune aſſeurance, d’autant que le naturel n’eſt tranſmué, ſans le changement manifeſte de ce qui doit eſtre mué : ie repris mes eſprits, & apres auoir conſideré ce que i’eſtois, & d’où ie venois, ie remarquay vne petite ſente non gueres frayee, que ie ſuiuy iuſques à vn chemin qui m’eſtoit incogneu : y eſtāt, i’eſtois en peine, ne ſcachant ſi ie deuois prendre à droicte ou à ſeneſtre. En ce doute, i’entrevis aſſez loing de moy comme vne perſonne, ie ne fus pas deceu, car il eſtoit vray : adonc ie me haſtay en intention de m’enquerir de mon chemin, approchant de celle que i’auois veuë, & la diſcernant, ie cogneus que c’eſtoit vne femme qui cheminoit pas à pas, reſuant profondement à teſte baiſſee : l’abordant, & parlant à elle, elle ſortit de ſon penſer, & leua la teſte, puis m’ayant enuiſagé, ſe tourna & fuyt. Ie ne perdi point tēps, ie courus apres, ie l’atrape & empoigne le pā de ſa robe : Se ſentant arreſtee, elle iette ſes mains à ſa face, & auec pluſieurs cris effroyables parla en ceſte ſorte, Helas ! pauure ame vagabonde, ie te prie aye mercy de moy, va en ton repos, & n’exerce aucune vengeance ſur mō corps : i’en pourſuy d’auantage à tirer de ma vie la punition que ie merite : car defia la peur que tu as aſſemblee en mon ame la fait aſſez mourir, acheue ta courſe, & ſois contente, tu verras bien toſt mon eſprit malheureux qui aura laiſſé ce miſerable corps. I’eſtois presque eſpouuanté de ce que i’oyois, & n’euſt eſté, que ie ſcay bien que les eſprits ſeparez n’ont plus de frequentatiō auec la chair, i’euſſe penſé eſtre hors de ce corps. Me raſſeurant & cognoiſsāt de plus en plus, celle que ie tenois, qui cſtoit la vieille Fee, ie pris occaſion en la menaçant de l’interroger de ce qui me vint en la penſee. La craintiue toute abbatuë de terreur ſe iette à genoux deuant moy, me ſuppliant auec abondance de larmes. Ceſte contenance me rendit certain de l’effroy & nyais eſpouuantement que pluſieurs prennent de ce qui n’a aucune puiſſance de nuire : alors la deſolee & eſperduë femme me confeſſa que quand ie deſieuné auec elle : elle auoit meſlé en mon vin l’eſſence de pauot Indique preparee ſans gouſt & odeur, n’ayant autre qualité que celle qui fait dormir, ſelon la practique faite au chaſteau d’Arandos, adiouſtant en ſon diſcours que le mauuais vouloir, & l’enuie qu’elle portoit à noſtre famille : pour ce que ſouuent il eſchet que les Rois en ſont, eſtoit cauſe qu’elle me vouloit exterminer, & faire perir par les dents du dragon, qu’elle diſoit m’auoir deuoré il y auoit longtemps, & qu’elle alloit en la grotte amasser mes os, ſcachant que le ſerpent n’y eſtoit plus, Ayant par ces propos appris ceſte grande meſchanceté executee ſur moy : & meſmes quelle m’auoit deſpouillé, & par deriſion enueloppé de ceſte peau de cheure, & ietté en la grotte, où ie pris vn ſi grand ſault, que les membres m’en ont longtemps eſté douloureux, ie demeuré tout muet & preſque trāſi, m’eſbahyſſant de telle malice & meſchanceté : Ie me mis à la regarder d’vn œil furieux ; & deſpit, deliberant ſur la punition qu’elle meritoit : Ie n’eus pas loiſir de me reſoudre que la vieille m’eſchappa, tirant à grande allure vers la ſpelonque, ie la ſuiuy pour voir ce qu’elle deuenoit : Elle ne fit aucune poſe, car tout d’vn coup elle ſe precipita en l’antre, ce qu’ayant veu, ie me remis au chemin, & de ſentier en ſentier apres m’eſtre recogneu, ie ſuis venu en l’equipage que vous me voyez. Voilà comme i’ay eſté perdu : telle a eſté la ſorte dont i’ay veſcu, & ie vous fay manifeſte preuue, que ie ſuis ſorty du gouffre, eſtant eſchapé du plus triſte en fer que la crainte ayt iamais imaginé.

Ayant acheué ce merueilleux diſcours, les chātres qui s’eſtoient appreſtez aux chants lugubres (par le cómandemët des ſuperieurs) s’aduācerent sur les tons & accords de lieſſe, & firent cōpagnie à Fulondes, que toute la Nobleſſe & multitude du bon peuple conduiſit en ſon chaſteau. Les plaiſirs en furent celebrés auec toutes ſortes d’eſbats, & n’y eut aucun qui ne fiſt quelque partie pour en demonſtrer ſon aiſe, Les Fortunez participerent à ceſte ioye, auec leſquels nous auions auſſi toutes ſortes de recreations. Or chacun prēd plaiſir à la recherche qui luy touche le cœur, & pource en toutes rencontres, nous eſpluchions tout ce qui quadroit à noſtre meilleure fantaiſie, ſuiuant les Fortunez, auſquels on communiqua toutes les ſingularitez, ſi qu’ils virent les excellences, remarquerent les raretez, conſiderans les artifices, baſtimens, & tout ce qu’il y auoit de plus exquis en ce petit Cabinet du Mōde. La ſage Dame leur hoſteſſe leur declara les couſtumes & ſtatuts de l’Iſle, & les auantures qui s’y acheuent, leur racontant celle du Roy Roſolphe, qui depuis quelque tempsy auoit enuoyé les Ambaſſadeurs.



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DESSEIN QVATRIESME.


Roſolphe m’aymant point les Dames deuient ſeruiteur de Feriſee, qu’ayant veüe il demande à femme. Eſtant Roy, elle luy demande vn don, qu’il luy očtroye ſous des conditiōs qu’ils debattent, & elle le vainc. Il la faict ietter au fonds de la Tour des Chiens.



CEste Dame accōplie qui deſiroit retenir le plus long tēps qu’elle pouuoit ces trois freres tant agreables, leur fit le diſcours de ceſte hiſtoire. Du tēps que la prudēce gouuernoit le Royaume de Crăce, par l’induſtrie du vieil Roy Selió duquel les trophees eſtoiēt grauez és courages de ſes ſuiects, & marqués en la paix dont il les faiſoit iouyr, tout rioit en ce beau pays, & le peuple cōtent de ſon bon Roy, n’auoit autre frayeur que de le perdre, toutesfois il y auoit eſperance que la perte ne ſeroit pas abſoluë, car il auoit vn fils bō, beau, ſage & vaillant, mais deſia vn peu aduancé en âge, & ne deſirant point eſtre ioinct à vne femme, à cauſe d’vne deſdaigneuſe opinion qu’il en auoit conceuë eſtimaut les femmes eſtre la ruine des cœurs, & le mariage le ſepulchre des viuans : & bien que le Roy ſon pere priſt peine de le diuertir pour faire changer ceſte opinion, ſi ne pouuoit-il y entendre, par ce que ſon courage n’y eſtoit pas enclin. Or comme toutes rencōtres ont leur tēps, il aduint vn ſoir que ce Prince eſtant en deuis auec les Dames qu’il frequentoit, plus pour monſtrer qu’il ſçauoit bien qu’il eſtoit fils d’vne femme, que pour plaiſir qu’il y prit. Vne ancienne de la compagnie qui auoit eſté ſa nourrice, ſe mit à diſcourir des beautez & perfections de Feriſee fille d’vn Gentilhomme du pays, laquelle elle exaltoit ſur toutes, meſme par deſſus les accomplies de la Court, où cette-cy ne hâtoit pas, pource que le pere la cognoiſſoit eſtre belle, & ne deſiroit point qu’elle fuſt occaſion de luy donner du trouble par la demande qu’il penſoit que bien toſt on luy en feroit contraire à ſa reſolution, & ainſi ne pourroit euiter les inimitiez de ceux qui la demanderoient, & ne la pourroient obtenir. Encor qu’il la retint de voir la Court, ſi ne laiſſoit-il de luy permettre toutes höneſtes & licites libertés, & meſme l’exercice de la chaſſe, dont elle ſe delectoit ſingulierement, s’eſtant tellement pour ce ſuiet addextree à tirer de l’arc, qu’elle pouuoit aiſément emporter le prix ſur ceux qui en faiſoient eſtat. Le Prince Roſolphe qui n’auoit iamais penſé, qu’il y euſt beauté capable de l’eſmouuoir, oyant ſi aduantageuſement parler de ceſte Demoiſelle voulut la veoir mais auec reſpect : pour à quoy paruenir, il s’enquit de la façon de viure de la belle, à quoy il s’accommoda ſi diſcretement & ſecretement, qu’aucun ne s’apperceut de ſon deſſein. Il ſceut que Feriſee ſelon ſa couſtume eſtoit à la chaſſe, & il prit fi bien le tēps, qu’il la trouua cōme par hazard, il auoit de la conſcience, & ſçauoit bien que quand les grands, & ſurtout de ſon rang, alloient viſiter les Dames, les meſdiſans en prenoient occaſion d’eſguiſoires à leurs fers, dont ils taſchent à frapper la reputation, Son entrepriſe fut prudente, & ſe trouua au lieu deſiré fort peu ſuiuy, comme reuenant de quelque partie faicte, & vint aſſez pres de l’endroict où la belle eſtoit, auec quelques Demoiſelles ſes cōpaignes ; il ne fut pas veu d’elles, d’autant qu’elles eſtoiēt attentiues à vn coup que Feriſee miroit, ce qu’ayant apperceu le Prince, il ſe haſta, & ayant l’arc en main, il deſcocha le premier & emporta l’oiſeau que la belle pretendoit ſeulement fraper, de ſorte qu’elle luy euſt emporté le pied & le bec. La belle ayant veu ceſte deception ſans ſçauoir d’où elle procedoit, vid la compagne de l’oiſeau bleſſé, s’enuoler, dont ſoudain pour n’auoir viſé à perte, enfonce ſur l’oiſeau volant qu’elle enfila de bonne grace. Ce coup fait, elle ſe deſtourna, & vid le Prince qu’elle cognoiſſoit pour l’auoir veu paſſer par la ville lors qu’elle y alloit pour acheter des eſtofes, mais elle ne fit aucun sēblänt de le tenir pour ce qu’il eſtoit : Roſolhe ayāt fait leuer l’oiſeau par vn page, l’enuoya à la Demoiſelle, qui le receut gracieuſement, cōme d’vn Gentilhöme que la courtoiſie incitoit : & le page luy dit que ſon maiſtre le luy enuoyoit en ſigne du prix qu’elle auoit merité pour fon adreſſe. Incontinant elle fait auſſi prendre celuy qu’ellea uoit abbatu, & l’accouplant à celuy du Prince, les luy enuoya tous deux, auec parole que c’eſtoit en teſmoignage de ſon plus aduantageux merite. Le Prince prenāt les deux oyſeaux, ſon arc & ſes fleſches enuoya tout à la belle par le page, qui le poſant à ſes pieds ſe retira en diligence par vne voye, qui fit perdre les erres du Prince, ſi qu’elle ne peut plus riē renuoyer. Roſolphe ne voulāt point eſtre vaincu de courtoiſie, ſentit en ſoy vne nouuelle emotion de deuoir où iamais il ne s’eſtoit aduancé, & ſe retira ne deſirant pas que celle qu’il euſt voulu ſeruir l’euſt deuancé en humilité. La belle le pēſant eſloigné, ſe mit à diſcourir de ceſte rēcontre, & ne le penſant ſi pres, oſta ſon maſque, & leua ſa coëffe pour ſe rafraichir pres la fontaine, que voici venir le Prince, qui la surprēd, & vit ceſte beauté, parangon de l’vnique, il eut peu de propos auec elle, & paſſa outre prudemment, emportāt vn vehemēt traict au cœur, lequel a fait telle playe qu’à iamais la cicatricey demeurera. Eſtāt à part ſoy, & meditant ceſte auenture, il changea de courage, ſi qu’il ſe delibera de ſubir les douces loix du premier commandement de Dieu : partant prenant l’opportunité de le faire entēdre au Roy son pere, il luy declara ſa penſee & intentiō, le ſuppliant au reſte d’ē diſpoſer ſelō ſa ſageſſe & bō plaiſir. Le bō Roy cōtēt au poſſible de ce chāgemēt & volōté ſuruenuë, qui luy eſtoit tāt agreable. auſſitoſt enuoya querir le Gētilhōme pere de Feriſtee, auquel il fit entēdre ſon vouloir, le priāt, nō cōme ſuiet, ains en Seigneur, dōt il deſiroit l’aliāce, d’auoir agreable le mariage du Prince ſon fils, & de ſa fille. Le ſage Gentilhōme ne pouuant ny deuāt s’excuſer, ou refuſer, ou remettre la partie, dōna en tres-hūble ſuiet la carte blanche à ſon Roy, pour y deſigner ce qu’il luy plairoit tellemët que le mariage fut cōclud & la belle mādee, vint en Court, où ſa mere l’amena. Eſtāt parmy les Dames, il ne fallut point de iuge particulier en beauté pour la remarquer entre les autres, il ne falloit que les yeux pour la diſcerner, ne plus ne moins qu’on remarque vne fleur entre les herbes d’vn pré, qui n’ōt riē que ce qui eſt cōmun. Les accords eſtās faits on cōmēça les iours de ceremonie auec grāde ſolénité. Le vieil Roy ſentit ſon cœur raſſâſié de tant de lieſſe, que ſon ame s’ē exhala ſoulee de cōtentemēt terreſtre : Ceſte diſgrace occaſiōna du dueil à la Court : mais il fut biē toſt paſſé par l’effort de la ioye que dōna le couronnemēt de Roſolphe. Les obſeques de Se lion eſtāt acheuees, le Roy voulut entendre à ſon mariage qui fut celebré en toute magnificēce. La Nobleſſe y aſſiſta en feſtes, iouſtes, tournois, cōbats feints, & tous plaiſirs de grands, Quand ce fut au ſoir, & qu’on parla de coucher la future Royne, elle ſe vint preſenter au Roy luy demandant vh don, qu’elle luy ſuplioit humblement ne luy refuſer, ains à l’antique facon de leurs anceſtres, luy accorder. Le Roy la voyant en ceſte gracece & diſpoſition, luy dit, Demandez, & elle, Sire encore que ie ſois voſtre treſ-hūble ſuiette & ſeruante, & qu’il vous a pleu par vne ſpeciale faueur me choiſir pour eſtre voſtre hūble femme, ſi eſt-ce qu’eſtant pres du rang que ie doy tenir, ie ſens mon cœur s’eſleuer, nō pour eſtre glorieuſe Princeſſe, ains digne compaigne d’vn grand Roy, & par ainſi ſortir de mes premiers limites pour entrer en autres plus excellens, & eſquels il conuient auoir vn cœur Royal partant afin que ie ſois telle qu’il eſt ſeant, ie vous requiers d’vn don pour le prix de ma virginité, & pour me releuer à bō droit le courage. Le Roy. Ie remets à la raiſon tout ce que vous auez de pretentions, vous priant auſſi d’auoir eſgard à ce que ie puis & dois, ſans adiouſter voſtre merite. Feris. Si i’ay eu du merite par le paſſé, il n’eſtoit pas de telle qualité que celuy auquel vous me ferez paruenir. Le Roy. Parlez donc. Feristee, Ie ne mettray point en auant ce que les filles peuuent propoſer pour le guerdon de leur prudence, Ie ne vous preſente que celle qui ſera l’autre vous-meſmes lors qu’il vous plaira, & en ceſte qualité pleine d’amour & de grandeur, ie vous demande ce don, c’eſt qu’en voſtre monnoye mon nom & ma figure ſoyent grauez auec les voſtres. Le Roy. Ie ne pouuois pēſer que ceſte enuie fuſt en voſtre courage, auſſi m’eſtonnant de voſtre requeſte qui passe outre le terme de requiſition, ie n’eſtimois pas que me demādaſſiez ce que iamais Dame n’a preſumé d’auoir en ces pays, où les ſceptres ne tombent point en quenoüille : partant ie vous prie de changer les termes du don, d’autant que celà ne ſe peut Feristee. Miſerable moy, pourquoyvous ay ie offencé ? Pourquoy l’amour m’ayant voulu eſgaler à vous, le deſtin m’abat de mon degré ? Ie n’ay que du cœur, & vous Sire, toute grandeur, or ie laiſſe choir ce que i’en auois deſia embraſſé, & m’enſeueliſſant dās l’extreme deſplaiſir que i’ay d’eſtre eſconduite, ie veux mourir, & encore plus inſtamment ie le veux, pour auoir oſé m’auancer à vous requerir puis qu’il vous eſt deſagreable, & mon regret ſe multiplie pour auoir en ceſte fortune tant auguſte trouué ce qui reſiſte au bon-heur de noſtre mutuelle conuenance. Faſcheux ſuccez qui me perdez ! Sire, vous eſtes Roy, & dauantage, vous auez reputatiō d’eſtre plus ſage que Roy, & pourtant mon intention a eſté vous faiſant ce ſte demande, de cognoiſtre & deſcouurir par vous meſnes ſi parfait amour, tel que le merite mavir ginité, vous a incité à m’eſlire pour voſtre, ou ſi c’eſt vne pureardeur de conuoitiſe qui vous y ayt ſtimulé : & pour ce que ie deuois eſtre plus Roy ne que grande, ie vous dy que vous n’aurez riē de moy que la vie par effort, ſi vous l’entreprenez cōme Monarque, ſi ie n’ay le don requis, pource que ie ne ſuis non plus digne d’eſtre voſtre femme, que d’obtenir ce dont ie ſupplie, & qui m’eſt deu par le deſſein qui vous a faict m’eſtimer capable d’eſtre voſtre compagne, pour à quoy paruenir pour la ſplendeur de uoſtre gloire, il eſt auſſi conuenable que i’aye autant de ſoin pour vous eſtre conioinéte, que vo° pouuez auoir de zele à maintenir voſtre vnique grādeur, ou vnie auec moy, ou ſeparee de moy. Le Roy. Ie laiſſe ma grādeur, i’oublie mon ſceptre, ie quitte mon authorité, me faiſant meſmes moindre que vous par le reſpect d’amour lequel couure tout ſous le manteau de ſes douceurs, & faict que ie ne prens point garde à la vehemēce dont vous m’vlcereriez, ſi ie me tenois ferme en ce que ie deurois eſtre, ſi ie n’aymois, point, i’excuſe par ce moyen la violence que vous me faites, pour faire paroiſtre qu’il n’y a riē que le, vray feu d’amour qui m’eſlance : Ie vous pardōne tout ce qui peut offencer vn Roy, ie n’entēs point les reproches qui m’appartiendroient, ſi la loy ne dependoit de moy. Ie ne veux rien aperceuoir de ces defaux cōmis cōtre ma dignité : car ie me ſuis addonné à vous par tel excez de vertueux amour, que ie vous feray paroiſtre, pource que ie le veux, qu’il n’y a que la vertu qui m’ait induit à vous aymer : & pour autant que vous eſtes galāde, & auez vne belle preſomption, ie veux par elle-meſme vous vaincre, ou ployer ſous vous, s’il ſe peut, parquoy ie veux que vo9 obteniez par voſtre dexterité (qui eſt voſtre reſte) ce que vo9 pretēdez, ou que vous vous deportiez de voſtre pretētion, pour obeyr à ce que vous me deuez. Et afin que ie ſois d’autāt iuſte cōtre moy, que ie le doy eſtre en cōſeruant le droit de mō peuple, tout maintenant & tandis que nos cœurs y ſont diſpoſez, ſuiuant leur alteration, faites aporter voſtre arc & vos fleſches, & ayant les miennes en ceſte galerie, nous ferons vne galanterie qui me liberera de voſtre importunité, ou vous maintiendra en voſtre preſomption, Nous tirerōs trois coups pour ceſt effect. Feriſtee s’accorda à la códitiō que le Roy auoit iugee, puis tous deux ſe trouuerēt au lieu deſigné. Le Roy ayāt fait appareiller la gallerie, fit mettre au bout opposé à celuy où il eſtoit vne grāde ouale d’argent, ſouſtenuë d’vn pieddeſtal, & par la lumiere des flambeaux monſtra à Feriſtee que c’eſtoit le but où il falloit tirer, lors que les feux oſtez, ils tireroiēt poſſible à l’auanture, & poſſible à l’eſgal de l’adreſſe. Les lumieres oſtees, le Roy qui ſouuent auoit fait cet eſſay, tira trois coups qui furēt ouys, d’autāt que la lame reſonna par l’atteinte du trait. Apres celà il dit à Feriſtee, faites autant ou mieux, vous auez ouy ce que i’ay executé : Sire, dit-elle, deux ſens ſont plus qu’vn, puis le plus exquis dōnera vn iugement plus aduantageux : alors ayant l’arc preſt, elle enfonça ſa fleſche, qui donnant ſon atteinte, ſe fit bien ouyr, apres elle decocha les deux autres coups, qui ne donnerent non plus de ſon, que ſi la fieſche euſt paſſé aupres du but oppoſé en le frayant. Et bien luy dit le Roy, qui a gaigné ? Sire, dit-elle, la veuë en rēdra teſmoignage. Les feux remis, on alla viſiter les fleſches, celles du Roy auoient chacune fait leur paſſage, ce qui fut cogneu & bien remarqué : mais celles de Feriſtee dont la premiere ſeule fit du bruict, n’auoient ſuiui qu’vne voye, car la belle auoit ſi biē addreſſé ſes coups, que la premiere ayant faict ouuerture, fut ſuiuie des autres, ſi que par le iugement meſmes du Roy, Feriſtee auoit le mieux fait, & pourtant ſa requeſte ne luy fut pas accordee par Roſolphe, qui opiniaſtre au vain maintien de l’opinion de ſa grādeur, ayma mieux libremēt ſe fruſtrer du plaiſir plus Vingulier que les feintes d’amour ptopoVent, que de retrācher de ſa gloire, en cōmuniquant la moitié de ſon authorité à vne fēme. En ceſte tentation il demanda à Feriſtee ſi elle vouloit pas bien luy donner encor vne preuue de ſa dexterité, ſuiuant les meſmes conditions de tātoſt, à quoy s’eſtant hūblement ſoubmiſe, la partie fut arreſtee au lendemain, & la belle fut conduite en ſa chambre en ſon particulier. Il y auoit en la court du Palais l’effigie d’vn des anceſtres du Roy, ayant vn ſceptre en la main : Roſolphe cōmanda qu’on oſtaſt ce ſceptre, & que ſur la main on miſt vne orenge, puis l’heure venuë, il la monſtra à Feriſtee, luy diſant que ſi elle pouuoit ſi biē tirer, qu’elle oſtaſt ceſte orenge, & la remiſt ſans qu’elle touchaſt à terre, qu’il luy accorderoit ce qu’elle auoit demandé. Elle luy reſpond auec tout reſpect, qu’elle eſtoit preſte d’effectuer ce qu’il auoit propoſé, ſi luy-meſme qui eſtoit l’vnique entre les accomplis, en venoit à chef. Le Roy qui auoit premedité ſon affaire eſleut la fleſche faicte expres, & tira ſi proportionnément, qu’il enleua l’orenge & la fleſche qui la trauerſoit, cheut plantee en terre, ayant l’orenge pres l’empanage puis il prit la fleſche, & pouſſant l’orenge au bout, tira en l’aër auec telle raiſon, que la fleſche s’eſtant tournee, vint tomber le fer dans l’anneau que faiſoit la main my-cloſe, & laiſſant l’orenge deſſus, vint ſeule par ſa peſanteur choir perpendiculairement en terre ſous la main de la figure. Ceux qui auoient admiré les coups faicts en l’obſcurité, s’eſmerueillerent encore plus de ceux-cy, eſtimans qu’il n’y auoit plus d’inuentiō pour les effacer : Feriſtee ayāt conſideré ce qu’elle deuoit executer, choiſit entre les fleſchescelle que elle eſtimoit propre à ce qui ſe preſentoit : & ayāt l’arc en main ſe mit deſſous la figure, ordonnāt ſi iuſtement ſon coup, que la fleche decochee paſſa dans l’ouuerture de la main, emportant es airs l’orenge auec ſoy : puis ayant acheué ſon eſlancement vers le haut, ſe tourna ſi iuſtement, qu’elle reuint à plomb tomber au meſme endroit par où elle auoit paſſé, auquel lieu elle laiſſa l’orenge, & ſe ficha en terre, à l’endroit que celle du Roy s’eſtoit plantee. La vertu de ceſte Dame donnant d’vn autre trait dans le cœur du Roy, luy cauſa vn ſi vif deſplaiſir, que de regret deveoir ſa dexterité fleſtrie à l’ombre des perfectiōs d’vne ſimple demoyſelle, ſe mit au lict, plus atteint de fureur que de mal : là ſon dépit le recuiſant, il fantaſioit mille idees de vengeance contre l’amour, la Belle & ſoy-meſme, pour auoir apres tant de reſolutions donné entree à ce ruyneur de cœurs : lequel l’a tant raualé de courage. Ses malignes.pointes luy ſuggererent en fin vne cruauté que le dedain forgea ſur ce qu’il creut, que le meſpris auoit cauſé ces malheurs, parquoy ſe voyant ingratement foulé par l’orgueil outrageux d’vne qu’il a voulu faire plus grande qu’elle ne meritoit, ſelon qu’il le iuge en ſon amertume, il s’enuenime du tout contre elle, & en la vigueur de ſon indignation plain d’ire, excité de courroux & meu de douleur impatiente, commanda à quatre ſoldats de ſes gardes, d’aller incontinent ſaiſir Feriſtee, & la ietter en la foſſe de la tour, où repairoiēt les chiens dangereux, laiſſons luy prēdre vn peu de repos, à ce que toutes ſes fortunes ne la uyuent pas ſi viuement, & puis tantoſt nous acheuerons.

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DESSEIN CINQVIESME.


Feriſtee conſeruee par le Taliſmam de la canicule, ſe retire en vn village chez vn Baſteleur, elle oyt dire que le Roy eſt tres-malade, ſurquoy elle conſeille au Baſteleur d’aller trouuer le Roy, & luy promettre guariſon. Le baſteleur ſous la feinte d’vn ſinge preſente Feriſtee au Roy qui la reçoit magnifiquement.


ES murailles de la ville vers l’Orient d’eſté, eſtoit vne ſorte & ſpatieuſe tour, où le Roy Roſolfe faiſoit nourrir quatre grands chiens fiers comme lyons & ſi malins, que pour ceſte cauſe on les nommoit dāgereux, auſſi leurs déts auoyēt executé quelquefois la iuſtice, ſur les corps d’aucuns qui auoyent cōſpiré contre l’Eſtat, ces chiēs eſtoient enchaiſnez à des chaines aſſez longues & fortes, où l’on les tenoit attachez, de peur qu’ils ne ſortiſſent par le grād canal des immōdices. Le Roy ayant commandé, les ſoldats, biē que ce fuſt à grand regret, l’executerent, expoſans aux chiens ceſte innocente : mais aſſez temeraire beauté, qui n’eſtoit couuerte que de ſa ſeule chemiſe, auec vn ſimple friſon, certainement les regrets, & d’elle & d’eux, eſtoyent piteux : mais l’obeiſſance qui eſtoit extreme, rauit aux ſoldats tout moyē de faire plaiſir à la Dame, laquelle auec des doleāces infinies ils coulerent vers les chiens où la deſolee eſtant, la trape fut refermee. Les chiēs accoururēt promptement à ce nouueau corps, mais tout d’vn coup ils s’arreſterent. Helas ! la pauurette n’auoit point premedité de remede à ſon mal inopiné eſtant priſe au deſpourueu, toutesfois par rencontre elle auoit auec ſoy le iuſte preſeruatif, & n’aurez point à deſplaisir d’en entendre le diſcours. Le ſouuerain plaiſir de ſes exercices eſtoit la chaſſe qu’eſperduement elle ſuiuoit : & pour ce, que ſouuent il lui auenoit en ſes courſes, de paſſer aupres de meſtairies, où il y auoit de grands maſtins qui la deſcouuroyent quand elle ſe proumenoit ou chaſſoit, & l’interrompoyent luy faiſans quelquefois perdre de belles occafions de priſes notables, dequoy elle s’en faſchoit, & eut bien voulu y mettre ordre ſans offenſer, ny les perſonnes ny les beſtes : parquoy elle en conſulta pluſieurs philoſophes, & eut beaucoup de peine, de ſçauoir vn moyen à ceſt effet, ce qui finalemët luy ſucceda par la rencontre d’vn vieil Hermite, qui habitoit en la foreſt reculee, lequel l’inſtruiſit de ce qu’elle deſira. Ce perſonnage ſe delectoit à voyager, & par rēcontre s’eſtant addreſſé chez le pere de Feriſtee, ſe mit à diſcourir de pluſieurs ſingularitez, la belle l’oyant parler pertinëment de beaucoup de ſecrets, lui cōmunica ſon affaire touchant les chiēs ; le bon hōme liberalemēt lui enſeigna ce qu’elle ſouhaitoit : En ſa preſence il prit vne petite baſſete qui auoit eſté couuerte, & au point meſme que l’on prēd les lices pour les clorre l’ayāt ouuerte induſtrieuſemēt de la matrice auec grande prudēce la mëbrane, commune aux deux ſexes, & ſ’ayant leuee delicatemēt, en referma ſoigneuſemēt le lieu, afin que l’animal ſurueſcut, ce qui eſt fort remarquable & à cōſiderer : car on a obſerué par les effets, que ce qui eſt pris des animaux pour ſeruir à la magie naturelle, n’a pas grāde efficace, ſi l’animal ne ſuruit apres la ſeparation de ce qu’on en a tiré : Ceſte mēbrane fut par l’hermite preparee & acheuee de tout ce qui eſtoit requis à ſon intention, & ſelon les conſtellations propres bien obſeruees y poſa le caractere de la canicule ſe leuant, d’auantage il monſtra à Feriſtee l’herbe, qui ſe leue au premier leuer de la canicule apres minuict, laquelle il faut cueillir, & porter enueloppee dans le parchemin fait de la mēbrane, & l’auoir cōtinuellement ſous l’eſſelle gauche : Ce taliſmā entre ſes autres vertus eſt l’vnique, pour empeſcher les chiens d’aboyer & de mordre. Ceſte belle miſerable auoit touſiours depuis porté ce petit ſymbole de la canicule, ſi que lorsqu’elle fut iettee aux chiēs dangereux, elle n’y penſoit pas, & n’auoit eu ſoin que ſubir triſtement l’extremité prononcee de la part du Roy, par laquelle elle ſe reſoluoit à ſa derniere neceſſité ; mais eſtant là, & ayant repris ſes eſprits trop troubles, & voyant ces animaux de fureur conuertis en mignonnes beſtes s’aſſeura, & preuoyant à ſe retirer de ceſte incommodité, prit le loiſir que l’occaſion luy concedoit, parquoy auiſant l’ouuerture du cloaque elle y alla, & ſe gliſſant doucement ſe ſauua par le foſſé, ſortit aux chāps, & tira vers vn village vn peu diſtant de la ville, où ſouuent elle auoit eſté, & veint à la maiſon d’vn baſteleur où elle heurta : le baſteleur s’eſtant leué parla à elle, & luy ouurit la porte : eſtant entree, elle luy raconta qu’elle eſtoit vne pauure fille qui venant en la ville pour ſeruir, auoit eſté priſe par des mauuais garçons, qui l’auoyent miſe en ce pauure eſtat. La pitié qu’il en eut, fit qu’il l’a receut & r’efforça de ce qu’il peut, le lendemain deuiſant auec elle, luy demanda ſi elle vouloit aller à la ville & ſuyure ſa fortune : elle dit que non, & qu’elle eut mieux aymé demeurer auec luy : pourueu que ce fut ſecretement. Le baſteleur condeſcendit au vouloir de la belle, qui de fortune auoit en la pochette de ſon friſon des bagues, & quelques pieces d’or, que ſagement elle donna au baſteleur pour luy acheter quelques hardes. Ce baſteleur auoit vn grand Singe fort bien dreſſé, par le moyen duquel il gaignoit ſa vie, & celle de ſa belle qu’il tenoit comme ſa fille, laquelle faiſoit le petit meſnage de la maiſon, au grand contetement de ce nouueau pere, auec lequel elle fut pluſieurs iours.

Le lendemain que le Roy eut fait expoſer Feriſtee, toute la cour fut en triſteſſe, car il declara deuant tous la iuſtice, qu’il auoit faicte de la rebellion & preſomption, de celle qu’il auoit voulu honorer de tiltre de Royne, & elle l’auoit trop indiſcretement meſprisé. Le triſte pere de Feriſtee, ne pouuoit preſque ſupporter vne telle — affliction, toutesfois celuy fut force, remettant toute la cauſe du malheur en la folie de ſa fille, qu’il va lamentant auec tant de plaintes, que l’air en eſt encor tout rebatu. Il n’y a rien qui ſe repreſente plus au cœur qu’vne eſperance : dont on a preſque veu les effets & ils ſont eſchapez. Ce Roy en esprouue, & l’accés & l’excés : car ſa ſureur eſtāt moderee, & la ſouuenance du paſſé luy remettant deuāt les yeux les perfectiŏs de celle qu’il a deſolee, l’amour trauaillât auec le deſplaiſir, il reſſent de nouuelles pointes en sŏ cœur, il n’auoit iamais encor riē eſprouué de ſemblable, vn regret nŏpareil le deſchire auec toutes ſortes de violēces, & le proche repētir lui ſuggerāt vne abōdante deſplaisāce, le iette en vne ſi extreme melācholie, qu’il perit à veuë d’œil, & ſe conſommant de triſteſſe approche de ſa fin, en laquelle il ſ’auāce tant qu’il ne lui reſte plus qu’vn indigné ſouſpir qui eſt pres d’exaler, en ſacrifice d’expiatiō, aux ombres de celle dōt il lamente la perte, que ſon indiſcretiō a occaſionnee. Les grāds & le peuple eſtoiēt fort affligez de l’afflictiō de leur Roy, l’air de leurs gemiſſemēs retentiſſoit partout, & l’incōuenient de la court ſe manifeſtoit en tous endroits : ce bruit auec ce qu’il y auoit de verité, veint en la maiſon du Baſteleur qui en entretenoit ſa fille, laquelle oyāt les diſcours qu’on raportoit de la repētāce du Roy sētit en ſon ame vne nouuelle afflictiō qui lui formoit des pointes infinies de pitié, pour l’amour de celui qu’elle reueroit & aimoit parfaitemēt, & preſque ſa douleur eſtoit apparēte ; toutesfois elle ſceut ſagemēt ſe cōtenir, & pēſant aux penitëces que le Roy faiſoit en ſatisfaction du mal qu’il lui auoit pourchaſſé, ſe cōuertit toute à remedier à ce malheur. Dōques ayāt conſulté ſon bel entendemēt ſe reſolut de s’expoſer à la Fortune, pour obuier au deſaſtre qui ſe preparoit ; parquoy prenant le Baſteleur à propos lui dit : Mon pere ie vous ay touſiours dit que ie vous recognoiſtrois du bien que vous me faites, & il ſ’offre vne affaire à laquelle ſi vous voulez entēdre il y a moyē de vous faire riche & nous auācer : le pouuez vous ? dit-il, Ouy : car à ceſte heure que le Roy eſt malade, il y a moyē de faire vne bōne main, ſi vous me voulez croire ; En la ſuite de ces propos elle l’inſtruiſit de tout ce qu’il falloit faire, & cōment il ſe deuoit cōporter iuſques à ce qu’il fut tēps qu’elle fit vn coup notable. Apres cet auis le Baſteleur veint à la court, & demāde à parler au gentilhōme qui luy auoit eſté remarqué, par l’entremiſe duquel incōtinent il fut introduit deuāt le Roy, ioint que pour obeïr à ceſt humeur hypochondriaque, les medecins auoyēt conſenti & ordōné qu’on amenaſt au Roy tous ceux qui propoſeroyēt de le guarir. Ce Baſteleur eſtāt deuāt le Roy ſ’auiſa de parler à lui d’vne grace ſi nouuelle, que deſia le Roy ſe fut pris à rire, n’eut eſté qu’il eut hōte de ſentir ſi ſoudain de l’amendement : Les melancholiques en ſont de meſme, eſtās ſi malignemët touchez de leur folle humeur, qu’ils ne voudroiēt pas auoir dōné gloire à quelque remede qui leur eut fait du bien, tant ils ont le courage fade. Sire, dit le Baſteleur, i’ay quelque choſe qui vous guarira du tout, ſi vous me voulez croire. Le Roy. Ce que tu me dōneras eſt-il difficile, faſcheux, ou ennuyeux ? Le Bastevr. Vous me la baillés belle, Sire, c’eſt au rebours, ne vous deſplaiſe : & biē Sire, vous eſtes faſché, vn grād deſplaiſir vous guerroye, il vous faut auoir vne extréme lieſſe, & pourtāt ce que ie vous ordōneray ſera aiſé recreatif & deſirable. Le Roy. Cōment feras-tu ? Le Bast. Tout ainſi qu’il vous plaira, mais que ne vous deſplaiſe : Et commenceray par vn ſinge que i’ay, qui vous fera voir voſtre contētement, & biē, Sire, eſt-ce pas parlé cela ? Le Roy prenoit plaiſir à l’ouïr parler, eſtimāt que les bourdes qu’il propoſoit, eſtoiēt pl° pour le diuertir que pour riē effectuer de propre à ſon mal. Par le commādement du Roy, la porte eſtoit ouuerte au baſteleur a toutes heures, lequel amena ſon ſinge, auquel il faiſoit faire tant de paſſades riſibles, que cela diuertiſſoit l’eſprit de Roſolphe, duquel toutesfois l’ennuy ſe repreſentoit ſi viuement en ſa penſee quand il eſtoit ſeul, qu’il perdoit preſque tout courage, pour à quoy prouuoir le plus ſouuent on luy donnoit des diuertiſſemens diuers, ores de bons diſcours, puis de la muſique, en apres des jeux de plaiſir, & autres delices d’yeux & d’oreilles, qui s’entreſuiuoyent en ſa preſence. Par l’auis du Baſteleur qui dit, que ſon ſinge en auoit enuie, le Roy fut mené en vn pauillon qui eſtoit aux iardins, & là vne apreſdinee il fit faire à ceſte beſte, tant de non communes & ridicules grimaſſes, & geſtes fantaſtiques, que le foye ſe dilatant au Roy il entra en quelque delectation : vne fois qu’en ce lieu, le Roy auoit pris plaiſir aux ſoubreſaux du ſinge, & qu’eſtant las de ce jeu, il voulut ſe promener au iardin il y alla, & commanda qu’on le laiſſaſt vn peu ſeul : ainſi allant & venant, il jettoit l’œil par la feneſtre, & voyoit le ſinge en frayeur, aupres du grand leurier lequel il craignoit, parquoy ſe trouuant ſi pres de luy ſe tenoit en peu de lieu, & de peur faiſoit des geſtes, mines, façons & contenances tant differentes, & fi ioyeuſement agreables, pour leur deſplaiſance & ordre ſi deſordonné, que le Roy ne peut ſe contenir ſi fort, qu’il ne donnaſt quelque ſigne de ioye ſe prenāt à rire, de quoy ſ’aperceurēt les Princes, Seigneurs & autres qui y prenoyent garde, & iugerēt par là, que bien toſt la bōne humeur r’ameneroit la ſanté de Roſolfe. Quād l’eſprit eſt en ſa propre diſpoſitiō, le lugemêt ſe trouue en eſtat de bien faire ſa function. Le Baſteleur retourné, & le Roy déuelopé du plus eſpois de ſa malancholie : commençoit à raiſonner familierement par tout, il appella à ſoy le Baſteleur, auquel il demāda qui lui auoit donné conſeil de venir à lui. LE BAST. Sire, ce qui vous a donné du plaiſir m’en a donné le conſeil. LE RoY. Prens tu conſeild’vne beſte. Le bast. Si re, excuſez moy ſ’il vous plaiſt, & ie vous diray vn propos notable ; Ce n’eſt pas vne beſte que mon ſinge, non, c’eſt vne Fee, n’auez vous iamais ouy parler de la Fee Romande, c’eſt elle meſme qui ſ’eſt miſe en ceſte figure expres pour voſtre ſoulagement, & quand il vous ſera agreable, elle ſe mettra en belle Dame : Sire, vous plaiſt-il er veoir les effets ? Le Roy qui ſentoit ſa ratte ſ’amolir & l’humeur melancholique ſe reſoudre, penſant que ce Baſteleur eut encor quelque tour nouueau pour le faire rire, lui dit, va, fais tranſmuer ton ſinge, & que ie voye ceſte belle Fee. Le bast. Sire, les Fees pudiques ne ſ’oſent pas communiquer librement, ſans auoir aſſeurance qu’il ne leur ſera fait aucune inſolence, force ou vergongne. S’il plaiſt à voſtre majeſté, de m’aſſeurer qu’il ne luy ſera fait aucun deſplaiſir, pour choſe qui auienne ou apparoiſſe & qu’elle fera en toute liberté tout ce qu’il lui plaira, ſoit pour ſ’aprocher ou ſe retirer ſi beſoin eſt, ie la vous feray paroiſtre. Le Roy aleché par tels deuis plaiſans qui eſtoyent ſerieux, & toutesfois il ne les penſoit pas de la ſorte, venans de ce ioyeux, promit & iura au Baſteleur toute ſeurté. A ſa parole le Baſteleur ſortit pour remener & aller querir le ſinge de Fee, & le Roy ſe delectant deſia de ces folettes ourades, attendoit quelque galantiſe pour rire, que deuiſant auec quelques ſeigneurs le Baſteleur entra, menant en main vne ſimilitude voilee. Le Roy ſe tourna vers lui & vid quelques reuerences ioyeuſes que fit le Baſteleur amenant ſa Fee. Ce fut icy vne nouuelle façon : car le farceur auoit tāt accouſtumé de harceler les chiens mignons, qu’il ſembloit quand il entroit qu’ils le deuſſent deuorer, & ceſte guerre duroit pres d’vn demi-cart d’heure, & à ceſte fois ils ne lui dirent rien, ne ſ’eſmouuans non plus que ſ’il ne fut pas entré : Le Roy qui prenoit garde à cela, & que meſme ſes chiens qui ont accouſtumé d’aboyer ce qu’ils n’ont pas accouſtumé deveoir, eſtoient comme ſans y penſer, ne ſçauoit que croire, ſ’il euſt eu l’eſprit leger ainſi que la plus part des hommes de ce temps, qui iugent mal de tout ce qu’ils ignorent, il eut penſé que ce baſteleur eut eſté magicien ; mais n’allant pas ſi viſte il ietta l’œil attentiuement ſur cet obiect, adonques la Fee qui s’eſtoit tenue ferme au milieu de la chambre où le farceur l’auoit poſee, voyant le Roy ſe tourner vers elle oſta ſon voile d’autour elle, & deſcouurant ſa teſte ſe ietta humblement à genoux aux pieds de ceſte majeſté eſbahie ; Le Roy fremiſſant en ceſte emotion regardoit attentiuement, & voyant en celle qu’il conſideroit des rayons de beauté, qui n’appartenoient qu’à Feriſtee, ſ’enclinant vers elle dit, eſt-ce feinte où verité, ie vous prie Belle dites moy qui vous eſtes : En ce trāſport ne pēſant qu’à ce qui eſt deuant lui il lui tend la main, & prend la ſienne lui donnāt courage de parler, alors elle dit, Sire, ie ſuis ce qu’il vous plaiſt, bien que i’ay eu l’honneur d’eſtre voſtre pauure & deſolee eſpousſe : puis qu’il vous a pleu me faire telle ; Ie ſuis Feriſtee l’infortunee, qui vient en toute humilité, vous demander pardon du mal que vous ſouffrez à mon occaſion ; donques, Sire, que voſtre œil miſericordieux ſ’adouciſſe vers ceſte temeraire, qui vous a tant cauſé de detreſſes, & ſ’il y a en vous quelque ſouuenance de m’auoir daigné aymer, qu’il vous ſoit agreable de me receuoir à mercy : Roſolfe ayant conſumé tout le fiel de ſon courage, à bras eſtendus la veint releuer, & l’embraſſant de tout ſon cœur lui dit : Ce peut-il faire que ce ſoit vous, chere Feriſtee. Eſt-il vray, que mes yeux ayent deuant eux le plus doux ſujet de leurs bonnes delices, & que ie ſente en ma preſence celle qui fut le motif de mes plus belles penſees ? Celle que trop malheureuſement inconſideré, i’ay voulu ruiner, celle que ie croyois auoir depiteufement defaite, pour m’eſtre voulu indignement venger ? Pardon belle pardon, c’eſt moy qui ay peché, ie t’ay trop offencee, ie te prie que le paſſé ſoit oublié, releue toy mon bien, & te leue pour eſtre chere cōpaigne de celui qui n’eſperoit plus ce bonheur, & qui te ſera ſi fidele en t’aymāt que tu oublieras ſes cruautez. En ce contentement il ſouleue ſa deſiree femme, & pour luy faire paroiſtre qu’il eſtoit meu de iuſte repentance & animé de parfaicte ioye, il dreſſa tournois, ordonna iouſtes, feſtins, & telles ſolemnitez ioyeuſes qui ſe pratiquent aux ſuccés des meilleures fortunes, & comme ayant fait nouuelles nopces & receu ſa femme auec honneur, il lui accorda le don requis : la ſage Royne en fit hūble refus, mais il voulut que cela eut lieu : tellement qu’à l’heure la monnoye en fut marquee, & largeſſe en fut faite. Le pere de Feriſtee fut eſleué en eſtats & ſes arens auſſi, quant au Baſteleur, il fut prouueu d’vn eſtat plus honorable & fut accommodé de biens. Roſolphe enuoya ces chiēs auRoy de la grād Bretagne, car ils eſtoyent de la race des premiers dogues : Du conduit du cloaque, il fit faire la plus magnifique galerie qui fut iamais conſtruite, c’eſt à ceſte heure, celle par laquelle on va aux iardins de plaiſir. Il fit changer le foſſé, & la tour des chiens, & y fit baſtir vn pauillon ſi exquis, que de toutes pars les architectes y viennent prendre des patrons pour exceller en leur art. Et pource qu’il falloit que la loy qui eſt ſtable, pour le fait des amans parfaits eut lieu, le Roy & la Royne d’vn meſme courage ſe condamnerent de leur bon gré a ſe trouuer icy au temps de l’anniuerſaire de Glilicee, où il ſera iugé au profit d’amour, lequel des deux a tort.

Ces beaux diſcours eſtoyent preſque encor’en la bouche de la Dame, qui contoit aux Fortunez, comme Roſolfe & Feriſtee auoyent enuoyé leur requeſte, qu’il ſe preſenta au haure vn vaiſſeau. On y enuoya ſelon la couſtume. Aux banderoles, les Fortunez cognurent qu’il eſtoit de Nabadonce, parquoy ils prirent à part leur ſage hoſteſſe, qu’ils prierent qu’ils ne fuſſent point veus de ces gens là pour de bonnes raiſons qu’ils lui diroient. Pour ayder à ceſte feinte, il courut vn bruit, qu’en haſte ils eſtoyent montez ſur vn vaiſſeau qui paſſoit en Claura, où ils auoyent expreſſemēt affaire.

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DESSEIN SIXIESME.


L’ambaſſadeur de Nabadonce eſt bien receu & ſatisfaict de ceux de Sympſiquee. Les Fortunez partent pour aller à leurs deſirs. Conditions des Inſulaires.



LE Roy de Nabadonce auoit fait baſtir en vn endroit fort propre, vn palais de plaiſance le plus agreable du monde, qu’il nomma l’Hermitage d’Honneur, ce qui eſtoit deſia diuulgué, tant en Sympſiquee qu’autres infinis endroits. Ce Roy deſirant rendre ceſte maiſon toute accomplie, enuoyoit partout à la recherche de toutes raretez & excellences, & pour en auoir de ceſte iſle y auoit enuoyé vn Ambaſſadeur bien ſuyui : Nous le viſmes ſortir de ſon vaiſſeau en ordre & compagnie magnifique. Cet Ambaſſadeur fut receu, ſelō la qualité de ſon Roy de la part duquel ayǎt fait entendre qu’il deſiroit cōmuniquer auec le Roy & les Princes de Sympſiquee, il fut reſpōdu que le Conſeil y auiſeroit, & que l’on le rēdroit contāt, le conſeil donc ayant eſté aſſemblé, iour fut decerné à l’Ambaſſadeur, & cepēdant on lui dōna le plaiſir de toutes les belles ſingularitez. Le iour & l’heure de l’aſſignation, l’Ambaſſadeur de Nabadonce introduitau Conſeil, & ſachant la couſtume du pais, expoſa ainſi ſa charge. Sire, il y a touſiours eu entre les Rois vos predeceſſeurs & ceux de Nabadonce, vne telle cōcorde & ſympathie, que ce que l’vn l’a deſiré l’autre l’a ſouhaitté, & iamais depuis leur aliāce qui eſt tres-anciēne, les pais de l’vn n’ont receu plaiſir ou cōmodité, que les terres de l’autre ne ſ’en ſoyēt reſſenties, noſtre Roy ayāt entēdu que vous auez entre vos precieux ioyaux, la belle Iuiue petrifiee, qui eſt vne vnique rareté, deſirant vous rēdre contant & aſſeuré de ſon amitié qu’il ſcait eſtre mutuelle, a tant fait par preſens, prieres, eſchāges & bōs moyēs, qu’il a recouuré l’onguēt du Roy Eumeneſte, qui comme vous auez ouy dire, eſt de telle vertu qu’il peut remettre la belle Iuiue en ſon premier eſtat & naturel ; En outre il a recouuré l’inuētion de Minerue, pour former le ſomnifere diuin : dont la vertu principale eſt de faire deuenir le cuir du corps, & parties muſculeuſes exterieures diaphanes comme verre, tellement qu’à trauers on peut voir le mouuement des arteres, le coulement du ſang, l’operation du poulmon, la diligēce du foye, la meſure du batement du cœur, la diſpoſition du cerueau, & tout ce que la doctrine anatomique ſe vendique pour l’adminiſtration des parties du corps. Les deux raretez ſont notables & de conſequence, & eſt preſt de les vous enuoyer, ſachant que par ce moyen vous ſerez acertené de la belle figure, en outre vous authoriſerés le pouuoir que vous auez ſur les amās, qui doiuent venir icy faire preuue de leur bonté, d’autant que les penſees du cœur & ſes mouuemēs ſeront ayſément deſcouuerts, voila ce que le Roy de Nabadonce vous offre, & pour cela, Sire, il voº requiert d’vne faueur : Il eſt certain que les procés d’amour ſont intētez deuant vous, qui en eſtes iuge abſolu, ainſi qu’il vous eſt eſcheu par le conſentement vniuerſel : dont les decrets ſont inuiolables. La faueur qu’il deſire de vous tend à l’acompliſſemēt de ſon Hermitage d’Honneur, & pource il vous prie (pour rendre parfaites les excellences qui y ſont, & qui difficilemēt peuuent eſtre autre part) de donner à ſon Hermitage que l’appel des cauſes d’amour y viēdra & lui ſera attribué, & afin que vous croyez qu’il ne veut rien entreprēdre ſur vous, il entend que vous y enuoyrez vn iuge pour prononcer tels arreſts, ſ’il ne vo° plaiſt le venās viſiter, y venir auſſi iouir du droit qui eſt & ſera voſtre : comme en lieu que vo° aurés eſleu pour ceſt effet. Cela ayāt eſté entendu on lui dit que le lendemain il lui ſeroit fait reſponſe. Le frere de la Dame hoſteſſe des Fortunez veint les trouuer, & leur expoſa le tout, demādant ſur ce leur conſeil & bon auis : A quoy ayās penſé lui dirēt qu’il eſtoit bon de promettre tout au Roy de Nabadonce, aleguant que qui refuſe met en peine, & qui promet tout ne promet riē, & que qui tout d’vn coup ſ’ouure ne declare pas ſon ſecret : Ce gētilhomme ayāt communiqué cela au Conſeil & eſtant trouué bon, l’aſſemblee fit reſponce à l’Ambaſſadeur telle qu’il deſiroit de ſorte qu’il ſ’en retourna fort content : Ainſi conſolé de bōne chere, gratifié de reſponſe agreable, & aſſeuré d’amitié parfaite il leua l’ancre, & s’en retourna, Trois iours apres les Fortunez firent voile où leurs affaires les portoyent, laiſſans entre ces Dames vne bonne odeur de leurs perfections. Vn peu apres vindrét en Sympſiquee deux gentilshomnies de la part du Roy Roſolfe & de la Royne Feriſtee, demāder le iour qu’il ſe falloit trouuer aux iugemens d’amour, & il leur fut dit que cela ne ſe pouuoit reſoudre, que nouuelles ne fuſſent venues de Nabadonce, dont on les auertiroit, & que cependāt comme toufiours & l’iſle & les perſonnes eſtoyent à eux. Quand quelque parole eſtoit dite en Sympſiquee, on ne la retractoit iamais, tout y eſtoit ſerieux, il n’y auoit ambition ni enuie, les mutins n’y eſtoient point cognus, car tout y eſtoit ſelō vertu : ce n’eſt pas ainſi qu’en ces pais où nous auons fait retraite apres nos voyages. Or ceux qui deſireront cognoiſtre la forme du gouuernement de ceſte Iſle tant belle, qu’ils voyēt ce qui en eſt retracé parmi les valeurs de la Pucelle d’Orleans, & qui voudra ſçauoir l’eſtat de la Belle Iuiue, qu’il retrace les auātures de Herodias, où ſont contenus pluſieurs moyens de delier beaucoup de nœufs, que la cabale legitime y a conſeruez en ſe conſeruant : Si ie ſçauois que la bonne rencontre en eſcheut à quelque indigne, i’aurois tāt de regret, que iamais mon cœur n’auroit de contentement. Toutesfois ie m’auiſe que ce que ie crains ne peut auenir : car toutes les affaires du monde prenent vne voye du tout contraire à la bonne raiſon ; Et vient fort à propos que dreſſant ces memoires, diſcourant de ces galantiſes, ie ſuis en lieu où la bonne curioſité eſt morte, où les beaux eſprits ne pourroyent viure qu’à regret, où la gentilleſſe des mœurs n’eſt qu’auec le peu qui fait reluire le petit iour de vertu, illuminant tout le peuple : En lieu où l’excellence n’eſt pas en eſtime, & où lon ne fait cas que de ce que le plus indigne vulgaire tient à profit, partant ces raretez ſortans de ce lieu, iront brauement apres les autres és endroicts où le merite eſt recogneu, & là iouyſſans de leur propre gloire, auront heureuſe vigueur entre ceux qui le valent. Nous ſommes trop longtemps ſur ceſte cōſideration, donnons aër à nos deſirs : Et vous belle de mon cœur, qui forcez mon naturel à me tenir icy, contre les droicts de curioſité, effacez par voſtre belle grace l’incommodité que mon eſprit reçoit parmy ces !

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DESSEIN SEPTIESME.


Les Fortunex eſfans partis nous euſmes de la pierre raſſaſiante, puis partiſmes de Sympſiquee, & ſurgiſmes au haure de l’Empire de Glindicee. La façon de viure de l’Empereur treſ-accomply, dont fut ialouſe Etherine fille du Roy de Boron, laquelle pour ceſte cauſe fit vne hazardeuſe entrepriſe auec le Prince de France.



SI nous euſſions eſté bien ſages, les Fortunez ne fuſſent partis de Sympſiquee ſans nous, & ce qui nous donna plus de regret, c’eſt qu’vne Demoiſelle du pays en deuiſant librement nous dict leurs noms, Elle penſoit que nous les cognuſſiōs, d’autant que nous eſtions curieux, & nous eſtions cōme ceux qui ont vne lunette a facettes, qui ne ſçauent choiſir le vray d’entre pluſieurs repreſentations : ainſi les enfans ont toutes libertez dont ils ne peuuent iouyr, car ils l’ignorent : & aux vieillards on permet tout, pour ce qu’ils ne ſçauroyent : à cauſe que la puiſſance leur denie ce que le vouloir executeroit. Pardonnez aux preſomptueux apprentifs. Nous ſçeumes que l’aiſné des Fortunez eſt Caualiree, le ſecond Fonſteland & le tiers Viuarambe. Nous en auions tant ouy parler autresfois, on ne nous preſchoit que de leurs vertus, ils eſtoient le but de nos entrepriſes & penſions les bien cognoiſtre, & toutesfois les ayans deuant les yeux, les frequentans & pouuans obtenir d’eux nous n’y auons pas penſé.Nous auions le conſeil & la ſapience s’eſtoit offerte, & nous l’alions chercher au loin ſans les cognoiſtre. Nos deſſeins eſtoient trop prōpts, & noſtre cœur ne ſçauoit pas choiſir ce qui luy conuenoit. Nous ſeiournaſmes en Sympſiquee, & nous ſouuenans de ce que Fulondes auoit dit de la pierre raſſaſiante, il nous fut aduis que ſi nous la poſſedions vn iour que nous ſerions bien aduancez, & parfaictement ſçauans par ceſte cognoiſſance, & de fait, noſtre retardement n’eſtoit à autre fin, n’en faifant toutesfois aucun ſemblant ny mine d’y penſer, & de fait, ſi on en diſcouroit nous deſtournions accortement les propos, ayans peur que les entendus nous deſcouuriſſent à noſtre perte. Pauurets que nous eſtions, nous pretēdiōs à de petites paillettes & nous auions laiſſé le biē abondāt. En ceſte humeur nous delectās en ce pays tāt accomply de raretez qui nous allechoient de plus en plus, nous n’attendions quel’opportunité d’auoir ce que no9 ſouhaittions & eſtimions trop : ceſt aduis eſt ordinaire à tous ceux qui deſirēt : & faut librement cōfeſſer que nous fuſmes biē aiſes que noſtre vaiſſeau eſtoit encor mal en point pour nous arreſter icy & ne ſuiure pas les Fortunez, qui auoiét bien d’autres entrepriſes que les noſtres ainſi les enfans font cas de leurs chaſteaux de noix. Ces bōs Inſulaires no9 faiſoient beaucoup de courtoiſies, & tāt que nous en eſtions confus, meſmes nous donnoient pleine liberté de voir, aller, venir, choiſir, eſlire, & nous ſaiſir de ce qui nous eſtoit agreable, & meſmes no9 fuſmes en la grotte, & en apportaſmes de la pierre raſſaſiante : Il fut fait vn Polypaſton auec lequel ie deſcendis dedās le creux, & en tournāt auſſi m’en releué, ainſi qu’il eſt demonſtré au theatre des machines : la machine eſprouuee il en fut fait vne grāde, tellemēt que pluſieurs furent en cet antre, où lŏ trouua le corps de la mauuaiſe Fee qui s’y eſtoit precipitee. Apres ceſte aduanture ayans vn de nos deſirs auec pluſieurs autres ſecrets qui nous furent liberalemēt cōmuniquez, nous priſmes congé de ces gens de biē, & taschames à trouuer les Fortunez, à quoy nous fuſmes aidez, car les bōs vēts no9 guiderět ſi biē que no9 priſmes terre au havre meſme, où ils auoient abordé, & ſurgiſmes en l’Empire de Glindicee, où nous trouuaſmes vn peuple ſage gouuerné par vn Empereur doüé de toutes vertus, Prince qui en la tranquillité de ſon eſprit eſtoit modeſte & reſolu, non enuieux, ny enuié, redouté des mauuais, chery des bons, & amateur de tout ce que la vertu eſtablit, n’ayant ſoing quc d’eſtre eſtimé des gens de bien. Ce Monarque glorieux de l’amitié de ſes ſubiects, & heureux de l’abondance de paix qui le couuoit en la douceur de ſa vie, s’eſtoit propoſé comme eſtant au comble de felicité, de paſſer le temps plus humainement qu’il luy ſeroit poſſible & ſe propoſant l’honneſte volupté pour but, ſe dedia aux exercices fauorables aux grands & aux vertueux, & ſurtout auec autres contentemens licites, il aſſaiſonna ſes plaiſirs des delices de la Muſique, laquelle eſtoit vne de ſes plus fauorites occupations auec la peinture. Il ne receuoit point ceux qui luy donnoient des aduertiſſemens pour des daces iniuſtes, & ne preſtoit pas l’oreille aux Theologiens melancholiques, leſquels le n’ont pour but que le trouble des conſciences, & le ſubuertiſſement des Eſtats & Royaumes : Ceux là qui parloient des deſbauches amoureuſes aux deſpens de l’honneur des Dames ne s’oſoiēt trouuer en ſa preſence, il n’y auoit que les prudens aymans la pieté & l’honneſte plaiſir qui fuſſent bien aupres de luy, car il eſtoit vertueux. En ceſte belle condition il viuoit paiſible & bien aymé de ſes voiſins, & chery de ſes ſubiets, deſquels il receuoit plus ſouuent des preſens qu’il n’en demandoit : auſſi ſes Officiers ne moleſtoient perſonne, & n’euſſeut oſé parler en ſon nom au peuple pour demander. Ceſt Empereur agreable & bien fortuné viſitoit és iours de commodité ſes maiſons de plaiſance, ayant cependant touſiours ſoin defaire & rendre iuſtice, non que tel fuſt ſon plaifir, mais pour ce qu’il le deuoit, & y auoit tellement l’œil, que ſes peuples iouyſſoient de concorde & de biens, & luy par ce moyen ſentant part de telles bonnes cōmoditez, ſuuoit ſes beaux plaiſirs. Il auoit vn chœur de la plus agreable Muſique, à quoy ne deuoit rien le concert de la delicieuſe Poëſie : auec ces deux marchoit à l’eſgal l’excellente peinture, dont il auoit fait chois parfait, ainſi que Iuge competant, parce qu’il s’y entendoit, & les pratiquoit artiſtement. Et pour n’y oublier rien, il en appointoit liberalement les ſtudieux qu’il pouuoit retenir ou attraire. Les belles recompenſes, le bon accueil, & l’amitié non feinte dont il obligeoit les ſages, doctes & vertueux, attiroient des profeſſeurs experts, qui de toutes parts le venoient veoir, les vns pour faire fortune, & s’accomplir dauantage, les autres pour l’admirer & eſtre en ſa grace. Les diſcours de ſes occupations alloient de bouche en bouche par touts tellement qu’il n’y auoit gueres de pays où les curieux ne ſçeuſſent l’eſtat de ceſt Empereur. Ce pédant qu’il ſe dōnoit ce ſoin, le grand & riche Roy de Boron abondant en toutes commoditez meu peut eſtre d’vn ſemblable eſprit, de peur d’eſtre ſerf de ſes biens dont il ſe ſeruoit, ſe iettoit à telles perfections, & pour y auoir plus de plaiſir y auoit faict inſtruire Etherine ſa fille vnique, laquelle s’y employa ſi bien, qu’auec toute la fleur de beauté que nature luy auoit donnee, elle adiouſta à ſes autres perfections, qu’elle fut accomplie à bien chanter & toucher toutes ſortes d’inſtrumens de Muſique, non à l’auanture, mais ſelon les preceptes & obſeruations de l’art, ſçachant les maximes de la profeſſion : Ceſte belle eſtoit vn aſtre luyſant ſur tous les pays voiſins, & deſia ſa lumiere eſclattoit vers les terres eſloignees. Le Roy ſon pere qui ne penſoit qu’à ceſte gloire de plaiſir, luy donnoit toutes ſortes d’hōneſtes libertez. Or comme l’âge no° forme, & qu’auec beaucoup de vertus no° deſirōs en accumuler d’autres : la belle ayāt volōté de paſſer d’vne perfection en l’autre, eut voulu tout embraſſer, & entreprēdre pour ſe parfaire, & encore y eſtoit plus ſtimulee par vne genereuſe emulation qui la poinçonnoit, quand elle oyoit parler de quelque autre qui euſt des perfections : en l’ardeur de ce plaiſir elle receuoit ſous l’adueu du Roy toutes ſortes de doctes & de curieux, qu’elle oyoit volontiers diſcourir ſelon leurs humeurs : car l’vn diſoit les accidens de quelque auanture amoureuſe, l’autre contoit de certaines parties terminees ou non accomplies : Tel mettoit en auant des ſecrets trouuez sās en reſoudre, quelqu’vn en diſputoit plus pertinemment, mais elle preſtoit l’oreille plus attentiuement à ceux qui mettoient les ſciences en ſuiet de propos, & ſurtout quand ſelon l’heure & occaſion on luy bailloit quelque de monſtration dont elle peuſt enfler ſon vertueux magaſin. Son cœur qui voloit apres la reputation, & qui luy faiſoit cognoiſtre qu’elle n’eſtoit point tant eſloignee de merite, qu’elle ne peuſt forcer doucemēt quelque grand courage à l’amour, dont elle eſtoit capable, luy fit propoſer en ſoy-meſme qu’elle ne ſe laiſſeroit iamais vaincre à ceſte paſſion, que pour vn ſuiet qui excellaſt en merites. En ceſte pēſee elle proteſta ſur ſon ame de ne permettre iamais à aucun de l’aymer, qui ne fuſt eſloigné de tous appetits vulgaires, & ne ſurpaſſaſt tout autre en perfection d’auis & de dexterité. En ceſte reſolutiō elle ouyt parler de ce grād Empereur qui n’euſt ſçeu eſtre aagé que de trente & trois ans, (veuf toutesfois d’vne ſage & belle Dame, laquelle eſtoit decedee pour vn effort faict à la chaſſe) ce Prince eſtoit fort renommé en ces pays là, & la nouuelle en ſaiſit tant le cœur de la belle qu’elle s’oppoſa à ſa gloire ; elle eſtimoit qu’il ne falloit pas que l’homme qui eſt le groſſier chaos dont la fille eſt la quinteeſſence & pure ſubſtance, fut le plus accomply, parquoy s’obſtinant en ceſte guerre ſpirituelle qu’elle faiſoit en ſoy-meſme, ne ceſſoit d’imaginer le moyen de faire voir qu’elle le pouuoit aiſément vaincre, & qu’il n’appartenoit qu’à elle d’eſtre accomplie : ſa particuliere paſſion à le ſurmonter en vertus, fut le motif de toutes ſes entrepriſes. En la tentation dont ſa curioſité la poinçonnoit, elle ſe propoſa d’eſſayer les moyens d’abattre le nom de ceſt Empereur pour releuer le ſien, & en ceſt excés ſe trouua en des inquietudes formees, qui l’agiterēt tellement de paſſions particuliere, qu’elle ne ſoulageoit ſa vie qu’à deſigner ſes deliberations, qui la tenoiēt attentiue à l’effet qu’elle premeditoit. Et bien qu’elle fuſt ardemment ſolicitee de l’honneur qu’elle pretendoit en l’excellence dont elle vouloit combattre ce grand & magnifique Monarque, ſi demeuroit-elle touſiours en l’apparence accouſtumee, ſa diuine maladie ne luy faiſoit riē naiſtre de melācholique ou indecent, elle viuoit auec chacun de meſme grace que d’ordinaire. En ce tēps là pluſieurs Princes eſmeus du renō & des perfections d’Etherine hâtoient la court de Boron, & faiſans diuerſes & belles parties pour l’amour d’elle, & à qui mieux mieux taſchoient à ſe rendre agreables à la Royne de leurs cœurs : Il luy venoit à gré d’aperceuoir les ceremonies amoureuſes ſous leſquelles ils ſe transformoient pour eſtre acceptables, & les retenant par vne faueur proportionnee les rendoit tous contens, le plus aduantureux, & qui ſçeut mieux ſa court amoureuſe, induit par ſon propre conſeil, ſe preſenta à elle auec vne audace plus exquiſe que les autres qui s’attendoient au hazard des loix, & mutuelles pratiques des volūtez paternelles. Il eſtoit Prince autant braue que veritable, autant reſolu en ſes conceptions que iuſte en ſes paroles, & fidele en actions, tel que le deuoit eſtre vn fils de France. Ce Prince auoit eſté enuoyé par le Roy ſon pere en l’expedition d’Ofir, d’où reuenāt il s’eſtoit rencontré en ceſte belle aduanture, & occupation d’eſprit, auſſi fut-il le plus galand à s’addreſſer à la belle Dame Etherine pour ceſt effect l’ayant remarqué capable de conduire vne genereuſe entrepriſe, luy permettoit de s’engager de plus en plus en ſon affection, & le cognoiſſant auoir de la paſſion pour elle, le faiſoit doucement recuire en ſes feux, afin d’en tirer le ſeruice qu’elle pretendoit à ſon contentement. Quelques fois qu’il ſe trouuoit à propos auec elle, elle luy donnoit occaſion de luy deſcouurir quelques ombres de ſes intentions, qu’elle recueilloit pour s’en aider, & par attraicts vertueux l’enlaçoit mignonnement, ſi que petit à petit il ſe deſcouuroit à elle, auſſi elle le receuoit d’vne grace tant obligeāte, qu’il fut tout ſien. Etherine qui auoit aſſez de prudence pour en iuger, vid bien qu’elle eſtoit Dame absoluë de ſon courage. Or vn iour de feſtin qu’il eut l’honneur d’emporter la bague que elle auoit donnee, ils deuiſent longtēps enſemble, & auec telle modeſtie que les yeux n’y deſcouuroiēt riē de leurs affaires, ce que ſçauēt biē pratiquer ceux qui ont l’induſtrie de delayer les goutes du ſoupçon dans la liqueur des belles humeurs que les actions hōneſtes demeſlent. Ce Prince par pluſieurs diuerſes rencontres de propos luy ayant fait infinies humbles proteſtatiōs de ſeruices, qu’il reiteroit ſagement, & pourſuiuoit auec apparēce de zele, rendit certain le cœur d’Etherine que c’eſtoit ſans feintiſe qu’il s’offroit à elle, & que ces diſcours n’eſtoient pas des friuoles entretiens de court, mais des aſſeurāces de fidelité, parquoy elle luy repartit ainſi, Ie ne doute point, Prince accōpli, que ce que vous me propoſez d’affections ne ſoit vray, mais ie ne puis m’aſſeurer de voſtre cœur que par eſpreuue : Si vous auez de la paſſion pour moy, cōme tant de fois vous me l’auez proteſté, & ie le veux biē croire, pour ſçauoir s’il y a au monde vn fidele amāt, & parfait, lequel ayme ſa Dame ſeulemét pour l’amour d’elle-meſme, & que le ſoucy qu’il a de luy faire ſeruice ſoit ſans eſperer que ce qu’il luy plaira de recōpēſe, n’ayāt autre pretentiō, que d’auoir l’honneur & le plaiſir en ſon ame, de luy auoir fait ſeruice. Si vous eſtes tel que ie vous propoſe ceſt amant, & ſi voſtre deſſein eſt ainſi que ie le penſe, & qu’ayés enuie d’eſtre mien de la ſorte que ie le veux, i’en feray l’eſtat que ie dois : Aduiſez à m’en aſſeurer, afin que le ſçachant, ie m’adonne à vous & que nous ayons vne mutuelle certitude de noſtre deſir & de ſa fin. Or, pour ce que ie ſçay fort bien que quād ie voudray oublier la loyauté que i’ay promiſe à mō ame, & le ſermēt que i’ay fait à mon cœur, ie ne manqueray point de ſeruiteurs qui ſerōt à moy à l’ordinaire de tout le monde, mais ie ne le veux pas, & ſi deſire d’eſtre ſeruie d’vn qui m’ayme : ſi vous ſouhaittez eſtre ceſtuy-là, ainſi que m’auez tant de fois coniuree à le croire, ie vous diray les loix que ie veux que vo° obſeruiez pour eſtre receu de moy : Il faut que ma ſimple parole ſoit l’aſſeurance de ce que vous pretendez de moy, auſſi eſt-ce la plus certaine preuue que ie vous puiſſe rendre, il conuient que vous ſoyez celuy ſeul qui tienne toute la forme de la fermeté en l’amitié que nous deuons eſtablir, & de laquelle ie ne vous veux faire aucune demonſtration iuſques à ce qu’il me plaiſe, ou qu’il le faille, ou qu’il ſoit raiſonnable, & encor en la ſorte que ie l’ordonneray lors que ie vous priray de me dōner vn don que vous m’accorderez. Si ſelō ces loix vous faites ce dont ie vous prieray, ie vous eſtimeray vaillant & veritable, puis apres nous parlerōs du prix deu à voſtre merite, ſelō le temps, la fortune & l’honneur. Le Prince. Madame, ayant reſigné mes volōtez ſous voſtre pouuoir, il eſt neceſſaire que ie depende du tout de vo°, les loix que vous m’ordonnez ſont l’ordre de vie que ie dois ſuiure, ce que vous cōmāderez, eſt ce qu’il faut que i’effectue, puis que mon eſprit eſt à vous, conduiſez-le comme il vous plaira : car autrement ne ſerois-ie point voſtre ſeruiteur, ſi i’auois quelque intention qui fuſt tant ſoit peu deſtournee de la reigle que vous eſtablirez ſur mes volontez & actions, Etherine. En ceſte aſſeurance, ie vous diray mon ſecret, & voicy le premier proiect par lequelie vous obligeray à croire que ie vous ayme, & que vous n’aurez volonté que la mienne : Ie ſuis en vne inquietude continuelle pour l’excellence de l’Empereur de Glindicee, qui ſeul eſt celuy qui peut emporter ſur moy la victoire en l’execution des ſuiects mignons que i’ay propoſez en mon eſprit pour ſeule y triompher ſur tous les eſprits qui reſpirent ceſte vie : & pource que ie ne ſuis pas Amazone conduiſant les armees, ce que i’euſſe peu faire, ſi le temps & l’occaſion m’y euſt induite, i’ay addonné mon cœur à ce qui l’a peu rendre accomply, & me ſuis tellement determinee à ces effects, que ie ne veux pas qu’il y ayt vn autre que moy qui excelle en ce que i’abonde : c’eſt ce qui m’inquiete & d’entendre que ce Prince pacifique ſoit tellement accomply, qu’il en ſcache plus que moy, ie ne veux point que celà ſoit, car il n’y a rien que i’aye entrepris ſçauoir, que ie ne cognoiſſe abſolument, auſſi i’eſpere le vaincre en ſa preſence, & luy faire rendre les aboys és concerts que nous ferons, quand il ſera temps. Le Prince. Mada me, ſans tant vous inquieter, ſans vous donner de la paſſion pour luy, en alterant voſtre bel eſprit qui doit eſtre en paix, voulez-vous que ie parte tout maintenant, & que i’aille à luy, & qu’au milieu de ſes pays, dans l’enclos de ſes fortereſſes, au ſein de ſes gardes ie luy oſte la vie qui vous faſche ? Et qu’y a-il au monde de plus puniſſable que ce qui trouble le bel eſprit de Madame ? Ouy, i’iray & i’eſteindray pour iamais les dexteritez de celuy qui vous importune ? Etherine. Non, mon braue Prince non, celuy qui eſtes mien, ie ne veux pas celà, ie n’aurois plus de gloire, ma belle preſomption ſeroit eſteincte, mon heureuſe emulation n’auroit plus de ſuiect : & puis celles qui ont de l’honneur ne ſont point ſanguinaires, ie ne veux la perte de ſa vie, ny l’ex altation de ſon induſtrie : ie le veux vaincre, & ſi ie veux qu’il viue, afin que i’aye l’honneur, & luy le regret, & que ie ſçache que ce que i’ay ſurmonté par ma vertu, eſt & vertueux & en vie. Parquoy ce que ie veux de vous eſt vn office ſignalé pour ceſt effet. Puis que voſtre ſerment eſt en ma main, que ie vous ay declaré mon courage, vous eſtes obligé à ce que ie deſire, vo° partirez de ceſte court comme pour aller viſiter d’autres Royaumes, & accomplir vos voyages, & irez vous preparer aux bords de la mer Arabique, ie vous fourniray de toutes commoditez, d’autant que loin de voſtre pays, vous ne pourrez ſi promptement en auoir, & mon affaire tarderoit : vous pouuez ſçauoir que le Roy mon Seigneur a là ſur le golfe de la mer rouge de grādes Seigneuries, & en ceſte coſte heureuſe vne belle longueur de pays, & d’autant que dans peu de iours il ueut enuoyer en Ofir, il ira là faire dreſſer l’equipage, & i’iray auec luy. Vn peu apres que la flotte aura leué l’ancre (ſelon ſa couſtume, ioint qu’il y a affaire) il ira en l’iſle des eſcreuices qui ſe petriſſent quand elles perdēt l’eau, cependant qu’il s’y delectera, ie paſſeray en l’iſle des perles, où i’ay vn beau chaſteau, & vous ſerez a l’autre bout vers le midy à l’abry, en m’attendant en voſtre vaiſſeau leger, & ainſi que ie paſſeray, vous attaquerez ma nef qui ſera fort deſgarnie, & vous ſaiſirez de moy, & ferez mettre tous mes gens à terre, & m’emmenerez auec mon vaiſſeau, celà faict, vous tirerez au deſtroit où ſera voſtre equipage, où nous entrerons, & laiſſerons les deux vaiſſeaux à l’ancre ; en amuſement à ceux qui voudroient venir apres nous, & en diligence nous ſuiurons la route de Glindicee. On penſera que ce ſoit quelque eſcumeur de mer qui ait faict ce butin. Nous aurons bien aduancé auant qu’on ſcache de nos nouuelles, car de vingt iours le Roy ne ſcauroit ſçauoir où ſeront mes gens, qui auront loiſir de cueillir des perles, car i’ay accouſtumé d’y ſeiourner autant, & quand le Roy verra que ie paſſeray ce terme, il y enuoyera : quand à nos vaiſſeaux laiſſez au havre deſert, ils y ſeront longtemps, car on n’y va que par hazard ou deux fois l’an pour aller à la recherche des eſmeraudes. Eſtans au port deſiré, vous ferez le marchand, & me preſenterez à l’Empereur, & de là me laiſſant acheuer mon entrepriſe, vous irez en Quimalee attendre de mes nouuelles, & ne bougerez de là que vous n’é oyez ſoit toſt ou tard, ie vous addreſſe là, car c’eſt vn pays de toute liberté, & où lon n’eſt point recherché, c’eſt le vray Aſile du monde : voilà mon conſeil, mon deſir & mon attente : aduiſez à faire voſtre deuoir, & ie me diſpoſeray à faire le mien. Le Prince. C’eſt deſia faict, tout eſt preſt, ainfi que vous le prononciez il ſe faiſoit. Ne faillez à l’aſſignation, car deſia ie ſuis là vous attendant en grande deuotion de vous faire ſeruice.

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DESSEIN HVICTIESME.


le marchand ayant veu l’Empereur, luy laiſe Etherine, & l’Empereur la baille en garde à la Fee Epinoyſe à laquelle elle raconta ſon eſtre & condition, ſous vne belle feinte. L’Empereur s’addonne à aymer Etherine du tout.



LE François executa le commandement de la Princeſſe ſans frauder les conuenances mutuelles, ce qu’ayant bien & diligemment accomply, leur nef aborda fort heureuſement & promptement en Glindicee, où le Prince en habit de marchand, arriua à Belon, ville Metropolitaine, en laquelle reſidoit l’Empereur, & de bon-heur il rencontra ce Monarque venant de la chaſſe, lequel le fit appeller, & l’entretint de diſcours, luy demandant d’où il venoit : le marchand le ſatisfit beaucoup, & pleut tant à ſa Maieſté, qu’il le mena auec luy à la fontaine, où il alloit ſe recreer. Ceſt Empereur faiſoit grand cas des eſtrangers, & les carreſſoit fort. Apres quelques petits deuis, l’Empereur dit au marchand, Aduiſez ce que vous deſirez de moy. Le Marchand. Sire, ayant ouy le bruict de voſtre reputation, qui paſſe au delà de tous les pays, & que vous eſtes le Prince le plus curieux des viuans, ie vous ay amené le plus rare ſuiect du monde, qui eſt vne Nymphe belle entre les parfaictes, ſage, & autant accomplie qui ſoit en l’vniuers, excellente en toutes les belles ſciences, dont vous exercez voſtre eſprit apres vos grands affaires. I’ay creu, que vous faiſant ſi beau preſent, i’auray vos bonnes graces : parquoy, Sire, s’il plaiſt à voſtre maieſté, ie la vous feray veoir, & la mettray entre vos mains. L’Empereur eut agreable ce que luy propoſa le marchand, & le pria qu’au pluſtoſt il luy fiſt veoir ce qu’il luy promettoit, & commanda qu’on fiſt tout bon recueil & courtoiſie à ce marchand. Le lendemain à heure commode le marchand ſe preſenta à l’Empereur auec ſa Nymphe. Incontinant l’Empereur enuoya en ſa petite maiſon de plaiſance de la Fontaine, où il manda à la Fee qui en eſtoit concierge, qu’elle preparaſt vn concert de Muſique, car par là il vouloit eſſayer les perfections de la Nymphe, laquelle il luy enuoya auſſi, & retint le marchand, luy faiſant beaucoup d’honneur, pour ce qu’il luy eſtoit aduis qu'il eſtoit de façons & habitudes plus exquiſes que d’vn marchand, & ſe propoſoit en ſon cœur que c’eſtoit de ces riches Princes qui font la marchandiſe en l’Europe, A l’heure de l’aſſignation, l’Empereur ne faillit pas, liures furent mis ſur table, inſtrumens furent apportez, & chaſcun ſe mit à faire du mieux, & dés lors les deux cōtendans à l’excés parfait, commenca à iuger de la force de ſa partie. Deux iours apres l’Empereur voulut conuenir auec le marchand, & luy demanda ce qu’il deſiroit de luy, & à quelle condition il luy laiſſeroit ceſte belle fille. Sire, dit le marchand, ſi elle eſt à voſtre gré, ce luy ſera vn grand heur d’eſtre à vous, non s’il vous plaiſt comme vne triſte ſeruante, car elle eſt de bon lieu, mais en fille d’honneur, & ie ne vous demande autre choſe, ſinon qu’elle ſoit en liberté de viure honorablement, & qu’en telle ſorte elle ſoit maintenue en voſtre ſeruice, & lors que vous en ſerez contēt, & qu’elle l’aura merité, & qu’il vous plaiſe d’en faire quelque choſe & la prouuoir ſelon ſa capacité pour la retenir pres de voſtre Maieſté, elle me le fera ſcauoir, & ie viēdray icy receuoir le guerdō que vous m’adiugerez. L’Empereur trouuāt ſon dire bō, voulut ce qu’il auoit propoſé : & le marchâd prenāt congé de luy pour pourſuiure ſon trafic, l’Empereur luy fit preſent d’vn diamāt fait en poire qui auoit de petit diamettre ſix lignes, luy offrāt & ſoy-meſme & ſon biē, & toutes ſes terres à ſon cōmandement pour demeurer ou aller & venir à ſa volonté, ſa maiſon luy eſtant ouuerte perpetuellemēt & aux ſiens. L’Empereur eſtoit treſ content de ce beau ioyau qu’il mit entre les mains de la Fee Epinoiſe, laquelle l’enquit de ſon nom, de ſes parens, du lieu de ſa natiuité, & de ſon eſtat, & la belle luy dit, Ie ſuis Etherine fille de la Nymphe Oris (il eſtoit vray qu’Oris auoit vne fille de meſme nō, & ſi pourtant ceſte-cy n’ē ſcauoit riē) laquelle demeure en vne petite Iſle voiſine de la mer Phyloxene. Ie me ſuis toute ma vie addönee à l’exercice de la muſique, peinture & autres cōportemens vertueux auſquels ma mere m’a induite, Orievo° diray, puis qu’il faut que ie viue auec vous, qu’vn perſonnage deſcědu de la race du grand Atlas, m’a tellement inſtruit és ſciences leſquelles ie practique, que ſouuent i’ay ſurmonté mes compagnes, & pluſieurs doctes qui en faiſoyent profeſſion, & me tenois tant contente de ce bien, que pour entretenir ma voix, à cauſe de la muſique, & ma diſpoſition és autres gentilleſſes, il me rendit auec quelques miennes compagnes en vn ordre de chaſtes filles, où i’ay paſſé quelques annees ſous le vœu de virginité, en intention perpetuelle de viure ſelon les ſainctes conſtitutions de ce lieu là. Mon pere viuoit encor’, qui eſtoit le premier & plus ſçavant aſtrologue de ſon temps, le bon homme eſtoit ja vieil quand ie naſquis, & n’y a gueres qu’il a fait ſa paix auec le ſiecle, or me voyant grandette & conſtante en la reſolution que i’auois priſe, il m’y confirma : mais pource qu’il iugeoit bien que ie n’eſtois point ſi diſgratiee que ie ne fuſſe deſirable, lui qui ſ’entendoit en la ſcience des Taliſmans, en a fait vn qui eſt en la chappelle de noſtre college, auquel eſt mō pourtrait, & il y a telle vertu & force auec effet indubitable, que ſ’il ſe trouuoit d’auanture quelqu’vn qui voulut attenter à ma chaſteté, il courroit la plus miſerable & dangereuſe fortune du monde, incontinent il ſeroit priué de tous ſens, tous ſes amis ſeroyent opprimez d’angoissés & ſes poſſeſſions periroyent par le feu de l’air, ce dont il m’a auertie, afin que ie ne permette à aucun d’encourir ce malheur, tel qu’il eſt auenu à l’heritier de l’iſle deſerte, & auſſi pour me maintenir en ma reſolutiō : En fin comme les auantures, auienent, il eſt auenu, que nous auons ouy parler des excellences de ce païs, & i’ay voulu y venir me donnant à ce marchand, pour faire de moy ce qu’il lui plairoit pourueu qu’il me mit entre les mains de l’Empereur. La Fée prenoit plaiſir aux diſcours de la Nymfe, & ſ’eſperdoit d’aiſe de l’auoir auec elle : tant pour ſa beauté & bône grace, que pour ſes autres merites, & ſurtout à cauſe de ſa belle voix & excellence en la muſique, auec quoy elle rauiſſoit tous les cœurs, que pour le cōtentemēt que l’Empereur en receuoit. Etherine viuoît auec vne belle modeſtie, gardant auſſi beaucoup de ce qu’elle eſtoit, & n’auoit point voulu feindre ſon nō à l’Empereur, afin de cognoiſtre ſ’il auoit ouy parler d’elle, & ſ’il ſ’ē auiſeroit. Elle le vouloit ainſi tenter, car ſi elle fut venue en digne appareil de ſa qualité, par courtoiſie il lui eut tout ceddé faiſant plus d’eſtat de ſon rāg que de ſa ſciēce, ce qu’elle ne deſiroit pas, & l’Empereur ne ſe fut bandé à lui reſiſter, cependant par le ſage auis de la Fee il lui donna lieu entre les Dames, auec vne honneſte ſuite de deux filles, & vn page. Aux heures des iours aſſignez pour le plaiſir de la Muſique, l’Empereur venoit à la Fontaine, où les chantres & les dames ne faiſoient pas faute, & Etherine y fit tant de fois treſbien, qu’aiſément on recognut qu’il eſtoit ſeant que tous ceux qui ſ’en meſloyent, lui cedaſſent. C’eſtoit l’ambition de ceſte Belle : Que voudroit-en dire le cenſeur des opiniōs ? que deſireroit-il en penſer ? Tout l’excés du cœur en penſees a pour ſouuerain bien la fin de ce qu’il ſe propoſe, cecy eſt la reſolution de ce qu’on en pourroit re, ſi d’auenture par les ſuccez on ne venoit à d’autres preſomptions. C’eſt cela, il faut que le contentement ſoit receu quand il eſchet. Souuent que l’Empereur prenoit garde à ceſte beauté qui s’en aperceuoit bien, mais faiſoit negligemment la non entendue, il ſouſpiroit en ſoy meſme, & eut voulu qu’elle eut eſté d’autre condition, plaignant en ſoy-meſme le dommage que c’eſtoit, qu’vne telle beauté fut vne ſimple fille ſcauante. Le temps & la continuation du plaiſir, furent cauſes que l’Empereur ſe noyant en ſes belles delices, auiſa apres vn crayon qu’Etherine auoit fait de ſoy-meſme, que ſes yeux eſtoyent trop beaux pour eſtre negligez, puis peu à peu remarquant tant de merueilles en ce bel objet, oublia toute autre penſee pour ne penſet qu’aux douces meditations, que lui cauſoyent les perfections de ceſte Belle, qui deuint en fin Princeſſe de ſon ame, & ſ’en rendit tant paſſionné, que ſa plus delicieuſe occupatiō eſtoit de l’entretenir, en deliberatiō de la prier de depoſer le ſeau de ſon vœu pour eſtre à lui, diſcourant deſia des auantages qu’il lui vouloit faire en recompēſe ſelon l’equité de ſon cœur. Quelquesfois il penſoit de la prier d’eſtre ſa Dame d’amourettes : puis la iuſtice qui en mettoit vne crainte en l’ame, ſi qu’il ſ’en reueilloit, l’eſtimant de trop de merite pour eſtre d’vn ordre ſi miſerable : Et puis l’aymant de paſſiō il deſiroit & eut voulu qu’elle eut obtenu tel rāg, qu’elle eut eſté capable d’eſtre Imperatrice : voila comment Etherine eſtoit le bel objet de l’Empereur, & ſon plus exquis exercice, meſmes il n’auoit pas ſouuent le loiſir de deſpeſcher affaires pour incontinent ſe rendre, où il deuoit trouuer ſon vnique entretien, ſa belle, ſes delices nouuelles, dont la plus exquiſe faueur qu’il ait obtenué encor, auec proteſtation de n’en abuſer, fut de baiſer quelquefois ſa belle bouche en ſigne ſeulement, comme il diſoit aux preſens, du bien qu’il conceuoit en ſon courage, des beaux accords qui ſ’y formoyent : A la verité elle eſtoit la douceur de ſa vie, rien ne lui touchoit tant le cœur, que les auis, entretien de ceſte accomplie : Et de fait il fit tant de demonſtrations qu’elle lui plaiſoit, qu’il voulut qu’elle fut par tout où il alloit par plaiſir, & meſmes à la chaſſe où elle fai l’onl’eſtimoit eſtre : Auſſi ſon grand cœur ne faiſoit que des demonſtrations de grande, & il ne le cognoiſſoit pas, car ſon eſprit eſtoit troublé, & celui de la Belle eſtoit net, entant qu’elle voyoit clair en l’affaire de ſes pretentions.

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DESSEIN NEVIESME.


Pour vne legere parole, l’Empereur s’indigne contre Etherine & la fait expoſer aux bois. La nuict il s’en ſouuient, la regrette, on l’enuoye chercher ; on ne la peut trouuer : dōt il entre en telle angoiſſe qu’il en deuient treſ— malade, & encor eſt plus faſché quand par la venue d’vn Ambaſſadeur, il ſceut qui eſtoit Etherine,



NOvs entrons au ſujet qui enuelope le noſtre, nous commençons en recommençant, He bien nous autres debiles perſonnes pouuons bien eſtre deceus, puis que les monarques le ſont. On dit ordinairement : ſi telle choſe eſtoit, ce grand Prince le ſcauroit, lui qui a des moyens, de l'authorité & des faueurs ! Ne pēſez pas cela, petites gens, les entrepriſes ſont ſelon les hōmes, & ie le ſçay pour l’auoir veu, & ie le diray biē, que pres des Rois & des grands, ſont le plus ſouuēt les plus ineptes, i’ay veu en des petits Baillages, des Iuges plus ſages qu’aux cours de Parlements. Tout beau Muſe, tout beau, ne vous meſlez pas des affaires d’Eſtat, laiſſez les aux Preſcheurs qui ſe veulent perdre, ſuiuons nos mignonnes conuoitiſes qui n’offencent perſonne : Alons noſtre chemin, coulons nos traces d’amour. Comme il ne ſe peut que nos aiſes continuent, ſi nos affections ne ſont reglees ; Il n’eſt pas poſſible que voulant touſiours monter ſans auoir quelque relais pour ſ’appuyer, on ne face vne grand cheute venant à eſchapper : de meſme vne vnique paſſion toute violente, ne peut qu’elle ne dōne vne grāde occaſion de debris quand vne autre la pouſſe, ceci eſt dit à l’auenture, à ce que chacun en prēne ce qu’il lui plaira. La violence & l’amour de ce Monarque s’vlcerant bruſquement, fit place à vne fureur plus inſolente & dangereuſe, & dont les effets ont paru trop pernicieux, le peril toutesfois en eſt eſcheu, ſelon les bontez ou malices des ſubjets, la fin en fera foy. Il auint vn iour qu’eſtant à la chaſſe, l’Empereur deuiſoit auec Etherine à l’oree d’vne foreſt, ils apperceurent vn cerf qui venoit lentement ſans les deſcouurir, l’Empereur dit à Etherine, Belle, voyez-vous ce cerf, où voulez vous que pour l’amour de vous, ie le bleſſe d’vn coup de fleche ? Etherine. Sire, vous qui eſtes accomply en tout pouuez faire ce qu’il vous plaiſt, ie vous diray pour tant, que ce ſeroit vn beau coup de lui dōner d’vn trait au pied & à l’o— reille. Incontinentl’Empereur inuentif, comme ſont tous amans, appreſta ſon arc qu’il mit à ſes pieds, & prit d’vn page vn arc à ialet auec lequel il tira droit en l’oreille du cerf, & y porta vne balote de terre legere, qui rencontrant le ferme des cartilages de l’oreille ſe mit en poudre, qui fut cauſe que le cerf ſentant ce fretillement ſ’arreſta & du pied de derriere du meſme coſté de l’oreille, ſecoua ceſte poudre qui l’importunoit : eſtant en ceſte action, l’Empereur ſans perdre temps decocha viuement vne fleche de telle addreſſe, qu’il enfila le pied & l’oreille, & de l’auance du coup la ceruelle penetree le cerf tomba : Chacun admiroit vn ſi beau coup, meſme l’Empereur fier de ſi iuſte rencontre ſ’en glorifioit cordialement : & s’addreſſant à Etheri ne luy dit. Et bien, Belle, qu’en dites vous ? Elle ayant pris la grauité de ſon geſte, & voulant par vn excés notable ſonder ce Prince iuſques au vif, luy reſpondit d’vne façon aſſez dedaigneuſe, Sire, i’ay parlé d’vn coup, ie pretendois que voſtre force fut ſi grande, que luy perçant l’oreille droite en biais, voſtre trait iroit chercher les iointures, & liaiſons des os à ce que trauerſant aux conionctions des muſcles, elle vaint à la fin acheuer ſa violence ſur le pied ſeneſtre, qu’elle eut lié à la terre. Et puis vous auez vſé d’vn artifice indecent à vn grand, tel que vous : car vous vous eſtes ſerui de l’arc d’vn page, pour tromper vne beſte Royale : ce pauure cerf ſe preſentoit à guerre ouuerte, & vous l’auez deceu ; ainſi ſans ce ſtratageme, vous m’euſſiez pas faict rencontre. Remarquez Amans, que quiconque ayme veut que le ſujet aymé luy deffere tant, que toutes ſes actions luy doiuent eſtre perfections, tous ſes propos Oracles, & tous ſes ge ſtes graces, & puis il n’y a rien ſi delicat que l’eſprit d’vn Amant, qui ſoudain ſe picque meſmes és roſes cueillies. L’Empereur oyant cela, & voyant la façon d’Etherine, la iugea trop arrogante & temeraire, & croyant que l’amitié, dont il luy a faict demonſtration, l’ait portee au delà des limites de raiſon, pour oublier tout reſpect, fit en ſoy vn changement vniuerſel de toutes humeurs, tellement que de la fureur d’Amour qui le tranſportoit, il entra en vne rage de cholere ſi vehemente, qu’elle ſurmonta l’ardeur de ſon inſolente affection, & iettant ſur ce beau Soleil vne nuee de regards furieux, il luy dit : Comment petite impudente, eſtes vous tant preſomptueuſe que d’abuſer de mes faueurs de telle ſorte, oſez-vous tant glorieuſement me reſpondre, & faire indiſcretement la ſotte & dedaigneuſe ? folle & outrecuidee, pour vn peu de vanité : dont vous pēſez faire gloire ſurtout, vous faites de l’effrontee, à cela ie recognoy la feinte de voſtre cœur, & que vous eſtes vne maligne affettee, toute autre que ce que l’on me fait accroire : Non vous ne m’affronterez pas, c’eſt d’autres qu’il faut ſeduire par tels artifices. I’enſeigneray aux ames ingrates, traiſtreſſes & meſcognoiſſantes, à ſe tenir en leur deuoir par la punition que ie feray de voſtre audace : Cela dit, il la fit deſpouiller, & en cotte lier pieds & mains, & porter bien auant en la foreſt, lui meſme la voulut voir expoſer en ce lieu eſloigné, & eſtant là poſee il lui dit, Sois là tant que ta fortune t’engloutiſſe, & temeraire reçoy le ſalaire de ton impudence, que les ours, les loups, & les lions chaſtieront. Et en ce courroux l’Empereur ſe retira. Ceux qui virent ceſte prompte & ineſperee diſgrace, entendirent bien que le naturel des Princes ſouuerains eſt, d’eſtre lions, auſquels il ne ſe faut pas iouër : d’autant qu’ils ſcauent que tout leur eſt permis, & croyent tout leur eſtre deu, tels ſont les hommes qui ont domination, quand ils ſont pauures de ſageſſe, deſpoüillez de bonté, & nuds de la cognoiſſance de ſoymeſme. Il y eut beaucoup de larmes eſpandues pour ceſte pitié, & infinis ſouſpirs furent formez par la douleur que pluſieurs eurent, voyans ce deſaſtre tant contre toute apparence. Il n’y auoit aucun qui eut veu ou cognu Etherine, qui ne la regretaſt, & ne maudit l’indigne boutade de l’Empereur pour ſi friuole ſujet, & qui ne fit deschoir de ſa penſee la longue eſtime qu’on auoit eu de ſa ſageſſe. Helas ! la pauurette ſe trouua fort deſolee, ſe voyant en vne telle extremité, où fon cœur trop grand l’auoit laiſſé conduire : car elle ne voulut iamais ouurir la bouche, depuis que l’Empereur eut mal pris ſes paroles, ſa grādeur de courage lui fit maintenir ſa reſolution, pour vaincre fon ennuy, & bien que depiteuſement ſuporter en ſilence ceſte indignité : & pour faire paroiſtre (fi on y eut pris garde) l’excés de ſa magnanimité, contrecarrant l’impetuoſité de celuy qui a la force en la main, ne laiſſa couler aucune larme de ſes yeux, aymant mieux en ce deſeſpoir ſe venger de l’Empereur en periſſant, que receuoir courtoiſie de luy en le priant. Ce luy fut vne tres-dure neceſſité, & insupportable ; mais quoy ? elle choiſit pluſtoſt d’eſtre ruynee, que de demordre de ſon exquiſe valeur, en implorant pour obtenir miſericorde. Quelques heures apres que l’Empereur eut eſté à par ſoy, il ſentit ſes penſees ſ’approcher de luy, & voyant le ſouuenir du paſſé eſtaler en ſa memoire, les tableaux de ſes fantaiſies, ſe trouua inquieté de maintes diuerfitez, qui conceurent en ſon cœur les viues ſemences d’vn poignant regret, lequel apres que la violente chaleur de ces malheureuſes vehemences fut vn peu attiedie, y fit vn nouuel eſtabliſſement, ſi que poinçonné iuſques au vif, il recognut l’erreur de ſon inconſideration, maudiſſant ſes inſolentes coleres : En ceſt eſtat eſmeu d’vne inquietude penchant à la repentance, il conferoit de ce qu’il deuoit faire, & ne ſcauoit comment ſe reſoudre, tāt eſtoit grand & penetrant le prompt venin de vengeance qui l’auoit empoiſonné, & ceſte mauuaiſtié n’eſtant encor bien conſumee, encor qu’il ſe repentit de telle fureur, il ne ſ’adonnoit en ſon agonie qu’à des reſolutions douloureuſes. En ſon lict, au lieu d’eſtre paiſiblement enueloppé du doux linceul de l’agreable ſommeil, qui eſt le plus doux effet de toutes les douceurs, il fut perſecuté de differentes repreſentations, par l’induction deſquelles la confuſion de ſon ame le ietta dās vn labirinthe de deſplaiſir, qui le coulant au goufre d’angoiſſes le preſſa de tant d’afflictions, que la moindre eſtoit ſuffiſante de le moleſter iuſques à la mort. Sans ceſſe le ſouuenir lui enfantoit les figures de ſes delices deſirables, dont il auoit ruyné le ſujet, lequel bien qu’il fut eſlongné & rejetté luy fourniſſoit inceſſamment les pourtraits de l’accompliſſement de ſa chere volupté pretendue, en celle qu’il a indignemēt deſtruite. En ceſte mordāte deſplaiſance, il prit reſolution d’ēuoyer chercher Etherine, & ſe propoſoit l’ayāt retrouuee lui faire tāt de bōnes ſatisfactions qu’elle ſeroit cōtēte, & minutāt deſia en ſon cœur, les belles paroles dont il la doit amadouer, proportionna le remede a ſon ennuy, & enuoya en diligence de ſes plus loyaux, pour ſoigneuſement la trouuer & la ramener : Ces ſeruiteurs fideles & diligens, & qui n’ont autre conſideration que d’obeïr à la parole de leur Prince, vont en haſte, taſchent d’executer ce qu’ils peuuent de leur charge, ils arriuent où eux & l’Empereur cuident qu’Etherine eſt errante au milieu des perils, ils courent, vont, viennent, eſcoutent, eſpient, & vſent de tout artifice de chercheurs, ils vont traçans ça & là à la queſte de l’ame de l’Empereur, il n’y a coin, deſtour ny endroit tant reculé, qu’ils ne furettent, il n’y a buiſſon tant recelé qu’ils ne deſcouurent, ny paſſage tant egaré qu’ils ne frayent, ils ſe rencontrent auec le iour, au meſme endroit qu’elle auoit eſté laiſſee, & y ayant paſſé ne l’ont pas deſcouuerte : Ils en mettent le deffaut ſur les tenebres, mais la lumiere ne leur en apprend rien : ſinon qu’ils trouuent la meſche, dont on luy auoit lié les pieds, ceſte enſeigne leur donne vn peu d’eſperance, & les fait eſplucher le bois plus diligemment, pour deſcouurir quelques indices, ou qu’elle ſoit deuoree, ou qu’elle ſe tienne tapie en quelque halier : Ils appellent, ils eſleuent leurs voix triſtes & flatteuſes, pour auoir reſponſe, & rien ne leur reſpond, que les ſons que rediſent les pieces du canal de l’antique Fee. Ils rencontrent ceux qui ſe leuent les premiers, pour furtiuement aller cueillir quelques buchettes, & en faire de l’argent, ils les interrogent, & ils n’en ſcauent rien ; Ils trouuent les bons ouuriers, qui dés le matin vont à leurs taſches, leſquels ne les rendent point plus ſçauans, leurs enqueſtes ne feruent de rien, leur peine eſt inutile, rien ne respond ny à leurs voix, ny à leurs intentions, & ſ’ils ſe mettent à appeller, ils n’oyent apres leurs cris, que les vaines redites de l’air, & les ſons importuns des branches que le vent excite, & n’ayans rien effectué qui ſoit bon par effet, ſ’en reuiennent à la ville, chargez de triſtes nouuelles, leſquelles raportees à l’empereur, il conclud auec eux qu’elle eſt perdue : S’ils l’euſſent trouué & ramenee ! ô qu’il y eut eu de beaux ioyaux donnez, que de belles promeſſes euſſent eſté •ffectuees en guerdon de tant de bons ſeruices ! mais leur diligence a eſté inutile, leur promptitude pour neant, & leur labeur vain : Ceſte derniere faſcherie acheue de combler l’Empereur de douleurs, le determinant à vn extreme deſplaiſir, & puis ſ’auiſant que ſon indiſcretion auoit fruſtré ſon cœur de ſes plus belles ioyes & pretentions, qui luy figuroyent tant de bonnes douceurs, par la promiſe iouïſſance de ce rare ſujet, dont il ſ’eſt miſerablement priué, ſ’ennuya tant qu’il en deuint le vray prototype de triſteſſe. Quoy ? helas ! que par ſa faute ce qu’il auoit de plus cher, ait eſté la pasture des loups, que celle qu’il a tant aymee, ſoit cheute ſans ſecours entre les grifes de la mauuaiſe beſte ? Que ſa vie ait eſté deſolee par ſa malice, l’ayant cruellement precipitee entre les ongles de l’animal ſans merci ? Ce qui acheua & à bon droict de l’emporter en l’abyſme de ſes mortelles afflictions, fut vne nouuelle qui arriua cinq iours apres ceſte calamité, c’eſt que l’on r’apporta la perte de la Princeſſe de Boron, que le triſte Roy ſon pere enuoyoit chercher par tout le monde habitable, meſmes il vint de ſa part vn Ambaſſadeur en Glindicee pour implorer l’aide de l’Empereur, à la recherche du Pyrate qui auoit enleué Etherine, à ce que ſ’il eſtoit en quelque lieu des païs de ſon obeiſſance, & qu’il fut apprehendé, iuſtice en fut faite. Ce fut à ce coup que l’Empereur ſe preſta au deſeſpoir, car par le nom, les diſcours & le pourtrait qui luy fut laiſſé, lequel n’eſtoit qu’vn eſbauché, aupris de ce lui qu’elle auoit fait & le reſte des apparences, il ſ’angoiſſa du tout, & ſe deſpeça le cœur, iugez-en beaux cœurs, qui auez peut-eſtre eſprouué telles auentures. Et puis la grandeur de courage dont il l’auoit recognuë, meſmes en l’excés que l’on luy faiſoit l’expoſant, lui fit iuger que c’eſtoit celle-là meſme que l’on alloit cherchant. Sa ſageſſe pour tant le fit vn peu cōtenir en la preſence de l’ Ambaſſadeur, lequel il conſola, luy promettât d'employer ſes biens, & ſon authorité au recouurement de la Princeſſe. Lambaſſadeur fut deſpeché promptement : car l'Empereur craignoit qu'il ouyt quelque bruit de ce qui ſ'eſtoit paſſé. De puis, ce triſte Monarque n'a peu auoir la force de retenir ſes plaintes, l'ameur & le regret agiſſans impetueuſement ſur luy, le mirent en tel eſtat de melancholie, qu'il ne pouuoit plus receuoir de repos, l'affection du repas eſtoit eſcoulee, & les autres functions periſſoyent : Peu ſçauoyent l'occaſiō de ſon mal : car il n'auoit declaré ſon amour vers Etherine qu'à la Fee, il ſe contraignoit en ſes actions, mais à la fin il fut contraint de ſ'arreſter, & garder la chambre : Les Medecins luy preparerent des remedes, mais pour neant : d'autant qu'ils ne ſcauoyent pas le mal : Et puis les ſucs, les larmes, les fleurs, les racines, les fueilles, les bois, les decoctions, les eſſences, les ſels, les eaux, les compoſitions, & tout ce que peut l'excellence de l'art n'ont point de puiſſance ſur les eſprits, qui ſont hors du gouuernement de la medecine : Les paſſions ne ſont pas és humeurs, parquoy les mondains ne peuuēt mitiger les douleurs amoureuſes, les mignons du repos ne ſcauroyent induire le ſommeil à ce pauure malade d'amour : & les medicamens qui agiſſent és ſubſtances ſenſibles du corps, ne vallent point à corriger ceſte inquietude qui le gourmande & trauerſe ſans luy donner relaſche. Son mal le met en tel eſtat que de moment en moment on attend que l'ame indignee quitte ce corps diſgratié. Tous les ſiens & ſes voiſins en ſont infiniement affligez : On penſe que la crainte de ne recouurer pas le Mirouër de iuſtice ſoit cauſe de ſon mal, partant on remet tout au retour des Fortunez, qui ſont allez au recouurement de ce beau ioyau : Cependant voyla ce grand Empereur humilié ſous la puiſſance d’Amour, cruel vengeur des audaces des hommes : & faudra qu’il paye l’intereſt de ſon offence, auſſi en recognoiſſant ſa legereté, il ſouſpira longuement chaſtié du grand tort qu’il a fait à la beauté parfaite, la quelle il a reiettee de luy par ſon inconſideration.

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DESSEIN DIXIESME.


Les Fortunez reuenus conſolent l’Empereur. Fonſteland fait vne belle partie pour l’amour de Lofnis. Les Fortunez cōcluent auec l’Empereur le voyage en l’hermitage d’Honneur.



CE nous eſtoit vn grand ennuy d’eſtre en ce pais durāt la maladie de l’Empereur, laquelle effaçoit le luſtre de la beauté des ſujets où pretendoyent les ſectateurs de curioſité qui voyageoyent en ſes terres, pourtant noſtre principal deſplaiſir eſtoit, que nous ne trouuions pas ce que nous cherchions. Toutesfois hous temporiſions : d’autant que ſelon le cours des affaires, & nouuelles certaines, les Fortunez eſtoiēt pres de retourner en bref : Ils eſtoyēt le ſujet qui nous retenoit, en eux eſtoit le but de nos pourſuites, pource que pour acheuer noſtre entrepriſe il ne falloit que les ſuiure. Les Fortunez donques tant attendus, ayās deuëment fait leur legation retournerēt en Glindicee, auec l’Ambaſſadeur de la Royne de Sobare : à leur arriuee tout rioit deſia, les eſprits attriſtez reprenoyent lieſſe, auſſi l’Empereur fut tout conſolé de les voir. Et bien qu’ils ſentiſſent quel que incommodité de cœur, pour la maladie de ce Monarque, fi ne laiſſerent-ils de paroiſtre en l’egalité de leur belle humeur, tellement que leur apparence fit conceuoir des fruits de contentement. L’Ambaſſadeur de Sobare fut receu honrablement, & magnifiquement, & l’Empereur au clair iour, de l’aſſeurance qu’il tiroit de la lumiere des Fortunez ſe fit paroiſtre non triſte hypochondriaque, mais galād monarque & Prince, accompli ſur tous ceux qui pretendent à la reputation : Ayant donné iour d’audience à l’Ambaſſadeur accompagné des Sages de Sobare, l’Empereur faſſit en # majeſté, & apres les diſcours, propos d’eſtat & declaration d’affaires il receut d’eux le Mirouër de iuſtice, & ratifia tout ce que les Fortunés auoyent agi, puis apres la bien-ſeance obſeruee les Sobarites furent venuoyés comblez de courtoiſies, & accompaignez de riches preſens.. L’Empereur ſe voyât ſeul auecles Fortunés, leur conta naifuement l’eſtat de ſa fortune amoureuſe, la leur deduiſant auectant d’amertumes qu’ils en auoyent compaſſion, & encor plus viuement lors qu’ils l’entendoyent redire ſouuent ceſte repriſe d’Elegie,

Pauure Etherine helas ! toutes graces periſſent,
Car auec ta ruine elles s’enſeueliſſent.

L’Empereur les pria d’employer toute leur induſtrie pour ſon ſoulagement, & ils le conſolerent, l’aſſeurans de prouuoir ſi bien à ſon affaire, qu’il en auroit du contentement : Et afin de donner luſtre à leur bel artifice, ils demanderent ſecours de temps pour conſulter enſemble, de ce qu’ils deuoyent faire, ce qu’il leur accorda, non ſans ſ’eſtre reſerué la liberté de les enquerir ſouuent, ſi ſes affaires amoureuſes viendroient à fruits de lieſſe : Leur conſeil eſtoit tout pris, & ne reſtoit qu’à l’effectuer : Ce qu’attendant & ſe refraiſchiſſant ces beaux eſprits frequentoient la Fontaine, que Fonſteland viſitoit de bon cœur, pour y voir ſa maiſtreſſe, à quoy ſes freres l’aſſiſtoyent comme tous trois mutuellement ſ’exerçoyent à l’auancement de leurs fortunes : Eſtans à la fontaine auec la Fee qui cōduiſoit les chaſtes amours, de Lofnis & de Fonſteland, chacun prenoit à ſon gré parti de recreation, & ce chaſte amant ſe ſeruant du temps opportun, rendoit à ſa Dame cōte de ce qu’il auoit eſté abſent d’elle, & de quelles meditations ſon cœur ſ’eſtoit repeu, n’ayant pour obiet en la memoire que ſes perfections : Et ainſi glorieux de ſon preſent contentement lui baiſoit ſes belles mains qu’elle retiroit par feinte, le repouſſant mignonnement vers la bouche aymant aymee, l’humble paſſionné luy deduiſoit ſes actions eſcoulees, & elle luy diſoit : A ceſte heure que vous auez faict preuue de l’abſence, ie vous prie de me dire comment vous eſtiez, à ce que par la cognoiſſance de voſtre eſtat ie iuge du mien : car s’il eſt ainſi que ie le veux croire, que vous ayez de l’affection pour moy, il n’y aura pas eu moyen de repos : Fonsteland. Madame, le plus difficile accident qui trouble nos cœurs, eſt la ſeparation du ſuiet où nos ames ont arreſté leur entier contentemēt, & ie le vous dy en la meſme verité que ie la croy, que c’eſt ceſte ſeule cruelle aduanture qui m’affligeoit trop incommodément abſent de vous. C’eſt le mal qui m’a tant & ſi importunément agité, que preſque mes plus belles penſees en eſtoient diſſipees, pource que ie n’auois que des imaginations toutes triſtes qui m’enueloppoiēt en des tenebres trop obſcures, & ſans la valeur dont vous eſueillez mon courage, ie me fuſſe deſeſperé. Mais quand ceſte malignité preſumoit d’eſteindre ma belle eſperance, le ſouuenir de vos vertus ſi doux obiet de mes heureuſes conceptions, me repreſentoit le bien que i’av receu, en m’obligeant à voſtre ſeruice, & me releuoit auec tant de confiance, que i’effacois tout ce trouble, par la felicité que i’ay d’eſtre voſtre, & cōme cet heur eſtoit ma conſolation, ie vous ſupplie ma belle pour continuer mon bien, que vous ayez agreable que touſiours & en tous lieux il me ſoit permis de croire de meſme. Lofnis. Si ie pouuois lire en voſtre cœur, ie ſerois plus preſte de ſcauoir ce qui en eſt, que ie n’eſtois lors que vous eſtiez eſloigné, toutesfois ie ne ſcay ce que ie doy penſer, ou ſi ie me doy perſuader que loing du feu on n’eſt pas tant eſchauffé. Fonst. Ie vous prie me faire mourir plus doucement, & ne cōtinuer pas en ceſte triſte perſuaſion, vous eſtes le feu qui plus eſloigné, m’a plus fait ſentir de flāmes ; Auſſi eſtes vous mon vnique eſperance. Il vous a eſté agreable que celà fuſt, ie m’aſſeure que vous le voulez encor : ie vous prie par ce pouuoir qui m’a rendu voſtre, faire eſtat de ma perſeuerance, en laquelle ie m’entretiendray tant que i’auray du courage : l’abſence qui à men grād deſplaiſir a eſté trop longue, n’a rien effacé du ſainct caractere de vos perfections, au contraire, redoublant le feu de mes viues affections, en a cauteriſé l’impreſſion en mon cœur, qui en eſt tout tranſmué. Ie ne me ſuis point obligé à voſtre ſeruice par deſſein, vn diſcours formé ſur des entrepriſes temeraires ne m’a point conduit à ceſte heureuſe auanture : mon bon deſtin m’y a mené, & vos beaux yeux guides eternelles de mes penſees, m’induiſans à mon bonheur, m’ōt eſtably ceſte rencontre, par laquelle vous m’auez façonné au deuoir où vous me reduiſez. Quand ie vous vy, vne force ſouueraine me fit ſentir vne nouuelle forme s’eſbaucher en mes affections, & ie fus preparé à vne nouuelle volonté, laquelle depuis s’eſtant multipliee, s’eſt tranſmuee en vn amour qui ſera l’extreme de mes paſſions, & le terme de mes fortunes : i’en ay mis ma foy entre vos mains, & ie l’y mets encor, ſans iamais vouloir ou pouuoir la reuoquer : Et c’eſt auiourd’huy que ie iuge plus parfaitement de mon courage : car l’abſence qui m’a propoſé quelle difference il y a de voir ſon Soleil, & d’eſtre en tenebres, a examiné mes opinions, & me faiſant apprehender le mal que i’ay trop violentement reſſenti, m’a fait peſer mon deſir, & ma douleur, & cognoiſtre ce qui en eſt. Ma belle, ie ne veux point vous repreſenter l’eſtat de ma peine quand i’eſtois loing de vous, d’autant que vous la ſcauez bien, auſſi vous l’eſtimerez par mon affection, dont ie vous rendray tant de preuues, que le teſmoignage vous la manifeſtant, vous vous aſſeurerez que mon humble amitié n’eſt point vn proiect inutile pour ſe plaire, ſelon les volages fantaiſies des eſprits legers, mais vn effect ſubſtanciel à l’égal de la verité, laquelle ſans changer continuant en mon ame, ne me fera reſpirer autre cōtentement que de me diſpoſer de plus en plus au ſeruice que ie vous doy. La Fee les vint interrompre. A la verité les amans ne ſçauent que dire & ont tant à dire que les paroles croiſſent en leur bouche, ſans qu’ils le penſent, leurs diſcours coulent infiniment, pource que leur affection eſt ſans fin, & puis ils ont tant de choſes à déduire iuſques à l’effect, qu’ils ne ſe laſſent iamais d’en parler, & qu’on vienne à leur en demander, tout eſt qu’ils ont dilaté leur ame ſur l’aër infini de leurs pensees : Ces deux reſueillés de ce beau ſonge, car, l’amour n’eſt autre choſe d’autant qu’il ne vieillit point, & n’effectue rien, ils vindrent ouyr la Muſique preparee ſous la tonnelle, ce qui fut mis le premier ſur le tapy eſtoit vn aër que Fonſteland auoit arreſté ſous ces paroles meſurees, leſquelles pourtant ne peuuent meſurer ſon affection.

Mon cœur eſtoit ouuert, mon ame humiliee,
Mon eſprit en priere, & mes yeux en deuoir,
Lors que voſtre beauté doucement ſuppliee,
Me daigna par pitié voſtre me receuoir.
Que de bonnes douceurs dedans moy s’eſtablirent,
Combien ſentiſ-ie en moy de conſolation !
Tout ce que les amans en leurs amours ſonſpirent,

Pres de ces ueritez ne ſont que des fictions.
Mais ma belle eſt-il vray, eſt-il vray que ma vie
Vous ſoit en quelque eſtime ,& qu'en ayez pitié ?
La ſaincte verité de vos leures ſortie
Fontfoy que vous auez (receu mon amitié.
Que i'ay de gloire en moy, que ma vie eſt contente,
Qu'vn ſuiet ſi parfait ſoit la loy de mon cœur,
Auſſi ie vy pour vous d'vn amour ſi conſtante,
Que tout vous me verrez de deuoir & d'ardeur.
Telle ſera ma foy conduicte par ma flame,
Que des conſtans amans la guide elle ſera,
Comme la cauſe en eſt grade és yeux de Madame,
Le grand effet en moy touſiours en paroiſtra.

Ce pendant qu'ils repaſſoient ces accords ſous l'examen de la doctrine des conuenances, voicy arriuer vn ballet de Bergers & Bergeres, accordans les inſtrumēs, les pas & les voix, l'entree fut de deux pairs de Bergers & Bergeres, vn Berger triſte, vne Bergere triſte, vn Berger content, vne Bergere contente.

LE TRISTE.

I'aymois vne bergere
Cent fois plus que mon cœur,
Mais ſon ame legere
L'a faict changer d'humeur.
c'eſt vn malheur extreſme
De patir ſous l'amour,
Malheureux eſt qui ayme
Plus longuement qu'vn iour.

LA TRISTE.

Pauurette deſolee,
I'aymois trop vn Berger,

Mais ie ſuis affolee,
Car ſon cœur eſt leger :
C’eſt la cruauté meſme.
Que s’obliger d’amour :
Malheureuſe eſt qui ayme
Seulement demy iour.

LE CONTENT.

Vne bergere belle
Eſt Dame de mon cœur,
D’vne ame humble & fidele
Ie luy ſuis ſeruiteur :
La felicité meſme
Eſt de viure d’amour,
Bien-heureux eſt qui ayme
Juſqu’à ſon dernier iour.

LA CONTENTE.

Amante bien heureuſe,
I’ayme bien mon berger,
De mon amour ioyeuſe
Ie le veux ſoulager.
La felicité meſme
Eſt de viure en amours,
C’eſt vn plaiſir extreſme
De s’entraymer touſiours.

Ils chantoient ainſi les vns apres les autres, les triſtes commencoient & les contents apres continuans de meſme.

LE TRISTE.

L’amour eſt un corſaire
Abuſeur de nos ans,
Il fait ſemblant de plaire,
Mais ſes feux ſont tourmens.
C’eſt vn malheur.

LA TRISTE.

Nos deſirs ſont folie,
Nos deſſeins ſont erreurs,
Malheureux qui ſe fie
A ſi folles humeurs
C’eſt la cruauté.

LE CONTENT.

Les belles ſont la vie
De tout courage aymant,
Leur douceur eſt vnie
A tout contentement :
La felicité.

LA CONTENTE.

Les deſſeins plus aymables,
Sont ceux là des amans,
Touſiours ſont veritables
Leurs fideles ſermens :
La felicité.

LE TRISTE.

Les ames des Bergers
Sont vn aer deceuant,
Et leurs amours legers
S’euaporent au vent.
C’eſt vn malheur.

LA TRISTE.

Si les Bergers nous ayment,
C’eſt pour nous abuſer,
S’ils iurent ils blaſphement,
Pour nos cœurs amuſer.
C’eſt la cruauté.

LE CONTENT.

Le bonheur de la vie.
Eſt de ſe uoir aymer,

Et de ſemblable enuie,
Se ſentir conſommer :
Lafelicité.

LA CONTENTE.

D’vne amour vehemente
sans ceſſe i’aymeray,
Et ie ſeray contente.
Quand aymant ie mourray :
La felicité.

Le ballet acheué & ces parties diuerſes ayans dācé & chanté, tous ſe meſlerent & paſſerent outre, & puis apres vn chœur de bergers & bergeres entremeſlez d’vn nouuel ordre, s’aduança, & ſur les meſmes accords, mais en tons diſſemblables ces vers furent dits trois fois,

Soit amant ou amante
Iamais on m’a du bien,
Si on ne ſe contente,
On ne iouyſt de rien.
Gay, gay liberté viue,
Uiue l’amour auſſi,
Et qui voudra le ſuiue
Comme on le ſuit ici.
L’opinion ſans ceſſe
En nos affections
Eſt celle qui nous preſſe,
Sans autres paſſions.
Gay, gay liberté.

Ceſte ioyeuſe bāde eſtoit ſuiuie d’vn chœur parfaict de toutes ſortes d’inſtrumens qui eſtoient touchez de deux ſortes diuerſes, l’vne, ſelon ce qui eſt cómun, & l’autre à l’Aſiatique, qui eſt que ceux qui n’ont pas bōne voix, mais ſçauēt biē accorder, ont des cors au milieu deſquels y a vne ouuerture à mettre la bouche, laquelle y eſtant ioincte, on peut librement & naifuement prononcer les paroles, lesquelles s’entonnent dedans le ventre de l’organe, qui donne de bons & beaux ſons moyens, entre ceux des inſtrumens & les voix naifues des perſonnes, le tout eſtoit accompagné d’vne bande de Nymphes deliberees, qui d’vn aer galand faiſoient retentir ces accens

Hommes ſexe volage
Retirez-vous d’icy,
Nous auons le courage
Franc d’amoureux ſoucy :
La vertu nous conuie
A plus parfaite vie.
Nous rions de vos feintes
Filles de legerté,
Et ne ſommes atteintes
De telle vanité,
Car noſtre ame conſtante
De l’honneur ſe contente
Or allez temeraires
Souſpirer autre part,
Car vos cœurs volontaires
N’ont point en nous de part,
Vos façons importunes
Ne ſont que trop communes.
Vous brauez d’inſolence
Foibles nous eſtimans.
Mais nous auons puiſſance
Deſſus les cœurs aymans :
Si nous voulions paroiſtre,
Nous le ferions cognoiſtre.

Uos petits artifices
Ne ſont rien que du vent,
De vos triſtes ſeruices,
On nous rebat ſouuent,
Mais nous auons l’addreſſe
D’en preuoir la fineſſe.
Vos ſouſpirs & vos flammes
Sont des inuentions,
Dont vous troublez vos ames
Par trop d’opinions :
Mais nous ne faiſons conte
De vos peines de honte.
Contez donc vos folies
Aux eaux & aux foreſts,
Nos ames diuerties
N’oyent point vos regrets,
Nous ſommes eſlancees
De meilleures penſees.

Ces belles ſe mocquoiēt de l’amour & des amãs, pource que poſſible elles n’eſtoiēt pas encores capables de belles affectiōs, ou pource que quelque dépit les faiſoit ainſi dire, ou qu’elles en eſtoient raſſafiees par le bienheureux accōpliſſement de leurs deſirs : car c’eſt l’ordinaire de taſcher a brauer ce qui a gauchi nos entendemēs, lors que no° le pouuons, & que l’obligation eſt eſteinte : les amans m’entendent bien. Et ſemble qu’il en ſoit comme ie le penſe, parce que ces Nymphes portoient ſur leurs cheueux des guirlandes de fleurs contrefaictes, à quoy ſe raportoit ce que chantoit le dernier chœur, qui ſe presēta de douze bōs & des plus parfaits muſiciēs accordās ſelō les plus exquiſes pratiques de ceux qui ont remarqué la perfection des tons & de leurs mutuelles conuenances, les oyans, il m’eſt aduis qu’ils diſoient mon intention à ces belles ſur ce ſuiet, & ſeulement pour ce coup.

On recognoit aſſez les feintes
Que vous cachez dedans vos cœurs,
Sans vous parer de ces fleurs peintes
De la couleur de vos humeurs.
Ces fleurs ſur vos cheueux volantes,
Sont les teſmoignages conſtans
Que vous eſtes trop plus changeantes
Que ne ſont les fleurs en tout temps.
Ceux qui vou offrent leur ſeruice
Contraints bien ſouuent ſont menteurs,
Puiſque vous aymez l’artifice,
Ils ſe font vos imitateurs.
Plus ne vous pleignez doncques belles,
Quand comme vous on ſe feindra,
Le plus fidele des fidelles,
Eſt tel que ſa Dame voudra,
S’il vous en aduient du dommage,
Accuſez en vos legertez,
Les feintes de voſtre courage
L’artifice de vos beautez.

Toutes ces diuerſitez ſans noiſe, ſans difficulté, mais d’vn conſentement, paſſans en ioye, eſtoiēt teſmoignage de belles humeurs de ce beau monde, qui ne pretend qu’au contentement legitime, lequel ſi on rencontre, on ſe tient en la douce fortune que lon a commencee, autrement on ſe debande ſouuent ſtimulé par le dépit, le deſeſpoir, ou la honte. Qui eſt-ce qui meut infinis à laiſſer la conuerſation des peuples, ſinon le deſplaiſir de ne ſe voir honorez comme ils deſirent, ou gratifiez d’eſtats qu’ils pretendent, ou n’auoir entree écharges ambitieuſes qu’ils appetēt, ou n’obtenir pas la bonne grace des Dames aymees ? Que ſi quelqu’vn contriſtant la bonne fortune iouyſſant à gré de tout vient tomber és accez de ceſte tranchee, ou melancholique ou diuine, nous dirons que c’eſt vne maladie ſuperieure, qui l’a fait mourir au mōde, & le laiſſerōs ſuiure ſes bonnes fantaiſies, toutesfois quoy que ce ſoit on choppe à quelqu’vn des eſtos que nous auōs recognus. Tandis qu’on ſe preparoit pour ſe retirer, Fonſtelād prenoit ainſi cōgé de Lofnis : Madame, ie ſuis en peine, pource que l’amour ſollicite mon cœur auec des paſſions eſtrāges, biē que ie ſois viuemët perſuadé, que mes deuotions vous ſont agreables. Et puis cognoiſſant mō peu de merite, ie brāſle en I’incertitude de pouuoir vn iour emporter le prix des fidelités qui m’exercerōt ſuiuāt la fortune que ie me ſuis propoſee en vo° ſeruāt : c’eſt l’amour qui me fait extrauaguer. Ie rōps le cours à ces penſees, puis que mō courage qui me presēte le fruict de la conſtāce, me promet que ie perſeuereray en vous aymāt. Et pourtāt mō ſouuerain biē eſt ordonné en l’eſtat de mes belles penſees, & mō bonheur eſt eſtabli és meditatiōs que ie fay apres la perfectiō que i’honore. Dōc maintenu par ce bon contētemēt, ie cōſole mō ame, qui autremēt deffaudroit preſſee des rigueurs de l’afflictiō qui tātoſt m’oppreſſera quand ie ne ſeray plus aupres de voº. toutesfois ie ſupporte l’aigreur de ceſte petite abſence, pource qu’elle me donne du cōtentemēt vo° repreſentant à moy plus auātageuſemēt, & ciſelāt voſtre pourtraict en mō cœur auec plus de force : Et puis eſtant à vous, & aſſeuré qu’il vous eſt agreable, ie ſuis tout cōſolé. Lofnis. Voſtre propre fidelité vous rendra teſmoignage de tout, & de ce que ie vous deuray, pour à quoy m’obliger plus expreſſement, ie ne vous demande ſinon que vos paroles ſoient ſans ceſſe conſentantes à la verité, & ie vo° tiēdray auſſi cher que ma vie, pourueu que la vertu vous retire aux limites de voſtre deuoir.

Le temps que les Fortunez auoient pris eſtoit pour auoir la cōmodité d’aduertir leurs amis qui eſtoient en l’iſle de Quilmalee, à ce que tout meurement deliberé, rien ne ſuccedaſt que ſelon leur deſſein, à quoy il ſembloit que tout ſe preparoit : Ce temps expiré, ils ſe preſenterent à l’Empereur pour luy declarer ce qu’ils vouloient executer pour ſon bien. Cavaliree. Sire, vous nous auez faict l’honneur de vous fier en nous d’affaires de grande conſequence, & concernantes voſtre vie, que nous tenons ſi chere, qu’il n’y a rien que nous ne vouluſſions tenter & hazarder pour la cōſeruer : & pource que nous voyons qu’il vous plaiſt vous rapporter à nous touchant ce dernier accident qui vous faſche, & met en telle triſteſſe, que voſtre ſanté en eſt incommodee : Nous vous conſeillons comme vos treſ-humbles ſeruiteurs, que vous tenant au rang de Maieſté ſuyuant voſtre couſtume, vous dreſſiez vn equipage digne de voſtre grandeur, & que façiez vn voyage au Royaume de Nabadonce en l’hermitage d’honneur, il eſt certain ſi vous le faictes, que ſans doute vous y aurez des nouuelles d’Etherine, car elle y ſera au temps meſmes que vous vous y trouuerez. Fonsteland. Ce qui fait que nous vous dōnons ce conſeil, Sire, eſt pour ce que dans peu de moys on commencera à ouurir le grand anniuerſaire, où tous les vrays amans doiuent vn voyage, & ſur tout, ceux qui depuis cinq ans ont couru des trauerſes d’Amour, & là eſtans ils ſerōt iugez & recompenſez, d’autant qu’en ce lieu il y a remede aux amours ou par conſeil, ou par proprieté. Vivarambe. Sire, quand vous ſerez là, vous oyrez vne raiſon d’amour qui vous plaira, & ſerez aſſeuré de ce qu’il faudra faire pour voſtre deſir : car il ſe trouue vn grand & admirable ſecret en la belle figure dont vous ſerez fort ſatisfaict : d’auantage vous y verrez dans l’Iris de cognoiſſance où a eſté, où eſt, & ſera Etherine : parquoy eſtant certain de ce qui ſera, vous diſpoſerez voſtre cœur, & par la liqueur de benediction, vous vous rendrez content. L’Empereur leur tendit la main gracieuſe, leur dit, qu’il ne vouloit autre reſolution que la leur, qu’il s’eſtoit mis entre leurs mains, pour les croire, & meſmes leur obeyr en ce qui concernoit ſa ſanté : Parquoy, qu’il feroit ce qu’ils auoient determiné, & donneroit ordre à tout, & ce pendant qu’ils luy aidaſſent & prouueuſſent. Tandis que l’equipage ſe faiſoit, & qu’ō accommodoit les neceſſitez, ils ſuruindrent de terribles & dangereuſes affaires, les propoſitions furent eſtrangement deſtournees, & y eut des diſpoſitions de ſi pernicieuſe conſequence, que tout en deſordre, & nous, & nos eſperances & l’Empereur auſſi, fumes en point de perir, & de ne gouſter iamais le fruict de nos deſſeins.

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DESSEIN VNZIESME.


Epinoyſe n’y penſant point, ſe laiſſa ſurprendre à l’amour, pour le ſuiect de Caualiree, auquel elle le declare, & il s’en excuſe.



LEs violens efforts d’amour fourniſſoiét d’in uentiös aux amâs à trouuer allegemēt à leurs fantaiſies, & appaiſer leurs douleurs, ou biē leur donnent occaſion de rechercher & auſſi de trouuer les moyens de ſe venger des ſuiects qui les ont irritez, ou contre leſquels ils s’irritent. Epinoiſe la Fee de la Fontaine des amoureux, qui ſi longtemps a veſcu en l’honneur & reputation d’eſtre vnique, ſage, ſans que paſſion aucune ayt eſmeu ſon ame deſraiſonnablement, receut en ce temps cy vn reuers d’amour qui fut cauſe de pluſieurs nouuelles trauerſes, & de nous faire vieillir en nos recherches. L’amour a traicté ceſte Dame, & qui eſt-ce qui eſchappe le traict de ce vif eſprit qui penetre tout ? Où le Soleil peut luire, il paſſe des traicts d’amour, & meſmes il en gliſſe infinis és lieux où lon ne cognoit point la lumiere, & où iamais les eſtincelles du iour n’ont reſplendy, ceſte vigueur a demonſtré ſes effects : Epinoyſe eſtoit aſſez belle pour eſtre deſiree, d’aſſez bon lieu pour eſtre la practique d’vn bel eſprit, & de trop de merites pour n’eſtre point recherchee. Auſſi l’amour auoit par elle fait ſouſpirer en vain tāt d’amās, qui la craignoiét, elle qui le ſçauoit biē (pour ce que les belles ſçauēt biē leurs merites quand elles ſont ſans paſſion) ſe meſloit de brauer l’amour, faiſant gloire de triōpher des cœurs, & de reſiſter puiſlamment aux forces de l’affection, & elle ſe tenant à l’œr pacifique de ſes penſees, voyoit les affaires des autres, qui ne l’eſmeurent point : d’autant que l’effort qui examine tous autres courages paſſe loing d’elle. Amour indigné va ſe recompenſant autre part, & ne pouuant encor ſe vanger ſupporte ſa honte, tant qu’il ayt la commodité de donner quelque trauerſe, eſtant meſpriſé, il baiſſe la teſte, & ſe retient : mais auſſi quand il trouue l’occaſion de vēgeance, il en vſe inſolemment, quand il en attrape l’opportunité il s’y exaggere auec toute vehemence, & n’eſpargne rien. Or il auoit fait forger vn nouueau traict, & l’auoit trempé dans les douceurs de la meſme delicateſſe dont couloit le ſuc amoureux qui glutinoit les ames de Cambile & de Caualiree : De ce traict Amour inconſiderément offenca le cœur d’Epinoiſe, à laquelle il ne penſoit plus, & n’auoit intention de s’addreſſer : car le voulant eſſayer, il l’auoit enfoncé en intentiō d’en alterer vne vnique beauté qui eſtoit toute innocente encor, & laquelle pourtant a faict ſouſpirer le heraut de cez paſſions cy, & de fortune, le coupeſtant languiſſant & non ſoudain, la Fee paſſant le receut par hazard, & s’en trouua atteinte, eſtant en diamettre aux yeux de Caualiree : à ce coup elle eft reueillee, & comme en ſurſaut reſſent quelque nouneauté qui l’eſguillonne, & cherchant ce que ce pouuoit eſtre, ſon œil aduiſa Caualiree dōt la ſource de feu luy ſaillit en l’ame, & y mit tant de feux, qu’elle ſe trouua toute autre qu’auparauant, & toute brillante d’ardeurs qu’elle eſtoit, ſe vid interieurement toute en flamme. Elle ſe cōmuniqua à ſoy-meſmes, & conſultant le Cabinet de ſes fantaiſies, raiſonne ce qu’elle peut en ceſt accidēt, elle demeure quelque temps en deliberation de laiſſer couler ce nuage, & ſi arreſte ſi fermement qu’elle s’y reſout, en volonté d’arracher ce mal : toutes-fois venant à le repenſer, elle s’y propoſe vn certain beau contentement qui la flatte tant que contraincte, oubliant ſa genereuſe reſolution, elle s’y abandonne, & comme elle auoit eſté violente à s’en vouloir diſtraire, elle fut obſtinee à s’y precipiter, ſe donnant vehementement en proye à l’amour. Quoy ? qu’vne Princeſſe ſupplie vn eſtranger : Qu’vne belle tant de fois deſiree de pluſieurs s’offre à vn qui ne l’a point requiſe ? qu’elle s’humilie deuant celuy qui deuroit auec crainte de n’eſtre exaucé, ramper deuant elle en prieres pour obtenir ſa grace à il n’y a point de moyen, ceſte couſtume ſeroit nouuelle, la tache en ſeroit trop deſ-honneſte, & il y pourroit aller trop au deſaduantage des Dames. Ce conſeil luy cauſe beaucoup de trouble, elle ſe veut diſtraire & faire mourir ceſt inique deſir, auant qu’il croiſſe : Puis elle repenſe qu’il ſeroit impoſſible (veu que l’amour eſt equitable) qu’elle eut receu ce feu ſi vif en ſon ame d’vn œil dont la vie n’eut point d’affection pour elle, & que puis que ce mouuement l’intereſſe, il faut qu’il vienne de luy : C’eſt ainſi que les amans s’abuſent pour auoir excuſe de leurs extrauagances. Elle gratifie ſon aiſe d’imaginations, eſtimant qu’on luy veut du bien, puis auſſi toſt elle ſe rauiſe & croid qu’elle ſe trompe, & que ce n’eſt pas Amour qui occupe ſon object ; Mais en fin, eſprouuant au vif les pointes qui l’inquiettent, elle ſ’abandonne au conquerant abſolut des cœurs, & delibere ſi elle peut de faire amitié auec le Fortuné. Quelques iours auoyent paſſé depuis la premiere atteinte, meſmes ils ſ’eſtoyent entre-veus à la Fontaine, & elle plus reſpectueuſe que de couftume, l’auoit veu d’vn œil, qui pourtant n’oſoit rien declarer que par des elancemens languiſſans qui ſuppliēt. Elle qui penſe deuoir eſtre aymee ſ’eſtonne qu’il ne lui fait quelque demonſtration d’amour, veu qu’il peut auoir remarqué ſes requeſtes oculaires, mais le malheur pour ceſte amante, il n’auoit pas alors l’eſprit d’intelligence amoureuſe à ſon ſujet. Il eſt vray que par temps & les actions, il ſ’apperceut bien de l’alteration de l’ame de la Fee, qui n’auoit pas l’humeur brillante comme parauāt, eſtoit moins familiere en diſcours, plus reſpectueuſe en conuerſation, nō tant aſſeuree en approches, ayant l’eſprit comme empeſché. Elle de ſon coſté fait les excuſes de Caualiree qui ne parle gueres à elle, & elle ſe veut faire croire que pourtāt il l’aime : mais qu’il ne luy oſe dire, craignant de troubler ſon vœu de fille, ſi elle en a fait ainſi que par auēture il le penſe. Ces petites penſees luy fourniſſent des ombres de contentement, mais elles ſ’eſcoulēt trop viſte, & l’attirent peu s’en faut au deſeſpoir, iugeant par l’effet, qu’il ne penſe point en elle, toutesfois ſe flattant de ſon aiſe eſperé, ſeremet en vn peu d’eſpoir, & conclud qu’il le faut reueiller. Et puis ſe ſentant outree d’affection, ſe dōne toute licence de prendre la voye de reſolution qui ſ’offrira, parquoy apres pluſieurs debats en ſon ame, ſ’eſtant ſouuēt mutinee puis rapaiſee, & en fin voulāt eſprouuer ce qui lui doit auenir, ſe de termine à renuerſer l’ordre, donques prenant l’occaſion de diſcourir auec le Fortuné, le fit aiſément venir à tel propos qu’elle continua ainſi. Vous ſçauez qu’il n’y a pas moyen d’eſchapper, & qu’il ne ſe peut, que l’on ne ſente quelquefois vne petite eſmotion de bien-vueillance pour vn ſujet de merite, i’ay autrefois penſé que ce fuſſent aers friuoles, que ceux qui emportent les amans, mais ie me recognois, & me dedis des propos que i’en ay maintemus, car ie cōfeſſe qu’il y a veritablement vn amour qui peut ſur les courages, certainement ie l’ay eſſayé, & en porte les impreſſions en mon cœur, ie ne ſcay ſi vous vous en eſtes apperceu ? Or quoy qu’il m’ē auienne, & que l’on me reproche mon deportement inuſité en cela, ou que l’on m’accuſe d’eſtre plus deſireuſe que deſiree, ie franchiray pourtant le terme que ma volonté ſ’eſt reſolue de paſſer, & reſpondray que ce n’eſt point moy qui recherche, mais bien que ie manifeſte que ie ſuis capable d’aymer & d’eſtre aymee, & le dis pour autant que pluſieurs penſent qu’aucunes de nous qui ſommes Fees, ſoyōs aſtreintes par vœux, tellement que pluſieurs qui voudroyent nous aymer, n’oſent ſe defcouurir à nous : Or il ne faut point que pour moy on ait ceſte conſideration, & partant ſi vous auez eu quelque opinion ſemblable, ie vous prie la leuer à ceſte heure que ie vous declare les conceptions de mon ame, vous diſant que ie deſire eſtre autant aymee que i’ayme : Et ſi voſtre cœur eſt capable d’amitié, ayez ceſte gloire que ie vous ay prié, ie n’en ſuis point honteuſe, & deſire en cecy diminuer ma reputation, pour m’augmenter en bien d’amour par voſtre courtoiſie ; Penſez donques d’auoir pitié de celle qui vous ſoulageroit, ſi vous la suppliez, qui vous accepteroit, ſi vous ſouſpiriez pour elle, ne fraudez point le deſir de celle qui vous ouure ſon ſecret qui ſera ſecret à iamais, ſi vous ne le deſcouurez trop indignement. Cavaliree. Ma propre miſere me reduit à telle extremité, qu’il faut que ie ſois tant malheureux, que ie ne puiſſe recognoiſtre le bien que vous me faites : Ie vous prie croire que ie ne ſuis ny glorieux, ny deſdaigneux, ny meſcognoiſſant & encor moins ingrat, vous me faites vn hōneur qui ſurpaſſe de trop ma fortune, & ſ’eſleue infiniment au deſſus de mon eſpoir. Si ce bien me fut apparu premierement, ie fuſſe au ſouuerain bon heur, ce qui ne peut eſtre : d’autant que ie ſuis obligé de foy à vne autre, que ie n’oſerois tromper, encor que ie le vouluſſe, pour autant que ie ſuis homme d’honneur, partāt Madame, ſi c’eſt pour ſcauoir mes conceptiōs qu’il vous a pleu ainſi parler à moy, ſoyez contente que ie les vous ay declarees, que ſi veritablement vous me deſirez pour ſeruiteur d’amour, ie vous ſupplie de m’en excuſer : car ie ne puis & ne veux faire aucune meſchanceté, que ſi i’eſtois ſi laſche de vous promettre, ie meriterois d’eſtre puny : d’autāt que ie ne puis legitimemēt eſtre à vous, il eſt vray qu’encor que ie ſois à vne autre, ſi eſt-ce que pour la grād faueur, & hŌneur qu’il vous a pleu me faire, ie ſeray à iamais voſtre cheualier, & d’affection, en ceſte ſorte ie vous aymeray & ſeruiray fidelement & vniquement. La Fee. C’eſt que vous me dedaignez que vous parlez de la façon, & meſpriſez ce qui ne vous couſte gueres, mais ſi eſt-ce que vous faudrez bien à trouuer vne maiſtreſſe, qui fit cas de vous comme ie feray : car ayant ce nom, l’effect, ſeroit en fin que ie ſerois voſtre bonne ſeruante : Ie ſcay bien à ceſte heure, que i’ay fait vne faute, de vous auoir manifeſté mon courage, il falloit que ie vous fiſſe venir, & teinſſe en langueur, adonques vous l’euſſiez trouué bon, la pierre en eſt iettee, ainſi qu’il conuient à ceux qui ont tiré l’eſpee cötre leur Roy, d’en ietter le fourreau au feu, auſſi ayant commis ceſt erreur de vous auoir manifeſté mon dommage, & comme amour m’a reduite, il faut que la premiere hôte de fille eſtāt perdue, ie me commette au reſte de la fortune d’amour, tant que l’honneur me le permettra, & que ie ſois voſtre, pour eſtre autant aymee qu’Amante : Cavalir. Il faut obeir aux Dames & ne les irriter iamais, ie feray ce qu’il vous plaira, ſi vous iugez qu’il ſoit raiſonnable, & que vous trouuiez bon d’obtenir vn cœur qui eſt engagé : Et puis ie penſe recognoiſtre que ce deſſein eſt vn beau paſſe-tēps que vous faignez pour vous eſbatre & faire preuue de mon eſprit. La fee, ie parle d’affection, & en verité, & le vous feray paroiſtre. La departie contrainté, fut cauſe que la Fee qui eut d’auantage moleſté le Fortuné, le laiſſa, ainſi ſe ſeparerent-ils tous deux diuerſement ennuyez. Caualiree deſcouurit cet affaire à ſes freres qui pour l’euiter, haſtoyēt le plus qu’ils pouuoyentlevoyage de Nabadonce.

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DESSEIN DOUZIESME.


Progrez de la vengeance que veut prendre Epinoyſe des Fortunez, l’Empereur perſuadé l’eſcoute, & ſe diſpoſe de ſçauoir ce qui eſt d’vn auertiſſement qu’elle luy donne de trahiſon par les Fortunez.



IL n’y a rien de tant felon, qu’vne Dame qui ſe penſe eſtre dedaignee, & ſurtout, lors qu’elle ſçait qu’elle a du merite : parquoy Epinoyſe ayāt fait tous ſes efforts & les voyant inutiles, apres auoir longuement conſulté à part ſoy, & medité tout ce qui ſe pouuoit agiter fur ce ſuiet, deueint preſque furieuſe, tāt du depit qu’elle auoit, d’auoir honteuſement recherché vn homme, que du dedain qu’elle portoit de ſe cognoiſtre non aymee : En ceſte maligne opinion ſe conſeillant auec le deſeſpoir, le dépit & lavengeance, ſe mit à oublier Amour, amitié, & tbut reſpect, ſi qu’elle ſe lança au goufre vengeur, qui lui produiſit les inuentions de ſe vanger de ſon adverſaire, & ſe propoſa de perdre non ſeulement Caualiree, mais les trois freres & ruiner leur fortune, & tout ce qui les toucheroit d’amitié ſans eſpargner Lofnis, ny l’Empereur meſmes ; Elle auoit opinion que l’innocēte Dame ſ’eſtoit auiſee de ſon amour, & qu’elle en auoit deſtourné le Fortuné de peur, que l’eſpouſant, elle perdit l’eſperance d’eſtre ſon heritiere, car Epinoiſe eſtoit Dame de grandes terres, comme de la duché de Pragence, & autres dont venoyēt les plus belles commoditez de l’Empire, & dont Lofnis heriteroit, ſi la Fee mouroit ſans enfans, d’autāt qu’elle eſtoit ſa parente de par ſa mere. Parquoy # mutinât en ſon ame conſpira contre ſoy-meſme, coniurant la perte des innocens, machinant & executant cōtre eux, ce qu’elle peut : Il te faut vn peu pardonner pauurette, car tu ne ſcais ce que tu fais ny contre qui. En ſa pernicieuſe fantaiſie, ſans faire autre mine que de couſtume, elle à ſon ordinaire veint voir l’Empereur, & sās manifeſter aucun trait d’artifice, vſa d’vne contrefigure aux eſſais deceueurs de la court, s’accommodant aux ordinaires conceptions & entretiēs qui l’exerçoyent, & ainſi l’ayant mignonnement conſolé : comme ſouuent elle faiſoit, coula auec ſon propos le progrez de ce diſcours, reſpondāt à ce qu’il lui auoit dit de la grandeur amoureuſe qui le dominoit. Comment voulez vous touſiours vous affliger ſous la ſeruitude de ceſte maligne humeur, qui vous retient aux deceptions : dont voſtre ame ſe trouble ? pretendrez vous ſans ceſſe à voſtre ruine, n’auez vous point ſouuenāce de ce que vous auez eſté ? S’il auiēt que les eſtrangers & les voſtres meſmes deſcouurent voſtre incommodité, en quelle reputation vous auront ils, vous qu’ils ont eſtimé le plus ſage de tous les monarques : de vous voir comme vn enfant ſouſpirer honteuſement pour vne petite baſteleuſe, & de condition abiecte, qui ſous ombre d’vn petit eſclat de beauté paſſagere, fera gloire d’auoir gourmandé le plus bel eſprit du monde ? penſez vous qu’elle ne ſache pas bien ce que vous faites, & que ne ſoyez pas ſon ordinaire conte de riſee ? ne vous abuſez point, croyāt qu’elle ſoit la Princeſſe de Boron : Non Empereur, il eſt permis de ſe donner quelque licence pour le plaiſir de ſon cœur, mais il ne faut pas qu’vne ombre de cōmodité ioyeuſe, efface la gloire d’vn prince magnanime. C’eſt le fait de ceux qui n’ōt que faire, de ſ’amuſer aux belles vanitez de la paſſion d’amour : vn grād és mains duquel tant d’ames ſont recōmendees, a bien des affaires de plus grande conſequēce qui le doiuét empeſcher, ſans qu’il ſ’aille imprudemment enueloper en des cogitatiōs indignes de ce qu’il eſt, releuez voſtre cœur, reprenez voſtre courage, afin que vous ne cauſiez à voſtre nom vne tache qui ſeroit beaucoup plus difforme que iamais voſtre gloire n’a eſté ſplendide. Ceſte Fee diſoit bien, & ſ’il n’y eut rien eu de venin caché la deſſous, elle faiſoit paroiſtre vn vray conſeil ; mais comme tous Conſeillers donnent auis aux Rois, ſelon leur commodité, elle l’induiſoit à ſon intētion, & l’Empereur qui n’en ſçait rien luy reſpond. Ma Couſine, ſi tu auois ſenti en ton cœur quelle eſt la viue eſmotion d’vn amour fondé ſur le pudique deſir de la iouïſſance d’vn ſujet accomply, tu ne me viendrois pas tourmenter, & ne taſcherois à me faire dedaigner ce qui m’eſt ſi precieux, mais ie te pardonne pour autant que tu m’aymes. La Fee. Il eſt vray que ie vous ayme, & pource auſſi (car il y va de voſtre vie) ie vous repreſenteray la difference qu’il y a de ſe mignarder en vne paſſion ingrate, ou ſauourer l’excellence, de la grandeur qu’on ne doit iamais maculer : c’eſt vn contentement d’eſprit incomprehenſible, vne lieſſe nō meſurable, d’aymer & eſtre aymé ſelon toutes les qualitez qu’il vous plaira, ie le veux, ie l’accorde, & eſt non ſeulement en penſee vne extreme lieſſe, mais auſſi en effet vn ſouuerain bien. Si eſt-ce qu’il y a bien à dire, entre ceſte nuagere & & friuole delectation, & la ſolide iouiſſance d’vn grand eſtat, & la vie : les appetits voluptueux ceſſent ſi les commoditez temporelles periſſent : mais les ſolides eſtabliſſemens de ce qui nous fait eſtre, demeurent, & les amours ſ’exalent, ils ſont vapeurs agreables & paſſageres. Les eſtats, les biens & le viure, ſont neceſſitez & ſubſtances fermes & arreſtees, quand nous les tenons : Cela eſt beau, magnifique & d’eſtime, d’eſtre recognu grand, vaillant, iuſte & amant ; mais il eſt bien plus excellent, fructueux & honorable, d’eſtre & ſe monſtrer ce que l’on doit eſtre, magnanime, ſage & viuant, pour ſe conſeruer en ſa ſplendeur, pour ſe rendre redoutable aux ennemis, & profitable aux ſiens : Il y a vne grande diſtance entre ſe maintenir en ſon deuoir, & à ſe laifſer deceuoir ſous ombre de quelques deſirs inſolens. Ne penſez vous point que vous vous aneantiſſiez vous meſme ? Ne vous diffamez-vous pas de vous outrer de melancholie pour vn ſi petit ſujet, & de ſi peu de conſequence, pour vne petite impudente, qui poſſible maintenant eſt à ſe noyer de contentements, auec pluſieurs qu’elle raſſaſie de voluptez, ſe mocquāt de voſtre indecente captiuité d’eſprit ? La Fee diſoit comme vray, mais elle blaſphemoit cōtre la beauté, l’höneur & l’amour, & toutesfois elle remuoit l’eſprit de l’Empereur, le faiſant peiner extrememét, à cauſe qu’il auoit de la conſideration. Il eſt certain que quand vn cœur a receu en ſoy quelque venin qui l’a detraqué de ſon œconomie, il eſt ſuſceptible de toute autre mauuaiſe & maligne qualité, & pourtant l’Empereur eſtant en ceſte agonie d’incertitude, lui reſpondit en perplexité, Ie n’entēs point vos diſcours, eſclairciſſez moy. La Fee. Si vous les voulez entēdre, reprenez voſtre eſprit Royal, redeuenez hōme, & tenez pour jeu ce qui vous eſt ſerieux, touchant les paſſiös d’aimer, &ores qu’il eſt queſtion d’affaires ſerieuſes penſezy : Mettez les conſiderations delectables pour le temps de recreation, & ſaiſiſſez celles de conſequence au beſoin, & ſi vous auez l’ame capable d’entendre ce qui eſt de voſtre bien, ie vous feray ſçauoir ce qui concerne le plus cher de ce qui vous touche. L’emperevr. Quand il faut vſer d’vn agreable artifice, il en faut vſer, mais en choſes ſerieuſes dites ſerieuſement, expliquez vous, Epinoyse. Es gentilleſſes d’eſprit, ie taſche d’exceller, pour auec la beauté de l’art conduire à fin, ce que ie veux pour le plaiſir, & ſcay bien accommoder le temps & le ſujet, mais ores qu’il y va de voſtre reſte, & que ce n’eſt plus ieu, ie laiſſe les ombres de ioyeuſeté à part, ie parle à bon eſcient, & afin que tout d’vn coup ie vous iette aux affaires, dites moy, les artifices des Fortunez ne vo° ſont point encor manifeſtes ? N’auez vo° point apperceu qu’ils vous deçoiuent, & que vous pipans par leurs inuentions, ils vous preparent vne cheute de ſi grande conſequence, que iamais vous ne pourrez vo° en releuer ? Ils vous meinent comme vn lyon enchaiſné, & trafiquås voſtre grandeur vous veulent ruiner d’eſprit & de fortune. l’emp. Que dites vous ? Ceux que vous auez inſinuez en ma grace qui m’ont ſerui tant fidelement, deſquels l’affection m’eſt ſi cognuë : & dont recentemēt les ſeruices paroiſſent, m’ayans conſerué la vie, me la voudroyent-ils rauir ? ceux qui ſont pour le maintien de moy meſme, me voudroyent-ils deffaire ? à la verité, ie ne puis me perſuader qu’ils euſſent en l’ame, autres deſſeins que pour mon bien. la fee. Il eſt permis d’eſtre deceu au commencemét, lors que l’artifice precede la preud’hommie. Et puis les occaſions font ſouuent changer les courages, il y a des eſprits ainſi faits, ils ſ’adonnent à de grands & ſignalez deuoirs, font des ſeruices remarquables pour deceuoir plus facilement, & s’expoſent afin de ne faillir à leurs entrepriſes, ils veulent tout ou rien, & les hazards où ils ſ’auanturent, eſt le grand artifice, par lequel ils aſſeurent leur gibier puis ils frapent leur coup. l’emp. Ma mignonne voudriez vous attribuer telle deſloyauté aux Fortunés qui m’ont tant obligé ? la fee. Ce n’cſt pas tout, qu’ils vous ayent fait du bien, il conuient pour le faire eſtimer tel, qu’ils perſeuerēt, car de ruyner ce qu’on a eſtabli, ou ſouſtenu, eſt trop plus dommageable que n’a eſté fructueux le premier bien : celuy qui oſte la vie, fait vn mal mille fois plus grand, que la commodité de l’auoir conſeruee n’eſt euidente : parquoy ces gens vous preparent vn dōmage plus mauuais que n’a eſté excellent le bien qu’ils vous ont fait : Et ſi vous y prenez garde vous trouuerez par les apparences de la verité, que nous auōs tous eſté deceus en eux. Mais laiſſons le paſſé : ou ſ’il eſt expediant peſons le auec le futur, & voyons ce qu’ils pretendent, ce qui vous ſera aiſé à remarquer & iuger : auſſi vous en laiſſeray-ie donner l’arreſt apres que ie vous auray declaré ce qui en eſt. A dire vray, ce leur eſt vne grāde facilité d’affaires, d’auoir trouué vn eſprit qui les croid & eſt abuſé d’eux : A quoy ie vous ſupplie, tend le voyage qu’ils vous font entreprendre, & auquel vous eſtes reſolu, que pour vous trainer en lieu où ſous ombre de vetilles de neant, & de vaines conſolations d’eſprit, ils ſe rendront maiſtres de voſtre corps, comme ils le ſont de voſtre ame, & puis à leur gré ils ſ’empareront de voſtre empire, qu’ils partageront enſemble, ſ’y eſtabliſſants premierement ſous voſtre authorité, & fe faiſants donner les charges & lieutenances que vous leurs commettrés, & puis eſtans fortifiez ils acheueront leur tragedie, & vous foible & abatu mignardé, en ceſte humeur melācholique de concupiſcēce où ils vous ſcauront bien nourrir, afin de deuenir vos tuteurs, les laiſſerés faire & vous manier comme furieux, puis ils vous paſſeront la plume par le bec. Que ſ’il vous plaiſt me donner voſtre parole, puis que ie vous ay diſpoſé à entendre voſtre fortune, & tenir ceci ſecret, ie vous donneray vn auis particulier qui vous acertenera de tout L’Emper. vous me perſuadez eſtrangement, & ſollicitez par raiſons euidcntes & terribles, or bien, ie vous iure de faire comme vous dites ; mais ſurtout ie vous prie ne me trompez pas. La fee, le ſang ne peut mentir, c’eſt ce qui m’induit principalement, & la pitié de preuoir vne ſi grande ruyne me fait gemir. Et ie ne ſcay que ie doy propoſer ou ſouffrir, voſtre perte ou celle d’vne perſonne que i’ayme comme ma vie : mais quoy ? il faut touſiours obuier au plus grand mal : Et il y a beaucoup à dire d’vne branche à tout l’arbre, il faut que voſtre conſeruation me ſoit plus chere, que le plaiſir de voſtre fille par voſtre aneantiſſement. Sachés que la pauure Lofnis a eſté ſeduitte par ces infideles, & eſt la partie qu’ils ont braſſee contre vous, qui eſt telle que le fait auenant, l’aiſné aura le tiltre d’Empereur, le ſecond eſpouſera voſtre fille, à laquelle demeureront les biens de ſa mere auec la Duché, & autres biens dont elle heritera de moy, qui ſeray confinee en la tour du iardin, ſi ie n’ay pis, & le ieune aura les iſles, voyla le partage qu’ils ont fait, & ſi vous doutez de mon dire, ie vous feray voir le lieu d’où i’ay tout appris, & de là, pourrez remarquer vne circonſtance vous rendra eſbahi ſur l’apres midi enuiron trois heures, paſſez coyment par la petite galerie, par où on va de la chappelle en la chambre de Lofnis, & vous coulez vers la double muraille, où il y a vne petite feneſtre à l’antique, qui a ſon regard ſur le iardin de plaiſir, que Lofnis a fait faire, & vous y preſentez lentement, vous verrés voſtre fille en conſeil auec le ſecond, & afin que vous puiſſiez y aller ſecrettement, voyla la clef qui ouure la petite porte d’entre les deux murailles. L’Emp. Ie mettray ordre à tout, & n’en parlez point, le temps ſ’approche qu’ils doiuent entrer, car ie les ay mandez.

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DESSEIN TREZIESME.


Par l’artifice d’Epinoyſe l’Empereur penſe mal des Fortunés & les fait mener chacun à part és Iſles dangereuſes. Caualiree eſchapant de l’iſle des lyons, vient en celle des ſerpens où il trouue ſon frere Fonſteland.



IL n’y auoit gueres que la Fee eſtoit ſortie quand les Fortunez entrerent, auſquels l’Empereur ne teint pas grands propos, pource qu’il auoit l’entendement preoccupé & troublé : toutesfois il ne laiſſa de ſe contenir : outre il ſe fortifia en ſa mauuaiſe opinion, parce qu’ils luy parlerent de haſter ſon voyage, & en faiſoyent grande inſtance, pour ſe tirer de l’importunité d’Epinoyſe. Ces ſages Fortunez furent ſurpris à ce coup, ils n’ont pas bien preueu ny pris garde aux geſtes de l’Empereur, dont l’apparēce eſtoit paree de feinte, à quoy ne prenant pas effet leur prudence fut deceuë. L’heure venue de l’aſſignation, l’Empereur ne faillit à ce qu’auoit tramé la Fee, & vid ce qu’elle luy auoit declaré, qui luy donna entiere aſſeurance de ſon dire, telle que des lors ſon cœur fut du tout aliené des Fortunez. A l’heure dite, Lofnis entretenoit ſon humble Fonſteland, qui tout content de ceſte pudique faueur, recueilloit de ſes yeux la douce vie qui l’animoit. La deſloyale Epinoyſe y eſtoit, mais elle ſ’eſtoit tapie ſous le relays de la muraille, ſi que l’Empereur ne vid que ſa fille auec le Fortuné, qui deuiſoyent en ſe pourmenant vis à vis d’où eſtoit la Fee, laquelle ſouuent les auoit fait rencontrer en ce contentement en ſa preſence, autrement Lofnis iamais n’y eut conſenti : L’Empereur tout preſque hors de ſoy reueint en ſa chambre, tant accablé de penſees qu’il n’eſtoit que confuſion, & ſurtout pour vn propos qu’il auoit ouy, & qu’Epinoyſe auoit induſtrieuſement dreſſé. Car ordinairement en leurs recreatiōs ils auoyent des ſujets ſerieux, & ce iour auoit eſté, qu’ils diſputeroyent de l’eſtat des Empires, qui ſelon qu’ils concluoyent me dependoyent que du hazard, qu’ils appartenoyent à ceux qui les pouuoyent auoir, ils diſcouroyent en ſe promenant ſi pres de la Fee, qu’elle les oyoit bien auſſi, & qui ſouuent aux autres fois, diſoit ſon opinion : mais pour ce coup elle faiſoit ſemblant de les admirer, & d’attendre à dire ſa penſee ſur la reſolution qu’ils en feroyent. Or l’Empereur reprenant ſes eſprits en ceſte, comme iuſte fureur, delibera de preuenir les Fortunés, & punir ſa fille & en la cholere qui le penetroit, ſi la iuſtice dont il auoit touſiours fait eſtat, ne ſe fut preſentes deuant luy, tout d’vn coup il eut aſſouui ſon ire, mais il ſe reteint : craignant que par ſon tranſport il ne maculaſt ſa reputation tant celebre : La premiere douceur de ſon cœur, luy repreſentoit les grands ſeruices que les Fortunez luy auoyent faits, les ſignalez offices qu’il en auoit tiré. Et l’eſperance qui l’auoit fait viure en l’attente du bien propoſé, & qu’il ſe promettoit de receuoir d’eux au recouurement d’Etherine, luy poinçonnoit l’ame, pour ne croire point que ces beaux perſonnages tant ieunes, & galans, fuſſent coulpables de telle perfidie, l’amour vouloit adoucir l’ulcere que lui auoit fait ce deſplaiſant raport : mais tout ſoudain la grandeur du deuoir, & la ſageſſe acquiſe, qu’il faut conferuer, enleuoit de ſa fantaiſie toutes les penſees de beautez & d’amours, luy propoſant qu’il valloit mieux ſe reſoudre à oublier ſes ſu jets amoureux, que ſe laiſſer deſpoüiller d’vn Empire. Parquoy il ſe reſolut d’eſchapper, pour ne tomber par ſa faute entre les mains de ceux qui perdroyent ſa vie : il arreſta donques en ſoy-meſmes : ce qu’il auoit deliberé contre ſa fille & les Fortunez. Or par la couſtume du païs, il ne pouuoit faire mourir ſa fille, d’autant que la loy eſtoit, que ſi vne fille noble auoit failly, & qu’il y eut de l’accuſation, il falloit que ſes accuſateurs ſouſteimſlent à toutes armes leur dire, & ſe combatiſſent contre vingt, & ſi elle eſtoit Princeſſe, contre ſoixante & trois, & ce au bout de neuf mois. Et ſ’il auenoit que les deffendeurs fuſſent vaincus, la fille ſeule patiſſoit, & les Cheualiers eſtoyent bannis pour vn an. Si les deffendeurs eſtoyent victorieux, on leur adiugeoit le bien des accuſateurs ; leſquels eſtoyent diffamez & mis au gibet. D’auantage on ne pouuoit punir de mort vn eſtranger pour quelque crime qu’il eut commis, excepté larcin, ſ’il n’y auoit ſept teſmoins contre luy : L’Empereur y ayant bien penſé, & ne ſe voulant ſcandaliſer, mit ſagement ordre à ce qu’il voulut faire. En diligence il choiſit vingt Gentils-hommes, auſquels il commanda de faire ce qu’il leur commanderoit. Et donnant charge au grand Eſcuyer de les conduire en cet affaire, luy fit exprés commandement d’executer ſa volonté ſur les For tunés, telle qu’il luy expoſa. Eux qui ne ſca uent ſi c’eſt # les eſprouuer ou à bon eſ, cient, ne font point d’inquiſition, & ne ſe propoſent quel’obeiſſance. Ce grand Eſcuyer eſtoit celuy qui touſiours venoit vers les Fortunez, quand l’Empereur les demandoit extraprdinairement, & veint à eux leur dire, que tout auſſi toſt il falloit partir pour aller en vne expedition, à laquelle l’Empereur les vouloit employer contre les Foullamets, où il eſtoit ſuruenue vne ſedition, les voyla auſſi toſt preſts fi qu’en diligence ils vindrent au haure ſ’embarquerent. Quand ils furent en pleine mer, les gens de l’Empereur ſe ſaiſirent de leurs perſonnes, & les ſeparerent, leur diſans que telle eſtoit la volonté de ſa Maieſté qui leur donnoit la vie, s’ils la pouuoient conſeruer. Ils eurent beau demander & dire, il n’y auoit point d’oreilles pour les ouyr : la force les emporta abſolument. Ces gens furent longtemps à roder ſur la mer, expres pour leur faire croire qu’ils eſtoient fort loin : Ils aborderent en l’iſle des lyōs, qù ils firent deſcendre Caualiree, lequel ayant eſté mis à terre, ils prierent de les excuſer, & luy enuoyerent ſon eſpee par vn matelot, & s’en allerent. Il pria qu’il vid ſes freres, mais pour neāt, d’autant que le vouloir de l’Empereur eſtoit au contraire. De là, ils donnerent en l’Iſle des ſerpens, où de meſme façon ils logerent Fonſteland. Et apres de pareille ſorte ils firent deſcendre Viuarambe en l’iſle deſerte. Les ayans ſeparez de la façon, ils retournerent à l’Empereur l’acertener de ce qu’ils auoient faict : apres quoy, ſans la vouloir voir, il enuoya Lofnis en la Tour determinee, qui eſt au milieu de l’eſtang malheureux, qui eſt ainſi nommé, à cauſe que l’eau en eſt toute chaude, & dit-on que c’eſt à cauſe qu’il y demeure vn ſerpent qui vomit le feu, & ſe nourrit de ceſte eau tout autour ceſt eſtāg ſont les iardins Royaux, auſquels on ne peut entrer que par vne auenuë, où il y trois portes gardees, à la premiere il y a ſept gendarmes touſiours veillans, à la ſeconde quatorze auſſi veillans & vaillans, & à la troiſieſme, il y en a vingt & vn veillans vaillāts & determinez, qui ne cognoiſſent que leurs capitaines & l’Empereur. Ceſte execution faicte, l’Empereur penſant auoir trouué quelque repos, ſe trouua en dauantage d’inquietude que parauant : toutesfois voulant que ſa valeur fuſt plus recognuë que ſa paſſion, fit publier par tout qu’il auoit exilé les Fortunez pour quelque ſecrette entrepriſe qu’ils auoient machinee. Les Fortunez ſeparez lamenteront en leur fortune tant que ils pourront. Canaliree ne fut pas ſi-toſt en l’iſle des Lyons, qu’il en vid venir deux qui pourtant trauerſerent, dont il demeura eſtonné : Il eſt vray qu’il auoit plus d’aſſeurance que de force, & ce qui luy ſeruit ſur tout, fut qu’il cognoiſſoit la Lyonnee, herbe qui a telle vertu entre ſes autres proprietez que ſi le Lyon la treuue & ſent, & qu’il n’y ayt aucun homme en ce lieu là, il s’en delectera infiniment, & ſe veautrera deſſus, de menant grand ioye. Que s’il y a quelque perſonne là aupres, ou qui en ayt ſur ſoy, il aduiendra par vne antipatie & ſecrette puiſſance contraire, que le Lyon s’eſpouuantera & la fuyra comme la mort & s’en reculera de plus de ſix toiſes : ceſte plante eſt vne eſpece de lumaire dont la fueille eſt decoupee, vermeille & en ouale, aucuns ont adnancé qu’elle auoit la figure de creſte de coq, & de là eſt ſortie la flouette opinion que l’on a de la crainte du Lyon par la presence du coq, Caualiree accueillit de ceſte herbe & s’alla loger ſous vn grand cheſne creux, qui depuis fut ſa demeure, tant qu’il fut en ce pays là où il viuoit de racines, ſe proumenant par l’iſle pour trouuer moyen de s’en retirer par art ou par fortune. En ceſte occupation il aduiſa au clair du iour qu’il y auoit de la terre non trop loing, & eſtimant que ce fuſt le continent, il aſſembla le mieux qu’il peuſt des pieces d’arbres, des eſcorces & de la mouſſe, & auec des oſiers & ſions de ſaules ſe fit vn petit vaiſſeau, ſur lequel il ſe hazarda, & l’eſſayant peu à peu, s’y accouſtuma ſi bien, qu’auec le temps il alloit aſſez loing & reuenoit, à la fin il s’y addextra auec tant de deſir d’eſchapper, qu’il vogua iuſques à la terre qu’il auoit deſcouuerte, & vint aborder en vn lieu qui auoit apparēce d’vn petit port frequenté, il y prit terre, & comme il vouloit s’aſſeurer, choiſiſſant où il tireroit, il apperçeut vn homme qui auoit vne eſpee, il ſe tint ferme, & ſe ſaiſit de la ſienne pour ſe deffendre, s’il en eſtoit beſoin : l’autre approchant & s’eſtāt vn peu arreſté ietta bas ſon eſpee, & vint à bras eſtendus ſe lancer vers luy, & il recognut que c’eſtoit ſon frere Fonſteland. Ceux à qui ſemblable aduanture aduiendroit, pourroient iuger de leur aiſe en ceſte rēcontre nō premeditee, tāt deſiree, & ſi peu eſperee. Fonſteland raconta à ſon frere qu’ils eſtoient en l’iſle des ſerpens, où habitoit la ſage Batuliree, qui auoit tellement par ſon ſç uoir rompu le venin des ſerpens, qu’ils ne leur eſtoient point nuiſibles, ils ſe raconterent comme les gens de l’Empereur les auoient traictez ſans occaſion, & ne ſçauoient qu’eſtoit deuenu leur frere qu’ils regretteront tandis qu’il ſouſpire pour eux. Fonſteland raconta à ſon frere que eſtant expoſé en ceſte iſle, s’abandonnant aux dangers & à la fortune, allant ſans deſſein, il vid vne fille fort belle, qui l’ayant apperceu s’enfuyt, & il la ſuyuit de loing eſpiant ſes pas, qu’il continua tant qu’il arriua où il trouua la vieille Dame pres la Fontaine, qu’il ſalua, & elle le voyant ſeul l’interrogea de ſon eſtre, & de ſa fortune, dont il luy declara ce qu’il voulut : elle en eut pitié, le conſola, & receut en ſa maiſon, que aucun n’auoit encor deſcouuerte, pource que peu s’arreſtoient en ceſte iſle, & ceux qui y abordoient y mouilloient ſeulement l’ancre, puis s’ē alloient ſans entrer plus auant. Ces freres receus de la Dame, alloient ſouuent vers le havre. Et Caualiree, dict à ſon frere que c’eſtoit le conſeil de la Dame qui l’auoit aduiſé, que quelquefois il y paſſoit des Orientaux qui venoient querir des ſerpens pour faire le Theriaque. Tandis qu’ils furent là, Batuliree leur fit bonne chere de ce qu’elle auoit, & leur donnoit du pain fait d’vne racine qui croiſt pres ſa maiſon. Ceſte racine eſt la vraye Ermeſie, d’autant qu’outre ce qu’elle faict que ceux qui en mangent engendrēt des enfans beaux & genereux, ils ſont euxmeſmes en ſanté, & en eſpece de gloire heroyque. Ces grandes Philoſophes qui l’ont voulu imiter, faiſoient vne compoſition de noyaux de pin, de noix broyees auec miel, myrrhe, ſafran & vin de palme ou bon vin auquelles daſtes ont laiſſé leur vertu, faiſant vſer de ceſte cōpoſition auec du laict, ce qui les auoit induicts à ceſte mixtion eſtoit le gouſt diuers de ceſte plante, de laquelle on tiroit pluſieurs ſortes de viandes en la preparant. La Dame auoit vne fille belle & accomplie en toutes ſortes, c’eſt la prudente Carinthee qui le plus ſouuent ne bougeoit de ſa chambre à mediter ſur les excellences de l’vniuers, dont le racourcy ſe trouuoit en ſon cabinet par vn artifice admirable. La fille que Caualiree auoit veuë à ſon arriuee en l’iſle eſtoit fa ſeruante, qui eſtoit allée cueillir la fleur de frāboise pour en tirer la liqueur d’incorruption. Les deux Fortunez apprirent auec la mere & la fille pluſieurs ſciences notables, qui leur ſeruiront en temps & lieu. Cependant ils attendent qu’il ſuruienne quelque vaiſſeau qui les enleue de là pour ſuiure meilleures deſtinees.

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DESSEIN QVATORZIESME.


Viuarambe en l’isle deſerte trouue la lentille raſſaſiante. Là il arriue vn vaiſſeau, dont ceux de dedans le cogneurent, il s’emharque auec eux, & tous arriuent en l’isle des ſerpens, où les freres ſe rencontrerent chez Batuliree.



VIvarambe ayāt eſté expoſé cōme ſes freres, & laiſſé en l’iſle deſerte ne ſçauoit quelle reſolution prendre. Ce fut à luy à chercher en ſon bel entendement ce qu’il pourra pour ſe tirer de la peine où il eſtoit, ou s’accommoder en ce deſert, auquel il n’y a aucuns animaux, meſmes les arbres qui y croiſſent ſe petrifient en deux ans, qui eſt apres qu’ils ont porté fleur, par ainſi il n’y a point de fruict que par grand hazard, les racines n’ont point de ſuc, les herbes ſont ſans liqueur, & n’y a eau bonne que celle d’vne fontaine, ſur laquelle nage vne lentille qui eſt d’vne exquiſe vertu, c’eſt que ſi on en mange vn grain on eſt raſſaſié pour vingt quatre heures, autant que ſi on auoit vſé ſuffiſamment de bonnes viandes, duquel ſecret Viuarambe s’aduiſa par rencontre Ayant ſoif il voulut boire vn bon coup, & print de l’eau au creux de ſon chapeau renfoncé, il y demeura quelques vns de ces grains dont il laiſſa couler vn auec l’eau en beuuant, & preſques auſſitoſt il ſe trouua non ſeulement deſalteré, mais raſſaſié, & ſans aucun appetit. En ceſte affaire, il eut crainte d’auoir trouué quelque venin, dont le ſoudain poiſon l’eut penetré, mais le lendemain ſe trouuant diſpoſt & ſain, & en eſtat de diſner, s’il euſt eu dequoy : il retourna à la fontaine, & print vn grain, dont il ſe trouua tout ſubſtanté, ce qui luy fut vne grande conſolation, ſoulagement & eſperance : mais quoy ? il tournoyoit l’iſle, & ſe trouuoit Seigneur abſolut, mais il n’auoit à qui commander, &, ne pouuoit s’aduiſer d’artifice, par lequel il ſe peuſt deliurer. Durant ces penſemens ſoit de laſſitude ou de deſplaiſir & triſteſſe, il ſe ietta ſous vn arbre petrifié, ſous lequel au chaud du iour il ſe mettoit volontiers, & s’endormit profondément : à ceſt inſtant il arriua vn vaiſſeau, dont ſortirent pluſieurs perſonnes pour ſe recreer, car ils auoient couru fortune ſept iours entiers, & ayans decouuert terre, auoient icy moüillé l’ancre. Vne Demoiſelle de la troupe s’eſtant vn peu eſloignee pour ſe proumener ſans auoir penſé aucune de faire rencontre, car on l’auoit aſſeuree qu’il n’y auoit là beſtes ny gens, allant, & venant, & conſiderant en bas les herbes qui eſtoient eſtrangement tranſmuees en froides pierres de diuerſes ſortes, & proportions, paſſa tant auant, qu’elle vint où Viuarambe eſtoit couché : l’ayant veu de premiere opinion, cui da que ce fuſt quelqu’vn de ſa compagnie qui euſt eu le meſme deſir qu’elle, & qui ſe fuſt repoſé là : mais regardant plus attentiuement vid qu’elle ſe trompoit : & toutesfois luy fut aduis, qu’elle cognoiſſoit ceſt habit (d’autant que les Fortunés ne changoient point la façon, ny la couleur, ny l’ordre, ny valleur de l’eſtoffe de leurs habits) & qu’elle l’auoit veu. Donc elle s’en approcha plus curieuſement, & reconeut Viuarambe, dequoy elle fut fort eſmerueillee, & ſe tourna promptement, & le vint dire aux autres. Les matelots ſe mocquoient d’elle, elle inſiſtoit : partant il y en eut, qui la ſuiuirent, & vindrent où eſtoit le Fortuné, qui au bruict s’eſueilla, ſurpris en toutes façons, & eſtonné de voir ineſperement tant de perſonnes, dont auſſi toſt il recognut la pluſpart, qui eſtoient de ſes amis & cognoiſſance : ce qui luy fut vn commencement de ſouuerain bien, & ſur tout voyant deuant ſoy vne des filles d’honneur de la Royne de Sobare : à ceſte recognoiſſance ils adiouſterent les fortunes, qui les auoient là addreſſees. Viuarambe deſguiſant la ſienne, pource qu’il ne vouloit rien imputer à l’Empereur de Glindicee, leur dict, qu’apres vn grand naufrage, il s’eſtoit miraculeuſement trouué en ceſte ifle. Ce vaiſſeau où eſtoient tant d’amis apartenoit à la Royne de Sobare, auquel eſtoit ſon premier medecin, qui depuis le depart des Fortunez auoit eſpousé ceſte fille d’honneur de la Royne, & pour luy donner du plaiſir, l’ameneroit auec luy au voyage de l’iſle des ſerpens où il en alloit chercher pour faire le theriaque, & amenoit auſſi auec luy ſix des plus belles & chaſtes Demoiſelles du pays, leſquelles preparoiēt les chairs de viperes aux iours de leur pureté. Quand il fallut leuer l’ancre, Viuarābe entra au vaiſſeau, emportāt auec ſoy quelque quantité de la lentille viuifique. Puis le nauire commis au vent ſuiuit ſa route, & print terre fort heureuſement en l’iſle des ſerpens. Au temps de ceſte arriuee, les deux Fortunez venoiēt de ſe proumener, & donnoient vn tour vers le port pour deſcouurir quelques nouuelles, & ils virent ceſte nef a bord & pluſieurs perſonnes de ſorte venir à terre, & faiſans tirer des hardes, meſmes deſia des ouuriers qui plantoient des paux pour dreſſer des tentes : ce qu’ayans veu, ils delibererět vn peu les actiōs de ces gens là, & ſe tindrēt en lieu couuert pour les deſcouurir, les ayans attentiuement conſiderez, il leur fut aduis qu’ils auoient autrefois veu celuy qui commandoit, mais ils ne le remarquoient point aſſez, que voicy qu’ils aduiſerent vn ieune Gentilhomme bien gay qui menoit vne ieune Dame : & cōme diligémēt ils l’eſpluchoiēt auec la veue, ils virent qu’il eſtoit veſtu comme eux, il leur cheut ſur le cœur que c’eſtoit leur frere, incontinant apres ils recogneurēt le Medecin de Sobare, lequel ne ſçachant qu’il y euſt aucun en l’iſle, eſtoit ſorti pour aſſeurer la troupe, & faire la preparation contre ſ’incurſion des ſerpens. Les Fortunez ne furent point deceus de leur penſee, car ils auoient bien remarqué tout ce qu’ils auoient veu. Que ferons nous ? que dirons-nous ? empeſcherions nous leur contentement ? deſtournerions nous la ioye de leur cœur ? ceſte lieſſe future ſera-elle perceptible à d’autres ames ? Il n’y a pas moyen de les retenir d’auantage, ils ſe leuent de leur guette, & s’enviennent droict à ceſte troupe aſſeuree. Ceux qui ouyrent le bruit que les Fortunés faiſoient en s’approchant, s’eſtonnerent, & mirent les autres en alarme, leſquels auoient crainte que quelque grand ſerpent les vint attaquer : Viuarambe eut l’oreille prompte, & l’œil ſoudain, & aduiſant ceux qui venoient, en recogneut l’habit : parquoy il va droict à eux, il fremit, le cœur luy ſaute, il cuide voir ſes freres & il eſt vray, il s’aduance, ils ſe haſtent, il ſe deſpeſche, ils s’efforcent d’approcher, & chacun porté de meſme intention, ils font rencōtre : Ce que les autres voyans s’eſmerueillent, les freres s’entr’embraſſent, & auec telle lieſſe, qu’il n’y a point de plaiſir extreme qui ne ſemble eſtre ſimplement vne douce figure de ceſtuy-cy. Les Dames & tous les aſſiſtans furent treſ ioyeux de ceſte rencontre, ſi que le reſte du iour en fut paſſé en alegreſſe, & diſcours des fortunes paſſees. Eſtās ainſi aſſemblez comme par vne ſpeciale prouidēce, les Fortunés firent entendre au medecin ce qu’ils auoient recogneu de ce lieu, & vindrent enſemble ſaluer la ſage Batuliree, qui les receut auec teſmoignage de contentement, elle cognoiſſoit le perſonnage, & voyoit pluſieurs de ſes bonnes cognoiſſances. Or elle eſtoit de Sobare, & aſſez proche parente de la Royne qui eſtoit ennuyee de ſon abſence : & de faict, on ne la penſoit pas là, car quand elle partit, elle feignit aller en Nabadonce pour voir l’hermitage d’honneur, au lieu dequoy elle auoit eſleu ce lieu qui iadis auoit eſté bien habité ; meſmes de ſes ayeux, qui en eſtoient Seigneurs, mais l’iſle fut depeuplee par vne peur qu’eurent les habitans pour la generale aſſemblee des ſerpens qui s’y fit, l’an de la conionction des 4 planettes. La raiſon pour laquelle ceſte Dames arreſta icy fut, que outre que c’eſtoit ſon bien, le deſir qu’elle auoit d’attraper le Baſilique qui s’y trouue, & notamment en l’aſſemblee generale, elle ſcauoit le moyen qu’il falloit tenir pour ſe preſeruer, & pour prendre des ſerpens, à quoy elle auoit auſſi inſtruit ſa fille, & auec ceſte induſtrie elles attendoient l’heure oportune, patientant iuſques à la rencontre deſiree. Batuliree fournit au medecin tout ce dont il auoit affaire, & tandis qu’ils furent en ſemble luy communica force beaux & ſignalez ſecrets.

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DESSEIN QVINZIESME.


Amours de Beleador & Carinthee ſous l’ombre de ce nom Ierotermia. Prier d’amour ſans eſtre refuſé. Diſcretion.


{{Lettrine|E}N ceſte meſme ſaiſon, & que toute ceſte cōpagnie eſtoit reſolue au plaiſir preſent, & ceux de Sobare auec les Fortunés deſireux de partir au pluſtoſt : les affaires du medecin eſtans ſuccedees heureuſement & plus briefuement qu’ils ne penſoient, il aduint & par hazard non ſouuent aduenant, que la Remore ayant frayé vint s’affraper au Nauire de Sobare, où elle ſapa ſes petits, qui retindrent ſi bien le vaiſſeau, qu’il ne fut pas poſſible de demarer, que tout ce malin poiſſon ne fut eſcoulé, parquoy pour attendre le tēps auec plaiſir ayant faict eſtat de ſeiourner, ce qui fut agreable à la ſage Batuliree & à ſa fille, chacun ſe delibera de ſe donner ſuiect de paſſer le temps auec honneur & lieſſe d’eſprit. Ce retardement fut cauſe des aduantures amoureuſes de Beleador lequel s’eſtoit mis en la compagnie des Dames, pour voir les merueilles des ſerpens, y eſtant excité par ſa propre curioſité és ſuiects excellents. Il n’y auoit pas long temps qu’il auoit eſté en l’hermitage d’honneur, où il auoit recognu les raretez du lieu : Et comme chacun penſe qu’il ſera l’vnique rencontrant en ſa recherche, ayant veu ce tiltre d’or Ierotermia, il imprima en ſon courage l’opinion d’en trouuer le ſuiet qui luy ſeroit fauorable, & ce nom luy eſtant demeuré au cœur pour n’en eſtre iamais effacé, il ſe reſolut d’errer tant qu’il eut rencontré ceſt obiet vnique entre les accomplis, lequel il deuoit honorer faiſant ſeruice à la belle de ſon cœur, qui s’eſt trouuee eſtre la ſage Carinthee, fille de la prudēte Batuliree : Ceſte belle toute anciēne en ſa premiere fleur de ieuneſſe, paroiſt parfaite en vertus, gracieuſe en conuerſation, agreable en rencontre, & recommendable en eſtime. Cependant que les Fortunez ſe conſolent & conſeillent enſemble, & entretiennent les Dames de leur cognoiſſance, que le bon Docteur s’arraiſonne auec la bonne femme, & que chacun ſuit ſon but agreable. Beleador ne perd point temps, car recognoiſſant en la belle Carinthee le terme d’honneur que ſes penſees luy propoſent, ſe reſolut de luy offrir ſon ſeruice, ils s’eſtoient autresfois veus en Sobare, ce fut ce qui luy donna opportunité de familier abord, & ceſte familiarité fut cauſe que l’amour qui n’eſt point ſuiet au temps, forma dās les yeux de la Belle les traicts heureux qui obligerent Beleador à ce ſeruice agreable, auquel il determina ſa vie. Auſſi bien vous faut-il attendre que le temps permette de nous donner à la mer pour nous tirer d’ici : ce qu’attendant, nous aurons, peut eſtre, plaiſir de voir ceſt amant ſouſpirer auec la douceur dont les accents reſonnent en tous les accords que nous aſſemblons. Ceſt amant non encor Amant, mais preparant ſon ame à ſi beau ſoin, voyoit ſa vie luy eſtre mignōnement communiquee des yeux de Carinthee, dont decoule ſa fœlicité, mais il ne ſçauoit s’il auroit l’aſſeurāce d’offrir ſon ſeruice à ceſte belle, parce que l’occaſion ne s’en preſentoit pas, pource que la ſageſſe de la belle faiſoit paroiſtre tant de Maieſté & d’auſtere benignité que difficilement on eut penſé qu’elle eut eu agreable le diſcours d’amour, encore qu’elle en fiſt naiſtre les principes : toutesfois ayant pris vn petit limbe du bandeau du Prince des amans, il s’en couurit les yeux, & s’aduança au hazard de ſa bien-heureuſe fortune. Prenant la main de Carinthee, il la baiſa, & elle cōme le trouuant mauuais, la retira, mais ce fut apres, car quoy que ce ſoit, les belles ſont touſiours bien aiſes que lon leur face ceſt hommage, encore qu’elles facent ſemblant de le reietter, à quoy elles ne penſent point, ains à ſtimuler à frequent honneur leurs tenanciers. Pour ceſte façon il luy dit Mademoiſelle, vous ne me deuriez pas faire ce tort, en m’empeſchant ce bien qui eſt de vous rendre de uoir de treſ-humble ſeruiteur. Carinthee. Il n’y a point de ſeruiteur ſans maiſtreſſe. Bel. Il eſt vray, auſſi eſtes vous ma maiſtreſſe, s’il vo° plaiſt. Et à fin que celà ſoit, & que ie vous conqueſte autant valeureuſement, que i’ay deſir de vous ſeruir fidellement : Ie vous prieray d’amour, & ne m’en oſeriez refuſer. S’il vous en plaiſt faire preuue, & que me refuſiez, ie perdray vne diſcretion. Carin. Ie croy que les hommes ſont diſcrets, parquoy ſi vous perdiez voftre diſcretion, vous y auriez dommage. & ſi i’eſtois voſtre maiſtreſſe, ie ne vous deſirerois pas telle perte, au contraire, ie vous en ſouhaitterois la conſeruation. Belead. Ceſte repartie me fait eſperer que ie n’au ray pas la diſcretion, & partant, que ie ſeray receu à voſtre ſeruice, par vne voye non commune : Car ie vous prieray ſans crainte de refus. Carint. Et ſi ie vous refuſe que ſera ce ? Bel. Mon vnique bien, lequel quand meſme vous voudriez me refuſer à la condition que ie le requereray, vous ne voudriez me le nier. {{sc|Carint}. Voyons donc comment, & ſi ie perds la diſcretion, ie la payeray, car ie ſcay fort bien qu’il n’y a rien qui m’empcſche de vous refuſer, ſi i’en ay enuie, d’autant qu’il m’eſt aduis que ie me ſçay reſoudre à ce que ie veux. Beleador. Ma

Demoiſelle, mon ame eſt tant deuotement affectionnee à voſtre ſeruice, qu’elle ne peut addreſſer ſes vœux qu’à vous ſeule que i’honore & ayme de tout mō cœur, & pource que l’amitié ſe doit recompenſer par l’amour meſmes : ie vous prie me gratifier abſolument de voſtre amour, pour m’en donner parfaite iouyſſance : Et s’il vous eſt agreable, s’il vous plaiſt, & ſi vous deſirez que celà ſoit, & que vous vouliez m’aymer d’amour, refuſez moy la requeſte que ie vo° en fay. Carinthee. Si ie vous refuſe ie vous accepteray, & ſi ie ne vous refuſe point, vous n’aurez pas de part en moy : qu’élirez vous pluſtoſt ? Belead. Ie deſire payer la diſcretiō à ce que vous eſtant redeuable ie tienne de vous, & que m’acquitant ie vous rende hōmage pour receuoir le bien qui m’en eſcherra. Carintee, Pour vous faire paroiſtre que le ne veux pas reſpondre pour vous donner du dommage, ny pour eſtre occaſion de voſtre bien, à cauſe que ie ne ſcay pas les euenemés qui ſont ordonnez du Ciel, pource que ie ne puis faire eſlection de ce qui vo° eſt propre. Ie vous reméts à quand vous m’aurez fait paroiſtre ce que vous auez en l’ame, & lors ie ſçauray ſi ie ſuis capable de reſoudre la propoſitiō que vous me faictes. Ces petits ieux durerent tāt que la compagnie ſe debanda, & que chacun ſe retira à ſa retraicte. C’eſt vne pointe ſi viue que celle de l’amour, qu’elle reſueille inceſſamment ceux qui ſont reduits ſous la puiſſance de ceſte force, qui n’eſpargne rien. Cet amant eſpoinçonné de ſes pudiques ardeurs, print occaſion de reduire ſes paſſions ſous ces accents.

Animé du deſir qui m’a l’ame eslancee,
Ie uous uiens rechercher pour uous rendre mes vœux.
Iamais ſi beau deſir ne toucha ma penſee,
Ie ne fus allumé iamau de ſi beaux feux.
Non, ie ne penſe pas qu’en l’amoureux ſeruage
On puiſſe rencontrer d’autre felicité :
Außi uous iugerez cognoiſſant mon courage,
Qu’il n’eſt rien de pareil à ma fidelité.
Faictes que vos beaux yeux enflamment toutes ames,
Belle vous le pourrez àlors qu’il vous plaira,
Puis apres aduiſez quelles ſeront nos flames,
Vous verrez que mon feu tout autre paſſera.
Les diſcours paſſagers de ces langues bienfaictes
Qui vous offrent leurs cœurs, ne ſont que vanitez,
Mais mon propos uni à mes flames ſecrettes,
Portent ſur chaque mot autant de veritez.
Ie ſay bien il eſt vray que ie ſuis incapable
De rendre à nos beautez le deuoir merité :
Mais la perfection qui me rend excuſable,
Eſt, Belle qu’il vous plaiſt de m’auoir accepté,
Si ie commets erreur & ſi ce m’eſt audace
De ſuiure ce deſſein qui m’esleue le cœur,
Il n’y paroiſtra pas, car voſtre belle grace
Deſtourne les deffaults de voſtre ſeruiteur.
Poßible direz vous, Monarque de ma vie,
Quel bien me reuient il que vous ſoyez à moy ?
C’eſt la felicité d’vne belle accomplies
Se ioüant de tous cœurs d’en auoir vn à ſoy.
Doncq poſſedez mon cœur pour en tirer ſeruice,
Et cognoiſtre vne foy pleine d’affections,
Faictes qu’en nous ſeruant glorieux s’accompliſſe
Les effets deſtinez à vos perfections.

Vne fois qu’ils eſtoient en propos ils ſe mirent à diſcourir des rencontres du Calendrier, & cōme à chaque iour il y a vn nom, ſelon lequel ſi on rencontre celuy d’vne perſonne, & ne ſçachant le iour de ſa natiuité, on propoſe la feſte de naiſſance à ce iour là : parquoy pour trouuer occaſion de bien faire, il luy demanda ſon propre nom. Elle luy faignit luy en diſant vn autre, en quoy il pouuoit eſtre aiſément deceu, car les nōs que nous donnons aux Dames, ſont des Seigneuries ou epithetes, ainſi ſon vray nom n’eſtoit pas vulgairement cogneu, parquoy elle l’abuſa, mais comme il eut bien remué en ſon cœur pour en auoir ſouuenance, l’ayant ouy nommer eſtant petite, du nom ſous lequel elle auoit eſté caracteriſee entre les Chreſtiens, il s’en aduiſa, & ſur ceſte difficulté, il ſe pleignit & conſola, ainſi faiſant entendre en ces ſouſpirs qu’il cognoiſſoit ce beau nom,

I’eſſaye vne fortune autant auantureuſe
Que iamais cheualier eut deſir de tenter,
Et la fin en ſera ſi belle & glorieuſe,
Que tous parfaits amans me viendront imiter.
Mais obiet bien-heureux ou mon deſtin m’attire,
Ne me braſſez vo° point quelque faſcheux deſtour ?
Auriez vous point voulu à ceſt effet m’induire
Pour me faire fentir les malices d’amour ?
Non, vous ne voudriez pas abuſer l’innocence
D’vn qui deuant vos yeux ne ſe peut deſguiſer,
Et toutesfois i’ay veu ceſte douce apparence
Dont vous auez taſché ma penſee abuſer.
Mais pourquoy vouliez vous deſtourner de mō ame
Ce beau nom reueré qui eſt le nom d’aymer ?
Belle, ie ſuis touché d’vne ſi viue flame,
Qu’alumé par uos yeux i’appris à vous nommer.

Il n’y a plus moyen que i’aye cognoiſſance
D’autre nō que du voſtre, engraué dans mō cœur,
Auſſi ie ne ſcaurois rendre d’obeiſſance
Qu’a l’vnique beauté dont ie ſuis ſeruiteur.
Voicy le but heureux des belles eſperances,
Dont ie faiſois eſtat pour viure heureuſement,
Voicy le beau deſtin des bonnes influences,
Qui guidoyent mes deſirs au beau contentement.
Que mon cœur ſatisfait ſe prepare de gloire,
A ſeruir dignement voſtre digne beauté,
I’y ſeray tant parfait, que ie vous feray croire
Ma Belle que ie ſuis tout de fidelité.

Que c’eſt vne condition accompaignee de prōptitudes que celle des Amans, qui ſans ceſſe ſont en action, faiſans autant de deſſeins, qu’il ſe paſſe de fantaiſies en leurs opinions, leſquelles ils croyent veritables. Et puis ils tiennent pour certain ce qu’ils imaginent, & comme ils le meditent ils le ſuppoſent : d’auantage ils voudroyent inceſſamment ſe pouuoir manifeſter. S’il eſtoit en la puiſſance des fideles, de faire voir ce qui eſt eſcrit ſur leur cœur, i’ouurirois le miē deuant ma maiſtreſſe, il luy ſera aſſez apparent, quand elle auiſera ce qu’elle ſcait bien, & qu’elle aura la patience d’eſcouter.

Pardonnez ie vous prie à mon impatience
Jugeant de la grandeur de mes affections,
Quād vous m’euſtes reduit, ſous veſtre obeiſsāce,
I’eu le cœur plein de feux, l’ame de paſſions.
Qui pourroit eſtre à vous ſans ſentir les atteintes
Des traits tous enflammez d’vn amour vehemēt ?
Si les flames d’amour eſtoyent toutes eſteintes,
Vos beaux yeux les feroyēt reuiure en vn momēt,

La vie dedans nous par les effets ſe monſtre.
Car l’ame inceſſamment agite à ſon ſujet,
Auſſi lors quel amour vn courage rencontre,
Sans ceſſer il le rend eſmeu pour ſon obiet.
Donques vous honorant vnique à ma penſee,
D’vn heureux mouuement mon cœur eſt agité,
Eſleuee en deſirs mon ame eſt eſlancee,
Par les pointes qu’amour fait de voſtre beauté.
Que ie ſuis ſatisfait d’auoir ce grand courage
Qui me rend le deuot de vos perfections,
Je tien ceſte auanture à ſi grand auantage,
Que ie ne fays eſtat d’autres occaſions.
Ainſi qu’à tous momens ma paſſion me preſſe
Des violens efforts de mon contentement,
Beniſſant le deſtin qui vous fit ma maiſtreſſe
Ie m’eſtime à bon droit heureux abſoluement.
Voila de quels diſcours ma vie ie conſole,
Attendant que l’effait vous demonſtre mō cœur,
Tout ce qu’ō dit Amour n’eſt que vēt & parole,
Au pris des partions de ma fidelle ardeur.

Beleador deuiſant auec Carinthee, des ſujets que l’amour fait naiſtre inopinémēt, voicy compaignie plus ample qui ſurueint, & chacun des preſens mit en auant ce qui luy pleut & puis à l’ordinaire, ſ’il y a quelque Belle qui eſclate en perfections, elle ſera le but où chacun ſ’addreſſera, tellement que tous les gentilshommes ſ’arreſtoyent à Carinthee pour louer ſes merites. Quelqu’vn aſſez auantageux luy prit la main, & donna ſur vne bague en deuiſe, & luy dit, Belle, eſt-ce voſtre ſeruiteur qui vous a fait preſent de cecy ? Ouy, dit-elle, il me l’a enuoyé en témoignage de ſa fidelité. Ceſte reſponſe qui ne faiſoit que battre I’air, que la Belle n’auoit prononcee que pour ſatisfaire à l’inutile demande du gentilhomme, alla auec vigueur de violence extreme, penetrer le cœur de Beleador, qui des ce moment eut l’ame en alarme, & bien que pluſieurs beaux deuis fuſſent exagerez, & que luy-meſme cachant ſon vlcere en auança de galans, ſi eſt-ce que ſon eſprit eſtoit incommodé, ſe troublant de trop de douleurs immoderees : ce qu’il ſentit mieux, quand il fut à part ſoy : auſſi ſ’en deſchargea-il, par cet aer qu’il fit ouir à Carinthee, auec ſa reſolution ſ’eſtant conſolé.

Vn autre donc ſeroit auoué de ma, Belle,
Emportant deuant moy l’honneur que ie pretēs ?
C’eſt abus de vouloir ſe demonſtrer fidelle
Puis qu’en ſeruant on perd le bō heur & le tēps.
Oublions tous nos feux, puis que les belles Dames
Font gloire d’accepter tout ce qui vient s’offrir ;
Il ne faut plus auoir au cœur de viues flames,
Pour des ſujets ingrats il ne faut plus ſouffrir.
Mais quelle humeur faſcheuſe emporte mō courage
Quel ſiniſtre deſſein m’incite à blaſphemer,
Belle pardonnez moy, i’aurois trop de dōmage
De penſer ſeulement à ne plus vous aymer.
Mettez tout ſur l’amour pere de ialouſie,
Qui ulcere les cœurs par l’ombre ſeulement,
L’ame qui eſt d’amour eſtroitement ſaiſie,
Penſe que tout s’oppoſe à ſon contentement.
Si ie n’auois pour vous l’ame d’amour atteinte,
Vos propos me ſeroyent d’effect indifferent,
Mais eſtant animé de paſſion non feinte,
Ce qui peut m’offenſer m’eſt touſiours apparent.

Oubliray-ie l’ardeur de ma flame viuante,
Pour m’affliger le cœur de triſte paſſion ?
Non ie reuiens à moy, mon ame trop galante
Ne ſe peut alterer de vaine opinion.
Je ſuis tout de deſirs, ie ſuis tout de conſtance,
Rien ne peut eſgaler mes fideles ardeurs,
Auſſi ma Belle vn iour par ma perſeuerance,
Iugera que ie ſuis digne de ſes faueurs.
C’eſt au cœur genereux d’auoir de l’aſſeurance,
Tourner tout à profit, iuger tout bien pour ſoy,
Ie m’auantage ainſi deſſus toute apparence,
Quand meſme ie ſcaurois qu’on feroit cōtre moy.
Lors que ma Belle accepte infinité d’hommages,
Et qu’elle nomme ſiens tant d’autres ſeruiteurs :
I’en ſuis plus glorieux, car ces petits courages,
Font fueille à mō amour, illuſtreēs mes grādeurs.
Ce m’eſt plaiſir de voir tous les eſprits du monde,
Humiliez venir adorer ſa beauté,
Et ſes yeux Rois des yeux, faisās par tout la rōde
Choiſir ce qu’il luy plaiſt rendre en captiuité.
Ma Belle c’eſt ainſi que mon cœur ſe diſpoſe,
A viure, n’eſtimant que vos perfections,
I’y ſuis tout reſolu, ainſi ie me propoſe,
Que vous faites eſtat de mes affections.

Laiſſons les ſe proumener par l’iſle, conſiderans que tant ceux qui ſ’ennuyent, que ceux qui ſ’y plaiſent, ſeront auſſi toſt les vns que les autres, au iour qu’il faudra desloger.

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DESSEIN SEIZIESME.


Suite des amours de Beleador, Diſcours de chaud & froid en affections. Magie des Fees pour ſcauoir l'eſtat des cœurs. Le nauire de Sobare leue l'ancre, & emmenent les Fortunez.



IL n'eſt plaiſir au monde egal à celui que ſauoure vn amant de merite, quand il peut expoſer ſa paſſion, comme en vn tableau deuant les yeux de celle pour laquelle il eſt preſſé d'affections, il perçoit par ce moyen vn ſouuerain bien, & expliquant les angoiſſes & les plaiſirs de ſon ame. il exhale la malignité de ſes feux, il n'y demeure que le pur eſclair de perfection par lequel il ſe donne le contentement de communiquer auec les belles intelligences, qui luy donnent relaſche en ſes perſecutions, il eſtoit auenu que le Soleil plus vif ſur la terre, auoit redoublé la pointe de ſa chaleur, & alors eſtans tous au palais de Batuliree, chacun ſe reſiouïſſoit à la fraiſcheur, & Beleador ne perdoit pas l'occaſion, mais entretenoit Carinthee des paroles, dont il crayonnoit ſes intentions, & auint que luy touchant la main, qu'il ſentit non ſeulement fraiſche, mais froide, luy dit, Ceſte belle main fait paroiſtre par ſon eſtat, que l'interieur reçoit to9 les feux du corps. Carinthee. Si la main eſt froide, tout le corps l'eſt, la main & l'œil ſont indices de tout, & puis ie ſuis toute d’vne froideur glaceante, qui me priue de toute chaleur. Beleador. S’il y auoit vne eſteincelle de ce feu celeſte qui par vous meſme alume tous les cœurs, vous ne vous declareriez pas tant frilleuſe. Carint. Tous ces feux ne ſont que des inuentions pour ſe dilater en beaux diſcours, quand il n’eſt point queſtion d’affaires ſerieuſes, auſſi ces belles feintes ſont agreables occaſions, de ſe donner du plaiſir en la vanité delectable des diſcours qui ſ’ē font. Belea. Vous faites tort à l’Amour & a vous meſmes, car il n’y a rien tāt ſerieux, que lui obeir & vous ſeruir. Carin. les ſeruices ſont mignonnes occupations d’eſprits, qui ſe delectentés precieuſes feintes de l’hōneur courtois. Voila Beleador faſché, ſon ombre l’a fait broncher, & de fait ceſte controuerſe l’emporta ſi loing, qu’il ſe vid en la balance dans laquelle l’eſpoir eſt peſé auec la vanité, & pour en iuger au vray, voyez comme il en debat auec ſa Dame, & puis il ſ’en repend, telles ſont les douces melancholies d’amour demenant vn eſprit :

Ne faites plus deſtat de mes fidelitez,
Et foulez ſous vos pieds mon humble obeiſſance,
Puis que vo° eſtimez qu’aux feux de vos beautés
Faignāt ce qui me plaiſt ie bruſle en apparence.
Faites auſſi ceſſer l’eſclat de vos beaux yeux,
Faites mourir l’eſprit entre les belles ames,
Si vous ne cognoiſſez mes vœux religieux :
Et ſi vous ne iugez mes feux des viues flames.
Comment cognoiſtriez vous les diuines ardeurs
D’vne ame que l’amour doucement eſpoinçonne,
Quād au pl° grăd effort des pl° grādes chaleurs

Toute pleine de froid, tout le corps vo° friſsōne ?
Si vous eſtes ainſ ſans ardeurs, ſans deſirs,
Et au regret des cieux vne inutile image,
Incapable d’amour, indigne de plaiſirs,
Vous eſtes ſans deſſeins, ſans eſpoir, sas courage,
Belle pardonnez moy ie cognoy mon erreur,
Afin de m’esprouuer vous faites ceſte feinte,
Uous recognoiſſez biē aux traits de mō humeur,
Que c’eſt d’amour parfait, que mō ame eſt atteinte
S’il eſt vray que mō cœur n’ait point de paſſiō,
Auſſi voſtre beauté n’aura point d’apparence,
Mais comme vos beautez ſont la perfection,
Auſſi mon amour eſt d’amour la vehemence :
Ne paroiſſés point belle, où ne le ſoyez point,
Puis dites qu’vn ær feint en ces accens reſpire,
Mais voyeK que l’effet à la cauſe eſt conioint,
Et que l’vn eſtāt vray, l’autre vray ſe peut dire :
Ceſſes l’opinion qui m’offence le cœur
Et croyez ie vous pri que mon ame eſt fidele.
Et recognoiſſant bien, iugez de la grandeur
De mes affections, comme vous eſtes belle.
Le froid exterieur dont vous vous reſſentez
Auiourd’huy que l’ardeur entous lieux eſt brillāte,
Demonſtre que vos feux dans le cœur arreſtez,
Conçoiuent vn amour plus grande qu’apparēte.
Ainſi vos feux ſecrets couuez ſecrettement,
Contentent dedans vous voſtre ſage penſee,
Et mes feux qui vous ſont cognus appertement,
Mōſtrēt voſtre pouuoir qui m’a l’ame offencee :
Belle ne dites pas que ie vay retraceant,
Sans ſuiet deſiré ces mignonnes atteintes,
Et que ſans paſſiō ie ſouſpire l’accent,
D’vn cœur qui prend plaiſir aux amoureuſes feintes.

Mon cœur n’oſeroit pas ainſi ſe transformer,
Pour deceuoir les yeux qui dans les ames liſent,
Si digne eſt ſon ſujet, qu’il ne veut preſumer,
De fair come ceux-cy qui touſiours ſe deſguisēt.
Or c’eſt voſtre beaute qui cauſe mes ſouhaits,
Mes ſouhaits ſerōt dōc des ſouhaits veritables.
Puis que i’ay pour objet le parfait des parfaits,
Mes feux sōt d’amour vray, les feux pl° agreables.
Belles pointes d’honneur qui me faites loger
En ſi digne ſujet les deſirs de mon ame,
Afin que pour iamais ie m’y puiſſe obliger,
Tout d’amour ſoit mon ame, & tout mō cœur de flame.
Iamais autre deſir ne me tranſportera,
Car il n’eſt rien d’egal à ma belle maiſtreſſe,
Iamais autre bel œil ne me deſtournera,
Car i’ay trop de valeur pour māquer de promeſſe.

Ceux qui ont veu ceſte Iſle, ſcauent qu’il y a pluſieurs beaux palais, d’autant qu’elle eſtoit autrefois habitee d’vn peuple ſage & admirable en inuentions : Or la belle Carinthee auoit entre quelques vns choiſi vn chaſteau vers le leuant, où ſouuent elle ſe retiroit, & ce ſoir là, elle ſe delibera d’y aller, parquoy elle prit ſa ſeruante & ſe mit en chemin, permettant à Beleador de l’accompagner : A dire vray les Dames ont de terribles artifices, pour faire paroiſtre leur pouuoir abſolu ſur les ames de leur commandement. Cet amant tout contant de conduire ſa maiſtreſſe, ſe baignoit deſia en l’aize parfait d’vne eſperance aſſeuree d’affection mutuelle, & du tout en reſolution d’accompliſſement. Or comme ils eurent fait vn peu plus du tiers du chemin, la Belle le pria de la laiſſer aller ſeule auec ſa ſeruante acheuer ſon voyage. Beleador. Mademoyſelle il n’y a pas apparence que ie manque tant à mō deuoir, ie vous ſupplie que ie vous conduiſe iuſques au lieu de voſtre repos, vous auez ce bois à paſſer, faites moy ceſte faueur que ie le trauerſe, vous ſeruant d’eſcuyer puis ie vous laiſſeray. Carintee. Ie ne le deſire par ſ’il vous plaiſt, ie veux aller ainſi ſeule, & puis il n’y a point de danger, il n’y a plus que deux petites proumenades. belea. il me ſeroit indecent de commettre telle erreur, & pourtant ie vous fay ceſte treshumble requeſte, qu’il vous plaiſe me permettre de vous faire ce petit ſeruice de vous ſuyure iuſques là, puis ie m’en retourneray. carin. Vous me ferez deſ plaiſir ſi vous paſſez outre, & ie rebrouſſeray chemin. belead. Il m’eſt auis que vous deſirez que ie face vne faute ſignalee carin. Vous ferez vne faute plus grande de me deſplaire, que de pēſer faire pour moy, ce que ie ne deſire pas, ie vous prie encor vn coup de trouuer bon, que ie ſuyue le chemin que i’ay deliberé, faites moy donc cet honneur de m’accorder, ce que ie vous demande belead. il ſemble que vous deſiriez vous faſcher ? carint. Vous en ſerez cauſe, car ſi vous me preſſez d’auantage contre mon vouloir, i’en auray beaucoup de deplaiſir, ie vous prie croire que la liberté eſt l’vnique contentement, ie la deſire, n’y contreuenez pas, autrement mon cœur receura de l’incommodité & mon ame de la faſcherie. Beleador. Bien donc Belle : puis qu’il faut obeïr ie vous laiſſe aller & m’en retourne, tout chargé de triſteſſe de vous auoir deſpleu. Il la laiſſa pourſuriure, é le lendemain au matin que la ſeruante veint, il lui enuoya ceſte recognoiſſance,

Ie tremblerois de peur ayant commis l’offence,
Que ie fis reſiſtant à vos commandemens,
Si vous qui ſcauez tout n’auiez la cognoiſſance
Des violents efforts des premiers mouuemens.
Je ſcay que i’ay failli, mais auiſez ma Belle
Quel intereſt de cœur ie pretens en auoir,
Car puis que vous ſcauez que ie uous ſuis fidele,
Uous deuiez accepter l’effet de mon deuoir.
Uous m’auez arreſté de puiſſance abſolue,
Uos beaux yeux ont voulu m’eſlire à leur plaiſir,
Toutesfois ie vou vei colere & reſolue,
Preſte à me deſtourner l’objet de mon deſir.
Ie l’oſe proferer, vous me fuſtes cruelle,
Et voſtre voix me fut vn accent de rigueur,
Car puis que vous ſcauez que ie vous ſuis fidele
Vous me deuiez traitter ainſi que ſeruiteur.
Mais ſoit ce qu’il uous plaiſt, i’ay l’ame obeyſſante,
Le cœur humilié, prompte la volonté,
Riē ne peut empeſcher que mō amour n’augmēte,
Rien ne rompra le cours de ma fidelité.
Uous m’auex allumé d’vne flame eternelle,
Uous eſtes obligee à conſeruer mes feux,
Et puis vous ſcauez bien que ie vous ſuis fidele,
Uous deuez accepter le deuoir de mes vœux.
Eſſayez & cherchez tout diuin artifice
Pour trouuer par effait quel mō cœur vou ſera,
Soit que vous vo° feignies, ou cruelle, où propice
Mō courage conſtant, conſtant vous paroiſtra.
Ainſi ie vay ſuyuant où mon deſtin m’appelle
N’ayant que mō amour & vos beautez pour loy,
Et puis que vous ſcauez que ie vous ſuis fidele

Laiſſez moy uous ſeruir ainſi que ie le doy.

Quand Carinthee fut de retour, Beleador ſe plaignit à elle encor ſur le meſme ſujet, & cōme elle luy remonſtroit qu’elle auoit affaire, & ne le vouloit pas incommoder, & l’aymoit mieux employer en fait de plus d’importance, il lui dit, ie veux ce qu’il vous plaiſt, car vous auez tout pouuoir ſur moy, mais vous ne m’auez peu empeſcher de vous attaquer par ceſte boutade dōt ie vous inquieteray pour me venger en declarāt le ſecret de voſtre belle magie, que comme Fee vous exercez.

Belle pardonnez moy de uous prendre à partie,
En uous repreſentant que uous m’anez fait tort,
Et uous reſſouuenez de ceſte departie
Dont le cōmandement me fut vn trait de mort.
Je ne couueray plus vne triſte penſee,
Ie vou diray mon mal puis que i’oſe parler,
Auſſi vou iugez bien que mon ame offencee
A quelque opinion qu’elle ne peut celler.
Pourquoy vouluſtes vous que ie m’en retournaſſe,
Sans vous accompagner à trauerſer le bois ?
Meſme en me demonſtrāt vne prompte diſgrace :
Dont vous me menaſſiez ſi ie n’obeiſſois ?
Je deſcouure les traits de vos beaux artifices,
Vous auiez en l’eſprit vn deſſein auancé,
Vous deuiez acheuer vn reſte de ſeruice
Aux deitez des bois ſur vn ſort commencé.
Et ne ſçay-ie pas bien que les ſauantes Fees
Suyuent dans les foreſts leurs deſſeins curieux,
Et que d’vn feu diuin dans le cœur eſchaufees
Uont dedans les ſecrets de l’abiſme & des cieux ?
Elles ne ueulent pas que l’on ait cognoiſſance.

Des myſteres ſacrez de telles actions,
C’eſt cela qui vous fit ordonner mon abſence :
Pour ſeulette vacquer à vos inuentions.
Uous auiez reſerué dedans le creux d’vn cheſne,
Trois fueilles de laurier, & trois vierges flābeaux
Une table ſacree, vne pointue aleiſne,
La poudre de trois cœurs pris de trois paſſereaux
Sur le plan de la table enfonçant ceſte pointe
Vous formaſtes trois cœurs en triangle poſez,
Puis à chaqu’vn des cœurs ſa fueille fut adiointe
De meſme les flambeaux y furent diſpoſez :
Puis vous miſtes la main ſur la poudre animee,
De quelques mots ſacrés que bas uous pronóciez,
Et d’elle ſurſemant chaque meſche allumee,
Vous viſtes dās ces feux ce que vous recherchiés.
C’eſt ce qui me fait tort, c’eſt cela qui m’offence,
Car uous auez douté de mon affection,
Vou euſſiez biē mieux veu mon courage en preſence,
Que ſuiuant le hazard de telle inuention
Ors vous ſcauez beaucoup, ſoyez en ſatisfaite,
Vous auez recognu que vous me poſſediez,
Vous n’auez rien gaigné de vous eſtre diſtraite,
Car vo° n’auez riē veu que ce que vous ſpauiez.
Mais vous qui pouuez tant, faut-il que curieuſe
Uous aliez recherchant ainſi la verité ?
Ne ſçauez vous pas biē que toute ame amoureuſe
Doit ſans feinte de cœur ſeruir voſtre beauté ?
Donques me doutez plus de ma perſeuerance,
Car vous me feriés tort & à vous meſme auſſi,
A moy de me troubler en ma bonne eſperance,
A vous d’auoir eſleu ſans qu’il eut reuſſi.
Bien que cēt mille cœurs bruſlent pour vos merites,
Que to° les beaux eſpris ſoyēt ſo° voſtre pouuoir,

Mes flames ne ſeront toutesfois ſi petites,
Qu’étre tāt de grāds feux ne ſe facēt bien voir.
Je vous ay dit le mal que mon ame ſouspire,
Et le deſſein conſtant dont mō cœur s’entretient,
Et puis ie ſuis à uous, il vous a pleu m’eſlire,
Vous deuez conſeruer ce qui vous appartient.
Auiſez mes raiſons, & me faites iuſtice,
Payez moy l’intereſt de mon affliction,
Si iuſte eſt voſtre cœur qu’il me ſera propice,
Encor que contre vous i’intente l’action.

Carintee. Vous auez tort de m’offenſer, & de reblandir ſi ſoudain. Bien ie ne vous en dis rien pour maintenant, & ne vous en feray demonſtration aucune, d’alteration à ioye ou a peine, i’eſpere vous attraper en l’hermitage d’Honneur, & à vous payer d’affront ſi vous le meritez, ou recompenſer de grace ſi vous en eſtes trouué digne. L’Amour veut bien que l’on celebre ſes bonnes feſtes, & qu’on ſ’occupe à ſes delicieux deſſeins, mais les autres affaires qui ſont des effets qui lui ſuccedent, ou qui l’eſtabliſſent, nous attirent auſſi, parquoy nous permetrons à cet Amant de ſouſpirer, iuſques au tēps determiné. Et nous prēdrons auſſi le temps commode pour leuer les voiles, & leuer les ancres du Nauire de Sobare, qui auec les ſiens reçoit les Fortunés, leſquels auec vn meſlange de regret & de ioye, prirent congé de la dame Batuliree & de ſa fille, eſquelles laiſſerent aller ceſte troupe auec vn deſplaiſir mutuel.

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DESSEIN DIXSEPTIESME.


Le nauire poußé en Calicut, les Sobarites sont pris prisonniers. Inimitiez des Rois de Calicut & de Sobare, à cauſe de Sorfireon & de la saincte Galanctifee. Sorfireon & Pocorusee syneſaſtes. Les Fortunez ayans imité le Lyon verd, mettent leurs amis en liberté. Le uaisseau des Sobarites eſt ietté en Asie, où les Fortunez trouuās un vaiſſeau de Glindicee y montent. Les Sobarites arriuent à bon port.



LEs Sobarites ayſes d'auoir auec eux les Fortunez, qui n'y a pas long temps eſtoyent en leur païs, vogoyent ioyeuſement ſur la mer doucement agittee, du vent qui les portoit en leur contree, & comme preſque ceſte bonne troupe eſperoit ſurgir au lieu deſiré, ſuyuant l'agreable vent qui les portoit, il auint vne nouuelle fortune, poſſible le deſtin auoit affaire des Fortunez, ſi que prenant occaſion, il fit leuer vn vent de midy qui ietta le nauire au deſtour de la terre ferme, & l'enlaça au haure de Calicud, apres les auoir tourmentez aſſez impetueuſement durāt ſept iuors : eux qui ne ſe recognoiſſoiēt point, ne ſçauoyent encor en quelles terres ils eſtoyeēt, mais ceux du païs qui les auoyent veu cheoir de haute mer en leur auenue, les recognurent bien, ſi qu'au lieu de les receuoir auec pitié, les prirent audacieuſement, & ce à cauſe de l'ancienne


inimitié qu’il y a entre ceux-cy & les Sobarites, pour la ſaincte Galanſtiſee que ceux de Sobare ont, & qui iadis appartenoit au Roy de Calicut, beaucoup de guerres en ont eſté entre les anceſtres, & la haine en eſt demeuree. Poſſible qu’il y auoit du droit des deux coſtez, toutesfois le ſaiſi ayant de la force le peut touſiours emporter. Le fait eſt, que le Roy de Calicut & le peuple firent partie d’enuoyer en Ofir, ſi qu’ils dreſſerēt & equiperent vne flotte raiſonnable, & mirent gens ſur icelle, en ceſte expedition, pour aller conquerir la Sainte Galanſtiſee, & fut chef de I’entrepriſe Sorfireon, fils puiſné du Roy de Calicut, ieune Prince accord & de bel entendement, nourri en toutes bonnes diſciplines & grand Philoſophe. Il fut long temps auant que pouuoir deſcouurir le moyen d’y paruenir, & toutesfois apres beaucoup de peines & de recherches employees, il veint à bout de ſes deſſeins, nous en verrons toute l’ordonnance, ſi quelque fois nous pouuons extraire de la bibliotheque de l’hermitage d’Hōneur, le volume des memoires de ceſte conqueſte. Sorfireon ayāt heureuſemët accomply ſon entrepriſe, reuenoit auec le treſor en ſa main, & comme il vogoit auec le reſte de ſa flotte qui auoit eſté vnze ans ſur les eaux, il fut rencontré par vn petit vaiſſeau qu’vn ſien fidele amy lui enuoyoit, là eſtoit vn gëtilhomme auec vnelettre de creance, pour l’informer de ce qu’il luy mādoit. Cet amy lui dönoit tous les ans trois ou quatre fois auis de ce qui ſe paſſoit au païs, & lui de meſme l’auiſoit de ce qu’il effectuoit. Le meſſager luy declara ſa creance, qui eſtoit de l’auertir que le Roy ſon pere eſtoit mort, ſon frere aiſné eſtably & recognu, & lui delaiſſé ſans autre partage que ſa bonne fortune. Sorfireō eſtoit deſia proche du pais, parquoy il tourna voile, & donna vers les iſles, & ſ’empara de quelques vnes qui ſont voiſines de Sobare, ayant fait ceſte nouuelle conqueſte, il pēſa de ſe faire Roy de Sobare, mais il trouua vn Roy plus fort que lui en ſon pais, leur guerre fut grande, & puis ce conquerant ne perdoit rien, c’eſtoit l’autre qui auoit de l’intereſt, toutesfois pour acheter paix, il ayma mieux lui laiſſer quelques iſles pour retraitte : comme ſi par pitié il les lui eut donnees : Le Roy ne deſirant point de trouble gratifia ce Prince, ioinct que ce lui eſtoit vn moyen propre pour auoir de l’ayde ſ’il en auoit beſoin, ſur la parole du Roy de Sobare, Sorfireon vint le voir, & il fut receu humainement & auec honneur, en ce tēps-là ceſte court eſtoit agreable, & y auoit de belles dames, entre autres Pocoruſee reſplendiſſoit, comme le premier aſtre du matin : Sorfireon qui la vid ſe dedia à ſon ſeruice, & ſ’offrit à elle, la Belle le ſupplia de l’excuſer, lui faiſant entendre qu’elle eſtoit obligee au veu de virginité, auquel elle ſ’eſtoit liee fidelement, partant elle ne pouuoit luy faire la grace egale à la courtoiſie qu’il lui faiſoit, lui qui auoit l’ame trop vlceree, & auquel la frequentatiō auoit imprimé le fruict de ſon eſpoir, ne peut & ne voulut eſtre eſcōduit parquoy il pourſuiuit de plus en plus la Belle, laquelle par ſes bonnes raiſons l’induiſit à oublier ſa recherche qu’il faiſoit, laquelle (eſtant aſſez perſuadé, il tranſmua en meſme volonté que celle de ſa Dame, ſi quel’vn & l’autre s’accorderent, & pour n’eſteindre tout le fruict de leur amitié, iurerent pour touſiours de viure ſelon les ſainctes conditions que la belle eſtabliroit, & qu’en ceſte forme ils ſe frequenteroient comme heureux ſineſaſtes, viuās d’amour mutuel & chaſte, terminé des bornes de continence perpetuelle. A quoy Sorfireon ſe voyant reduit, ſe donna au Roy de Sobare, luy remit ce qu’il luy auoit donné, & ſes autres biens, & d’auantage le fit heritier de la ſaincte Galanſtiſee, ſe confinant librement quant & Pocoruſee pour viure auec elle en paix & d’amour pudique en ſeules paſſions d’eſprit tranquille, comme il fit iuſques à ſa mort. Ceux de Calicut long tēps apres ayans ſçeu la mort de Sofireon, enuoyerent en Sobare pour au moins auoir ſes meubles, & ſur tout la ſaincte Galanſtiſee, remonſtrant qu’ils eſtoient ſes heritiers : Le Roy leur fit reſponſe, que leur demande eſtoit diſcourtoiſe, & qu’il n’y pouuoit entendre, & de faict, l’Ambaſſadeur s’en alla ſans rien faire. A ſon retour en Calicut, la guerre fut denoncee contre les Sobarites, qui furent aſſaillis, mais ils ſe defendirent ſi bien, que les autres furent contrains s’en retourner, n’emportans auec eux que la haine mortelle qu’ils ont touſiours cōtinuee contre ceux cy. Or les Aſiatiques ſe ſouuenans encor de leurs vieilles querelles, & ayans prins ces Sobarites, les mirent en priſon, les ſeparāt afin de les interroger à leur plaiſir, & pour ce qu’ils ſe doutoient qu’en ce vaiſſeau il y auroit d’autres gens que des Sobarites, ils en firent perquiſition, & par ainſi ils mirent les Fortunez en liberté, auſquels ils declarerent leur intention, & la cauſe : ſur quoy ils vſerent de remonſtrances & autres actes tendans à perſuaſion pour deliurer leurs amis, mais ce fut en vain, & leur fut dict qu’ils ſe contentaſſent du gain qu’ils faiſoient d’eſtre libres. Sur celà les Fortunez prirent conſeil enſemble de faire quelque choſe d’eſtrange ou d’habile, pour retirer leurs amis. Cependāt qu’ils eſtoient à trafiquer auec les deſſeins, pour la liberté des priſonniers, ils ſceurent tant bien s’inſinuer aux graces du Roy, de la Royne & des grands de la Court, que l’on faiſoit grād cas d’eux parquoy parlās de paſſer en Sobare, le Roy les print à part, & leur dit, que s’ils pouuoient tant faire que la Royne Sarmate luy vouluſt enuoyer vne ouce & vn grain de la ſaincte Galanſtiſee, qu’il deliureroit tous les priſonniers & feroit paix auec elle & les ſiens, & ſeroit ſon amy & ſeruiteur. Les Fortunez luy promirent d’y mettre ordre, & ſur celà les priſonniers furent eſlargis. Ainſi que l’on ſe deſpeſchoit de faire vn vaiſſeau leger pour paſſer en Sobare, il arriua des nouuelles d’Ofir, où le Roy de Calicut auoit enuoyé Ctisder frere de la Royne qui luy faiſoit ſçauoir de ſes nouuelles. Ce Prince eſtoit allé en Ofir pour le recouurement de la ſaincte Galanſtiſee qui croiſt en ce pays là, & eſt quelquesfois liqueur & quelquesfois & le plus ſouuent pouldre, tantoſt comme le lis en blancheur, & tantoſt comme le pauot, champeſtre en rougeur, l’excellence de cecy eſt en l’vſage, car on en prend en fort petite quantité, qui eſt enuirō vn grain à chaque fois, ce qu’ayant reiteré deuëment, on eſt certain d’eſtre deliuré de toute cauſe de maladie interne, tellement que l’on peut viure ſain de corps & d’eſprit iuſques à l’âge fort abatu, que l’on ceſſe l’vſage de ce diuin reſtaurant, puis l’ame s’exhale comme le feu d’vne meſche qui n’a plus de liqueur, c’eſt ce qui a fait tant & ſainemēt viure les Roys & Princes de Sobare, & rend les Princeſſes ſi belles. Or Ctisder mandoit qu’il eſtoit ſur le point d’obtenir ſon deſir, & auoit apris exactement le moyē dōt Sorfireon auoit vſé, & ce par le diſciple d’vn qui l’aidoit & eſtoit ſon confident : Et ainſi luy declaroit qu’il eſtoit neceſſaire d’auoir le vaiſſeau propre : Car en quelque façon que deuſt eſtre le vaiſſeau, il cōuenoit qu’il fuſt tel qu’il prinſt tout d’vn coup, ce qu’il y en falloit, ny plus, ny moins, ſans y retourner, & ſans en oſter ou adiouſter, autrement tout ſe perdoit. Le vaiſſeau eſtoit de tel le matiere & meſure : il eſtoit de fin or pur & vierge, en figure de Lyon, tellement proportionné au petit pied, que tout le Lyon de metal egaloit ſeulement la pate droite du Lyon de pais, tranchee à la ionture, & falloit qu’il fuſt vuide à la proportion du vuidé d’vn Lyon auquel on a oſté es parties interieures. Ce qui fut bō à ce coup eſt que Ctiſder recouura auec grand trauail & ſubtilité, le Lyon verd qui auoit eſté le modelle de celuy qu’autresfois Sorfireon auoit faict, & eſtoit de bronze antique ſeulement refondue vne fois, l’ayant recouuré il l’enuoya au Roy. En ceſte meſme heure le Roy eſtoit auec les Fortunez ſur l’affaire propoſee, & s’appreſtoient de partir, & il print occasion de leur communiquer la lettre de Ctiſder : Sur quoy ils luy dirent, que s’il luy plaiſoit leur donner iour d’y penſer, qu’ils s’en reſoudroient : Celà luy pleut. Au iour ordonné ils luy dirent, que s’il ne tenoit qu’à recouurer ce vaiſſeau pour obtenir la ſaincte Galanſtiſee, qu’ils trouueroient bien homme qui le feroit ſelō tou tes les proportions requiſes, pourueu qu’il fourniſt de matiere, & que la beſongne eſtant faicte, & recognuë telle, il laiſſaſt aller les Sobarites. Le Roy leur accorda ce qu’ils deſirerent, & leur ayāt fourni d’eſtoffe, & de lieu, ils firent trauailler vn orfeuure ſage & entendu, lequel ſuiuoit le medecin de Sobare. Ceſt ouurier inſtruit par les Fortunez, prepara de la pierre œillee, des feces de Mars, dont en boüillant par le vinaigre, on a oſté la teinture pour la ſanté des Dames Icteriques, & adiouſtant la terre moite de creuſet, batit tout enſemble, & le conroya ſi biē qu’il en fit vn moule auſſi net que la piece meſme : ainſi fut moulé le Lyon verd, en la place duquel l’autre eſtant coulé, il ſe deſpoüilla, extremement bien reſſemblāt le premier, dont il ſembloit eſtre l’original. Ce Lyon fut vuidé & reparé, où il eſtoit beſoin, & fut ſi exactement bien imité & fait qu’il n’y auoit que redire, puis ils le preſenterent au Roy, lequel pour s’aſſeurer ſi l’ouurage eſtoit bien & deuëment fait, fit aſſembler ſes ingenieux & mathematiciens, leſquels iugerent ceſt ouurage beau & exquis, mais ils ne le ſçeurent meſurer exactement. Ces Fortunez eſtans appellez dirent au Roy, qu’ils le meſureroient en ſa preſence, & qu’ils ne vouloient que luy ſeul pour iuge de la demonſtration apparente qu’ils en feroient. Pour ce faire, ils preparerent vne petite cuue d’argent, fort ingenieuſement elabouree polie & nette par dedans, ayant les bords fort vnis, & la poſerent horizontalement ſur vne table bien aſſiſe. Ce vaiſſeau eſtoit plus long que large : Ils leuerent le Lyon par le moyen d’vne ſangle de ſoye cruë (laquelle dure longtemps incorruptible) à laquelle il eſtoit attaché en balance, & par le moyen d’vn beau polypaſton, le hauſſoient & baiſſoiét imperceptiblement, l’ayāt diſpoſé ſur l’ouuerture du vaiſſeau lequel eſtoit plein d’eau de fontaine bien claire, ils le laiſſerent couler dedans peu à peu, l’y deualant tant qu’il fut tout caché en l’eau, & qu’il n’en ſortit plus, car l’eau ſortoit à meſure que le Lyon y entroit, apres que l’eau fut ſans mouuement, qui meſmes auoit eſté imperceptible, ils releuerent le Lyon le laiſſant ſuſpēdu, afin qu’il s’eſgouſtaſt au vaiſſeau, puis ils oſterent ce Lyon & y mirent l’autre, lequel eſtant coulé en l’eau y tint autant de place : De là le Roy meſme iugea qu’ils eſtoient égaux, quant à l’eau qui eſtoit ſortie & auoit eſté receuë en la baſe de la cuuette, elle fut coulee en vn vaiſſeau d’argent qui auoit deux poulces en quarré, & eſtoit fort long, deux poulces en quarré, c’eſt à dire, que le coſté du vaiſſeau eſtoit égal à la diagonale du quarré, ayant vn poulce de coſté : l’eau y eſtant, monſtra combien le petit Lyon auoit de poulces, & de lignes, les Fortunez nous l’auoient dit, mais l’ayant preſques meſpriſé, bien que l’euſſions eſcrit en vne tablette qui eſt en l’hermitage, nous n’auions pas penſé d’en raporter le memoire ſinō pour les curieux. Le Roy content des Fortunez leur fit de grands preſens, les laiſſa acheuer leur voyage, leur rendant toute leur troupe, & offrāt eſcorte au beſoin, & d’auantage promettant par eux amitié, paix & ſeruice à la Royne de Sobare, au Medecin de laquelle il donna vne emeraude rouge & verte. Il auoit prins à part les Fortunez pour ſçauoir d’eux quels ils eſtoient, & ils luy auoient dit qu’ils apartenoient au Duc de Narciſe, & que leur pere eſtoit le gouuerneur de ſes enfans, homme jà d’aage & Philoſophe. Ils s’embarquerent doncques, & eurent aſſez bon vent trois iours, mais le vent de midy les ietta en vn havre d’Aſie, où ils attendirent le vent propre pour leur route : il aduint qu’eſtant là, il s’y trouua vn vaiſſeau qui tiroit en Glindicee, les Fortunez le trouuant ſi à propos, prinrent congé de leurs amis, leur faiſant entendre qu’ils y auoient expreſſément affaire, prians le Medecin & les Dames de faire leurs excuſes, l’aſſeurans que biē toſt la Royne aura de leurs nouuelles. Viuarambe ayant parlé en ſecret à la Dame, la ſupplia de faire ſon excuſe particuliere. Ils ſe ſeparerēt dōcques, & les vaiſſeaux prirent leur route, celuy de Sobare arriua à bon port, & le Medecin auec les Dames raconterent à la Royne leurs aduantures, & comme par la rencōtre des Fortunez ils auoiēt eſté deliurez de la main du Roy de Calicut, qui d’oreſenauant deſiroit viure en paix, & amitié auec elle, la Dame eſtant en particulier luy preſenta ceſte lettre de la part de ſon Fortuné.

L’Abſence eſt l’affliction dont la rigueur eſt la plus vehemente de toutes les violences qui bleſſent les cœurs viuans d’vne belle affection. C’eſt ce mal qui me trouble & me perſecute de douleur ſur douleur : car il n’eſt ennuy ſemblable à la ſeparation de ſa felicité. Ie ſuis en tenebres ſi loin de mon grand Soleil, duquel l’Ecclipſe me dure trop longuement. Ie n’euſſe iamais penſé que la cauſe du bien le plus aduantageux que m’ait faict apprehender la fortune, fut occaſion que ie ſouffriſſe tant de paſſion. Quand voſtre belle lumiere ne m’auoit encor paru, elle ne me cauſoit point de regret, mais depuis qu’elle eut eſtably ſa loy, qu’elle a eſcrite en mon ame, depuis que vos yeux furent l’honneur vnique de mes deſirs, mō cœur y a tellement eſté vny, que le default de leur preſence m’eſt vn mal inſuportable : Ie ne puis rien apporter pour adoucir l’aigreur de ceſte faſcherie, & ne puis trouuer remede à ceſte peine. Si ie me plains ie vous feray tort de vous importuner de doleances faſcheuſes, n’ayant ſuiet autre que de vous benir & honorer, comme celle qui nourit ma vie en la parfaite felicité, & l’alaicte de ce qu’il y a de meilleur en l’eſperance. Et bien qu’ainſi vous ſoyez toute ma lieſſe, mon ennuy pourtant a ſa cauſe de vous, pource que vous m’eſtes abſente, & ceſte abſence me donne le tourment qui m’inquiette. Comment nommeray-ie ceſte perplexité ? ſous quelle idee de mal la propoſeray-ie à mes conceptions ? Ie ne veux point me profonder d’auātage en ceſte peine : i’ay aſſez de perturbations d’eſtre tant eſloigné de vous, & i’ay trop d’affliction de ne vous voir pas. Auſſi ie taſcheray de patienter pour cōſeruer ma vie, afin que ie vous puiſſe ſeruir ayant fait preuue de ma valeur : adonc tout conſolé apres l’acheuement de pluſieurs belles fortunes, ie vous iray voir plein du bon-heur d’eſtre voſtre, ayant l’eſprit accomply en parfaite ioye, vous ne prendriez pas plaiſir qu’vn deſolé ſe preſentaſt à vous, ioint qu’vn courage abbatu de triſteſſe n’eſt point propre au ſeruice des Dames. Partant bien que ie ſois en ceſte angoiſſe, tout releué de cœur & multipliant l’ardeur de mon affection dans le voile de l’abſence, ie rendray mon amour tant accomply, que vous le iugerez de merite, & verrez à l’effet que vos perfections m’ont excité pour paroiſtre tel que doit eſtre celuy qui vous a pour but de iuſtes deſſeins, vous ayant donc pour guide, & eſtant mené par l’honneur, preſent & abſent, ie vous rendray fidelle preuue du treſ-humble ſeruice que vous a voüé & vous doit Viuarambe.

La Royne Sarmate eut du contentement en pluſieurs ſortes, mais le plus ſignalé fut de ſçauoir de l’eſtat de ſon Fortuné, & ayant apris quelques particularités que ſecrettement il auoit communiquees à la Dame pour luy dire, elle ſe reſolut de ſe conſoler, attendant celuy qui luy eſtoit plus cher que ſon ame.

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DESSEIN DIXHVICTIESME.


Les Fortunez arriuez en Glindicee ſe deſguiſent. La vieille Lycambe medecine vient à l’Empereur pour le guerir. Epinoiſe malade, par l’art de la vieille eſt guerie, & marquee en la cuiſſe, un ancien marchand la vendicant, elle luy eſt deliuree.



LEs Fortunez ayans pris port en Glindicee, ſe deſguiſerēt & retirerēt en vne petite ville, ſe feignans marchands de pierreries, muſc, ambre, & rares drogues qu’on apporte d’Aſie, & d’Orient : ayans reſolu ce qui eſtoit à faire pour leur honneur, à fin de ſçauoir la verité de la cauſe de ce qui s’eſt paſſé contre eux, & recouurer vne infinité de precieuſes & non communes beſongnes qu’ils auoient laiſſees en leur logis, auec des memoires de grande conſequence que l’Empereur auoit mis en ſeure garde, apres les auoir reuiſitez ſans y rien entendre, d’autant que la pluſpart eſtoient diſcours ſtœganografiques, & y auoit auſſi entre autres de petits tableaux des fortunes qu’auoit eu l’Empereur, ce qui luy toucha tellement le cœur, qu’il eut regret de ce qu’il auoit fait ſans auoir parlé à eux. Or les Fortunez ayans conclu leur affaire, ils aduiſerent que Viuarambe iroit à la Court, pour deſcouurir ce qu’il pourroit, afin de prouuoir au reſte. Or ſçauoient-ils de grands ſecrets, & en auoient encor appris auec la Dame de l’iſle des ſerpens. Caualiree auoit eu le ſecret de pouuoir muer l’apparence, & deſguiſer les lineamens du viſage, & les proportions du corps de teint, & ſemblance de ſexe & figure, & regard, & de voix : Par ce moyen il tranſmua Viuarambe, & luy fit rendre la ſimilitude d’vne vieille femme, & luy & ſon autre frere furent deſguiſez en marchands Mores, & en ceſt eſtat ils vont prendre logis en vne hoſtellerie pres le Chaſteau, & la vieille ſe loge aux faux-bourgs, où elle ſe dict eſtre Lycambe la medecine de l’iſle de raport, qui eſtoit venuë pour guerir l’Empereur, qu’elle auoit ouy dire eſtre malade. Celà fut incontinant ſçeu, & deſia chacun parloit de la grande Medecine qui eſtoit en pays, on le raporta à l’Empereur, qui voulant tenter tous moyens l’enuoye querir par la Fee Epinoyſe. Celà vint fort à propos, car c’eſtoit ce que Lycambe deſiroit. Eſtant deuant l’Empereur elle le ſalua, & l’Empereur la priant de s’approcher, & luy ayant fait careſſe, cōme il eſtoit fort courtois & gracieux, l’enquit de la cauſe de ſa venue, elle luy dit librement que ſa principale intention eſtoit pour le voir : ſurquoy l’Empereur ayant reparti & elle repliqué, print la main de ſa Maieſté, & le conſidera auec grande attention, puis luy dit, Sire, les choſes ſecrettes ſont celles qui ſont en l’eſprit, & qui ne doiuent eſtre declarees, parquoy ie vous prie que ces gens ci ſe reculēt vn pcu, & ie diſcourray de voſtre mal plus à mon gré, & diray de voſtre ſecret ce que i’en ay deſia cogneu, puis ayant deſcouuert voſtre maladie, ie viēdray bien toſt aux remedes. Le mal qui vous tient en l’inquietude où vouseſtes, eſt vne profonde melancholie, qui n’eſt point eſmeue par l’indiſpoſitiō des humeurs, mais par vn ſignalé deſplaiſir qui vous eſt arriué d’vne cauſe amoureuſe, par le meſlange d’vne colere trop vehemēte, qui depuis s’eſt régregee pour vn nouueau deſplaiſir : Et ne pouuez eſtre deliuré de ce mal ſi toſt que vous deſireriez, & que ie voudrois bien, d’autant que le remede ne peut eſtre diligēment preſt, & puis il y a vn autre fait que ie iugerois fort biē, ſi vous m’auiez declaré naifuement ce dont ie me doute, parquoy, Sire, contez moy naifuement la verité de tout, & ie vous ſoulageray. Alors l’Empereur luy fit l’entier diſcours des affaires d’Etherine, & adiouſta cöme depuis il auoit perdu tout eſpoir de guerir, ayāt non ſeulement diſgracié les Fortunez, mais les ayant perdus. Lycābe ſçachant vne partie de ce qu’elle deſiroit, outre ce qu’elle en ſçauoit, & entendant par le reſte de ce diſcours le regret que l’Empereur auoit pour les Fortunés, luy promit ſecours le pluſtoſt qu’il luy ſeroit poſſible, & le pria de s’en aſſeurer : ainſi elle ſortit luy promettant de le viſiter ſouuent. Epinoiſe ſcachāt cōme Lycambe auoit conſolé l’Empereur, qui eſtoit fort content d’elle, delibera de l’entretenir, & ſe deceler à elle. Ceſte deſolee Fee euſt voulu, que la maudite fureur de vengeāce qui l’auoit incitee à la trahiſon qu’elle auoit cōmiſe, ne luy fuſt iamais entree au cœur, d’autant que pour ce qui eſtoit ſuruenu, l’amour ne laiſſoit de la flageller auec des pointes plus aigues & qui ſe faiſoiēt plus importunes par le deſeſpoir. Prenant donc occaſion de diſcourir auec Lycambe, elle luy raconta ſes amours, & comme elle s’eſtoit en fin malheureuſement vengee, & que pour tout celà ſon mal au lieu de s’appaiſer ſe rengregeoit. Lycambe eſclaircie de tout, luy dit, que la premiere fois qu’elle le verra, elle luy donnera de l’eſpoir & de l’alegeance. Cependant elle pourpenſa en ſoy-meſme ce qui eſtoit de faire, & le lendemain la voyant luy dit, que le vray moyen de deſtourner ces malignes fantaiſies conſiſtoit en l’vſage de quelque aſſeuré Taliſman, & que ſi elle vouloit elle luy feroit celuy d’oubliance, tellement que iamais ne penſeroit au paſſé qui l’afflige. La Fee le refuſa, & luy dit qu’elle aymoit mieux celuy de ſonges volōtaires, pour ſe donner du contentement, Lycambe luy promit, & qu’elle l’auroit dans deux iours. Or vouloit elle la punir de ſa meſchanceté, mais de telle ſorte, que celà luy donneroit plus d’ennuy, de crainte & d’affliction d’eſprit que de mal. Lycambe fit donc le Taliſman de ſonge, mais elle y meſla d’vne liqueur inſipide, qui eſtant eſchauffee en la teſte touche au principe des nerfs, & dans le dixſeptieſme iour apres, ſans qu’on penſe que celà en ſoit la cauſe, fait tomber en l’iſquion vne douleur intolerable, qui ne ſe peut guarir que par le remede cogneu à celle qui a occaſionné le mal. La Fee ayant eu le Taliſman s’en ſeruit vne nuict ſelon l’ordre & la raiſon, & ſongea ce qui luy pleut, & toutesfois eſtant reſueillee trouue que celà ne la pouuoit contenter, d’autant que la perfection n’y eſtoit pas, parquoy reuoyant Lycambe luy rendit, & la pria deluy donner celuy d’oubliāce qu’elle luy auoit offert. Elle luy dit qu’elle le vouloit biē, mais qu’il falloit neceſſairemēt attēdre à l’autre lune, à cauſe que les Taliſmans imprimēt leur force pour toute la lune à tout le moins : Lycambe faignant auoir des affaires, s’en alla auec promeſſe donnee à la Fee, de la venir reuoir dans peu de iours. Le temps expiré de la future ſciatique, voilà qu’Epinoiſe reuenant du chaſteau brōcha à vn petit caillou, à quoy elle ne prit aucunement garde, & ſur la nuict vne douleur commença à la faſcher, elle penſa que ce fut ce petit pas faux qu’elle auoit fait, parquoy elle enuoya querir vne vieille reuendeuſe qui ſe meſloit de remettre, & luy monſtra ſa iambe : la vieille qui doit touſiours faire valoir le meſtier, dit qu’elle eſtoit bleſſee, & la racouſtra, puis la laiſſa bandee, & emplaſtree d’herbes : celà n’y ſeruit de riē, car la douleur s’augmenta de telle ſorte, que la cauſe en fut miſe ſur le faict de la rabilieuſe, & la douleur ſe multiplia tant, qu’elle deuint preſques inſupportable. Les Medecins appellez n’y cogneurent rien, les Chirurgiens aſſemblez l’ignorerent, & les Empiriques n’y virent goutte, & cependant la pauurette perdoit patience, il n’y auoit perſonne qui peut y rien faire, tellement que la vieille Lycambe fut deſiree, qui vint auec les ſouhaits de la deſolee, laquelle deſia auoit pati quatre iours en expiation de l’offence faite à quatre perſonnes innocentes. Quand elle fut pres de la Fee elle fut inuoquee auec larmes & doleances qu’elle recueilloit en commencement de ſatisfaction pour la faute commiſe. La dolente Epinoiſe ayant conté toute l’hiſtoire de ſon mal & des remedes monſtra à la medecine l’endroit plus grief où ſa douleur l’offençoit le plus, l’ayant viſité & touché luy dict, Mamie, ie cognoy que voſtre mal ira en grand longueur, & ſera d’vne conſequence fort faſcheuſe, ſi vous n’y prouuoiez, & n’i a qu’vn moien de reſtituer voſtre ſanté, lequelie vous dirai ſecretement, comme auſſi il faut qu’il ſoit ſecretement executé, ce moien eſt vn cautere actuel qu’il vous faut appliquer au muſcle reſpondant à ceſt endroit, ce cautere ſera d’vne piece plate que i’appoſerai moi meſme, & auſſi toft voſtre douleur ceſſera ſans plus retourner, & n’i a autre remede. La deſolee malade fut en grande perplexité n’aiant point enuie d’i condeſendre, mais penſant a ſa douleur tant forte, qui ſans relaſche la conduiroit iuſques au tombeau, ſe delibera, toutesfois elle lui dict, Helas ! ma bonne mere, ce mal ne peut-il eſtre autrement guari, pourrai-ie endurer la violence de ce feu ? Lycambe. Le feu de ſoi eſt ſi pur, qu’il paſſe auſſi toſt, & ne laiſſe point de maligne impreſſion, & puis la platine eſt d’or, qui eſt vn metal gracieux, aduiſez y, il y a bien de la difference entre vne douleur momentaire, & vne inquietude douloureuſe qui ne finit point, & conuient que vous preniez viſtement auis par ce qu’il me faut bien toſt aller où i’ay affaire pour le faict de l’Empereur. Apres pluſieurs petites difficultez, la Fee s accorda, parquoy Lycambe s’eſtant enfermee ſeule auec elle, fit chauffer ſa platine, & ayāt fait paroiſtre au iour la belle cuiſſe, remarqua l’endroit où il falloit poſer le feu, & voyant ceſte rondeur potelee qui rioit aux appetits d’amour, auoit preſque regret d’executer ſon entrepriſe, toutesfois elley enfonça le chiffre premedité, & vn peu apres, la pointure du feu, & toutes les autres douleurs ceſſerent, & la Fee ſe trouua auſſi gaye & diſpoſte que iamais, horſmis le petit regret de ceſte marque de feu, qui deſlors l’interdiſoit de la compagnie des Nymphes qui ſe baignent nues. Lycambe vint voir l’Empereur accompagnée d’Epinoiſe, qui le iour de deuant n’eſtoit pas en ſemblable diſpoſition, car il l’auoit eſté voir : parquoy l’ayant deuant ſoy en telle & ſi belle ſanté, luy en demanda l’occaſion : Elle luy dit que la ſage Medecine l’auoit guarie, ce qui fut cauſe qu’il eut encor plus de creance en elle qu’auparauant. La vieille ayant deuiſé auec l’Empereur print congé de luy, luy promettant de le uoir en bref auec certaines & aſſeurees aydes pour le recouurement de ſa ſanté, & l’accompliſſement de ſes deſirs. Entre autres preſens que l’Empereur luy fit, il luy donna vne perle bien ronde, vraye, fine, & de la troiſieſme grandeur, ceſte perle auoit vne proprieté que la regardāt des deux yeux, de ſorte que l’angle des deux rayons viſuels finiſſans à neuf poulces loing de ſon corps elle paroiſſoit toute verde, il y auoit vn petit inſtrument fait expres lequel eſtoit de verre blanc, & on y poſoit la perle, & on l’aprochoit & reculoit tant que lon fut bien, & lors l’aparēce ſe manifeſtoit, ſi on la mettoit en de l’eau roſe, où il y eut vn grain de muſc, elle paroiſſoit toute rouge, ce ioyau eſtoit pretieux & notable. Lycambe ayant auerti les deux marchāds de tout ce qui s’eſtoit paſſé, ils retournerent à Sepor en leurs logis, où ils ſe tindrēt quelque tēps & autāt que beſoin eſtoit pour leur entrepriſe. Cependant que l’Empereur attendoit la venuë de la vieille, il ſe re ſolut de reprendre ſon ancien courage, & de fait il parut en la meſme conſtance qu’il auoit accouſtumé, & ſe formant auec ſa propre raiſon pour eſtre tel qu’il luy eſtoit decent, ſe ſeoit ſouuent en ſon lict de iuſtice pour faire droict à ſon peuple. Quelques iours eſtoient deſia eſcoulez depuis le depart de Lycambe, que voici vne fortune nouuelle : Ainſi quel’Empereur tenoit le ſiege en ſon Palais, il arriua vn beau & venerable vieillard, tel que ſont ceux qui ont longuement trafiqué és terres loingtaines, qui ſe preſentant humblement deuant l’Empereur, luy dict qu’il auoit vne treſ-humble requeſte à luy faire. D’où eſtes vous ? dict l’Empereur, Il reſpond, Sire, ie ſuis de l’iſle de la Fee Oris. L’emperevr. Comment auez vous nom ? Il dit, Sire, ie fuis nommé le triſte Guiſdee. L’Emperevr. Dites ce que vous deſirez obtenir, & s’il eſt raiſonnable, vous aurez le contentement que vous ſouhaittez. Gvisdee. Sire, ie ſuis vn deſolé marchand, & qui depuis dix ans ay fait vne perte notable, i’auois par rencontre & hantiſe des nations recouuré vne ieune fille aſſez belle que i’auois inſtruite en toutes ſortes de perfections, & tellemēt accomplie, que la voyant en eſtat d’eſtre bonne pour en tirer vn grand & honneſte profit, ie me propoſé de la mener en Leuant és lieux où encores le trafic ſe fait d’eſclaues, & ſeruiteurs eſperāt d’étirer plus de ſix mille pieces d’or : En ceſte de liberatiō ie me mis ſur mer, le vēt apres quelques iours nous ietta en la coſte de Preſange, où ie pris terre, & vins loger envne hoſtellerie amenāt ma fille auec moi, l’ayāt miſe au logis, i’eu enuie d’aller prendre langue & ſcauoir des nouuelles, pour auiſer à me gouuerner auec les marchāds du pais, touchant quelques marchandiſes que i’auois, & dont ie cuidois faire argent pour ſuruenir à mon voyage : Helas ! à la malheure pris-ie terre, ayant fait quelques tours, & parlé à quelques vns, ie retourné à l’hoſtellerie où ie trouué vn grand peuple amaſſé, dont il y en eut qui vindrent à moy auec l’hoſte, me dire, que ma fille eſtoit ſortie du logis, & qu’il eſtoit paſſé vn gentilhomme bien monté qui l’auoit enleuee, ſans qu’on eut peu y mettre ordre, tant cela fut fait diligemmēt. Ie me mis à lamenter ainſi qu’vn de ſes peres, ne ſcachant que faire : car chacun me diſoit que la faute n’en eſtoit point à l’hoſte, contre qui ie ne pouuois auoir action pour ceſte perte : parquoy tout promptement i’allay, & veins m’enqueſtant pour auoir des nouuelles, mais ie n’ay rien ſceu apprendre que ma perte. Il y en eut qui me dirent des enſeignes apparentes, ſuiuantes leſquelles ie donné iuſques à vn haure, où l’on me dit, qu’il y auoit eu vn perſonnage de la ſorte que ie le demandois, ie trouué vn vaiſſeau qui eſtoit preſt de ſuyure la meſme route, ie m’y embarqué, & le vent fut ſi bon, que le premier vaiſſeau moüilloit l’ancre ainſi que nous arriuions, ie vis le gētilhomme & la Belle qu’il emmenoit, mais ce n’eſtoit pas la mienne, bien qu’elle luy retiraſt & d’habits & de geſtes, ie m’enquis de quel ques vns qui elle pouuoit eſtre, & on me dit que c’eſtoit la fille du Duc de Pragence, qui luy auoit eſté rauie par l’induſtrie d’vn magicien : cela ne me touchant point ie ſuiuis autres erres, & n’ay ceſſé depuis ce temps-là de tournoyer en cherchant ma fille par infinies terres, & bien que i’aye eſté en pluſieurs endroits, ie n’ay rien recognu de ce que ie cherchois, qu’en ce pais dont i’ay eu telles indices, que ie ſuis venu ly chercher, & on m’a aſſeuré que faiſant requeſte à voſtre Majeſté, ie ne ſeray point fruſtré. Donques, Sire, ie vous ſupplie tres-humblement par voſtre iuſtice meſme, qu’il me ſoit permis de recognoiſtre mon bien, pour en apres l’obtenir par voftre cōmandement. l’emp. Il eſt equitable & ie veux que cela ſoit, parquoy prenez de ces officiers tāt qu’il faudra & recouurez ce qui eſt à vous, pourveu qu’en donniez ſi bonnes enſeignes, que vous ſoyez trouué veritable. Gvisdee. Sire, ie vous remercie tres-humblemenr, ſans que ie dōne tāt de peine à ces gens de bien, & ſans que i’inquiete dauantage voſtre Majeſté, puis que i’ay voſtre parole, & vous mō corps pour me punir ſi ie fay faute, ie vous dis qu’il y a la bas vn beau lieu, où eſt vne belle fontaine, dont eſt cōcierge vne qui ſe dit Fee, & voſtre parēte, c’eſt elle, Sire, c’eſt elle meſme celle que ie cherche, & ſ’il vous plaiſt qu’elle ſoit appellee, ſans qu’elle ſache cet affaire, ie prouueray deuant vos yeux, qu’elle eſt ceſte mienne tant & ſi longtemps cherchee. L’Empereur oyāt cela ſe mit en colere : car il n’y a riē tant aiſé à mettre en fureur & ire qu’vn cœur melancolique, & paſſiōné : parquoy tout à l’inſtāt il enuoya querir la Fee qui ſoudain arriua. Alors le marchād la prit par la main & lui dit, ha ma chere Haſebie, que tu m’as donné de trauaux, voilà, l’Empereur a iugé que vous reuiēdrez auec moy Qui eſtes vous, dit-elle, ie ne vous cognois point. Sire, dit le marchād, qu’elle ſoit viſitee à la cuiſſe gauche, & on y trouuera ceſte marque, ce diſant il preſenta vn chifre d’or qu’il portoit, attaché à vne cheſne d’or pendante à ſon eſcarcelle. La Fee vouloit debattre, le marchand inſiſtoit, l’Empereur commanda que cela fut, à ce que s’il y auoit faute, le marchand qui ſ’y ſubmettoit fut puni à l’inſtant. Les valets du marchand l’empoignerent & firent voir la marque, dont tout au meſme moment elle lui fut liuree, & ſoudain il la mit ſur vn chameau & l’enleua, ſus plaintes larmes & ſouſpirs, ne ſeruirent de rien, & ſes remonſtrances inutiles ne perſuaderent perſonne, & n’empeſcherent qu’elle ne fut tenue pour vne affronteuſe, ſ’eſtant ſuppoſee pour la Princeſſe de Pragenſe le marchand tira droit au port où vn vaiſſeau l’attendoit, il y mit donc la Fee ſous le nom de Haſebie, le vaiſſeau eſtoit à la Royne de Sobare, & il reuenoit de Nabadonce querir du bois de Guioſulum, qui ſert en medecine aux infirmitez, pour auſquelles ſuruenir les medecins enuoyent aux bains ou aux eaux : Le Capitaine du vaiſſeau auoit vn peu ſeiourné, pour faire plaiſir aux Fortunez qui ſe deſcouurirent à luy, & le prierent de bailler à la Royne ceſte demoiſelle qu’ils luy enuoyent, luy diſant qui elle eſtoit : mais qu’elle ne fit autre ſemblant que la tenir pour Haſebie, qu’elle en fit pourtant cas, & luy pleut la garder tāt qu’ils lui māderoyent le plaiſir qu’ils deſiroyēt qu’elle en eut. Le vaiſſeau parti, Viuarambe qui ſ’eſtoit ainfi deguiſé en marchand, reprit en lieu opportun la figure de la vieille Lycambe, pour ſuiure le reſte des affaires.

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DESSEIN DIXNEVFIESME.


Vn Marchand fait preſent à l’Empereur d’une figure d’argent qui declaroit le menſonge. L’Empereur en fait ſpreuue ſur vne Dame, qui faiſoit l’amour impudiquement, & ſur vne qui eſtoit deuotieuſe, & trouua la verité.



EN ce temps Caualiree deguiſé en Marchād, veint à la court, & ſe preſenta à l’Empereur, ayant vne figure d’argent, faite de l’induſtrie que la ſage dame Batuliree auoit enſeigné à Fonſteland, & ayant ſalué l’Empereur dit, Sire, le recit que i’ay ouy de voſtre vertu, m’a fait venir en ces contrees, pour vous voir & vous offrir vn chef d’œuure admirable, qui eſt ceſte piece : par le moyen de laquelle, vous ſerez le plus contant Prince du mōde : car au mercredy, ayāt ceſte bague au doigt medical, le chas tourné en la main & que la figure ſoit ſur le buffet vis à vis de vous, ſi quelqu’vn parle à voſtre majeſté, & qu’il deguiſe ſes affaires, ou contreuienne à la verité, la figure rira, & ſ’il dit vray, elle ſe tiendra ferme & conſtante, & en cela, Sire, vous pouuez vous aſſeurer, d’auoir le plus precieux ioyau du monde, il a eſté fait par le meſme artiſan qui forma la ſphere de Leon Empereur de Grece, en laquelle on voyoit les conſpiratiōs qui ſe faiſoyēt contre l’Empire Romain : Sire, ie vous laiſſe ceſte figure à l’eſſay, afin que l’experience vous rende certain de ſa valeur, ie m’aſſeure que l’ayant eſprouuee, vous m’en ferez bonne & honneſte recompenſe. Voyla auſſi l’aneau qui conioint à la piece exquiſe, la fera cognoiſtre admirable. L’Empereur fut fort content de la bonne grace de ce marchād, auquel il voulut faire quel que preſent & auance, mais le marchand lui iura, qu’il auouë de rien prendre de ſa majeſté qu’apres ſon parfaict contentement. Il le laiſſa donques aller auec beaucoup de careſſes & de bōne chere. Il eſt bien difficile qu’vne Dame puiſſe longuement faire l’amour ſans qu’on s’en appercoiue, ou que pour le moins on n’en parle ſourdement, meſmes il n’eſt pas aiſé que les Dames ſages puiſſent touſiours eſchapper la calomnie. Ces deux exercices auoyent en ce temps là mis ſur les rangs deux Dames de la court, leſquelles ne ſçauoyent pas ce qu’on diſoit d’elles, parquoy elles viuoyent à leur façon accouſtumee ; L’Empereur qui en auoit ouy faire des contes, par ceux qui prenoient plaiſir à calomnier, deſquels il eſtoit mortel ennemi, & que touteſ fois il oyoit de loin à loin, plus pour euiter les grands maux, ou y prouuoir que pour plaiſir qu’il y prit : ayant enuie d’eſprouuer ſa figure, il ſe mit à faire ſemblant de ſe delecter des propos qui offencent les Dames, parquoy auſſi toſt on lui conta tout du long, ce qu’on ne lui auoit dit que par hazard. L’Empereur faiſoit quelquefois feſtin aux Dames, parquoy il en fit vn, où ces deux furent appellees, qui ne faillirent de ſ’y trouuer auec les autres qui auſſi y vindrent auec leurs maris, comme l’Empereur l’auoit commandé, la reſiouiſſance fut grande & belle, & toutesfois l’abſence de Lofnis & de la Fee, diminuoyent beaucoup la ſplendeur de la court, mais on n’en oſoit parler. Quelque temps apres à iour propre, l’Empereur enuoya apres midy prier vne de ces deux Dames de le venir voir, & qu’il auoit oublié à lui dire quelque choſe de conſequence, dont il s’eſtoit ſouuenu : ceſte Dame qui eſt la belle Promuſtee, ſupplia l’Empereur par ſon meſſager de l’excuſer, à cauſe qu’elle n’oſoit aller ny venir en l’abſence de ſon mary, qui le matin eſtoit allé aux champs. L’Empereur luy remanda, qu’à ceſte occaſion il deſiroit encor plus de parler à elle, & pourtant la prioit de n’en faire aucune difficulté. A la fin ayant beaucoup fait l’empeſchee, elle pria quelques Dames de reputation ſes voiſines qui l’accompagnerent. Eſtans venues, l’Empereur les receut courtoiſement, & prenant Promuſtee par la main, lui dit : On n’a pas alegué ſans occaſion, en diſant que les belles ſe font prier, & bien ie n’en ſuis pas marri, ie ne contrediray point à la bonne antiquité, qui a recognu que cela ne leur vient que de grandeur de cœur. Promvstee, Sire, l’honneur eſt ſi delicat, qu’il y en a qui penſant le flatter le bleſſent, qui eſt cauſe que ie le deſire conſeruer, afin que l’on ne puiſſe rien m’imputer de defraiſonnable, L’emper. Ie n’ay plus de femme il y a long temps, ma fille & la Fee ne ſont plus pour me tenir compagnie, il faut que vous qui eſtes belle, & accomplie & ornee de ſageſſe, ayez pitié de moy, & me viſitiez en ma ſolitude, (l’Empereur auoit mis la Dame de ſorte, que parlant à elle il pouuoit voir le geſte de la figure,) ie vous en prie, & quelquesfois quand nous ferons la muſique, pource que l’on m’a aſſeuré que vous y eſtes fort ſeure, & ie m’y delecte infiniment, & puis voſtre belle voix donneroit l’ame à la beauté du chant, principalement quand vous chanteries quelque bel ær. Promvstee, Sire, vous ſçauez que la pudicité, dont nous faiſons eſtat, eſt tant aiſee à calomnier, que nous n’oſons gueres laiſſer nos maiſons en l’abſence de nos maris, n’y hanter les bonnes compagnies ſans eux, & encor moins pour ſuiure le bel exercice de muſique qui n’eſt que pour les filles, & eſt mal ſeant aux femmes, qui ont le ſoin du meſnage, qui les deſtourne de ces belles gentilleſſes : parquoy, Sire, l’ayant diſcontinué, ie vous ſupplie m’en diſpēſer, ioint que ie crains les mauuaiſes langues, contre leſquelles ie me ſuis targuee, venant icy en la compagnie de ces Dames d’honneur, qui reſpondront de mes actions, & teſtifierōt de mon comportement en toute chaſteté. Tandis qu’elle parloit à l’Empe reur il auoit l’œil ſur ſa figure, qui rioit des yeux & de la bouche de ſi parfaite grace, que le ris ne pouuoit eſtre mieux imité. l’emper. Belle & ſage Dame ie louë fort voſtre bō propos, & ſerois marri qu’à mō occaſiō, il vous fut auenu quelque diſgrace, vous en vſerés comme il vous plaira, &c irés & viendrez auec toute puiſſance, liberté & ſeurté, par tout où i’ay pouuoir pour vo° y trouuer ſi vous le deſirez, ou vous en abſtenir s’il ne vous eſt à gré d’y venir. Ceſte Dame prit congé de l’Empereur, qui la fit conduire ceremonieuſement. Ce n’eſt pas tout, il faut ſçauoir ce qui en eſt, & ſi la figure dit vray, parquoy il choiſit, entre toutes les Dames de ſa court, & principalement des domeſtiques ; la prudente Noſpinee, à laquelle il fit entendre ſa volonté clairement, & l’en chargea auec expres commandement aſſaiſonné de prieres, de ſcauoir des nouuelles de Promuſtee, & qu’elle y employaſt le verd & le ſec, & que la recompenſe eſtoit preſte : ceſte Dame qui ſcait la ſaincte intētion de l’Empereur ſe met en deuoir, & tout ce qu’elle peut, elle l’employe, & toutesfois elle ne ſceut ſcauoir autre choſe, ſinon que quand le mary de la belle eſtoit aux champs, elle ſe leuoit de nuict, & entroit en ſon cabinet, où elle ſe tenoit fort longtemps, puis ſe reuenoit coucher, & quoy qu’elle tournaſt & viraſt ne peut deſcouurir que cela, qu’elle ſceut de ſa ſeruante, qui pour ceſte cauſe l’eſtimoit la plus femme de bien du monde, penſant que ce qu’elle en faiſoit, eſtoit de deſplaiſir de l’abſence de ſon mary. Noſpinee tres-accorte, remarqua l’endroit du cabinet, & ſe douta qu’il pourroit reſpondre quelque part, par où elle introduiroit aiſément quelqu’vn, elle le recognut, & trouua qu’il donnoit à vne petite galerie perdue, au bout de laquelle y auoit vn petit eſcalier, qui reſpondoit au iardin, & là eſtoit vne petite porte ſur lá riuiere, ce qu’ayant deſcouuert, elle ſ’accommoda chez vne ſiene amie, où la nuict elle ſe tenoit au guet quand le mari de Promuſtee eſtoit aux champs : Elle ne fut pas trompee, car elle vid la Dame ſortir du petit degré, & coyement aller à la porte du iardin, qu’elle ouurit & ſortit, portant auec ſoy quelque choſe : ayant biē eſpié, elle recognut que c’eſtoit vn petit baſteau de ſapin fort leger qu’elle mit ſur la riuiere & la paſſa, & tira à elle ſon baſteau, qu’elle cacha aupres d’vn buiſſon, elle fut aſſez long temps, puis reuint tout doucement. Noſpinee raconta à l’Empereur ce qu’elle auoit veu, & il en voulut auoir le plaiſir, ce qu’ayant conſideré, il ſe douta qu’il y auoit bien de la fineſſe, & diſſimulation en ceſte femme. Vn des Conſeillers plus familiers & fideles de l’Empereur, celui preſque qu’il aymoit le plus, eſtoit frere du mary de ceſte Dame : il l’appella, & luy commandant de faire ſon deuoir, luy declare tout ce qu’il auoit ouy de Promuſtee, luy donnant charge de paſſer l’eau, & voir où elle alloit, & faire ce qu’il luy enſeigna. Ce gentilhomme ne faillit pas à faire le guet de là l’eau, & vid ſa belle ſœur paſſer, & cacher ſon baſteau, puis diligemment tirer à vn chemin, conduiſant vers vne metayrie, dont il ſortit vn homme, qui rencontrant la Dame la baiſa, & prit par la main & la fit entrer en la maiſon, dont il ferma la porte. Ceſtuy-cy, ſelon l’enſeignement de l’Empereur va au baſteau, & y fait deux grandes ouuertures par bas, & il les reboucha de terre de potier bien nettement, & attendit la fin de la tragedie. La Dame reuint ayant fait ſon affaire accompagnee de ſon amy auec lequel elle diſcouroit d’amourettes : Or il brunayoit vn petit, tellement qu’ayant pris congé de luy auec geſtes impudiques, & venant à ſon baſteau, elle n’apperceut pas qu’on y euſt touché, ſi qu’elle le prend, & le met ſur l’eau & elle dedans, ainſi qu’elle fut au milieu de l’eau la terre fondit, & le baſteau auec ſa charge alla à fonds, ainſi la pauurette ne ſe peut ſauuer, ains alla à val & fut noyee : le lendemain l’Empereur auerty de tout, ne voulut pas que l’affaire fut diuulgué, il manda au compagnon qui l’entretenoit, qu’il vint parler à luy, mais il auoit deſia auiſé à ſes affaires, & s’eſtoit abſenté, car dés le matin le bruit courut qu’on auoit trouué vne Dame noyee. Le corps fut porté en la maiſon, & ſans ſcandale fut enſeuely, pour ce que par l’aduis du conſeiller il n’en fut rien recherché. L’Empereur aſſeuré de la bonté de ſa figure ſur vne meſchante, voulant l’eſſayer encore, & faire tant que ce fuſt ſur vne femme de bien, il s’aduiſa de ſçauoir premierement ſur le ſubiect de l’autre Dame, dont on luy auoit parlé, laquelle eſtoit Flidee, belle & de bōne grace, femme d’vn des maiſtres d’hoſtel de l’Empereur : vn iour aſſez beau que l’Empereur eſtoit en l’eſperāce de voir bien toſt la vieille Lycambe, & qu’il ſuiuoit curieuſement ſon deſſein & la figure d’argent, il enuoya vn gentilhomme à Flidee, qui la pria de ſa part de venir paſſer quelques heures de recreation au palais, le gentilhomme la trouua trauaillant en vne pente de tapiſſerie auec quelques ſiennes voiſines, paſſans. en deuis le temps ioyeuſement : ſi toſt que le gētilhōme euſt fait ſon meſſage, elle laiſſe tout & vint auec luy, n’ayant autre compagnie qu’vne ſienne niece qui la pria qu’elle la ſuiuiſt pour voir l’Empereur s’il y euſt eu plus de chemin elle euſt poſſible attelé ſon coche, & fait entrer auec elle ſes demoiſelles & filles de chambre. Eſtāt entree en la ſale, l’Empereur la receut courtoiſement & luy diſt : C’eſt vous qui deuez eſtre bien venue par tout, puis que vos vertus eſgallent l’apparence auec iugemēt, & eſt ce qui me faict vous prier de venir icy quelquefois me viſiter, afin que no° paſſions quelque agreable eſpace de temps aux beaux diſcours. Flidee. Sire, i’auray beaucoup d’heur, & receuray vn grand hōneur de pouuoir ſeruir voſtre maieſté, quand il vous plaira m’en eſtimer capable : C’eſt vous, Sire, qu’il faut loüer pour vos vertus, ſageſſe & iuſtice, qui font que libremēt on peut ſe trouuer où il vous plaira, mais i’ay vne crainte qui me retient, c’eſt que i’ay peur que voulant paroiſtre deuant vous pour vous obeir, vo° ne trouuiez pas en moy ce que pour me gratifier, vo° feignez y croire, toutefois puis que c’eſt beaucoup d’auoir taſché d’obeir à ſon prince, ie mettray peine de vous rēdre tout le ſeruice que ie dois à voſtre maieſté. L’Empereur ayāt la bague ſelon ſa diſpoſitiō, cōſideroit la figure qui eſtoit ſi cōſtāte, qu’il eſtoit auis à l’Empereur que la cōſtāce fuſt nee d’elle, il s’eſmerueilla, puis cōduiſant ſes diſcours iuſqu’à la fin, il entreteint aſſez longtēps la Dame, laquelle ſe retira fort cōtente de l’Empereur, lequel pourtāt veut ſçauoir ſi la verité ſe rapporte à ce qui a paru. Il eſt certain qu’ō ne ſcait riē des maisōs que par les domeſtiques, parquoy Noſpinee ayāt le cōmandemēt de l’Empereur, fit exacte recherche des actiōs de Flidee, & n’en peut deſcouurir autre choſe, ſinō que quād ſe venoit minuict to° les iours en tout tēps, elle ſe leuoit & entroit en sō cabinet, où elle ſe tenoit deux heures, puis retournoit : la ſage Noſpinee fit tout ce qu’elle peut apres ſes imaginatiōs, pour deſcouurir quelq choſe, mais ce fut en vain, car il ne lui apparut ſigne aucū d’autre circōſtance : ce qu’elle declara à l’Empereur, qui voulut en auoir le cœur eſclairci, ſi qu’il imagina en sō cœur tout ce qui luy fut poſſible d’artifice, pour deſcouurir ce qu’il en eſtoit. Flidee venoit aſſez ſouuent au Palais viſiter l’Empereur qui la careſſoit humainement & honneſtemēt : puis retournant chez ſoy, viuoit à ſa couſtume : L’Empereur eſtoit en peine, deſirant entendre la verité du coumportement de ceſte Dame, & comme il y trauailloit, le mary de Flidee arriua, & veint à l’Empereur, pour luy donner auis de quelques affaires, & auſſi pour faire ſon deuoir. L’Empereur laiſſe couler vn iour : puis le lendemain trouuant Tinnonce, ce maiſtre d’hoſtel, mary de Flidee, le prit à part & luy dit, qu’il vouloit qu’il luy fit vn ſignalé ſeruice, quant meſmes il yroit du ſien, & qu’il l’en recompenſeroit, luy diſant, Tinnonce vous ſcauez que nous ſommes hommes & non Dieux, & pourtant que nous auons de grandes paſſions, auſquelles ſi nous prouuoyōs, nous approchons de la Deité, i’en ay de terribles, ie deſire y prouuoir par le moyen de mes bons ſeruiteurs, que ie nomme mes amis, du nombre deſquels ie vous tien, vous ſcauez que ie n’ay point l’ame feinte : parquoy vous deuez vous fier en moy, & m’obtemperer en ce que ie vous diray. Le gentilhomme bien nourri, reſpondit fort prudemment, & l’Empereur pourſuiuit & luy dit, Ne vous ombragez pour choſe que ie vous diſe, mais attendez la fin. Adonques l’Empereur luy conta la vertu de ſa figure, & le geſte qu’elle auoit fait pour Promuſtee, & ce qui en auoit eſté recognu, en apres luy deduit la contenāce qu’elle auoit mōſtree pour Flidee ſa femme dōt il deſiroit ſcauoir la verité, lui disāt ſi elle eſt impudique, ce vous ſera honneur ſi i’en fay iuſtice, ou que la faciez ſous mō authorité, en quelque ſorte qu’elle reuſſiſſe, mais ſi elle eſt telle que ie la croy, ce vo° ſera & à elle, vne gloire eternelle, & vne bride à la bouche des inſolentes ames. Tinnonce fut preſt à tout ce que l’Empereur vouloit, ne diſant pas ce qu’il penſoit, car touſ iours le ſoupçon chet plus vers le mal que la bōne penſee vers le biē. Tout accordé, l’Empereur māde à Flidee qu’elle le veint voir : ſitoſt qu’elle fut au palais Tinnonce alla en ſa maiſon, preparer ce que l’Empereur lui auoit cōmandé. Au bout du cabinet de Flidee, y auoit vne allee eſtroitte dans l’eſpoiſſeur de la muraille, par où on alloit à la chappelle, en vn petit endroit aſſez recelé, du quel on voyoit à bas ce qui ſ’y faiſoit, & de là par vne petite eſchelle qui ſe ioignoit cōtre la paroy on pouuoit deſcēdre à bas : ce gentilhōme ſeul viſita tout aſſez diligēment, & vid ceſte petite eſchelle entee dās le mur, & retenue par le moyen d’vn petit verrouil & vn petit cadenas, il remit en ſon ordre tout & ſ’en retourna, ne laiſſant aucune apparence d’y auoir eſté. Retourné, il trouua encores Flidee aupres de l’Empereur, vn peu apres elle prit cōgé. La nuict venuë l’Empereur ſortit auec Tinnonce, afin d’eſtre apres minuict au lieu deſigné, où ils ne faillirēt pas, il y auoit plus d’vn cart d’heure que Flidee eſtoit entree en ſon cabinet ſelon la couſtume : Elle ne demandoit point ſi ſon mari eſtoit venu ou non, elle ſçauoit qu’il eſtoit le maiſtre, & elle à qui il ne contrediſoit point, viuoit à ſa maniere accouſtumee. Eſtans là l’Empereur & le mari, ils fermerent la porte ſur eux, & doucement ouurirent le cabinet & ſuiuāt la trace recognue, allerent tant que le ſentier les peut porter, & par vne fauſſe grille regarderent en bas & virēt la Dame a genoux liſant dans vn liure de prieres, ils ſ’opiniaſtrerēt, encor qu’il leur ennuyat pour voir ce qui auiendroit, & eurēt patience tāt qu’elle eut fini, alors elle ſerra ſon liure ſe leua coyemēt & ſ’en retourna coucher, le mari ſans faire ſemblant veint à la chambre, & parla à elle, puis ainſi qu’ils eſtoiēt venus, l’Empereur & lui ſ’en retournerent contans & ioyeux de ceſte belle verité.

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DESSEIN VINGTIESME.


L’Empereur fait venir à luy ſa fille Lofni & parle à elle auſſi elle luy reſpond ſagement. L’Empereur conſideroit la figure, & ſur ſon geſte il eſlargit Lofnis & la mit en vne tour plus agreable.



TOutes ces differentes affaires, ces diuerſitez inopinees, & beaux eſſais, deſtournoyent vn peu l’Empereur. Mais l’amour ne laiſſoit pourtant devenir aux remiſes & l’affliger, tant il a de pouoir ſur les cœurs de ſa domination : Les perfections d’Etherine, ſes belles graces & l’excellence promiſe à l’vnion de ce parfait obiet, perdoit l’ame de cet amant, qui ſe reſouuenant de ſon indiſcretiō, reſſent les pointes de ſon ennuy trop plus violentes, & ce qui le tue eſt, qu’il poſſedoit ſon bien, & il ne l’a pas cognu, toutesfois il ſe conſole par eſpoir ſur le retour de la ſage Lycambe qu’il attend, & en ceſte attente poiſant le malheur de tous les autres, au poix du ſien il ſe ſouuient de ſa fille la deſolee Lofnis, miſerablement encloſe en la tour determinee, & puis il ſe repreſente la perte de la Fee, que ſa iuſtice & promptitude lui a arrachee de la main, auſſi bruſquement que ſa fureur a perdu les Fortunez : Il eſt en vn trouble tant eſpois, qu’il ne ſe peut reſoudre, & n’a preſque plus de finale eſperance, & ſans l’aſſeurance qu’il a en Lycambe, il ſe determineroit à perir. C’eſt la repriſe de ſes diſcours : il ſ’auiſe d’auoir pitié de ſa fille, où bien de la punir, afin qu’il n’y ſonge plus, & penſant à ſa figure en veut voir l’effect ſur elle : il enuoya donc querir Lofnis, qui venue deuant luy ſe ietta à ſes pieds, le ſuppliant d’auoir pitié d’elle, il lui dit, Lofnis, la faute que vous auez cōmiſe eſt ſi grande & excede tant toute autre eſpece de preuarication, qu’elle vous fait meriter vne punition notable & extreme, mais ie n’ay pas voulu m’exercer ſur voſtre meffet, vous chaſtiant en Prince offencé, mais comme pere fimplement faſché de voſtre inſolence, qui eſt poſſible eut eſté pardonnable ſi en voſtre machination il n’y fut allé que de voſtre particulier intereſt. Quoy ? mon ſeptre, mon honneur, mon eſtat, & ma vie, eſtans expoſez au dernier hazard par voſtre miniſtere, y auroit-il moyen que vous peuſſiez obtenir pardon ? Il n’y a pas aparēce : & toutesfois ie vous en veux faire reſſentir quelque eſtincelle : Et pource auſſi affin que ie m’encline de tant plus à vous demonſtrer ma clemence, confeſſez moy la verité de l’entrepriſe des Fortunez, & quelle conſpiration vous auiez faicte, declarez le moy nuemēt ſans crainte & ſans fard. Et ie vo° promets de ne paſſer plus outre, a plus grande punition vers vous, deſcouurez moy auſſi l’ordre & le moyen que vous deuiez tenir à l’effet de voſtre coniuration, & comment ils ſe deuoient emparer de ma couronne, i’ay ſceu vne partie de ce qui en eſt, parquoy ie les ay punis, non ſelon leur merite, mais en ma debonnaireté. Lofnis monſieur tout ce qui m’eſt auenu par voſtre commandement, m’eſt ſupportable, pour ce ie croy que vous vous y eſtes comporté ſelon voſtre equité, par laquelle vous rendez iuſtice aux eſtrangers, & aux voſtres, auſquels ſur tout à moy, ie ſçay que voſtre miſericorde s’eſtēd liberalement ; ie ſuis indigne de me preſenter deuāt vos yeux, & toutesfois ie ſuis voſtre tres-humble fille, qui ay ſans ceſſe mis peine de viure auec toute la reuerēce que ie vo° doy, ie vous inuoque à croire ceſte verité, que c’eſt de voſtre bouche & ſeulemēt à ceſte heure, que i’ay ouy ces premieres nouuelles d’entrepriſe tēdāt à trahisō, ou cōiuratiō qui ait eſté braſſee par mon moyē ou mō ſçeu, & i’eſpere que vous croirez que ce quelon vous a fait entendre, ſauf l’honneur que ie doy à voſtre Maieſté, eſt vne pure calomnie, & vn crime fauſſement impoſé à des innocens, maudites ſoient les langues qui ont oſé proferer ce mensōge à vos oreilles : car ie vous proteſte, & eſt vray, que ie n’ay recogneu aux Fortunez que tout deſir de vous faire treſ-humble & fidele ſeruice, à quoy ils s’efforcoient, ne meditans autre choſe, c’eſt ce que ie leur ay touſiours ouy dire, & n’auons eu autre entrepriſe enſemble, que le ſoin de vous ſeruir, à quoy de mon pouuoir ie les excitois, leur monſtrant pour ceſte cauſe toutes les faueurs qu’il m’eſtoit poſſible. Bien vous diray-ie la faute que i’ay commiſe la confeſſant pour faute ſi telle elle eſt, & vous requiers en toute humilité ne me l’imputer à meſchanceté, d’autant que il n’y en a point en ce que i’ay faict, auſſi ay-ie le cœur net, n’ayant tranſgreſſé, qu’en ſuiuant les petites familiaritez que nous practiquons à la Court auec honneur, ſuiuant les couſtumes qui eſtoient en vigueur durant la vie de feu l’Imperatrice Madame ma mere. Me trouuant ſouuent à la fontaine auec la Fee complice vnique de mes deportemens en ce fait, & quelques autres Dames où voſtre plaiſir vous amenoit quelquesfois, nous voyons les Fortunez, dont nous auions fait cas à cauſe de l’eſtime que vous en faiſiez, & puis nous les aymaſmes d’auantage pour leurs merites, ſelon leſquels nous euſmes opinion de leur valeur, & en fin voyans que vous les affectionniez, nous en fiſmes plus d’eſtat : ſi que les cognoiſſans fort accomplis, nous les aymaſmes, & en ceſte humeur ie pris plaiſir à entretenir Fonſteland, qui plus que les autres me monſtroit de l’affection, ſe delectant à me ſeruir, & és parties de gentilleſſe que voſtre Maieſté aduoiioit, il paroiſſoit ſur tous pour l’amour de moy : parquoy à ſa requeſte, & ſelon nos agreables couſtumes, ie le receu pour mon Cheualier, le gratifiant de ceſt honneur pour le ſtimuler de plus en plus à voſtre ſeruice, qui eſtoit ma ſeule pretention, iuſques à ce que les affaires en determinaſſent autrement par voſtre volonté, & puis pour refpect quelconque, ie ne m’affectionnerois aucunemēt de ce qui ne ſeroit de ma qualité. En ceſte frquentation qui nous eſtoit permiſe & ordinaire, ie paſſois quelques heures de recreation, & meſme la derniere fois que ie vy les Fortunez, ce fut à la ſuaſion de ma couſine Epinoyſe, qui nous preſſa extremement de nous aſſembler au petit iardin que vous m’auez donné, & là ie me proumené auec Fonſteland tandis que la Fee & les autres eſtoient ſous le iaſmin, s’il vous plaiſt luy demander, elle le dira. Et elle qui eſt induſtrieuſe, inuenta vn ieu comme ſouuent, afin que i’euſſe le contentement d’entretenir longtemps ce bel eſprit. Et c’eſt la plus grande familiarité que i’eus, oncques auec luy, & eſt toute l’affaire & toutes les practiques que nous auons enſemble : Et s’il y a autre peché en moy, & ſi i’ay penſé contre l’hōneur, & ſi i’ay ouy propoſer choſe preiudiciable à voſtre ſeruice, ie deſire que la vie me ſoit incōmodité, voſtre grace me ſoit ruine, & que la lumiere me ſoit tournee en horreur & tenebres. Et vous demandant congé d’en iurer, ie vous iure ſur mon ame, en la fidelité que ie vous doy, que ie ſuis innocente, hors-mis en ce que ie vous vié de deſcouurir & confeſſer de la grace permiſe à ce gentilhomme, en quoy ie n’ay rien commis qui puiſſe troubler les moindres de vos penſees ou affaires. L’Empereur eſcoutoit ſa fille, & conſideroit attentiuement la figure de verité, qui perſiſtoit conſtante, dont il ſe trouua en vne perplexité aſſez difficile, & ruminoit les troubles de sō entendement auec des fantaſies tant ineſgales, que preſque ſa reſolution s’eſcouloit. En ceſte neceſſité pour ne paroiſtre defailly de grandeur & de cōſeil, car il cognoiſſoit l’eſprit de ſa fille, il luy dit, Vous deuiez auoir plus d’eſgard à voſtre rang, & ne falloit pas vous rendre ſi familiere à des eſtranges. A cauſe de la iuſtice ie ne me puis retracter, vne autrefois ie vous oyray pour m’aſſeurer de la verité de vos paroles. Le temps, voſtre conſtance, & ma bonne fortune ameneront tout au point certain : Et afin que ie vous donne eſpoir de mieux & courage de m’en declarer d’auantage, ie ne vous renuoyeray pas en la Tour determinee, mais en celle du hault iardin de plaiſance. Ie vous commande d’y demeurer, vous defendant d’en ſortir ſans mon congé, ie ne vous donneray garde que voſtre propre innocence, ſi vous l’auez, & l’obeiſſance que vous me deuez, ie ne veux pas meſmes que vous deſcendiez au iardin, demeurez en la Tour, & au hault faictes y vos gentilleſſes, ayez là voſtre cabinet & petits meubles de plaiſir, & qu’il n’y ayt que la iardiniere qui aille à vous : ie veux bien que vous choiſiſſiez deux de vos filles, les plus propres à vous ſeruir & tenir compagnie, leſquelles par voſtre comman dementiront & viendront au iardin, mais qu’elles ſe gardent bien d’aller ſur la terraſſe, car ie ne veux pas qu’on les voye : ſi elles y vont, ie les feray punir & vous les oſteray. Aduiſez à garder ceſte loy ſur voſtre vie, car en l’obſeruation d’icelle eſt voſtre bien, en la tranſgreſſion voſtre ruine : celà dit, il la renuoya. L’Empereur ne ſe print point garde, que quand il dit à Lofnis qu’il ne ſe falloit pas rendre ſi familiere à des eſtrangers, qu’elle repartit hūblement, Les Princes ne ſont point eſtrāgers, car cōme il l’a dit, il eſtimoit qu’elle dit que les Monarques reçoiuent toutes ſortes de perſonnes non en eſtrangers, ains en ſuiets, ou amis & ſeruiteurs. La tour où Lofnis fut enuoyee eſt fort haute, & ſpacieuſe, ayant au haut, vne belle platte forme, où elle fit faire vn beau iardin : ceſte tour auoit vne belle veuë ſur les champs, & ſur le iardin du coſté du Palais, Lofnis eſtant là reſoluë d’attendre & d’obeyr, infiniment affligee de la perte des Fortunez, ne s’ē pouuoit conſoler : Elle auoit parauant penſé que l’Empereur euſt deſcouuert ſon amitié auec Fōſtelād, & que pour ce ſeul ſuiet il l’euſt deſtournee, indigné qu’elle ſe fuſt accoſtee d’vn hōme de peu, mais ayāt ouy parler de trahiſon, & de la perte de celuy qu’elle aymoit, & de ſes freres, elle fut touchee dans le plus mignon lieu du deſplaiſir, lequel deſplaiſir égale ou poſſible ſurpaſſe celuy qui ſepare l’ame du corps, & en ceſte deſplaiſance ſe reſolut de finir eſteinte par ſon dueil.

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DESSEIN VINGT-VNIESME.


La tour de l’exterminee faite par la Royne Ardeliſe. qui y extermina ceux dont elle auoit eſté offencee. Lofnis eſfant là confera auec Fonſteland par des bouquets bien faicfs. Sa reſolution auec le Fortuné.



IL n’y auoit pas long temps que Lofnis eſtoit en ſa retraicte, que Fonſteland arriua en habit : & viſage deſguiſé, & comme gentil petit mercier vint ſeloger aux faux-bourgs de la ville, ſur la ruë par laquelle on alloit au iardin, & où il penſoit auoir des nouuelles de Lofnis, & luy vint à propos prenant l’vn pour l’autre ſans y penſer, ioinct que ſon frere luy auoit dict, que Lofnis eſtoit en la tour du iardin, nommant la tour determinee, & il entendit la tour de l’exterminee, ainſi eſtoit nommee la tour où Lofnis fut renuoyee : Ceſte tour fut baſtie par vne Royne de Sicile, qui vint en Glindicee, & par ſa ſcience y attira tous ſes ennemis qui y furent exterminez & elle auſſi : Ce qu’elle fit expres, afin qu’elle euſt le plaiſir de voir perir ceux qui l’auoient ennuyee, ce qu’eſtant auenu & elle conſolee, ſon ame ſe retira toute ſatisfaicte. Ceſte Dame eſtoit labelle Ardeliſe, qui demeurant heritiere de Sicile fut recherchee de pluſieurs Roys, qu’elle refuſa, pource qu’elle dédaignoit la domination d’vn homme, en ce dédain elle s’addonna aux ſciences, & pour y vacquer à plaiſir & loiſir, elle inſtitua vn vice-Roy en ſes terres & Seigneuries, qu’elle y laifla, & vint en France voir les Druydes, dont il y a encores quelques reſtes. Elle apprint d’eux infinis ſecrets, où elle prenoir tant de plaiſir, que la pluſpart du temps elle ne bougeoit de ſon cabinet, s’y entre tenant auec vne lieſſe extreme. Les langues malignes en parlerent impudiquement, & ſi auant à cauſe de ſa hantiſe familiere auec quelques galās Philoſophes, que le bruict qui en fut faict de uint le conte des iaſeurs, ce qui alla à telle conſequēce, queles plus grands s’en dōnoient des gorges chaudes, & iouoiēt par riſees de ſon honneur cōme d’vne ballotte cōmune, Le Roy qui eſtoit iuſte & deſiroit ſçauoir la verité prit Ardeliſe à temps & lieu propre, & luy dit le bruit qui courroit d’elle, dont elle ſe iuſtifia fort bien, & de telle ſorte que le Roy creut qu’elle eſtoit innocente, & que lon la calomnioit. Elle qui auoit du cœur ne voulut pas laiſſer celà impuni, parquoy elle demanda iuſtice, & y employa biens & credit, mais elle ne peut rien obtenir, à cauſe que les grands s’entreſouſtenoiët, & par prieres on amortit l’affaire le plus qu’il fut poſſible, & n’y eut que quelques petits malheureux qui furent legerement chaſtiez. Mais elle ne ſe contēta pas, ſi que trop irritee, pour venir à bout de ſon intention ſe retira de Frāce & vint en Glind1cee, où elle fut fort bien receuë de l’Empereur de ce temps là, que partout on nommoit le Magnifique, meſmes il la voulut gratifier de ſon aliance, ſi elle euſt voulu : Elle le remercia, luy faiſant entendre que ſes conceptions la tiroient à quelques effects qui l’en deſtournoient : cependant elle luy fit preſent d’vn treſor ſignalé, & pour tout ne le requit que d’vn don, qu’il luy accorda. Ce fut qu’elle euſt la place de ceſte tour, qu’elle y fiſt baſtir d’vne bonne eſtoffe, & ſi promptement, que la merueille en parut preſque pluſtoſt que le deſſein n’en fut divulgué : Eſtant là à ſon plaiſir, & y paſſant le temps à ſon gré, elle y faifoit accueil à toutes ſortes de gens d’eſprit, tant du pays que d’eſtrangers, meſmes ſouuent l’Empereur la viſitoit, treſ-content d’vne hoſteſſe tant excellente. Or s’eſtant accommodee de tout ce qui luy eſtoit neceſſaire, elle fit vn traict ſurmontant toute opinion, car par vne force non cogneue aux mortels, elle fit ſi bien, & auec tel art, que tous ſes ennemis vn à vn la vindrent viſiter, ce contentement luy eſtoit grand de voir ſes aduerſaires auec grands fraiz & peines la venir trouuer, elle les logeoit tous en la ville, & les retenoit ſans qu’ils euſſent enuie de s’en retourner, quand elle les eut tous aſſemblez, elle leur fit voir l’honneur que l’Empereur luy rendoit, leur donna le plaiſir des beaux lieux du pays, & leur fit entendre ſa pieté particuliere, puis les fit tous venir à vn banquet qu’elle leur auoit preparé en la tour : Apres lequel elle leur fit vne harangue, par laquelle elle leur remonſtra leur impieté, ayant meſchamment & ſans cauſe mal parlé d’elle, & d’infinies Dames, & en les tançant leur dit qu’il falloit qu’ils ſe reſoluſſent de ſentir en eux-meſmes le mal que cauſe la dent enuenimee : ce diſant elle ietta vn bouquet ſur la table, & dit, Voila le guerdon du plus iuſte : puis elle ſortit & ferma la chambre ſur eux, il eſt à preſumer que ce fut à qui auroit le bouquet, mais la fin a eſté comme il a paru par les marques qu’ils s’entrefirent auec les dents les vns les autres, en tant de parties de leurs corps, qu’elles en eſtoient deffectueuſes, & de la douleur qu’ils ſentirent, ils monterent au hault de la tour, dont ils ſe precipiterent en bas & moururent, & ainſi furent exterminez, & auec telle marque de malheur, qu’au lieu où ils tomberent ne croiſt herbe quelcōque, & la terre y eſt comme vn ſable vitrifié. Ardeliſe vengee, acheua ſes iours dans la tour, dont depuis elle ne bougea, ſon corps y fut enſeueli par ſes filles, & y eſt sās que lō ſçache l’ēdroit, & dit-on que qui le trouuera, rentontrera vn threſor ineſtimable. Fonſteland donc vint & s’arreſta en ce quartier là pour taſcher à ſçauoir des nouuelles de Lofnis : Car ayant ſceu ſuyuant l’artifice de Lycambe, ce qui s’eſtoit paſſé, luy ny ſes freres ne vouloient rien tenter ſans aduertir la Princeſſe, ou ſçauoir ſa volōté : S’ils euſſent voulu faire la guerre pour la deliurance de la Dame accuſee à tort, ils auoiét Royaumes & gens à leur cōmandement, mais ils ne vouloient rien faire, ny entreprendre qu’elle n’en eut cognoiſſance, & n’en determinaſt. Vn iour que ce marchand auoit eſtallé pluſieurs petites gentilleſſes la iardiniere paſſa par là & marchanda quelques petites ceintures, le marchand la langaya, & ſçeut qui elle eſtoit, parquoy il luy fit bon marché de ſes babioles, & luy en monſtra encor d’autres, & entre celles là des bouquets de fleurs contrefaites, la iardiniere les voyant ſi beaux, luy demanda qui les auoit faits, il reſpond que c’eſtoit luy meſme, & qu’il en feroit bien encor de plus beaux, & de vrayes fleurs ſi elle luy en vouloit apporter, ils eurent pluſieurs petits propos enſemble, tellement que depuis la iardiniere prenoit plaiſir de aller ſouuent le voir. Vn matin elle alla trouuer le marchant & luy dit qu’elle auoit quelque choſe de ſecret à luy dire, & il luy reſpondit qu’elle pouuoit librement & ſecrettement luy communiquer tout ce qu’elle voudroit. La iardiniere. Ie ſuis en vne grand’peine dont vous pouuez m’oſter, s’il vous plaiſt, & croyez que ie le recognoiſtray, il y a vne femme de la ville qui veut eſtre en ma place, & fait ce qu’elle peut pour y eſtre, & elle en a tant faict parler, que l’Empereur le veut bien, & l’a commandé à ſa fille, qui eſt la pauure Lofnis priſonniere en la tour : Et pource qu’il y a long temps que ie la ſers, elle ne deſire pas que ie ſorte, parquoy elle a tāt fait que l’Empereur a ordonné, que celle qui feroit mieux en bouquets d’elle ou de moy, ſeroit iardiniere pour tout le reſte de ſa vie. Le marchand. Aportez moy des fleurs & vn bouquet qu’aura fait voſtre aduerſaire, & ie feray quelque choſe pour vous. La iardin. Madame ſera iuge des bouquets ſans ſçauoir qui les aura faits, & il y aura vne Demoiſelle qui les prendra ſur vne table d’ardoiſe, & les luv portera. Le mar. Mais ne me ſçauriez-vous donner vn bouquet de l’autre La iardin. Si feray bien, car nous en faiſons deux, & ie luy en bailleray vn des miens, & elle me baillera vn des ſiens, & les deux autres ſeront pour eſtre iugés, & ie vous apporteray tantoſt celuy qu’elle me baillera ou enuoyera, car i’ay baillé deſia le mien à ſon fils dés ce matin, & demain i’expoſeray l’autre. La iardiniere s’ē alla en ſa maiſon & trouua le fils de l’autre qui luy apportoit le bouquet, qui à dire vray eſtoit bien faict : Elle le prit, & ſi toſt que le compagnon s’en fut allé. elle vint trouuer le marchand, le priant qu’elle eut le ſien du matin. Le lendemain la iardiniere vint querir le bouquet & le trouua faict d’vne bien plus habile ſorte que celuy de ſon ennemie & le ſien : Elle le poſa pour eſtre iugé. Les bouquets eſtans deuant Lofnis, elle les viſita, & ſentit en ſon cœur vn certain mouuement, pour vne marque qu’elle vid en vn des bouquets : parquoy elle les prit & dict, ie les viſiteray, puis i’en diray mon aduis tantoſt. Elle entra en ſon cabinet, & viſitant le bouquet dont elle ſe doutoit, en oſta quelques fleurs ſuperflues, & ſurſemees, puis elle vid ſon pourtraict naifuement, faict és agencemens des fleurs, celà eſtoit faict ſelon vn artifice qui n’eſtoit commun qu’à elle & à Fonſteland, qu’il luy en auoit donné l’enuie, & l’auoit depuis ſi bien practiqué, qu’elle y eſtoit auſſi experte que luy : cela fit qu’elle ſe douta de quelque bien, & que ſon Fortuné n’eſtoit gueres loin, apres auoir remis les fleurs elle enuoya les bouquets à l’Empereur, qui auec le iugement de Lofnis ordonna que celle de qui eſtoit le bouquet marqueté fuſt iardiniere : Et il ſe trouua que c’eſtoit celuy de l’ordinaire, qui fut cōtinuee, dequoi ioyeuſe elle vint à Lofnis, afin auſſi de luy demāder confirmatiō, & s’il luy eſtoit agreable, car ainſi l’auoit dit l’Empereur : Lofnis dit à la iardiniere qu’elle luy baillaſt ſon bouquet, ce qu’elle fit, & puis adiouſta qu’elle deſiroit en veoir encor, & qu’elle ne la receuroit† ſi elle ne luy en fai ſoit vn qui fut mieux faict qu’vn qu’elle feroit, & que pour ceſt effet elle luy apportaſt des fleurs. La iardiniere ſe fiant au marchand, apporta des fleurs à Lofnis, laquelle fit vn bouquet, & le bailla à ceſte femme qui alla auſſi toſt à ſon marchād : quand il le vid il fut aſſeuré : Amans qui auez gouſté de telles delices és fleurs de vos affectiōs, iugez de ſon contentemēt, & conſiderant la douce ioye de ſon ame, ayez à gré qu’il ſe conſole de ceſte bōne aduāture. Il oſta cinq roſes & vid le pourtraict de Fonſteland, auec ce plaiſir il aſſembla les fleurs & fit vn bouquet, où le pourtrait des deux eſtoiēt en moins de place, puis le matin il le bailla à la iardiniere, qui le preſenta à Lofnis, laquelle le tenant à part ſoy, oſta les vnze fleurs inutiles, & vid les deux pourtraicts qui l’aſſeurerent de ce qu’elle penſoit : Elle appella la iardiniere, & luy dit qu’elle la confirmoit à la charge d’vn bouquet qu’elle feroit encores, apres vn de ſa façon : celà fut bien aiſé à accorder. Lofnis ayant des fleurs fit ſon bouquet qu’elle bailla à la iardiniere, qui eut ſon recours au marchand, qui le voyant en ſon parti culier apresauoir oſté les fleurs du different, vid la figure de la tour & ſa maiſtreſſè au haut. Il repara le meſme bouquet, & ayant appliqué le deſguiſement le bailla le lendemain à la iardiniere, qui l’apporta à Lofnis, laquelle le prit, & loüa fort l’induſtrie de la iardiniere, qui fut fort aiſe d’eſtre aux graces de ſa maiſtreſſe. La Princeſſe eſtant en ſon cabinet, leua les fleurs ſuppoſees, ſous l’vne deſquelles elle trouua ceſte lettre.

Ma Princeſſe, mon vnique vie, a deploré la miſere ou vous eſtes à noſtre occaſion ſans que nous en ſoyons cauſe, & toutesfois ie me conſole en ceſte affliction, eſperant que le ciel aura pitié de noſtre ſouffrance, ie m’aſſeure deſia puis que i’ay l’heure de pouuoir entendre voſtre volonté, & que ie cognoy que vous n’auez pas mis en oubly celuy qui ne reſpire autre bien que l’heur de voſtre contentement, vous ſcaurez que ce qui s’eſt paſſé de mal contre nous a eſté par l’artifice de la Fee Epinoyſe, laquelle eſt au iourd’huy entre nos mains, pour receuoir telle punition que vous voudrez, & ſommes deliberez de mettre ordre à vos affaires ſelon qu’il vous plaira : aduiſez s’il vous ſera agreable, que nous uenions icy auec forces pour uous deliurer, ou ſi nous choiſirös autre voye, d’autant que no9 ne ferons que ce que vous deſirerez : penſez doncques à nous donner le commandement de ce que vous auez deliberé. Cepēdant uous que mon cœur honore comme l’unique eſperance qui me tient en eſtat, fauoriſez voſtre deuot, de la belle memoire que vous luy auez faict paroiſtre ces iours paſſez par les beaux caracteres que uos doigts mignon en ont tracés. Bon ſoir Belle de mō cœur, aſtre de mon bien, & terme de ma gloire.

Au bas de la lettre y auoit, Mettez la reſponſe en une pierre verte qui tiendra à vne fſcelle que laiſſerez couler doucemēt au pied de la tour à ce ſoir, & ie la recueilleray, & au lieu ie mettray nos aduis.

Lofnis ayant veu ceſte lettre fut fort contente, & la liſant & reliſant, aprenoit vne auanture que elle n’euſt iamais penſee ; auſſi estoit elle merueilleuſement eſtonnee de ce que la Fee n’auoit tenu aucun conte d’elle : il eſt vray qu’elle péſoit par fois que l’Empereur le vouloit ainſi, mais oresqu’elle void clair aux affaires, elle s’aſſeure & change les deſſeins qu’elle auoit premeditez pour ſa deliurance, & ſur ſa reſolution fit ceſte reſponſe.

Le deuoir que vous m’auez fait paroiſtre me continue la certitude de voſtre affection vertueuſe & veritable, que vous trouuerez touſîours reciproque en moy, & d’autant que ie ſcay bien que vos paroles s’eſgalent à la verité, ie m’aſſeure que vous ferez ce que me promettez : parquoy ie vous prie par le plus agreable de vos deſirs, que vous faciez auec l’Empereur en ſorte qu’il ſoit repentant de noſtre mal, & content en ſon affaire, ſans qu’il courre fortune, que la douceur ſoit voſtre force, l’humilité voſtre entree, & le bien que vous me voulez ſoit la cauſe, qu’oubliant voſtre ennuy vous procuriez ſa commodité. Quand le temps & l’honneur le commanderont, ie vous rendray preuue certaine de l’amitié que ie vous doy : aduiſez donc à paruenir à quelque belle fin, au contentement de nous tous, à ce qu’ayans du plaiſir d’vne ſorte, ie ne reſſente aucune diſgrace de l’autre, mais toute lieſſe par voſtre moyen, ce qui me redondera à perfection de felicité, pource que ie ne fay eſtat d’autre bon-heur que de celuy qui vous eſt preparé.

Fonſteland ne faillit à faire reſponſe, auſſi Lofnis donna ordre de la pouuoir tirer, & ainſi ils communiquerent par mutuels eſcrits, conferans de leurs affaires, & comment ils ſe gouuerneroient, & auec aſſeurance reciproque il partit pour aller trouuer ſes freres, prenant congé de ſa Dame qu’il laiſſa en meilleure eſperance.

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DESSEIN VINGTDEVXIESME.


Lycambe parle des Fortunez à l’Empereur, & apres pluſieurs conſeils & eſpreuues il conſent au vouloir de la vieille. Dés l’heure il mit Lofnu en liberté. Les Fortunez vindrent au temps promis, & l’Empereur les reçoit amiablement. Le voyage à l’hermitage d’honneur eſt conclud.


LEs Fortunez ayans aduiſé à ce qu’ils auoient conclud, vindrent à Belon, eſtans deſguiſez ſelon les perſonnages qu’ils vouloient repreſenter. En ceſte ſorte Lycambe ſe vint preſenter à l’Empereur, mais auec obſeruation exacte de n’y venir qu’au iour que la belle figure ne decelloit rien. Eſtant pres de ſa Maieſté, elle luy dit, qu’elle auoit vn ſecret de conſequence à luy cōmuniquer, ſur ce qu’elle luy auoit promis, Sire, dit-elle, il faut qu’en toutes nos actions, nous taſchions à faire ſi bien, qu’il ne demeure rien en arriere pour le ſuccez entrepris, & pource en affaire il conuient mettre tout ſur le tablier. Quand ie vous auray monſtré le moyen de vous rendre cōtent, vous meſmes, & que vous ſerez preſt à l’effectuer, s’il vous ſuruient vne diſgrace, vous m’eſtimerez trompeuſe, & que ie n’auray voulu que gaigner le temps. Ce que ie vous dy eſt pource qu’à ceſte heure ie ſçay fort bien l’ordre qu’il faut tenir pour la paix de voſtre eſprit touchant Etherine, mais ie ſçay que l’on vous prepare vne grande affaire, ſi vous n’y prenez garde, vous auez eu icy aupres de vous trois freres dits les Fortunez, leſquels vous auez à tort mal menez, il y en a deux qui ſe ſont eſchappez, & ont fait auec leurs amis de Sobare, & Quimalee, & autres Royaumes telle alliance, moyennant la deſcouuerture qu’ils ont faicte d’vn pays riche, & de grāde eſtendue & facile à cōquerir, dont ils les recōpenſeront, qu’ils mettrōt vne armee fort grande pour aller à ceſte cóqueſte, ils ſont preſts, & leur deliberation eſt de moüiller l’ancre en vos coſtes, & vous venir demander leur frere, & quant & quant raiſon de la trahiſon qu’on a braſſée contre eux, ils ne pretendent rien contre voſtre perſonne, ains ſeulement contre leurs ennemis, cecy eſt preſt, il eſt vray que ſi vous voulez voir les deux Fortunez paiſiblement, & leur declarer les autheurs de leur mal, ils ſe fient tant en vous, qu’ils viendront à voſtre parole, ils de ſirent, Sire, d’eſtre ſatisfaicts, car ils ſont innocens & vos ſeruiteurs, & pour le vous faire paroiſtre, ils ſe preſenteront deuant vous en tel eſtat qu’il vous plaira, à condition que Madame voſtre fille ſoit deliuree, car elle eſt innocente : ils le ſçauent bien, Sire, car de fortune la Fee eſt tombee entre leurs mains, qui leur a confeſſé que vous eſtiez trompé par quelque flaterie qui vous auoit ſuppoſé des faucetez, ſur leſquelles vous auiez pris occaſion de perdre les Fortunez. L’Emp. Vous n’eſtes plus medecine vous eſtes conſeillere d’eſtat : Ie vous diray, ſi les Fortunez ont quelque choſe à me demander par les armes, i’ay aſſez de valeur & de force pour leur reſiſter, & rabatre leur impudēce : mais s’ils ſe veulent iuſtifier de ce dōt on les a accuſez, ie ſuis preſt de les ouyr en l’eſtat qu’ils choiſirōt. Lycambe. Sire, quād vo9 ſçaurez · tout, vous iugerez que lon leur a fait tort, & pour ce qu’ils ſont innocens, ils veulēt bié venir à vous ſur voſtre parole, afin que vous ſoyez leur iuge. Si vous ne le deſirez, ils paſſerōt outre, car vo9 ayans aymé, ils ne peuuēt que vous aymer touſiours, ils ne taſcheront point à vous offencer, ains à ruiner ceux qui les ont voulu perdre mal à propos, en vous ruinant auec eux : ſi vous les receuez, ils peuuēt vo9 faire plus de ſeruice que vous ne leur ſçauriez faire de mal. L’Emp. Vous m’auiez promis gariſon, & vous me bleſſez. Lycambe. Sire, ie vous en demande pardon, & me retire de peur de vous offencer d’auantage. L’Emp. Il n’en ſera pas ainſi, ie vous honore trop, mais parlez libremēt, & ne tenez point mon cœur en ſuſpens : On m’a ſouuent donné de telles feintes pour me reſiouyr, & ie les trouuois bonnes. A dire vray, ie croy, ſi ma fille eſt veritable, que les Fortunez ſont innocēs s’ils viuēt, s’ils ne ſont plus ils en ſont cauſe, ils deuoiēt preuoir à leur mal en preuoyāt au miē. S’ils ſont viuans, & qu’il ſoit vray qu il n’y a point de coulpe en eux, qu’ils viennent hardiment, qu’ils m’en eſclairciſſent, ie ſuis Prince de foy, ie mourrait auant que me retracter, & ie les receuray comme mes enfans, & bien-faicteurs, que s’il y a tort en eux qu’ils y aduiſent, i’ay aſſez de pouuoir pour reſiſter à tous leurs amis. Lycambe vous ne parlez plus en malade, vous dites en Empereur : Non, Sire, non laiſſez vn peu la couronne aupres de voſtre cheuet, & comme ayant affaire de moy reſoluez vous. S’il vous plaiſt que Madame vienne icy, qu’elle me iure que les Fortunez ſont innocens, & que vous me commandiez de les vous repreſenter, ie vous promets que vous les verrés, & que vous en aurés vne ioye accomplie. L’Empereur commanda qu’on enuoyaſt appeller Lofnis, & cependant il diſputoit contre Lycambe, laquelle mettoit tout le ſecours de l’Empereur en la dexterité des Fortunez. Lofnis entra deuant l’Empereur, auec les femmes du Coneſtable, du Chancelier, & quelques Princeſſes qui auoyent paſſé deuant, pour preparer l’Empereur. Eſtant venuë, on la fit vn peu attendre : d’autant que l’Empereur auoit enuoyé querir les plus ſignalez de ſa court, qui ſ’aſſemblerent, tandis qu’on alloit à la tour du iardin, & le conſeil n’eſtoit pas fini : ceſte aſſemblee fut ainſi ſoudaine, car en telles affaires il en faut faire de meſme : Quand ils furent preſens, l’Empereur parla ainſi : Ie vous ay fait icy venir, pour m’eſclaircir le cœur d’vne doute, & pour auiſer s’il eſt beſoin, à la ſeurté de mō eſtat. Vous ſçauez que i’ay eu icy n’y a gueres les Fortunez : dont vous auez peu voir la capacité, vous auez auſſi ſceu comme ie les ay traitez : la peine que ie leur ay fait porter comme à ma fille, n’a donné peur à aucun, ſi que depuis ie n’ay peu ſçauoir ny entendre qui ſont leurs complices : Ie vous diray ſ’il y a quelqu’vn qui ait intelligence auec eux, qu’il le die, & ie luy pardonne, dés ceſte heure, que s’il craint qu’il ſe retire, ie ne le feray point pourſuiure. Ceux qui en ſcauront quelque choſe, qu’ils le diſent & iy mettray ordre leur pardonnant. Tous les aſſiſtans iurerent n’en auoir iamais ouy parler, & de fait qu’ils ne ſcauoyent que c’eſtoit, & que par tout l’Empire il n’en eſtoit point de mention, & que l’on croyoit que l’abſence des Fortunez eſtoit pour quelque galantiſe au ſoulas de l’Empereur. Apres cela, Lofnis fut introduite, laquelle ſ’alla ietter aux pieds de l’Empereur qui ſe ſouuenoit de la preuue de la figure de verité, parquoy auec cela, adiouſtant foy à ce que ces ſeigneurs auoyent dit, & ſon cœur le iugeant, pource qu’il ſ’inclinoit vers les Fortunez à cauſe d’Etherine, il fit leuer ſa fille, & l’embraſſant auec vn paternel baiſer luy dit. Ma fille, tu fay vrayement bien paroiſtre que tu es de ceſte viue ſouche, dont nous ſommes yſſus, ayant paru obeiſſante & patiente : or bien ma mignonne ce mal eſt paſſé, ie vous recompenſeray quelque iour, pour l’ennuy que ie vous ay donné, ce pendant retournez en la liberté ou vous eſtiez parauant, & viuez ainſi que l’auiez accouſtumé. Puis ſe tournant vers Lycambe luy dit, Vous voyez le pouuoir que vous auez ſur moy, ie croy ce que vous voulez, allez vous enquerir de ma fille, & puis faites tout ce qu’il vous ſemblera bon ; ourueu que le tout tende à ma ſanté. Lycambe fut voir Lofnis en ſa chambre, & eurent enſemble beaucoup de propos, & tels qu’ils voulurent, ſans que pourtant Lycambe ſe deſcouurit à elle, apres ces diſcours elle reuint trouuer l’Empereur, auquel elle promit que les Fortunez viendroyent le voir dans le cinquieſme iour, & auec ceſte promeſſe ſortit de deuant l’Empereur, lequel incontinant aſſembla la conſeil & leur propoſa ce qu’il peut, pour taſcher à deſcouurir ce qui eſtoit de la machination, & il n’en ouit que choſes toutes au contraire, meſme ceux dont il ſ’aſſeuroit le plus, & qui luy eſtoyent tres-fideles, eſtoyent ceux qui regrettoyent plus l’abſence, & le mal des Fortunez. Partant l’Empereur ordonna que les Fortunez fuſſent reçeus auec honneur, meſmes recommanda à Lofnis d’en faire la reception : Chacun de la Court en fut aiſe, & à l’aparence l’Empereur iugeoit de l’innocence des accuſez : toutesfois le mercredy au matin ayant diſpoſé ſa figure & la bague, il enuoya querir tous les ſeigneurs, & ayant encores parlé de l’affaire qui ſe preſentoit leur demanda leurs aduis : il n’y eut aucun qui n’en dit ſelon ſon cœur : auſſi la figure fut conſtante. Ce qui aſſeu ra tant l’Empereur, qu’il euſt voulu deſia tenir les Fortunez, & diſoit, Eſt-il poſſible qu’ils ſoient encor mortels, quelque bon ange les auroit-il tirez de la mort où ie les ay enuoyez ? Ha ! pauurets, ſi iamais ie vous reuoy, ie repareray la bleſſeure faicte à voſtre innocence, & de ſorte que vous m’en deurez de reſte.

Au temps que Lycambe auoit promis les Fortunez arriuerēt, & Lofnis preparee vint au deuāt d’eux qu’elle receut auec ioye & lieſſe approchant de l’excés, accompagnant ſon plaiſir de toutes les ceremonies courtoiſes dont on gratifie ceux auſquels on veut du bien, & qu’on deſire honorer, & en conuoy magnifique, amena ces perſonnages deſirez à l’Empereur, lequel les embraſſant & receuant, & les voyant tous trois : Or dit-il, & lequel eſt-ce qui deffailloit pour lequel recouurer, il deuoit venir vne ſi grande armee ? Ils dirent, c’eſt celuy, Sire, qui en voudroit auoir douze, voire infinies pour voſtre ſeruice : ce diſans & à genoux, voulurent continuer quand l’Empereur les fit leuer, à ſon reiteré commandement ils ſe leuerent, & l’aiſné pour tous dit, Sire, nous ſommes venus icy vous apporter nos teſtes, leſquelles eſtans coulpables, vous ſatisferont à voſtre plaiſir : mais auſſi eſtans innocentes, ſont venus ſ’offrir à voſtre Majeſté pour auoir ceſte gloire, de vous auoir ſerui : Nous ſommes vos ſeruiteurs tres-humbles, qui n’auons iamais rien attenté, ioint que ſi cela eut eſté il y eut paru car de pauures eſtrangers ne peuuent rien faire, s’ils ne ſont pouſſez & aydez par d’autres. Si nous ſommes coulpables, Sire, que nos accuſateurs paroiſſent, & qu’eſtans confus deuant vous, nous ſoyons chaſtiez, & ſ’il ſe trouue que nous ſoyons innocens, comme il eſt vray, que nous ſoyons reſtablis à voſtre ſeruice, ou qu’il vous plaiſe nous donner vn honneſte congé, qui nous ſeruira de teſmoin de l’integrité de nos comportemens. L’Emperevr. Mes enfans vous eſtes les bien-venus, & ſ’il y a quelqu’vn qui y contrediſe, qu’il ſe preſente, ie vous en feray raiſon, ie ne veux point à ceſte heure vous traitter comme eſtrangers, mais ainſi que ſi vous m’aparteniés : viuez en la ſorte que vous auez fait au paſſé, & diſpoſez de tout. Auec ces paroles il les receut, auec grande demonſtration d’amitié & de reconciliation, les proteſtations de contentement, les excuſes, les promeſſes, & telles ouuertures de courage ſont eſcrites dans les beaux cœurs, qui le ſçauent proportionner à l’egal de leur alegreſſe, quand telles ou ſemblables affaires leur ſuruiennent. L’Empereur ne voyant point la vieille Lycambe la demanda, Viuarambe luy dit que comme ils venoyent, vn meſſager l’eſtoit venu querir en diligence, pour aller chez elle voir ſon mary qui ſe mouroit, lequel poſſible elle ne trouueroit que difficilement en vie : l’Empereur ſe contenta, eſtant aſſez ſatiſfait de ſes Fortunez, qu’il auoit recouurez contre toute eſperance. Dés le iour meſme, les Fortunez eſclaircirent l’Empereur de tout : car la Fee s’eſtoit deſcouuerte à Lycambe, ſi qu’il fut aſſeuré de ſa fille & d’eux, il eſt vray que rien ne luy fut declaré de l’amour de Lofnis & Fonſteland, car il eut eſté queſtion de deſcouurir tout, & il n’eſtoit pas encor temps. En ceſte ioye heureuſe, pour teſmoigner ſon aiſe, l’Empereur entre autres actes galands qu’il fit effectuer, il enuoya au vaiſſeau qui auoit porté les Fortunez ésiſles de miſere, & y fit mettre le feu, à ce qu’il perit auec tout ſon equipage qu’il deteſta, puis fit raſer les deux tours où ſa fille auoit eſté priſonniere : Et ſi en ceſte humeur il eut tenu Epinoiſe, il l’eut perdue, & de fait il enuoya à la fontaine, & fit abatre le petit pauillon où elle demeuroit : & fut raſé ſi bien, qu’il n’y auoit plus d’aparence, & fit changer l’auenue à ce que ce lieu-la fut inutile, & en arriere, & pource fit faire trois petits pauillons vers la ville, auanceant dedans le parc, à ce que le lieu du logis de la Fee fut plus deſtourné & rendu inutile, comme il a depuis touſiours eſté, puis il commanda que le proces de la Fee fut fait, ce que les Fortunez empeſcherent par leur priere. Il n’eſt plus queſtion de penſer à reuenir en triſteſle, il conuient pourſuyure & acheuer nos entrepriſes. Auſſi l’Empereur qui en ce plaiſir ſent plus viuement les pointes de l’amour d’Etherine, preſſe les Fortunez d’executer ce qui eſt neceſſaire pour ſon bien, parquoy le voyage autrefois reſolu fut conclud : Et pour cet effet, il pria les Fortunez d’aller en ambaſſade, vers le Roy de Nabadonce, ils firent ſemblant de le deſirer fort, mais comme ayans ſoin de ſa perſonne, ils luy perſuaderent qu’il valloit mieux qu’ils de meuraſſent pres de luy, & qu’il enuoyat en Nabadonce le Prince de Glaſſere. Ce qu’eſtant trouué bon, il fut depeſché : ſa legation portoit que l’Empereur de Glindicee deſiroit voir les ceremonies du grand Anniuerſaire d’amour, qui auoit eſté proclamé, ſe deuoir tenir en l’hermitage d’honneur, & pource il prioit le Roy de Nabadonce ſon bon frere de l’auoir agreable. Cet Ambaſſadeur eſtant parti, les Fortunez firent leur diligence d’enuoyer par tout, donner auis de ce qui ſ’eſtoit paſſé, auertiſſant leurs amis de ſe trouuer en l’Hermitage au pluſtoſt,

pour participer au bien & plaiſir qui ſ’y trouueront. La Royne de Sobare eut lettres de ſon Fortuné qui la prioit d’amener la Fee, & de faire ainſi qu’elle l’auoit proietté. Le Roy de Quimalee fut auſſi auerti, & ſa fille de meſme, qui ſe preparerent & diligenterent à ceſte magnificence.


L'HISTOIRE


VERTITABLE


OV


LE VOYAGE DES Princes Fortunez.


ENTREPRISE SECONDE.


PREPARATION.


3 E Soleil apres pluſieurs malignitez # de temps, r'amenant les beautez du § iour, qui font eſperer que les faſ # cheries, que cauſoit l'importunité S#G2 de la mauuaiſe ſaiſon ceſſeront, ne lance point tant de lumiere, que l'Empereur de Glindicee en imagine, par les conſolations auä tageuſes qu'il reçoit, de toutes ſes delicieuſes rencontres, qui le courent à pleines ondes de fe licitez. Et ſemble que le ſurcroiſt de proſperité luy en vueille.C'eſt I'ordinaire que § mal ou le bien auienent, ils abondent en leur exqui ſe rencontre, & l'excés ſ'en remarque en la ſuite de ce qu'ils produiſent.Nous le voyons en ceſte court, & #: -

Contraste insuffis•nt NF Z43~120-14 • • Texte en sur1mpress1on

Illisibilité partielle

Reliure serrée Absence de marges intérieures f.

L'HISTOIRE

VERITABLE,

OV

LE VOYAGE DES PRINCES

FORTUNEZ.


ENTREPRISE SECONDE

PREPARATION.


E Soleil apres plusieurs malignitez de temps, r’amenant les beautez du iour, qui font esperer que les fascheries, que causoit l’importunité de la mauuaise saison cesseront, ne lance point tant de lumiere, que l'Empereur de Glindicee en imagine, par les consolations auantageuses qu'il reçoit, de toutes ses delicieuses rencontres, qui le courent à pleines ondes de felicitez. Et semble que le surcroist de propperité luy en vueille. C'est l'ordinaire que quand le mal ou le bien auiennent, ils abondent en leur exquise rencontre, & l'excès s'en remarque en la suite de ce qu'ils produisent. Nous le voyons en cette

court, & nous participions à ce bien, comme au doux ombre qui delecte les amis. Auſſi tous ces bons progrez ne nous eſtoyent qu’vne agreable figure, car rien ne nous touchoit que noſtre propre deſir, en la pointe duquel nous nous inſinuames aux belles graces des Fortunez, & nous auint vne fauorable commodité : C’eſt que l’Empereur qui prenoit cognoiſſance de tout, & qui nous auoit remarquez, & ſingulierement à cauſe du deuoir que nous rendions aux Fortunez, voulut ſçauoir qui nous eſtions. Il nous fit appeller & nous parlaſmes à ſa Majeſté, qui nous enquit de noſtre nation & condition, à quoy nous reſpondiſmes à noſtre ſeurté, & à ſon gré, que nous eſtans r’amaſſez, tant gentilshommes qu’autres, tous eſtions curieux, & meus du deſir de voir & entendre : A la verité nous ayās gouſté, il ſe monſtra en noſtre endroit, non ſeulemeent debonnaire, mais admirablemët accompli en charité : car ayant aucunement diſcerné nos deſſeins, ne nous voulut pas moleſter ou inquieter d’interrogations, mais nous ſoulager magnifiquement en la tendreur de nos entrepriſes : Il nous commāda de le ſuyure, ſans nous deſtourner pour occaſion que ce fut, nous aſſeurāt amiablement, que puis que noſtre fortune nous auoit addreſſez par ceſte voye, qu’il falloit neceſſairement continuer, & que fuſſions attentifs d’accompaigner ſes entrepriſes, ſelon leſquelles il nous reuſſiroit du bien, d’autant qu’ayant pris ce train, nous n’euſſions peu trouuer autre voye pour noſtre cōqueſte, à l’effet de laquelle il nous promit ayder & aſſiſter, à cauſe de ſon amitié vers les curieux. Ayans ceſte commodité donc nous vſaſmes le plus prudemment qu’il nous fut poſſible, , & nous façonnant à ſi glorieuſe habitude, nous euſmes cognoiſſance la plus part de ce qui ſe paſſoit, Meſmes le Sage qui preſidoit au conſeil de l’Empereur, fut noſtre amy : ce qu’il me manifeſta particulierement, me communiquant vne admirable inuention de cabinet, qu’il auoit propoſee à ſa Majeſté, & que les Fortunez approuuerent, d’autant que c’eſtoit touſiours adiouſter moyen ſur moyen pour diuertir l’Empereur, & le confirmer en la gaye pēſee de ſa ioye future, car tandis que les preparatifs ſe faiſoyent, il le falloit entretenir de ce qui conuenoit à ſon eſprit : Et puis ces grandes ames capables de tant de ſujets, cognoiſſans tant d’affaires, ambraſſans tant de deſſeins, & ſuſceptibles de continuels obiets, & de notable merite, ne peuuët eſtre arreſtees à vn vnique, il eſt neceſſaire qu’ils en ayēt infinis, parquoy entre tels entretiens, qui tous les iours ſ’entreſuiuoyēt, ce cabinet lui fut propoſé lequel il gouſta ſagement, & ſ’eſtant eſgayé apres ceſte belle induſtrie, il determina de faire baſtir vn pauillon, au plus bel endroit du Palais de la fōtaine, pour y colloquer vn tant exquis labeur, duquel il fera vn beau preſent à Etherine à ſon retour, en ſigne de l’amour, fidelité & paſſions de leurs eſprits, qui ſe repoſe tôt en la gloire de leur mutuelle rēcōtre, laquelle deſia il retrace és mouuemēs, figures, proportions & beaux paremēs de ce rare edifice. Le voyant en ceſte excellente humeur, & qu’il auoit agreable d’eſtre entretenu de tout ce qui auoit de l’attrait à ſon plaiſir, ie lui chanté vn hymne ſur le ſujet de ſon cabinet, & prenant le temps à propos ſans quoy ce qui eſt plus auantageux en perfection deſchet de grace, ie lui fis voir & entēdre ce qui en eſtoit, & ce ſous les accords que les Fortunez en auoyent deſignez, & par la conuenance deſquels l’ame fut donnee à cet aer, dont les paroles & le chāt, fut l’occupatiō de la court vn peu plus longtemps, que les belles pointes & galantes rencontres n’ont accouſtumé, pource que chacū en vouloit iuger, & les Dames pour monſtrer la beauté de leurs entendemens en diſcouroyent. Ayēs le plaiſir d’ouir auſſi ces effets de la meditation de mon cœur qui n’imagine rien que de grand.

Ceſſés diſcours enflez des actes orgueilleux
De ceſte antiquité qui s’eſt tout fait accroire,
Periſſez auiourd’huy deſſeins audacieux
Car vn trait plus hardi ſupprime voſtre gloire,
S’eſcoule ſans humeur ce criſtal admiré *[1]
Des eſprits qui ſcauoyent diſcerner la ſcience,
Bien qu’en luy fut au vif tout l’vniuers tirè
Si n’eſt-il rien au pris de ceſte experience.
L’aſtrolabe magic ou ce grand Empereur,
Ciſela l’auenir de la grand’Republique,
N’auoit rien de ſecret, n’auoit rien de grādeur,
Au prix de l’accōpli de ce chef d’œuure vnique.
Qu’on vole dans les cieux qu’on fouille les enfers,
Que l’on raſe les mers, qu’on eſpluche la terre,
On ne trouuera rien que les ſuiets diuers
Que ce grand lieu petit abondamment enſerre :
Artifice admirable & merueilleux ſuccés
Des deſſeins d’vn eſprit releué ſur nature,

Unique cabinet, tu contiens par exces
Tout l’eſtat du creé & tout l’art de facture.
De la ſource du feu la ſemence eſt icy,
Dont le Soleil doré ce pourpris illumine,
On recognoiſt la nuict en ce ciel racourcy,
Ou la Lune en ſon cours exactement chemine.
Tous les aſtres y ſont auec leurs qualitez,
Auſſi leurs mouuemens y ont leurs influences,
Et en proportion de toutes quantitez
Ils produiſent en bas, les meſmes excellences :
Qui peut imaginer le trait ingenieux
Qui fait eſtre & mouuoir ceſte exquiſe machine,
Il eſt en l’eſchelon ou l’eſprit glorieux,
Commence à ſe porter à la gloire diuine.
Mortels nous n’auons pas encor les paſſions,
Qui pouſſent par eſlans à ſi grandes extaſes,
C’eſt aſſez d’en auoir en nos deuotions,
Contenans nos deſſeins en ſes petites baſes.
Tout ce qui eſt mauuais procede du malheur
Infus par le peché de noſtre grand enceſtre.
La terre le produit, & puis par la faueur
Du correcteur de tout le bon on en void maiſtre.
Au ſolide plancher du plan inferieur
Reſide l’excellent de ce rare edifice,
Tout ce que le bon art façonne de meilleur,
S’y trouue abōdamment, car s’en eſt la matrice.
Icy eſt en liqueur des Peres reueré
Le Royal scyllitin qui conſerue la vie,
Et le meſlange ſaint des Dames deſiré
Pour engendrer des Dieux la pudique Ermeſie.
L’œil ſera bien heureux qui aura l’heur d’y voir
Le parfait Nepentez le pere de lieſſe,
Cet abiſme de bien qui fait par ſon pouuoir,

Fuir la maladie & durer la jeuneſſe.
De tout ce que l’on peut faire operation,
Le Magiſtere y eſt, le Mercure, l’eſſence,
Le ſouffre, le lixir, la ſeparation,
Le ſel, le ſpecific, l’arcane, la ſubſtance.
Que ſert de deſigner cet œuure precieux,
Si vous ne l’animez pour ſa proche naiſſance,
Prince vnique entre ceux qui attirent les yeux
Des plus galans espris qui cerchent l’excellence.
Ce ſujet eſt ſi grand, qu’il eſt d’vn grand l’hōneur,
Excitez le, car c’eſt vn œuure de memoire,
Celuy qui l’a tracé n’en ſera que facteur,
Vous en aurez le bien, le plaiſir, & la glaire.
Les diſcours ſont petits, ie voudrois auoir l’heur
De dire vos vertus & en eſtre capable,
Ma voix iroit ſi bien auec voſtre grandeur,
Que mon diuin accent ſeroit inimitable.
Ayant pour m’exercer vn champ ſi ſpacieux,
I’y ſerois tant parfait, & ia dire ie l’oſe
Que meſme vous ſeriez de ma gloire enuieux,
Si ſeul vous n’en eſtiez & l’auteur & la cauſe.

Beaux eſprits voyez, cōſiderez, pēſez, gouſtez, & iugez, & quād vous aurez apperceu quelque bluette ou plus de ceſte verité, vous aurés regret, vo° aurés grand dueil, que ceci s’eſt paſſé en tēps que vous n’y eſtiés pas, & ſi vous eſtiés presés, vo° vo° deſpeceriés de defplaiſir de ne l’auoir pas cognu.

En ces occupations nous attendions le départ de l’Empereur, non point ſeulement à cauſe de l’honneur que nous lui deuions, ou ſeruice que lui euſſions voué ou deu, ou pource que nous luy euſſiōs de l’affection, mais principalemēt (cōme c’eſt l’ordinaire des ſuyuans) pour noſtre propre commodité. Car rien ne nous agitoit que nos grands deſſeins, riē ne nous contraignoit que nos belles penſees, rien ne nous opiniaſtroit à ce deuoir que nos heureuſes conceptions, & rien n’ēportoit nos deliberatiös, que les ſerieuſes fātaiſies qui nous attiroyēt à la conqueſte de la parfaicte Xyrile, pour l’amour de laquelle nous auions de la patience, noſtre cœur ſ’obligeoit à vne ſeruitude honneſte, noſtre ame ſe ſubmettoit a vne obeiſſance volontaire, & noſtre courage ſe proportionnoit à l’aparence qui nous eſtoit vtile ; ayant inceſſamment l’œil & le deſir ſur les Fortunez, deſquels par vne diligente enqueſte, nous apriſmes l’origine, les conditiōs, & les auantures depuis leur enfance. Et pource que ie ſcay qu’il vous ennuye que vous ne les cognoiſſez : Ores que l’Empereur & les ſiens ſont occupez, & ſans qu’ils ſ’en apperçoiuét, ie vous racōteray ce que i’en ſcay, le retraceant apres la verité ſans fraude & ſans enuie, mais ſelon le plaiſir que l’integrité de mon cœur ſ’en propoſe.

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DESSEIN PREMIER.


Le Roy de Nabadonce vertueux & accompli, voulant que ſes enfans fuſſent biē inſtruits, fait aſſembler les Sages, qui d’entr’eux en eſleurent ſept pour precepteurs des trois fils du Roy.



ENtre les termes de la grande iſle de Moſo, laquelle eſt comme vn autre continant, eſt le ſpacieux Royaume de Nabadonce, qui par vn bout eſt contigu au grād Empire de Glindicee ; En ce Royaume cōmande le plus ſage de tous les Rois, & qui eſt tel que la grandeur & magnanimité des autres, eſt sō appuy, & ſon eſtat poſé ſur la vertu, ſe maintient en l’aſſeurance de la vertu de tous ceux qui y pretendent ; il eſt en parfaite concorde auec tous ceux qui le cognoiſſent, auſſi vit-il ſans auarice, ſans enuie, & ſans inimitié : Ce Roy eſt magnifique en pieté, modeſte chez ſoy, fidele à ſes amis, & l’innocence eſt le comble de ſes grandeurs. Et pource que la parole eſt le pourtrait de l’ame, on reconoiſt l’integrité de la ſienne en ſes propos, car ſ’il diſcourt, ſes paroles ſont autant de traits parfaits de ſapience, emplies de la loüange des vaillans ſans aucun meſlange de ſes merites ; ſon ambition eſt d’eſteindre toute vanité ; Et l’ample deſir d’augmenter ſa domination eſt l’entretien des loix, & la conſeruation des peuples, leſquels à ſon exemple, viuent en l’ombre de leur deuoir ſans autres ſouhaits ou ambition, que de ſ’vnir à l’honneur, qui eſt l’vnique biē auquel ils aſpirent : car l’eſtime qu’ils en font, les fait croire que ceux qui viuent ſans honneur, ſont ſi pauures, qu’il ne leur reſte rien qu’vne ame miſerable. Ainſi que ce Roy paroiſt entre les Princes vertueux, eſtant vne lumiere parmi les potentats, auſſi ſes pretentions ont eſté de faire ſi bien, que ſes enfans tres-accomplis, ne fuſſent ſecondez d’aucun en ce qui eſt de la vertu. Parquoy il a mis toute peine de les rendre dignes heritiers de la loüange qui lui eſt deuë, Ce Roy a trois fils, Princes extremement auantagez des dōs de Nature, & pource que ſon amour paternelle eſtoit bandee au bien de ſes enfans, il les voulut rendre accōplis pour à quoy paruenir, ayāt fait eſtat de tout ce qu’vn grād Monarque peut, il propoſa de ſe gouuerner en cet affaire, cōme ſ’il n’eut eſté qu’vn ſimple poſſeſſeur de biens & non Roy. En ce beau zele d’adiouſter par art, ce qui deffaut aux beaux eſprits, il fit vne aſſemblee generale de tous les ſages & ſuffiſans qu’il luy fut poſſible de trouuer, pour d’iceux tirer l’élite, & es faire precepteurs de ſes fils. Tous les plus habiles eurent à honneur de ſ’y trouuer. Ceſte congregation fut libre, plus deſiree qu’aportant contrainte, plus ſouhaitee que commandee, & plus honorable que commode, l’alechement du denier furtiuement pratiqué ne fut point cauſe que le bel eſprit ſ’y trouua, l’eſpoir d’obtenir vn degré ſouhetté pour paroiſtre n’y attira pas le Philoſophe, car le curieuxy veint pour voir, & pour raſſaſier ſa fidele penſee, le billet de recommendations n’y courut point, les procurations pour faire vne election iniuſte ny furent pas cognues, la ſeule bonne & libre volonté, y conduiſit ceux qui voulurent faire eſſayer leur capacité à l’honneur de la ſcience, au bien de celuy qui plus meriteroit, & à la gloire commune des gens de bien, qui comparurent icy d’vn meſme courage. Les pris eſcheurent à chaſqu’vn ſelon ſa valeur, ſans que l’enuie y ſuruint, & ſelon cet ordre il y en eut ſept qui furent trouuez exceller, entre leſquels du conſentement de tous, Sarmedoxe obtint d’eſtre le premier : ſon humilité ſçauante fit qu’il s’excuſa, mais l’authorité de la cōpagnie & l’aueu du Roy, le mirent en ce degré, & luy firent receuoir. Ceſte bonne election faicte, le Roy receuant ces ſages de la main de tant de grands hommes, en fut fort edifié, & les acceptant dit : Ie ſuis treſ-aiſe de l’honneur que vous acquerez par l’eſtime qu’en font de vous les capables iuges de vos merites & me plaiſt vous retenir pour vous donner le gouuernement de ce qui n’eſt le plus cher, à ce que par voſtre ſoin & diligence mes enfans puiſſent acquerir tant de perfections, que lon les croye dignes reiectons de leurs anceſtres qui ont gouuerné ce Royaume, auec telle prudence que la benediction du peuple a eſté la preuue de leur bonté. Ie ne deſire pas que vous les gouuerniez auec le reſpect que vous pourriez y apporter, en conſideration de ma grandeur, & de leur qualité : Ie veux que ceſte maggificence naturelle ſoit miſe à part, à ce qu’ils ſoient inſtruicts & inſtituez nō en Princes, ains comme hommes, afin qu’ils apprennent à ſe cognoiſtre, car ils ne ſçauront que trop l’vſage de ſe glorifier de leur naiſſance, & puis eſtans rendus dociles, vous les rendrez tels que ie les ſouhaitte, vous y aduiſerez ſelon voſtre prudence. Demain Dieu aydant, nous diſpoſerons nos affaires. Apres il donna congé aux autres qu’il accompagna de preſens, courtoiſies & faueurs les laiſſant à leur liberté.

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DESSEIN DEVXIESME.


Sarmedoxe faict paroiſtre au Roy, qu’il peut ce qu’il doit, par la demonſtration qu’il en fait d’vn nouueau Palais, lequel eſtant faict fut nommé l’hermitage d’honneur, où les Princes furent inſtituez. Le temps de leur pedagogie acheué, le Roy appelle ſes trois fils l’vn apres l’autre, & leur preſente le gouuernement du Royaume, dont ils s’excuſent ſagement : le Roy comme irrité de celà les chaſſe du pays & ils obeyſſent.



LE Roy ayant laiſſé rafraiſchir les Sages pour vn peu ſe recognoiſtre, jl appella Sarmedoxe & luy dit, Pource que ie ne veux rien faire à l’auanture, mais ſeurement, & ſur tout en affaire tant exquiſe que l’inſtruction de mes fils, ie ſerois fort content en moy, ſi par vne demonſtration euidente vous me faiſiez voir manifeſtement que vous pouuez & en peu de temps effectuer ce que ie ſouhaitte. Sarmedoxe. Sire, ce ne ſera pas de, noſtre propre perfection que nous aduancerons ſi beaux & parfaicts Princes aux excellences que vous pretendez car celà depend abſolument de la grace de Dieu, qui toutesfois a donné des moyens pour tels effects, ce ſont les hommes auſquels il a departi la ſcience pour les rendre organes de l’inſtruction des autres. Nous ſommes de ceſte qualité, & vous nous auez commandé de departir à Meſſieurs ce qui eſt gracieuſement dōné aux humains, leſquels pourtant l’obtiennent au prix du labeur. Nous auons intētion à ce ſeul but, & comme il vous plaiſt nous commander, il eſt en noſtre pouuoir, ſelon l’homme, de vous rendre la preuue que voſtre Maieſté deſire. Sire, donnez-nous ce vieil chaſteau qui eſt là bas vers Septentrion au parc de la ſolitude, c’eſt vn lieu ruiné, qui n’a de beau que l’attente de mieux, il eſt l’habitacle des chouëttes, & oyſeaux malheureux, la retraicte des ſerpens & animaux cruels, & là, s’il vous eſt agreable, nous eſtablirons les principes de noſtre labeur, & y ferons paroiſtre noſtre induſtrie, octroyez-le nous donc, & commandez que les ouuriers que nous choiſirons, nous ſeruent fidelement, & ie vous promets, que deuant que deux lunes ſoient paſſees, vous aurez certitude de noſtre diligence & affection à bien faire, auec induction de noſtre capacité par la veuë de noſtre ouurage, qui poſſible ſera vn des brins du plumage des belles aeſles qui portent voſtre nom par l’vniuers. Le Roy l’ayant ouy reſpōdre à ſon intention accorda a Sarmedoxe ce qu’il requit, & d’auantage luy ouurit ſes threſors, afin que rien ne manquat. Incontinant les ſages ſe mirent à trauailler ſous la conduicte du ſage ancien, & employerent gens & maneuures à nettoyer le vieil Donjon, dedans & dehors, deſmolir les cloiſons, abattre les planchers, boucher les feneſtres, fermer les fentes à ce qu’il n’y reſtaſt que les murailles vnies, n’y laiſſant d’ouuerture que la porte, tant qu’il en fut beſoin. Là dedans le vieillard diſpoſa vn baſtiment dont le deſſein eſtoit en ſon cœur.Et pour lequel conſtruire, il fit appareiller de la terre graſſe, de celle qui eſt verdaſtre, laquelle il fit dextrement conrroyer, l’humectant de l’eau où auoit eſté diſſout le ſel vierge, lequel eſt le premier qui ſe congele és marais, & emprunte l’odeur des violettes : dans ceſte terre il meſla la limaille de fer, dont on a oſté la teinture par ebulition en vinaigre, & ceſte teinture eſt ſouuerain remede aux mauuaiſes couleurs des Dames, & ce corps mort de fer il le fit incorporer auec du verre pillé y adiouſtant de la terre blanche, ſelon la proportion conuenable à ce que le tout fut bien & deuëment lié. De ceſte compoſition dont il y auoit vne immenſe quantité, il forma les parois, les cloiſons, les planchers en voulte, remplis par deſſus, & le toict de ſon edifice enduiſant dedans & dehors la ſuperficie d’vne glaire, où il auoit fait tremper la pierre ſerpentine : auec ceſte criſtaline verte qui ſe trouue és forges où l’on rafine le fer & l’acier. Par ce moyen les ſales, chambres, cabinets & autres pieces furent conſtruites ſelon leur propre ſymmetrie, puis il laiſſa tout bien ſecher : En apres dedans & dehors il emplit le vuide de bois, & fermant l’entree & les autres œrs incommodes, ainſi que font les potiers qui cuiſent leurs ouurages, il mit le feu au vieil donjon, afin que ſon œuure cuiſit, le feu eſtant eſteint, & le tout refroidit, il y entra & fit oſter les cendres, & reuifita tout, qu’il trouua fort bien, excepté vn petit endroit vers le couchant, où il ſe trouua vne fente laquelle il boucha proprement auec ce ſouffre congelé en brillant qui ſe trouue és ardoiſieres d’Angers, & l’a ſi bien approprié, qu’il ſemble que ceſte ſoudure ſoit d’or : En apres il fit poſer les portes, les feneſtres & chaſſis, dont l’eſtoffe eſtoit eleué entre les meilleures. Celà fait, il fit deſmolir la grande muraille exterieure, laquelle oſtee, parut le domicile Philoſophique, conſtruit ainſi que d’vne piece, & tant accomply & beau qu’il peut eſtre dit le miracle du monde, & vnique merueille des pays, où le Soleil s’ayme, en outre il y mit des meubles conuenables, & neceſſaires auec les propres ornemens. Apres que le Roy eut veu ceſte preuue d’induſtrie il preſuma que Sarmedoxe ayant d’vn lieu ſans ordre & ruyné, abominable & deteſtable fait vne place elegante & polie, deſirable & delectable, que facilement il pourroit informer vne ſubſtance ſuſceptible de toutes belles formes : Parquoy receuant l’ouurage qu’il approuua fort, il y eſtablit les Sages, & leur mit és mains ſes trois fils pour les inſtruire en pieté, doctrine, arts & prudence. Ce lieu fut par l’aduis des Sages, & conſentement du Roy nommé l’hermitage d’honneur, auquel tout ce qui eſt neceſſaire à vn lieu de plaiſir ſe trouue, ioinct que toutes honneſtes commoditez, auec infinies ſingularitez, y ont eſté aſſemblees tant par la liberalité du Roy, que par l’induſtrie des Sages, & rencontres qui s’y ſont addonnees, ſoit par le reſte des baſtimens qui y a eſté adiouſté, qu’aux appartenances que le Roy y a adiointes, auec iardins, boys, eſtangs, & clos qu’il y a faict tellement approprier, que l’ō peut eſtimer ce lieu entre les plus ſuperbes de tous ceux qui ſont paruenus au terme de l’excellence. Les trois Princes furent eſleuez ſoigneuſement en ce palais (auſſi le premier petit baſtiment eſt dit le Palais du cœur,) & les ſages y prirent la douce peine, qui auec le temps eſclot le contentement, conduiſant ces beaux eſprits aux ſciences ſelon toutes les lieſſes de cœur que le ſoin doucement ordonné peut conceder. La malheureuſe contrainte, la rouge feſſerie, qui eſt le deſgouſtement des eſprits, ne s’y eſt point trouuee : mais toute iuſte liberté, fourniſſant de loiſir & d’occaſions, à ces beaux aſtres leuans de s’accomplir en lumieres parfaites. Ce qui a tant bien ſuccedé à ces perſonnages, chacun y ayant employé ce en quoy il excelloit, qu’ils mirent ces nouueaux cœurs en eſtat de ſe pouuoir eſgaler àux plus accords, ſi qu’outre l’addreſſe qu’ils auoient aux armes, & autres exercices communs aux Princes, ils paroiſſoient ſages, de belles mœurs, & doctes, non de la doctrine de ces arracheurs de paroles, qui fueillettent les liures pour y trouuer pluſtoſt vn mot pour s’emplir la bouche, qu’vne bonne ſentence qui ayt efficace à leur faire oublier l’auarice & le reſte des villennies pedagogiques. Et ce qui fut le plus recommendable, eſt qu’en peu de temps ont en vit tant de ſignes que la foy de l’effet ſurmontoit l’opinion, auſſi ce n’eſt rien d’eſtre vaillant, heureux & ſçauant, il conuient eſtre ſage. La ſageſſe eſt l’vnique fruict des labeurs, elle eſt le remede à tous mauuais accidens, l’ornement de la bonne Fortune, & le bien accomply de toutes ſinceres actions, comme but parfait des ames genereuſes, organe de leurs en trepriſes & conduicte de tous leurs deſſeins. Le temps eſcheu, & que Sarmedoxe auoit faict entendre au Roy, que les Princes eſtoient capables de ſuiure les erres de Fortune, il fut treſ-aiſe, & gratifia les ſages à leur deſir, leur commandant de continuer & de demeurer touſiours en l’hermitage pour y receuoir ſes commandemens. Or ce Roy qui a le iugement grand, & qui ne ſe borne pas à la ſimple apparence, deſira par eſ ſay notable ſçauoir, ſi l’interieur de ſes fils reſſembloit à ce qui paroiſſoit, & voulut luy-meſmes eſprouuer la ſageſſe de ſes fils. Parquoy ſur l’aduis pris au cabinet de ſon cœur, il enuoya appeller ſon fils aiſné, lequel ayant introduit en ſon particulier, il luy dit, Vous ſçauez, Caualiree mon fils, le ſoin que i’ay pris pour vous rendre tel que vous peuſſiez atteindre au rang des plus accomplis, & ie croy que vous auez le iugement de cognoiſtre le fruict que vous en deuez rapporter, qui premierement doit tendre à l’honneur de Dieu, puis au ſoulagement de mon âge, & plaifir de mon eſprit, vous pouuez § la peine du trauail continuel auquel i’ay eſté bandé tout le plus aiſé de mes ans, pour gouuerner mon Royaume en paix, & maintenir mes ſubiects en toute douceur & iuſtice, maintenant que le tēps m’a rendu peſant, il eſt heure que ie iouyſſe de quelque repos pour ſauourer le peu de vie qui me reſte, & que le reſſente la lieſſe de tranquilité attenduë par le bien que i’auray de vous veoir, ſelon mon deſir, partant afin que i’aye l’heur d’acheuer ma vie en patience, ie delibere me retirer des affaires, & vous mettre en main la charge du Royaume, afin que ce pendant que ie me donne ray quelque recreation, & que i’accompliſſe mes iours en mes maiſons de plaiſance, ſans aucun mauuais ſoin, i’aye le bien de vous voir conduire ſagement l’Eſtat, pour y continuer heureuſemēt apres mon decés. Ie veux doncques vous commettre tout mon ſoin, & vous communiquer ma couronne, comme à mon aiſné ainſi que ie le feray tantoſt paroiſtre aſſemblant mes eſtats, & vo° mettant le ſceptre en main : Et pource que ie tiēs celà ainſi que ſi deſia il eſtoit, ie vous recommande vos freres, ſur leſquels vous aurez l’œil pour leur diſtribuer les charges, & les aymer parfaitement, car ils ſont voſtre ſang : Ie vous enioints de rendre la iuſtice eſgale à chacun, ſans acception de perſonnes, & vous propoſant touſiours deuant les yeux la iuſtice diuine, gouuernez vos ſuiects en amour & charité. Ayez pitié des pauures, ſoulagez les oppreſſez, ne meſpriſez point la voix des ſupplians, recompenſez ceux qui auront employé leurs corps & leurs biens pour voſtre ſeruice : Ne donnez qu’aux gens de merite, & iamais on ne murmurera contre vous. Ne faites point de dons immenſes, ſur tout à ceux qui peuuent nuire, ou mal conſeiller. Tenez aupres de vous gens ſçauans & ſages, vous ſeruant de perſonnes non contemptibles, mais venerables. Ne pardōnez point aux meſchans. Ne permettez iamais que l’on viole les loix de voſtre Royaume, & reſpectez inceſſamment ceux qui enſeignent la pieté, Soyez religieux, non addonné aux vices, ayant ſur tout ſoin que l’on ne puiſſe remarquer que vous ayez aduancé quelqu’vn qui vous ayt aydé ou conſeillé en quelque action vicieuſe. Le Roy ayant par ces diſcours diuerſemēt manié le cœur de ce ieune Prince que la ſageſſe moderoit durant les combats que ces propos luy faiſoient, l’entendit ainſi reſpondre Monſieur, vous m’auez donné des enſeignemens qui ne doiuent iamais tomber de la memoire des Princes, & vous ayant ouy parler ſelon la puiſſance que vous auez ſur moy, ie me diſpoſe entierement à mon deuoir, qui me fait recognoiſtre qu il n’y a point de lumiere au monde égale à celle du Soleil, & qu’vn poil de la paupiere de l’œil eſt moindre que le ſourcil : ce qu eſtāt cōſideré, on doit touſiours s’arreſter à ce qui eſt plus grand pour ſe cōtenir en ſes termes. Ie ne ſeray iamais ſi temeraire de preſumer qu’ē voſtre preſence ie puiſſe eſtre capable d’aucun commādement ſouuerain, vous eſtes le Soleil de vottre Royaume, & le ſourcil de l’œil qui veille ſur vos peuples, & pourtant cognoiſſant l’heur que nous auons tous de voſtre preſence & grandeur, ie ſupplie auec tous vos ſuiects le Souuerain, qu’il luy plaiſe vous raſſaſier de iours, continuant voſtre bonne vie, meſmes au delà de la mienne, fut-elle autant aduancee que celle des plus anciens. Et ie vous ſupplie treſ-humblement me pardonner, ſi ie ſemble perdre l’aſſeurance, vous oyant entrer pour moy en des conditions qui me ſont inſuportables, par donnez, s’il vous plaiſt, à mon deffault, & ayez agreable que ie viue en l’obeiſſance treſ humble que ie vous doy, ſans que i’accepte ceſte charge, à laquelle ie n’oferois meſme penſer. Le Roy le trouua emerneillé & conſolé de cette reſponſe, & diſſimulant ſon contentement, iugea de la prudence de ſon fis, par ceſte modeſtie, & lans luv faire autre ſemblant le reruoya, puis vn peu apres il commanda, qu’on luy fit venir le ſecond, auquel l’ayant pris a part, il dict, Fonſteland, i’ay deiieeré de vous prouuoir auant que ie paſſe les derniers ſoupirs de ma vieiileſſe : par quoy ayant aduiſé à la fortune de voſtre frere aiſné, que i’eſtabliray fort bien par l’aliance que ie feray de luy auec l’heritiere d’vn plus grand Royaume que ceſtuy-cy, ie vous veux mettre durant ma vie en poſſeſſion de mon Eſtat, ce que ie deſire executer tout maintenant, tant pour vous inſtaler, que pour me ſoulager des charges publiques leſquelles à cauſe de mon aage commencent à m’eſtre importunes. Ie ſuis vieil, vous eſtes ieune, vous pourrez aiſément porter ce faix pour moy : penſez doncques à vous diſpoſer à ce qu’en pleine aſſemblee des Eſtats, ie vous conſtituë Roy : Apres ce diſcours il adiouſta les remonſtrances & regles, les preceptes, ſtatuts & iuſtice qu’il auoit propoſé à l’autre, ce que ceſtuy-cy oyant & coniecturant la merueilleuſe eſpreuue par laquelle le Roy le tentoit, ſe conſeillant à la raiſon, que la ſageſſe luy auoit practiquee, reſpondit, Monſieur, ie vous supplie de propoſer à mon eſprit, ce dont il eſt capable pour exercer à voſtre ſeruice, afin que vous ayez le plaiſir de conſiderer comme ie m’y occuperay, & que I’aye le contentement de vacquer à mon deuoir, ſelon ma puiſſance quand à l’adminiſtratiō que vous me preſentez, ie ne vous ſupplie point de m’en excuſer, car vous ſçauez que ceſte charge me fuyt autant que le gouuernement des Lyons eſt eſloigné de l’Empire du Fourmis, parquoy pardonnez-moy, ſi ie penſe que ce n’eſt point à moy que vous en ayez parlé. Et puis ie recognoy auec tout le mōde que la felicité de ce Royaume eſt voſtre preſence & ſoin ordinaire, & d’auantage, quoy qu’il vous ſoit agreable de m’en dire, l'œil de vos penſees eſt ſur mon aiſné, quand voſtre decez aduiendroit, & ie prie Dieu auec tous vos ſubiects, qu’il ſoit perpetuellement reculé : & pour ce ie ſeray treſ-heureux que voſtre bon plaifir ſoit que ie demeure en l’eſtat conuenable a ma petiteſſe, & lequel me ſera bien ſeant au rang que ie dois tenir. Le Roy ne faiſant aucun ſemblant de ce qu’il penſoit de ceſte reſponſe, le renuoya faiſant de meſme venir le troiſieſme, qu’il tenta ainſi. Viuarambe deſirant me donner vn peu de repos, & me recueillir auecvn petit de patience, pour recreer mes forces abatuës du trauail ordinaire, & m’eſiouyr de quelque tranquilité, ie veux vous donner ma lieutenance, afin que vous vous façonniez aux affaires ce pendant que i’enuoye vos freres à la conqueſte de l’iſle d’Ofir, que i’ay enuie dés lōgtemps de ioindre à ma domination : Aduiſez doncques à me ſoulager dignement, & vous y diſpoſer tant pour voſtre aduancement, que pour mon repos : ayant ceſte entree, vous fet rez des amis & aurez de grands ſupports, tellemēque vous pourrez vous eſtablir & empeſcher la violence § vos freres, s’ils vouloient vn iour vo° opprimer, tellement que le credit que vous acquerrer vous maintiendra. Apres ceſte propoſition, il luy declara les inſtitutions & ordonnances legitimes qu’il faut qu’obſerue exactement vn bon Lieutenant, luy parlant en façon tant ſerieuſe, que celà pouuoit induire aiſément vn ieune cœur, qui ne doit point eſtre ſans ambition. Mais ce Prince ſentant en ſoy la reſolution que fournit la ſapience, liſoit és intentions du Roy, auquel il fit ceſte reſponſe. Monſieur, ces aduantages ſortent de voſtre bouche ainſi que de la ſource affluente de bonté, & toutesfois ils me ſont vn torrent qui m’emporte ſi loin, que s’ils continuent, ils me pouſſeront en vn precipice ineuitable, ie vous ſupplie treſ-humblement de me conſeruer en ma petiteſſe, ordonnant ce peſant fardeau à mes freres, qui en ſont capables, & bien que i’aye l’honneur d’eſtre iſſu de vous, ſi ne ſuis-ie encore qu’vn petit ſurjon d’eau viue, ne pouuant ſeulement arrouſer le moindre ſillon d’vn des infinis parterres que la moindre vague de la mer de vos vertus abreuue iournellement. Ce grand Roy trouuant ceſte repartie à ſon gré le renuoya. Par les apparences que le Roy auoit euës que ſes fils auoient acquis de la ſageſſe, ſe ſentit fort ſatisfait en cœur : mais pourtant il eſtima qu’il falloit d’auantage, parquoy ayant plus aduantageuſement conſideré à part ſoy, que ceſte ſimple preuue, où il n’y a que des paroles ſans effets n’eſtoit pas ſuffiſant examen de cœurs parfaits, voulut paſſer outre, afin de contraindre ſes fils à ſe preualoir plus de ſapience & valleur que de grandeurs, & l’ayant meurement remué en ſon ame, les fit tous trois venir parler à luy Et cōme ils eſtoiēt en l’ humilité decente, attendant la volonté du Roy, ils’ouyrent de la bouche Royale ceſte reproche & arreſt, Vous eſtes enfans ingrats, preſomptueux & ſans amour, & qui ne pouuez eſtre perſuadez par le deuoir, ie vous ay remonſtré mon inconmmodité, & meſmes priez de me ſoulager en ma vieilleſſe, & vous l’auez refuſé : penſez-vous que ie ne cognoiſſe pas bien voſtre cœur, & que ce n’eſt point humilité ny la biēſeance qui vous a fait parler, & n’accepter les offres que ie vous ay faites, mais vn mauuais ſoin de croupir en eſcoliers pareſſeux, au lieu d’eſtre Princes releués ſelon l’excellente opinion que i’auois de vous ? Parquoy ie vous cōmāde, car ie le veux, & vous enioints treſ-expreſſemēt ſans chercher excuſes en ſorte quelconque, ou pardon, ou grace, ou congé, que vous ayez dés maintenant à vous retirer de ma preſence, & ſortir de mon Royaume, pays & terres de mō obeyſſance, prenant garde ſur vos teſtes d’y eſtre rencontrez : que ſi dix & neuf iours eſtans paſſez on vous y trouue, ie vous feray ſentir les effets de l’ire d’vn Roy iuſtemēt indigné. Ce leur fut vn trait d’extreme douleur, d’entēdre ainſi parler leur Seigneur, leur pere, leur Roy, prononçāt contre leur innocence la plus criminelle iniure de toutes, adiouſtant vn arreſt autant douloureux qu’angoiſſe aucune : toutesfois ayans le cœur muni de patience & de reſolution, qui ſont les principaux fruits de la ſageſſe, ils ne chercherēt autre remede à leur calamité, que d’obeir : donques prenans quelques, commoditez, & ce que leur donna leur ſage ſœur Olocliree, ſe mirent en chemin. Le Roy aduerty de ce prompt depart & ſoudaine obeyfſance, iointe à la diſcretion, iugea qu’il ne ſeroit point fruſtré de ſes penſees, & que ſon deſſein premedité apporteroit du fruict. La grande prudence des Princes fut, qu’ils ne declarerent à perſonne le commandement du Roy, & faignoient d’aller cōme ſe deſrobans, auſſi on en aduertit le Roy, qui dit qu’il les falloit laiſſer faire, & que s’ils eſtoiēt bien ſages, ils ne feroiēt rien mal à propos, & n’attendroient qu’on les allaſt querir. On l’aduertit que veritablement ils auoient pris la voye de la mer, & qu’ils s’eſtoient embarquez, dont il fit ſemblant d’eſtre eſtonné, & marry, & pource il enuoya appeller les Sages qu’il conſola, & les prenant ſecrettement leur declara ce qui s’eſtoit paſſé, leur remonſtrant que ce qu’il en a fait, eſt pour cognoiſtre ſi l’obeiſſance de ſes enfans eſt vraye, ou feinte, afin que voyant ce que la ſageſſe leur profitera, il donne aſſeuré iugemēt du profit qu’ils ont faict : Car ce n’eſt pas tout d’eſtre ſcauant, il faut eſtre ſage, & de ſage vertueux par effect : puis les ayans recompenſez de beaux & riches preſens & dons honorables, leur commanda de demeurer en l’hermitage qu’il vouloit acheuer de rendre parfait du tout. Les Sages eurent beaucoup de regret de l’abſence des Princes, toutesfois ils s’y reſolurēt meſmes par la preſence du Roy qui les viſitoit ſouuent, les induiſant en toutes ſortes à augmenter ce beau lieu de toutes ſingularitez, & l’enrichir de belles ordonnances, pour exercer les eſprits curieux qui ſont ſectateurs de la vertu,

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DESSEIN TROISIESME.


Les Fortunez arriuent à la fontaine, & la Fee les recoit les menant en ſon palais, où elle leur raconte l’hiſtoire d’Asfalean, & la cauſe de la fontaine des amoureux, dont elle deduit les vertus. Diſcours notable d’amour plein de galantiſes. Deſpit d’vn amant ſe vengeāt.



LA bonne conſcience eſt vn des plus grāds acqueſts de la ſageſſe, & dont la force eſt telle, que l’on s'en peut preualoir abſolument. C’eſt ce qui rend ces Princes aſſeurez, c’eſt ce qui fait que ils ne craignent point l’infortune, pource qu'auec celà ils ſçauent que la vertu reluit, & tire des tenebres ceux que la calamité veut obſcurcir. S’eſtās donc embarquez au port de Finoſe, ils s’aduiſerēt de prēdre le nom de Fortunez, & ainſi voguerent tant qu’apres auoir eſté en Sympſiquee, où nous les auons veus, ils ſurgirent au grand Empire de Glindicee, là mettans pied à terre, & prenans cōgé de leurs amis de voyage, leſquels alloient vers la coſte des perles viues, dont ils s’eſtoient fort eſloignez, ils ſe mirent en chemin comme gens incogneus, & auançerent tant par leurs iourneess qu’ils ſe trouuerent à Belon, ville metropolitaine, en laquelle l’Empereur faiſoit preſque touſiours ſa demeure. Apres auoir conſideré l’aſſiette du pays, les belles yſſuës de la ville, & les lieux de plaiſir qui eſtoient autour, il leur vint à propos de s’arreſter pres le cours d’vne fontaine vn peu deſtournee du grand chemin, là aupres y a quantité de beaux arbres de toutes ſortes leſquels s’efleuēt preſques tous d’vn meſme ordre vers le Ciel, & donnēt ombre opportune au beau petit palais où eſt la Fǒtaine de laquelle la Fee Epinoyſe eſt gouuernante & concierge. L’Empereur ly a eſtablie, afin de monſtrer aux curieux qui abordent iournellemēt en ce lieu : tout ce qu’il y a d’exquis à ce qu’ils en rēportent ce qu’ils y trouueront côuenir à l’accōpliſſemēt de leurs deſirs. Les Fortunés qui ne s’attēdēt qu’au hazard & belles rēcontres qui leur ſuruiēdront, s’auiſerēt apres s’eſtre vn peu repoſez d’approcher de ceſte belle maiſon, eſperāt y voir quelque rareté : ainſi qu’ils approchent, ils ſurprirēt la Dame appellāt ſes oyſeaux, & la cōſideroiēt en ceſte actiō de bōne grace, & y ayāt vn peu tardé, s’approcherent d’elle & la faluērēt. En ceſte ſurpriſe elle leur fit fort bō accueil, ainſi que lō a de couſtume ſelō les circōſtāces de biē-ſeāce, puis les ayāt cōſideré & remarqué à leur cōtenāce, quelque eſclat de lumiere que la vertu faiſoit eſtinceller à leur rēcontre, les pria d’ētrer iuſques à l’interieur du Palais, ceſte excellence qui les rēdoit acceptables, multiplioit en elle le deſir de leur dōner l’entree plus familiere qu’aux autres. Ainſi excitee par ces beaux hoſtes leur dit, Encores que la couſtume des Fees ſoit de ne ſaluer iamais ceux que no° ne cognoiſsōs point, ſi nous ne les ſurprenons ſans qu’ils nous ayēt apperceues, ſi ne lairray-ie de vous faire accueil, eſtant marrie pour l’amour de vo° que ie n’ay eu ceſt aduātage, c’eſt tout vn, approchez vo°, & iouyſſez du plaiſir qui ſe trouue icy, lequel eſt preparé aux curieux. Incontinent à ſa voix vindrent quelques belles nymfes, qui apporterent la colation ſous la freſcheur. Les Fortunez inuitez par la Dame, ſceurēt courtoiſemēt en vſer, & cependāt les diſcours furēt tirez de fuiet en ſuiet, tellement que la Fee, qui veut ſpecialement gratifier ces beaux curieux, à leur requeſte leur raconta l’hiſtoire de la Fontaine, ce qu’elle fit filler ainſi, cependant qu’ils eſpluchoyent quelques grappes de raiſins ſecs que les belles faiſoyent des bouquets :

L’Amour qui fait à ſon plaiſir des courages de facile emotion, toucha le cœur de Asfalean, qui a longuement ſouſpiré pour la belle Callonee, la quelle au cōmencement de ſes amours, le receut de ſorte, que cōme elle eſtoit ſa lumiere, il eſtoit ſon vnique, elle eſtoit ſa meilleure eſperance, il eſtoit ſon cher eſpoir, & ces deux, bien que pour vn tēps ſeparez fors de l’eſprit, ſe trouuerēt tant vnis d’amour, qu’ils n’eſtoiēt qu’vne ame viuāte en deux corps, mais ceſte belle violēce d’amitié ne dura pas tāt que deſiroit Asfalean : car ou par quelque malin & faux raport, ou autre accident d’amour, la Belle infecta sō cœur du venin de dedain, au peril de ce fidel amāt, qui le reſſentāt par l’effet cruel dont elle ſ’eſloigna, ſe trouua tāt cōfus, que ſon ame indignee fut preſte de ſ’en aller. Eſtāt en ce trouble, il ſe força & ſe voulut faire accroire, que ce fut vne douceur froide, exterieuremēt repaſſee ſur l’ombre de la diſgrace, pour l’eſprouuer : mais à la fin il lui en cōuint ſauourer l’amertume ; car endurāt la pointe ordinaire de ce meſpris, que ſa Belle dedaigneuſe multiplioit de iour en iour, il cognut que ſ’en eſtoit fait, que le malheur eſtoit formé, pour auquel remedier, il ne pouuoit en riē profiter, l’ēnui, la peine & le deuoir qu’il y cōtinuoit eſtoit perte, parquoy sō cœur ſe mutina, & finalemët ſe deſeſperāt ſe reuolta, & fit bāqueroute à l’Amour. Et pour ſe vēger autāt de ſoymeſme, que de l’amour & de ſa dame, la fureur lui ayāt recuit le courage, tout dépit il choiſit le tēps propre pour teſmoigner ſon indignatiō, &. faire preuue de la nouuelle audace qu’il auoit practiquee cōtre ſa maiſtreſſe ; & ce fut il y-a certains ans paſſez à l’anniuerſaire de la belle Glylitee, que no° celebrōs icy ſelon les ordōnāces de Floride : c’eſt ici le meſme endroit où ceſte couſtume ſ’obſerue, & qu’aueint la notable auāture que ie vous raconte. Pluſieurs belles eſtoiēt aſſemblees auec beaucoup de ieunes gēs, qui venoiēt rendre conte de leurs deportemēs amoureux. Asfalean eſtāt en sō ordre, de manifeſter ſes intétiōs (auec le cōgé de la Preſidēte) taiſant le nō de ſa Dame, qui eſtoit preſente, nous fit ce diſcours, que ie pēſe auoir retenu exactemēt. Mon deſtin ayāt eſté cōioint aux aſtres formellemēt vnis à l’influēce d’amour, il ne m’a pas eſté poſſible que perpetuellemēt ie n’aye reſpiré la douceur, que les bel les ames doiuēt cōceuoir, pour les obiets deſirables, & pource auſſi i’ay inceſsāment eu quelque ſuiet qui m’a excité ; tellemēt que pour paroiſtre braue amant, ie me ſuis eſleué vers les parfaites idees qui cauſent l’affectiō, ayant choiſi vn obiet qui m’auoit eſleu de ſon propre vouloir, & m’y eſtois tāt obligé, que ie croyois que ma fidelité contraignāt ma Belle de maintenir nos affectiōs, nous ſeriōs eternellemēt & ſans chāger en ſi belle cōdition. Mais i’ay eſté trōpé ; auſſi tout ce qui sēble eſtre le digne arreſt de nos eſperāces ne l’eſt pas, ſouuent les feintes lumieres nous paroiſſent vraye clarté, & ce ne sōt que bluettes. Faut-il que ie me manifeſte ? il faut que ie le die. A la rēcontre de cet amour, que ie fus heureux ! que i’eus de biē, & de cōtentement ! Noyé des delicieuſes ſuppoſitiōs de ma fidelité, ie me mocquois de la Fortune, ie lui dōnois congé, auātureux en deſſeins ie ne reſpirois que gloire, & mō ame ſe trouuāt toute ſatisfaite, ſe preſumoit au sōmet du ſouuerain biē. Tout glorieux de ſi bōne fortune, ie croyois que l’vnique obiet de perfectiō fut ceſtui-cy me poſſedoit. I’ay veu quelquefois de meſme les pourſuiuăs auoir telle eſtime de leur hazard : c’eſt ce qui rēd beaucoup d’ames abuſees, leſquelles ne cognoiſſent leur erreur, que lors qu’auec vergongne, le dédain les chaſle honteuſemët, & qui pis eſt, infinis ſ’obſtinēt à leur malheur, & au lieu de ſe ietter és erres d’vne belle reſolution, ſe laiſſent emporter au faſcheux coulāt de leur calamité. La cauſe de leur mal eſt l’ignorance qui fait qu’ils ne diſcernēt pas que les dedains cōtinuels de l’obiet deſiré, ſont ſignes certains, que les deſtinees no° appellēt à quelque choſe de meilleur euenemēt. Malheur à ceux qui practiquās le deſplaiſir que causēt tels reuers ſ’y obſtinēt. Et pour quoy veut vn eſprit ſe bāder en biē à ce qui lui eſt cōtraire ? n’alez point disāt, que faute de courage, fait que l’on ſe retire ſur ſa perte. Il y a de la grandeur à dedaigner ce qui dedaigne, cōme il ſe trouue de la laſcheté à ſe laiſſer maſtiner, par vn œil orgueilleux qui voudra rēplir le mōde de ſes preſomptions, vne iuſte audace eſt plus à priſer, ſecouant vn ioug faſcheux que n’apporte de commodité ou deſtine vne hōteuſe laſcheté, qui fait que l’on ſ’humilie deuāt vn eſprit presūptueux, qui n’eſt pas capable de recognoiſtre les merites de ce qui le recherche. Si cecy eſtoit bien practiqué où ſeroit celle qui oſeroit irriter vn braue cœur, l’abādonnant apres l’auoir nourri de la mignonne amorce d’eſperāce ? à peine ſ’en trouueroit-il autre que celle qui ſelō la tradition des indiſcrettes oubliāt ſon deuoir, & ne pouuāt ſuporter l’eſclat de la perfection de celui qui la ſert, ſ’adonne à vn moindre qui la gourmādera ; iamais il ne ſe fait dechāge en amour, que ceſte particuliere fortune n’auiēne aux chāgeātes, quād elles oublient vn courage gracieux. A ces incōueniens il faut oppoſer ceſte loy. Le courage parfait conſiderera ſi ſon obiect eſt preocupé d’affection, puis recognoiſtra f’il y a des deſirs mutuels, ſ’ils cōtinuent, & puis choiſiſſant & ſuiuant ce qui eſt, ſe multipliera d’amitié où ſe diſtraira galēmēt. Ce n’eſt point mon deſplaiſir qui me fait parler, de proceder de telle ſorte, car mō cœur a conceu tāt de valeur pour obtenir liberté, en ſ’adonnant à quelque ſujet de contētemēt, que la ſeule raiſon me contraint de dire mes penſees ſecrettes : En ceſte pointe, ie diſſipe tous les nuages de mon eſprit, & cognoi mes anciénes erreurs, & viēs apres es mauuaiſes fortunes ancrer ma nef au haure de la plus belle de toutes les eſperāces. Cepēdāt vous Belle qui auez indignement veſcu auec moy, ne pēſez pas que ie vous laiſſe eſchapper, ſans vous faire depit, ie vous prononceray l’arreſt de la punition deuë à voſtre preſomption, & vous amās par mon auanture apprenez à iuger des apparēces, afin de bien choiſir. Quelques delicats me viēdront oppoſer qu’il n’y a point de iugemēt en amour à cauſe que les eſprits eſtans offenſez, on ne peut riē diſcerner : ô ! blaspheme inſuportable, cōtre la plus belle de toutes les eſmotiōs du cœur, & de laquelle on trouble la dignité, chāgeāt ceſte ſainte & iuſte paſſion en vne deſraiſonnable fantaiſie. Poſez vn but certain à vos deſleins, & enfans de raiſon ne preſumez outre ce qu’elle eſtablit : Que ſi par hazard le boüillon des ſens nous eſleue, rabatons-le par induſtrie raiſonnable, & en telle conduite, ſuyuons nos bonnes deſtinees. Ie penſois auoir rencontré la perfection de fidelité, qui me fut eſcheuë à l’egal de mes fideles deſirs, quand la beauté pour laquelle i’ay ſouſpiré ſans fruit me follicita de la ſeruir, & ie confeſſe que ie m’abădonné à ce ſujet plus ſtimulé d’inconſideration que conduit de ſageſſe, cōme il eſt ordinaire en l’enfance de l’amour, i’auois en l’opinion des imaginations magnifiques : & ceſte Belle me façonnoit aux conditions de ſes yeux, & par l’artifice de ſon inconſtāce, elle imprimoit en moy de beaus deſirs : & afin de m’ētretenir allumé de viues flames d’affectiō, ſe faignoit fauorable à mes vœux : i’eſtois eſperduëment engagé à ſon obeiſſance, & elle (qui n’eſt point pauure des artifices de ces belles, qui font des trofees des cœurs que leur cōuoitiſe vole facilemēt) auisāt la naïueté de mes comportemens, me formoit à ſa fantaiſie, & me vouloit tellement enlacer en vne indigne ſeruitude, que i’euſſe en fin eſté comme vn eſclaue, & le deshonneur des courages amās, mais croiſſant en iugement, ie m’apperceu que ie fuſſe deuenu le triſte ſujet de ſes audacieux triomphes, qu’elle ſe propoſoit en ma ruine, & iugeant que pour m’abatre du tout, elle me gourmandoit auſſi indignement, qu’elle m’auoit traitté amiablement, i’entray en grande perplexité, Il eſt vray que ie me voulois flatter, pour ne croire point ſon impieté, & ne ſçachant en quoy i’auois erré, i’eſpandois quelques regrets inutiles pour expier ma faute, ie tombois deuant elle en humbles ſupplications, ie lui repreſentois ma fidelité immaculee, & bien que ie continuaſſe à ſupporter les indignitez qu’elle me faiſoit, elle n’en tenoit conte, toutesfois il y auoit quelques heures qu’elle ſembloit eſtre eſmeue de mes ſouſpirs, & m’en fit vne feinte demonſtration à l’autre anniuerſaire, auquel temps ie luy ramentit l’acceptation qu’elle auoit annuellement fait de mon ſeruice, luy teſmoignant comme ie l’auois accouſtumé tous les ans, qu’il n’y auoit qu’elle qui eut pouuoir ſur moy, & luy certifiant ainſi :

L’Aſtre qui renouuelle en ſon cœur les annees
Fait reuenir le temps de mes deuotions,
Ainſi continuant mes bonnes deſtinees
Mon cœur ſe renouuelle en ſes affections.
Quand ie m’offris à vous au grand anniuerſaire,
Il vous pleut accepter mon fidele deuoir,
Ce qui plaiſt vne fois ne doit iamais deſplaire,
Par ces loix vous denez encor me receuoir.
A tel iour qu’auiourd’huy vous me fuſtes propice,
Je vous fis le ſerment de mes fidelitez,
Vos yeux voulurent bien m’arreſter au ſeruice
Qui me fit demeurer deuot à vos beautez,
Belle continuez voſtre humeur agreable,

Pour maintenir mon ame en ſa parfaite ardeur
Et comme on vous cognoiſt l’vnique deſirable,
On me recognoiſtra l’vnique ſeruiteur.

Mais cela ne la toucha point, car elle leua tout le beau-ſemblant, & parie ne ſçay quel tranſport, me fit paroiſtre l’abus où mō eſpoir me portoit, d’autant qu’ayant receu ce vœu, elle auança ſa main à vn arbre, dont les fruits n’eſtoyent pas meurs, & m’en donna ce qu’elle cueillit, & de-là en auāt ſe manifeſta vers moy tant, & tāt auſtere, que ſes façons me deuindrēt inſuportables. Ces eſclairs là, au lieu de m’obſcurcir m’ont ouuert les yeux, deſquels aperceuāt mon inutile paſſion, & diſcernant clairemēt les fraudes de ceſte Belle, qui ſe vouloit donner quelque vaine gloire à mō deſauantage, ie recueilli mon iugemët, & deliberé de me vanger d’elle, d’Amour & de moy-meſme : Or Belle dedaigneuſe, qui en cet eſcheq perdez plus que moy, qui gaigne ma liberté, & m’arrache d’entre vos doigts inhumains, ſachez que la vengeāce que ie prēdray de vous ne ſera point à mon deſauantage, ie ne feray pas comme ces melācholiques, qui ſe iettēt és ſolitudes ou ſ’enuelopent des habits de penitence ſous ombre de meſpriſer nos belles occupations, & le reſte du monde. Ie n’yray point lamentant pour vos inſolences, ie ne profaneray point ma voix de piteux accens, pour vn ſujet qui ne peut plus eſtre mon bien. Ains ie m’auantageray, & pour vous monſtrer voſtre peu de iugement, à la conſideration de mes merites, ie me rēdray d’vne fortune tāt auguſte & grāde, auec abondāce d’honneurs, que quād vous ſcaurez mes bonnes auātures, vo° aurez regret de n’auoir practiqué auec le gracieux Daymō qui m’auoit attire à vous, pour me conſeruer : car alors vous ſouhetterez obtenir de moy ce que i’euſſe deu requerir de vo° : vo° ſcaurés auec abondāce de depit, que les plus excellētes ſe pēſeront heureuſes quād ie ſeray à elles, les plus belles que vous ſ’eſtimerōt fauoriſees, quād i’obtiendray leurs faueurs, & vos ſemblables ſe maudirōt ſi ie ne fay cas d elles. Adōc ma fortune ſera au terme de perfectiō, & me trouuāt moy meſme exēpt de mauuaiſes paſſions, ie ſauourerai ma vie auec les bontez du contētemët : la paix ſera en mon cœur, & ie verray toutes les autres ames en ſe repreſentāt mon bien, rechercher les fruits de leurs ſouhaits en m’imitāt. Ie ſeray ma lumiere & mon propre feu, ie ſeray Prince abſolu de moymeſme, & sās plus m’occir indiſcretemēt par occurrences d’opinions ineptes, ſans me bruſler aux feux ingrats d’vne inconſtante, & ne ſouillāt plus ma valeur, que ie n’abaiſſerai iamais ſo° l’ignominieuſe violēce que vous m’auez fait ſentir, i’excellerai entre les beaux eſprits qui ont de la reſolutiō : Ie ſeray vn patrō de valeur à ceux qui dedaignerōt tout ce qui ne cōsētira à leur volonté : C’eſt à ce coup que vous gemirez, depite mangeant votre aduerſité, & pour deceuoir les yeux en cachāt voſtre douleur, vo° les eſblouirés quelque geſte de biēſeāce, afin qu’ils ne voyēt que c’eſt voº qui venez icy eſtoufāt vos ſouſpirs, couler quelques larmes en lige recognoiſſance à l’amour que vous auez felonnement deceu, & puis ayant crainte que l’on ſache que vous auez fraudé la vertu, vous ferés ſemblāt que voſtre cōſcience amoureuſe eſt iuſte & blaſmerez celle qui a tant ingratement troublé ſon ſeruiteur, & ſuppoſant vn nom au lieu du voſtre, vous ferez à ce nom porter vos iniquitez. Que voulez vous ? En la ſorte que l’amour merite recompenſe, voſtre indiſcretion coulpable de crime de leſe amour, eſt digne que ſoyez affligee, & que vous oyez que ie vous annonce voſtre chaſtiment.

Il fut long temps à ſon diſcours, pource qu’vne beauté merite que l’on parle longtemps d’elle, ſoit pour la ſeruir, ſoit pour la laiſſer ; & apres qu’il nous en eut entretenus, il mit aux pieds de celle qui preſidoit l’exemplaire de ſon deſdain qu’il auoit doucement chanté en teſmoignage de ſa reſolution. Quoy ? luy dit la Dame, vous m’offrez vn faſcheux preſent : il reſpond ; Ie ne vous l’offre point Madame, ains ie le vous preſente pour en iuger : Ie l’euſſe mis en la main de celle qui a eſté vnique belle à mon ame : mais vne ſage Nymphe Angeuine me conſeilla de ne le faire pas, & meſme me defendit de la nommer, encor vouloit elle que ie ſupprimaſſe mon depit. Luy obeiſſant en ce que i’ay peu, i’ay teu ce nom tant de fois, tant honoré, & bien que la belle ſoit preſente, ie ne luy veux faire ouyr que le ſon de mes raiſons, qui ne ſ’addreſſeront à elle qu’au prix que ſa conſcience la iugera. Cela dit, il ſe retira d’auec nous, & de telle promptitude, ſubtilement exercee, que ſans que nous y priſſions garde, il ſ’euada tellement que depuis nous ne l’auons point veu. I’ay eu la charge de m’en enquerir, & de faire eſtat de ce qui ſ’eſtoit paſſé, meſmes i’ay recueilly ſon excez de deſpit-galant, que le docte Bauduyn a mis en muſique, vous en oyrez tantoſt les accords, & ſi vous y prenez plaiſir, & que voſtre curioſité embraſſe ce deduit, vous le diſcernerez & en iugerez. Là, encor faut-il auiſer à ces confitures ; Page, donnez vn peu de ce muſcat de la bouche, c’eſt ceſte bouteille coiffee d’eſtoupes de ſoye violette. Or la belle qui auoit ouy tous les propos de cet amant, ſe conteint longuement auec grande conſtance, toutefois la puiſſance de la verité qui luy faiſoit cognoiſtre ſa faute, luy flagella le courage, & ſingulierement apres que les myſteres furent accomplis, & qu’elle ſe pourmena au iardin, là eſtant, l’inquietude de ſon cœur ſ’augmenta, & il luy aduint ou d’enragé deſpit, ou de fort regret, qu’elle ne peut ſi bien ſe commander & retenir l’air de ſon ennuy, qu’il ne luy cheut quelque larme de l’œil, dont vne par hazard tomba ſur le vegetable vniuerſel, aupres duquel elle ſ’eſtoit negligemment aſſiſe : or ceſte mignonne liqueur conuient auec celle qui eſt en cet agent, ſans lequel rien ne prend naiſſance ou augmentation. Donques ſe rencontrant au temps de la formelle vegetation, ſa ſeue eſtant en vigueur conceuante, & la receuant elle ſe multiplia appertement par l’heureuſe production eſſentielle, qui luy fournit abondante occaſion de fluer. Le iardinier, qui ſeul de ce nom eſt recognu entre les curieux, a fort bien remarqué ce qui en eſt auenu, & meſmes y a pris garde, pourçe qu’il auoit veu ceſte Damoiſelle (non ineſtimable entre nous) qui ſ’eſtoit arreſtee en ce lieu, tout ainſi que ſi expres elle ſi fut miſe, & penſant que ce fut quelque Fée, l’auoit laiſſee ſans luy auoir rien dit, ayant eu ceſte opinion & veu ſon geſte, qui contenoit ſous ſa grace quelque myſtere, en auertit le ſage Hermes l’ami de l’Empereur, lequel ne meſpriſe rien, & pourtant il alla auec luy recognoiſtre ce qui en eſtoit, ſi qu’ayant eſpluché la cauſe de cet effect, & puis l’effect en toutes ſes circonſtances en fit vn grād eſtat, & fit entendre au iardinier qu’il eſtoit beſoin pour ſon honneur & profit notable qu’il teint ceſte affaire ſecrette, iuſques à ce qu’il fut temps. Les ceremonies acheuees, & tout ayant eſté celebre à l’auantage des bons, & vrays amās ; les pelerins d’amour ſ’eſtants retirez & nous demeurez ſeuls, le ſage Hermes ayāt informé l’Empereur de ce qu’il auoit entendu & ſceu, le conſeil fut aſſemblé & la place viſitee : adonc par vne ſage deliberation ioincte aux aduis de la ſageſſe, il fut dit que ceſte liqueur ſeroit eſpargnee, & ſelon le reſultat du conſeil & le vouloir de l’Empereur qui eſt magnifique en deſpenſes, fut faicte ceſte fontaine pour receuoir ceſte mignonne coulante ; qui peut ſ’eſpancher dans les cœurs : & ainſi a eſté baſtie ceſte double fontai ne, en laquelle ſont les deux eaux : car ce petit endroit que vous voyez vn peu releué, eſt i’eauë ſacree de cette larme, & ce qui eſt au grand baſſin eſt la commune, qui luy ſert de rafraiſchiſſement, & ſ’adapte indifferemment à l’vſage vulgaire. Ceſte petite (pour vous la ſpecifier mieux, à ce qu’elle vous ſoit en plus d’eſtime) eſt la pure diſtillation virginale, & a eſté recueillie en ce porphire d’or, au bord duquel vous voyez encor la pointe du grand vegetable qui ſe noie en ſon onde naturelle, laquelle ſort de luy viue & viuifiee, vous m’auez regardee quand i’ay parlé de Porfire d’or, vous eſtes quelques entendus, ie ſçay bien que ce terme n’eſt pas commun autre part qu’icy où nous diſtinguons les porfires, parce qu’il y en a autant de natures que de ſortes de metaux. Mais ce n’eſt pas encor tout, vous ſçaurez ce quieſt de ceſte fontaine qui nous a eſté manifeſté par plufieurs obſeruations. Cette fontaine à cauſe de ſes effaicts, eſt nommee la Fontaine des Amoureux : auſſi les bōs amans viennent icy faire preuue de ce qu’ils ſont ; car tous ſ’y examinent ainſi : Si quelque fidele boit de l’eau de ceſte fontaine, à cauſe qu’il eſt veritable, il ſe trouue conſolé, ceſte liqueur luy cauſe vn eſprit vif, qui luy rectifie les humeurs, & le met en beatitude corporelle & ſpirituelle, bien qu’elle ſoit indiferente aux autres, ſur leſquels elle n’a aucune efficace, pource qu’ils n’ont rien dans le cœur qui luy appartienne. Il eſt vray à cauſe de l’audace des inſolens, que ſi quelque effronté en goute, ſi vn affronteur en ſauoure, il auient que comme il eſt feint en ſes affections, volage en ſes penſees, precipité en ſes cupiditez & cauteriſé en toutes ſes opinions, il reçoit en ſoy vne froideur maligne qui le rend affreux, & l’inquiete tant qu’il n’a que des troubles en ſon eſprit pour iamais, ſi la dame offencee ne luy pardonne : Les Dames ont auſſi leur part de la punition en cas requis, mais non ſi rigoureuſement. Les ſages nous ont dit que la cauſe de l’effect de cette liqueur, eſt parce que la larme ſortit à l’inſtant de pure paſſion, au propre mouuement de l’effect actif de l’emotion de l’ame de la Belle. Encor il y a en ce baſſin vne notable ſingularité, tiree de celles de Floride & de Minerue, c’eſt que l’eau ayant pris ſa hauteur, ne baiſſe ny ne monte, & ſe tient au terme qu’elle a atteint, en perpetuel & vniforme eſtat. Que ſi on en oſte auec ce vaiſſeau d’electre, incötināt elle ſe mouuera pour croiſtre lentement, tant qu’elle ait pris ſon orizon premier auquel elle ſ’arreſtera.

Les Fortunez furent tres-aifes de ſi bon commencement, & leur ſembloit deſia que tout leur rioit. Le diſcours paſſé & la collation acheuee, les liures, les luths, & pluſieurs ſortes d’inſtruments de muſique furent preſentez, c’eſtoit iuſtement mettre ces ieuncs auanturiers en leur propre element ; chacun donques ayant pris ſelon ſon inſtinct, à la priere de la Dame, & des Nimphes, les voix furent accordees aux inſttuments : Le ſujet de la muſique fut le deſpit de l’amant en la defaueur de la belle deſdaigneuſe, & pource que l’accent en plaiſoit à quelques vnes, l’Empereur l’auoit fait reduire à l’antique façon de chanter, & à la nouuelle auſſi ſous les loix des douze tons de muſique, où les accords pathetiques auoient eſté obſeruez ſelon la rencontre du ſujet, & en la douceur de ceſte harmonie, ſ’oublians preſques en la delicieuſe occupation de leur eſprit, ils remplirent l’air de ces ſouſpirs :

C’eſt trop patienter, il faut que ie me vange.
Deteſtant de l’amour toutes les trahiſons,
Celles qui trouueront ceſte reuolte eſtrange,
M’excuſeront poſſible, entendant mes raiſons.
Ie viuois franc de ſoing, ſans paſſion mauuaiſe,
Quád le plus beau des yeux vint ſur moy ſ’arreſter
Mais qu’eſtoit il beſoin pour offencer mon aiſe
Que cet aſtre cruel me vint ſolliciter ?
Que j’ay de deſplaiſir que mon humeur galante,
Se ſoit proſtituee à l’air d’vne beauté.
Or il eſt ordonné que mon cœurſ ſ’en repente,
Ie trenche donc les nœuds de ma captiuité.
Belle ne dictes pas que c’eſt vne priere
Que ie deſguiſe ainſi d’vn ardeur de courroux,
Vous m’auez tant faſché, que mon ame eſt ſi fiere
Qu’elle ne daigne plus ſe ſonuenir de vous.
Vous eſtes, il eſt vray, belle entre les plus belles,
Vos merites tenoient le premier rang d’honneur,
Mais vos façons eſtans ingrates & cruelles,
A droit vous deſcheés de ce rang de grandeur,
Vous m’auez faict depit, ie vous rendray depite,
Car ie meſpriſeray voſtre ingrate beauté :
Et deſtruiſant ainſi l’heur de voſtre merite
Ie ſeray malgré vous, encor en liberté :
Qui vous auoit contraint d’accepter mon ſeruice ?
Vous deſiriez auoir ceſte barre ſurmoy,
Auſſi i’ay bien cognu vos reuers de malice,
Deſquels vous me leurriez pour corrompre ma foy.
Vos yeux m’eſtaient ſi doux afin de me ſurprendre,
Vos diſcours ſe feignoient conduits de verité,
Vous vouliez triompher, ie voulois bien me rēdre
Ne me deffiant pas de voſtre legerté.

Ie me paſſionnois en l’ardeur de mon zele,
Mon ſeul deſir eſtoit voſtre contentement,
Mon cœur he pretendoit qu’au ſeruice fidele
Ou pour vous ie m’eſtois obligé follement.
Lors auſſi vous viuieK d’agreable apparence,
Receuant du plaiſir de mes humbles ſouspirs,
Vous acceptieK les vœux de mon obeiſſance,
''Eſcoutant les accens de mes chaſtes deſirs.
Mais la cruelle erreur de voſtre ame volage,
Vous a faict retracter, & ie ne ſçay pourquoy,
Sinon que deſirant faire l’apprentiſſage
D’abuſer les amans vous l’eſſeyez ſur moy.
Si i’auois delinqué i’aurois l’ame affligee,
Mais ie n’ay point fait faute en mes deuotions,
Les Dames le ſauront & vous ſerez iugee
Ingrate, deſloyale, & ſans affections :
Lors que vous vous plaiſieK au bon heur de mō ame,
Qu’auec affection vous receuiez mes vœux.
Ie me bruſlois pour vous, d’vne ſi viue flame
Que i’eſtois tout d’amour, de deſirs & de feux.
Mais vous voyant deſchoir, ie deſchay de courage,
Pour vn ingrat ſujet ne daignant m’obliger,
Voſtre cœur indiſcret en aura le dommage,
Et ie voux en verray quelque iour affliger.
Vous auez eu l’honneur d’auoir ſur moy puiſſance,
Quebpour l’amour de vous i’aynfait de beaux proiects,
Ie m’en reuolteray : auſſi ma ſuffiſance
Pour vne autre que vous conçoit de grand ſujects.
Lors que ie vous aimais, vous eſtiez ſeule aimable,
Quand ie vous honorois, ſeule vaus meritiez
L’eſtat que i’en faiſois, uous rendoit déſirable,
Comme ie le diſois, parfaicte vous eſtiez.

On vous verra paſſer comme vne fleur fanee,
Et chacun en mettra la cauſe en mes amours,
Son braue ſeruiteur l’ayant abandonnee,
Diront ils, à regret elle tire fes iours.
J’en ſeray bien marri ſans y pouuoir que faire,
Car ne les aymant plus vos beautez i’oubliray
Vous m’enſeignez aſſez comme il ſe faut diſtraire
Auſſi le pratiiquant ie me retireray.
J’y ſuis determiné, comme ie le proteſte,
Vos inſolens dedains m’ont aſſez reſolu,
Je ne veux plus qu’amour par vos yeux me moleſte,
Uoſtre œil ne ſera plus mon ſeigneur abſolu.
Bien que i’aye regret de cette departie,
Pour le plaiſir receu de ſeruage ſi doux,
Si faut-il eſchapper pour le bien de ma vie,
Car ie ne me veux plus incommoder pour vous :
Ie cognois tout ainſi que ie vous trouuois belle,
Que vou manquez d’eſprit comme de loyauté,
Eſt-ce point en manquer que faire la cruelle,
Sur mon cœur, rebatu de telle vanité ?
Auſſi c’eſt à ce coup, tenez, rompons la paille,
Uiure d’afflictions ie ne veux & ne puis,
Ie veux auoir du bien en quelque part que i’aille,
Auec contentement ſans le payer d’ennuis.
Mais pourtant vos deſdains n’ont point tant d’efficace,
Que par eux ie ſouſpire en ſi parfaicts accens,
Car quand ie ſuis aimé i’ay bien meilleure grace,
A dire les effects du plaiſir que ie ſens.
Vous euſſiez eu plus d’heur, de merite & de gloire,
D’entretenir mon cœur, que le diſgratier,
Mais vous y perdrez tout, car ie perds la memoire

De uos yeux que ie ueux pour iamais oublier.
Ie deſdaignois ainſila belle deſdaigneuſe,
Et brauois ſon deſdain de plus braues deſdains,
Elle en aura deſpit : car elle eſt glorieuſe.
Tels ſont les fiers effects de deſpiteux deſſeins.

Le reſte du iour, le plus beau de l'eſpargne des heures apres le midy, ayant eſté vſé en ces plaiſirs doucement exagerez, au contentement de communication de pluſieurs ſingularitez exquiſes, & remarquables ils prirent congé de la Fée, auec promeſſe ſur ſa priere de la retourner voir, auant que prendre reſolution de partir de ceſte contree. Voila que peut la bonne grace & la vertu que ceſte Dame recognut en ces eſtrangers, qui l'occaſiōna de les prendre en affection, & telle que ſi elle eut oſé honneſtement les retenir, les eut contraints de ſ'arreſter en ſon petit palais.

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DESSEIN IIII.


Quel animal eſt le Chryſofore. Les Fortunez pour auoir faict des reſponſes à propos ſans penſer en mal, ſont accuſez d'auoir volé le Chryſofore de l'Empereur, ils ſont enquis par le Magistrat, puis par l'Epmpereur. En fin ils ſont deliurez.


DEsia les ombres commençoient à ſ'allonger, & la nuict qui oſte les figures de l'air appreſtoit ſon voile pour ſerrer les raretez de nature, que les Fortunez fortans du deſtour de l’alee de la fontaine, prirent le grãd chemin de la ville, de laquelle approchant ils rencótrerent vn perſonnage bien monté, & ſuiui de cinq ou ſix feruiteurs, qui ſ’arreſta à eux, & pource qu’il les voyoit cóme gens arriuans de quelque part, leur demāda ſi en † chemin ils n’auoiét pointveu vn Chryſofore, & que f’ils en ſçauoient des nou uelles, ou qu’ils euſfentveu quelqu’vn l’émener, º illes prioit del’en auertir. Ils § ödirent que le Chryſofore eſtoit ſeul & qu’il ſuiuoit ſon che min, ils ſçauoient bien que c’eſtoit vn animal meſtif que les habitans de Quimalee font ainſi engendrer. Ils reçoiuent vn chameau du ventre " de ſa mere, & le mettent ſous vne aſneſſe qui l’a— lette & eſleue, quâd ce chameau eſt grand& qu’il eſt capable d’engendrer, il ſuit le laict, tellement qu’il n’a aucune volonté és chameaux femelles, ains pourſuit les aſneſſes, à ceſte occaſion on luy en ſubmet quelques vnes, leſquelles de telle ſait lie conçoiuent les Chryſofores qui ſont beaux animaux, gråds cöme mulets, mais de diuerſes & belles couleurs, qui toutes en quelque ſorte que l’on les regarde rédent vn brillant doré : cet ani mal de ſon propre inſtinct ſuit le ſoleil, eſtant chargé il ſe repoſe quelquefois entre les deux ſo leils, ſ’il eſt ſeul, car eſtât en troupe & que lon le pouſſe lors qu’il ſe veut coucher il eſt obeifſant, que ſ’il chemine ſeul, il va ſelon ſon intétion, tât. que le Soleil ſoit couché, & alors il ſe couche, & au leuer du ſoleil il ſe leue. Or eſt-il que les mu lets de l’Empereur eſtoiëtvenus de la recolte des deniers & du reuenu, & parmila troupey auoit · vn Chryſofore que par meſgarde on laiſſa aller vne autre voye, que celle des autres beſtes qui alloiët en troupe. Ce fut la faute des valets qui n’y prenoient pas garde ; quand la troupe futre cueillie au logis, on trouua à dire le Chryfofo re, incontinãt le receueur general remóte à che ual auec ſes gens pour l’aller recouurer ; c’eſt luy qui a demandé aux Fortunez ſ’ils l’auoient veu, auec la reſpöſe qu’ils firent ils adiouſterétl’aiſné diſant : la beſte ſuit le chemin de la foreſt, eſt elle pas borgne ? Le ſecond, eſt-ce pas vne femelle ?. Le tiers ; Elle eſt boiteuſe.A celailles remercia de ſi bonnes enſeignes, leur diſant que veritable-. ment ce qu’ils auoient remarqué § partât qu’elle n’eſtoit qu’égaree, parquoy il pourſuiuit | ſon chemin, Ce general ſuyuit la voye qu’ils luy auoiét möſtrée, & auec ſes gens ne fit que tracer toute nuict, tant que laſſez reuindrent au matin, en deliberation d’enuoyer diligemment gés de toutes parts pour en ouyr des nouuelles. Le So leil eſtoit deſia aſſez haut, que les Fortunez al loient à la fontaine reuoir la Fee, & ce Receueur. les rencótra preſques où le iour de deuátil auoit parlé à eux & leur dit, tout faſché, qu’il n’auoit point ouy de nouuelles du Chryſofore, & les pria de luy en dire ſ’ils en ſçauoient.Ils reſpódét ; Nous auons apperceuſes alleures, &l’auons veu de fait ou de penſee, & ne ſçauons ſ’il eſt à vous. L’aiſné, La beſte eſt chargee de ſel. Le 2. Ilya auſſi du beurre : l’autre, Et du miel. Ce Receueur les remercia fort courtoiſement en apparëce, & paſſa outre, &dit à vn de ſes gés qu’ilauiſa où ces trois ſe retireroient, & eſtant en la ville print vne commiſſion & des ſergens, & alla apres les For tunez, leſquels il trouua ſur le ſentier qui con duit à la fontaine, & les fit prendre & mener de uant le luge. Il y auoit occaſion de faire recher che de ccttc perte : Car ce que le Chryſofore † cſtoit plus exquis quel’or, d’autant que e ſcl cftoit dc ce ſel fuſible cryſtalliſé, dont les anciens ont tant chanté de vertus, & l’Empe reur en vſoit pour ſe preſeruer de l’epilepſie : Le. beurre eſtoit fait du laict d’vne ieune vache, ayāt veſlé la premiere fois & d’vn maſle, le ſoleii eſtät en la fin du Taureau, & le beurre fait le ſoleil · eſtât aux Gemeaux, duquelon tiroit vn magiſte re dont l’Empereur ſe ſeruoit pour ſe tenir frais & ſe conſeruer ſans douleurs. Le miel eſtoit tiré de mouches vierges, qu’on appelle, & eſt preſques blanc, & ce miel ainſi pris des abeilles royales eſt reduit en liqueur vineuſe pour la bouche de ſa maieſté, qui en prend ſouuët pour diſſiper l’humeur qui cauſe la goute, & par ainſi il ſ’en garentiſt, bien qu’il en fut de race d’en eſtre atteint. Les Fortunez ceddans à la force, furent conduits deuant le Magiſtrat, qui les in terrogea de leur qualité, païs, eſtat, noms & af faires, & les enquit ſur le vol du Chryſofore, à quoy ils reſpondirent ſuffiſamment, & de bon ne grace, yadiouſtant vne aſſeurance qui faiſoit eſmerueiller le Iuge, qui inſiſtant ſur ce vol, les preſſoit de dire où ils l’auoient deſtourné : adonc ils declarerent auec humble ſerment, qu’ils ne l’auoient aucunement veu, ne rencontré : leur † à dire leurs raiſons empliſſoit d’eſba iſſement ceux qui eſtoient preſens, ioint qu’ils alleguoient que ce qu’ils ont dit a eſté de gayeté de cœur.Le iuge ſe voyant moqué à ſon auis, les enuoya en priſon, où ils furent ſeparez, & deli bera de les preſſer de ſi pres qu’il ſçaura la verité du vol. De fortune à ces interrogatoires eſtoit preſentvn gentilhomme ſeruant de l’Empereur, qui ayant tout remarqué & ſe trouuant au diſner de ſa maieſté, qui demandoit des nouuelles, ra ACGI1t2 CC qu’il auoit veu & ouy, de ces beaux eſtrangers, & en conta tant de merueilles que tout incontinent l’Empereur les enuoya querir, voulant ſoy-meſme ouyr & voir ces † ges pour en faire iuſtice ſelon l’arreſt qu’il en donneroit, puis qu’ils ſ’eſtoient attaquez à cho ſe de ſi grand’conſequence luy appartenant.Les priſonniers luy eſtans amenez & l’accuſation faicte en leur preſence, l’Empereur leur dit : Beaux enfans, i’ay regret qu’en fi grande ieuneſ ſe vous ſoyez addonnez à vn ſi pernicieux me ſtier, vous me faictes pitié, toutefois ie ſuis con traint de faire iuſtice, ie vous feray pourtant miſericorde, pourueu que vous recognoiſſiez voſtre faute, & declariez qui ſont vos compli ces, à ce que reſtitution ſoit faicte. Auiſez que ce n’eſt pas peu de ſe prendre à moy, parquoy repentez-vous & faictes voſtre deuoir : que ſi vous eſtes opiniaſtres, ie vous feray ſibien cha ſtier, qu’à voſtre punition on iugera de mon equité. L’aiſné des Fortunez. Sire, l’eſtat que nous auons ouy faire de voſtre bonté nous a fait venir en vos terres, pour les viſiter, & cognoiſtre ce qui eſt vray de voſtre majeſté ; Nous ſommes trois freres arriuez en ceſte ville d’hier au ſoir, non poury voler, ny guetter les chemins, car ce n’eſt pas noſtre condition, tout ce que nous deſi rons rauir, pratiquer ou emporter d’ici eſt l’hö neur, & en telle habitude la vertu nous fait errer par le monde. Or, Sire, nous vous diſons fran chement, qu’arriuans icy aupres, nous auös paſſé par vn petit chemin peu frequenté, & là auons veules alleures d’vn Chryſofore, & eſt auenu que celuy qui nous accuſe l’ayāt eſgaré, poſſible par ſa negligence puniſſable, ou celle de ſes gens qui eſt inexcuſable, le cherchant nous en a de mandé des nouuelles, & luy auons dit ſans con trainte, des enſeignes qui le pouuoient dreſſer : Sire, ce que nous auons dit eſt vne coniecture faite ſur l’apparence offerte, & s’il eſt auenu que nous ayons rencontré à la verité, ce n’eſt pas à dire que nous l’ayons deſtourné, ou en ſoyons conſentans, & de fait nous n’auons point veu la beſte, & n’y auös point fait de faute, car nous ne voudrions pas faire tort à aucun : Auſſi ce que nous luyauös confirmé de noſtre cognoiſſance, eſtoit pour le conſoler. Sire, ſaufl’honneur deu à voſtre maieſté, il n’ya pas apparence qu’ayant fait vn ſi notable vol, le vinſions confeſſer, & hous mettre en lieu où vous auez tout pouuoir,’ilyauroit en nous trop de temerité : Ceux qui font mal cerchent les tenebres, & nous auons † en pleine lumiere, meſmes noſtre hoſte reſpondra qu’iln’a rien veu auec nous que nos petites hardes. L’EMP. C’eſt dömage mes en fans que vous vſiez voſtre gëtil eſpritàmalfaire, & à vouloir ainſi palier vos meffaits.Laiſſez cete mauuaiſe induſtrie, & vous recognoiſſez tandis qu’ilya encor lieu de grace. Le second. Sire, ſi nous eſtiõs voleurs, la cõſciẽce qui eſt plus forte que l’ame meſme nous accuſeroit deuät vous, & n’y auroit pas moyẽ de ſubſiſter en voſtre preſence, n’eſtɑ̃s point innocens ; auſſi nous n’auons as tɑ̃t d’âge & de neceſſité que la vie no* ſoit vn malin fardeau, duquel nous ayons enuie de perir volótairemẽt. L’EMP. Vous vous endurcirez tɑ̃t en voſtre mal, qu’il n’y aura plus moyẽ d’obtenir pardon, auiſez vous, & ne faictes point tant les ſuffiſans, car nous ſçauõs le moyé de rabatre tels art fices & de plus grands. Le IEVNE. Sire, l’aparẽce de noſtre fortune vous doit oſter l’opinion de l’intereſt que vo* auez en la perte du Chryſofore, qui eſt ſi peu quand il ſeroit tout perdu, qu’il ſ’en peut recouurer vn autre, & meſme cet tuy là peut eſtre trouué : mais le mal qui eſt fait à des innocés ne peut eſtre reparé, voſtre equité y pouruoira. L’EMP.Voici de beaux diſeurs, il les faut reſſerrer, le tëps leur enſeignera à parler d’v— ne autre ſorte, pourtãt que l’on les enqueſte dili gément ſelon les voyes de iuſtice. La Fée ouit le bruit de ce qui ſe paſſoit touchât ces prisóniers, & ſçachât que c’eſtoiét ces ieunes eſtrangerstät accomplis qu’elle auoit eus à la fontaine, voulut preuoir à leur fortune, parquoy en haſte ellevirit vers l’Empereur. Ainſi qu’elle entroit en la ville on ramenoit le Chryſofore, qu’vn valet de charbonnier auoit trouué au long de la foreſt, & l’auoit redreſſé ayant veu la couuerture qu’il co gnoiſſoit.La Fée ſe haſtoit d’aller & rencótrales Fortunez qu’on remenoit en priſon, elle ſ’ad dreſſa aux ſergens, leſquels ayant priez remene rent les priſonniers à l’Empereur, qui eſtoit cncor au lieu meſme où il les auoit interrogez, il fut eſbahy de voir la Fée venir auec ces ſergēs, il penſoit qu’elle euſt quelque plainte à faire contre ces eſtrangers, mais il changea d’opinion quand il l’a vid en humble ſuppliāte le requerir : Sire, ie vous ſupplie ayez compaſſion de ces ieunes gens eſtrangers, ne faictes point de tort à voſtre reputation en les offençant. Leuez-vous ma couſine, dit l’Empereur, tout eſt voſtre, ie feray tout ce que vous voudrez. Donnez les moy, dit-elle : Ie le veux, dit l’Empereur : Mais dequoy les cognoiſſez-vous ? Elle raconta à l’Empereur leur arriuee à la fontaine, & ce qui ſ’y paſſa ; & comme elle faiſoit ce diſcours, il entra vn Prince qui vint prier l’Empereur d’apaiſer cet affaire, pource que le Chryſofore eſtoit trouué, la prudence de l’Empereur fut de conuertir tout en ioyeuſe rencontre, ne laiſſant toutefois de menaſſer en particulier le Receueur, luy remonſtrant ſa faute, inconſideration & negligence.

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DESSEIN V.


L’Empereur enquiert les Fortunez ſur ce qu’ils auoient dit du Chryſophore, & ils luy en rendirent raiſon, & comme ils auoient iugé de ce qu’il portoit, ce qu’ayant entendu il les pria de demeurer auec luy.



TOvte l’affaire du procez eſtant terminee, les Fortunez prenoient congé de l’ Empereur qui les ayant conſideré leur commanda de ne s’eſloigner † mais de demeurer vn peu, tant qu’il euſt parlé à eux. Illes appella donc à ſoy, & ies interroguadeleurs pays, noms & qualitez, & apres auoir ſceu d’eux qu’ils eſtoient de Naba donce, fils d’vn ſage Philoſophe, qui les enuoyoit voir le pays.Il leur demâda ce qui eſtoit du Chry ſofore & ce qu’ils en penſoient, veules enſeignes &reſponſes qu’ils auoient faictes au General.CA vALiREE. Sire, les petites remarques qui nous ont fait parler au General ſont de † peu de con ſequence, que ce nous eſt preſques honte de les deduire deuät voſtre Maieſté : toutesfois pour ce que les ſuiets de plaiſir ſont quelquesfois agrea bles aux grands, nous vous dirons maintenant ce qui en eſt, Ne cognoiſſans pas le pays, nous pre nions les voyes qui ſe rencontroient, parquoy paſſant par vn aſſez beau chemin, non pourtant gueres battu, ievy le train de la beſte, & ie ſuppo ſé que c’eſtoit vn Chryſofore, comme le pied, & le pas imprimé au ſable me le demonſtroit, & de là aduiſant plus exactement, i’eſtimé qu’il eſtoit borgne, & qu’il auoit perdu l’œil droict, car ie remarqué qu’il s’eſtoit mis à paiſtre de l’herbe qui eſtoit à ſon coſté gauche, laquelle n’auoit pas ſi bonne grace que celle qui eſtoit à droit, la quelle n’eſtoit point atteinte, ce qui m’induiſit à croire qu’il ne voyoit point de ceſte part là. FoNsTELAND. Ie cogneu que c’eſtoit vne femel le, d’autant qu’elle auoitvriné, & ie notté que ſon eau eſtoit entre les pieds de derriere fort eſ loignee en dehors, ce qui n’eſchet pas és maſles qui coulent leur eau entre les quatre pieds. Vivarambe. Ie penſe qu’elle eſtoit boiteuſe du pied gauche de deuant, (ie parlerois en eſcuyer ſi ie traictois d’vn cheual) par ce queie voyois la ſymmetrie de l’allure fauſlee en tellepart, & par tant qu’elle clochoit & fouloit autrement l’her be de ce pied que ces autres. L’EMPEREvR. Voilà de bien ioi1es obſeruations, qu’en dis — tu couſine ? LA FEE. Ce n eſt pas tout, vous y trouuerez plus que vous ne penſez. L’EMP. Et pource il faut venir au reſte qui eſt plus difficile, comme ie croy, mais pre, nierement les beaux enfans, à ce que ie n’aye point honte d’eſtre ſer uy en ce qui me concerne, dites-moy pourquoy ayant aſſez de richeſles, de grandeurs, & de pouuoir, ie me ſers d’vne beſte eſtropiate & fe melle, & partant de moindre courage ? CAvALIR. Sire, nous ſçauons bien que quand la planette de Mars eſt en conionction auec celle de Venus, ſi ſoudain on ne prend vne aſneſſe pleine d’vn Chryſofore, & quel’on la coupe en pieces pour la faire deuorer aux lyons, toute la race des Chry ſofores perit.Nous auons ſçeu en Quimalee que faute à vos Sages d’auoir preueu à ceſt inconue nient, tous ceux de ce pays eſtoient morts, il y auoit plus de dix ans, & que l’on n’en y auoit point encores renouuellé l’engeance, & c’eſt la cauſe que vous n’auez que ceſte-cy. L’EMP. Si tout y fut mort icy, celle-cyy fuſt morte auſſi. FoNsTEL.Elle ne pouuoity eſtre ſans mourir, & puis qu’elle eſt viue, on l’y a amenee d’vn autre † auſſieſt-elle nee en Quimalee iſleimprena le, & de laquelle on ne laiſſe ſortir de ces ani maux qui ſoiententiers, il eſt vray que là ils ne craignent point les influences, car ils n’y ont point de force, pource que nature ſeules’eſtreſer ué ce petit pays, où il n’ya que ſon pouuoir qui agiſſe : Or ces Quimaliſtes liurans vne Chryſo fore, car des maſles ils n’en laiſſent point aller, ils luy pochent vn œil, & ſerrent vn nerf du pied. L’EMPEREvR. Ayant veules pas de labeſte, & iu gé que c’eſtoit vne Chryſofore, il vous a eſté aiſé deiuger qu’ellefutborgne & boiteuſe. LEs FoR TvNEz. Ouy Sire, mais il vousa eſté dit de quel pied & de quel œil, & ceux de Quimalee n’y gar dent pas vne meſme Loy.L’EMP. Il faut acheuer. VIvARAMBE. Il eſtoit bien force de vous ſeruir d’vne femelle, n’en pouuant recouurer d’autre, & puis pourl’effet du ſeruice qu’elle vous fait, elle eſt treſneceſſaire, d’autant qu’il y a entre elle, & le ſelfuſible vne certaine ſympathie qui fait qu’elle le porte, ce qu’vn maſle ne feroit pas, quine ſouf fre ſur ſoy que les hommes qui le ſçauent domter ou le metal. CAvAL1R. Tout autre animal por tant le mielvierge, qui ſe cueille en la § I’C— culee, le font aigrir hors mis ceſtuy-cy, qui eſt propreà le porter. FoNsTEL. Ceſte beſte a vne odeur qui reſiouyt & delecte les autres beſtes de charge de quel ſexe que ce ſoit. Quand on les meine en troupe, on fait paſſer la Chryſofore que l’on arreſte, & puis on fait ſortir toutes les autres beſtes qui portent, quil’vne apres l’autre gayes & ioyeuſes de l’odeur de la Chryſofore, vont en auant, & puis la Chryſofore ſuyt. CA vALIREE. Les maſſes de ceſte eſpece ſont tout au contraire, car par leur odeur ils eſtrangent tous animaux, &la femelle les aſſemble, les pouſſant deuant ſoy quand il y en auroit mille : c’eſt tout au rebours de l’inſtinct du Cheual entier qui fuit la caualle ou le fraix herbé. L’EMJ>EREVR.. I.e trot1t1ê bon1’1e cefl : e n1cillefl : e refpo11fe, il fat1t paller outre, à ce que ic fçache co111me /, vous auez iugé de ce qt1e la beGe portoit. CA v, P-REE~ Sire, les efprits curieux 11c 111efprife11t rie11 : e11tre ( les cot1Cl : u1nes natt1rclles des Cl1ryfofores, cefie là e ! l :, que Gquelq11’v1111e les p·ot1fle, aya11t cl1arge de quatre l1ct1res en q11atre l1eures, la befie fe baifle fi1r fes genot1x & ie repofe e1111ir6 vn qt1art d’l1~t1re, puis fe leue & circ che111i11 ta11t qu’il fe co11che du tout, il efioit adue11u comme il efi’ray-fen1blable ot1 l’e(l dt1 tout, que cefie befl : e s’efroit repofcc cnuiro11 le defl : roit de ce cl1emi11 po11r tirer e11cre la fore/1 & le defert, & s’arreſtant fur le f.1.ble, y e11 attoit affez i1nprimé l’appare11ce, ie 111c n1is à regarder de pres ce lieu foulé : ce fut là où pre1niere1ne11t nous ·en defco11urimes des 111arqt1es, car 11ous y 11affio11s, & ie dis à ~•es freres que ie pe11fois que ce ft1fl : là le repos d’v11 Chryfoforé, ils fure11t de 111011 auis, & qu’il efioit cl1argé, & dis qt1e ie croyais qu’il portait du fel, parc~, qu’il y auoit de11x brebis qt1i s’amufoie11t là aupres à grig11qtter le f.ilrlë, ott il f1’y au oit poi11t _d’l1erbes, 011 fçait q11e__la hr.ebischerche le ~fel,. FoNSTEJ., Aya11t regardé de 11lus pres, i’adioufl : é à cefie obfer11atio11, car ie veid gra11de qua11tité de fot1rn1is qui allqie11t & vt11oie11t d’vn co ! lé feuleme11t, do11t il i11e chet1t e11 l•opinio11, qtt’il y at1oit là q11clque odeur de, bet1rre, qt1i occaſionnoit à ces petits animaux de faire tant de chemin, d’autant que ceſte ſubſtance eſt vne de leurs plus exquiſes delices. Vivarambe. Suiuât ce que mes freresauoient remarqué, ie fis eſtat auſſi qu’ilya uoit du miel, pour autant que ie vis force mou ches à miel en ceſt endroit où il ne paroiſſoit au cune fleur, & elles ſe ſappoient contre le grauier, c’eſtoit la douce force del’odeur du miel qui s’e— ſtoit exalee là durât le repos de l’animal qui auoit eſchaufféies ſubſtances, au moyen dequoy les fu mees en eſtoientiſſuës en ſenteurs exquiſes. Ces raiſons pleurent à l’Empereur & leiugement de cesieunes eſtrangers luy fut en admiration, con ceuant en ſon cœur, qu’vniourils pourroyéteſtre grâds perſonnages, ayās deſial’eſprit ſi iudicieux : Celà fut cauſe que ſon ames’enclinavers eux, les. prit en amitié, &pria de demeurer † luy, leur faiſant promeſſe de les auancer. La Fee oyant le dire de l’Empereur, luy dit qu’elle s’y oppoſoit, qu’ils eſtoient à elle, qu’elle les luy auoit donné. Il reſpondit à la Fee, Nous ſommes en vn Empi re, où les gens de bien ſont libres, & les meſchans eſclaues : quandielesay eſtimez à tort eſtre mau uaisie les vous ay dönez pour les rédre meilleurs, mais n’eſtans pas de la qualité d’eſtre donnez ou vendus, il eſt en eux de faire ce qu’ilsvoudront, & partant ma donnaiſon eſt nulle : & là deſſus s’ad dreſſant à eux leur dit, Mes enfans vous ſoyez les bienvenus en ce pays, ie ſuis marrique l’on vous ` y ayt voulu faire de l’ennuy, celà s’effacera aiſé ment : & encore auec plus de magnificence & de gloire pourvous, ſi vous deſirez demeurer † de moy, ſi vous le faites, ie vous tiédray auſſi chers que mes enfans, & vous feray du bien. CAvALIR. Sire, c’eſt le plus grādheur que nous puiſſions rechercher, mais cōment auriez-vous agreable que de pauures eſtrangers fuſſent à vous ? L’Emp. Ie ne vous tien point pour eſtrangers, car les vertueux ſont à moy cōme ie ſuis à eux, & i’ay agreable que vous ſoyez aupres de moy, & ie vous tiendray cōme bons amis, ie vous prie que celà ſoit. La Fee prit le ſoin de les faire loger, & cependant les mena à la fontaine, les rafraiſchir & conſoler de l’aduerſité qui leur eſtoit ſuruenuë.

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DESSEIN SIXIESME.


L’Empereur par vn ſecret endroit venoit eſcouter les Fortunez, & il les entendit parler de diuerſes choſes dont il voulut eſtre aſſeuré & pource les uint uoir. Ils interpretent leur dire, & l’auiſent d’vne trahiſon contre luy.



LEs Fortunez arreſtez auec ce Monarque, faiſoient tous les iours voir des gentilleſſes de leurs perfections, meſmesés plus exquis exercices de la Court, tellemēt qu’en peu de temps ils tindrent rang entre les plus accomplis qui en faiſoient beaucoup d’eſtat. L’Empereur accort en ſes affaires deſirant cognoiſtre ce que ces ieunes gens auoient en l’ame, leur donna vne petite appartenance de pauillon où ſeuls ils demeuroyent auec leurs ſeruiteurs, car il leur donna train honneſte. Or la ſale où ils prenoient leur repas eſtoit ſur le iardin, & y auoit vn artifice qu’ils n’auoient pas apperceu, vn cabinet, dans lequelon alloit par vne gallerie dansl’eſpoiſſeur de la muraillereſpö dant à la chambre del’Empereur, lequel ſouuent venoit par là en ce petit lieu, pour ouyr ce que les Fortunez diſoient beuuans & mangeans, & par fois apreslerepas quand ils ſe penſoient ſeuls, & qu’ils diſcouroient en leur priué.Ceſte curioſité ſuccedaàl’Empereur, & fut vn moyen des gran des fortunes qui ſont icy retracees. Vn Mecredy matin que la Lune eſtoit au ſigne de Gemini, téps propice à la † d’aucunes eſſences pro pres à la conſeruation de la ſanté à quoy les For tunez eſtoient entendus, non ſelon les vulgaires malaxations, &friuoles ſofiſmes descendriers ab ſtracteurs, ains ſuyuant les maximes des ſages qui ſont de la cabale des Ortoſiles, ſelon quoy ils fa çonnoient le magiſtere de l’agaric, s’eſtans donc relaſſez en leur ſalle pourvacquer à ceſte petite occupation, mais § &excellente, l’Empereur commanda qu’on leur portaſt vn cheureau quia uoiteſtéleué de deuant luy, & vne § de ſon bon vin : leur heure de diſner venue, ils ſe mi rent à table, & deuiſerent de pluſieurs choſes, & afin de n’eſtre entendus des vallets & ſeruiteurs, ils parlerent François, qui eſt le langage exquis entre les Princes & les ſçauans. Caualiree auec luſieurs autres diſcours en mitvn ſur le tapis, ſe † comme du premier effort de table, ils s’eſtoient ruez ſur le cheureau, & auoient ſauou ré le bon vin, & dit qu’en l’excellente practi † de paſſer ceſte bonne liqueur en l’eſtomach, il y auoitpenſé de pres, iugeant qu’encore qu’il fuſt fort delicat & gracieux qu’il luy eſtoit auis qu’il n’eſtoit pas vin pur, mais meſlé de la ſubſtance des deffuncts. FoNsTELAND. Mon frere, croyez-moy, ie branſlois en penſee, pour tom ber en meſme opinion, & ſur celà ie me reme more de ce bon cheureau, & tantoſtie ne ſçay ſi vous yauez pris garde : quant à moy ie ſouſtien drois ioyeuſemët & ſans offencer perſonne, qu’il eſt de l’aliance de chien. L’Empereur eſtoit venu à ſa ſentinelle & les oyoit, mais il ne pouuoit rien entendre à ces diſcours, & eſtoit preſt de s’en re tourner quand Viuarambe qui auoit longtemps eſcouté, prit la parole & dit, 1e ruminois à ce que vous diſiez penſant aux biens que nous a faict ce bon Empereur, qui ſigracieuſement & de franc courage exerce vers nous beaucoup de courtoi ſies & d’honneur, nous octroyant le moyen de nous reſiouyr honneſtement, & quine nous en uoye rien quine ſoit bon.Ie loüe fortvoſtre cöſi deration ſur ce ſuiet qui nous regarde, mais i’ay là deſſus repenſé plus profondément, & lameſ me choſe que poſſible vous auez coniecturee, la quelle eſt d’vne conſequence trop plus pregnan te, C’eſt que la vie de ce ſage & † Prince, eſt en danger, & s’il n’y met ordre dans peu de téps, ie crains qu’ils’executevne cruelle entrepriſe cö tre ſa vie. Ce fut à ces mots que l’Empereur at tentifs’eſſayoit d’en ouyr d’auãtage, mais ſe trou uaºs ſur ce ſuiet de meſme opinion, ils change rent de Propos, remettant à penſer de ceſte affaire àvne autrefois L’Empereur ſortit bellemët de ſa #º & vint viſiter les Fortunez, ainſi qu’ila ºººººouſtumé ſans faire autre ſemblant, eſtant † dit, Ie vous viens voir mes enfans, *-vous de beau, ie veux vn peu deuiſer auec vous, ce qu’ayant dit, il leur demanda ce qu’ils faiſoyët, & de propos en autre, apres quel ques gentilleſſes il leur dit : Or ça vous ſcauez beaucoup de choſes, & eſtes fort accorts, mais VOllS 11C § pas, que ie ſcay bien quels pro pos vous auez tenus, & les notables auis que vous auez de choſe de conſequence : Sire, luy reſpondirent-ils, vn Prince tout accompli com me vous eſtes, peut ayſément ſcauoir, meſmes les conceptions de nos petits eſprits. L’EMP. Ie ne veux point repartir, ains vous dire que ie ſcay ce quevous auez dit, touchant le ſujet du diſner, dont deux ont parlé, & l’vn de vous a tenu pro pos d’vne affaire ſecrette qui me cöcerne. Ils co gnurent à cela, qu’il pouuoit les auoir entendus, & ouy parler par quelque maniere, qu’ils n’a— uoyent pas preueuë, parquoy ils luy repeterent naifuement leurs propos ; Caualiree ayant de duit ce qu’il auoit mis en auant, l’Empereur luy demanda la raiſon de ſon iugement. CAvALI REE. Sire, le vin eſt ordonné pour reſiouïr le cœur, & il eſt auenu qu’à l’inſtant quei’eu coulé en mon eſtomach, le bon vin de la bouteille eſ leuë, il m’eſt ſuruenuie ne ſcay quel aneantiſſe ment de courage, qui m’a cauſé vne ſoudaine & profonde deſplaiſance, & ne ſachant aucune hu — meur melancolique abonder en moy, i’ay aſſis iugement ſur ce vin, le faiſant cauſe de ce trou ble, & me ſuis mis en la fantaiſie ce que i’ay dit, eſtimant qu’il ſoit cru en lieu, où autrefois ilyait eu des ſepulchres, ouvn cemetiere. L’EMP. Et vous qui auez parlé de l’aliance de chien, qu’en dites vous ? FoNsTELAND. Ayant mangé quel que peu de ce cheureau, &le ſauourant diſtinctement ie l’ay trouué d’vn gouſt plus fade, & de chair plus longuette que des autrescheureaux.& malangue s’eſt chargee d’vne ſaliue eſcumeuſe, cóme ſi i’euſſe māgé de la chair de chiés, d’où i’ai penſé qu’il pouuoitauoir eſté allaicté d’vne chie ne.L’EMP.Nous pouuons ayſement verifier ceci, mais le fait dont vous, Viuaräbe, auez parlé, qui touche ma vie, & regardel’eſtat, eſt bien de § grand pois.Parquoy ſi cömevous l’auez dit vous auez ſoin de moy, & que ie vous ſois en quelque eſtime, ie vous prie de me dire ce que vous en ſcauez.vIvARAMBE. Sire, l’importāce de l’affai re m’a fait ſoigneuſement penſer & diligemmêt obſeruer, ce qui en pourroit eſtre, & ce qui m’a induit à preſumer le futur accident, eſt que i’ay appris qu’il n’y a pas longtemps, que vous auez fait equitablement punir à mort le fils de Para tolme, qu’eſt le premier de voſtre conſeil, i’ay deſcouuert par mon propre & particulierauis, que ce pere eſt felonnement indigné cötre vous, & partant qu’il remue quelque vengeâce contre voſtre maieſté, ce que i’ay recognu par cesgeſtes, ue i’ay obſeruez expres, y ayant pris garde & † tout lundi au ſoir, que nous eſtiós tous envo ſtre preséce, & que vous feiſtes vn ample & beau diſcours de la iuſtice, & du deuoir des Rois & Mo narques, ſelon quoy vous proteſtiez d’eſtre reſo lu d’extirper toutes ſortes de meſchäs, quät bien ils ſeroyët vos propresenfans, & ſi bien chaſtier ceux qui § par malice, quel’on pourra eſtre en bône ſeurté és païs de voſtre obeiſsäce ; Durât ces propos, i’epluchois les geſtes de ce ſei gneur, queie conſiderois attentiuemët & remar quois à ſa contenäce toute changeāte, qu’il auoit de terribles imaginations en l’ame, ſa couleur tantoſt morne, puis ſoudain enflammee, me dö noit occaſion de preſage, tellement que i’ay con iecturé vn mauuais deſſein, &ce qui plus me for mala perſuaſion quei’en auois, fut que ſon alte ration ne peuſt eſtre tant cachee, qu’il ne lama nifeſtat trop, ſi on y eut pris garde, car il ſe fitap porter de l’eau qu’il beut, pourrafraiſchir ſon in terieur, que l’ebullition de ſon ſang auoit eſchä # en la rage & depit, qui le recuiſant le pouſſe à a vengeance de la mort de ſon fils. L’EMP. Cecy ne doit eſtre diuulguény meſpriſé, &puis l’aſſeu rance que i’ay en voſtre ſageſſe, qui le tiendraſe cret à téps, me donne enuie de rechercher ce qui en eſt, cependant nous aurons loiſir d’y auiſer, acheuez vos petites affaires.

L’Empereur ſ’eſtant retiré à ſa couſtume(caril le vouloitainſi, & prenoit plaiſir d’aller & ve nir ſouuent vers les Fortunez, pour les ſurpren dre & ſe delecter) enuoya appeller le maiſtre d’hoſtel quil’auoit ſeruice iour-là, & luy com manda deſcauoirincontinent où auoit eſté pris le vin du diſner, &quelileſtoit, & quiauoit four ni le cheureau, & qu’auſſi toſt on fit venir les prouuoyeurs qui lesauoyent deliurez : ce man dement executé, celuy qui auoit la charge du vin eſtant venu, l’Empereur luy demanda où il auoit acheté ce vin là, duquelilauoit eſté ſerui à diſné. L’eſchançon & les officiers preſens, il re ſpondit que c’eſtoit du meilleur cru de tout le pais & que pour le ſeruice de ſa majeſté, afin de n’en mäquer, ilauoit acheté le clos où il croiſ ſoit, & le faiſoit dignemét façöner, à ce qu’il fut comme touſiours eſtimé, & trouué du plus deli cat & gracieux, pour la bouche de ſa Majeſté. A l’inſtät, l’Empereur quine veut point perdre de tëps lui cömäda de fairevenir ceux quiluiauoiét vendu la vigne.Cependant le prouuoyeur auoit fait venir le maiſtre berger du parq del’Empe reur, lequel auoit fait ce preſent à ſa Majeſté : comme rare, nouueau & beau. L’Empereur luy commanda de luy dire où il auoit pris ce che ureau, le pauure paſtre dit ingenuëment à † eſtoit : Pardonnez moy, Sire, ie ne l’ay pas fait par malice. Il n’y auoit que deux iours que ce pauure petit eſtoit nay, quand ſa mere eſtant aux champs, ſ’eſlongna pour aller brouter en vn geneurier, derriere le † il y auoit vn loup caché qui l’empoigna, ans qu’on la peuſt ſecourir, ie fus bien § de ceſte perte, & encor plus à cauſe du petit que | ie perdois, & il eſtoitle premier, ſi que c’eſtoit vne choſe rare & exquiſe, parce qu’iln’y en auoit point encore. Ie m’auiſé d’vne maſtine quiale ctoit trois petits chiens, ie les pris & lesiettay en l’eau, & mis le cheureau § chiene, le petit auoit faim, tellement qu’il la’cha auidement le bout du tetin, & continua tant qu’il deuint grād & beau, le voyant refaie, frais, gras, & ayant mi ne d’eſtre fort delicat, ie l’ay baillé au prouuo yeur qui en fait grand eſtat, car de fix ſepmaines on n’en verra de bons. L’Empereur le renuoya, luy deffendant de luy enuoyer de telles viandes vne autrefois. Le Marchand qui auoit vendu la vigne arriua, & l’Empereur l’enquit, s’il auoit autrefois acheté ceſte vigne, ou ſ’il l’auoit euë de ſes predeceſſeurs. Le Marchand reſpondit que c’eſtoit vn aqueſt qu’il auoit fait d’vne commune, qu’il auoit euë de la paroiſſe, & qu’il auoit ouï dire que l’endroit où eſtoit la vigne, eſtoit iadis vn Cemetiere, & lieu de ſepulchre de quelques anciennes familles, qui eſtoient peries ou retirees du pays. Ayāt oui cela, l’Empereur le rēuoya, & ſur ce qu’il auoit entēdu il iugea que les Fortunés eſtoient grands Naturaliſtes & fort prudents.

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DESSEIN SEPTIESME.


Aduis des Fortunez pour deſcouurir la trahiſon. Inuention de l’Empereur pour y paruenir. Diotime parle à Paramißia, qui preſumant eſtre aymee de l’Empereur, declare toute la trahiſon premeditee.



LE lendemain à heure propre, l’Empereur fit appeller les Fortunez, & les ayans pris à part leur dit, à la verité ie recognoy par la preuue que vous auez raiſon en vos paroles & actiōs, qui fait que i’ay vne grande croyance en vous, parquoy ie vous prie que vous faciés en ſorte, que ſi Paratolme a quelque mauuais deſſein, ou machination cōtre moy, on le puiſſe deſcouurir, & ſ’il ſe trouue coulpable, i’eſpere le faire auſſi biē punir comme i’ay iuſtement chaſtié le fils. C’eſt icy où il faut trauailler, en quoy vous eſtās employez ie vous demonſtreray apres quel honneur & recōpenſe ie ſcay faire aux gens de bien. Vivarambe. Sire, Voſtre bonté nous oblige tant, que nous ne pouuons n’y oſons faillir à noſtre deuoir, & ſ’e— ſpere Dieu aydant, que mes freres me cöduiront # bien en ceſte entrepriſe, que nous en verrons l’iſſuë en brefà voſtre contentement.Ie vous de clareray ce que nous en auons medité : mais vous diſant noſtre intention, Sire, elle demeurera en l’enclos du ſecret de voſtre cœur.Nous auös deſ couuert que Paratolme eſt eſperduëment eſpris de labelle Paramiſſia, qui eſt encor fortieune, & il eſt d’âge, toutesfois il ſemble qu’elle préne plai ſi à ſa recherche, à cauſe de ſa grande fortune : Quät à luiil n’y eſpargne riéfaiſant le ieune, & le galant tant qu’il peut, on croid qu’en fin ill’eſ pouſera ; Ceux qui ne conſeruent point l’höneur des Dames, en diſent ce que d’opinion ils en croyent, eſtimãs qu’il ſoit vray.Ceſte demoiſelle eſt fort prudente, & qui tirera de lui auſſi bien les ſecrets que l’argent, celui qui abâdonne ſa bour ce à l’amour, donne aux femmes ſes penſees en proye.Les femmes sôt curieuſes de tout ſcauoir, rien ne leur eſchappe de ce qu’elles deſirent de ceux qu’elles poſſedent. Partant ie croy qu’il ne lui aura rien cellé, meſmes ſ’il a quelque grand coup à faire, illuy aura declaré : afin que § dé couuerture de ſon ame, qu’il luy aura manifeſtee à nud, elle ſoit aſſeuree qu’il l’ayme. Noſtre auis eſt d’vne cötre-batterie : la demoiſelle eſt de grä de & illuſtre maisö, mais pauure au pris de la no bleſſe : dont le caractere fait que l’on n’ait que la grandeur en recommendation, ce que nous pre—. tendons, eſt que par ſous-main & par l’induſtrie d’vne femme honneſte & fine, vous luifaciez en tendre que vousl’aymez, &que ſi elle veut obtēperer à vos ſaints deſirs, que vous la rendrés plus u’elle ne peut ſouhetter : ſoudain ceſte vanité de # penſer aymee de voſtre majeſté, ſurquoy elle fondra infinis grands deſſeins, pleins de belles · imaginatiös, ſera cauſe que ſ’il lui a declaré quel que point de ſes affaires, &mauuaiſes intentions, vous le ſaurez ; careſtant atteinte ou d’amour ou de gloire, elle ne pourra rié celler, parce que tou te ſuperbe de ſi belle auentute, elle oublira toute autre amitié pour penſer à ce nouuelobiect, l’a— bondance d’vne imaginaire grãdeur eſperee, luy fera mettre ſous pied, tout ce qui ores lui eſt de plus recommandable.Sire, auiſez pour autoriſer mon dire, que telles femmes ont les cheueux bië longs, & leiugemét bien court & puis qu’eſt-ce qui plaiſt le pl°àvne femme, qu’eſtre recherchee & encores du plus grâd ? Qu’elleſentira d’aiſe en — sö ame, que ſes perfectiös lui cauſent vne ſi belle fortunel Nous croyons que ce conſeil eſt bon & qu’il eſt expedient d’y entêdre. Cetauis approu ué, l’Empereur luymeſme pour plus ſeurement cöduire ſon affaire, parla à vne ſage Dame ancié ne, dont il eſtoit aſſez familier, & lui dit, Diotime vous ſcauez de quel pied i’ay touſiours marché & que ie n’ay iamais voulu ſouiller mon nom de mauuaiſes actions, partantie croy que vous eſti, merez vray ce que ie vous diray, & que vous fe rez ce dontievous priray.vous cognoiſſezPara miſſia qui eſt belle& galante, appartenât à beau coup de gens de bien : Elle eſt fort curieuſe & on m’a aſſeuré qu’elle avn ſecret excellët, qu’vn no table Curieux lui a enſeigné, ie ne vous dy point que c’eſtd’autãt que voſtre eſprit ne ſ’eſt pas addōné à tels ſujets, mais ie vous declare que fe fuis fortaffectiöné de le ſçauoir, & ie n’ay qu’vn mo yen d’y paruenir, parce que luy demandant nai uemêt, elle deguiſera l’affaire & ſ’excuſera, ſi que ie n’yauiendray point : i ay imaginévn artifice où vo"me pouuézaider fauorablemét, c’eſt que i’ay penſé de feindre que i’ay de l’amour pour elle, & pourceie vous prie de luy en porter parole, luy declarant que ſi elle veut m’aymer, que ie feray tant pour elle, que ſa fortune & celle des ſiens en reſplédiront, &par m eſme moyen vous lui don nerez ce diamant en arres de ma bonne volonté.. Ie ſcay que ſi elle eſcoute, ie pourray auoir d’elle le ſecret. Auiſez döc à conduire ce fait ſelon vo ſtre prudence. DIoTIM E. Ce grand amour que vous auez à la vertu, & la grande crainte de Dieu quevous auez, fait que ie ne preſume rié de mau uais en ceſt affaire, & pource ie ne diſputeray, point en mon cœur pour ſcauoir ſi ie vous dois obeïr ou non, mais de franche volonté ie feray ce que me commādez:car ie croy que c’eſt pour vn bien, & qu’en tout il n’y aura point de mal, ceſte bonne creance m’aſſeure du tout, parquoy laiſſez moy faire. La ſage Dame eſpia le temps qu’elle trouueroit Paramiſſia à propos, & § viſiter.Apres vne viſite ou deux & Diotime ayāt preparé le diſcours, fit tomber la belle au point de luy dire; Vo° pouuezvous eſtimer la plus heu-, reuſe du möde, pour vn ſecret queie vous decla reray:L’Empereur ſcait bié queyous auez de l’af fection pour quelque ſeigneur, que chacû croid † vous eſpouſerez, mais ſi vo° voulez bië pen—. er en vous, il ſe preſentevn bien contre fortune; L’Empereur vous ayme d’amour, &m’a cöman dé de le vous dire en ſecret, & vous auertir de ne le deceler point : d’autãt qu’il veut que cet affai re ſoit cöduit en ſilence, & ſecrettement, à cauſe deMadame ſa fille, qui le ſachant pourroit l’en deſtourner par l’entrepriſe de ceux auſquels elle en parleroità voſtre deſauantage, auiſez-y& ne melpriſez rié.Qui eſt-ce qui ſcaitce qui peut aue nir,il ne faut qu’vn hazard, vne viue pointe d’af · fectrö, qu’il vous feraImperatrice, &afin que vo* ſachiez que ce n’eſt point feinte, voilail vous en | uoye ce diamant en ſymbole de parfait amour. Paramiſſiafut fort eſtönee de ce meſſage, & aiſe pourtät de ceſte nouuelle qui la troublavn peu, tät pour le magnifiquehazard dont elle ſevoyoit eſmeuë, que pour ne ſçauoir cöme elle ſe deuoit reſoudre, & en ceſte ſurpriſe ne peut faire autre reſpöſe, que derecognoiſſance de ſon peu de me rite, & excuſes ſur trop d’honneur qui lui eſt fait, mettäten auātles belles & douces conſideratiös qu’ô propoſe par maniere de refus, quãd on veut honneſtement accepter vne offre. Diotime co gnoiſſant l’inquietude de ce cœur touché au vif, par vne ſi auâtageuſe auanture, & iugeant de l’vl cere, que ce coup a fait en ceſte ame auecvne ſui te de belles paroles, diſpoſa la Belle d’acquieſcer au b6 vouloir de ſon Prince.A quoy elle cötinua u’elle feroit ce qui ſeroit en elle, mais qu’elle le § que comme iuſte tel qu’il eſt recognu, que ce futauec cöſeruation de § höneur.Quel ques iours apres Diotiume veint voir Paramiſſia, & lui cóta côme l’Empereur auoit trouué bónes ſes excuſes, & reparties, vsät d’vn ſi doux artifice qu’elle enfiâma tät ceieune courage en l’amour du Monarque, que les dedains cömencerët à nai ſtre contreParatolme, lequel en deuis ordinaires & particuliers auec Diotime, elle deſchifroit deſ ſia de toutes ſortes, le pourtrayât de ſes propres ualitez.Ainſi trâſporté de la vanité de ſa pëſee, elle ſe deſcouuroit à la ſage Dame, de tous § ſe crets de ſon cœur : ces entreueuës n’eſtoyêt point nues, elles eſtoyent accôpagnees de quelque ex uis preſent à la Belle, qui fut toute induite à cö § au bon plaiſir de l’Empereur, Vn ſoir que ces deux Dames eſtoyét en profond diſcours, Pa ramiſſia ayât parlé de pluſieurschoſes, qui toutes diuerſes tomboiët en fin ſur ſon amour, en iettät vn grād ſouſpir, qui leua de l’eſprit de laBelle tou † conſideratiös qu’elle eut peu auoir pour Paratolme, fit auſſi couler quelques larmes, & la fit ainſi parler : Ma mere, i’ay tât d’obligation à ce bon Empereur, que ie ſerois tropingrate, ſi de toute ma puiſsäce ie ne procuroisſon bié, le pou uant, & n’empeſchois le mal qui lui peut auenir, & me dirois trop indigne de viure, ſi ayât moyen de deſtourner ſa proche ruine, ie ne m’y emplo yois, en § d’vn malheur qui lui eſt pre paré.Sachez, Madame mamie, que ce deſloyal Paratolme qui me penſe eſpouſer, & auquelie n’ay pas encor donné congé parce queie leveux tenir en l’eſtat accouſtumé, à ce que ie puiſſe fai re vn bon ſeruice à mon Empereur ; le traiſtre a malheureuſemët coniuré de faire mourir noſtre ſage Monarque, & ce par vn moyen non encor ouy, & d’vne façon qui n’a point ſa sêblable en tre les trahiſons les plus deteſtables. Il eſt reſolu en ſon meſchât deſſein, pour auoir la végence de la mort desö fils, & aiuré qu’il n’auraiamais pa tiéce ni repos qu’il ne l’ait executee, & pour cet effet, il doit däs peu de iours chercher l’occaſion de prier ſa Majeſté, de ſe trouuer en vn banquet magnifique où il apelleratous les Princes, & ſei gneurs & beaucoup de nobleſſe : meſme ce qu’il eſt abſent, eſt pour ce ſujet, & eſt en vn lieu auec vn grãd Alquemiſte, où il prepare vn venin ſi de licieux, qu’il afferme qu’il yaura du plaiſir de ſa uourer la mort par sövſage, & c’eſt ce dötil doit faire mourir l’Empereur : mettât ceſte drogue en vne potiö qu’il lui preſentera au lieu d’hypocras, il ſ’aſſeure que l’Empereur la prédra, côme autre fois il a pris d’autres exquis breuuages en tels fe § eſtoyët preparez pour ſa ſanté : Et l’excellëce de ce venin eſt, qu’il ne rëdra aucû ef fet de ſavertu que † heures apres, qu’é faiſant dormir, il multiplira puis apres ſi fort le ſommeil qu’il deuiendra perpetuel, & terminera la vie, ainſi ce mortel poiſon eſteindra l’Empe reur, sãs qu’on ſe puiſſe aperceuoir de ceſte meſ chāceté.Ie vous prie qu’il ſoit ſecretemétauerti de cecy, quât à moy ie feray böne mine, & entre tiendray égalemét ce meſchât, de peur de l’éfa roucher, & par effet l’Empereur iugera cöſiderät ce ſeruice, queie lui ſuis treshüble& qu’il ne m’a pas † pour en eſtreingrate, & afin qu’il co gnoiſſe laverité de tout, il ſera bö qu’il ſe trouue au bäquet, où il n’y aura rié de dägereux, &n’aura qu’à ſe † de prédre la colation, de laquelle la coupe ſera empoiſonnee devenin.La ſage Dame oyant ces diſcours iugeoit que c’eſtoit le ſecret que l’Empereur vouloit deſcouurir, & cependāt, elle admiroit le courage de ceſte fille, toutesfois elle trembloit dās le cœur au recit d’vn tāt enorme cōſeil, dont elle eut eſté troublee, ſi la ſageſſe ne lui eut apris à diſſimuler, parquoy ne faiſant autre ſemblāt que de ſ’eſmerueiller de telle entrepriſe, l’inuitoit de perſeuerer en ſi bon deuoir, qui ſeroit ſuiui d’vne notable recōpēſe, & entre meſlant pluſieurs perſuaſions & deuis familiers, diſpoſoit l’ame de la Belle encor plus ardēment en ſon eſperance, qui ne lui faiſoit rien imaginer moins que d’eſtre vn iour Imperatrice. Diotime eſtāt venue vers l’Empereur, ſceut choiſir le tēps, & lui fit entēdre par le menu tout ce qu’elle auoit deſcouuert, qu’il cōmuniqua aux Fortunez : ce pendāt elle gouuernoit paiſiblemët Paramiſſia, augmētant en ſon cœur par beaux diſcours, preſens & promeſſes les deſirs qui l’eſlançoient.

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DESSEIN HUICTIESME.


L’Empereur ayant aſſemblé les Sages & les grands, leur raconte ſon ſonge qu’ils luy interpretēt à biē. L’Empereur fait vn beau bāquet. Les Grāds en font auſsi, & Paratolme les inuite pour atraper l’Empereur, qui luy fait cōfeſſer ſa meſchanceté. Il eſt condāné à eſtre ſeigné le pied en l’eau, il meurt de peur.



L’Affaire commençant à ſucceder ſelon la pēſee des Fortunez, l’Empereur ſuyuant leur conſeil ſe gouuerna prudēment en ceci : Sachant que Paratolme eſtoit de retour, il fit apeller les Sages, les Filoſofes & les medecins de ſon Em pire, & les aſſembla en la grand ſale du Palais, eſtans tous deuant leur ſeigneur, attendans ſes commandemens il leur fitvn ample diſcours, de I’occaſion pour laquelle illes auoit conuoquez, leur diſant que c’eſtoit à cauſe d’vn ſonge qu’il leur deduit ainſi : Le matin ſ’approchoit, &àl’heu re que le ſommeil ſe veut departir nettoyant par l’eſcoulement de ſa douceur, les plus pures orga nes du corps, ileſtauenu queie penſois eſtrehors de cet Empire, & toutesfois eſlongnéi’eſtendois les bras par deſſus les Royaumes & les mers, & d’vne main ie couurois tous les païs : dont les hömes m’obeïſſent, & de l’autre ie cueillois les mauuaiſes herbes qui deça & delà paroiſſoyent, & puis me ſoulageant en mon labeur, i’arrouſois la terre d’eau que ie faiſois delicatement couler de ma bouche, & auenoit qu’vne grande multi tude de perſonnes eſtans aſſemblees pour voir ceſte merueille, ſi de fortune les goutes d’eau tomboyent ſur quelques vns, qui me fuſſent in cognus, ſoudainie les cognoiſlois, & en fin le peu † multipliant abondäment, ilauint que toutes es faces de tant d’innöbrables particuliers ſere duiſirent en vnviſage, lequel conſiderät le ſom meil m’a laiſſé, & me ſuisreueillé auecvne dou ceur exquiſe, de diſpoſition de ſensiointeà vne grande träquillité d’eſprit Les Sages eurent loi ſir de cöferer enſemble, & puis le reſultat de leur auis, eſtant diſpoſé, la § en fut faite de ceſte ſorte par leur Doyen. Sire, encor que la ſcience de § ſoit denieeaux hommes, auſ quels c’eſt vn peché extreme de deuiner, ſi eſt-ce que le ciel ne nous a pas voulu priuer de toute preuoyance, & ſe peut faire qu’en bonne con ſciéce, nous preſagions ſelon nos ſonges, les ra portäs au plus pres de la diſpoſitiö des cöplexiös & humeurs : Et puis ilyavn point notable, c’eſt que les ames des Monarques ont quelque parti culiere cômunication auec les intelligéces ſupe rieures, leſquelles pour le bien des peuples, de monſtrët ſouuent par ſonges aux eſprits qui ont cömandement, ce qui eſt del’auenir, ſuiuât ceſte. acceptable opinió, nous vous declarösgräd Em pereur, à quiDieu vueille multiplier les ans, &les Royaumes, quevoſtre ſonge ſignifie du bié pre ſent, & de la bonne fortune à venir, l’heure en la quelle vous auez eu ces apparéces ſpirituelles, eſt la propre heure des viſiósveritables. Ceſte main que vous auiez ſur l’Empire, demöſtre que quâd # vous plairoit en partir pour aller cóquerirau tres terres, vos ſujets ſ’entretiédroient en accord ſelon vos bonnes ordonnäces. La main qui arra che les herbes qui ne vallent rien eſt voſtre force en iuſtice, quinettoye le pais de voleurs, affron teurs & ſofiſtes : dont abondët les feints curieux, quieſcument les terres. L’eau qui ſort devoſtre bouche, qui arrouſe tout, eſt l’abondäce des ſain tes loix que vo°auez ſainctemétdictees, leſquel lesvous rédront ſuiets tous les eſträgers qui abö dent en vos terres, & vniront vos peuples ainſi † höme, pour vous ſeruir d’vne face ſeule, ſansauoirautre deſſein, que vous rëdre obeiſſan ce, ne pl’ne moins ques’ilsn’eſtoiëtqu’vn.Ceci, Sire, vous doit bië toſt ſucceder, &auec contëte mét.Telle eſt l’interpretatiö fidele devoſtre sōge naïf. Cela ouy, l’Empereur fit de grãdes demon ſtratiös deioye, & pour preuue de ſalieſſe, fit de grâds preſens aux Sages, & des dons liberaux aux Princes & Seigneurs ; Paratolme qui paroiſſoit entre les premiers de la court, auoiteſté cheriſe lö l’apparéce qu’ilauoit faite de la ioye qu’il re ceuoit du contétemët de ſon Prince, meſme ſa luātl’Empereur, d’vn geſte exterieurtrop detour né de ſon opinion, ſa Majeſté lui tédit la main en | cötrebaterie pour mieux lire les diuerſitez de só cœur.A la verité il cognoiſſoit bien que leviſage du deſloyal ne pouuoit eſtreamplement ouuert : car bié qu’il cuidat manifeſter vne cögratulation agreable, ſi auoit il vn refrain qu’aiſémët apper ceuoit celui qui ſauoitsö ſecret.L’Empereur laiſ ſant ceci à part, & pourſuiuât ſon allegreſſe pre meditee, fit vn banquet ſolënel à tous ceux de ſa court, àl’imitatió dequoi pluſieurs Princes& ſei gneurs en firét, & delibererét de faire en leur or dre pour reſiouir leur Monarque. Le miſerable Paratolme cuidât que tout lui ſuccedoit, & que partât ſonbäquet de long téps † ſeroit mis au rāg des autres, ſans aucû ſoupçon (bié que les meſchäs ſoyêt touſiours en doute) fut apres les Princes le premier, qui ſupplia ſa Majeſté d’aſ ſiſter au feſtin qu’ilauoit ordôné, l’Empereur lui promit : & s’y trouua, au grand contentement de Paratolme, qui pour l’honorer en ce conuiue auoit aſſemblé tous ſes amis, & les plus ſigna lez del’Empire ; La reception fut magnifique & abondante engentilleſſes& galantiſes, accompa gnee de muſique, de voix & d’inſtrumens, où les doux accens des belles muſiciënes furêt côioints aux accords de l’augmentation du plaiſir. Le bāquet fut continué en tout ordre de magnificëce. Al’iſſue, &quel’inſtät del’execution de la trahi ſon proiettee, ſ’approchoit, Paratolme, reſolu en l’excés del’amertume de ſon indignatiö quil e, chaufe, & roidit contre toutes timiditez, boüil lant de fureur végereſſe, apres auoir euaporétou te autre emotion quil’eut peu deſtourber, veint tenant en ſa main le precieux & mortifere vaiſ ſeau, contenant la potiö odoriferäte qui cachoit ſous l’excellence de ſes œrs agreables, la cöſi ſtence rabatue d’odeur, laquelle enuelopoit les aiguillös de la mort.Apres vn ſigne de grãde hu milité, ilſ’addreſſa à l’Empereur, ayant diſpoſé ſa lägue aux plus belles fleurs de paroles bië dites, dont il deguiſera ſa malignité, & auec le plus ex quisfard d’aparente fidelité lui dit : Sire, l’höneur qu’ila pleu à voſtre majeſté me faireauiourd’hui m’eſt vn cöble de felicité, &ceſte grace que iere † de vo°mö vnique Prince, eſt telle queie n’e— imeriéd’egalà ſigrand heur, auſſi pour reco gnoiſſance detät de benefices : dötvous augmë tez ſur moyle nôbre de iour en iour, ie recherche les moyés de vo" faire preuue notable & non cö mune de mö ſeruice à quoyayātlonguemét me dité, i’ay trouué qu’iln’yauoitrié tel que de prou uoir à voſtre ſanté, pour le maintië & cöſeruatiö de laquelle i’ay recouuré vne liqueur admirable extraite de pluſieurs aromatiques, &eſſences cö uenantes tant à la reſtitution des deffauts de na ture, que ſouſtenement de ſes puiſſances & fa cultez, auec effet pour les commoditez de ſes organes ſoit en les confortant ou en diſſipant les mauuaiſes humeurs, les rectifiant ou chailant les immondes & nuiſibles vapeurs qui les infectent, amendant toutes cruditez auec effect cer’tain de l’entretien des parties nobles pour la ſtabilité de la vie de la ieuneſſe, & de la ſanté, vo* ſçauez Sire, que ie ſuis affectionné ſectateur des Ortoſiles parl’induſtrie deſquels ie me guide en IllCS § ſelon leur diſcipline, i’ay cu rieuſemétfait elabourer ce magiſtere, & ſoigneu ſement preparer& fermenter, en intention devo* en fairevntreſ-humble preſent, i’ay penſé queie · ne pouuois plus commodémét vous l’offrir qu’à § belle occaſion, pour l’accompliſſement de ce petit repas, où pluſieurs choſes ont manqué. Sire, ie vous preſente ceſte heureuſe potion, qui vous ſera particulierement profitable, & à nous tous en voſtre perſonne, dont la conſeruation eſt l’vnique butdes deſirs des gens de bien, qu’il plai ſe donc à voſtre Maieſté la receuoir & la boire, en deſſert precieux & vtile ſur tout, pour remet tre le foye en la proportion de ſa temperature, & meſmes apres le repas que l’on eſt eſchauffé de viandes, de vins & de diſcours. L’Empereur prit · la coupe & la poſa ſur latable, comme pour boire apres auoir parlé, puis luy dit, Paratolme, ie ne veux point douter de voſtre diligence, en l’effet que vous me preſentez, &encor que depuis quel que temps il ſe ſoit paſſé vne nuee de § qui vous a troublé, d’autant que la punition de voſtre fils vous a eſté grieue, ſi veux-ie bien croi re pour ceſte heure ce que vous me voulez per ſuader : Mais pource qu’il eſt plus vray-ſembla ble que vo° quiauez eu de l’ennuyiuſques au de Ià du cœur, s’il peut penetrer plus outre, auez plus de beſoin de reſtaurant que moy qui ſuis extremement gav, tant dubeleſtat de mes affaires, que du bon ſonge qui me promet toutes felicitez, & uisie metrouue ſi diſpoſt, que ie n’ay aucun be † de preſeruatif, & ieiuge qu’il vo° ſeroit plus profitable, & qu’en ayez neceſſité, tant à cauſe de voſtre premiere douleur, que pour le trauail & peine que vous auez pris en ceſte partie, où vous vous eſtes beaucoupeſchaufé, côme il paroiſt, car ievoy que vo°eſtes outré de chaleur : ce me ſeroit vn deſplaiſirnotable que pour nous auoir fait tät : bonne chere vous fuſſiez incommodé de voſtre ſanté, & qu’y pouuant remedierie vous en oſtaſ ſe le moyen, parquoy pour vous remettre en ha bitude temperee, & diſſiper l’ardeur maligne qui eſt en voſtre ſang, &afin que s’il ſe peut, vo° ſoyez conſerué, il ſera plus expedient que ceſte potion vous ſoit reſeruee, partant l’ayant receuë de vous cöme vn rare preſent, ie péſe que vous qui deuez faire eſtat de ce qui vient de moy, ne ferez point de difficulté de la reprendre, auſſiie la vous don ne afin que tout preſentemét & à mô plaiſir vous la beuuiez à ma ſanté & àl’heur de mes victoires promiſes.PARAroLME. Sire, ce ſeroit grâd dom mage, ayant eſté preparee pour vous, qu’elle deſ cheuſt de ſon but, &eſtantcebreuuage ſi precieux il faut qu’il ſoit employé envne perſonne de prix, & puis les ſimples en ont eſté cueillis ſelon lesiu ſtes conſtellations referees à celles de voſtre na tiuité.L’EMP. Pour ce dernier point nous le laiſ ſerons, car il faut peu s’arreſter à ces obſeruations inutiles, d’autât que faillantvn petit icy, la gran deur en eſt là hault fort §. Mais pource queiefay grãd eſtime de vous, & voſtre perſonne eſt de conſequence pour mon eſtat, & le bien de mes affaires, ſivous eſtes autant veritable que vos belles parolesle promettent, il faut que ceſte po tionVous ſerue, &pourtät ie veux que tout main tenant pour me gratifier, me faire plaiſir, & me deruir, vous beuuiez à moy & d’autant, &vous en ferez rapporter d’autre, que ie garderay au be ſoin, & vous plegeray : il n’eſt pas qu’ayant vou lu faire vne ſi notable medecine, vous n’en ayez aſſemblé dauantage & reſerué pour la neceſſité à venir.PARAT.Sire, ievousaſſeure que voici tout. L’EMP. C’eſt tout vn, boiuez-le. Ce traiſtre ne trouuant plus de ſentier pour eſchaper, perſecuté de ſa meſchante conſcience, iettant vn regardaf freux ſur la compagnie qui ne ſçauoit de ceſte tragœdie quel’apparence & les paroles, empoi na la coupe, & tout eſperdu & deſeſperé, ſans † allUTC † que d’vn homme qui n’a plus de iugemen ?’approche de ſes leures pour aualer la liqueur, maisl’Empereur ſe haſtant à propos luy, ſaiſit le bras & le retint, diſant, Comment eſtes "vous eſtonné ou oublieux, que vous voulez boi re ſans obſeruer& practiquer la couſtume ? où sót les paroles de † pour ma ſanté, & cel le des aſſiſtãs que vous deuiez profererauant que boire, veu que comme dépit ou offencé † ſiſſez deſeſperement ceſte coupe ? Ahameſchät ! puis que tu t’es troublé, que ta feinte galantiſe t’a quitté, tes trahiſons tetalonnent.Tu veux donc mourir par ton artifice : Non, iln’aduiendra pas ainſi, ie veux que tu ſçaches que ie ſçay ta meſ chanceté, auſſiiete ferayiuſtement punir.L’Em pereur tint la coupe, ſi que rien ne verſa. Les meſchansn’ontiamais de conſtance, pource que la vertu ne peut demeurer auec le vicieux, † Paratolme ſurpris ſe trouble, eſtonné par 1on propre peché, decheu entierement d’au dace, & ſon cœur deuenu tout laſche, ſeiette tout deſolé aux pieds de l’Empereur auec cette triſte voix : Sire lavengence diuine m’a attrapé auant que i’euſſe commis l’excés que i’ay premedité : ie † cheutau peril que ie vous auois preparé, ie vo°ay preſenté la mort laquelle à voſtrerefus i’ay voulu engloutir pour perir par ma moy meſme& maintenantil faut quei’attende la punition, c’eſt faict de moy, iene doyrien eſperer, & vous ne me † car ma faute eſt trop grande. Ie vous † que pour l’expiation de ma coulpe ieve rifie en moy ce breuuage mortel, à ce que ie ſois defaict plus gratieuſement que ie ne merite. Or auant queie reçoiue le iuſte chaſtiment de mon crime enorme, ie vous aduertiray, Sire, le vous diſant plus pour deſcharger mon cœur, que pour requerir grace : que vous n’aprochiés iamais de voſtre perſonne ceux deſquels vo°aurez faict re pendre le ſang, on dit que le cœur faut quelque fois, mais le ſangne peut mentir, depuis que vous euſtes fait oſter § à mon fils, ie n’ay point eu de relaſche auec les debats de mon cœur, tant les aſſaux continuels de mon deſpit & de ma rage m’ont ſollicité de trouuer le moyen de vous oſter la vie, en ceſte vehemence ie me ſuis tranſ porté à telle extremité, & ay fait preparer ce venin ſans remede, meſlé des plus actifs poiſons du monde, pourvous défaire, &ſans doute ſi vous l’euſſiez pris c’eſtoit fait de vous, & vous fuſſiez mort ſans violence.Apres qu’il eut tout confeſſé, l’Empereur commanda au grand Preuoſt de ſe ſaiſir de luy, & le mener en la ſale prochaine, & le tenir là tant qu’il luy mandaſt. Le cantique d’action de graces ayanteſté chanté par la pſalle te de l’Empereur, chacun ſe retira, & l’Empereur retenant qui luy pleut, mit en deliberatiö ce qu’il falloit faire de Paratolme.Apres pluſieurs beaux &ſalutaires diſcours, il ditvn auisqu’ilauoitpour penſé en ſoy-meſme, &désl’heure il enuoya que rir ſes Chirurgiens, auſquels il donnala charge de faire ce qu’il auoit conçeu, qui eſt qu’il vouloit ſçauoir ſi la peur ou l’apprehenſion de la mort ſe-.. roit ſuffiſante de faire mourir vn hóme, parquoy ayant en main vn iuſte ſuiet pour ceſt effetilvou loitl’eſſayer, & encores de plus grande curioſité, veu que celuy ſur lequel il falloit executer ceſte preuue eſtoit homme d’exquis entendement, & de notable conſideration.Parquoyayant embou ché ceux qui deuoient faire ceſte experience, il ſe retira, & ils allerent vers le grand Preuoſt, auquel ils declarerent la volunté de ſa Maieſté. Alors le grand Preuoſt s’addreſſant à Paratolme luy dict, Vous auez eſté homme fort recommendable, quand vous vous eſtes tenu en voſtre deuoir, & puis vous eſtes de grand lieu, ces deux conſidera tions ſont cauſes que ſa Maieſté veut que vous ſoyez traicté doucement : mais pource que vous auez attenté à ſa perſonne, il eſt raiſonna ble que vous ſubiſſiez § peine des coul pables.Toutesfois pour le merite de vos ſeruices, qui n’eſt pas eſteint, l Empereur veut que voſtre mort ne ſoit point ignominieuſe, & pourtant on ne vous executera pas en public. Le Conſeil à la requeſte de vos amis, & à la volonté de l’Em pereur, a voulu ce que les voſtres ont requis, c’eſt ue vous ſerez ſaigné le pied en l’eau, & ce pre § ce que le longtemps ne vous appor te trop de deſplaiſir & de crainte, diſpoſez-vous donc, & ayant les conſolateurs de voſtre ame, attendez par l’effet du deffaut denature que vous expiriez : Celà dit, & Paratolme rendant graces à l’Empereur & à ſes amis, ſe propoſa la mort, & fit auec les Theologiens l’examen de ſa conſcien ce, puis ſe preparapour payer le tribut du peché, § le banda, & mit-onſon pied droit nud en vn baſſin plein d’eau, & vn Chirurgien vint dou cement le pincer comme s’il euſt donné vn coup de lancette en la veine, apres les preparations deuës, puis comme s’il fuſt ſorty de beau ſang & vif, les preſens en diſcouroient, expoſans ce que peut repreſenter de bon vn ſang eſleu, ce pendant ceux qui auoient † du repos de ſon ame, s’exageroient aux diſcours de la re miſſion des † de la diſſolution du corps & del’ame, & de la vie bien-heureuſe à ve nir : durant ceſte merueilleuſe action, l’eſprit de Paratolme tendu en l’excellence de ſes der nieres penſees, ſe retira doucement du mon de, tellement qu’en peu d’heures on vid ce corps ſans poulce & ſans mouuement, & deſ couurant le viſagé, on y vit l’image de la mort : On ne l’ouyt point ietter de malheu reux ſouſpirs, & ne peut-on iuger ſi ſon ame s’exala enſe contriſtant, car deſia tout eſtoit en la poſſeſſion du treſpas quand on le deſcouurit : Celà fut le lendemain rapporté à l’Empereur qui diſpoſa du reſte à ſa volonté.

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DESSEIN NEVFIESME.


L’Empereur donna à Paramißia tout le bien & les Eſtats de Paratolme. Vn ieune Seigneur la recherche, & elle s’excuſe, ayant reſolution de n’aymer iamais que l’Empereur. Elle fait enſeuelir Paratolme.



LEs affaires paſſees de la ſorte, l’Empereur aſſembla le Conſeil, où les Princes & les Seigneurs furent conuoquez, & là fit venir Paramiſſia & les Fortunez, & deuant l’aſſemblee raconta comme par le conſeil de ces beaux ieunes gentilshommes, & la pitié de la belle, il auoit deſcouuert la maudite entrepriſe de Paratolme, & apres pluſieurs loüanges & gratifications, il print Paramiſſia par la main, & la faiſant approcher de ſoy, il la baiſa d’vn baiſer gracieux, & luy dict, Belle, ie vous fay pour iamais part de ma plus particuliere amitié, en aſſeurance de quoy, ie vous donne tous les biens de Paratolme, & ſi vous choiſiſſez party entre ceux qui pourront vous rechercher, ou vous ont deſia recherchee, ie vous donne les eſtats du deffunct, pour en honorer celuy que vous eſlirez, & de faict aucun ne les aura que celuy que vous y nommerez. Il dit auſſi les paroles de gratification qu'il luy pleut aux Fortunez, auſquels il donna rang honorable entre les plus aduancez de ſa Court. Paramiſſia remenee par ſes amies en ſa maiſon, & faiſantinuentaire de ſes menues & plus delicieuſes pentees, ſe trouua delcheute de ſa pretention, car ºlle auoit outrecuidément opi né qu'elle pourroit deuenir Imperatrice, toutes fois ayant conſulté ſon iugement, elle ſe tempe ravn peu,prenant cognoiſſance de ſoy-meſmes, &ſe donnant reſolution à ce qui eſtoit ſans eſ poir. Il y eut vn ieune Seigneur ſçachant la volonté de l'Empereur, qui ſe mit à la recher cher, & pour auoir ſa grace en parla à Dio time , qui luy conſeilla d'y aller par autre voye : Ce qu'il prit mal à † car ſans a uoir practiqué le cœur de la belle, il luy fit porter parole de mariage par vne ſienne cou ſine, ce que Paramiſſia trouua mauuais, d'au tant qu'elle meſuroit les cœurs au rayon de ſes opinions , cuidant que chacun deuoit penſer ce que ſes penſees remuoient, ſi qu'elle re ietta fort le meſſage: en fin Diotime impor tunee, & poſſible incitee pourl'honneur qu'el le en attendoit, d'auoir ſi bien fait qu'vn cœur euſt eſté transformé comme il luy euſt pleu, s'aduança d'en parler à la Belle, & auec tant d'affection & d'artifice, qu'il luy eſtoit aduis qu'il n'y auoit pas moyen de luy reſiſter, ny occaſion de la refuſer. Paramiſſia ayant ouy le progrez du deuis de la Dame, & entendu ſon deſſein, luy dit,Ma mere,c'eſt vous qui m'a- uez cauſé la fortune où ie ſuis, qui auez contraint mon icune cœur à ſe perter à l'inſolence qui l'a eſmeu d’aimer l’Empereur, & à dire vrayiamais ie n’euſſe eu ceſte belle preſomption de hauſſer les yeux pour les addreſſer vers ce Soleil, & bien que ce ſoit vne bien heureuſe feinte, dont vous auez vſé pour me practiquer auec honneur, ſine veux-ie point croire qu’il en ſoit autrement que ce que le commun ſens des ames d’amour en pé ſeront, & bien que ie ſçache ce qui en eſt, ie veux penſer ce qui m’en plaiſt : c’eſt que l’Empereur · m’aimoit, m’aime & m’aimera, & me portant ainſi à mon propre contentement, tandis que ie viuray, i’auray pour cette cauſe en l’ame la belle grace que ſa maieſté m’a fait : ſe veux que ce me ſoit vne verité perpetuelle ſansy auoirautre eſ gard : Car puis que i’ay par l’effort de vos perſua ſions, ſi dignement obligé mon courage, que ie l’ay chargé d’vne ſi belle impreſſion, il n’y a plus de moyen que iel’efface, toutes les remonſtran ces, tous les diſcours qu’on m’en fera, paſſeront comme l’air auec le vent, ie ne lesveux point en tendre, & encor que l’on croye que l’Empereur ne penſe point en moy, que tout ce qui ſ’eſt paſ ſé ait eſté vn bel artifice, ie n’en prendray point de cognoiſſance, ie n’en veux penſer que ce qui nourriſt mon eſprit. Mon ame eſt trop braue ment releuee pour deſchoir. Quoy ? que ie per diſſe ce contentement que i’ay en mon cœur d’y auoir & par ſon commandement, le pourtraict de mon Prince ? Quelon die ce qu’on voudra, il penſe en moy, & n’oſeroit faire autrement s’il ne vouloit perdre la plus belle de ſes qualitez.Quoi donc que ie rabate ceſte gloire, pour amoindrir ma grandeur ? il n’y a pas d’aparence : Tout ce qui ſe peut/propoſer de plaiſir, d’amitié, de ſer uices, d’honneurs, & de magnificences ſont en ma penſee, &nul autre deſſein ne peut m’eſmou uoir, & grace aucune ne peut me toucher le cœur ; il n’y a que ce belamour, qu’amour meſme ny la mort, ne ſçafiroit effacer de mon ame : c’eſt ce qui m’ocupe le courage, c’eſt ce qui deſtourne de moy toutes autres penſees, & empeſche les nouuelles impreſſions qui me pourroient trou bler. Le grädbien de mon eſprit n’en ſeraiamais diſtraict, i’y ſuis determinee, ie viuray en la ſoli tude à laquelle ie me reſouls, où ie n’auray autre conſolation que de la compagnie de l’idee du beau ſoleil de ma penſee, ſans qu’autre deſir me diuertiſſe. Que me feroit l’amour, ſi apres qu’il m’a transformé le cœur au plus beau de tous les obiets, ie venois le changer à vn moindre ? Cela ne ſera point dit de moy, qui demeureray con ſtante en ceſte parfaicte intention, ioüiſſant du bien receu par ma lumiere, & tenant en threſor eternel le baiſer que i’ay eu de ſa maieſté, quiſe rale dernier que receura ma bouche, ie perſiſte ray vnique à mon obiect, loyale à l’amour, & fi dele à moy-meſme iuſques au tombeau. Telle fut ſa reſoluti6 qu’elle a fait paroiſtre ; Elle auoit vn frere, auquel par ſa priere l’Empereur donna les eſtats de Paratolme, & pource que ce miſera ble l’auoit aimee, elle fit enſeuelir ſon corps en vne metairie, où elle fit dreſſer vn ſimple tóbeau à la triſte memoire du treſpaſſé, & donna ce lieu aux pauures, afin qu’ils ſe ſentiſſent du bien dót elle auoit abondé. —

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DESSEIN X.


Belles amours de Fonſteland & de Lofnis, laquelle s’enquiert de luy pour ſçauoir ſa condition. Il luy declare ſous promeſſe de le tenir ſecret ; elle en eſt fort contente, & luy declare qu’elle l’a pour agreable.



DVrant toutes ces affaires, les Fortunez alloient ſouuent viſiter la fontaine des Amoureux, & n’attendoient pas d’y aller ſeulement aux parties que l’Empereur faiſoit, pour ſ’y exercer, à ſon ordinaire entretien de plaiſir de la peinture, de la muſique, & de la poëſie, mais frequentement ſ’y trouuoient, où ils ſ’exerçoient, en traictant infinies gentilleſſes & ſciences differentes, auec la ſage Fée, qui ſ’eſtimoit tres-heureuſe de leur agreable frequentation, quelquesfois auſſi la prudente Lofnis y venoit pour ſe reſiouir, & eſtre de la partie, quand il y en auoit quelque belle dreſſee par les Fortunez, à la rencontre deſquels elle prenoit grand plaifir, & meſmes ſe trouuoit plus frequentement, faiſant auſſi quelques parties pour auoir occaſion de les voir. En verité l’Amour a des artifices merueilleux, & peut tant ſur les ames qu’il en fait ce qu’il luy plaiſt, auſſi nul, ne peut euiter ſa flamme, de laquelle il fit ſentir la force à ceſte ieune Princeſſe, par la remarque qu’elle auoit fait des perfections de Fonſteland, & ne fut pas en ſa puiſſance de ſe deliurer de l’engagement auquell’amour l’a força. Et luy auſſi qui n’auoit iamais rien veu qui euſt puiſſan ce de l’eſmouuoir, recognut en ceſte belle la iu ſte force qui ſeule le pouuoit dompter.Ces deux cœurs vlcerez qui par hazard de veuë ſ’eſtoient animezl’vn pour l’autre, euſſent bien peu döner iugemčt, ſi l’amour eſt par deſſein ou par deſtin. Admirable deſtinee, ie te recognois vnique con duite des courages qui ſont vagans apres les tra uerſes d’amour ! S’il auient que par toyie ren contre en l’affection de celle qui m’anime à ces diuerſitez, ie te chanteray vn hymne, par le quel en deſpit des hypocrites quite diffament, ie te colloqueray au deſſus de toutes les puiſſan ces ſecondes. Beau fils, ne te defie point de ta fortune, Dame n’aye point de regret à ton ele ction. Que ces deux ames ont de figures en leurs mutuelles penſees, qui n’ont ſoulagement que de la § que les yeux leur ſuggerent, ces feux de vie ſont les agreables meſſagers qui certifient les courages, de ce que la bouche n’a encor oſé proferer : ils ſont recognus des amans auoir la puiſſance de raconter tacitement à l’eſ prit des nouuelles de ſa paſſion. Ces deux amans par le brillant effort de leurs douces lumieres qui ſ’entrecommuniquoient ſi tendremët leurs feux, ſentoient leur liberté ſe tranſporter, & leur propre vie ſe feparer de ſon lieu ordinaire, pour demeurer en l’autre. Fonſteland eſpere en ſe faiſant fort ſur la dignité de ſon ſang, il ne de mord point ; & encor qu’il preueuſt toutes ſor tes de difficultez, ſi delibera-il de tenter fortune, & l’obtenir. La belle qui ne ſçauoit quel rang tenoit celuy qui la rauiſſoit à ſoy-meſme ſ’enue lopeit en des incommoditez d’eſprit intollera bles. Elle eut preſques bien voulu qu’il n’eut iamais comparu deuant elle, & toutefois elle fut morte de deſplaiſir ſi elle ne l’euſt veu, meſmes ſe trouuoit toute incómodee de cœur, ſ’ileſtoit abſent plus long temps que de couſtume. Son vnique ioye eſtoit que ſes yeux vinſſent inceſ ſamment ſoliciter les ſiens, & reſpondre aux de licieuſes atteintes qu’ils fentredonnoient lors qu’ils ſe trouuoient enſemble : Ce bel amour n’eſtoit qu’és eſprits, le Fortuné n’oſoit ſe deſ couurir de peur de ſe deſcouurir ; & puis il trou-. uoit tant de bien en ceſte idée d’amour, qu’il craignoit de perdre ce contentement ſ’il ſ’auan turoit trop, & ne ſçauoit encor ſi c’eſtoit amour qui excitoit le cœur de Lofnis : ainſi qu’il lere cognoiſſoit en ſoy-meſmes ; Elle n’auoit pas au tre penſee que luy, tellement qu’ils viuoient en grande inquietude, pour ne ſçauoir rien de cer tain de ce qui les agitoit, car la parole viue ima ge des pures fantaſies, ne leur auoit pas encor ſerui à deſcouurir les pretentions de leurs ames, & toutefois ces deux beaux obiects d’amour ſe donnoient du bien en ſe nourriſſant mutuelle ment de l’eſpoir qui parauanture leur donneroit l’iſſuë ſouhaittable. Lofuis qui conſideroit Fon ſteland ſ’auantager de ſeruices vers elle, auecvne façon qui reſſentoit des traicts de grand, & non ſeulement de ſimple gentilhomme, ſ’imagina que ſ’il n’eut eſté autre que ce quelon le preſu moit à la court, il n’euſt pas eu l’aſſeurance de leuer les yeux pour les repaiſtre du moindre rayon des ſiés, & ceſte pëſee la c6ſoloitayant au moins eſſayé ſes premieres affections en endroit de merite, & dont elle ſe retireroit par ſ’en taire, s’il ne luy ſuccedoit, & qu’il falluſt par hö neur eſteindre ſes feux ſans les manifeſter, & en cores elle ſe faiſoit forte d’en retenir touſiours le plaiſir à part ſoy, pour ſ’y delecter quand elle entretiendroit ſes penſees. Fonſteland cependät defiroit auoir ſon contentemët entier à luy ſeul, & craignoit de ſ’en communiquer à ſes freres, de peur que cela les empeſchaſt de faire fortune : mais il ne peuſt eſchapper leur vraye coniectu. re, ioinct que c’eſtoit commencement de bien, & pourtant ils luy faiſoient eſchoir des commo ditez auantageuſes pour voir ſa Dame.Vne fois qu’il y auoit partie faite, & que la Fée donnoit la muſique, l’Empereur n’y eſtant pas, il aduint pource que Fonſtelandeſtoit celuy qui chantoit le mieux au gré des Dames, & auoit auſſi pour quelques vnes la voix plus belle, & les autres · graces plus attrayantes : Lofnis luy dit ; Mon Gentilhomme, nous auons remarqué en cette court, que vous eſtes tous trois abödans en per fections, & toutefois chacun de vous excelle en ſon particulier en quelque partie, ie le dis ayant ce pouuoir, pour autant que ie vous honore, & que vous # deuezpas trouuer mauuais.voſtre aiſné dance le mieux, le plusieune eſt plus pröpt, & vous eſtes le mieux chantant : c’eſt pourquoy ie vous prie de nous dire quelque belair.FoNs T E L A § o Madame, mes perfections ne ſont rien, qu’entant que ie pourray vous ſeruir, vous en rendant preuue agreable : Ceſt en quoy ie deſire exceller, & voudrois eſtre capable de le pouuoir demonſtrer ; car mon deſir eſt plus grand que mon pouuoir. Et combien que ie cognoiſſe mon defaut, & que ie manque d’art, de ſcience, & d’adreſſe, ie m’auentureray & par voſtre commandement, ie ſouſpireray vn hymne qu’Amour m’a dicté en l’hōneur de la Belle qui peut ſur tous cœurs. Si c’eſt vne verité que ie repreſente, elle le recognoiſtra. Si c’eſt vn beau deſſein imaginé à l’auanture, elle n’en aura point de deſplaiſir, pour autant que ce qui eſt faict pour l’vnique Belle, luy plaira touſiours.

Esprits qui recherchez ce qui eſt deſirable,
N’allez plus retraçāt pour trouuer d’autre obiet,
Car tout ce que le ciel a conceu d’admirable,
Se trouue vniquement en mon diuin ſujet.
De ce qu’on dit Amour, on ne ſauroit rien croire,
Que l’ayant icy veu, dans ſon pourtrait dhōneur :
Les yeux ne ſont point yeux, ſ’ils n’ont eu ceſte gloire,
D’auoir peu l’adorant, voir icy leur bon-heur,
Toutes les raretez precieuſes au monde,
Sont en ce beau treſor de la perfection,
Ce chef d’œuure accompli qui de graces abonde
A de toute beauté toute proportion.
Ceux qui tiennent d’Amour, & luy doiuēt hōmage,
Voyent en ces beautez de l’amour le pouuoir,
Car ma Belle eſt d’amour & le temple & l’image,
Où les parfaits amans doiuent tout leur deuoir.
Sa façon de grandeur, tant douce & tant altiere,
Monſtre qu’vn bel eſprit gouuerne ſes beautez
Et que l’honneur eſtant de ſon cœur la lumiere,

Toutes ſes actions ne ſont que maieſtez.
Ceſte vnique lumiere eſt de ſi belle grace,
Qu'elle engage tout cœur qui la vient admirer,
Et plus vnique encor, en merite elle paſſe
Tout ce que les deſtins ont fait pour honorer.
Il n'y a point de nœuds que les heureuſes treſſes
Que l'amour va laçant de ſes mignons cheueux,
Tous les cœurs ſouſpirans pour leurs cheres maiſtreſſes,
Cognoiſſent leurs liens imitez de ces nœuds.
Ce n'eſt point le Soleil, qui de nos deſtinees,
Deſtourne & fait eſchoir les forts euenemens,
Mais nos fortunes ſont par ſes yeux ordonnees,
Car ils ſont recognus les aſtres des amans.
Ses beaux yeux ſont des yeux la deſirable amorce,
Et la lumiere n'eſt lumiere que par eux,
Lors qu'ils brilent d'amour, c'eſt auec tant de force,
Qu'ils empliſſent les cœurs de lumiere, & de feux.
Sa bouche qui retient en ſuſpens toutes ames
Alors que les diſcours en ſont preſts à partir,
Cauſe autant és esprits de millions de flames,
Comme on entend d'accens de ſes leures ſortir.
Non, ie n'entreprend pas de comprendre en parole
Ce merite infini, ce monde de beautez,
Mes proposſont vn air qui par les airs ſ'enuole,
Mais ſes perfections ſont des eternitez.
Il faut de ma louange auancer la retraičte,
Elle a trop de valleur, i'ay trop peu de pouuoir,
Ma belle eſt tant defois en ſes beautez parfaicte,
Qu'elle a plus de beautez qu'il n'eſt d'yeux pour les voir.
Reſpirant de ſes yeux, cet eſprit agreable

Qui en parfaict amour me tranſmue le cœur,
Ie trace ce deſſein d’vn crayon veritable
Comme la verité le doit à ſon honneur.
Royne des braues cœurs, Belle toute accomplie,
Qui es toute merueille en tes perfections,
Accepte ce proiects, pren ces vœux que ma vie
Append deuant tes pieds en mes deuotions.

Quand il eut acheué, la Fée ſe haſta & dit : Diſons ces trois derniers couplets enſemble, la piece merite d’eſtre ouye, adiouſtons les inſtrumens aux voix. Il ne ſ’eſtoit point encor ouy de ſi parfaicte muſique, que tout eſtant ainſi aſſemblé. Cependant que les entendus chantoient, Lofnis fort attentiue à ceſte harmonie, remuoit auſſi ſes penſees, diſant en ſoy-meſme : Il faut que cet eſtranger ſoit de bon lieu, ait beaucoup de courage, ou ſoit follement raui de quelque ſubjet. Car ſi c’eſt pour l’amour de moy qu’il ait tracé cecy, il faut qu’il ait recognu que ie luy veux du bien, & ne puis croire que ce ſoit pour vne autre, ſi tant ſoit peu il ſ’eſt imaginé de m’aimer ; parce qu’en toutes ſes actions il ſe manifeſte ſi reſpectueux qu’il ne veut point offencer, ains touſiours complaire. Sans doute il ne pourroit (ſi faute de iugement ne le preocupoit,) chāter en ma preſence la gloire d’vne autre, & me ſoliciter de l’œil pour me deſplaire de parole : Il ſçait ou doit ſçauoir, ſ’il n’eſt trop enfant en la conuerſation des Dames, qu’elles ne deſirent pas ouyr loüer deuāt elles & plus qu’elles vne autre, & ſur tout par ceux dont elles font cas, & qui s’en ſont, ou doiuent eſtre apperceus : Ie l’ay prié de cet air, s’il n’eut eu quelque deſſein en ſon ame, il en eut dit vn indiferent, ou l’eut re peté d’vn autre, ſans le qualifier comme il a fait, & ie n’y euſſe pas eu d’intereſt. En ces difficul tezie me ramentoy ce qu’il m’a dit, il faut que ie m’en eſclairciſſe, ou pour enſeuelir ce.feu, en l’eſtoufantauant qu’il me conſomme, ou pour le nourrir à mon contentement ſ’il y a de l’appa—. rence. Elle diſputoit en ceſte ſorte apart-elle, durant la muſique.Apres que la Fée eut donné fin à cet exercice, Lofnis ayant entretenu qui l’vn quil’autre, ſ’addreſſa à Fonſteland, & lui dit : Vousvous eſtes fort bien acquité de ce que vous auez fait en ma faueur, nous donnant ce bel ait à ma priere : mais ce n’eſt pas tout, ie deſire de vous vne courtoyſie, c’eſt de m’enſeigner ce que vous faites pour entretenir voſtre voix ſi nette. Fo N s T E LA N D. 1 Madame, ie deuois vous l’a— uoir dit auant que me l’euſſiez demandé, ie vous ſupplie me pardonner ceſte faute, que ie repare ray quand & en quoy il vous plaira. LoFNIs. Ce ſera donc preſentement : allons faire vn tour en ceſte allee, & làvous me declarerez voſtre ſecret, carie neveux pas que tout le monde l’entende. Il fut ſaiſi de trop de ioye, & part ſoudain, & auec toute modeſtie accompagna la Dame où il luy pleuſt. Eſtans auancez en l’allee, où chacun pour ſon reſpect ſ’eſloigna vn peu, afin de les laiſſer 1e pourmener & deuiſer, elle parla ainſi : Fonſteland, ie penſe que vous ayez aſſez † pour vous ſçauoir conduire en toutesaffaires, Parquoyvo *ºy tenus, e particula ue i’ai enuie de ſçauoir de vous quelque particularité, ie la vous veux dire. I’ay vn ſecret qui eſt notable, que ie veux fort peu com muniquer ; & d’autant que ie recognoy vos me rites, ie le vous diray, pourueu que vous le payez d’vn autre ſecret que ie veux ſçauoir de vous, auiſez ſi vous auez enuie de me ſatisfaire, & ſi vous affectionnez autant mon ſeruice que vous en faictes de demonſtration. FoNsT. Madame, ie ſuis tant peu, qu’oyant ce que vous me dictes, ie ſuis tout confus, commádez moy abſoluëmët ce qu’il vous plaira, & me demandez à voſtre de ſir, ie n’ay rien de ſecret ni de cher, que ie ne le vous declare ouuertement. L o F N 1 s.Vous me l’auez promis, il n’y a plus moyen de ſ’en retra cter. Dictes moy ie vous prie, & ie vous en con iure par ce que vous aimez le mieux : Qui eſtes vous ? d’où eſtes-vous ? quels deſſeins auez vous ? FoNsT. Madame, il faut que ie côfeſſe la verité ; Il n’y a que voº ſeule qui puiſſe tirer de mö cœur ce ſecret, il n’y a que voſtre commandement qui ait le pouuoir de m’é faire ouurir la bouche pour le declarer : car la puiſſance abſoluë que vo"auez ſur moi me fait tout oublier fors mö deuoir vers vous, &me faiſant mettre ſous pieds toutes cöſi derations, me prepare à vous declarer ce que de toute noſtre induſtrie no*taſchös à celer, & que ie croy auſſi que vous tiédrez caché, pource que vous ne voudriez pas qu’en vous obeiſſant, mes freres & moy fiſſiös faute à nos belles eſperåces, fruſträs nos bönes entrepriſes, qui poſſible tour neröt àvoſtre gloire.Puis qu’il faut que i’obeiſſe, que voſtre volöté l’a determiné, ie le ferai, &par ce que ie n’ai que l’humilité de la priere pour op poſer à voſtre grâdeur, ie vous ſupplie qu’il vous plaiſe autant que ma vie vous ſera en recommendation, par la pitié que vous en aurez, de tenir mon ſecret au cabinet de vos penſees particulieres. Ie n’oſe me deſtourner des arreſts que vous prononcez, leſquels me commandent ſi doucement, parquoy ie vous declare que nous ſommes fils du Roy de Nabadonce, qui allons errans pour faire fortune par noſtre propre induſtrie, & pour apprendre des couſtumes de diuerſes nations, le parfaict moyen de bien gouuerner, & nous accomplir en tout ce qui nous eſt ſeant pour approcher de la perfection, ioinct que ce n’eſt pas aſſez d’eſtre iſſus de grāds, il faut par la vertu ſe rendre digne du lieu d’où on eſt venu. Et pource eſtant vn pauure puiſné, il me conuient chercher auancemēt ſelon que le bonheur me conduira, & que le ciel me donnera quelque main fauorable qui me guide aux grāds effects, & terme d’honneur : Il eſt vray que ſi i’auois l’heur d’eſtre monarque, i’eſtimerois mō bien le plus ſouhaitable d’eſtre voſtre ſeruiteur. Madame, vous auez moyen de punir ma preſomption, ou de vous monſtrer genereuſe, en ſupportant la temerité où voſtre cōmandement m’a fait entrer ; vous en vſerez ſelon voſtre ſageſſe & clemence, & ie ſuiuray les fortunes qu’il vous plaira. Lofnis, Les promeſſes doiuent auoir mutuel entretien, & s’effectuer principalement entre gens d’honneur & de ſemblable rang : Ie croy que vous ne voudriez pas vous ſuppoſer pour celuy que vous m’auez declaré eſtre, partant eſtant fils de Roy ie ne vous enuoirai point à d’autre fortune que celle que vous eſlirez. Fonst. Si i’oſe eſlire, ie feray vn choix tres-excellent, mais c’eſt vous qui m’auez attiré à vous ſeruir de moy, ie vous ſupplie que ie ſuiue donc ſi belle auanture. L o F N I s. Bien ie vous retiens pour moy, puis que vous vous offrez de ſi bonne volonté : mais à condition que nous viurons comme nous auons faict iuſques à ceſte heure, quant àl’apparence, afin qu’il n’y ait que nous à qui noſtre mutuel contentement ſe com munique. La façon dont vous me gouuerne rez, m’enſeignera à cognoiſtre ce que ſent les hommes, & s’il y a moyen de s’arrefter à leurs paroles. Viuez ainſi que vous l’auiſerez auec la prudence, & ne deſiſtez de ſuiure les fortunes qui ſe preſenteront pour vous faire paroiſtre, i’ay beaucoup de regret que n’eſtes cognus de l’Empereur, pource que ie participerois au bien qu’il en auroit : mais puis que vous ne le deſirez pas, & qu’il eſt beſoin que ce ſecret le ſoit enco res, & que les affaires s’accompliſſent auec gloi re, i’approuue vos deſſeins. Or ſuyuez la cou ſtume que vous auez commencée, tant que l’oc caſion ſe preſente de la changer, & trouuez bon, puis que c’eſt ſelon voſtre intention que ie per ſiſte à feindre ce queie ſçay, il faut qu’entre nous la loy ſoit egale, i’auray autant de peine à diſſi muler pour maintenir II12 grandeur & m Cn rang ſur vous, contre le vray deuoir, qu’il vous faudra vſer d’artifice pour vous faire encor plus petit, afin de me demonſtrer la verité de voſtre cœur, cependant l’honneur ſera noſtre conduite, & la raiſon le train que nous deuons ſuiure : Voila le ſecret que ie voulois vous communiquer pour ſçauoir le voſtre, & certainement le courage me iugeoit ce que ie ſçay maintenant, qui ſera ſi ſecrettement vni à mon cœur, que iamais il ne ſera deſcouuert mal à propos, ſi vous ne vo° oubliés ; ce que ie ne veux pas eſtimer, vous tenant pour veritable. Cela eſt vray, & le ſçachez pour y faire voſtre deuoir, & me rendre contente, ſi vous meritez du contentement.

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DESSEIN XI.


Les effects du Miroir de Iuſtice. Qui eſt l’aiſné des Beſſons. Entrepriſe pour rauoir le miroir. La Main fatale perſecute ceux de Sobare. Lofnis monſtre à Fonſteland le Fœnix artificiel. L’adieu des amants. La Biche a deux cœurs.



APres que par beaucoup de preuues manifeſtes, l’Empereur eut eſté abondamment aſſeuré de la ſuffiſance des Fortunez (qui ne faiſoiét rien l’vn ſans l’autre, encor qu’ils dǒnaſſent la gloire de chaque effect à celuy qui l’auoit propoſé ; car ils eſtoient vnis en amitié parfaicte, ſans enuie & ialouſie, qui ſont la mort qui occit les amitiez neceſſaires) & qu’il eut remarqué en eux plus de prudence que d’âge, les ayant remerciez par honneurs, preſens & promeſſes, les pria de continuer en l’affection qu’ils luy portoient. Ce que les Fortunez luy promirent faire tres-affectionnément, & tres-humblement, requerans toutefois ſa maieſté de leur donner congé de voir d’autres regions. L’Em † pria d’auoir vn peu de patience, eur declarant que dans peu de iours il les li centieroit à leur gré, d’aller & de venir com me en leur propre terre, ou les employeroit en vne affaire qui luy importoit grandement, à quoy ils pouuoient, ſ’ils vouloient y enten dre, luy apporter du contentement. L’Em pereur eſtant à part ſoy, & ſe repreſentant les perfections de ces trois freres, ſ’auiſa que poſſible ils le pourroient mettre au repos que de long temps il deſiroit, & creut qu’ils luy eſtoient enuoyez du ciel pour le rendre com · plet en ſon eſtat : parquoy ſ’eſtant conſeillé auec ſes penſees, & aſſis ſeurté ſur ce qu’il pre tendoit, il fit appeller les Fortunez en ſon ca binet, & les ayant ſalüez il leur dit : I’ay re cognu par demonſtrations veritables la gran deur de vos eſprits, le pouuoir de vos intel ligences, & la force de ce que vous pouuez : cauſe que i’ay tel eſpoir en vous, que ie m’aſ ſeure que Dieu aydant, ſi vous mettez la main à vne affaire d’importance qui me touche, vous en viendrez aiſément à bout, & accomplirez ma felicité. Les Fortunezayans ſur ceſte ouuer ture vſé de belles & modeſtes reparties, ſ’offrirët du tout à ce qu’il luy plairoit leur commander, çomme touts diſpoſez au bien de ſon ſeruice. L’EMP. Puis que vous m’auezaſſeuré de ma vie, par voſtre preuoyance & conſeii, i’ay beaucoup d’aſſeurance en vous.Ie vous dirai donc l’affaire. Mes anceſtres Empereurs de ceſte Monarchie, ont touſiours fait grand eſtat des ſages qu’ils ont gratifiez de leur pouuoir, & retenu pres d’eux le plus qu’ils ont peu, les fauoriſans en toutes choſes, ce qui a tant eſté apparent, que cet Em pire en eſt la pepiniere, comme vous auez peu voir en l’aſſemblee generale pour l’interpreta tion de mon ſonge, où il ſe trouua des Philoſo phes de toutes nations, habitans en mes terres, ou y paſſans, ou y conuerſans : mais tous ceux là n’ont point encor veu les deſtroits que vous auez paſſez. Ce bon accueil faict à tant de gens de bien par mes predeceſſeurs, eſmeuſt entre autresvn ſage Druyde ancien ſcrutateur de tous ſecrets, auſquels il eſtoit expert, & en ſçauoit tant qu’il en eſtoit nommé le Pere. Ce perſon nage en vertu des aſpects des aſtres, circonuolu—. tions des natures, complexions des meſlanges, &proportion des compoſitions ſuiuant la ſciéce des Taliſmans, forma & polit vn miroir qu’il donna à l’Empereur mon grand pere, le priant de le conſeruer ſoigneuſement, & quant & quät, luy declara la proprieté & vtilité du miroir, dont la vcrtu eſtoittelle, que par luy tous procez pou uoient eſtre vuidez en vn inſtant : car ceux qui auoient tort ſ’y mirans deuenoiét noirs, & d’vn noir ſi honteux, que meſmes il eut eſpouuanté les Mores : Et ſi ceux qui auoient droict ſ’y pre ſentoient, ils demeuroient en leur couleur na turelle, & meſmes l’augmentoient d’vne douce viuacité que le miroiry infuſoit, par ceſte prom pte demonſtration on deſpechoit les parties ſur le champ ; & partant ce ioyau fut nommé le Miroir de iuſtice, par l’vſage duquel il n’eſtoit point beſoin de ſe raporter aux teſmoins, & ainſi § informations & autres troubles de procedu res eſtoienteſteintes, & tant de gens qui mangent les autres & les rongent § n’auoyët point de lieu : Et s’ilyabien plus, c’eſt que la par tie noircie receuoit ceſte tache tant viuement. emprainte qu’elle ne ſe pouuoit effacer que par vne iuſte penitence.Ilyavn puits plein au fonds d’vne eau ſtygiéne, auquelil faut baigner le coul pable, & là aupres eſt vn petit cauereau,’où il ſe repoſe, & n’a par iour que trois onces de pain qui luy eſt diſtribué à midy, durant ſept iours philo ſophiques & iudiciairs, apres ceux-cy on luy en donne ſix iours durant deux fois, à chaque fois deux onces, puis cinqiours de ſuite on luy en dö ne trois fois le iour, à chaque fois vne once & de mie, en apres quatre iours, à chaque fois deux onces, celà faict, & s’eſtant laué tous les iours deux fois auec repentance, il eſt tiré de ceſte mi ſere, & paſſé par vne ſallette pleine d’vn feu vif, quille reſiouyt, que s’il ne § repenty, il en de uient pire, & on le chaſſe au loin, ou ſelon l’enor mité du fait on leiette au gouffre.S’eſtant repéti, il paroiſt en ſon naturel, & encore plus beau, & ayant fait naifuement confeſſion de ſa faute paſ ſee, & on le reſtablit en ſa dignité : que ſi ſon for fait ne requeroit l’extreme punition, on le laiſ ſoit aller, & de honte il ſe tenoit muet & com me diſgracié ne comparoiſſoit plus. Auſſi ſi le malfaicteur n’auoit commis qu’vn ſiniple mal, & ne vouloit ſubir la penitence, illuy eſtoit permis, maisildemeuroit toute ſa vie honteux & infame, Cecy formoit le peuple à vne grande obeiſſance & accord, perſonne n’oſoit outrager ſon pro chain.Il eſt vray que ſi parignorance & ſans ma lice on tomboit en quelque default nô premedi té, & que l’actionné le confeſlaſt librement on en voyoit la verité par le miroir, car le viſagé miré deuenoit rouge, &d’vn rouge honteux qui duroit trois iours, puis celà ſe palloit & le iuge en co gnoiſſoit pour y apporter l’intereſt ſelon l’exigé ce du cas.Par ce moyen le monde eſtoit tenu en bride, ſi que chacun ſe contentoit de ſa fortune, ſans enuie manifeſte, & ſans entreprendre ſur au truy. L’heureux Empereur poſſeſſeur de ce mi roir apres longaage raſſaſié deiours, laiſſa ce mö de, & l’Empereur mon pere fut ſon heritier. Or l’Empereur mon pere auoitvn frere beſſon, qui euſt bien voulu que le partage euſt autremêt eſté faict, & s’y attendoit, auſſi eſtoit-il entreprenät, hazardeux & de menee, & ſi mon grand pere & les Eſtats n’y euſſent prouueu, il ſe fuſt emparé de la Couronne, car il y auoit quelques flatteurs, qui l’aſſiſtoient, ayant des Conſeillers qui luy fai ſoient entendre : ainſi que diſent quelques pre tendus Iuriſconſultes, le ſemans ſottement : que le dernier venu eſt l’aiſné : en quoy leur ignorance paroiſt manifeſte, ne fuſt-ce qu’à la conſideration des autres animaux, qui ont luſieurs petits, & à la ſuperfetation, ce qui eſt † decidé par les ſages, & les ſaincts decrets, attendu que le premier venu eſt l’aiſné, & com me le dit le vulgaire, Qui premier naiſt premier paiſt. L’Empereur doncques ſuyuant la verité, ayant diſpoſé de ſa Couronne entre les mains de mon grand pere, & mon oncle ſe voyant fru ſtré de ſon attente inique, ne laiſſa pas d’y perſi ſter, ayant gens quil’aſſiſtoient à debattre la ſuc ceſſion. Il eſtoit Prince vaillant & de belle gra ce, grand maiſtre à voller les cœurs, ſi qu’il auoit des † qui ouuertement ſuiuirent ſon par ty, parquoy vne grande guerre ciuile s’eſmeut, es armes furent leuees par tout, & tant de mu tins firent vne ſi groſſe leuee, que mon pere fut contraint de dreſſer vne grande armee, & aller au deuant de mon oncle, & luy liurer bataille, où il le vainquit, trop de ſuiets y perirert, & enco res que la victoire eſcheut à mon pere, ſi ne fut elle pas entiere, car mon oncle eſchappa, ayant deſtourné le Miroir par la trahiſon de deux po teſtats qui luy liurerent & s’enfuyrent auec §, quiauec ceioyau ſe retira au Royaume de Soba re, où pour lors regnoit Sobarebelle& ſage Prin ceſſe, laquelle portoit meſme nom que ſon Roy aume & que ſa ville metropolitaine. Le Prince eſtant là, afin d’auoir la bonne grace de la Roine, &retraicte aſſeuree, fit preſentduMiroir à laRoy ne, qui en auoit ouy parler autresfois & des mer ueilles de ſon eſfet, mais il luy fut inutile, à cauſe qu’il auoit eſté fabriqué pour ce climat, & meri dien, auquel ſeulil peut ſeruir. Orilya quelque temps que pres la ville de Sobare, qui eſt ſur le bord de la mer, il parut vne choſe eſtrange : C’eſt qu’au leuer du Soleil quelques cent toiſes loing du haure, il ſe leua vne grande main eſtendue, aduantageuſe & eſpouuantable, quitout le iour demeura ſtable, & au Soleil couchât s’eſlança ſur le bord, & empoigna vn homme qu’elle rauit en la preſence de tout le peuple, & le coula au fonds de la mer, ce qu’elle a depuis continué iournellement au dommage de quelqu’vn, de quoy le peuple ſe trouua fort eſtonné, chacun craignant ceſte rencontre, car meſmes la main s’eſtan teſleuee haut, s’eſlançoit ésiardins, courts, & autres lieux où il y auoit des perſonnes, & en attrapoit. La Royne, les ſages & le vulgaire mirent tout ſoin, diligence, & peine, de remedier à ce dan ger : mais ce fut en vain, les coups de canon, les armes offenſiuesy eſtoient employees, mais pour neant, rien ne ſe trouua capable pour reſiſter à cet inconuenient, ny fort § pour l’abattre : l’af fliction en duroit touſiours. Les Sages, les Philo ſophes & toutes ſortes de gens qui ſe cognoiſſent à tout, y ont eſté employez, mais ce qu’ils y ont taſché n’y a peu profiter : à la fin la prudente Roy ne, qui eſtoitl’vnique entre les Dames accom plies, s’aduiſa du Miroir, ſe perſuadant qu’il au roit quelque efficace, & en l’aſſemblee du Con ſeil, où les Sages eſtoient, propoſa ce qu’elle en auoit premedité, qui fut trouué fort à propos, ſi que dés l’heure il fut eſſayé en ſa preſence, & de tous les Princes, & du peuple. Le Miroir doncques preſenté à la main, on vid vn effet merueilleux, car incontinant comme par hu milité elle s’enclina, ainſi que ſi elle ſe fuſt plon. gee de ſon long en la mer, puis ayant eſté vn peu nageant ſur les ondes, elle ſe releua & remit en on eſtat accouſtumé. Tout le monde fut eſ meu de ce geſte : On oſta le miroir puis on le repreſenta, mais ſans fruict : tellement qu’on delibera d’attendre, & aduint qu’à l’heure couſtumiere du couchant, la main s’eſleua & ſe ietta ſur vne beſte qu’elle empoigna & rauit, & depuis a touſiours continué : tellement que l’incommodité n’en eſt pas tant calamiteuſe. Depuis ce temps là ils n’ont ſçeu que faire à ceſte playe, car tous les iours quelque cheual, quelque mouton, chien, veau, bœuf, chat, ou autre animal domeſtique irraiſonnable eſt em porté, & les affaires ſont demeurees en tel e ſtat. L’Empereur ayant perdu ſon Miroir, e ſtoit fort faſché, & en portoit à cauſe de la iu ſtice, vn ennuy notable, toutesfois il eut quel que eſpoir ayant entendu qu’il eſtoit en Sobare. parquoy il enuoya vers la Royne pour le re couurement de ceioyau, luy offrant de grands preſens, s’illuy plaiſoit luy reſtituer, à quoy elle n’a pas voulu entendre, mettant en auant quelques excuſes receuables. De l’auoir par force, il n’y a point de moyen, car le pays eſtinacceſſible, & l’auons recogneu tel : d’yal lèr par mer, il faudra ronger les rochers, ou forcer vn havre, où il n’entre à la fois qu’vn ſeul vaiſſeau, par l’Iſthme il n’y peut entrer que deux hommes enſemble : ſi que l’eſperance par telle voye eſt nulle : La force n’y peut ob tenir, tellement qu’il faut y paruenir par dou ceur, ou par ſtratageme. Or la playe dont ie vous ay parlé eſtant ſuruenuë, & moy comme heritier de l’Empereur mon pere, ayant en uoyé à la nouuelle Royne de § qui vit au iourd’huy, qui eſt belle, ieune & ſage, la prier de me reſtituer le Miroir : Elle m’a mandé que il eſtoit à elle de droict de guerre, & de ſucceſſion, & que toutesfois elle me le mettroit entre les mains, ſi ie luy enuoyois quelqu’vn d’entre les Sages qui viuent aupres de moy, qui la peuſt deliurer de la main fatale, & ceſt ar § de Conſeil fut eſtably comme vne des loix fondamentales du Royaume de Sobare. Voi là comme tout eſt paſſé, & l’eſtat auquel nous ſommes demeurez depuis cinq ans, & ne s’eſt trouué aucun qui ayt peu remedier à ce mal, ny deliurer ceſte contree là de telle perſecution. Maintenant que ie n’y penſois preſques plus, tenant le tout comme deſeſperé, ie ſuis r’en tré en eſperance de recouurer le Miroir par voſtre moyen, & par ainſi faire du bien à ce ſte iſle tant moleſtee, & auoir du contente ment en recouurant mon bien tant deſiré. Ie vous prie d’y aduiſer : car ſi vous † & que me faeiez vn ſeruice tant ſignalé, ou tre la gloire qui vous en aduiendra, vous obli gerez vn Empereur qui ſera tout à vous. Les Fortunez ayans ouy ceſte affaire, reſpon dirent à l’Empereur, que deſia ils eſtoient preſts de le ſeruir en tout & partout, mais qu’il y falloit penſer meurement : & partant luy de manderent temps pour yaduiſer : ce qu’il eut agreable. Ils y penſerent doncques, & s’eſtans reſolus auec ſa Maieſté, leur voyage en Sobare. fut conclud à la prochaine ſemaine, & cepen dantils ſe preparerent. Cecy fut le vray moyen aux Fortunez de faire rencontre, ainſi que le ſuc cez le fera paroiſtre. Fonſteland auoit faict · entendre à Lofnis ce qui ſe paſſoit, à ce que rien ne fuſt fait ſans ſon ſçeu & bonnevolonté : & elle accorte amante manda à la Fee, qu’elle priaſt les Fortunez de ſe trouuer à la Fontaine, à fin de les voir auant que partir : quelque choſe qu’elle peuſt feindre, ſi ſentoit-elle en ſon cœur vn certain deſplaiſir de leur eſlongnement : tou tesfois cognoiſſant que c’eſtoitvn moyen de les faire cognoiſtre, & d’entrer en lagrace parfaite du Roy leur pere : elle en eſtoit treſ-aiſe, ioint que ſon particulier eſtoit la principale fin qui l’excitoit à bien eſperer de leurs entrepriſes. La Fee leur ayant enuoyé le meſſage de Lofnis, ils ne tarderent à venir à la Fontaine. Eſtans là, la Fee & les deux freres donnerent occaſion aux amans de conferer enſemble. Lofnis monſtra à Fonſtelandvnioyau, qu’vn Philoſophe Occi dental luy auoit faict recouurer par grande ex cellence, l’aſſeurant qu’il auoit telle vertu és fi gures & lettres § contenoit, que nul ne pourroit les deſchiffrer que celuy qui luy eſtoit deſtiné adioint de fortune commune, parquoy elle luy dit : Me fiant en voſtre eſprit, non pour douter de voſtreaffection, mais pour en eſtre plus aſſeuree en vous certifiant que i’en ſuis treſſeure, & auoir ceſte conſolation & reſiouyſ ſance devoir de plus en plus des fruicts de voſtre ſageſſe, iele vous veux monſtrer à ce que vous en iugiez. Elle tira d’vne boëte d’or vne deui ſe faicte de pierres excellentes : c’eſtoitvn Phœ · nix bruſlé dans ſon nid qui eſtoit oppoſé au So leil, & de ceſte § eſtoit latine, Si formam dederis formosvs ero, ce qui ne ſe pouuoit traduire en autre langue mot à mot en meſme ſignification de rencontre de arole procedante de l’autre. Le Phœnix eſt § de l’eſprit del’or calciné par la propre odeur de ſon eauë claire & interieure. Le Nid eſtoit de petites broches de diamans entrelacez d’au tres pierres de toutes couleurs, en guiſe d’é— mail, le tout enrichy d’vn ouurage d’or com mun, laborieuſement exquis, bordé de groſ ſes perles, & aſſis ſur vne branche de coral le plus vermeil qui fuſt oncques veu, ayant la ra cine plus noire que gez. Le Soleil eſtoit vn grand rubis rayonné de hyacinthes eſclatantes, & au milieu du rubis eſtoit fort induſtrieuſe ment poſé vn diamant rond, ayant cinq li gnes de diametre. Le Fortuné ayant veu ce ioyau tant exquis, & precieux, dit, Madame, ſi le bon — heur conſiſte en l’interpretation de toute la deuiſe, ie ſeray bien toſt le plus heu reux du monde. Mais il y a vn ſuiect plus no table, dont le conſentement eſt neceſſaire pour ma felicité : C’eſt vous qui pouuez me mettre en tel heur ayant mon ſeruice agreable, & que ſuyuant l’ame de ce ioyau, ie deuienne excel lent & beau par vous. Vous ſçauez l’hiſtoire du Phœnix, que le Soleil fait reuenir : auſſi il luy dit, Si l’on me donne la forme, ie ſeray formé en beauté. Voilà le mot dont la ſigni fication m’eſtant attribuee, ie vous diray, que ſi Vous conſentez à mes deſirs, me fauoriſant com mei’eſpere, de l’influence de voſtre belle lumie re, mon ame deuiendra toute excellente : auſſi je ne deſire point faire d’actes vertueux, & ne le puis, que ce ne ſoit à voſtre gloire : acceptez donques mon deuoir, comme de celui qui eſt tout à vous, & qu’il vous a pleu eſlire, le choi ſiſſant de voſtre particuliere grace, ſans conſide ration d’aucun ſien merite. LoFNIs. Ne vous aneantiſſez pas tant, quãd ce ne ſeroit que pour ce que vous eſtes à moy, qui ne penſe rien poſſe der de petit, au reſte que nos diſcours ſoyent courts & noſtreamitié longue, retournons aux autres, & ſoyez telie vous prie, en la conſerua tion de ce que vous me deuez, que ie ne me re pente point de l’election quei’ay faite.FoNsT.Ie vous le laiſſeray à iuger : carie n’aurayiamais au tre forme que celle que vous me donnez. Afin qu’en mon abſence, ie vous puiſſe communi quer mon petit ſecret, ce que les diſtances des lieux, nous refuſeront ie vous prie de voir cét adieu qui parlera pour moy.

Mon Soleil ie ne ſcay ſii’aurayl’affeurance
De ſupporter l’excés de mon affliction,
Car ie ſens tät d’ennuy, pèſant en voſtre abſence,
Qu’il n’eſt point de douleur comme ma paſſion.
Ie coule tout en pleurs, & iem’exale en plaintes.
Me ſeparant ſiloin de l’obiet deſiré,
Mes lamentations ne ſont point larmes feintes,
Car mon cœur eſt d’ennuy viuement vlceré.
Eſloignant les baux yeux de ma belle lumiere,
I’entre ès ombres confus de toute ohſcurité,
Et mon œil deſtourné de ſa gloire premiere,
Se diſtille és torrens de ſa calamité.
Trop loin demon soleil, ie ſeray ſans courage,
Tout eſteint de valeur, tout deſcheu de pouuoir,
Ie ſeray le fuiet de triomfeau dommage,
Mort au contentement, tout eſteint à l’eſpoir.

Mon cœur s'eſcoulera preſsé de ſa triſteſſe,
Mon ame periſſant n'aura plu de deſirs :
Et ne reuoyant point ceſte belle Maiſtreſſe,
Mes eſprits defaudront troublé de deplaiſirs,
Mais quelle triſte humeur veut ſeduire mon ame,
La faiſant reuolter de ſa propre grandeur ?
Non ! ie ſuis alumé d vne ſi belle flame,
Que ie ne feraypoint d'outrages à mon cœur.
Bien que ie ſois abſent du ſurjon de ma vie,
Que s'eſloigne tant loin la ſource de mes feux,
Si eſt-ce que mon ame à ma lumiere vnie,
Ne s'en eſloignera ſeulement que des yeux.
Ie ne m'eſpandraypoint en indignes detreſſes,
Bien que ie ſois preſſé de trop greues douleurs,
Mais des cœurs releuez imitant les addreſſes,
Plus ie m'eſloigneray tat plus i'auray d'ardeurs.
Le ſouuenir heureux qui touſîours m'eſpoinconne
Plus parfaite qu'a l'œil ma belle me fait voir,
Et les diuers deſſeins que ſa beauté m'ordonne,
Mettent deuant mes yeux l'eſtat de mon deuoir.
Ainſi faut ſe parer contre la deſiinee,
Quad elle veut troubler le bôheur de nos cœurs,
Et l'eſperance eſtant en vne ame bien nee,
Elleſent en plaiſirs tranſmuerſes malheurs.
Jamais # n'eſt abſent de ſa Belle,
Car l'ayant dans le cœur, il la reſſent touſiours :
Il la uoid, il la ſert, é d'une ame fidelle,
Il luy rend meſmes vœux & les meſmes amours.
Ie n'eſloigne donc point voſtre belle preſence,
I'y ſuis par trop vni par mes fidelitez,
Mes deſirs ayans pris ſi parfaite naiſſance
Pour obiet eternel, ont touſiours vos beautez,
Telle ſera ma foy que ie vous l'ay iurcee,

Pour la vous conſeruer en toute verité,
Et d’vn ſemblable ſoin vous ſerès honoree,
De mon ame qui eſt toute fidelité.
Vous en ferés eſtat, car voſtre grand merite
Recognoiſtra l’effet de mes intentions,
Et bien que ma puiſſance apparoiſſe petite,
Si la verrés vous grande en mes affections.

Au departir de la fontaine, Lofnis pria les For tunez de mettre toute leur induſtrie au recou urement du Miroir, à quoy ils aquerroyent vne gloire infinie, & obligeroyent l’Empe reur & pour les gratifier leur donna à chacun vne faueur, à Caualiree vn diamant ſans deuiſe, à Fonſteland vn ſoleil de rubis, & à Viuarambe vne eſtoile d’emeraudes, (ces trois bagues eſtoyent des plus riches) & pria les Fortunez de les porter pour l’amour d’elle, & ainſi cha cun la ſienne, en ſouuenance de ſa maiſtreſſe, & de l’analogie qu’elle auoit de celle qui la donnoit a celuy qui la receuoit. Le iour venu du depart des Fortunez, ils ſe mirent en che · min, & l’Empereur monta à cheual pour de tant plus honorer leur ambaſſade, à ce qu’auſſi ceux qui les ſuiuoyent en fiſſent plus d’eſtat, & les conduiſit vne lieuë, les priant non com me ſimples gens, mais autant que s’il les eut tenus des plus grands, & les incitant d’af fection à faire ſi bien en ceſte affaire, qu’il en ait vne preuue excellente de leurs valeurs. L’Empereur retournant auecl’élite de ſes Che ualiers, eut vne plaiſante rencontre, il veint au deuant de luy vne beſte mal menee par ſon grand veneur, laquelle tomba à ſes pieds rendant les abois, luy & tous les preſens, penſoyent que ce fut vn cerf, & il ſe trouua que c’eſtoit vne biſche portant vne belle teſte : Il la voulut reſeruer viue, mais elle auoit vne fleche au trauers du corps qui la fit mourir : auſſitoſt qu’elle fut ouuerte on deſploya les entrailles, & on y trouua deux cœurs. Les Sages du païs ont eſté appellez pour en dire, mais ils ſ’en ſont teus, il faut at tendre les Fortunez, & cependant l’Empereur ſuyura ſes plaiſirs & ſes deſtinees, & Lofnis me ditera en ses amours.

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DESSEIN DOUZIESME.


Couſtume du pays de Narciſe, où les Fortunez, eſtans bien receus oyent le diſcours d’vne belle nouuelle arriuee en Nabadonce, & racontee par vn Pelerin d’amour. Myrepont s’apreſte de ſubir la merueilleuſe eſpreuue.



DEsia pluſieurs iours eſtoyent paſſez, & les Fortunez auāçans chemin à grādes iournees ſe diligentoyent, ayans pris le voyage par terre, pour eſtre plus aſſeurément, pour voir d’auantage de regions, enuiron les deux tiers de leur chemin, ils arriuerent en vn beau Royaume, qui eſt fait preſque en eſtoile, ayant pluſieurs pointes, s’eſtendans en diuerſes Prouinces, meſmes és terres de Glindicee, & autres de l’obeiſfance de l’Empereur. Le Roy de ce pays-là a tellement accommodé les paſſages, qu’il faut que tous voyageurs viennent qbuter à vn palais, qu’il a fait baſtir aupres des chemins : chacun qui veut entre en ce Palais, pour obſeruer la couſtume qui toutesfois eſt libre. Auſſi ce Prince qui eſt des plus curieux, a fait dreſſer ceſte auanture de courtoifie, pour gratifier les beaux eſprits.Icy tous les paſlans vont & viennent en liberté, & ſeurté, auec plaiſir & profit, aux ames capa bles des ſujets qui s’y aperçoiuent : Quand il entre quelqu’vn ou pluſieurs, il vient au de uant vn cheualierarmé de blanc, qui leur fait en tendre qu’ils ſont aux marches du Royaume de Narciſe, lequel ſ’eſtend en ces pointes, preſ ues par toutes les contrees où la nymfe Filo # eſt cognue, & les prie de par le Roy, ſ’ils ſont curieux de s’arreſter pour voir les merueilles du lieu, ou ſinon qu’ils viuent à leur volonté, & y paſſent le temps à leur plaiſir, leur mon ſtrant le chemin qu’ils voudront ſuyure, où de la ville pour le trafic, ou du Palais pour la cu rioſité, preſques tous vont au chaſteau : car le chemin à la ville n’eſt de gueres alongé par là, Quand on eſt introduit au Palais, on entre dans vne belle grande galerie, & là on void les figures de tout ce qui eſt exquis en ce lieu. Ceux qui ſe cognoiſſent en la peinture, ſont fortayſes devoir ce qui ſ’ofre à leurs yeux, & s’ils ne penſent qu’à cet objet, apres auoir re cueilly par la veuë ce qui y eſt de plus beau, s’en vont rendans graces au Roy & au cheua lier, & ne s’y arreſtent qu’autant que leur con tentement les attire : mais les cœurs qui s’ auiſent de ce que ces pourtraits couurent, ſup plient d’auoir accés aux lieux, où ces deſſeins les appellent : Tels ſont bien receus& tres-agrea blement embraſſez, non comme eſtrangers, mais amis du cœur, & on laiſſe les ignorans & peuauiſez ſuyure leurs triſtes voyes. Les Fortu nez qui ont part legitime à tout ce qui eſt de ra re, & de prix en ce monde, arriuans en cet en droit où ils voyent tant de promeſſes d’excel lences, ſont bien aiſes d’auoirvne ſi belle occa ſion de ſatisfaire vn peu à leur deſir, ils entrent donc auec leur compagnie, & le Roy ayant ſceu qu’ils eſtoyent à l’Empereur, les receut auec apparat, conſonant à la grandeur de ce monar que, & les logea au plus beau pauillon qui re gardoit ſur la ville. Oreſt-il que le ſoir de de uant, eſtoient arriuez en ce lieu deux ieunes Pe lerins d’amour, qui ſuiuoyent la curioſité de leur eſprit, & eſtoyent venus ſaluër le Roy, qui les receut gracieuſement, & leur monſtra pluſieurs excellences, en recognoiſſance dequoy ils luy conterent de grandes merueilles, & ſin (gularitez des païs où ils auoyent paſſé & ſe iourné. Ce ſage Roy ayant feſtoyé ces nou ueauxhoſtes, & leur ayant fait voir du plus ex — quis, pource qu’illes vouloit gratifier du tout, à cauſe dubonEmpereur qu’il reueroit, tant pour ce qu’il eſtoit homme de bien, que pour ce qu’il cheriſſoit les curieux, leur prepara vn beau feſtin, auquel il appella auſſi les deux paſ ſans. Si ce Roy eut cognu ces hoſtes, il eutapris d’eux, beaucoup de moyens pour s’accomplir & addreſſer en ſes affaires, le temps apportera tout.. Durant le ſouper le Roy ayant diſcouru de ce qu’il eſtimoit eſtre agreable aux Fortu nez, leur dit que ces deux paſlans eſtoyent de l’ordre des Ortofiles, & qu’ils auoyent veu plu ſieurs choſes notables, meſme luy en auoyent recité de merueillables : ainſi de diſcours en di ſcours, ils s’entreteindrent de ce qui leur veint à gré. Le banquet celebré en la ſale Royale, où, rien ne manqua, la muſique ayant aporté le lu ſtre qui ſe compréd par les oreilles, apres que les confitures eurent eſté preſentees, tout leué & deſia le ſilence ſ’aſſemblant en la ſale, au pris que tant de diuers ſeruans ſ’eſtoyent retirez : le Roy s’adreſla ainſi aux Fortunez. Meſſieurs, eſtant ſeruiteur de l’Empereur, & luy voulant faire paroiſtre, ie taſcheray par tous moyens à vous le demonſtrer, vous offrant tout ce qui ſe pourra pour vous donner du contentement. Et puis i’y ſuis incité parce que ie croy que vous eſtes de la cabale des Ortofiles, dont nous ſom mesicy, & ſuis tres-aiſe que vous ſoyez arriuez à ce point, pour auoir part à vn plaiſir que i’ay receu de ces deux Pelerins d’amour, qui m’ont raconté vne hiſtoire fort belle & de merite, ie les ay amenez en ce lieu expres, les priant de vous en faire le recit.Ie vous prie d’auoir agreable ce que i’en fay, & vous mes amis ſagesPelerins, quieſtes venus en ce païs pour participer aux curioſitez, & y en aporter, faites nous ce bié de nous racon terceſte belle hiſtoire dés le cömencement, pour en reſiouïr les eſprits qui vous en ſcauront gré. Les Fortunezayās rêdu gracés au Roy, & exalté extremement ſa bonté & curioſité, comblees de courtoiſie, prierentauſſiles Pelerins : Adóc l’ aiſné ouurit le diſcours, & le continua deuan l'aſſemblee. Apres auoir longuement erré au recouurement des belles curioſitez qui m'ont attiré, dés l'heure que i'ay eu cognoiſſance, ie m'eſtois retiré en noſtre pays,& ne penſois plus qu'à tenir mon eſprit en douce trâquilité,& à la verité tout cöuenoit alors auec la triſte penſee qui me rete noit,& ſembloit que le ſilence fut tellemët mul tiplié, que rien de nouueau ne deut plus eſtrera conté,pour le contentemét des ames qui ſe plai ſent à la diuerſité de ce qui eſt precieux. Les Da mes n'entendoyent plus de nouuelles récontres, les Cheualiers n'auoiêt plus de nouueautez pour entretenir leurs maiſtreſles,&les eſprits ennuyez de retracer les vieilles cöceptions,ayans à dedain d'eſtre rebatus d'vn meſme ſuiet läguiſſoiët ſans occupation,que voici arriuer vn aer de nouueau té:dont le bruit fut reſpandu par tout.Le propos n'en fut ſi toſt parti des premieresleures qui l'an noncerét,que toutes les langues prirent plaiſir à le dilater, le diuulgans en tous lieux : ce n'eſtoit pointvn conte vain qui ſe ſemoit parmi les pla ces pour amuſer les petits curieux,mais le raport § d'vne verité autant remarquable, qu'autre occaſió qui ſe ſoit iamais preſentee Ce ſecret ne nous fut pas bien declaré, car il eſtoit brouillé par le murmure public, ayant deſia tant eſté manié, que tout meſlé d'impureté il n'eſtoit plus rien en ce que l'on diſoit qu'vne vapeur mau uaiſe enuelopant la verité de deguiſements in finis : vne Belle nymfe qui auoit charge de le faire entendre aux Ortofiles nous oſta de pei ne, & nous declara ce que ſ'en eſtoit, d'autant que nous allaſmes le voir, apres que ces nouuels les nous eurenttouché le deſir, & nous expoſa que Mirepont vn des Princes du Royaume de Maliquee, ſeruiteur de la belle Robufee, de laquelle ilauoit eſté auparauant aſſez bien trai té, & depuis indignement diſgratié, s’eſtoit comme deſeſperé, & que de ceſte fantaiſie, il eſtoit ſuccedévne conſequence digne d’eſtre en tendue, & ſur ce qu’elle m’en deduit, ie pour ſuyui mes erres, & fis tant que ie veins au lieu meſme où l’auenture ſ’acheua, tellement que ie ſceu tout, & vous diray ce qu’elle m’en a dit, le iongnant à ce que i’ay veu. Mirepont eſmeu du zele inconſideré qui le tranſportoit par dépit des dedains de ſa Dame, ſe delibera de ſuyure fortune, telle qu’ill’a pourroit rencontrer pour ſe conſoler, & ſ’eſtant mis ſur mer, attendit tel abord, que le hazard döneroit au vaiſſeau qui l’a— uoit receu, & aduint qu’il ſurgit au grãd Royau me de Nabadonce, il en fut fortaiſe & eut eſpoir d’y paſſer ſes doleäces, ou les adoucir : Il mit pied à terre, & alla traçant païs, ſe retirant de la foreſt, ilarriua aupres d’vn pré, au bout duquelil vid vne maiſon de plaiſance faite d’vn artifice, qu’il n’auoit encor cognu autre part, bien qu’il eut viſité beaucoup de terres, voyant ceſte nou uelle induſtrie, ſa curioſité ſe reueillant, il ſen tit ſon cœur tout renouuellé, & en telle alle—. greſſeil prend aſſeurance, & s’auança : venu à la grand porte de la maiſon, au bout d’vne belle allee, bordee de murailles & d’arbres qui ſont beaux & bien hauts, il rencontra vn bon vieil lard auquel il demanda quelle eſtoit ceſte maiſon ; le vieillard luy dit amiablement : Amy eſtes vous tant nouueau en ce pais, que vous n’en ſa chiez rien : Certainement, dit-il, mon pere ie ſuis voirement fort nouueau, car il n’y a pas neuf iours que ie ſuis en ces terres. Ha dit le bö hom me, c’eſt donc raiſon queie reſponde à voſtre de mande, & vous declare ce que vous auez enuie de ſcauoir : c’eſt l’hermitage d’Honneur, que no ſtre bon Roy a fait baſtir, pour y faire inſtruire les Princes ſes fils, auſſi y ont-ils eſté fort bië en ſeignez, & ont tant bien retenu que les maiſtres les tiénent pour la perle du monde, entre les ieu nes gens.Mais apres qu’ils ont eu apris, ce que le Roy vouloit qu’ils ſceuſſent, ils s’en ſont allez & ne ſcait-on où ils onttiré ; cepédant les maiſtres n’en ont bougé, & y ſont encor trauaillans iour nellement à rendre le lieu en ſa perfection, & le Roy qui prend là ſon plus † cö ble de toutes les ſingularitez dont il ſe peut aui fer, l’ayant fait vn abord de toutes ſortes de gens d’honneur, & y a eſtabli des loix agreables & bö nes.Cela dit, le bon pere laiſſa aller Mirepôt, qui heurta, & y vint vne ancienne Nymfe, qui s’en quit qu’il demâdoit & qui il eſtoit, à quoy ayant honneſtemët reſpondu, il fut introduit en la baſ ſè cour, où il trouuales Sages auſquels il ſe de clara, & ils lui firent entendre les conſtitutions& obſeruations du lieu, apres quoy à ſon humble requeſte, il fut admis au Palais, & receu côme vray Religieux pour ſuiurel’ordre, & garder les ſtatuts, fon temps expiré pour la probation, il fut receu de la maiſon, & proclamé que dans peu de iours, il ſubiioitl’examen de ſa probité, & que la merueilleuſe eſpreuue ſeroit faite ſur luy ; c’eſt vne experience du cabinet de Minerue ſuyuant quoy, par le moyen d’vne liqueur on void iuſques au cœur des persōnes, & on y lit les intëtiōs és lieux de leur ſiege. Le iour ordonné eſtāt venu, l’eſſay de Myrepont fut publié, afin que les curieux y veinſſent : Les nouuelles en vindrent iuſques à nous qui eſtions au Royaume de Teſpinte, dependant de Nabadonce, parquoy apres en auoir deliberé nous y alafmes, & arriuaſmes aſſez à propos & à bonne fortune, & puis par le tēps & noſtre bonheur nous fuſmes receus en l’Hermitage au rang des curieux, & n’en fuſſions point partis, ſans que le ſage Sarmedoxe nous a expres enuoyez pour voir le Royaume de Sobare, & ſcauoir que c’eſt d’vne main merueilleuſe, dont on fait de grāds diſcours, & luy en raporter la verité. Et pource que i’ay veu & cognu tout ce qui ſe practique, & eſt en l’Hermitage dont ie vous parle : afin que vous ayés le plaiſir de contempler tout en mes propos, ie vous raconteray de point en point cōme i’y fus : vous remarquerez cependāt que quand on entre là, on preſume que tout ce qui ſ’y void ſoit pour soy, d’autſat que les obiets ſont tāt analogiques à noſtre cœur, qu’il sēble à tout curieux, que tout ait eſté fait expres pour ſon ſuiet, & ie vous racōteray mon auēture, à ce que, ce que ie vous repreſente vous paroiſſe mieux. Arriué en ce lieu ſacré où repoſent tāt de myſteres & beaux objets de plaiſirs parfaits, auāt que paſſer ie remarqué generalemēt tout ce qui paroiſſoit, puis le diſpoſant à par moy, i’ordónay que mes yeux iroyent en deuë proportiō ſur chaque obiet, pour le recognoiſtre, ou l’admirer, & encor de meſmes ie mets les principales choſes par rågs, me rememorant ce qui ſ’eſt paſſé, & ſur toutés fortunes d’amour, qui m’a ſouuent reduit en des termes nó premeditez, & dontie penſois trouuer la bône iſſue en l’Hermitage : côme iere cueillois ainſi ce qui ſ’offroit, ieveien vn porfire gris dix lettres d’or entailleesen la pierre, eſtäs les lettres du nö de la Dame en faueur de laquelle il a eſté cöſtruit, auec pluſieurs belles auātures, & y leus IERoTERMIA. ie me mis à eſplucher Ce mot, & à cöſiderer par tout l’architecture qui eſt nou uelle & non commune, & peu ouye tant pour ſa ſymmetrie, que pour la façon & diſpoſitiö de l’e— ſtofe, qui a eſté admirablement aſſemblee, i’en roulois les raretez auec les yeux, & le vieillard qui auoit inſtruit Mirepont ſurueint lors pour luy faire honneur : encor que ie ſceuſſe bien où i’eſtois, ie le prié de me le dire, & quelles ſigni fications auoyent ces parures d’entrees : Le Sage ancien me dit, Qui que vous ſoyez vous eſtes de nos amis, ſi la iuſte curioſité vous ameine icy, ie vous auiſe que iamais nous ne declarons la ſentéce du terme, qu’à ceux qui ſont des noſtres, quât à la lettre vous le ſaurés, c’eſt vn mot grec, lequeleſtainſi eſcrit, pource que no"voulös que · nos galantiſes ſoyët au moins cognues en appa rence, & que cependant ce qui y eſt caché ne ſoit entendu que des noſtres, ie vous diray pourtant que ceſte diction determine, qu’ici eſt la ſainte extremité, le ſacré but, l’heureuſe fin de tout, c’eſt ce que veut dire en intelligence de premier ºbiet, ceſte parole, & n’en pouuez ſçauoir encore d’auantage ſi vous n’eſtes de ceans. N’y a il point moyen (dis-ie) d’en eſtre, à moy qui ſuis des voiſins & ſuiets ! Le pais de ma naiſſan ce eſt Teſpinte, ie ſuis de l’ordre des Ortofiles, capables d’eſtre receus en toutes bonnes com pagnies, & i’ay deſir d’eſtre de la plus excellen te.Aha dit le bon pere, ſi ce que vous dites eſt, l’entree de ceans vous eſt acquiſe, &ſi vous deſi rez y demeurer pour eſtre fidele & veritable, ie vous feray ſcauoir nos loix, ceremonies & ſta tuts. Ie lui fis paroiſtre ce quei’eſtois, & il ad iouſta ; Si vous voulez vous y reſoudre, liſez ce qui eſt au pied de ce pilier. Ie me beſſay & leu diſtinctement cRoY ov TE RETIRE.Quoy luy dis-ie, mon pere, ne puis-ierien ſcauoir d’auanta e de vos myſteres, faut-il demeurer en vne § obſcure croyance ? Ouy, dit-il, d’au tant qu’il conuient’obeir aux eſtabliſſemés, tou tesfois ſi vousauezaſſeurāce, eſtant Ortofile, de ". iurer fidelement que iamais vous ne ſortirez à voſtre eſſient des limites de raiſon, & que ſerez obeiſſant à nos couſtumes, ie vous permettray l’entree intérieure, puis nousauiſerons à ce que vous meriterez : ſinon vous pourrez paſſer outre & de la montaignevoir aſſez cöfuſement ce qui eſt ceans, ou bien venez auiour que toutes per ſonnes ont congéd’y entrer. A cela encor plus curieux & deſireux, ie luy reſpons que i’eſtois venu expres pour me rendreicy, s’il plaiſoit aux Sages me receuoir, &partant que ie ferois tel ſer ment qu’il ſeroit requis : Ce ſage vieillard, qu’ou ne ſauroit tromper, lit preſque au cœur des per ſonnes par le viſage, parquoy m’ayant conſideré & examiné, receut mon ſerment, & m’ introduiſit en l’Hermitage, & m’ayant fait paſſer en vne court, par vne belle petite porte, la referma apres moy, me laiſſant ſeul chercher ce que la böté de mon Demon rencótreroit.Ce vieillard entrete noitvolontiers ceux qui paſſoyent, deſquels il en · receuoît aucuns & laiſſoit paſſer les autres, il eſt auſſi là expres pour remarquer ceux qui ont le cœur eſmeu de nos gentilleſſes ; & pour reſpödre à ceux qui demâdent quelques vns de la maiſon, dont aucû ne ſort ſans congé, non plus que l’on n’y entre ſans licence ; exceptéaugrădiour que la porte eſt ouuerte à chacü : ceſte entree pourtant ne ſert de rié à ceux quine ſont point des noſtres, car l’enclos où ſont les ſecrets & excellences, eſt enuironné d’vn bord de trois pas de large, plein de l’herbe d’adirance, qui fait tout oublier à ceux qui paſſent par deſſus, s’ils n’öt la bague Fee, que la ſouueraine donne aux Ortofiles. Quand iefus entré aſſez auant, voici venir à moy Grimelle la ſeruante de la Fee, qui preſide en ce lieu : Qui me demanda aſſez rudement, Que venez vous faire icy : I’en fus preſque eſtonné & ſurpris, & ſans la reſolution que labelle de mö cœur a miſe en mö ame, ie feuſſe demeuré court, donc ie luy reſ pondis, Ie viensyaporter de l’honneur, & cher cher de la vertu : Elle adiouſta, eſtes vous entré 3lllCC congé ſimple ou ſous fidelité de vœu : & moy, à la verité ma bonne mere la fidelité de mes vœux m’y a conduit, & le ſerment que i’ay fait au bon pere qui eſt là dehors m’a introduit. Puis elle, Si vous eſtes veritable vous eſtes bien heureux, & ſi vous ne l’eſtes, la Fee vous fera vn affront inſuportable, auiſez-y & conſultant auec voſtre courage, allez en ces allees faire vn tour, & tantoſt ie vous feray entrer, tournez à main gauche deux fois, & vous trouuerez vne tonnelle où ilya des demoyſelles ; Quand i’eu tournoyé ſelon cét ordre, ie rencontré leptbel les Demoyſelles ſi pareilles en beauté, en §, en façons & en graces, que ie penſois que ce fut vne meſme, qui par quelque artifice me parut ſept fois en vn † ſceu depuis qu’il y avne des ſept qui eſt l’vnique à cognoiſtre, mais c’eſt grand hazard de ſcauoir bien choiſir, celui, qui la récontre ſe peut aſſeurer du grand Bien. Demoy lesvoyant, ie preſumois aller tout droit à elles, & me diſpoſoisd’éapprocher, pour les ſaluer ; mais ie me trouué en grand peine ne ſachant à laquel leie me deuois adreſſer, depeur de faillir à la bië ſeance, en ceſte confuſion d’eſprit, ne ſachant me reſoudre, balançeant vers ces beautez, la vieille arriue qui me veint tirer, & me dire queie la ſuy uiſſe, ſi ie voulois voir l’auãture de Mirepôt, quād i’ouy parler de ce nom qui m’auoit attiré en ce païs-là, ie me tournay promptemët verselle, laiſ ſant les Demoiſelles, queie ne laiſſois pas ne les ayans pointacoſtees : Ie ſuiuila vieille & i’entray en la # de la ſage Fee, où ie vis de grandes mer ueilles, & qu’il ne faut declarer, & n’eſt permis d’entendre qu’à ceux qui ſe trouuent en la grace de ceſteDame.A ceſte entree on ne prit § coup garde à moy, car plufieurs perſonnes y eſtoyét entreespar la porte du chemin de laville, par où auſſi möfrere ſ’y gliſſa, ſous le benefice du Prince. Orl’auenture de Mirepôt fut telle, icel lui eſtât introduit en ceſte belle & grande ſale, la Fee le fit aprocher, & faire ſerment, puis l’ayant enquis de la cauſe de ſa venue, il § que l’a— mour l’yauoit amené, & qu’ayāt ſceu que toute verité deuient apparente en cét hermitage, il ſ’y eſtoit adreſſé, pour ſelon les loix faire paroiſtre qu’il eſtoit veritable, & que ſa dame l’auoit diſ gracié ſans cauſe. Siie repetois ſes paroies cöme ie les ayapriſes, il m’eſt auis que l’amour m’é ſau roit gré Ayant veu que les yeux de la Belle qui a tout pouuoir ſur moy, m’eſtoient fauorables, & que meſmes ils m’allechoiët pour me ſubnmettre à leur grâdeur, ie lui offris mö ſeruice, non ſeule ment par diſcours, mais par effets paroiſſans, & qu’elle a acceptez § ent : en ceſte belle humeur, ellea fait longtéps eſtat de mes vœux, ſe monſtrant comme du tout à moy, en ce que l’honneur permet aux belles ames d’amour, ſi ue i’en eſtois en vne ſouueraine conſolatiö d’e— † ie faiſois ordinairement de belles parties pour ma maiſteſſe, dont elle ſe tenoit tres-con tente, ou bien elle en faiſoit ſemblät, & toutefois ie penſe que toufiours elle ne ſe faignoit pas, car quelquefois ic la trouuoiseſmeuë à ma rencötre, † que i’auois parten ſon cœur Or parie ne cay quel malheur, ſans que i’aye offencé, elle en tra en quelqueialouſieauecvne de ſes côpagnes, qui lui reprocha que i’eſtois tout à elle, & que les autres ne pouueiët diſpoſer de moy pour aucun petiteffet, & lui diſant que i’eſtois ſon ſeruiteur, l’en piccotoit cöme ſielley eut intereſt.Mabelle qui penſoit quei’euſſe peché par indiſcretion, ſe mit en colere cötre moy, & de telle vehemence qu’elle en entra en vne maligne humeur, iuſqu’à me diſgratier, & ce mal dura trop long téps, ie le ſuportois pourtant, mais auec difficulté, attëdât que mö innocéce cognue, i’euſſe pardon de celle qui m’offençoit, & m’aduint ſelon mon iuſte ſou hait que ma belle eutpitié de mö ameindignemêt traictee, & me reſtablit en quelque faueur, ce qui ne dura gueres : d’autãt qu’elle recheuten ſa mau uaiſe habitude, & m’affligea de diſgraces plus cruellement qu’auparauant, i’eſtois en vne amer tume de cœur ſi grande, que le deſir de la mort m’eſtoit plus doux que laiouyſſance de la vie : en ceſte faſcherieie § de continuer mon a mour, mais en fin voyant qu’il n’y auoit pas moyé de la fleſchir, que tout eſtoit deſeſperé pour moy, ie me ſuis reſolu devenir icy faire preuue de mon affection ſincere, & de la verité de mes penſees, à ce que vous iugiez de l’iniuſtice de ma Mai ſtreſſe, & que pour recompenſe de ma fidelité, i’aye au moins ceſte gloire d’auoir eſté cogneu veritable. Voilà à quoy ie ſuis preſt, comme m’y eſtant determiné, pour me venger de celle qui cauſe ceſte triſte opinion, qui a troublé le courage de ma Belle. La Fee luy tendant la ^ main luy dit, Voulez-vous ſubir l’examen d’a— parence#il dit, C’eſt ce dontie vous requierstreſ humblement.C’eſt l’vnique occaſion quim’a fait trauerſer tant de terres & de mers pour en voſtre ſeruice receuoir de vous arreſt de mes merites : Or bien, luy dit-elle, preparez-vous pour le ſept ieſme iour du mois †, & ayez l’hymne de voſtre fidelité tout preſt, cependant conſeillez vous auec ces belles, & les amans que vous trouuerez icy.

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DESSEIN TREIZIESME.



Mirepont eſt vitrifié,& on void ſes penſées, puis il eſt reſtitué & receu profés en l'hermitage. Pourquoy ce lieu eſt dit Hermitage d'hōneur. Vray amour quoy ? Bonne volupté quelle. Loix ſpeciales de l'hermitage. Hiſtoire de Glaucigelle. Inuention de l'eſco. Amour ſurpris en adultere. D'ou ce nom de Fee. Ortis viſite la Fee auec des doutes. L'ange de la mort eſt confondu parla Fee, laquelle vient en l'hermttage, force la Mātichore, & eſt declaree ſouueraine.



LE temps dura beaucoup à Mirepont, & ie fus treſ-aiſe de ceſte remiſe, car ie fus receu abſolument, & eus loiſir d'eſtre inſtruit& habitué pour mieux entendre les ſtatuts & ordre de la maiſon. Au iour aſſigné les Sages aſſemblez, la Fee en ſon Troſne, & l'aſſiſtance aſſez grande, Mirepont ſe preſenta tout paré de fleurs, & ayāt en main vn luth il l'accorda auec l'hymne de ſes fidelitez, & de ſa reſolution, ſouſpirant ainſi.


Gloire de mes deſirs, lumiere de ma vie,
Guide de mes deſſºins, terme de mon bon heur,
Belle que m'ont les cieux pour Maiſtreſſe eſtablie,
Oyez la verité que ſouſpire mon cœur.
Dés le iour qu'il vous pleut m'accepter d'aliance,
Mes deſirs n'ont eſté que pour uous deſirer,
Et ſuis tant reſolu à la perſeuerance,

Que ie n'eſpereray que pour uous eſperer
Je n'ay rien honoré que vous ma ſeule belle,
Et ie ne fay eſtat que de voſtre beauté,
Toutesfois tout ainſi qu'on traicte vn infidele,
Vous m'auez affligé ſans l'auoir merité.
J'en receu tant d'ennuis, que i'eu preſques enuie
De quitter vos beautéX, & iamais ne les voir,
Oubliant tout deſſein ie deſdaigné ma vie,
Afin de practiquer auec le deſeſpoir.
Comme ie machinois ces deſſeins temeraires,
Mon bon Ange me vint en ces mots appeller,
Les Deſtins ne ſont pas inceſſamment contraires,
Il faut en attendant d'eſpoir ſe conſoler.
I'ay donc patienté, reſolu de pourſuiure,
Receuant à bon-heur ce qui m'en aduiendra,
Auſſi vous honorant tout à vous ie veux viure,
Iamais autre ſouhait mon cœur n'entretiendra.
Soyez fiere à mon cœur, ſoyez rude à mon ame,
Rien ne m'eſtrangera de l'obiet de mes vœux,
Vos beaux deſdains ſerōt l'euantail de ma flame,
Vos fiertez donneront vn doux aér à mes feux.
Retenez mon ſeruice, ou faites la faſcheuſe,
Si ſeray ie pourtant voſtre deuotieux,
J'y ſuis determiné, ma fortune eſt heureuſe,
Soit que ie viue ou meure au deſir de vos yeux.
Quand le temps vous fera iuger de mon merite,
Vous penſerez poſſible à mes fidelitez,
Ainſi qu'on vous cognoit des parfaites l'élite,
Vous me recognoiſtrez parfait en volontez,
Mais ſeray-ie touſiours preſſé de la diſgrace,
Qui vous fait refuſer l'effet de mon deuoir,
Faudra-il qu'à la fin miſerable i'efface
Les deſirs de mon cœr, de mon ame l'eſpoir.

Vous pouuex deſdaigner mon ſeruice fidele,
Uous pouuez reietter tout ce qui vient de moy,
Mais vous ne me ſcauriez deſtourner de mō zele,
Vos dédains n’ont pouuoir de corrompre ma foy,
Vous auez excité de beaux deſirs mon ame,
Qui ne peut plus changer ſes reſolutions,
Uous m’auez allumé d’vne ſi belle flame,
Que ie ſeray conſtant en mes affections.
Si vous me reiettez, i’endureray ma perte :
Et ſeul ie m’en ira me paiſtre de regrets :
Dolent iray chercher quelque grotte deſerte,
Où ie m’entretiendray de mes deſirs ſecrets.
Ainſi ie me reſous & ie le delibere,
Ainſi ie le feray, ie le proteſte ainſi,
Ie n’ay point d’autre ſoin que de vous ſatisfaire,
Puis que ie vous deſplais, ie me deſplais auſſi.

Ayant mis fin à ſon hymne, la Fee le fit coucher ſur le petit lit de porfire, & luy mettant la main ſur la teſte, luy dit, Mirepont, telle verité que vous auez prononcee ſe manifeſtera, ſi elle eſt, & en ceſte aſſeurance, tenez, boiuez la liqueur d’apparence, que la ſage Minerue a compoſee en faueur des vrays amans : ceſte liqueur vous cauſera vn doux & delectable ſommeil plein de belles fouuenances, & ſe iettant en ſa vigueur és parties exterieures de voſtre cuir, & parmy vos muſcles & parties ſolides, enuironnantes les eſprits, le ſang & les mouuemens les rendra vitrifiées, & tranſparantes, ne laiſſant en leur naturel que les parties interieures qui auſſi ſe vitrifiront, l’vne apres l’autre, à ce que les facultez, deſirs & penſees paroiſſent. Il reſpondit gayement & plein de courage, Madame, la certitude de mon affection veritable, me fait tout hazarder, & ne craindre rien.Cela dit il prit la potion, &ſe diſpoſa ſur le lit comme vne ſtatuë, la liqueur faiſant ſon effect, l’endormit, & lors que l’amefutenueloppee des toilles quil’enfoncent dans les profonds deſtours du ſommeil, toutes les puiſsäces interieures s’ex citerent contre la violence quiſembloit les vou loir glacer auecles groſſes ſubſtances. & adonc elles furent diſtinctement remarquees. Ie vy ce ſte nouuelleſtatuë doucemétalongee, cöme n’a— yātiamais eſté autre que ce qu’il ſembloit, le deſ ſus tout vitrifié, donnât entree aux yeux nousviſ mes les functions du cœur, le deuoir du foye, l’or dinaire du poulmon, la couſtume du cerueau, le flus du ſang, le cours des eſprits, le battement de l’artere, & les autres ſecrets en ce que nature fait de beau dans ces lieux occultes. Que i’euſſe eſté | content de voirainſi ma Maiſtreſſe, pour diſcer ner la ſource des alteratiös du courage des belles. Quand ce fut à remarquer le cerueau plus diligé mët, nous aperçeuſmes beaucoup de nuages deſ cendans au cœur, &dans cettouble on aperceuoit vne belle petite imagevniquement logee en ceſte capacité quiretiët les affectiös. Nos yeux eſtoiét picquez ſur ceſte nouuelle, & nos entendemens entroiét en ce corps pour diſcerner ce qui s’y fai ſoit, & n’ypeuſmes diſcerner qu’vne figure ſeule, dont il futiugé qu’il eſtoit conſtant.Tandis qu’é— tentiuement nous eſpluchions ceſte merueille, no° viſmes yne petite eſpece de glaire s’eſtendre ſur toutes les parties que nous auions viſitees di ſtinctemét, puis apres nous en apperceuſmes vne autre comme vne glace fondante s’eſpendre par deſſus, & ſegroſſir, puis peu à peu eſpoiſſiſſant ce2 ſteviuacité de ſubſtance lucide, & oſtant le poly de ce luyſant qu’elle auoit veſtu, eſteindit du tout · ceſte lueur, ſi que tout le cuir & le reſte du corps r’entra en ſa premiere condition, & Mirepont ſe reſueilla doucement Quand il fut reuenuà ſoy, la Fee luy fit vn beau, ſage & profitable diſcours, plein de ſainctes admonitiös, & luy mit ſur la te ſtevn chapeau de myrte, luy donnât place deCö ſeiller entre les Sages.Vous pouuez en cecy iuger du contétemët de Mirepont, qui ſe peut dire heu reux entre lesſages amans. Ceſte action paſſee, le Sage Sarmedoxe me mena en la § du Conſeil, où il me fit voir l’eſtat de pluſieurs au tres beaux hazards, & cognoiſſant que i’auoisin têtion à la vie parfaite, m’en fitvn docte diſcours, me declarât pourquoy ce beau Palais eſt nommé Hermitage, adiouſtant l’interpretation de la ſen tence qui comprédles loix & ſtatuts du lieu. Ce ſte maiſon eſt dite l’Hermitage d’honneur, non que l’honneury ſoit hermite & ſolitaire, au con traire il eſticy accompagné de toutes les vertus qui le coſtoyentinceſſamment, mais pourautant que nous y ſommes Hermites auec honneur, il a † au Roy qu’il fuſt ainſi nommé, afin que’eſtat de noſtre vie conforme à la bonté des Hermites, ſelon ce qu’elle doit eſtre priſe ſain ctement, ne fuſt eſtimee autre que conduicte par l’honneur. Et d’auantage, noſtre Hermita ge n’eſt point retiré pour eſtre ſeul eſcarté & melancholique, ains pour eſtre ſeparé de la malice du monde : eſtant deſert de ce dont le monde abonde, les vices en ſont bannis eternellement, & ſi on en apperçoit quelque petite racine, elle eſt pluſtoſt arrachee que cognuë. Ceux qui ſont retirez auec nous en ce bon Her mitage, ypaſſent leur vie contens : Et bien que ce pourpris ſemble petit, ſieſt-il † de rece uoir tous les beaux eſprits qui veulent ſauourer leur vie, eſloignez de la perſecution qui ſont l’a— uarice, l’enuie, & l’ambition bourreaux desames, & voyans les paſſades d’amour ſans en eſtre per ſuadez pour s’eſgarer ou s’en agiterauecindecen ce, ſe contentent de leurs belles occupations ſe lon lavertu. D’auantage les vrays amans viennét icy & y ſont receus pour leur ſoulagement, cara yans declaré à la Fee leurs deportemens, elle les conſole & deſcharge du faix de leurs mauuaiſes amours, & les continue au plaiſir de leurs legiti mes paſſions, & vertueuſes affections : tellement qu’ils deuiennét quittes de toute obligation mö daine, & libres du pouuoir des vanitez, quide ſtournent les courages pour lesietter és lieus des obiets periſſables, parainſi ils iouyſſent de leurs bonnes amours. Ne ſçauez-vous pas que le † — belamour que nous ayons au cœur eſt la belle & preſſanteintention, qui nous porte en deſirs vers les ſubiets d’excellence ? L’amour eſt le deſir legi time quinous fait apprehender le ſçauoir de ce que nous ne ſçauons point, pour en iouyrauec lieſſe d’eſprit, c’eſt ce qui en ceſt Hermitagenous rend heureux, eſloignez de tout mal, & principa lemét de celuy que les hommes ſe font eux-meſ mes en ſe priuant de ioye par leurs mutuelles in curſions, ruynans leur liberté acquiſe par Natu re, & ſe retranchants de la bonne commodité, & ce malheur s’effectuë par troubles irraiſonnables, à caáſe qu’ils ſontignorans de laiuſte & honneſte volupté, qui conſiſte en plaiſirs ſpirituels, plusex quis que les vanitez mondaines, leſquelles ap portent douleur & tourment, ce que iamais l’e—, quitableVoLvPTE ne fait, car elle ſe renge à telli 1 #mite de perfectiö, qu’elle ne cauſe ny diſgrace, ny · ennuy, pluſtoſt elle admet ce qui eſt bon, & ne tollit rien de ce qui eſt agreable : Et de fait, quel plaiſir y auroit-il au monde, ſi on oſtoit les belles n editations2lesbeaux obietsdesyeux, les accords des tons pour l’ouye les delices d’amour & les bonnes douceurs vertueuſes ? ioint que ſi vous ſe parez la vertu du plaiſir, il n’y a plus de grace, ny de iuſte volupté, de laquelle on apprendicy à vſer auec fruit heureux, & ſelon l’ordonnance diuine, qui par ſa faueur comble les ſaincts cœurs de par · faites voluptez, dont le ſymbole heureux eſtEſtre ſain de corps, tranquile de cœur, accommodé des biens deFortune, braue de courage, reſolu d’enté demét, orné de ſcience, &auoir la crainte de Dieu : En la compagnie de ceux qui ſont tels, ou en ap prochent par deſirs, & effets, comme le ſont pluſieurs qui ſont trouuez dignes d’entrer ceans,’on vitequitablement.Entre nous le droit eſt gar décommun & égal à tous, en la patience eſt no ſtre conſolation. Parquoy icy eſt l’examen des eſprits, la pierre de touche des mœurs, ſuy uant quoy ſont chaſſez de ce lieu les volages, les opiniaſtres, & ceux qui n’approuuent que leurs reſueries, & bruſlent au maintien d’o— pinions, leſquelles ils condamneroient és au tres qui les viendroient ſouſtenir. En fin on trouue en ce lieu la iuſtice, la pieté, & le deuoir en l’abondance de bonnes intentions. M’ayant expoſé ces biens il me mena voir les excellences où i’abiſmois preſques mon eſprit, il eſt vray que i’eſtois releué par le deſir qui ſ’aug mentoit en moy, voyant tant de precieuſes & belles ſingularitez, & m’eſtimois du tout heu reux à cauſe de ſi parfaite rencontre. Puis me fouuenant que tout ſ’y faiſoit ſelon les ordon nances de la Fée qui eſtoitgouuernâte, ie requis le Sage de m’en dire la raiſon, ce qu’il fit gratieu † me diſant : Nous eſtions fort triſtes de l’abſence de nos trois Princes, & toutesfois ſça chant qu’ils eſtoient reſolus à toutes fortunes, comme vrais enfans de vertu ; nous reſolumes auſſi de nous monſtrer vrais precepteurs de tant dignes eſprits, parquoy oublians tout fors le ſou las de noſtre hermitage, nous priſmes plaiſir d’y aſſembler tout ce qui eſt eſtimable. Il y eutiadis vne ancienne Sibile, qui eſtoit ceſte Glaucigelle, renommee en tout l’Orient pour ſes perfectiös, laquelle fut femme d’vn Roy d’Aſie, duquel elle eut pluſieurs fils & filles, entre ſes filles vne qui eſtoit boſſue fut mariee au Roy de Perſe, qui en eut quelques fils, dont vn fut Roy de Calicut, qui eut deux filles, l’vne blanche, † pour ceſte cauſe fut nommee Blanche, laquelle eſtoit che rie & careſſee fort mignardement, & l’autre fut laiſſee negligemment, & de tel defaut de ſoin que meſmes on ne ſ’eſt pas ſoucié de ſon nom : Quelque maligne influence procuroit ſa perte, à cauſe de ce que le deſtin auoit eſtabli deuoir. eſtre executé par elle. Eſtant grande & aſſez meſpriſee de tous, voire meſmes deſdaignee, ſa. ſœur ſ’en eſmerueilloit : car repenſant aux dons de nature, eſquels elle excelloit, & conſiderant la gentilleſſe de ſon eſprit, & addreſſe de ſes actions, ſ’eſbahiſſoit de ceſte indignité, & iugea par là, qu’il n’y a qu’vne certaine opinion folle, ui deçoit. En ceſte vehemente penſee, elle ſ’af § tant de ſa ſœur, que ſon amitié ſe träſ mua en amour, & eut voulu que l’vne ou l’autre euſt changé de ſexe & de ſang pour ſ’vnir amia blement : ceſte affection ſe multiplia tant, & ſe fit ſi fermement mutuelle, que ces deux cœurs auoient de la paſſion l’vn pour l’autre. Le pere viuoit encor durant ces amours, qui continuoiét & en fin luy deſpleurent, par ce qu’il auoit en haine ſa puiſnee, ſans ſçauoir pourquoy, en ce · dedain ill’oſta d’aupres de luy, & de ſa fille, & la relegua en la Taprobane, dequoy les deux ſœurs receurent vn extreme ennuy : or leur ſeparation ſ’effectuant & ſe diſans à Dieu, elles ſeiurerent reciproque ſouuenance perpetuelle : La puiſnee qui eſtoit tout eſprit, alla tant & vint par l’iſle de ſon exil qu’elle ſe trouua en la grotte de la nouuelle Axilee heritiere du bien & de la ſciéce de l’antique Axilee, qui dés les ſiecles d’antiqui té, auoit trouué l’Eſco, & l’occaſion en fut pour vne pareille auanture d’amitié qu’elle portoit à vne ſienne ſœur, auec laquelle illuy eſtoit inter dit de conferer, & elle † tant par ceſte inuen tion, que iournellement elles communiquoiét enſemble. Le moyen qu’elle en inuenta, fut qu’elle congela vne grande quantité d’air, dont elle fit vn tuyau fort grand, qu’elle pouſſa tant Par deſſus les monts, par les raz des eaux, par les antres & cauernes, que l’extremité en vint iuſques aupres de ſa ſœur, qui par ce moyen l’oyoit parler à elle & luy reſpódoit, ſi que trop ſeparees & de ſi grandes diſtances, elles ne laiſſoientiour nellement de ſe viſiter par paroles, & diſcou roient de leurs ſecrets par la voix qui couloit du long de ce canal. Apres la mort de ces Da mes, il eſt auenu par l’indiſpoſition du temps, que ce tuyau tant exquis a eſté vſé & briſé par endroits, qui eſt cauſe qu’apres la voix proferee on en oit d’autres qui ſont redites par l’air, va gantes ç’a & là. Axilee en † quelques reſtes & en fit vn petit tuyau, qui luy ſeruit de meſme : mais nature deſpeça ce tuyau, & le deſpeçant du tout, le ſema par le monde, ce qui paroiſt par ceſte impudéte voix qui rcdit tout, & afin qu’A— xilee n’en peuſt refaire vn autre, elle luy oſtal’in duſtrie de glacer l’air, pour recompenſe dequoy, parce qu’elle eſt iuſte, elle lui donna renouuelle ment de vie, & cognoiſſance des choſes futures. C’eſt elle qui a § la Fontaine Pidaxe be. Ceſte Fée eut pitié de la pauure puiſnee, , tant miſerablement releguee, & luy predit ſes auātures iuſques à vn certain temps, auquel elle ſe trouueroit preſſee par la mort, de la main de laquelle ſi elle eſchappoit ceſte fois là, elle de uiendroit la plus contente du monde, & deſlors elle luy donna d’vne eauë qui la rendit la plus belle & agreable brunette de toutes celles qui pour lors penſoient auoir de la grace, & luy con ſeilla ce qu’elle deuoit faire, attendant la mort de ſon pere, lequel depuis l’abſence de ceſte fille n’a eu que du regret ; meſmes tous ceux quil’a— uoient veuë & en ſa preſence n’en auoient faict cas, periſſoiét d’amour pour elle en ſon abſence, ſi que le Roy & ſon Conſeil, reſolurent de l’en uoyer querir : Mais Axileey preueut & l’enuoya en l’iſle Cytheree, où elle demeura iuſques à la fin des deſtinees du Roy ſon pere.Tandis qu’el le demeuroit en ceſte iſle, il aueint que comme elle eſtoit curieuſe, & ſur tout du deuoir, tant du ſien que de celuy des autres, ayant defia quel que credit & authorité entre les Fées, vn iour qu’elle trauerſoit vn taillis, elle auiſa l’Amour auec vne Damoiſelle, elle penſa que ce fuſt ſa Pſiché, parquoy elle paſſa outre, & rencontra Pſiché † vn arbre dormant à l’ombre, elle re brouſſa vers l’Amour, & le ſurprit en adultere. L’Amour eſtonné & contriſté, la ſupplia de ne le deceler, elle luy promit, ſçachant bien que la Belle meſme ne le celleroit pas, car la pauurette craignant la Fée, ſ’alla deſcouurir à Venus qui le publia par tout, & Pſiché le ſceut : cela ainſi di uulgué, Amour ſerra ſes fleſches impudiques, & puis les bruſla fors vne, † meſgarde de meura auec les autres : auſſi ſans ceſte deſcou uerture le monde ſ’en alloit tout impudique, ce quine ſera pas, d’autant qu’Amour ſ’eſt vn peu retiré de ſes folies, & a fait faire des traicts cha ftes, dont il ſ’exerce quelques fois. Pour ceſté cauſe les Dames de Citheree voulurent canoni ſer ceſte Fee, & luy donner commandement entre-elles ; ce qu’elle refuſa, bien que Venus approuuaſt l’intention des Dames : ce qui luy fit fuir ces honneurs, fut le conſeil § qui luy auoit monſtré par exemple que le moins d’honneur entre le vulgaire, eſt le ieminaire de plus de contentement : Vn peu apres menee par ſa deſtinee elle prit congé des Dames & partit de Citheree. Toutes les Dames furent fort deſplaiſantes de ſa reſolution contre leur priere de demeurer auec elles, & ſ’aſſemblerent pour la conduire, bien que leur principale intention fuſt pour la ſupplier de ſ’arreſter. En ceſte aſſemblee & prenants congé d’elle, elles la nommerent φαία, c’eſt à dire Fée, d’autant qu’elle eſtoit brunette, & vn peu haſlee. Ainſi elle fut dicte Fée, par vn epithete ſingulier, & qui luy appartenoit l’eſtant de race, de faict & de nom, & ainſi qu’vnique, telle comme la plus galante de toutes, & excellente entre celles qui ſçauent. Auec l’amitié de toutes les Dames qui eurent grand regret de ſa deſpartie, elle ſe retira en vne iſle d’Enos, où elle fut quelque temps attendant le moyen d’acheuer ſon voyage. Cependāt qu’elle fut là vn Roy voiſin, eſmeu par le bruit de ſa bonne grace ſouſpira ; mais en vain, ainſi que pluſieurs grands. L’intention de la Fée eſtoit vers ſa ſœur aiſnee, à laquelle à la fin elle paruint, apres auoir trauerſé pluſieurs mers ſur des vaiſſeaux paſſagers, qu’elle rencontroit à propos, & arriua au païs defiré cinq mois apres la mort du Roy ſon pere, & y trouua ſa ſœur couronnee & Royne, aimee & obeie de ſes ſubjects. La Roine rauie d’aiſe, d’auoir recouuré ceſte ſœur tant deſiree, fit de beaux preſens aux Seigneurs, donna des immunitez au peuple, en congratulation de ce bien qui apporta tant de reſiouiſſance en ces contrees, que par long temps il n’y eut en tout le païs & à la court, que belles parties faites en la faueur de la Fée, dont il paruſt vn grand bien, c’eſt que le royaume en deuint plus heureux, d’autant que la Fée en chaſſa vn mal qui oppreſſoit le peuple, & y ſema la ſanté, le repos, & la paix, cauſant ainſi toutes ſortes de contentemens. Durant ce temps-là regnoit ſur Euphrates le grand Roy Ortis, beau, ieune & accompli ſur tous les monarques du monde : Ce Roy deſireux des curioſitez qui repaiſſent les beaux eſprits ayant ouy faire eſtat de la paix & bon heur de Calicut à cauſe de la presēce de la Fée, voulut la voir. Il vint doncques en Calicut viſiter la Royne, accompagné de richeſſes & magnificences. La Royne le receut honorablement, & le gratifia de tout ce qu’elle peut. Peu à peu il entra en diſcours auec la Fée, & l’a tenta par doutes, & il l’a trouua plus excellente qu’il n’auoit meſmes penſé : car elle luy declaroit tout ce qu’il luy propoſoit, entre autres il luy preſenta ceſte-cy :

Qui eſt celuy qui eſt tandis qu’il durera,
Et qui iamais nefut & iamais ne ſera ?

Elle luy reſpōdit : C’eſt celui qui manifeſte tout, parquoy prenant cecy pour le iourd’huy, il me ſemble que i’auray rencōtré ce que vous voulez dire, auſſi le iour preſent ne fut iamais & iamais ne ſera, & il eſt. Mais ie vous prie m’eſclaircir de ce qui me fut propoſé en vne contree d’Enos par vn pere Druyde François, qui faiſoit ſon pelerinage pour ſçauoir l’entretien de la cabale, comme elle eſt enregiſtree és memoires d’Herodias.

Vn vaut autant que deux, deux autant qu’infinis,
Infinis ne ſont qu’vn, & Rien comme à plom mis,

Le Roy ni tous les Chaldeens qu’il auoit auec luy, ne ſ’en peurent auiſer, encor qu’ils fuſſent aſſez long temps à l’eſplucher, pource qu’ils al loyent le chercher és ſujets du tout reculez de ſon eſtre, & yfuſſent encor ſans qu’elle leur de clara. Il faut pardöner à l’Amour qui rauiſſoit& deſtournoit le iugement de ce Roy, & l’empor tant apres d’autres idées, ne luy permettoit pas d’entendre ceſte Enygme, qui cache ſous levoile de ſes paroles le zero ou nulle d’Arithmetique, lequel mis auec vn autre perpendiculairement, voire auec infinis, ne ſera ny augmenté ny dimi nué, & tous aſſemblez ne ſeront qu’vn, & en fin ne ſont rien en nombre. Voila comment ſou uent vn petit diſcours qui cache vn petit ſujet eſt eſtimé grand, & de faict auſſi les plus grands ſecrets ſont és moindres artifices, & plus pe tits ſujets en eſtime. Ce Roy fut arreſté par les graces & perfections de la Fée, laquelle toute fois ne ſ’en peuteſmouuoir, pource qu’elle auoit d’autres pretentions. Qu’eſt-ce que l’Amour, ne fait tenter aux ſiens pour obtenir ſelon les deſirs de leurs cœurs ? Ortis a mis en practique tout ce que les plus ingenieux amans ont excogité, practiqué & deliberé, il n’a rien oublié, mais nul artifice ou promeſſe, ou demonſtration vraye, n’ont peu amener le courage de la Fée à l’aimer, rien ne la peu flechir : Elle n’a pas voulu eſtre Royne de Euphrates, elle a dedaigné & meſpriſé vne ſi petite gloire, que d’eſtre l’ombre d’vn ſi petit gouuernement, ſçachant de uoir eſtre en chef Monarque de tous les plus excellens courages pour meſmes auoir do mination ſur les Princes ſouuerains. Ces delices propoſees à ſon ame, ſont bien plus que la preſence d’vn ſeul royaume, auquel elle ſeroit ſe conde en perſonne, mais preſque derniere en authorité ; partantil n’y a pas moyen qu’Ortis face icy rencontre, ſesvoyages, meſſages, peines, preſens, promeſſes, paſſions, prieres, offres & ſeruices ont eſté des figures paſſageres qui n’ont rien eſmeu que les airs. Quoy ? ce Roy deſdai gné peut-il viure ? Mille fois le iour il ſe veut tuer, deſiales precipices ſont recognus pour ſ’y aller deffaire, en deſpit de la Fée. Eſtant en ce deſeſpoir il luy ſuruient vn conſeil nouueau que luy ſuggere vn grand magicien de Caldee, & par ſa ſuſcitation ilaſſembla tousles magiciens auſ quels apres auoir faict de belles promeſſes (car c’eſt par là que l’on attire telles gens, & toutes ſortes d’affronteurs) il deduit ſon ennuy, & en. fin conclud qu’il ſe veut venger de la Fée. Pour à quoy paruenir il les prie de faire paroiſtre, l’ange de la mort, & luy enuoyer pour la faire mourir. Tous d’vn accord luy promettent, auſſi iamais ils ne font ſemblant de ne pouuoir,. ains pleins d’abus, infectent de meſme venin ceux qui les recherchent, & eſperent en eux, , & ainſi l’aſſeurent qu’ilaura bon &deſiré ſucccz de ſon deſir. Ayants ces ſages fait leurs prepa ratifs, ils effectuent leur deſſein, ils retracent les antiques caracteres, & ſymboles, que leurs peres d’impieté leurs ont enſeignés, pour congreger. les eſprits qui ſe moquent de telles reſueries, au retracement deſquels toutefois pour maintenir l’erreur, ils font ſemblant d’eſtre contraints, adonc l’ange de la mort ſe preſenta à eux : Ils luy firent leur propoſition, & requiſition touchant la Fée, & l’ange leur promit de faire ce qu’il pourroit, & pour dauantage les maintenir en leurs ſofiſmes, dit qu’il l’a ſurprendroit, adiou tät ce diſcours, Chers diſciples del’eſchole par faicte, ſi iela puis ſurprendre, ie ſeray plus fort que la Deſtinee, & ſi la Deſtinee reſiſte, ie feray vn traict de trahiſon occulte, qui tombera ſur elle ou ſur vous, ſi par l’effort de voſtre bonne ſcience vous ne m’aſſiſtez par charmes &valides characteres, tels que ceux qui ont pouuoir ſur toutes les ſecondes ſubſtances : Or me laiſſez aller, car i’ay affaire ailleurs, & bien toſt i’iray à « ceſte partie : L’Ange de la mort ayant pris ſon opportunité, vint trouuer la Fée ainſi qu’elle ſe † & ſe preſentât à elle du coſté de Midy, uy dit : Fée, ie te viens prononcer ta derniere faſcherie, auiſe à te reſoudre, afin que toname ne ſorte hors de ton corps auec indignation. La Fée l’ayant veu, & ſe ſouuenant des bons arreſts de la Deſtinee, qui luy ſont promis, ne fit gueres d’eſtat de telle harangue, parquoy elle luy dit : C’eſt ce qu’il faut dire aux cœurs qui facilement ſ’eſpouuentent, & puis il n’eſt pas le temps que ie termine mes deſtinees, pource que ie ſuis ca pable d’amour, & digne d’eſtre aimee. Tu me deuois aſſaillir pluſtoſt, & auant que ie cognuſſe ce que ie puis meriter, alors que l’enfance ne me faiſoit mediter que de petites & innocentes va nitez, à ceſte heure que ie ſuis propre aux gran des conſiderations, & que ma vie me releue aux belles idées, tu ne trouueras rien en moy ſu iet à ton pouuoir. Ou bien tu deuois attendre plus tard, car tant que i’auray quelque vie pour autruy, & que mes yeux illumineront quel ques cœurs, tu n’auras aucune puiſſance ſur moy ; ſi tu l’exerces cy apres, & que tu le puiſſes, tu feras ſeulement ce que les deſtinees te per mettront, & rien dauantage. L’AN G E. I’au ray moyen de te ſurprendre, & t’enleuer cet ar rogant eſprit qui ſe penſe oppoſer à moy. LA FE E. Ie ne ſeray pas ſurpriſe, d’autant que i’ay les graces & les amours qui veillent pour moy, cependant que ie me delecte du repos. L’ANGE. Tu as beau faire de l’aſſeuree, ſi te l’oſteray-ie, & ce ſera par les aureilles. LA FE E. Tu ne ſau rois la faire eſcouler par cet endroit là, parce que ſ’il en prenoit le chemin il n’en pourroit bou ger, à cauſe que mes aureilles ont eſté emplies des accords de ce qu’il y a de plus doux en l’har monie, qui eſt le lien de l’ame. L’ANGE. Ie te fe ray couler l’ame par les yeux. LA FE E. l’Amour qui eſt plus puiſſant que toy, non ſujet à laMort, y a tant eſtably les puiſſances de ſa gloire, qu’il y a empreint le ſceau d’immortalité, lequel n’en peut eſtre oſté que par les Deſtinees vnies pour cet effect. L’A N G E. Ie te la rauiray par le nez. LA FE E. Les bonnes odeurs des Graces, y ont formé vn ſi fort rampart que tu n’oſerois entre prendre de t’y hazarder pour me nuire. L’ANGE. Ie l’empoigneray ſur les ieures pour l’auoir par ta bouche. LA FEE. La verité qui ſ’eſt touſiours eſbatuë en ſe dilatant ſur mes leures, quand il ha fallu que ſes myſteres ayent eſté prononcees, en rendant raiſon de mes conceptions, te donne tant de crainte, qu’à peine as-tu l’aſſeurance de prononcer ces paroles. LA N G E. Ie la tireray par tes doigs. LA FEE Ils ont tant de fois pro portióné les douceurs d’Amour, laçant des filets pour enfiler les ames, que ſi tu t’y rencontrois tu te trouuerois ſerré de ſi pres, que tu oubli rois l’horreur de ton deſplaiſant office, pour eſtant deuenu vray ſuppoſt de la vie, t’exercer à la continuation des eſſences, au lieu de les perſecuter. L’ANGE. Ie te l’eſteindray dans le cœur. LA FE E. Ton pouuoir ne ſ’eſtend que ſur ce qui eſt mortel, & mon cœur ne le peut eſtre, il eſt tout vie, & vie ſi brillante, que ſi tu preſumes le preſſer, il en ſortira tant de viues eſteincelles d’Amour & de flambes de vie, que tes aiſles en approchans ſeront eſchauffees, & deu1endront ſi viues, que retournât vers la mort, tu ſeras capable de luy faite changer de forme, & la rendras toute viue, ou tu la conſumeras du tout. L’A N G E. Ie l’enuahiray par l’endroir de concupiſcence, à ce que § tO11 pucelage & ta vie ie t’extermine. LA F E E. Les eſprits qui n’ont point de conuerſation auec la chair, n’ont point auſſi d’apprehen ſion de ce qui eſt latent ſous la compoſition de ces parties, leſquelles appartenans à Nature ne ſont point ſuietes à la violence de ta com miſſion. L’AN G E. Je l’eſpuiſeray par la ſen tine du vidange de ton corps. L A F E E. Il v a tant à dire de l’excrement à la pureté 4e la ſubſtance, princeſſe du total de noſtre corps, que iamais mon ame ne pourra ſ’en approcher, & ſ’il ya plus, c’eſt que la honte t’y rencontrant te feroit changer de forme, ſi que troublé tu ne ſçaurois que penſer ny effectuer. L’A N G E. Ie la feray exhaler par tes cheueux. LA FE E. O ! miſerable eſprit, qui n’as pouuoir † la conduite de ceux qui ne peuuent plus ubſiſter en leur domicile, n’eſpere rien agir ſur moy, pauuret, ſi tes aiſles ſe meſloient dans les brins de l’honneur de ma teſte, tu y ſerois ſilon—. guement arreſté, qu’il ne ſeroit plus memoire de toy, que priſonnier eternel dans les nœuds qui ſ’y feroient, ſerois le ſujet de mon plaiſir, lors que ie voudrois m’eſbatre en te faiſant paſſiöner au pris que ie lierois & deſlierois ton plumage abbatu ſous l’effort de mes cheueux. L’AN G E. Tu as beau faire la reſoluë, ſi ſçais-tu bien qu’il faut m’obeir, par où veux-tu que ie rauiſſe ton ame, à ce que tu ayes du plaiſir en mourant à ton choix ? LA F E E. Ie ſçay bien que ie n’ay point encor de ſubmiſſion à ta loy. Quand la Deſti nee l’aura ordonné, tu ne m’en demanderas ny conſeil, ny conſentement. Encor ie ſçay fort bien, qu’à cauſe des belles ordonnances de ma façon de viure, tu ne trouueras rien d’indigne en moy, parquoy pour maintenant tu te retireras cóme ſi noſtre rencótre n’euſt point eſté, & puis auiour determiné, qu’il faudra que malgré moy i’expire, tu conduiras mon ame exalee de mon corps par l’endroit que tu ne peux ſçauoir, auſſi tout ce que tu m’as propoſé, eſtoit afin que ie t’enſeignaſſe ce grand ſecret, qui ne t’eſt point cognu, ains à nous & aux eſprits predeſtinez à tel ſçauoir : Et pour te dire ce qu’il faut que tu ſçaches à ta confufion, ie t’aduiſe que bien que contre mon gré, ſelon l’eſtat de nature, quand ie ſeray à mon extremité, & faudra que ma vie ſ’eſteinde, ce ſera quâd ſaoule du monde, ie tom beray volontairement au rang du roole que tu tiens : car adonc ie cognoiſtray les deffauts qui m’oppreſſerót, leſquels ores me ſent incognus, parce que la vigueur de ma belle ieuneſſe m’em peſche de les apprehender. Va triſte meſſager ^ d’infortune, va au roüet des Cieux apprendre ton office : que ſi plus longuement tu t’arreſtes il te ſuruiendra vn ſouci nouueau, qui deſtour nera toutes tes practiques. Cependant ie ſçay que malgré toy ie conſerueray mavie, tant que le ciel ayant paracheué ce qu’il a determiné que i’accompliſſe, tu me ſeras enuoyé pour me ſeruir & ſoulager mon ame qui fluera doucemêt de ce corps vlé, qui ne ſe delectera plus de la vie. L’Ange ſe retira confus, & la Fée ſuyuant les bons enſeignemens d’Axilee prit congé de ſa ſœur. Ie ne me mets point à deduire ce qui ſe paſſa en ceſte departie : car tout le diſcours en eſt recueilli és memoires de la conqueſte du grand bien. Cette Dame ſuyuant les erres de ſa fortune arriua au Royaume de Nabadonce, & vint en l’hermitage d’honneur vn peu apres le, depart des Princes. Or eſt-il qu’il y auoit iadis # vn grand Philoſophe demeurât au viel chaſteau ſitué ſur la coline à coſté dextre de l’antique donjon, qui auoit eſté demoli par Sarmedoxe : Ce Sage auoit laiſſé le ſecret du grand Bien en la montagne qui eſt au bout des iardins & duParc, ayaut donné par tradition que nul ne pourroit auoir ce qui eſtoit conſerué là haut, ſ’il n’eſtoit plus ſçauant que luy, ou que ce fut vne vierge qui euſt aſſez de courage & de valeur pour reſi ſter à la Mantichore. Et pour l’eſſay du ſçauoir il auoit laiſſé vn Enygme qui eſtoit tombé en la main du venerable Hermite qui demeure en cor là, & qui non plus que Sarmedoxe ne l’auoit voulu interpreter pour l’effectuer à cauſe de l’âge, & que l’vn & l’autre vouloit laiſſer cette gloire à quelque perſonne qui auroit le loiſir de la rechercher & d’en iouir, bien qu’ils l’euſ ſent peu ſi la volonté leur en euſt pris, & meſ mes fuſſent montez en la montagne en deſpit de la Mantichore, mais ils ſçauoient que cet hon neur eſtoit reſerué à quelque perſonne ; parquoy pour l’honneur & la bien ſeance ils ſ’eſtoient re tenus, & auoient permis à pluſieurs curieux in conſiderez de ſ’y auanturer à leur dommage, ayans eſté eſpouuantez par le monſtre qui les auoit fait retirer, ou induits à ſe precipiter.Pour ce que ie ſçay eſtre parmi ceux qui ont intelli gence auec les bons curieux, ie diray librement l’Enigme qui eſt tel eſcrit en lettres d’or non vulgaire :

Au feu vif non bruſlant, mon eau claire eſt cachee,
Deſſous ma terre humeur, le feu vifie conçois.
Quand ma larme limpide eſt vers le haut laſchee,
Pour reuenir en moy engloire i’apparois.

La Fée eſtant arriuee, & ayant communiqué auec le Sage Sarmedoxe, fut introduite en la ſale des ſecrets, où elle ietta l’œil ſur l’Enig me qu’elle leut, Le Sage luy demanda ce qu’elle en penſoit : Mon Pere, dit-elle, il ne faut point penſer d’autant que la verité veut que l’on ſçache du tout, & de faict ſi on ne l’en tend exactement, on n’a point la verité. Vous ſçauez qui eſt le noble Faturinge, non ce gueux coulant honteuſement parmi le vulgaire : mais ce feu viuant dans ſon contraire, qui ſeul doit delecter les parfaicts. L’vnique ſujet qu’il n’eſt loiſible à perſonne de proferer : c’eſt luy qui eſt ſans main & ſans artifice, vni auec ce qui luy eſt ſeant, c’eſt le bon & ſainct Androgyne, qui fait ſouſpirer les chaſtes cœurs. Voilaie me ſuis auancee de proferer beaucoup, pour ce que mes Deſtinees m’ont donné ceſte authorité.SARME D ox E. Si vous eſtes celle qui deuez donner les ſtatuts que nous attendons d’vne ſage Fée, comme l’ancien l’a laiſſé par teſtament pro phetique & noſtre ſage Hermite qui vit encores le teſmoigne : Il faut que vous alliez là hault querir le grand Bien, pour auſſi en apporter le brin de la lauande d’amour, & vn bocal de l’eau de Souuenance. LA FE E. Si ie ne ſuis celle-là, ie periray en mon entrepriſe, mais ſi les bonnes Deſtinees m’ont appareillé cet hon neur, ie n’auray gueres de peine à paracheuer ceſte auanture. Auſſi toſt elle demanda le che min, voulant incontinant faire ou faillir : caria mais ne faut remettre au lendemain : On luy monſtra, & auec ce on luy leut le regiſtre conte nant tout le myſtere de ceſte affaires Apres cela elle monta par le petit ſentier qui eſtoit taillé au roc, & fit ce qui eſtoit en elle. La Mantichore eſt là haut qui vit des bonnel herbes, qui ſans vieillir verdiſſent perpetuelle ment : Elle eſt vn vray animal mixte d’humain. de Brut & d’oyſeau, eſpouuantable & affreux plus que la Chymere, plus effroyable que le Sphinx, plus horrible d’apparence que les Gor † d’angereux d’aſpect que l’ami de a mort, & ſur tout aux ames qui n’ont point de prudence, leſquelles ſont ſans valeur, & ne ſçauent que c’eſt de reſolution. Mais elle eſt gracieuſe par effect aux eſprits hardis, agreable à ceux qui ſont releuez apres les belles contem plations, mignonne aux courages qui ont l’aſ ſeurance de bien rencontrer, & familiere aux cœurs qui ſont capables de l’aborder ſans crain te. Quand quelqu’vn veut paſſer au premier · deſtroit qui guide au lieu des ſecrets, elle ſe pre ſente auec vn langage fier, & ſi on ſ’eſtonne, elle faict comme le coq Dinde, plus furieux d’appa rat, que nuiſible de cholere : tellement que fai ſant rencontre de foibles & faciles à eſpouuen ter, elle les pouſſe au precipice, ou de craincte les y enuoye…Si on marche aſſeurément, ſi on la meſpriſe, paſſant ſans la craindre, monſtrant vn § elle ouure ſes yeux d’or, & rit auec des dents de perles, & attire amoureuſe ment ceux qui ſçauent vſer de lenr galantiſe. La haus ſe trouuent pluſieurs ſingularitez autour du grand Bien, & ſur tout la lauande d’Amours du pied de laquelle ſourd vne fontaine qui ne coule point en flux ordinaire, mais tombe par gouttes, leſquelles ſeruent à conſeruer la ſanté, la memoire & la beauté. L’eſſence de Meliſſe imitefort ceſte faculté, pourueu qu’elle ſoit ſepa ree de tout flegme.LaFee qui pretendàl’accom pliſſement de toute l’auanture, paſſagayement, & ayant atteint le paſſage fatal : Voicy au deuant d’elle venir la Mantichore auecvn bruict lourd, accompagné de diuerſités eſtonnantes, & ef froyablement s’oppoſer à ſon chemin, luy di ſant comme d’vne voix de Tonnerre : Où veux tu aller La Fee n’oit point celà, elle s’aduance ſans reſpondre : Ce bruit luy eſt ne plus ne moins que le murmure du Torrent, ou d’vn venteſloi—. gné, ou d’vn fouldregrondant bien bas vers l’ho rizon : L’animal redouble eſpouuentablemët, Tu ne paſſeras pas : La Fee qui peinoit à monter, dé ·pite d’eſtreinquietee, luy dit en cholere : Siferay, malgré ton cœur, carie ſuis d’amour & de reſolu tion : Ce qu’ayant dit, comme deſdaigneuſe paſſà outre, ſuyuit ſa voye, & trauerſa iuſques ſur le plan de la montaigne : eſtant au hault, elle fitvne pauſe, puis ſe tourna pour voir la Mantichore, &elle lavid s’approcher, ayât changé ſon geſte de furieux en agreable, de tempeſtueux en pacifi que, de † en benin, & de farouche en priué : Mais ſans s’y amuſer, de peur d’eſtre abuſee, s’ap procha desſuiets deſirez, & prit la racine du grâd Bien, cueillit les brins ſouhaittez, & apporta de’laliqueur deſirable. Deſcenduë auec des ſignes ſi notables, le Conſeil aſſemblé en la preſence du Roy, & les ceremonies requiſes obſeruees : Elle fut recognue, declaree & eſtablie Souueraine de l’Hermitage.A ſon auenement elle a conſolé le Roy de l’abſence de ſes fils, a fait naiſtre infinies ſingularitez, & acheué de baſtir ce qu’autre n’euſt oſé entreprendre : Entre autres pieces elle a fait faire le grand eſchiquier des ſecrets, & le Palais de Curioſité, auquel tous les beaux eſprits ſont receus pour leur particulier contentement, c’eſt ce qu’il m’eſt permis d’en raconter entre les capables : pour le reſte il conuient eſtre ſur le lieu. Cependant qu’il diſcouroit, les Fortunez oyans parler d’eux, & de pluſieurs affaires qui leur eſtoient cognues, trauerſoient diuerſement leurs belles fantaiſies, & és rencontres de leurs penſees, imaginoient des entrepriſes de toutes ſortes, ſans faire autre ſemblant que d’eſtre treſ-contēts d’auoir entendu tant de merueilles dont ils faiſoient cas, & en remercioyent les voyageurs, rendans graces au Roy, qui leur auoit fait tant de bien. Ce bon Roy voulut plus longtemps retenir les trois freres, mais il ne peuſt les arreſter que deux iours, apres leſquels auec ſa bonne grace, & offres mutuelles d’amitié & de ſeruices, ils pourſuiuirent leur chemin permettans aux deux voyageurs de les accompagner.

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DESSEIN QuATORZIESME.


Les Fortunez ſont bien receus de la Royne de Sobare. Apres les mutuels accords paſſez. Caualiree fait diſparoir la main fatale. La Royne luy en demande le ſecret, qu’il luy declare au tabernacle des Antiques. Elle prie les Fortunez de ſeiourner vn peu.



AVec la diligence conuenable & le labeur aſſidu, les Fortunez vindrēt au grād Royaume de Sobare, & y eurent libre accez, ayans de claré qu’ils venoient de la part de l’Empereur de Glindicee gratifier la Royne Sarmate à ſon nou ueladuenement à la Couronne : On le fit enten dre à la Maieſté, qui les fit receuoir dignement, & loger honorablement, ſeur faiſant ſçauoir que, le lendemain ils auroient audience. L’heure ve · nue, les Fortunez furent introduits deuant la Royne, qui leur fitvn accueil fauorable, & eux’ſelon leur pouuoir luy firent entendre la ioye que l’Empereur auoit de ſon heureux Couronnemét, puis luy declarerent le point ſpecial de leur le gation, qui eſtoit d’obtenir d’elle le Miroir qui iadis auoit eſté aux predeceſſeurs de l’Empereur. Et pource qu’il ſçauoit que la retenuë du Miroir ne venoit point de † des Roynes de Soba re, mais de la malice de celuy qui l’auoit enleué, il la prioit de luy rendre, veu qu’il luy eſtoit inu tile : & d’auantage, afin qu’elle euſt occaſion de l’eſtimer ſon amy & ſeruiteur, il s’eſtoit ſubmis volontairementaux conditions que les Eſtats de Sobare auoient eſtablis ſur la recompenſe de ce ſte reſolution. La Royne ayant exalté les vertus & bonté de l’Empereur, de l’amitié duquel elle faiſoit eſtat, promit aux Fortunez de leur faire reſponſe promptement, & de fait les remit ſeule ment au lendemain : cependant elle leur fit dreſ ſer vn grand & § banquet, les faiſant entretenir des grands & doctes du pays, leſquels par deuis recogneurent incontinant la ſuffiſance exquiſe des trois freres, dontilsfurent grandemét ſatisfaits.L’affaire ayant eſté propoſee auConſeil, il fut reſolu que les offres de l’Empereur de Glindicee ſeroient acceptees : parquoy les Ambaſſa deurs ayans eſté appellez & ouys, les accords ſe paſſerent entre la Royne & eux, & au meſme acte ils declarerent qu’ils effectueroient ce dont il e ſtoit queſtion pour la Main fatale & ruyneuſe, & fut pris iour pour ceſt affaire au Mecredy pro chain à Soleilleuant. La nouuelle en fut inconti nant ſemee, tellemét que chacun ſe prepara pour en voir la merueille, le plus ſage n’en voulut point perdre ſa part, & l’idiot deſira d’en ſçauoir, auſſi le mediocre en eut intention.Au terme de-— ſigné auant le iour les Fortunez furent preſts, les Princes, les grands, les Seigneurs, & gens d’eſtat vindrent en † logis pour les conduire & ac compagneraulieu où la main paroiſſoit, & yar riuerentauant Soleilleué où tout eſtoit en ordre. La lumiere voulant eſtablir leiour parfait, laſcha comme vn petit clin, apres §f brillant plus viuement, voicy arriuer le pere du iour, dont les rayons tremblottans s’eſpardoient çà & là, le † comme ſortant du fonds des eaux, vint s’e— endre & ietter ſes flammes de tous coſtez, à ceſt inſtant que ce grand flambeau que Dieu ayant creé pour reeeuoir la lumiere, a eſté & eſt la ſour ce perénelle de feu, à ce point meſme que ce gou üerneur du iour fut eſleué ſur l’horizon, la Main auſſi couſtumiere de ſuiure à cetem ps là leSoleil, ſeleua de dedans l’abiſme, ſelon ſon ordinaire. Adonc Caualiree ayant diſpoſé les cœurs & les yeux, par les diſcours qu’il en auoit auancez, ten dant & au ſufet qui s’offre& à la deliurance de ce ſte pe ſecution, ſortit de la compagnie, & s’aduä $ant ſur le bord de la mer ſe tourna en plā oppoſé à la Main, puis il eſleua ſa main droite toute dreſ—. ſee, &en ſerra dans la paulme les bouts dupoulce, de l’annulaire, & del’auriculaire : ainſi ces doigts eſtans en la paulme, l’index & le moyen leuez & droits vers le ciel, ill’offrit oppoſitemêt par trois fois à la Main ruynante, &ainſi luypropoſantvne main ouuerte&fermee en ſymbole excellët ſur la ſignificatiö de la fatalité de la Main monſtrueuſe † en la mer : ceſte main fatale conduite par | le Daymon de ſon intelligence, auecvn grandeſ · lancement s’enfonça au fonds des ondes.Tous les preſens à ce ſpectacle eſtrange furêt eſmerueillez de ceſte merueille, admiransvn effet tant remar quable, dont auſſitoſt la Royne aduertie fut cö blee d’aiſe & touchee d’eſpoir, & voulut aller ſur le lieu pour cognoiſtre&veoir ſi ceſteMain eſtoit diſparue : &pour honorer ces tant rares perſonna ges les embraſſa courtoiſement, &les mena en ſes iardins au tabernacle des Antiques, où elle com manda qu’on couurit pourle diſner, pour elle, les Ambaſſadeurs, & les Princes, afin de ſolëniſer ceſte gråde deliurāce.Ce Tabernacle eſt vne mai ſon en forme de Palais Royalbaſty au milieu des iardins ſur l’eau d’vn lac qui n’a point de fonds, on va en ce Palais par baſteaux : Or ce Palais eſt vn chef-d’œuureinimitable baſty ſur l’eau qui eſt en vn abyſme : & toutesfois il perſiſte ferme & ſer ré en ſesiointures, l’artifice en eſt en celà qui le ſupporte ſur l’eau, & au naturel du bois qui fuyt eſgalement les terres.Apresle banquet la Royne † Fortunez à part, &les mena en vne cham bre de cabinet, &là lespria de luydeclarer les my ſteres de la Main, & le moyë pour lequel elle s’ eſtoit euanouye, & ſi elle ne reuiendroit plus. Les deux puiſnez pour faire honneur à la Royne & à leuraiſné ſe retirerét vn peu, &elle auecCaualiree ſe soignit à vne feneſtre † le Midy.’Adöc illuy dit, Madame, rié n’eſt en ce m6de qui n’ayt ſon oppoſé : tout a ſon amy& ſon cótraire, ce qui l’excite & ce qui le ruine, ce qui l’aſsëble & ce qui le diſſout : parquoy ſuiuât ce propos i’ay conſulté mon cœur ſur les diuerſes intelligences, & ay po ſévn fait touchāt ceſte main möſtrueuſe, &par ſes eſfets&accidéti’ay iugéquemöintétiö eſtoit bö ne. La main eſtédue& ouuerte propoſoit figuré ment & moralement, que ſil’on pouuoit aſſem bler cinq eſprisd’vn meſme accord, en ſemblable conuenance tédant à meſme fin, pour meſme ſu † ſeroiét capables d’obtenir le treſorvni uerſel, cóme dignes de gouuerner tout l’vniuers à cauſe de leur abondâte ſuffiſance : & pource que ceſte doute eſtoit propoſee aux hómes pour eſtre expliquee, lamain enuahiſſoit tous les iours quel que perſonne, à ce que par tel dömage les cœurs fuſſent excitez à s’addöner aux bonnesintelligen ces pour la reſoudre : On luya monſtré le Miroir de iuſtice, qui eſtoit preſques approcher de ce que il conuenoit faire, mais non abſolumét, par ainſi elle a laiſſé de precipiter les hommes puis qu’ils ne ſe rendoient pas capables de ce qui leur eſtoit propoſé, & s’eſt addonnee aux beſtes, ſigne euidét que la pluſpart de ceux qui s’amusët à la bellere cherche ſont cöme beſtes parce qu’ils s’attachét à l’apparence, & il faut s’addreſſerau fonds : Mais Madame ne pēſez-pas qu’elle ayt ruiné les hōmes qu’elle a rauis, non, ils ſont en l’iſle d’Ofir, où elle les a releguez, & y ſerōt ceux qui ſuruiuront tant que quelqu’vn quivous appartiëdra ira là cöque rir le grädBien, &les vous reſtituera : quätaux be ſtes elle les a fait paſture des poiſſons, indignes de cheminer entre les hömes ou entrer en leur ſub ſtāce.Apres les coniectures que i’ay ainſi eſplu chees, ieme ſuis reſolu de ce queie deuois faire, & luy ay möſtré le ſigne de la main, cöme ie l’ay or d5nee, &tenãt les deux doigts en hault, i’ay fait pa roiſtre que deux ſont ſuffiſans d’acheuer l’auâtu re par leurs propres vertus, enſerrant en leur raci ne cômune& origine premiere les forces desau tres, dont ils ſont produits en toute excellence & perfectiö. Le Daymó parroiſſant en la Mains eſt trouué ſatisfait, & par ſa diſparitió a confeſſé que ie ſuis venu à la verité cachee, que ie recognois, ce qui a fait que pouriamais ceſteapparéce eſt ef*. facee.Mais Madame ceſte expoſition eſt pour le vulgaire, & telle qu’il la faut publier : car la veri té plus recluſe & le ſens myſtique va bien plusa uant, il comprend le grand § le ſecret desſe crets, l’amour & le treſor parfait qui eſt concedé aux bônesames.Et n’y a lieu au möde auquel ce cy deuoit paroiſtre que ceRoyaume, duquell’An ge a attiré ceſte puiſſance auec telle demóſtratiö pour attraire les beaux eſprits, qui par vous ſe ront en vous cognoiſſant ſoulagez en leurs re cherches. Pour reuenir à noſtre verité : Cinq ſub ſtances ont vne meſme racine ainſi que la Main le demonſtroit, deſquelles ſi on peut rencontrer les eſpris vniſſans, on acheuroit aiſément tout ce qui eſt moindre, & le conduiroit-on au but parfaict, qui eſt en deux : c’eſt ce que la Main ſignifioit, & au commencement enleuoitvn homme, pource qu’iln’yauoit que les † & vrayement hom mes qui cherchoient ce ſecret, apres leſquels ſont venus d’autres moins ſages, leſquels delaiſſans les vrays preceptes, ont ſuiuy de faux enſeignemens, & n’ont peu rien faire.Ceſte ignorance a eſté de monſtree par ce qu’en a fait la Main deuät le Mi roir de iuſtice, & qu’à ceſte cauſe les pourſuiuans s’en ſont démis, & d’autres encores moins auiſez qu’eux, & infinis incapables de ſciences s’y ſont vouluintroduire, & s’en ſont meſlez en rappor tant le meſme fruit que les autres ignorans qui y ſont peris, ce que la main a denotté en ſaiſiſſant des animaux irraiſonnables.Et puisquädle Day mon de la Maina cogneu noſtreintelligence, ila cedé à la verité, &sö enigme reſoluë il s’eſt eſua nouy : carie luy ay monſtré que les deux ſubſtan ces ſpiritualiſeesn’ont qu’vne origine quiles vnit † nature, auſſi elles ne ſont qu’vn, ayant puiſ ance muante, diſſoluante, aſſemblante & con uertible. C’eſt le ſuiet & l’accompliſſement de, la pretention des Sages.La Royne ayant entendu ceſte expoſition, qu’elle croit veritable par l’effet, futioyeuſe & ſatisfaite, & pour l’honneur de l’a— uanture ſi bien acheuee, en a fait eſleuer la figu re en or ſur le Portique du Tabernacle des Anti ques, ainſi quel’on le ſçaura cy apres phus am lement, cependantelle auoit en admiration ces perſonnages, qu’elle eſtimoit l’eſlite des accom plis, & les entretint auec tout ce que l’honneur & ſa grandeur luypermettoient, les retenant auec toutes les courtoiſies qu’elle peut imaginer. Quelquesiours paſſez les Fortunez ſe preparerét à demâder leur congé.faiſans entédre à laRoyne, qu’ayās ſatisfait (ſelō les accords paſſez) à leur deuoir qu’ils deſiroyent auſſi d’auoirle miroirpro mis.Elle leur reſpondit auec grande prudence & froideur de persöne, séblant ſe vouloir ſubmet tre outre ſon deuoir (pource qu’elle deſiroit ſca uoir d’auantage.) Qu’il eſtoit raiſonnable qu’el le leur reſtituaſt le miroir, pour le remettre és mains de l’Empereur, mais qu’elle ne pouuoit iuſtement y conſentir, † ne fut bien aſſeu ree que la perſecutió de la main deſtruiſante, fut eſteinte pouriamais ne retourner.Et pource leur dit qu’elle vouloit parler à eux à part. Ce qu’e— ſtant elle leur dit, Ie ne veux point penſer ny meſmes auoir en l’opinion que vous ſoyez def fectueux en vos actions, mais ie deſire eſtreaſ ſeuree, de ce qui metouche, & ie croy que vous ne ſerez pointennuyez que ie vous die, que ie ſcay vn moyen d’en auoir certitude parfaite, par tantie vous prie qu’il me ſoit loiſible de vous di re quelque choſe quei’ay en l’ame, à quoy ſivous, me reſpondez, ie ſeray parfaitement ſatisfaite. Le feu Roy monſeigneur & pere, vn peu auant ſon decés, m’admonneſtant de mon deuoir, & de ce que ie pouuois deuenir en me gouuernant bié en mon Royaume, quandi’y ſerois, entré autres commandemens qu’il me fit, m’enchargea CX preſſemët d’auiſer à cecy : C’eſt qu’auec grãd cö ſeil, ie me prouueuſie d’vn mari ſage & prudent, car ce n’eſt pas toutd’auoir † en la main, il faut ſçauoir rendre le droit à chacun, faireiu ſtice, & ſe ſcauoir maintenir. Ie ſcay, diſoit-il, que pluſieurs vous rechercheront à cauſe de vos moyens, mais n’en acceptez aucun qui ne vous rende raiſon d’vne des doutes que ie vous laiſſe pour l’eſſayer. Or ayant deſia veu de vos vertus & coniecturant qu’eſtans freres, vous eſtes conioints en conſeil & amitié, & comme ie croy en fortune, i’ay penſé que quelqu’vn de vous ou tous enſemble me pourriez reſoudre & conſeiller touchant celui que ie dois eſpouſer, & d’auantage expoſant ce que ie vous preſenteray ie ſeray eſclarcie, & aſſeuree que la main affligeante ne reuiendra point, & pour ces eſfaits ie vous remets à demain : cela fut dit de ſi belle grace qu’ils accorderent à ſa majeſté ce qu’il luy pleut.

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DESSEINQVINZIESME.


La Royne deſire de ſauoir la condition des Fortunez, & ils luy declarent auec ſerment d’elle de le tenir ſecret. Fonſtetand reſpond à la propoſition de manger en vn iour vn quintal de ſel, & explique à la Royne le ſecret du ſel. Viuarambe partage en irou egalement les cinq traits d’amour, & la belle bague.



LE s Fortunez ne faillirent à ſe trouuer à l’heure qu’il auoit pleu à la Royne. Adonques les tirant à part, elle les pria qu’elle peuſt leur dire en ſecret fidele vne parole, & tirer d’eux en ſemblable vne reſponſe de conſequence. Ils firent les ſubmiſſions deuës, l’aſſeurerent de leur foy, & la ſupplierent d’ouurir ſes pēſees à ſeruiteurs treshumbles, alors elle dit. Vous ſcauez que tout ce que nous faiſons ou deuons faire, doit eſtre ſelon conſeil, ſans conſideration, afin u’il ne ſe produiſe rien, qui en apres nous ſoit § Hierie m’auancé fort de vous dire ce que i’auois ſur le cœur, ſans toutesfois vous rien declarer de particulier, & pource que i’y ay pen ſé meurement, ie me ſuis reſolue de ne vous par—. ticulariſer point ce que c’eſt, que ne m’ayezac cordé ce que ie deſire de vous : afin que ie me cö duiſe en mon affairehon à la volee, ains en Roy ne pour rendre mon affaire plusauguſte, & auoir dauantage de creance parmi mon peuple, & le reſte du monde. Si vous faites ce queie ſouhait te, vous ferez beaucoup pour moy, & ie m’en reuencheray à l’occaſion ſi vous deſirez quelque choſe de moy. Ie ne veux pqint vous obliger à l’antique, en vous demandantvn don, i’attens de vous franchement ce que ie pretens, & que i’auray aiſément ſivoſtre cœur, coinmeie croy, reſpond aux vertus exterieures dont vous abon dez. Dites moy ie vous prie qui vous eſtes, & d’où & quelle eſt voſtre vacation principale car iene croy pas que vous ſoyez Glindiens ſimples, encor que vous apparteniez en l’action qui vous meine icy, à l’Empereur de Glindicee, ioint que l’accent de voſtre parole vous manifeſte. L’Aiſ né prenant la parole lui dit, Madame, ie m’aſ ſeure que mes freres m’aduoueront de ce que ie, diray, & ne les conſulteray point : afin que ne penſiez que vouluſſions vſer d’artifice en voſtre endroit. Nousauons fait vœude nous tenir ſe crets, & taſcher de n’eſtre point cognus ſi nous poumons, & nous faire nommer ſimplement Fortunez, tels que nous deſirons demeurer, tant que le temps nous face cognoiſtre, & nous manifeſte par nos actions vertueuſes : Bien pourrions nous vous declarer quant à l’origine qui nous ſommes, mais nous deſirons en vous ſupplians tres-humblement qn’ilvouspleut nous promettre fidelemét que vous croirés ce que nous vous en dirons, & le tiendrez ſecret & n’en demande rez dauantage, que ce que nous pouuons pour ceſte heure vous en dire. Elle leur iura foy de Royne qu’elle leur tiendroit la meſme fin de ſer ment qu’elle deſiroit d’eux en ſon affaire. Il luy dit donques, Madame, nous ſommes fils de Roy, qui n’a enfans maſles que nous trois, ceſte dignité contient noſtrevacation, & tout ce dont l’on peut ſ’enquerir, outre-plus nous vous priös que pour ceſte qualité vous ne nous rendiés au · cun honneur, afin que nos compagnons ne nous deſcouurent, ſeulement que noſtre rang d’Am baſſadeur, pour †, ſoit noſtre eſtat. LA R o Y N E, Meſſieurs, puis que vous eſtes tant fiez en moy, & que vous eſtes aſſeurez que ie ſeray ſecrette, me ferés vous point l’honneur de me nommer ce Roy tant heureux, d’auoir des fils ſi accomplisº Fo N s T E L AN D. Voſtrere queſte a eſté interince par vous meſmes, auant que nous la fiſſions : parquoy, Madame, ſ’ilvous plaiſt vous nous accorderez, ce dont nous vous auons requis. VIv A RAM B E. Et moy, Mada me, qui n’ay encore rien fait pour voſtre ſerui ce, ievous fay la meſme demande, afin que me l’octroyant, vous m’obligiez avous ſeruir digne ment. LA RoYNE. I’ay tort, ie le confeſſe : mais vous excuſerés ma bonne curioſité : Or bien la parole eſt donnee, viuons comme nous auons accouſtumé. Puis que vous eſtes tels, & que ie vous croy, ie vous † mes doutes par queſtions.Y auroit-ilmoyé qu’vn homme trou uaſt l’expedient de faire paroiſtre, qu’il peuſt en vniour manger vn quintal de ſel ? I’ay ouy di re au feu Roy, qu’ilauoit mis toute peine & di ligence de le ſcauoir, mais qu’il n’auoit iamais peu faire rencontre. I’ayeu ceſte doute en fan taiſie ſi fort, que i’en ay eſté en inquietude, & maintenant queie ſcay par effait la grande expe rience que vous auez en tout, i’eſpere d’eſtreeſ claircie de cet enigme, Ie vous prie donc, pour mettre mon eſprit en proche comble de repos, de m’expoſer ce que vous en ſcaurez. Fonſte land luy reſpondit, Madame, le feu Roy eutrai ſon de propoſer ceſte difficulté, bien qu’elle ſoit apparente : Et encor que les capables ne l’ayent peu aduiſer, ſieſt-ce que facilement ie vous de monſtreray ce qui en eſt.S’il vous plaiſt quel’on apporte du grenier vne meſure de ſel, & en vo ſtre preſence, ie † ceſte auanture. Le ſel apporté par le commandement de laRoy ne, Fonſte land en prit cinq grains, & retour nant à part auec la Royne, où elle eſtoit ſeule auec les Fortunez, luy monſtrales cinq grains, & ſubitement en ſa preſence les mangea, puis lui dit, Madame, ie vous ay demonſtré § qui conſumera tout le ſel propoſé au temps dit. pourueu que les conditions que le Roy y pre tendoit, ſoyent obſeruees& les raiſons entëdues. Tout ainſi qu’en voſtre preſence, i’ay mangé ces cinq grains de ſel, en ſi peu de temps & que vous n’auez pas pris garde à mon action, de meſmeie ourrois vous faire paſſer comme vn iour, tout † temps que ie ſerois à conſumer la quantité propoſee, auant que vous euſſiez penſé que i’y euſſe touché.Auez vous conſideré mon geſte ſi vous l’auez remarqué & notté mon action, par laquelle i’ay† faire voir queie n’eſtois point à moy, vous ſcaurez que i’entens ce que le Roy vouloit dire.Or il faut noter que tout ſel eſt ſel, &vn grain tant ſoit-il petit, eſt auſſi biëgrain de ſel que celui qui poiſe vn quintal. Si vn homme en autant de temps que i’ay eſté à aſſembler ces cinq grains, & les apporter deuant voſtre Maje ſté, & en faire ce que i’ay fait, n’en ſcait choiſir autant qu’il en faut pour aſſaiſonner la viande d’vn iour, & qu’ayant ceſte quantité de ſel, il ne la ſcait conſeruer, pour l’vſer en autant de temps qu’illuifaut, pour cognoiſtre l’humeur de la per ſonne qu’il ayme, & que mangeant cela de ſel, il ne peut iuger de ce qui eſt du propre & particu lier, concernant la belle conuerſation entre les hommes, iamais ne ſcaura que c’eſt de l’amitié. quand meſme il vſeroit auec l’autre non ſeule ment vn quintal, mais mille quintaux de ſel. Tout le temps d’vn homme n’eſt qu’vn iour, & qui ne ſera ſage & diſcret leiour qu’ille faut eſtre, ne le ſera iamais. Pour manger vn boiſſeau de ſel voire cent auec ſon amy, ou perſonne aliee de deuoir ou aymee, ne faut qu’vn iour, car tout le tëps agreable que l’on eſt enſembleneſera qu’vn, ſeul iour, d’autant qu’il n’y a que la diuerſité qui face pluſieurs iours, & la ſimilitude continuelle de viure n’eſt qu’vn iour coulant, qui doit eſtre continué, afin qu’enl’obſeruât on obtiene lenö de ſage & de parfait mainteneur d’amitié ! Celui qui ſaura & pratiquera ceci ſera celui meſme qui cognoiſt les humeurs pour s’arreſter à la bonne, & pour ſemblablement faire cognoiſtre la ſien ne, & ſe monſtrer conſtät & ſtable à ce que ſa vie d’amitié ne ſoit qu’vniour. Quädi’ay pris en ma bouche cinqgrains, ie n’eſtois pas auecvo°, & en l’eſtat que ie les ay mis en moy, i’en pourrois cö. ſumer vne belle quantité, ie penſois à ma mai ſtreſſe qui eſt diſtäte de moy de plus de quarante iournees, qui me ſont vn eſpace plus lög qu’au tant de vies entieres ; eſtre auec vous & auec elle ſe ſeroit vn grandiour, en ceiour-là il me faudra beaucoup de ſel, & à vous auſſi, ne recognoiſſant point mon abſence.Ie ſcay bien que vous ne me iugiez pas autre part que deuât vous, &que vous ne me penſiez pas ſi loing que ie di, tellemét que celui qui en ma preſence iugeroit comme vous faiſies, paſſeroit vngrádiour ſans auoir rien deſ couuert, & ſien tel temps il n’auoit deſcouuert, ou obſerué l’humeur dontil voudroit faire eſtat, iamais n’y atteindroit.Tout cela cöſideré, ce que le Roy vouloit dire, eſt que qui en autãt de téps, que chacû par les cinq ſens peutiuger d’vne per ſonne, ne preſume au vray de ſon habitude & in clination, & qui viuant enſemble ne perſiſtera en egalité chaque iour, cöme ſont egaux de ſub ſtance, les grains de ſel, iamais n’entendra rien ( en la parfaite vie, qu’il faut entretenir en ſ’entrai māt.Ors Madame, il faut parler à vous non ſeló le commun, auis & deuis ſerieux. Il conuient diſcourir deuät voſtre Majeſté de choſes graues, & partant c’eſt à moy de mettre en auât le ſens my ſtique de ceci ; ie me ſuis exageré en vulgaire, pour le faire entendre au menu peuple quien au ra ouy parler, & qui poſſible attend ſa part de ces affaires ce qu’il vous plaira qu’il en ſache, & ie vous ay deduit librement ce que i’en produiray libremét, ſivous me le cömädez, ce que i’ay deſia dit, eſt ce qu’il faudra direaux curieux des eſcor ces.C’eſt ce qu’il faut pour tous les autres : mais ce qui vous eſt reſerué, eſt ce qui cöcerne interi-. curement ce qui eſt caché ſous ce doute, & qui demeurera au cabinet de voſtre cœur, ce quintal’de ſel & grand magazin dont a eſté tiré ce que i’é ay eu, eſt le ſymbole exquis de ce qui eſt enue telligence, & ſelö laquelle ietaſcheray à vous ſa | tisfaire. Le magazin de ſel donta eſté pris, celui quei’ay repreſenté à voſtre majeſté, & que vous auez propoſé ſo° le pois certain d’vn quintal, cet ample grenier qui peut fournir de ſel voſtre Ro yaume tät pour vniour que pour vn an que pour · touſiours, eſt la figure de vous, Madame, qui eſtes le racourcy & l’ame de tout le Royaume, voſtre vie & cöſeruation eſt la ſiene, l’entretié de voſtre vie eſtl’entretié de celle de vos peuples, il eſt cer tain que nous ne viuons qu’vniour, qui eſt con · tinuellemčtreiteré, tât que noſtre derniere heu re eſchee.L’amas de ſel qui fournit de baume au corps, eſt ce qui le maintient en ſanté. Mais l’ex cellent & celui qui plus pur le netoye, & met en habitude parfaite, eſt de ce ſel qui eſt extrait du grãd vegetable vniuerſel, & cet extrait eſt l’{{tiret|vni|que} unique reſtaurateur, & cōſeruateur de ce qui tient la vie en nous : & de ceſtuy-là il n’en faut qu’vn peu pour netoyer& reintegrer toutel’œconomie na turelle de noſtre ſubſtāce viciee, pourl’aſſeurer long tépsen ſa iuſte proportió.C’eſt de ce ſel que le Roy entédoit, & dót vne immëſe quātité peut eſtre vſee en vniour, &c’eſt ce döta eſté ſilögue ment cöſeruee la vie & la ſanté du feu Roy. LA RoYNE. Riéne vous eſt caché, i’ay autrefois pé ſé que mes predeceſſeurs euſſent toute la ſcience § cabinet, maisie croy que les voſtres, & vous leur auez fait leur part.Ilne reſte plusqu’vn point, auſſiil y a encor vn bel eſprit qui me doit paracheuer le cötentement que i’eſpere, & dont ie m’aſſeure : puisquei’ay deſia eſté deliuree d’vne grande infortune, & reſolue d’vne excellëte difh culté.Alors elle appellavne ſageDame, &pritVi uarambe ſeul & le mena en vn petit cabinet où il n’entra qu’elle, le Fortuné& la Dame, eſtäs en ce lieu ſecret, la Royne ſ’adreſſa ainſi à Viuaräbe. I’ay par effet recognu la grâdeur de l’eſprit devos freres, & pource que ie croy que vo" ſoyez accö pli de meſme, i’ay deſir d’en auoir vne preuueap parëte ſur vn fait particulier, à ce qu’ayât leué de mon entédement, ce qui pour ce ſujet le peut te nir en ſuſpens, ie me döne licéce d’auoir d’autres pëſees:vo°voyez en ce cabinet beaucoup de ſin gularitez & gëtilleſſes; mais auiſez ceſte belle fi gure de marbre vif, c’eſt vn amour qui a eſté fait par vn ſculpteur qui eſtoit de la race de Bezeleel, cét Amour n’a plus de traits, ils ſont à bas à ſes † & n’y en a que cinq, cöme vous voyez : Le eu Roy mon pere me cömanda expreſſemét de prendre auis à mes affaires, de celui qui pourroit declarer ce que ie luy propoſerois, & afin que ie ſache ſi c’eſt vous où ie doy poſer l’eſperance de mö bien, pour en eſtre iouillante par voſtre cö ſeil, ie vous prie ſans diuiſer ou röpre ces traits, que vous en faciez égal partage, à nous trois, les diſtribuât de ſorte que i’en ayeautãt que vous, & ceſte Dame autãt que moy. VIvAR. Madame ie deſirerois de vous vne plus grande auâture, pour vous rédre preuue de mon § toutesfois ie n’en deſire pas vne meilleure, ni plus belle, niplº auâtageuſe, maisie ſouhaitterois que vo° m’euſ ſiez commandé de partager les traits d’amour, à vous & à moy ſeulemét, &qu’il n’y en eut que ce qu’il no°en faudroit, sås qu’autre que nous deux y euſſions part Bien diſtriburay-ie les traits d’a—’mour qui ſont icy, de ſorte que tous trois aurons égalemët en nôbre destraits d’amour.Ie mettray entrevos mains deux des traits de cet amour, leſ quelsilaiettez à ſes pieds, & i’en bailleray deux à ceſte Dame, & en retiédray vn pour moy, par ain ſi nous aurös portion égale, vous deux traits d’a— mour, elle deux, & moy deux auſſi.LaRoyne qui ſcauoit le ſecret, car la Dame luy auoit declaré depuis peu de iours, ſuyuant le commande ment que luy en auoit fait le feu Roy ; ſe ſouſrit auecvne petite demonſtration d’humilité hon teuſe qui releua ſa beauté, & pour faire ſemblant qu’elle approuuoit la rencontre du Fortuné, chä gea de diſcours adiouſtant : le penſe queietrou ueray vne fin heureuſe ſelon mes pretentions, ſi vous me reſoluez du doute que ie vous propoſe ray encor. Voila vn diamant que le feu Roy m’a laiſſé, lequel comme vous voyez, eſt excellem mët mis en œuure, & la bague enſemble double, i’ay auec cét anneau receuvn commandemëtin uiolable, qui eſt, queie ne prene mary que par le cöſeil de celui, qui ſcaurale moyë de mettre ceſte bague en deux parts, de telle façon, qu’en ayant chacun vne part, luil’vne & moy l’autre, en ayös portion § moyennant & à telle condition, ue les parts eſtans égales, elles ſoyent chacune égale au tout, & que le partage ne face rien depe rir de la valeur de la bague, ou de ſon excellence, & qu’ainſi le diamant partien deux demeure en ſon prix. VIvAR. Madame, ie ſuis preſt par vo ſtre commandement de faire les lots, pourueu qu’apresil vous plaiſe, laiſſant le tout comme ie l’auray ordonné, m’enioindre de prendre la part qu’il vous ſera agreable que ietire de mon coſté. LA RoYNE. I’entens que quand vous aurés fait les partsie choiſiray. VIvAR. Quand vous au rés choiſi ſuyuant la loy que vous auez dönee, ie pretens auoir le reſte, auec ce qu’il conuient ſans diuiſion. LA RoYNE. C’eſt ainſi que ie l’entens & qu’il fautl’executer.AlorsViuarâbe prit laba gue laquelle auoit vne autre bague enlacee en † les ſouuenäces, tellemêt qu’elle eſtoit double, &detelartifice qu’vn des aneaux eſmail lé d’azur, pouuoit porter le chas quand on vou loit, &l’autre eſmaillé de vermeil, le portoit auſſi de meſme ſelon le moyen qu’on ſçauoit à le di ſpoſer en vne queuë d’hyröde. § ayant aſſeuré le chas à l’aneau azuré, fit tomber l’autre qui pédoit en croix, & mettât le doigt de la Royne en ceſtui-là, l’autre eſtant pendillant il lui dit, Madame choiſiſſez, & melaiſſez le reſte ſans ſe aration.La Royne entendit qu’ilauoit compris § du Roy. Car ſi elle eut choiſi laba gue pendāte, en laquelle eſtoit le diamant, Viua räbe eut eu l’autre auec le doigt de la Royne, & partant ſa perſonne : & ſi elle eut pris l’autre, le Fortuné de meſme, eut eu le diamant, & ce qui touchoit à ſa bague ſelon leur conuenance, ſur laquelle il ſe fondoit & ainſi partagoit ſans par tager, & tout egalement, car ayant la Royne ils euſſent eu tous deux egale part à toute la bague. L’Enigme eſtant expliquee, la Royne fut con trainte de confeſſer que ces trois freres eſtoyent les premiers en tout ce qui peut eſtre eſtimé ex cellent. Cruelle diſpoſition des couſtumes eſta blies par l’opinion d’honneur ! ſans ceſte genne, la Royne eut declaré au Fortuné qu’il faut qu’il ſoit ſon mari : Mais elle ſe tait, lui diſant qu’elle remet le reſte à luy en cômuniquer plus ample ment, ainſi ils retournerent aux autres, & apres que les affaires du iour furent paſſees, chacun ſe retira à ſon lieu, & la Royne ſe monſtra de plus en plus magnifique vers les Glindiens, & cepen dant l’amour qui’ſe meſla en ces affaires, donna eſpoir à la Royne, que le Fortuné ſe pourroit di ſpoſer à quelque deuoir, ſi tant ſoit peu ilaue noit qu’ileut de l’affection pour elle.

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DESSEIN SEIZIESME.


Viuarambe preſente ſon ſeruice à la Royne, qui le recoit ſous belles conditions. Apres le banquet il fait chanter vn hymne d'amour en ſa faueur, & partant luy laiſſa vn doux adieu.



VIuarambe ayant occaſiō de repenſer à ce qui s'eſtoit paſſé, & voyant à quelque geſte l'alteration de la Royne pour ſon ſujet, & que d'effect elle ſe rēdoit fort accoſtable, & ſur tout à luy ſe dōna licēce de ſe diſpoſer à la ſeruir : & n'auoit plus autre peine, que la crainte qu'il auoit, qu'elle leur dōnat congé trop toſt. Parquoy il ſollicite promptement ſon cœur à l'auācement du plaiſir qu'il reçoit à s'obliger à ceſte belle Royne, piquée de meſme, & qui eſmeuë du pareil ſoin, trouue tous les iours diuers & cōmodes moyens de retenir ces Ambaſſadeurs, qui eſtoyēt aſſez contents d'eſtre forcés à ce qu'ils deſiroyent : car Viuarābe auoit cōmuniqué ſon affaire à ſes freres qui l'approuuoyent. Et pour en eſtre reſolu, & ſ'il ſeroit accepté de la Royne, vn iour, que ſelō ſa couſtume elle entretenoit puis l'vn puis l'autre des Fortunez, remettāt leur depeſche au retour d'vn ſiē ſecretaire d'eſtat qui negardoit l'heure d'arriuer de la Chine, où il eſtoit allé pour en amener des Imprimeurs, afin de renouueler la Bibliotheque Royale ; Elle deuisāt auec Viuarābe, il vint à propos de faire quelques queſtiōs, & apres quelques vnes reſolues, il lui demanda ſ'il eſtoit touſiours permis aux aigles de regarder impunément le Soleil ; Elle reſpond qu’ouy, à quoyil replique, il m’eſt donc permis de porter ma veuë iuſques à vous pour en tirer ma lumiere, & ma vie, par quoy auec ceſte aſſeurance, ie vous offre mötreſ humble ſeruice. Ou pour le cöſeil que par la loy qu’en auez eſtablie, vous deuiez prëdre de moy, ou pour eſtre accepté devous pour celui que vo° eſlirez par mon auis : LA RoYNE. Veu l’ordre que vo*y tenez i’approuue fort voſtre courage, & veux bien vous receuoir pour mien, mais #ie fais vne affaire de telle cöſequéce ſi ſoudain, il së, blera que ce ſera àl’auãture& poſſible vous meſ | mes aurés mauuaiſe opinion de moy, m’eſtimant ou volage, ou de peu de reſolutiö : Parquoy pour preuue de ce que vous eſtes, & pour demöſtratiö devoſtreamour faites que ie ſois induite à me ré dre voſtre, & ie ſeray preſte à vous rédre ſelö vo · ſtre merite amoureux, & trouuerayaſſez d’occa ſion de vous faire paroiſtre mon affectiö : cepen dant cherchez le moyë de me conquerir, & vous cóquerrez auſſi ce Royaume, mais auiſez que ce ſoit galäment, & auec ce qui cöcerne ma reputa tion : ils eurét pluſieurs autres deuis de fidelité, & d’aſſeurance & le ſecretaire arriuéils eurêt quel que böne parole enſemble au futur côtentemét de leurs cœurs. Les freres bië contants de l’heur de ſi bon voyage, practiquerent leur congé qui fut auiſé au premier iour, & laRoyne depeſchale Marquis de Bariſe pour aller vers l’Empereur re porter le miroir, le chargeât de toute ſa volöté, Leiourde deuât elle fit vn sôptueux bäquetaux Ambaſſadeurs Glindiës, où aſſiſterët les Princes & grands du Royaume. Le ſoir venu le feſtin accompli, les exercices de toutes ſortes & ſelon le temps furent mis en auant, & la muſique donnee à la fin de laquelle vn page de Viuarābe veint auec vn lut, & chanta deuant ſa majeſté cet aér, ioignant ſa voix aux accords,

Ie neſcaurois aymer vn ſujet tranſitoire,
Il me faut vn obiet qui ſoit digne de moy,
Ma valeura tant mis en moname de gloire
Que ie n’oblige point aux vanitez ma foy.
Belles conceptions qui releuez mon ame,
Ne vous eſlancez pas apres de vains obiets,
Mais ſuiuant les ardeurs de ma celeſte flame,
Auancez mes deſſeins de deſſeins plus parfaits.
Que l’vnique beauté ſºit voſtre but extreſme,
Que la perfection vous eſneuue touſiours,
Ie veux aymer ainſi, ainſi le grand cœur ayme,
Car l’ame de valeur n’a point d’autres amours.
Mes ſens ſont eſpurez, ma ſainte intelligence
Dans les ſecrets diuins recherche ſes plaiſirs,
Et ayant recognu la plus parfaite eſſence
De ce qu’il faut aymer, y porte mes deſirs.
Mais ainſî releué, ie ſens mille trauerſes
Trop ſeparé du but de mes perfections,
Et tant ſollicité de mes peines diuerſes,
Mon ame n’eſt que feu, mon cœur que paſſions.
Cét agreable mal qui fait que ie ſouſpire
Qui me point nuict & iour n’eſt trauail ny douleur,
Ains vne viue ardeur qui toute ſe retire
Auec ſa violence, au centre de mon cœur.
Puis eſtant ſeparé du bien de ma penſee,
Mō biē me cauſe vn mal cruel en doux tourmēt,
Ce doux cruel tourment, qui m’a l’ame eſlancee,

Par mille doux efforts l’afflige douçement.
Ainſi que le Phœnix qui ſon corps renouuelle,
Sent de ſon dernier feu les poignantes ardeurs,
Mö cœur qui s’eſt bruſlé das les yeux de ma Belle
Sent par ce feu diuin trop de belles douleurs.
Ce bien-heureux oiſeau pour ſe reduire en cendre
Afin de viure encor plus celeſte & plus beau,
Deſſus l’autel ſacré au ſoleil, ſe vient rendre
Dans ſon buſcherformédu plus rare rameau.
Ainſi mon beau deſir heureuſement m’adreſſe
Au temple, ou de l’Amour lege la deité,
Là pres de ſon autel és yeux de ma Deeſſe,
Ie me viens conſumerpour viure enſa beauté.
Ceſte beauté d’honneur qui ſeule eſt tout merite,
Éſtant l’organe ſainct de mes intentions,
Fait que me conſumant heureux ie reſuſcite,
Pour eſtre tout d’amour bruſlé d’affections,
Voila mon beau deſir qui n’eſtpoint periſſable,
Auſſi ien’erre pas apres la vanité,
Le beau trait de beauté qui rend ma dame aimable,
N’eſt que l’vnique effort dont ie ſuis arreſté. |
Et bien que de beautez elle ait toute la grace,
Que tout l’effort d’amour ſe liſe dans ſes yeux,
Une belle grandeur qui toute autre ſurpaſſe,
Fait d’elle preſumer cela qu’elle a de mieux.
C’eſt ce parfait eſprit quiſes beautez anime,
Dont la perfection iamais ne changera,
C’eſt ce rare pouuoir qui mon ame domine,
La beauté qui touſiours mon cœur enflamera
Cet eſprit eſt du mien la parfaite harmonie,
Qui m’adreſſe aux beauteX recognues des yeux,
Et ſa perfection la beauté non finie
Qui pouſſe mes ſouhaits biºplus loin que les cieux

si j’aime ſeulement vne beauté mortelle,
Quand elle paſſera, mon amour deffaudra,
Mais mon cœur eſt eſpris de la forme eternelle,
Qui m’allume d’vn feu qui point ne s’eſteindra.
Or ma belle c’eſt vous qui eſtes ma conduite
A ſi braues deſſeins, oit ie vai m’eſleuant,
Si vous m’attribuez vn peu voſtre merite,
Vous me verrez encores auancer plus auant.
Uoilà comment par vous ma fortune eſt heureuſe,
Auſſi rien ne m’eſt beau quand ie ne vous voi pas,
De meſme mon amour vous rendra glorieuſe,
Car mon cœur eſt ſi grand, qu’il n’aime riē de bas.

Le lendemain que tout fut preſt, les Fortunez prirent congé de la Royne qui leur ordonna vn conuoy magnifique. Ainſi ils partirent emportās beaucoup de ſignes de bonne volonté de tous ceux du pays. Or eſt il que la Royne auoit à chacun fait vn beau preſent, mais à part elle auoit dōné à Viuarambe vne bague de ſept anneaux qui ſe ioignoient par vn tel artifice, qu’ils n’eſtoient que vn, ayant ſept chas, en chacun deſquels eſtoit vne pierre vnique en valeur, &differente de toutes les autres, & chacun des anneaux pouuoit eſtre ſe paré : & luy il luy donna vn colier fait de quatre pierres Hermetiques ſupportees de criſtal, œuure admirable & tellement recherché d’ouurage, qu’il peut eſtre dit le Seul, il l’auoit eu de ſa bonne ſœur Olocliree, la Royne luy iura de ne le laiſſer iamais : auſſi elle le portera auec ſon amour autant que ſa vie, & le Fortuné touſiours accompagné de ſon anneau pluſieurs vn, le tiendra autant cheremēt que ſon ame, laquelle ne ſe pouuant biē conſoler qu’auec ſa Royne, ſe coula toute en ceſt adieu qu'il gliſſa entre ſes mains à ſon partement, apres lequel ſouuent elle conferera cōme s'il luy racontoit la preſence & abſence de celuy dont inceſſamment l'idée l'eſmouuera.

C'eſt faict, ieſuis perdu, ie n'ay plus de courage,
Ie ne recognoy plus comme il faut deſirer,
Vous eſloignant ie ſens au cœur tant de dommage,
Que i'ay preſque perdu le moyen d'eſperer.
Non, ie ne viuray plu, car i'eſloigne ma vie,
Ie ne verrai plus rien perdant voſtre clarté,
Ia mon ame d'ennuis eſt toute enſeuelie,
Et mon cœur affligé tout plein d'obſcurité.
Il vous faut dire adieu, belle ame de mon ame,
Ie ne puis differer ce depart ennuyeux,
Adieu doncques beauté la ſource de ma flame,
Ie dis adieu au iour le diſant à vos yeux.
Je ſuis tout eſperdu, ie n'ay pas l'aſſurance
Te dire cet adieu plus cruel que la mort,
L'abſence auec l'amour font tant de violence
A mon eſprit confus, que i'en ſuis preſque mort.
Je voudrois que le Ciel m'euſt fait ſans cognoiſſance,
Ou qu'il euſt de mon cœur oſté l'effection :
Car ie ne ſerois pas en ceſte impatience,
Troublé de deſplaiſir preſſé de paſſion.
Pourquoi voulut le ciel vous faire ma maiſtreſſe,
Que pour iniquement tiranniſer mon cœur ?
Lors que ie n'aimois rien, ie viuois ſans detreſſe,
Si i'eſtois ſans plaiſir, ie viuois ſans douleur.
Voilà que c'eſt d'aimer. Si vous aimez ma belle,
Vous ſcaurez bien iuger de ces afflictions,
Uous direz bien qu'il n'eſt paſſion ſi cruelle,
Que d'eſloigner l'obiet de ſes affections.
Conſiderez mon cœur, vous le verrez diſſoudre,

S’eſcoulant de regret d’abſenter vos beautez,
Il a tant ſouſpiré qu’il en eſt tout en pouldre,
Sans humeur deſſeiché par ſes aduerſitez.
Madame puis qu’il faut qu’à ceſte departie,
Mon cœur vous diſe adieu, ma belle il le vous dit,
Mais las en y penſant, ceſte melancholie
Lui trouble tant le ſens qu’il eſt tout interdit.
Mais en me rauiſant, heureux ie me raſſeure,
Ie vous viens dire adieu, mais vn adieu d’eſpoir,
Car voſtre beau pourtraict en mon ame demeure,
Et j’eſpere bien toſt Madame, vous reuoir.
Si vous auez au cœur pour moi quelque memoire,
Repenſez quelquefois à mes fidelitez,
Et que tous mes deſſeins ſont pour vo° faire croire
Que ie ne puis aimer que vos ſeules beautex.
Ie baiſe ceſte main en paſſion extreſme,
Et du plus doux d’amour ie la rebaiſe encor,
Ma Dame excuſez moy, l’amour dōt ie vo° aime
Remplit de ce baiſer mon amoureux threſor.

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DESSEIN DIXSEPTIESME.


Lettres de Fonſtelant à Lofnis. Les Fortunez ſont bien receu du Roy de Quimalee. Humeurs & facons des Princes de Quimalee. Diſcours d’amour de Viuarambe auec Cliābe Princeſſe heritiere de Quimalee.



ON ne peut touſiours eſtre en vn lieu, & quoy que ce ſoit, il y a ſans ceſſe en nos fortunes quelque choſe qui empeſche ou qui prolōge le cours à ce que nous rencontrions autremët que nous ne péſons. C’eſt l’ange de nos deſtinees quinous conduit ſelon qu’il eſt puiſſant, outimi de, vſant toutesfois de ſa ſageſſe etheree : ſuyuant ceſte diſpoſition, ou deſtinee, ou aduantureuſe, ou de prudence, les Fortunez ayans fait leur le gation deuement à la Royne de Sobare, repri rent leur route, ayans auec eux le Marquis de Ba riſe Ambaſſadeur vers l’Empereur, auquel il tar doit infinimët qu’il ne lesvoyoit.Mais quoy ll’in firmité des corps eſt cauſe qu’ils ne peuuentaller depuis Sobare iuſqu’en Glindicee, § paſſer par les contrees & voyes, & diſtāces qui les ſeparent. Encores aduint-il vn inconuenient dontils furët ſeulement aduertis au premier iour de leur de part. Ils auoient pris le chemin par terre, par où ils eſtoient venus pour aller par ſur l’Iſthme qui ioignoit Sobareaugrand continent de Moſo, & contrees d’Enos, & ceſt Iſthme eſtoit rompu, ſi qu’iln’yauoit aucun moyen d’y paſſer, veul’im petuoſité de la mer, à quoy ceux de Narciſſe tra uailloient. Cependant les Fortunez tirans à droi te vindrent au haure, où ils trouuerent vn vaiſ ſeau qui leuoit deſia l’ancre, auquel ils furent re ceus, ioint que le Patron recogneut le Marquis de Bariſe, à cauſe duquel il fit leuer du Nauire quelques marchandiſes empeſchantes, qu’il fit ietter en vn autre vaiſſeau pour faire place à ces Seigneurs, leſquels embarquez, & les voiles dreſ ſez, le vent les pouſſa en la mer de Pecendes, où ils voguerent heureuſement & † COIIl — me les Nochers ſçauent les inſtans du change ment & conditions des mers, ils tindrent conſeil ſur ce qu’ilfalloit faire, à cauſe du prochain calme qui approchoit, parquoy ayans meurement ad uiſé, ils tirerent vers la grande Iſle de Quimalee, où ils aborderentaſſez heureuſement & à point, car incontinant le calme fut eſtably ſur toute la mer, en laquelles’ils euſſent eſté, il eut fallu patir. Il leur aduint donc treſ-bien d’eſtre venus à ſi bö ort, où ils eurent moyen de ſe rafraiſchir durant # temps quela mer eſtoit ſans vent & ſans mou uement.Tandis que lesFortunez prendront con ſeil de ce qu’ils ont à faire, nous nous reſſouuien drons qu’ils auoient enuoyévers l’Empereur, & le meſſager eſtoit paſſé par l’Iſthme, auât qu’il fut deſtruit : Ainſil’Empereur & les amis de Glindi cee eurent nouuelles que les affaires ſe portoient bien, & que bien toſt la veuë en feroit foy, carles Fortunez attendoient ſeulement la venue du Se cretaire de la Royne, pour partir ainſi qu’ils le mandoientàl’Empereur.Le Meſſager bailla auſſi à la Fee des lettres de la part des Fortunez, & fit ſeurement tenir à Lofnis ſa part.Me repreſentant le temps que celà fut, ie croy que ce ſeroit eſtre cruel de l’empeſcher d’en auoir le contentement : permettons-luy de lire ce que ſon Fortuné luy eſcrit, & qu’elle n’avt point ce pacquet en main ſans l’ouurir, auſſi bié eſt-elle fort ennuyee qu’el le ne l’a deſiaveu, & à dire la verité, il n’y a peine ſi difficile à ſupporter, qu’eſtre fruſtré de la iouyſſance d’vn bien que l’on tient en ſon pou uoir : de graces doncques voyons ſelon noſtre imagination comme diligemment elle ouure ces papiers, & les coupant ſoigneuſement aux replis inutiles, tire d’entre lesenueloppezlalettre qu’ elle a peur d’offencer, de crainte de perdre quel que parole, la voilà eſtendue, elle y lit d’vn cœur auide.

Ma vie, vn amant deſolé qui ne s’arreſteroit que au ſentiment de ſa douleur, diroit auec paſſion, Pleut à Dieu que mes yeux n’euſſent iamais rencontré ceux de ma Maitreſſe, à fin que ie fuſſe en repos : car l’amour qui m’afflige, n’euſt point eu de puiſſance ſur mon cœur pour le troubler de tant de trauerſes, dont l’abſence l’afflige : Mais moyplus reſo lu en mes deſſeins, glorieux de l’eſtat de ma fortu me, ſeruant l’vnique entre celles qui ſont de merite, ie benis l’heure de voſtre rencontre, n’ayant autre regret que n’auoir eu pluſtoſt ce bien. Si ie ſuis affligé pour eſtre abſent de monſoleil, ce m’eſt teſmoigna ge de felicité prochaine, pour ce que retournant voir ceſte lumiere, ie reſſentiray tant de contentement, que les ennuis que ie ſouffre ne ſeront plu eſtimez ains s’aneantiront auec la memoire d’iceux, comme flouettes nues, auſſi toſt diſſipees que formees : Tou tesfois quoy que ie me puiſſe imaginer, ma ſepara tion de voſtre preſence m’apporte tant d’ennuy, que la peine en eſt inſupportable, pource que me ra menteuant leſoulagement de mes penſees, lors que i’auois l’heur de viure heureuſement pres de vos yeux qui cauſent tant de belles differences en mesa greables paſſions, & m’en trouuant ſi eſloignè, i’ay tant d’affliction que i’eſtime la mort plus aiſeeàgou ſter, que ceſte langueur à ſupporter, vous ſeray-ie tant importun, ne changeray-ie point ce faſcheux diſcours ? croye ( ma belle, que ie ne puis feindre le ſuccez de ce qui me touche l’eſprit : 8t à qui eſt-ce que *e deſcouuriray les effets du feu de mon ame, qu’à vous qui l’auez allumé ? je ne vous deduy point l’eſtat auquel ie ſuis pour vous perſuader ce que i’ay en l’eſprit : mais pour vous declarer ce que vous ſcauez, ſi vous auez tant ſoit peu eſſayé quelle douleur cauſe l’eſloignement du ſuiet aymé. Par donnez-moy doncques & cognoiſſant que l’occaſion de mes agitations vient de vous, croyez que les effets à la fin n’en peuuent eſtre que raiſonnables. Soit que ie regrette voſtre preſence, vu que ieme dite les moyens de vous demonſtrer la perfettion de ma fidelité, à quoy ie m’addanneray auec telle conſtance, que vous m’eſtimere ( veritable en l’of fre & continuation de mon obeyſſance, en laquel le ie viuray pour vous ſeruir : Tenez-le pour vray ma vie, & fauoriſant d’vn peu de ſouuenance mon espoir, gratificK voſtre fidele, à ce qu’il vi ue, & vous ſerue ſelon la deuotion de ſon zele immortel.

Eſloigné de vos yeux ſi doux à mapenſee,
Je regrette, ie plains, ie remplis tout de pleurs,
Et de pointes d’ennuy i’aytant l’ame offencee,
Que mes penſees diuers ne ſont rien que douleurs.
En ceſte extremité mon ame eſt gemiſſante,
Loin de ce beau ſoleil mon vnique clairté,
Et n’eſtoit ſa douceur que ie merepreſente,
Ie mourrois ſuffoqué de ceſte obſcurité.
Ainſi qu’en mes ennuis doucement ie medite,
Que ieme reſſouuiens de vos perfections,
Meſurant mon amour, poiſant voſtre merite,
Ie me ſens poinçonné de trop de paſſions.
Pourquoy me plains-ie ainſi, ie ſcay que ma maiſtreſſe.
Accepte en mon deuoir mon cœur humiliè,
Et que parſes deſirs iugeant dema deſtreſſe,
Y penſant quelques fois, elle en aura pitié.

et puis conſiderant que ieme paſſionne Pourl’obiet accomply de mes chaſtesſouhaits, Tout conſolé d’amour à mon ame i’ordonne Vn loyer aſſeuré de n’/deſirs parfaits. 5De meſme ma Maiſtreſſé en ſon cœur affligee, Compaſſe mon ennuyparſon affection,’Voilà comment mon ame en ſon malalegee, e ZModere les rigueurs de mon affliction..* Mais ieſuis abnſé : Carſon amegalante eA bien d’autres deſſeins qui la vont releuant, Quand elle ſcait qu’vn cœurà ſon ſuiet lamente, Elle croiſt ſes ſouſpirs n’eſtre rien que du vent.. Tant de cœurs allumez qui pour elle ſouſpirent, Et deuots à ſes pieds luy requierent mercy, Tant de paſſionneK qui ſa grace deſirent, | Ont de lägtempsaux pleurs ſon courage endurcy. ſQue peut donceſperervn malheureux courage, Qui triſte ſouſpirant n’oſeroit eſperer ? Que courir les effets de l’apparent dommage Où ſon cruel destin le contraint de tirer. Tartant il ne faut plus, mon cœur, que tu esperes Penſerois-tufleſchir vn courage indomté ? Ceſte belle a trop veu d’eſclaues temeraires, Perirſans recompenſe aux pieds de ſa beauté. ſQuel eſt donc ton eſpoirè deſolé, miſèrable, Acheue deperir, ne la va plus reuoir, — Choiſiparmy les bois quelque grotte effroyable, Pour bien toſtyfinir ta vie & ton eſpoir. Quiconques ſois Daymö ou quelque autre puiſſance · Qui viens de tels conſeils moname ſuborner, TKetire toy de moy, i’ay trop d’impatience, Sanselle ie nepuis de moy-meſme ordonner.

Si elle ne veut pas qu’encores ie periſſe,
Uoudrois tu m’auancer contre ſa volonté ?
Elle peut tout ſur moy, il faut que i’obeiſſe,
Ses beaux yeux & le ciel, ainſi l’ont arreſté.
Quand meſme i’oſeroy ſans amitié la croire,
Que ie voudrois penſer ſes beaux yeux ſans douceur,
Je reſſens en l’aymant, en mon cœur tant de gloire,
Que l’aimer ſans eſpoir, encores c’eſt bonheur.
Hé ! qu’on trouue en aymāt que l’abſence eſt cruelle,
Il n’y a rien d’egal en peines & trauaux,
Ce qu’il y a de pire, eſt que le plus fidele.
Plus il a d’amitié, plus il en a de maux.
Royne de mes penſers, excuſez ie vous prie,
Ces troubles differens de mes tentations,
Uous ſerez conſtamment de moy touſiours ſeruie,
Tous ces faſcheux diſcours ne ſont qu’opinions.
Trop loin de vous ie ſuit, vne matiere vaine,
Sans honneur gemiſſant ſous la priuation,
Quand ie vous reuerray ma forme ſouueraine
Sera conſtituee en ſa perfection.
Ainſi que le ſoleil donne eſtre à l’aparence,
De tout ce que Nature eſcloſt deſſous les cieux,
Voſtre œil luyſant ſur moy par ſa bonne preſence,
Me fera ſubſiſter en effects glorieux.
Non, ie ne feray plus tant de place à la crainte,
Vous m’auez accepté, vostre ie demourray,
D’un ſi parfaict amour i’ay pour vous l’ame atteinte,
Que tout cōtraire effect vous ſeruant ie vaincray,
Ie ſeray braue autant que ie vous cognois belle,
A l’egal de vos feux ie viendray m’enflammer,
L’eſpoir & la grandeur de mon ame fidele

Seront pour vous ſeruir, croiſtront pour vous aimer.
Ie ne permettray plus que mon ame ſ’oblige
Aux faſcheuſes humeurs pour ſouffrir sãs propos,
Deſloyal à ſon cœur eſt celuy qui ſ’afflige
Et trouble impatient, ſans cauſe ſon repos.
Ma paſſion ſera mon amour vehemente,
De mes chaſtes deſirs mon cœur ie nourriray,
Ie me conſolerai ſi vous m’eſtes abſente,
Eſtant aupres de vous de vos yeux ie viuray.
Je ne troubleray plus de ſoin melancholique
Le cœur qui eſt empraint du trait de vos beautez,
Mais fidele & conſtant d’vn amour magnifique,
I’aimeray vos beautez pour mes fidelitez.
Vn cœur plein de ſouſpirs ne peut faire ſeruice,
Deſagreable eſt l’œil qui ne fait que pleurer,
La langue qui ſe plaint n’entend point l’artifice,
Comme il faut brauement les Dames attirer,
Or comme i’ay creance en vos belles paroles,
Qui furent le contract de noſtre affection,
Croyez que mes ſermēts ne ſont point airs friuoles,
Et receuez les vœux de ma deuotion.
C’eſt l’heur ou ie me fonde, auecques l’esperance
Du doux fruict des faueurs de voſtre volonté,
Et ma bonne fortune eſt ma perſeuerance,
Qui vous aſſeurera de ma fidelité.
Si vous en deſirez quelque autre teſmoignage,
I’ai le courage grand, commandez ſeulement,
Et ſi vous eſſaiez l’eſtat de mon courage,
Uous me recognoiſtrez braue & conſtant amant.

Vn des plus grands plaiſirs qui ſoit en l’amour chaſte, eſt quand on a vne perſonne fidele, à laquelle on peut communiquer de ſa paſſion : c’eſt ce qui ſoulage Lofnis ; car elle a Epinoyſe qui l’aime, à laquelle elle declare ce qu’elle a de plus delicat au cœur, & ayant leu ce diſcours en ra mas de chaſſes d’amour, dit à la Fée : I’ay eu du deſplaiſir en liſant cecy, & puis ie m’en ſuis reti rée. Ie voudrois qu’il n’entremeſlaſt point d’eſ pines parminos roſes : il ſemble qu’il ait quel—. que deffiance de moy, ou qu’il veuille que i’en aye de luy, il me deſcourage, & puis il me raſſeu re. La Fee. Ne vous imaginez rien d’eſtran ge ; mais retenez vne verité, & la remarquez comme regle infaillible de bon amour ; plus la force d’Amour agit en vn braue cœur, & plus il a de deffiance de ſon ſujet, pource que la plus part des Dames qui ont faute de iugement, ne conſiderent pas les valeurs des Cheualiers pour les cherir ſelon leurs merites ; partant ſe tranſ portent d’affection pour des moindres, ne fai ſans pas cas des accomplis, pource qu’elles ne ſ’y cognoiſſent point. Mais celles qui ont lavertu en vnique recommendation, & pour guide la ſageſſe qui eſt la lumiere de l’amour pudique, ne tomberont pas en ce hazard ; au contraire, fuyuäs le beau ſentier d’affection, ne feronteſtat · que des capables. Dames, acheuez vos diſcours, & vous Fée qui allez ſuyuant à pas contez les ſuccez des af faires, conſolez & ſoulagez le cœur de cette Princeſſe qui volette en deſirs apres ſon ſerui teur, lequel n’a ſoin plus cher que de ſ’auancer en effects valeureux pour l’honneur de l’vnique lumiere de ſa vie, à la gloire de laquelle comme la fin le tefmoignera, il rapporte les fruicts de ſa valeur, &cependant en tous lieux où il paroiſt, il proteſte ſans le declarer appertement (pour la · faire cognoiſtre) que toute ſon intention enge nereuſes actions, eſt en memoire de la Belle qui le poſſede, & en ceſte excellente humeur il paſſe. le temps en Quimalee auec ſes freres, leſquels auec le Marquis de Bariſe, allerent baiſer les mains du Roy, qui les receut dignement, & en cores auec plus de magnificence pour l’honneur & amitié qu’il portoit à l’Empereur de Glindi cee & à la Royne de Sobare. Et bien que ce fuſt par auanture & non par deſſein, qu’ils fuſſent abordez en ſon païs, † laiſſa-il de les gratifier tout de meſme que ſ’ils y fuſsét venus expres, les fit bien loger, & leur offrit tout le plaiſir du pais & de ſa court pour leur recreation. En ce temps là ceſte court, comme encor les effects le demö ſtrent, eſtoit la plus honorable & magnifique en toutes ſortes de delices vertueuſes : la haine, l’enuie, & les debats en eſtoient chaſſez, il n’y auoit qu’vn mal, qui toutefois eſt de bonne gra ce ; c’eſt qu’entre les Princes, bien qu’il y ait de l’amitié parfaicte, il ſ’y trouuoit vn beau petit mignon, mauuaiszele de gloire, qui faiſoit qu’e— ſtans enſemble & qu’vn fut abſent, & qu’on vint à parler de luy, tous les autres d’vne meſme façö leveſperiſoient, il eſtoit taxé & mal mené com me deſcheu de la perfection, & ceſte poincte paſſoit ſur tous, tant habiles fufſent-ils, & ceux meſmes qui auoient eſté feſſez en leur abſence, ºſtans auec les autres, donnoient pareiliugemët de chacun abſent, qu’on auoit fait d’eux auec le conſentement de ceux qui l’auoient deſpriſé, & · qui à leur tour l’eſtoient, & de ſi belle façon qu’encor qu’ils euſſent condamné quelqu’vn abſent, lors qu’il eſtoit preſent il eſtoit aidé à cenſurer les autres, cecy duroit touſiours fors u’à la mort : car ſi toſt que l’vn d’eux faifoit cloſture à ſa vie, il eſtoitvnanimement regretté, & chacun de ceux qui durant ſon eſtre l’auoient. trouué defectueux, publioit authentiquement ſes loüanges ; tellement qu’incontinentil eſtoit canoniſé, & declaré quoy qu’il en fut, auoir le degré de perfection : pluſieurs ſe vantans d’auoir l’eſtat de ſes deportemens, ſelon leſquels ils y paruiendroient. Les Fortunez furentauertis de ceſte complexi6 de perſonnes, & que cela n’im portoit qu’à ceux du païs : Car au reſte la courtoiſie y eſt notable, & partant ils ſe donnerent liberté d’en receuoir & d’en rendre, attendans le temps opportun de partir. En ce temps-là commençoit de paroiſtre vne des plus belles fleurs du monde, la fille du Roy de Quimalee ; Or ceſte fille eſtoit heritiere du Royaume, à cauſe de ſa mere, laquelle eſtoit decedee, & cependant le Roy ioüiſſoit comme tuteur de la belle, & que l’on ne pouuoit depoſſeder de ſon viuant ſelon les loix & les eſtats, & puis il eſtoit le plus grand terrien de tous ceux de l’iſle. Apres le de part de ſa chere Royne, & le deuil eſtant paſſé, il ſe remaria auec vne ſage & belle Princeſſe, fille d’vn Duc de Nabadonce que les Fortunez cognoiſſoient. Or le bruit de la beauté & ſageſſe de Cliambe, Princeſſe de Quimalee, auoit fait ſouſpirer infinis cœurs, & deſia ſon enfance qui auoit promis vne ieuneſſe accomplie en vertus, auoit produit ſes premieres fleurs que maintenant ſon adoleſcëce multiplioit, eſmou uant tant d’ames que les airs ne ſouſpiroient preſques autres merueilles, Caualiree voyant ſes freres en cours d’auoir fait fortune, ne veut pas demeurer court, il ſe propoſe de ne laiſſer eſchapper ce qui tombera en ſa bien-ſeance, parquoy ayant pris garde à ceſte beauté, dont le merite eſt deſirable, voulut tenter ſi la for tune auroit agreable qu’il la ſeruit, il n’auoit au commencement penſé qu’au ſeruice com mun que la bien-ſeance ordonne, mais Amour qui tend ſes toiles aux cœurs extrauagants, l’ar reſta par les yeux de la belle, ſi que voulant pren dre il fut pris, & bien qu’il penſaſt choiſir, ſi fut-ibreduit à deſirer ; car il ne peuſt euiter la violence qui vint à bon eſcient poinçonner ſa belle ieuneſſe, à ſ’accommoder pour la felicité d’vne autre, en cherchant ſon propre auance ment. La Princeſſe dont le cœur innocent n’a— uoit donné lieu aux eſmotions qui peuuent l’a— giter par l’affection, l’ayant encor vuide d’im preſſions, ſ’apperceut par les rencontres viues des yeux de Caualiree, qu’il y auoit en ſes re—. gards vn autre pouuoir que ce qui fait obſeruer les obiets, &prit plaiſir d é receuoir les atteintes, leſquelles furetoient parmi ſes yeux, leſquels n’auoientiamais donné telle licence aux autres, & ne les y auoit receus : Et comme mignarde-— ment elle ſ’eſbatoit de ce mignard entretien, elle : ºe t’auiſa pas que ce mignon eſclat qui la fiat "ºit, fuſt vne libre entree à l’amour, parquoy elle ſe trouua ſurpriſe : car l’amour ſe gliſſa en l’amorce de ces fauorables rayons, & ſe coulant en ſon cœur, meſla ſon precieux venin és arteres qui n’auoient encores eſté batues de cet eſprit. Ceſte excellente humeur luy fit ſoupçonner qu’il y auoit vn contentement caché, quine ſe peut expliquer ; & luy fit remarquer que la ſepa-. ration de Caualiree luy cauſoit quelque dou leur ; elle ſ’en eſmerueilloit, d’autant qu’ils n’a— uoientiamais eſté vnis, elle veut ſçauoir ce que c’eſt, & ce qui plus la reſolut d’en eſprouuer le hazard (d’autant qu’à ſon auis l’emotion de ſon. ame eſtoit Amour) fut la böne grace de ce braue Gentil-homme, dont les ſeruices luy eſtoient. offerts, auec tant de belle diſcretion qu’elle ſe propoſa ce ſuject digne de la ſerieuſe occupa tion de ſon cœur : Luy au ſemblable, iugeant ! les merites de la Princeſſe eſtre au defſus de tou-) · te perfection terreſtre ; delibera pour le bien, de ſon ame de ſe conſacrer derechef à la vertu, · ſous le deſſein de ſeruir fidelement ceſte beauté. Il continuoit le feu dont ſon ame eſtoit toute embraſee, & ne reſtoit que ſe manifeſter à la da me. C’eſt vne paſſion difficile à ſupporter que : l’amour, & principalement quand on eſt con traint de l’eſtouffer en ſes eſprits, ſans le pro duire au iour des yeux aymez. Les plus valeu reux ſont timides, & ſemble qu’il y ait en l’affection vn malheureux reſpect qui empeſche le contentement. Auant que Caualiree eut receu le coup des beaux yeux de Cliambe, il eſtoit audacieux aupres d’elle, il auoit de l’aſ ſcurance pour l’entretenir, & luy rendre mille raiſons pour l’arreſter à ce qu’il mettoit en auât : mais ores qu’il eſt conquis, qu’il eſt reduit en obeiſſance, qu’il eſt à elle, il eſt comme deſcheu, de courage, il n’a plus ccſte belle preſomption, qui le releuoit deuant les yeux aimez auec tant de bien-ſeance. Il ſ’en apperçoit, parquoy ſe remirant en ſesactions paſſees, il ſe trouue tout difforme & d’vne façon indecente à ſa grandeur, il ſe reprend, & ſe voyant troublé d’vne honte ruſtique, ſ’eſuertuë & en ſecouë viuement le ioug, il recueille la magnanimité de ſon ame, &. ſ’emplit de nouueauté de courage pour ceſte, nouuelle vie, ſi qu’aprochant de ſa belle auec commodité, luy dit : Madame, l’ordinaire entre les cheualiers, eſt de requerir les Dames de l’o-. ctroy d’vn don, pour apres paroiſtre en leur fa—. ueur és belles parties : Et moy au contraire, ; (bien quei’aye vn meſme deſir)ie vous ſupplie : d’accepter de moy vn don. Elle qui n’auoit pas eſté en moindre opinion, pour le changement. du Fortuné, le voyant reſtably en ſon humeur,. prit plaiſir à ce commencement pour en voir la ſuite. Et luy reſpondit : S’il eſt equitable ie le veux bien. Ce qu’elle fit de la ſorte afin que ſen diſcours ne luy peuſt nuire ; car il faut traicter : ſimplement les amans, de peur qu’ils ne ſe trou—. blent. CA v A L I R E E, Si vous le voulez il — le ſera. CL 1 AM B E. Il faut premierement que ie le ſçache, auant que le † CAVALIREE. ! Sivous le ſçauiez auant que l’accepter, vous ſau riez bien ce que ie pretens, & n’aurois que faire : de le vous declarer que par hazard ; parquoy ſ’il : vous plaiſt me tant honorer, il eſt conuenable que vous vous fiez à ma diſcretion : Et ſi vous croyez que i’aye aſſez de prudence pour ne rien preſenter de deſraiſonnable, vous attendrez ma volonté que vous ſaurez bien reietter, ſi elle eſt inſolente. CLIAMBE. A cauſe de vos raiſons & de la bien-ſeance, ie receuray le don, à condition auſſi que vous me traicterez de meſme. CAvAL. Ie ſuis aſſez heureux, & veux ce qu’il vous plaiſt. Le don que m’auez accordé de receuoir, eſt que vous m’acceptiez pour voſtre ſi vous n’auez point de ſeruiteur receu, carie me donne à vous. 1AMBE. Le don que vous deuez receuoir de moy eſt vne excuſe, & que me donniez temps d’y penſer, à ce que ie iuge à part moy, ſi i’auray aſſez de diſcretion pour faire vn ſi notable chois d’vn ſeruiteur tant accompli. CAvA LIREE. Ie ! crain que mes affaires n’iront pas bien, d’autant ! que les remiſes n’apportent que des difficultez & des troubles. CLIAMBE. Si ie vous reçoy tout d’vn coup, que penſerez vous ? CAv A L. La meſme penſee que ie vous ſupplie auoir de, moy-meſme. CL1AMBE. Et ſi ie l’auois de vous telle que ie l’ay de moy ie vous ferois tort, car i’eſtime que ie ſerois preſomptueuſe, & ie ne veux pas ainſi penſer de vous. CAvA L. Vous tranſpoſez de belle gracevoſtre propos pour me chaſtier de ma preſomption d’auoir entrepris. ceſte auanture. Mais, Madame, ma preſomptiö » vous ſera tolerable, par l’humilité de mon ſerui—. ce, & ie verray en vous vne extreme clemence, ſi vous pardonnez à ma temerité, en m’octroyât ma requeſte. CLIAMBE. Et vous, me refuſez-vous ainſi, d’auoir agreable le don que ie vous offre ? CA v A L I R E E. Madame, eſtant à vous ie n’ay plus rien à moy, tout vous reuient, par quoy m’eſtant donné à vous, il eſt en vous de diſpoſer de moy & de mes volontez, pour les tournât à voſtre gré en faire ce que vous iugerez iuſte, donnant ou receuant, comme voſtre pru dence cognoiſtra qu’il ſera expedient pour mon bon-heur & le bien de voſtre ſeruice. CLIAMBE. A cauſe dequoy vous receuray-ie ? CAv. A cauſe de vos perfections. CLIAMBE. Ie voudrois bien — ce que vous voulez, mais auſſi ie deſirerois que vous me permiſſiez de viure auec pleine liberté de faire eſſay de voſtre affection, afin que # n’ayez point regret au don.

Ils furent interrompus de leur diſcours par l’entreuenuë des Dames, auec leſquelles, & le re—. ſte de la belle côpagnie, ils ſ’amuſerétaux autres plaiſirs, continuans de toutes ſortes ſelon que la vertu leur ſuggeroit des occaſions. Il auint que. par fantaſie d’humeur prompte, Caualiree ſ’eſtät deſtourné vers vne feneſtre, ſe mit à entretenir ſes penſees & Cliambe l’y ſurprit, luy diſant : A * quoy meditez-vous mon Gentilhomme ? CAv. — Vous oſeroy-ie reſpondre, en ſurpris ou en hom me qui a penſé ſon diſcours CL1AMBE.Selon la galantiſe de voſtre cœur, & l’excelléce de voſtre amour. CAVAL. Ie vous dis donques que tâdis : que vous faictes infinistrophées des cœurs, que vous conquerez au vouloir abſolu de vosyeux, ie ſuis apres à mediter les occaſions de vous faire ſeruice, pour meriter quelque rang parmi tant devaincus qui ſouſpirentaux pieds de vos beau—. tez : Mais dites moy, ceſte magnanime occupation qui emporte vos penſees, vous permet-elle bien de vous auiſer de moy ? CLIAMBE. Ie paſſe ce trop de loüange comme ne l’aiant point ouy, pour vous dire que ie ſerois ingrate ſi ie ne fai ſois eſtat de vos perfections. CAvAL. C’eſt vous qui eſtes l’vnique accomplie, auſſi ie ſçay bien que ie ſuis trop peu pour comparoiſtre deuant vous, tant de fois parfaicte. Toutefois i’ayaſſez de courage pour eſperer qu’vn iourie gaigneray auec la Fortune, vn petit lieu en voſtre memoi, re, par la cötinuation de mes deſſeins pour vous ſeruir, & l’effect dequoy ie tiendray la recópenſe aſſeutee par voſtre ſouuenance. CLIAMBE. Si vous n’auez affaire que de la ſouuenance, on ne la vous peut nier. CAvAL. Si ce bien m’aduient, · que vous vous ſouueniez quelquefois de moy, ie croiray mon auanture pleine de felicité, & me compareray aux plus heureux, & monbon-heur · redöelera à voſtre gloire : car mö cœur ne ſe peut obliger qu’à vous ſeule, ioint que mavaleur ne permetà mes yeux de ſ’allumer qu’à la lumiere de voſtre perfection, queie tiës pourl’aſtre vni que de mes deſtinees CL.Faut-il que ie croye ce que vous me dites ? CAvAL. Puis que vous eſtes equitable, & que l’equité eſt ſujetteau deuoir, vous le deuez, attédu qu’on doit croire laverité. Et puis vous y eſtes obligee, pourautant que ie ſuis à vous, & vous vous feriez tort de contredi re ce qui eſt voſtre, & detelle ſorte, qu’il ne peut ni veut que ce qui vous eſt agreable… ^. | Laiſſonsles vn peu diſcourir en leur ſecret, afin ! de ne les deſcouurir, il ne faut pas mettre tant ! cn euidence ce bel amour, les affections diuul-’guees ſont ſans ordre & inſipides comme l’air, leur diſcretion les conduira. Le ſoir qne la muſique fut aſſemblee, les Fortunez y firent aroiſtré leur dexterité, comme en tout & ſur la fin vne Damoiſelle à la priere de Caualiree ſouſpira cet air :

Bellene penſez-pas que ce ſoit vne feinte
Que mon affection, vouee à vos beautez,
Car c’eſt la verité que mon ame eſt atteinte
Des viues paſſions dont les cœurs ſont traictex.
Croire que veſtre bouche eut dit vne parole,
Dont l’effect à la fin fut vne fiction,
Ce ſeroit trop pecher : l’Amour ſeroit friuole
La foy ſeroit menſonge, & vent l’affection.
Auſſi ie ne croy pas qu’vne ſi parfaite ame,
Eut voulu deceuoir vn cœur de loyauté,
De meſmes ie ſpay bien, que ma fidele flame,
M’enflammera conſtant comme i’ay proteſté.
Rien ne vous contraignoit de m’eſtre fauorable,
Quand vos perfections ſe ſaiſirent de moy,
Mais vn ſujet eſtant vne fois agreable,
Ce qui eſt arreſté doit tenir lieu defoy.
C’eſt à vous d’auiſer à faire la Maſtreſſe,
Pour autant que c’eſt vous qui m’auez arreſté,
Car quant eſt de mon cœurs ſans ceſſer il ſ’addreſſe,
Pour eſtre le ſuiet de voſtre volonté.
Or belle triomfez, à vne ame qui deſire,
Sur le vol de l’honneur vous rendre de l’honneur,
Maiſtreſſe, diſpoſant d’vn eſprit qui n’aſpire
Qu’à vous rendre deuoir de loyal ſeruiteur.

La grace de ces heureux exercices ſe continuoit, cependant que le temps & l’occaſion fauoriſoit Caualircc, qui n’ayant autre affaire en ce pais là, ne vaquoit qu’à donner du plaiſir à ſa maiſtreſſe, luy dèclarant en toutes ſortes ſon affection. Ie ne penſe pas qu’il y ait plaiſir egal (en manifeſtant ſes affections) à celuy qu’on reçoit de les repreſenter ſous l’air coulant en belles paroles aſſemblees des delicieuſes meſures de la poëſie, à quoy la belle Dame conuenant auec mon opinion, euſt agreable ce ſouſpir,

Les yeux n’allumét point dedans le cœur des flames
Qui bruſlent les amans en leurs affections,
C’eſt bien vn autre effect, qui ſurprenant les ames
Les oblige à l’amour Roy de nos paſſions.
Bien que de vos beaux yeux la douceur trop puiſſante,
Puiſſe aller furetant dans les ſecrets du cœur,
Encor ne ſont ils point ceſte force preſſante,
Qui iette les eſprits en l’amoureuſe erreur.
N’ay-ie point veu vos yeux tous parfaits, ſans puiſſance,
Aupris de ce pouuoir dont vous me retenez,
Leurs traicts bleſſoient mon cœur, mais de ſi peu d’offence
Que mes deſirs mouroient ſitoſt qu’ils eſtoiêt néz.
Je reſſentois aſſez que leur belle lumiere,
Adiouſtoit à ma vie vne belle clarté.
Mais ceſte emotion n’eſtoit point ſi entiere,
Que l’effort bien-heureux dont ie fus arresté.
Uos yeux guidoient mon cœur quand mon ame fut priſe,
Par l’accent que i’ouis de vos leures ſortir,
C’eſt ce diſcours heureux qui mes flames attiſe,
C’eſt l’effort qui m’a fait tout en feux conuertir.

Deſlors mon ame fut en Éſcho conuertie,
Pour me dire touſiours ceſte voix de bon heur,
Et tous mesſens changeK en eternelle ouye,
Vous oyent proferer ce mot de ſeruiteur.
Ce doux 8ſcho n’eſt point dans vn antre ſtupide,
Il eſt dedans vnfeu parvous ſeule excité,
Au centre de mon cœur où voſtre nom reſide,
Pour y entretenir mafoy de verité.
Ainſi ie fu eſpris, ainſi i’attiſe encor
Les feux qui dans mon cœur, eternels dureront,
Et ces beaux feux croiſans, maiſtreſſe que i’honore,
De mon ame iamais ne ſe departiront.
Mes feux ſeront pourtant voileX de modeſtie,
Ainſi qu’vn feu couuert ſe couuant doucement,
Une flame euantee eſt toſt euanouye,
L’ardeur quel’on retient dure plus longuement.
Cependant tout ardent d’vne amour vertueuſe,
Sans changer de deſirs tout à vou ieſeray,
Et pour continuer ceſtefortune heureuſe,
Autre nom que le voſtre en mon cœur ie n’auray.

Nous auons pluſieurs fois remarqué, qu’il n’y a rien d’egal à la beauté de l’enfance d’Amour, qui ſ’extrauague en de petites naïuetez, leſ quelles ne plaiſent qu’aux paſſionnez & à ceux qui ſe reſſouuiennent de leurs erreurs amou reuſes. Les cœurs qui ſe remireront icy, y trouueront trop peu de circonſtances : Il eſt vray ; car nous les laiſſons couler de peur de nous enfiammer en nos propres feux, auſſi | · que nous auons enuie de paſſer viſtement pour § nous trouuer où le bon heur nous attend. Nous ne ſçauons quand ce ſera : Lors qu’vn bel eſclair nous a fait voir vne apparen ce, il nous eſt auis que nous ſommes † il envient vn autre, & ce n’eſt pas cela : Or bien patientons, & ſuyuons ces nuages tant que · nous rencontrions. Supportons auec † laiſir de ceux dont nous eſperons du bien, & à gré laiſſons les eſiouir & paſſer fantaſie, car il faut que cela ſoit : En ceſte iuſtice d’eſprit que nous rendons, voyons Caualiree qui entretient ſa maiſtreſſe.

Madame, depuis que ie ſuis voſtre, & que le cœur vous a iugé que ie deſire paroiſtre tout loyal au ſeruice que ie vous dois : n’auez vous point remarqué, que vous eſtes la regle de mes penſees, & de mes actions, n’auez vous pas re cognu que ie deſpens de vous ſeule, qui eſtes l’ame dontie ſuis l’organe ? Vous l’auez enten du, & le ſçauez bien ; car vous auez tant de iu gement, qu’il n’eſt pas poſſible que les bluettes de mon feu qui ſintillent de voſtre lumiere, ne vous ayent fait diſcerner ce qui eſt ſoubs vo ſtre pouuoir, en remarquant ce qui vous ap partient. Mais voſtre prudence qui me regit auec tant d’agreables mouuements, veut queie m’ingere de moy-meſme aux belles actions : C’eſt vous qui me dreſſez ainſi à mon deuoir. CLIAMBE.Attribuez moy vos vertus, afin que ie vous aye de l’obligation, & puisque vous dites \ ue vous eſtes mon organe, manifeſtez ce que. i’ay de bö, ainſiie ſerayglorifié par moy meſme, & voſtre gloire en reſplendira dauantage, car ce ſera vous qui commanderez. CAvALIREE. Mon humilité me rabaiſſe, Belle dame vſez plus dou cemët de la puiſſance que vous auez ſur moy, & me gratifiant de voſtre bonté, propoſez moy vn effect, auquel paruenant ie vous demonſtre ma fidelité, commandez moy, vous qui eſtes la ſeuleloy de mes volontez, ie vous prie que i’aye ceſtc grace, à ce que vous ſoyez acertenee de l’integrité du courage, qui vous a tant voiié d’o— beiſſance, qu’il ne peut rien pëſer que pour vous ſeruir conſtamment, ſans imaginer autre gloire. CLIAMBE. En ceſte preuue que vous deſirez, vous me prenez comme eſtant cemplice de vo ſtre penſee, & ſur cela exagerant vos diſcours à l’auantage de voſtre imagination, vous poſez · ce que vous ne ſçauez t’il eſt, à ſçauoir ma volon té qui vous fait vouloir. CAvALIREE. Si vous ne vouliez pas ce que ie veux, ie n’oſerois le vou loir : Et ſi vous ne m’auiez conquis, & ſi ie n’e— ſtois à vous, ie ne pourrois me promettre le bien que ie me perſuade, & puis vous auez voulu que ie fuſſe voſtre, & m’auez receu. CLIAMBE.Vous m’auez ſi toſt repliqué, que ie n’ay pas eu loiſir de vous dire tout ce que ie deſirois, qui eſt que ie penſois que voſtre ame fuſt plus particuliere, & qu’elle n’euſt rien de commun : vous ſuyuez l’ordinaire par imitation, ou voſtre affection eſt ſemblable à la vulgaire, puis que vous m’en aſ ſeurez tant auant que i’en aye douté. CA VAL Et bien, ſil’amour me fait dire ainſi, pardonnez luy, il me fait preuenir le danger que ie crain, vous me voulez troubler, pour me faire perdre mes erres. Non, ie vous dy encores vne fois, que ie ne ſuis que ce quevous excitez en moy.

Cliambe. Quoy ? vous voulez donc que vos propres penſees ſoient les miennes, & voſtrein · tention ma ſouuenance : vous eſtabliſſezvos pro poſitions eſtre mes reſolutions, & ainſi vous cö ſtituez ce qu’il vous plaiſt ſans quei’aye memoi re que iamais telle rencontre ayt paſſé deuant moy. CAv ALIREE. Que les Dames ont d’artifi ces pourtéter & trauerſer les cœurs qu’elles poſ ſedent’CL1AMBE.Que les Cheualiers ont demo yens pour perſuader ce qu’ils deſirent.CAvALIR. · Bien ! le temps & voſtre propre cœurferont voir laverité : & quoy que vous faciez vne feinte, ſi ne lairray-ie de perſiſter. Moname eſt ſi reſoluë en ſes deliberations legitimes, que iamais ie ne me deporteray de l’entrepriſe que ie cours au deſſein de vous ſeruir. — Il n’y a pas moyen d’empeſcher la flame de ti rer vers les Cieux, il n’y a pas auſſi d’ordre à re tenir vn cœur d’amour, qu il ne s’eſuante où il a ſes vœux. Ces propos que la Dame laiſſoit aller pour remuer l’opinion de Caualiree, le perſecu terent aſſez violentement, & il ne s’en peut taire, dont enl’vlcere de ſon courage, il luy fit ouyr ſa plainte en ceſte figure de ſa fantaiſie. — — C’eſt fait, il nefaut plus que ie meface croire, Qu’ilyayt en vos yeux pour moy quelque pitié, Tuis qu’vn ſi bel eſprit s’excuſe de memoire. fl pourroit bien auſſi s’excuſer d’amitié. | On aymeſans eſpoir, c’eſt en vain qu’on s’afflige, Si le doux.ſouuenir au deſir n’eſt conioint : Malheureux eſt le cœur quifollement s’oblige A cherir vn ſuiet, qui ne s’en ſonuient point. C’eſt battre de ſouſpirs l’aèrſans intelligence.

c’eſt ſentir pour vn roc de vaines paſſions,
C’eſt trauailler en vain, ſi quelque ſouuenance
Ne promet de l’eſpoir à nos affections.
Et pourquoy vos beaux yeux bleſſent-ils le courage,
Pour oublier le mal qu’a faict voſtre beauté ?
Aurez vous bien le cœur de cauſer vn dommage,
Pour le multiplier par telle cruauté ?
Que ſeruent ces diſcours ſi voſtre ame galante
Ne ſe veut ſouuenir du pouuoir de vos yeux ?
Ces accens vous ſeront comme vne voix paſſante,
Qui ſans fruičt pour neāt s’enuole dans les cieux.
Mais belle vous faignez ce defaut pour cognoiſtre
Quels ſeront les eſprits que uoſtre vous rendez,
Car vous ne voulez pas fauorable paroiſtre,
Pour eſprouuer ainſi ceux que vous poſſedez.
Or quoy que Yous faciez par ce bel artifice,
Si eſt-ce que mon cœur conſtant ſe maintiendra,
Vous rendant tant d’effets d’amour & de ſeruice,
Que poſſible à la fin il vous en ſouuiendra.

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DESSEIN DIXHUICTIESME.


Actions & vertu du Roy Eufranſis qui furent cauſe qu’vn grand Filoſophe luy enſeigna la metempſychoſe par le moyen de laquelle vn rare threſor fut trouué.



TAn dis que l’amour exerçoit ſes magnifiques trauerſes és cœurs de ces amans, il aduint que le Roy termina vne auanture notable, & ce par le conſeil des Fortunez : Or eſt il que ceſte affaire eſt autant remarquable, qu’autre qui ayt peu ſur uenir entre les mortels. — L’excellence du Roy Eufranſis fut ainſi, que la Royne ſa femme le receut, apres auoir refuſé plu ſieurs Princes & Monarques, aymant mieux vn ſien ſuiet, braue & bon, qu’vn eſtranger poſſible faſcheux, ie peuple eut ceſte aliance treſ-agrea ble, & s’addonna de telle affection au ſeruice de ce Prince, qu’il n’y auoit perſonne qui ne l’ay—. maſt : ſes perfections l’ayans rendu tant recom mandable, qu’il en eſtoit cheri ſans feinte. " Le Roy continua en ſa belle humeur, & de plus en plus ſe rendit parfait, eſtant en plus grand degré. Il n’eut de ſon mariage que labelle Cliambe : car vn peu apres ſa naiſſance ceſte Royne bien-ay mee, qui deſia eſtoitvieille fille quand elle entra aux nopces, ferma la porte de ſa derniere yſſuë : Le pauure veuf en porta autant d’ennuy qu’vn mortel en peut ſouffrir, toutesfois à la fin ſçachät que les larmes ſontinutiles apres les obſeques, d’autant quel’onne recouure plus ce qui eſt paſ · ſé, il ſe remit, & continuant en ſes genereuſes fa çons : ilr’entra en ſecondes nopces, & eſpouſa l’excellente Piroſe, belle & ieune Princeſſe, fille du Roy Gnomon. Ce meſnage Royal fut heu reux, car ce couple viuoit de parfait contente ment, s’entrerendant tant de reciproques amours que l’amour chaſte, & leurs côportemens eſtoiêt vn meſme.Ceſte ſaincte vie d’amitié outre leurs autres perfections, les mit en telle reputation, a— uec ce que le Roy eſtoit ſpecialement curieux & diligent rechercheur, & amateur de tout ce qui eſt de merite entre les ſciences&exercices de vertu, que les vertueux l’admiroient & aimoient, & il les tenoit auſſi ſi chers en ſon cœur, qu’il ne leur eſpargnoit rien quand il en trouuoit, & pouuoit leur faire du bien. Ce Roy doncques s’eſtant fait cognoiſtre autant plein de liberalité quebra ·ue & vaillant, car il auoit conquis le Royaume de Cruſtee en l’iſle d’excellence, fut craint & aymé : craint, pource qu’aucun n’auoit oncques peu ſubiuguer ces Inſulaires à cauſe des forces qu’ils receuoient de ceux auſquels ils ſont alliez & ſer uent, pour la ſoude annuelle, & maintenant qu’il les a reduits à ſon vouloir, ils luy payent tribut, meſmes plus qu’il n’en exige, car c’eſt iuſtement exiger que faire bien payer les vaincus qui ont e ſté inſolens, pour ce qu’il faut faire iuſtice : ay mé, pour ce qu’il s’accorde incontinant à tout ce qu’on luy remonſtre, & fait bien à tous. Le bruit de ſes vertus, & des recompenſes dont fi honoroit les gens de merite, empliſſoient ſa court de toutes ſortes de gens d’eſprit, & des plus habi les en toutes vacations, leſquels il entretenoit courtoiſement, gracieuſement & magnifique ment, ayant ſes heures ſi bien diſpoſees, que les affaires d’eſtat ſe faiſoient, les exercicesdelaguer re continuoient, & les ſciences eſtoient maniees, & tout de tel ordre que le plaiſir en abondoit. Ceſte grande bonté & familiarité de Roy, ſuſcita le cœur d’vn Sage Druyde ancien, & fondique de ſciences, lequel vint viſiter ceſte Court. Il n’y entra pas en appareil de Philoſophe qui veut eſtre recogneu, car ils’y introduit ſimplement, pour ſçauoir par verité ce qu’il auoit deſcou uert par bruit, & tenu eſtre par opinion : Ayant conuerſé librement en ce lieu, à la fin il s’addreſſa au Roy qui le receut humainement, & le Sage luy dit, qu’il auoit quelque choſe de conſequence à luy dire. Le Roy le prit gracieuſement par la main, & le deſtournant en l’allee où il ſe proumenoit pour lors, apres les paroles ordinaires & reciproques de rencontres & addreſſes, luy dit. Et bien, mon pere, que deſirez-vous de moy ? Le drvyde. Sire, cognoiſſant voſtre inimitable zele vers ceux qui ont l’ame curieuſe, & ayant entendu combien vous auez acquis de perfection és ſciences, ie ſuis venu à vous, non pour vous requerir d’aucun preſent, car ce ſeroit errer de vous ſpecifier ce qu’on deſireroit de voſtre Maieſté, qui ſçait cognoiſtre ce dont il faut gratifier chacun, preuenant ceux qui ont beſoin Mais pour vous rendre graces de tant de biens, que vous nous faites, à nous tous qui ſommes deſireux des beaux ſecrets. La grace que ie vous en deſire rendre eſt vn admirable ſecret que ie vous communiqueray : ce qui eſt grand appartient aux grands : i’ay tiré ce ſecret de noſtre cabale, en laquelle tous les ſecrets ſont reſſerrez & gardez en leur naifueté, Le Roy. Sage pere, ie ſuis bien aiſe de l’eſlection que vous auez faite de moy, pour vn tel dépoſt, dōt ie ne ſeray point ingrat : & bien que la ſcience ne puiſſe eſtre payee, ſi vous ſatisferay-ie de la peine que vous auez priſe, & la ſatisfaction vous la prendrez en moy-meſme : car ie ſeray du tout à vous, & en pourrez diſpoſer, ainſi que voſtre ame fait de ſes penſees. Le Sage. Sire, vous me voulez trop payer, & à celà ie cognoy que vous vous fiez en moy, ie vous requiers que ſoyons en lieu ſecret. Le Roy le mena en ſon cabinet, puis le Sage pourſuiuit, Mon ſecret eſt vne belle induſtrie, par laquelle quand ie veux ayant en mon pouuoir quelque 2.— nimal, ie le fay mourir, puis l’ame eſtant ſortie, ie m’approche du corps, & par lavertu de l’air qui inſpire & reſpire, i’expire auſſi & coule moname dans le corps occis, laiſſant le mien priué de vie, & adoncques ayant toute ma raiſon & mon in telligence, ie me donne carriereoù il me plaiſt, ſe lon les mouuemens naturels du corps §. puis ayant en iceluy paſſé ma fantaiſie, quand ie veux, ie retourne en mon propre corps, vſant ſur le mien du meſme moyen que i’ay practiqué ſur ceſtuy-là poury mettre ma vie. LE RoY. Eſt-il oſſible, möpere, que telle metempſychoſe ayt † & qu’vne ame s’allie à vn corps qui n’eſt point § vnion naturelle ? LE sAGE. Il l’eſt, en ce que les eſprits ſont ſi purs qu’ils n’occupent point de lieu pour en auoir de plus ou de moins, & partant tout corps leur eſt indiferent, pourueu qu’il ayt de l’analogie à la vie de celuy dont elle eſt ſortie, ſans eſgard de plus grand ou plus petit, ou autrement figuré : Et puis les eſprits n’ont rié de commun à la matiere quant à ſoy, laquelle ils veſtent comme organe. Il eſt vray que ce ſte correſpondance qu’ils doiuent auoir, eſt ne ceſſaire, entant que s’il n’y a quelque ſimilitu · de en la ſubſtance des corps, ils ne s’y daigne roientinfuſer, ſinon que de grace ils vouluſſent s’y ioindre pour quelque autre plaiſir, comme l’ame du beau Fœbus ſe mit au corps de Ma · diant : ce Fœbus eſt vn de nos Roys, qui ſçachant ce ſecret en vſa, & ſe mit au corps de Madiant Roy de Sepiriree, lequelauoit eſté tué par vn Cerf eſtant à la chaſſe, & fit mettre ſon corps au ſepulchre deſtiné à ce deffunct, lequel corps à la fin par le moyen du tombeau eſt deue nu comme le corps d’iceluy Madiant : & pource que nos Princes redemanderent Fœbus, il s’eſt aduiſé de prendrel’ame d’vn de ſes enfans, qu’il a miſe en ſon premier corps & le nous a renuoyé.. · Voilà ce quis’eſt paſſé pour ceſte diſference vne ſeule fois. Or Sire, ce n’eſt pas tout de diſcourir des belles intelligences, & de ietter en auant des raiſons qui releuent l’eſprit, il faut certifier ſon dire, par la demonſtration : nous ſommes ſenſuels, il conuient que nos ſensiugent, & cognoiſſent ce qui eſt de leur obiet, eux eſtans en leur ordre & moyen, ſelon la condition de leur ordonnance. Et pourtant, Sire, faites que nous ayons icy quel que animal tel qu’il vous plaira, pourvoir ce qui en eſt : carrien n’eſt bien ſeur que ce qui tombe en demonſtration Le Roy fit apporter vn paſſereau mignon, & le bailla au Sage, qui l’eſteindit en tre ſes doigts, puis le mit ſur la table, à ce que le Roy iugeaſt s’il eſtoit mort., Apres le Sage ſe coucha à terre, & ayant encliné ſa te ſte ſur le corps de l’oiſeau, qu’il auoit diſpo ſé comme il eſtoit requis, l’haleina, & luyin ſpira ſa vie, & laiſſant ſon propre corps ſans mouuement : l’oiſeau ſe leua, & voleta çà & là : Le Roy au depart de l’oiſeau, toucha le corps du Sage, luy taſta le poulx, & le trou ua ſans ame, ſemblable à ceux qui ſont treſ paſſez, & vid que l’oiſelet ſe donnant carriere, bricoloit par les aërs : Le Roy eſtoit tout plein d’eſtonnement, voyant ceſte merueille, & que ce paſſereau ſe mouuoit gayement, & tout de meſme que quand ſa premiere vie l’agitoit, puis iettant l’œil ſur le corps du Sage ſans mouue ment eſtendu, priué de reſpiration, auoit hor reur de le voir, admirant toutesfois ceſte ex cellente practique. Le paſſereau volleta con tre vne parroy, & s’arrefta vers vn petit trou, & vn peu apres comme laſſé de ces vireuou tes, ſe vint relaiſſer aupres du corps giſant à bas, & ioignant ſon bec à la § cloſe, y reſtitua l’ame, l’inſpirant ſi doucement, qu’el le coula en ſon premier domicile, & le Sage tout entier ſe § deuant le Roy, tout rauy de tel myſtere. Le Druyde ayant repris ſes organes, apres s’eſtre recogneu, dit au Roy, Sire, vous m’auez veu voler & arreſter en vn endroit que i’ay remarqué, & bien conſideré, pour vous en aduertir, & auſſi afin que vous ſçachiez que tout mon iugementeſtoit en moy : Ie vous aduiſe qu’ilya là vn petit pertuis, où i’ay veu quelque choſe qui eſt de conſequence, car le cachet Royal eſt poſé deſſus, Le Roy fit apporter vne eſchelle, & luy-meſme y monta, our voir ce que c’eſtoit. Il attira ce qui paroiſ ſoit, & trouua vne petite layette caree en face, & longue de corps, couuerte de velours tout vſé, cachettee de laque pure & brillante. Le Roy deſcendul’ouurit, & y trouua deux lames d’or eſcrites des deux coſtez en lettres Hebray qu§ d’azur : le Sage les leut auec le Roy, & # §uerent, l’interpretant, quele ſens de l’ eſcriture eſtoit, que ſous la coulonne de la ſale eſtoit vn vaſe de criſtal plein de la bonne grace. de Xyrile, lequel vaſe auoit eſté mis en cet en droit par le grand pere de la Royne deffuncte, ce qu’ayſémentils cognurent par le nom & enſei gnes qui ſ’y trouuoyent, & au reſte l’intention & action en eſtoit declaree : Le Roy fit dreſſer ceſte traduction en belles paroles, & engrauer en vn tableau qu’il a enuoyé n’a pas long têps en Amerimnie, nous l’y l’irons ſi Dieu nous y con duit.Apres que le Roy euſt par effectentendu, † Sage eſtoit vraye, ill’embraſ a lui donnât la gloire du plus parfait qui futon ques. Le Sage pourſuiuant ſon deſſein, enſeigna au Roy à faire le meſme, luy monſtrant com me il falloit vſer del’eſſence de roſes blanchies, en laquelle eſt l’aymantine vertu, qui attire & pouſſel’ame de corps en corps ; Le Roy inſtruit ſuffiſamment, s’eſſaya ſur vn oyſeau ſe donnant vne lieſſe extreſme en volettät parmi le cabinet, en ce plaiſir il remarqua l’vſage desaiſles, & des’organes, † les meuuent pour ſ’eſleuer & vo † dans les œrs, l’ayât practiqué deuant le mai re, & ſouuent a part ſoy, il ſe rendit expert & ſeur en ceſte miraculeuſe ſcience, au moyen de laquelle il ſe promena ſouuent parmi le peuple en forme de leurier, & quelquefois au corps de quelque condamné, auquelil faignoit auoit dö né grace, afin qu’il fut admis parle peuple : ce qui luy ſucceda merueilleuſemët au gouuernement de ſon eſtat.

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DESSEIN DIXNEVFIESME.


Le Roy enſeigne ſon ſecret à vn ſien mignon, dont il ſe trouue mal car il le trompa & ſe mit en ſon corps. Le Roy eſt long temps en vne biſche, d'ou apres pluſieurs fortunes ſe met en vn paroquet. Iugement du paroquet. Il eſt donné à la Royne.



IL y auoit deſia quelques annees que le Roy auoit acquis ceſte ſapience, & qu'il la practiquoit. Et quand les Fortunez arriuerent en ceſte iſle, il n'y auoit pas plus de quinze iours qu'il luy en eſtoit eſcheu vn terrible ſuccés, au raport duquel les Rois apprendront à choiſir ceux qu'ils voudront aymer, & à diſpoſer ſagement de leurs ſecrets. Ce Roy ſ'eſtoit adōné à vouloir du bien à Spanios gentilhōme de belle apparēce, & tenu pour ſage en ſes opinions, & ſ'affectionna tant de luy qu'il le fit ſon intime amy, grād chābellan & premier de ſon conſeil : Il ne pouuoit viure ſans lui, pource que ſon cœur s'eſtoit ſi viuement & vniquement incliné à lui, qu'il n'aymoit & ne faiſoit cas que de ce cheualier, lequel ſe rendoit ſi complaiſant au Roy, qu'il n'auoit fiance qu'en lui ſeul. Ce perſonnage ſ'appuiant ſur l'amitié de ſon maiſtre qui ne lui celoit rien, ſ'auantura de lui tenir propos de ſon ſecret, & le remerciant de ſes biens faits, luy diſoit qu'il eut deſiré d'eſtre capable de telle ſcience, pour auec l'vſage d’icelle le ſeruir plus dignement : Le Roy trop violentement eſpris de cet homme, lui enſeigna liberalement ce qu’il en ſcauoit, & le tançant de ce que pluſtoſt il ne l’auoit demandé, lui fit tellement practiquer qu’il le ſceut du tout, & parfaittement. Spanios tres-aiſe de ſi bonne & grande fortune, tout confit de contentement en ſon cœur, ſ’eſleuoit par deſſus toute bonne auāture, & faiſoit des deſſeins de non petite conſequence. Ce mignon du Roy ſe voyant auancé en tant de felicitez, ſe mit en la fantaiſie de nouueaux deſirs, & pretendant aux ſouueraines voluptez, ſe debanda du deuoir, pour vaquer à la recherche, des occaſiōs, pour venir à bout de ſon entrepriſe. Qui a-il au monde que la fureur de concupiſence ne face tenter à celui qu’elle domine ? il auint que le Roy eſtant à la chaſſe, Spanios qui iamais ne l’abandonnoit, trouua moyen de le diſtraire, & le deſtourner ſi loin de toute compagnie, que ſ’auiſans ils ſe trouuerēt égarez, & qu’ils n’auoient pas bien ſuyui les alleures du cerf ains auoyent pris le change. Donques retournans au petit pas pour ouïr & ſe r’alier & reprendre leurs briſees, voila que deux belles ieunes biches ſe preſenterent leuans la teſte, & dreſſans les oreilles, Spanios qui vid que la fortune lui ſuggeroit vn beau moyen, dit au Roy qui n’auoit garde de le deſdire, Sire, vous plairoit-il que nous allaſſions en ces Biches, faire deux ou trois paſſades de plaiſir ? LeRoy s’y accordāt en tire vne qui tōbe morte, & Spanios de meſme en met vne à bas, apres quoy ils mettent pied à terre & attachent leurs cheuaux chacun à vn arbre le Roy va vers vne biche, & Spanios auſſi vers vne, incontinent celle du Roy ſe leue & ſe met à tirer païs ; ce que conſiderant Spanios va droit au corps du Roy, qu’il releue & laiſſe le ſiē giſant en bas, puis mōte ſur le cheual royal & donne les champs au ſien, en cet eſtat ayant laiſſé ſon propre corps, & celui de la Biche, il tire où il penſe trouuer la troupe. Il fut rencontré par les Gentilshommes & autres qui cherchoyent le Roy, & il retourna auec eux. Sur le ſoir qu’il eſtoit au Palais, on apporta le corps de Spanios qu’on auoit trouué mort aupres de la foreſt, la plainte en fut faite, & les obſeques ordonnees pour les iours ſuyuans. Or eſt-il que la nuict precedent cet acte, le Roy n’auoit pas couché auec la Royne, & ceſtui-cy eſtant retourné veint à la chambre de la Royne, où il y auoit force Dames, & veint l’entretenir preſque à la façon qu’auoit accouftumé le Roy, elle qui eſtoit ſage & accorte, & des plus auiſees du monde, auec ce qu’elle auoit de doctrine acquiſe, l’oyant diſcourir : & puis ſachant la mort de Spanios, entra en quelque ſoupçon, ioinct qu’elle ſçauoit bien que le Roy auoit apris ſon ſecret à Spanios, elle voyoit bien le corps aymé de ſon Roy, mais elle n’y apperçoit point les effects de ce bel eſprit, le preſent n’auoit pas les belles pointes de ſon ſeigneur, ſon ame iuge qu’il y a de la fraude en ceſte ame. Bien eſt-il que chacun voyoit ce Roy tout morne, mais on eſtimoit que c’eſtoit à cauſe de la perte de ſon mignon, & luy n’eſtant aſſeuré en ce corps, eſcoutoit & peu à peu ſ’arraiſonnoit pour ſous la feinte de dueil, s’eſtablir en ce qu’il deſiroit. Vn petit apres que la nouuelle de la mort de Spanios fut venue, & que ce Roy eſtoit ſorty pour en or donner, la Royne mit ordre à ſon affaire, telle ment que quand ce Roy r’entra où elle eſtoit, elle feignit auoir mal au cœur, & comme il la conſoloit & l’enqueſtoit de ſon mal, lui dit. Ha Monſieur, ie n’ay peu diſner auiourd’huy, tantie me ſuis trouuee mal, & de fait, ie me ſuis iettee ſur mon lit, où au lieu d’auoir reposie me ſuis endormie, & ay ſongévn ſonge qui m’a fort af fligee : ie croy que quand vous eſtes entré la pre miere fois, vous auez peu iuger de mon altera tion d’eſprit : car voſtre preſence m’a eſmeuë, pource que ie me ſuis ſouuenue qu’il y a vn mois, † vous fiſtes pareille entree, que i’auois fait auſſi vn sêblable ſonge queievous conté, & vous m’entenſaſtes vn petit. Ie vous iure que la reiteration m’a vn peu troublee, & ie craignois de vous en parler, à cauſe de ce que m’en auiez dit.Diſant cela, elle le regardoit attentiuement, & luy croyant qu’elle ditvray, ne faiſoit point autre ſemblant & ſetaiſoit en reſuant, à cela elle iugea qu’elleauoitbié penſé, parquoy elle pour ſuiuit : helas ! il m’eſtoit auis à ceſte fois qu’vn lyon vous pourſuiuoit, & toute enſurſautie me ſuis reueillee : ſans doute ſi Gaze n’eut eſté au res de moyie fuſſe deffaillie. Lors Gaze faite à † de ſa Dame, adiouſta, Naman, Sire, ſi nous ne luy euſſions donné vn peu d’eau celeſte, ie croy qu’elle fut paſſeetant elle eſtoit tranſie ; LaRoyne pourſuiuit.Si toſt que i’ay eſté allegee, metrouuant mieux (cari’ay eſté bien taſtee de, crainte & de deſplaiſir) i’ay propoſé en mon cœur que quädie vous reuerrois, ievous requera rois d’vn don. LE RoY. Quel don deſirez vous pour voſtre ſanté & reſiouiſſance ? il n’y a rien que ie puiſſe, que vous n’obteniez de moy. LA RoYNE. Qu’il vous plaiſe que ie puiſſe accôplir vn veu que i’ay fait, & qu’il vous ſoit agreable que ie detneure icy en ma châbre auec mes fem mes, ſans qu’hôme aucû y entre, ny autres dames & ce par l’eſpace de quarante iours, que ie deſire paſſer en meditations & prieres, & que me faciés cét honneur, de vouloir auſſi vous tenir de vous approcher de moy, à ce que plus deuotement, & d’vn cœur plus pur & tout à moy, ie puiſſe medi ter és deuotions que i’ay pour-penſees, pour voſtre proſperité, vous me l’auez deſia † mis deux autres fois, vous ſcauez le contentemët quinous en eſt reuſſi, & combien vous m’auez loiiee de cezele ardent, pretendant aux ferueurs deuotes qui conſolent les eſprits, en ce que ie me priuois de mon propre ſoulas, pour le deſir que i’ay qu’il vous ſoit bié, en quoy giſt mon conten-. tement.Ce Roy eſtoit en peine, car il ne deſiroit plus que la iouïſſance de Piroſe, dont de long temps ſon ame eſtoit affligee, toutesfois il ſe re ſolut à la requeſte de la Royne, & la lui accorda, moyénant qu’il eut quelquesfois les apres-diſ nees libres, de venir diſcourir vn peu auecelle. La Royne fut tres-aiſe d’auoir ainſi rencontré, & fut aſſeuree encor plus de ce qu’elle preſumoit par ſa derniere feinte.Cliambe & les Dames, cö me auſſi les Princes & Seigneurs furent eſbahis de ce qui ſe paſſoit, &ce Roy qui n’oſoit trop ſ’a— uancer, faignoit des affaires tout autres qu’il n’ auoit, eſperant que le temps & l’opportunité le dreſſeroit aux eſfaits de ſes pretétions.La Royne cömença ſesiours de douleur, & deiour en iour recognoiſſoit la fraude commiſe en l’ame de ſon ſeigneur.Cependätle Roy deſolé qui eſt enuirö né du corps d’vne craintiue Biche, venant de s’é— gayer, ſur l intentió commune de lui & de Spa nios, veint pour ſe reioindre à ſon corps, mais ar riuant au lieu où ill’alaiſſé il ne le trouue point, ains celui de ſon deſloyalvaſſal quil’a volé & de ceu, ceſte Ame royale, qui de ſa volonté ſ’èſtad donnee au paſſetemps, en a bien choiſi le ſujet, & innocemment eſt entree en vn corps irraiſonna ble, au domicile où n’ont point accouſtumé de loger les ames humaines : Mais ſe voyant trópee, dedaigne entrer au corps d’vn traiſtre, elle ay me mieux aller miſerable, ſuyuant ſes peureuſes erres, que ſe cótaminer en vn corps pollu de per fidie, & comme il eſt à raiſonner ſur ce differend, il void & oit ſes gens qui courent à ſa queſte : Au bruit, ilauiſe ce qu’il doit faire, ſa raisölegouuer | ne, il fuit où le † le peut emporter : choiſiſ ſant les voyes qui le retirent du danger. Le pau uret eſt contraint d’aller gemiſſant pour la fau te commiſe d’auoir eſté trop liberal à deſcou urir ſes ſecrets.Mais dequoy † ſert la repentan ce à ceſte heure, il faut qu’il continue ſes peines, auec infinis ſoucis & multitude de craintes ordi naires : combien de fois les chiens lui ont-ils dö né l’eſpouuante, lors qu’il penſoit que courant, ils lui pendoient aux trouſſes, quelque animal furieux le faiſoit ſouuent fremir, & aucunesfois vn grand cerf l’alloit importunant en rut bramant apres elle, que l’on pouuoit ouïr rére en ſe plaignant non de ſoif : ains de deſir de ſor tir de ceſte irraiſonnable maiſon : le iugement luy donnoit vne viteſſe plus grande, & des ruſes plus excellentes : Quelquesfois la triſte biſche tomboit en danger d’eſtre tuee par les foreſtiers, & puis eſtanteſchapee, recheoit ſoudain en d’au tres calamitez, dontl’abiſme eſtoit deuant elle : la moindre de ces miſereseſt aſſez capable de fai re entendre aux Rois, qu’ils doiuent eſtre pru dents à l’endroit de ceux qu’ils eſleuent, leſquels quelquesfois deuiennent pires que les beſtes, qui font § à ceſte pauurette, döt l’hoſte doü loureux zard qui l’accompaigne d’vne mordante melan cholie, Ainſi tranſporté, ce languiſſant eſprit agité de ſes peines, trauerſant ſous quelques ar bres, pour donner paſture à ce corps emprunté, r’encontra de fortune au pied d’vn noyer, le corps d’vn parroquet mort, mais tout chauden cor, & n’y auoit gueres qu’vn paſſant l’auoit tué par meſgarde : Ilyauoit ſur cet arbre vn grand corbeau, auquel il prit ſa viſee, mais comme il laſchoit, le mal-heureux oyſeau ſ’enuola, & le trait porta dans le corps du parroquet qui eſtoit § plus haut, ce perſonnage eut ce coup à deſdain, tellement que reprenant ſon trait laiſſa là le corps del’oiſeau, que la biſcherencontrant à propos, eſleut pour moyenner ſon bien : L’E— ſprit royal s’auiſant qu’il auroit plus de conten tement dans ce bel organe, & que les mali nes fortunes ne talonnent pas tant ces eſpeces, e laiſſa couler tout lentement par la longue haleine dont il inſpirale corps du parroquet, & ſ’inſinua dedans, ainſi la biſche cheut morte & l’oiſeau ſ’eſleua plein de vie. Ceſte ame Royale, ayant quitté le corpsde laBiche, ſe recueillit pru demment dans celui de l’oiſeau, qu’auſſitoſt ſ’eſ leua ſur les aers, & nouueau parroquet, ſ’enuola, ſe guindant où ſes belles fantaiſies le tranſpor toyent pour ſe cöſoler, &en cet eſtat pronöceant ſes doleances meſlees du chaſte ſouuenir de ſa Pyroſe, propoſoit de mettre fin à ſes ingratesde ſtinees. Vniour qu’il auoit eſpié toutes ſortes d’occaſions pour retourner en ſon † domi cile s’il y auoit moyen, vidvn oiſeleur quiauoit preparé ſes toiles, & deſia tenoit phuſieurs oi ſeaux de toutes ſortes : Il ſe hazarde d’y aller & ſe faire prendre, il donne donc en la place & l’oiſe leur le couure, & voyant vn ſi bon coup ſe diii gente, il eſt bien aiſe de prendre, l’oiſeau eſt con tant d’eſtre attrapé. Il met la main deſſus & il ſe laiſſe traiter côme domeſtique.L’oiſeleur le met en vne grande cage où eſtoiët les autres oiſeaux de ſa priſe, & retourne à ſa beſongne. Le parro quetindigné de tant de côpaignons ouure la ca ge, & döne les aersaux autres oiſeaux : le maiſtre reuenant auec d’autres oiſeaux, pour mettre en cor en ſa cage la voidouuerte, parquoyil ſe dili † de peur de perdre ſon parroquet, & referma a cage, & bien qu’il fut faſché, ſi ſe met-ilà car reſſer söbeloiſeau, & cöme s’eſt la couſtume lui diſoit, Parroquet mignon, parroquet royal, l’oi ſeau reſpondoit les meſmes paroles : hoho parro quet, ditl’höme, vous parlez, Ouy, dit le parro quet, ie ſuis parroquet royal. Le perſonnage fut bien contant de ſi bonne rencontre, & precieuſe priſe, laiſle la ce qu’il a commencé, & trouſſant ſon equipage ſ’en va en deliberation d’aller ven dre ſon parroquet : Il retourne en ſa maiſon puis diligemment ſe met en chemin auec ſon cher oyſeau : auançant chemin vers la ville, & le par roquetvoyât ſon deſlein, car ill’auoit raconté à ſa femme, incitoit ſon maiſtre à parler à luy, ce † faiſoit, & il trouuoit qu’il eſtoit excellent l Ir tous les autres, excedāt le cômun entédemët : de tels oiſeaux, & encor plus par vne belle auan ture qui ſuruint en chemin : L’oiſeleur entrant en vne bourgade où il auoit deliberé de giſter, il auint que deux gentils-hommes diſputoyent contre deux baſteleurs, auſquels ils auoyent fait faire quelques farces, pour döner † quel ques Dames, & Demoyſelles de là enuiron, & la beſongne faite, les jongleurs qui n’auoyent eſté payez qu’à demy, demandoyent encor cent eſcus, & la diſpute ſ’en faiſoit à l’hoſtelerie où eſtoitl’oiſeleur, ſi que le parroquet entédit tout, & que l’affaire ſe deuoit terminer le lendemain au matin. Quand le parroquet vid ſon maiſtre ·.. ſeulili’apella, & lui † ſi ces gentils-hom mes & les farceurs le vouloyent croire, qu’il les mettroit d’accord, & les iugeroit.Ceſte ameRo yale, encor qu’elle futindignement priſonniere, ne laiſſoit de pretendre à ce qui eſtoit de ſa char’ge, tant la iuſtice viuement emprainte en elle, la faiſoit penſer au ſujet pour lequel elle eſtoit or donnee : L’Oiſeleur ayât ouy ſon parroquet, fut cötät, & le matin venu que les parties debatoiët, il veint à eux & leur dit qu’il auoitvn parroquet qui les iugeroit s’ils vouloyent, les ioueurs qui l’auoyent veu en l’hoſtellerie, dirent tout haut qu’ils lé vouloyent bien, les gentils-hommes ſ’y accorderent auſſi, & ſe mirent les mains les vns dans celles des autres, & iurerët qu’ils tiendroiët à fait ce qui en auiendroit. Au bruit de ce qui ſe deuoit paſſer, le peuple accourut ſe mocquant des vns & des autres qui ſe ſubmettoyent à la fantaiſie d’vn oiſeau, & toutesfois en vouloit auoir le paſſe-temps. Lesioueurs quiauoyêt veu le parroquet, eſtimoyent que l’oiſeleur fut de leurs gés, & qu’il feroit quelque trait de ſoupleſ ſe en leur faueur, ce fut ce qui les fit haſter &preſ ſer leurs parties de ſe ſubmettre à la ſentence de l’oiſeau.L’heure venue & le peuple aſſemblé, les arties preſentes le pa1roquet fut # & mis § ſa cage ſur le haut de laquelle eſtantil cö manda qu’on apportaſtvnetable, ce qui fut fait, puis eſtant dreſſee au milieu de la ruë, il ſe prou mena deſſus quelques tours en grauité d’oi ſeau, apresil commanda que les cent eſcus fuſ ſent contez ſur la table & mis d’ordre, de dix en dix, cela fait, il dit qu’on apportaſt vn mirouer, uifut dreſſé au milieu de la table, les farceurs # reſiouïſſoyent de voir à deſcouuert la belle monnoye, & les gentils-hommes ſe repen toyent de s’eſtre ſubmis à ce iugement, mais il falloit attendre l’iſſue. Tout diſpoſé, ceſte ame qui ne tend qu’à faire iuſtice, ditaux ioueurs : En fansilvous faut payer à raiſon de voſtre exerci ce, & vous bailler le payement pareil à voſtre marchandiſe ; partant laiſſant ces centeſcus que ces gentils-hommes ont depoſéicy, vous aurés pour voſtre ſalaire & contentement ce qui eſt dans ce miroir : C’eſt ce que merite l’ouurage que vous auez fait, retirez vous tous, & vous gentils-hommes donnez dix eſqus aux pauures, & que ceſte amende vous ramentoiue voſtre deuoir, & qu’il faut ſ’employer à choſes ſerieu ſes, & à vous pipeurs, baſteleurs, qui deuriez trauailler en bonnes choſes, cecy vous ſera vne inſtruction & induction à ſuiure vne bonneva cation & legitime, pour ſans fraude & deception paſſer commodément voſtre vie, allez & pour vos feintes, receués des ſemblances.Cela dit, le parroquet s’eſleua fort haut & prit vne grande. volee, puis retourna apportant autant de conſo lation à ſon maiſtre qu’il lui auoit dôné de crain te, pource qu’il le penſoit perdu. Le monde aſſiſtant eſmeu de ce prodige, de voir vn oiſeau tant plein de diſcours & de iugement, fit vne grande exclamation, diſant qu’il auoit bien iu gé, parquoy les parties ſe retirerent, l’oiſelleur partit de là & ſuiuit ſon chemin, & ainſi qu’il eſtoitaux champs auec ſon parroquet, il l’arrai ſonna & le parroquet lui dit, que s’il le vouloit croire qu’ille rendroit heureux & riche, l’oiſe leur luy promit de le croire du tout, adonc illuy dit, Il faut que prudemment & ſans faire ſem blant de vous vouloir deffaire de moy, que vous aliez parler à la Royne, pour yauoir entree, de mandez vne demoiſelle qui ſe nöme Gaſe, & lui dites, ſans lui deſcouurir que cela viene de moy, quevousauez quelque choſe de cöſequéce à dire à la Royne, elle vous fera parler à elle, adonc l’a— yant ſaluee vous luy offrirez voſtre parroquet, la priant de le garder & l’eſſayer, & ſ’il ſe trouue à on gré qu’elle vous en donnera ce qu’illuy plai ra, ne faites autre choſe, carapresie trouueray le moyen de vous faire auoir du bien à bon eſcient, & tant que n’aurez que faire de tendre aux oy · ſeaux. L’Oiſeleur croyant ce conſeil ſe delibera de le ſuyure, & dés lors il penſa que ſon oyſeau fut quelqueFee, ſelon ce qu’on en conte parmi le vulgaire qui eut ſoin de lui.Eſtant arriué à la vil † droit au chaſteau, & demandale logis de laRoyne quel’on luimonſtra eſtant là il deman da à parler à madame Gaſe, laquelle on fit venir · & apresauoir parlé enſemble, elle l’introduiſit deuant la Royne, qui lui demanda qu’il vouloit & quelil eſtoit. L’o 1 s E L E v R. Madame ie ſuis vn pauure oiſeleur qui ay pris vn excellent par roquet que voila, que ie vous preſente ſ’il vous eſt agreable, vous m’en donnerez ce qu’il plai ra à voſtre majeſté. Ayant dit cela, il tire de deſſous ſaiuppevne petite cage couuerte de drap gris qu’il leua, & la Royne vid ce parroquet, puis il dit, Madame, ſi dans quinze iours il ne vous duit, ie leviendray querir : mais, Madame, ie vous aſſeure qu’il n’ya rien d’égal au monde : Il luy raconta les actes de cet oyſeau, & le luy laiſſa, & la Royne luy baillavne bague, luy di ſant qu’il la raportaſt quand il viendroit pour r’auoir ſon parroquet ou le prix d’icelui, adiou ſtant que ſelon l’eſſay & ce qu’elle en trouue roit, qu’elle luy payeroit, & ſi ce qu’il diſoite ſtoit vray, qu’elle le recompenſeroit. L’oiſeleur ſortilaRoyne fut touchee en ſon cœur, & ne ſca’uoit ſ’il y auoit en cecy quelque artifice, toutesfois remettāt tout au temps fit mettre le parroquet aupres de la cheminee contre ſa chaire.

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DESSEIN VINGTIESME.


Le Parroquet ſe deſcouure à la Royne. Ils deuiſent ſouuent enſemble. La Royne fait vn ſonge & incite ce Roy à faire le beau ſecret. Il ſe met en vne poule, & le parroquet r’entre en ſon propre corps. La poule eſt priſe.



TOvt animal deſpayſé ou deſlogé eſt triſte, & auant que ſ’eſtre recognu ne fait pas ſes actions comme au parauant : cela fait croire à la Royne, que c’eſt la cauſe pour laquelle ſon parroquet ne parle point : car depuis qu’il fut poſé en ce lieu, où elle luy deſigna ſa place, il ne parla, ny beut, ny mangea, ains comme plein de grande ſolicitude, eſtoit ne plus ne moins qu’en conſideration. Le lendemain ſur le ſoir, ce Roy veint voir la Royne, & fut quelque peu de temps auec elle, mais auec tant de reſpect qu’il eut ayſément paru qu’il n’y eut eu aucune particularité entre ces perſonnes-là. Le parroquet y veilloit attentiuement, obſeruant tous les geſtes de la Royne & ſes comportements : Trois iours ſ’eſtans ainſi paſſez, la Royne ſ’auiſa de ſon parroquet, & dit à Gaſe : i’ay pardonné à ce parroquet, pource qu’il n’eſt pas en ſon cognu, mais s’il ne fait autrement, ie le renuoyeray. Adonques le parroquet ſongea en ſoy-meſme ce qu’il deuoit faire, & ſe trouuant en vne extreme peine, ſe reſolut tellement que ſur le midi il commença à dire, Parroquet mignon. La Royne veintà lui, & lui dit, Mon petit parroquet vous n’en dites gueres. le parroqvet. Vous n’en dites gueres. La Royne. Parroquet mon mignon parlez donc à moy le p. Ie me tais pour le ſeruice de ma maiſtreſle. la r. vous eſtes beau parroquet. le p. Il eſt beau qui a belle Dame. La Royne toute ſatisfaite dit à Gaſe, vraiment ma fille ce parroquet eſt des meilleurs, il le faut vn peu laiſſer r’aſſeurer. Le parroquet prenoit garde que la Royne ne ſortoit point, peu de gens la venoient viſiter, elle eſtoit comme ſolitaire, & n’auoit pres d’elle que les ordinaires de ſa chambre, & que ſi ce Roy venoit, il n’y eſtoit gueres, en apres il oyoit les diſcours qu’elle faiſoit à Gaſe, dont il iugeoit que ſon eſprit auoit de l’inquietude, ioint que la nuict il l’oyoit ſouſpirer, regretter, & ſe lamenter. Parquoy vn iour qu’elle auoit enuoyé ſes femmes, qui ça qui là, & que par hazard elle fut ſeule elle ſ’aprocha de ſon parroquet, qui tous les iours lui degoiſoit quelque nouueauté, & à ceſte heure là, cōme il la ſentit ſi pres de ſoy, la regardant d’vn œil de pitié il fe mit à ſouſpirer : la Royne ſ’auiſant de ce geſte, ne ſceut que preſumer, ſinon que ce fut quelque bon Demon, preparé à ſon ayde, ainſi qu’elle y penſoit profondement le parroquet lui dit, Mon eſſence, ie parle à vous. Si toſt qu’elle eut ouy ce mot, qui eſtoit le cher ſymbole de l’aliāce du Roy & d’elle, elle fut eſmeuë, dont elle dit, Mon mignon qui eſtes vous : le par. Belle Royne ie ſuis auiourd’huy en voſtre puiſſance, pour eſtre conſerué ſi vo° le voulez, ou acheué de ruiner ſi vous le deſirez : de vous ſeule depend l’acheuemēt de ma miſere, ou le renouuellement de mō bien. la royne. Quoy mon parroquet, vous auez biē du iugemēt, & du diſcours, vous m’auez dit vn mot qui eſtoit particulier à mon Roy & à moy, eſtes vous point quelque eſprit qui ſous ceſte figure d’oiſeau, vouliez ſcauoir mes affaires ! le par. Si mon ſecret vous eſt cognuie vous prie le tenir ſecret, & faites ſelon voſtre prudence. la royne vous m’eſpouuantez, parroquet. le par. Il n’y a point de cauſe de crainte, car ie ſuis ſous voſtre pouuoir, mais reſpondez à mon ſecret. la roy. mö cher parroquet ie cōmence à m’aſſeurer, voſtre ſecret ſera le mien. Cela dit, il lui conta amplement ce qui eſtoit auenu, & cōme ayant trop aymé Spanios, à qui il auoit declaré le beau ſecret, il l’auoit trahi, lui disāt ce qui c’eſtoit paſſé. Depuis ceſte heure là, la Royne voulant ſe retirer & recreer, elle auoit recours à sō parroquet, entretenant ce royal oiſeau qui lui faiſoit le diſcours de ſes fortunes, craintes, & deſirs, & elle le conſoloit l’aſſeurāt de ſon amitié parfaite, ce qui ne ſe paſſoit gueres, que la triſte Royne n’arrouſat la cage de l’oiſeau tāt aymé de ſes pudiques larmes, pleines de cōpaſſiō & d’amour, car le ruiſſeau en couloit de parfaicte affectiō, ces cheres goutes eſtoyent toutesfois pour la pluſpart pluſtoſt ſechees qu’aſſemblees, & bien que ſouuent elles fuſſent toutes de feu, l’angoiſſe les refroidiſſoit ſi lentement, que la pitié germoit à leur rencontre. En telle ſorte la pauure Dame aux heures deſrobees en ceſte deſolee conſolation ſouſpiroit tendrement deuant celuy ſeul qui demeure en ſon cœur, lequel cognoiſſant ce grand amour plein de loyauté, luy remonſtroit paiſiblement qu’il eſtoit beſoin de patience, & vſer d’vne grande prudence, afin de ne troubler rien, & de ne ruyner les affaires, eſtans ſoubs la puiſſance d’vne main plus forte, de laquelle il falloit attendre & endurer, tant que l’on peuſt auoir barre ſur elle, & qu’eſperant il conuenoit viure auec diſcretiō, & ſecretement. Ces deuis familiers durerent quelques iours, durant leſquels elle deſcouurit au parroquet ſon doute, ſes penſees, ſa feinte pour ſon ſuiet & tout ce qu’elle eſperoit. Voilà que c’eſt de la verité interieure, qui a telle force, que ceſte Dame n’a tenu conte de l’apparence de ſon bien, & auiourd’huy qu’elle en a la verité ſpirituelle, s’y tient tellement addonnee, qu’elle n’a delectation qu’à l’entretien de ſon fidele oyſeau, ſur la vie duquel ſans doute le traiſtre machineroit s’il le cognoiſſoit cepédāt il meurt de deſplaiſir de ne pouuoir obtenir ny oſer demander le doux ſoulas qu’il eſpere en la iouyſſance de la Royne. Les femmes de la Royne ſont fort eſbahies de l’affection qu’elle a vers ceſtoy ſeau : Elles ne l’euſsēt point trouué eſtrāge ſi elles euſſent ſçeu ce que c’eſtoit, & que par ainſi elles ſe fuſſent miſes diligément à eſplucher la grace que l’on perçoit en l’entretien d’vn bel eſprit bien-aymé, & de combien ce contentement excede l’ombre du plaiſir qu’on rencontre en la iouyſſance d’vn corps ſuiet à corruption : le ſoin qu’elles ont de ceſte action de leur maiſtreſſe euſt ceſſé, & leur cœur ſe fuſt eſiouy de ce que elle n’a plaiſir certain que celuy qu’elle ſauoure aupres de l’eſprit tant aymé : telle eſt l’affection des ſages Dames, dont les delices ſpirituelles ſont les excellentes ioyes de leurs cœurs. Le tēps concedé à la Royne s’eſcouloit, & le terme s’approchoit, ſi qu’il falloit ou tout perdre, ou reſtablir ce qui eſtoit deſcheu : Auſſi conuenoit terminer, les ingrates fortunes du triſte Parroquet, ſelō le conſeil duquel vn iour que ce Roy vint viſiter la Royne, il la trouua en l’eſtat qu’elle s’eſtoit preparee paroiſſante dolente, & à l’apparence de ſes yeux battus, de ſon geſte r’abaiſſé, de ſa grace diminuee, & à la diſpoſition d’vne petite mignardiſe deſdaigneuſe, il sēbloit qu’elle euſt au cœur vne viue douleur ou quelque grand meſcontentement, dont il fut fort eſtonné & luy demanda auec demonſtration de vehement amour ce qui l’incommodoit & donnoit occaſion de ceſte triſteſſe. Elle luy vſa de quelques mignons propos comme auant-coureurs, & continuant dit, Il y a deſia pluſieurs nuicts que ie ſuis en grandes inquietudes, & me trouue fort en peine, & ſur tout approchāt de la fin du tēps que m’auez octroyé pour ma ſolitude, dont ie voudrois ia eſtre quitte, & que i’euſſe retranchee fort volontiers, n’euſt eſté que i’ay crainte d’eſtre eſtimee volage, & ie vous aſſeure que depuis cinq ou ſix nuicts les ſonges m’ont diuerſement agitee : Il me ſembloit vne fois que vous eſtiez courroucé contre moy, & que vous demandant pardon vous ny vouliez point entendre : vne autrefois ie cuidois que quelque indignation vous occupoit, qui faiſoit que ie ne vous eſtois plus agreable, ces penſees me reſueilloient auec peine, & puis me recommandant au ſommeil pour y trouuer repos, le ſonge me venoit encores incommoder, & ſe rendant plus faſcheux ne me donnoit aucune remiſe : car laiſſant les mauuaiſes figures qui m’auoient trauaillee, m’offençoit de plus cruelles, les imprimant fermement en ma fātaiſie : Et meſme ceſte nuit derniere il m’eſtoit aduis que pour auoir quelque conſolation ie vous ſuppliois que pour l’amour de moy, ainſi que pluſieurs fois vous l’auez faict, vous vous miſſiez en quelque corps d’oiſeau, & que vous m’en eſconduiſiez, croyez-moy que i’ay tant eu celà en la teſte, que i’en ſuis ſi troublee, que i’en perds repos & plaiſir, & qui pis eſt, ces ſignes m’oſtent l’aſſeurance de vous en ſupplier : toutesfois ie ſuis preſque remiſe, d’autant que vous ayant pleu ſçauoir l’occaſion de ma triſteſſe, & que ie la vous declare, vous ne trouuerez point mauuais que ie vous ſupplie pour recreer mon eſprit, & le retirer de la deffiance où il ſe veut gliſſer, que ie vous voye encore faire le beau ſecret. Ce Roy qui auoit le corps & non la memoire royale, ne ſçauoit pas ſi elle auoit veu ce qu’elle diſoit, parquoy il en croyoit ce qu’elle aduancoit, donc il luy reſpondit, Vous auez tort que vous ne m’en auez pluſtoſt parlé, ie ne vous euſſe pas fait languir apres voſtte deſir, voſtre propre ſilence vous a moleſtee, faites apporter icy quelque animal, & vous en aurez biētoſt le plaiſir. La Royne commanda à Gaſe de faire apporter vne poule viue : Cecy auoit eſté fort biē aduiſé, par ce que c’eſt vn animal qui a le iugement tardif, à cauſe des organes qui ſont diuiſez au cerueau : & partant que l’ame ſeroit long tēps en ce corps auant que d’eſtre auertie, & peut vſer de ſes propres functions, & puis le corps en eſt foible au prix de celuy du parroquet, qui eſt plus nerueux, ce qui fut arreſté & conſideré, à ce que s’il ſe fuſt fallu battre le parroquet euſt eu le deſſus, ainſi tout preueu, la poule apportee, la Roy ne trouua moyen de faire ſortir ſes femmes, pour demeurer ſeule auecce Roy, lequel print la poule, & la tua, puis s’eſtant diſpoſé de ſon long ſur le tapis, inſpira l’ame dans la poule, la quelle ſe releua & chemina par la place vers l’autre bout de la chambre : à lors la Royne ſe mit entre le corps & la poule : & le parroquet, la cage ayant eſté ouuerte, ſortit promptement, & ſe ietta ſur ſon corps, & par la vertu d’inſpiration, reſpiration & expiration, remit l’ame dans le legitime corps, dont elle auoit eſté ſi longuement diſtraite. Alors le Roy ſe leua, ce que voyant la poule ſe trouua fort eſtonnee, ainſi qu’il eſt à preſumer : car qu’eſt-ce qu’elle peut plus ? les organes de ce malheureux corps n’ont rien de propre à la prononciation, elle ne peut demander miſericorde, de s’enuoler pour euiter le danger il n’y a pas moyen, tout eſt clos, de reſiſter elle eſt trop foible, il faut qu’elle ſe cache pour auoir quelque minute de reſpit & temps à ſe depiter puis perir. Et puis oyant le Roy luy dire Malheureux & meſchant traiſtre, que i’ay tant aymé, & m’as ſivilainement trahi, tu ſeras puny, cruel Spanios, & periras miſerablement, auſſi bien es-tu deſia enueloppé de miſere. A ce coup la craintiue poule ſe va muſſant és recoins & endroits ombreux de la chambre, mais pour neant, car à coups de baſton elle eſt raddreſſee par vn iuſte vengeur de ſa propre offence, qui la ſaiſiſſant par les aiſles la retint, luy communiquant autant de peur voire plus que ceſte ame deſconfortee n’auoit eu de contentement de ſon exaltation, puis la fit mettre en vne cage de fer, luy ayant fait couper vne aiſle au ras du corps, & la laiſſa là en priſon, luy faifant donner des peurs intollerables. Quelquesfois vn renard priué eſtoit mis pres cette cage qui marchādoit la poule, vne autre fois vn ſoldat paſſoit, qui diſoit que il la falloit couper membre à membre, & la dōner en capilotade aux corbeaux : les pages & laquais luy faiſoient mille affres, diſans que ceſte maudite poule ne preſageoit que malencontre, ainſi ceſte ame miſerable tiroit deſia ſes malheureuſes penitences. La Royne apres auoir recouuré ſon deſiré Seigneur en eſtat parfait de ce que il auoit éſté, laiſſant à part & luy auſſi les mageſtez & auſteres retenues que la ſerieuſe qualité Royale introduit au deſaduantage des couſtumes d’amour, ſe iette à ſon col, l’embraſſe & le carreſſe, & luy de meſme ne ſe preſumant que mary bien aymé, en aymant ſe colle entre les bras de ſa deſiree, & ainſi ſe font mutuellement vn recueil le plus agreable qui ſe puiſſe imaginer entre les receptions & rencontres amiables de perſonnes ſe ſouhaittans vnanimement, & ſe conſolerent reciproquement. Ceſte fortune fut diuulguee, feux de ioye en furent faits, les Princes s’en eſiouyrent, les grands en eurent du plaiſir, & le peuple du contentement : & en ces delices le corps du parroquet fut dignemēt embaumé, & luy fut faict vn riche & excellent Cenotafe, pour ce qu’il auoit eu l’honneur d’auoir logé en ſoy l’ame Royale. La Royne enuoya querir l’oiſeleur qui fut biē appointé, car le Roy l’ennoblit & tous les ſiens le faiſant premier au turſier, & Gentilhomme ordinaire de ſa Chambre. C’eſt vne notable amitié que celle qui ſe pratique par la frequentation & rencontre : le Roy le cognoiſt, & ſon cœur ne peut qu’il n’ayt quelque douce inclination de ſouuenance, vers la biche où l’ame Royale a logé, par † bien qu’il ſcache & croye qu’elle eſt con ommee, ſi eſt-ce qu’il monte à cheual, & va ſur le lieu, où il ſcauoit l’auoir laiſſee, & y fit baſtir vn petit edifice, qu’on nomme encore Biche-raiſon, où eſt la figure entiere d’vne Biche toute d’or, & meſmes elle eſt vn Taliſmam, qui a telle vertu, que les Biches qui ſe rencontrent à vingt & vne toiſe pres de là, ſont hors de tout danger.


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DESSEIN VINGTVNIESME.


Execution de la poule. Vne belle Dame arriue en Quimalee, & Viuarambe l'accoſte. Elle iuge que ces trois freres ſont les Fortunez, auſquels apres elle deſcouure qu'elle eſt Etherine. Canocoïs diſcourt de l'auanture d'Etherine depuis qu'elle fut expoſee. Les Fortuuez retournent en Glindicee.



LA triſte poule portoit encores en ſoy les penitences du malheureux Spanios, quand les Fortunez vindrent en l'iſle, & le Roy leur cōta en particulier toute l'hiſtoire ainſi qu'elle s'en eſtoit paſſee, & leur demanda conſeil ſur ce que meritoit ceſt animal deſolé : Ils luy donnerēt auis de faire le procez à Spanios, cōme à vn traiſtre, & de ietter la poule en la partie du foſſé du donion où eſtoient nourries les viperes que l'on conſeruoit pour faire la Theriaque, à ce qu'eſtāt ſans aeſles, elle fuſt exterminee par ces dangereux animaux, ce qui fut executé apres que leRoy l'eut communiqué à ſon conſeil, & ce ne fut pas ſans que la loüange de la Royne fuſt exageree, car ſa prudence, ſageſſe & pudicité, auec l'excellence de ſon amour furēt cognuës par vn meſme effet, & tel que la gloire en paroiſtra eternellement à l'honneur des Dames. Or le temps auquel les Fortunez attendoiēt pour retourner en Glindicee, & auſſi la ſaiſon de deſplaiſir pour les deux : chaſtes amãs s’approchoit, & cependāt les deux cœurs vnis par l’amitié reciproque eurēt moyen de conferer enſemble & ſe iurer fidelité & parfaite ſouuenance. Cliambe fut fort ayſe d’auoir ſecrettement ſceu de Caualiree ſon eſtat, conditiō & race, ce qu’elle tiendra ſecret en ſon cœur iuſques au temps qu’il ſera libre de ſe manifeſter, & toutesfois elle portoit aſſez impatiemment ceſte departie qu’elle faiſoit retarder par tous les artifices qu’elle pouuoit, meſme le Roy ſans ſçauoir les cōceptions de ſa fille apportoit tout ce qu’il luy eſtoit poſſible pour retenir vn petit ceſte cōpagnie tant agreable : la fortune amie leur ayda en ce que tout incontinant que la mer fut ouuerte, il arriua tout ioignant du vaiſſeau des Fortunez vn Nauire Aſiatique, chargé de diuerſes marchandiſes de prix. Le Maiſtre du vaiſſeau mit pied à terre, ce que virent les Fortunez qui parloient à leurs Nautonniers pour tendre biētoſt les voiles, & leuer les ancres, & le marchād les voyāt de belle apparēce s’addreſſa à eux, les priāt qu’il euſt moyē & cōgé de faire ſon trafic en l’iſle, & y debiter ſes marchandiſes : Caualiree qui ſçauoit la couſtume du pays luy dit, Mon pere, vo° eſtes és terres d’vn Roy qui reçoit tous ceux qui abordent icy : auſſi ce Royaume par les anciennes loix eſt le pays cōmun de tout le monde : Le vieillard le remercia fort courtoiſement & retourna en ſes vaiſſeaux dont il fit ſortir quelques gens auec des hardes, & en ceſte cōpagnie eſtoit vne belle ieune Demoiſelle accōplie en beauté, releuee de grace & de façon, ſentāt fort ſon biē. Viuarambe qui de plus pres y prit garde, laiſſant ſon aiſné qui ſ’adreſſa au bon homme, & l’autre entretenoit ſes propres penſees, accoſta ceſte belle, laquelle ſe voyant bien rencontree, & penſant que celuy qui l’abordoit eſtoit quelque ſignalé du pays, ne fit point difficulté de receuoir ſa courtoiſie, & ſe laiſſa conduire par luy lequel apres quelques propos mutuels, cognoiſſant qu’elle auoit en l’ame quelque difficulté, luv dit, Belle il ſemble ou que vo° ſoyés fatiguee, ou que vous ayés aux cœur quelque grande detreſſe, elle luy reſpond il n’y a perſonne qui ne ſoit ſujette à l’affliction. Vivarambe. Les belles qui ſont vertueuſes, telle que ie vous eſtime, ſçauent bien deſtourner leurs ennuis ou les ſupporter. La Belle. Il eſt vray, quand il y a du remede, Vivar. Auez vous tel deſplaiſir qu’il n’y ait point moyen d’y remedier ? La Belle. Ie ſuis bien marrie que vous ayez auiſé mon humeur deſplaiſante, & ce m’eſt vne grande indiſcretion d’auoir paru de ſi peu de courage, & n’auoir peu bien diſſimuler, toutesfois puis que vous m’auez ſurpriſe & que ie vous penſe galant gentilhomme, & ſçachant qu’en ce royaume la liberté eſt la premiere loy, le vous diray librement, qu’à dire vray ie ſuis triſte. Vivaram. Comme la liberté eſt icy, auſſi il y a moyen d’y trouuer remede, & conſeil en affaires, parquoy n’ayez point de regret de vous en eſtre ouuerte à moy ; ains ouuertement racontez-moy ce qui vous preſſe, & poſſible par conſeil, artifice ou force, i’auray le moyen de vous deliurer de Peine. La Belle. A vous ouyr parler, ie croi que c’eſt la courtoyſie du païs qui le vous fait dire, car autrement il n’y a point d’aparence veu que vous ne ſçauez qui ie ſuis. Vivarambe. Mon propre deuoir me fait parler de la ſorte La Belle. Quel deuoir auroit vn braue cheualier, vers la fille d’vn pauure marchand. Viv. Ie ne prens point cognoiſſance ſi vous eſtes fille de ce marchand, ie n’ay eſgard qu’à la grace que i’ay deuant moy, qui promet plus que d’vne ſimple Damoiſelle. La Belle. Puis que vous auez ſi bonne opinion de moy, ie ne veux pas perdre ce hazard ; & puis à vous voir i’eſtime a uoir ouy parler de vous. Vivarambe. Et bien voila vne belle feinte. La Belle. Monſieur, permettez moy de me retirer, puis que vous deſchees de la bonne penſee que vous aués de moy, eſtimant que i’vſe de feinte. Vivar. Ces traitz partent de trop d’eſprit. Non ie ne vous permettray rien, ains tant que ie pourray ie vous forceray par courtoiſie, afin de ſçauoir vos affaires pour vous y ſeruir. La Belle, Pourquoy m’eſtes vous ſi fauorable ? Vivar. Pource que ie ſuis ſeruiteur des Dames & que ie deſire leur faire vn ſignalé ſeruice en vous ſeruant. La Belle, Puis que vous m’aués tāt obligee, ie vous ſupplie qu’il vous plaiſe nous faire l’honneur de nous voir à l’hoſtellerie, & ie vous racōteray vne nouuelle merueille en vous faiſant voir pluſieurs raretez. C’eſtoit icy le temps oportun de prēdre congés où ils approchoient du logis où le marchand entra auec ſon train, & les Fortunés le recommenderent à l’hoſte & promirent de venir Voir la marchandiſe apres midy : Cette belle Damoyselle auoit, fort pris garde aux Fortunés, croyant qu’ils eſtoiēt ceux dont elle auoit autre fois ouy parler, cela fut cauſe que ſi librement elle parle auec Vivarābe, lequel à l’heure deſiree fit partie auec ſes freres d’aller voir ce marchād, pour deſcouurir qui eſtoit ceſte belle, Ils vindrēt donques aux lieux où elle eſtoit, & le marchand les mena en ſa chambre où ils virent ceſte belle comme vn eſclair brillant au commencement des tenebres : Il eſt à croire que ſi leurs cœurs euſſent eſté libres, il n’y euſt pas eu moyen de ſ’echapper des flammes excitees par ces beaux yeux : Eſtans entrez ils trouerent ſur la table des inſtruments de muſique, & demāderent qui ſ’en aydoit, la Belle dit que c’eſtoit elle qui en faiſoit meſtier, & que ſ’ils deſiroient en auoir le plaiſir que tout incontinent elle leur en donneroit le paſſetēps : c’eſtoit leur preparer ce qu’ils demandoient : parquoy auſſi toſt ils ſ’y entremirēt auec elle, luy diſans qu’ils y prenoyent plaiſir, & l’accompagneroyent : Elle dit quelques airs puis les prie que tous enſemble ils chantaſſent & touchaſſent des inſtrumens, ce qui fut galemment executé, & ainſi ils paſſerent quelque heure & comme les Fortunez laiſſoient les inſtruments qu’ils auoyent touchez, elle leur dit que pour les remercier elle leur vouloit donner vn air tout nouueau, de paroles & de muſique, pour ceſt effect elle prit ſon lut & de ſa voix image de la douceur qui plus contēte l’oreille, accompaigna les accens de ce ſouſpir auec vne grace eſgale à la perfection.

Ie releue mon cœur ſur les formes plus belles,
Me guindant vers le ciel d’vn vol audacieux,
Et pour eſtre admiré des courages fideles,
Ie brilleray d’ardeur aux feux de vos beaux yeux.
Ce magnifique obiet tant d’honneur me propoſe
Que ie ne penſe rien que des deſſeins d’honneur :
Tout ce que ie pretens, tout ce que mon cœur oſe,
Ne reſpire qu’effects, accomplis de grandeur.
Braue & determiné, ce beau deſſein i’auance,
En me rendant parfaict au ſeruice voué
Pour autant que ie ſçay qu’en telle obeiſſance,
Mon courage ſera de ma Belle auoué.
Belles pointes d’honneur, nourries de ma flame,
Ie m’eſlance par vous en des ſujets diuers,
Et glorieux d’auoir vne ſi belle dame,
De ma gloire ie veux honorer l’vniuers.
Ia de deſſeins nouueaux les cœurs ie renouuelle,
L’eſclat de mes diſcours eſmeut ja tous les cœurs,
Ceux qui vous verront Belle, & cognoiſtront mon zele,
Imiteront mes feux pour auoir des faueurs.
Ma Belle vous ſerez le patron deſirable
Des belles que l’on ſert, quand on ſert brauement :
Et moy le ſeruiteur, dont l’audace agreable,
Sera le beau proiet pour aimer galemment.
C’eſt faict, il n’y a plus d’amour & d’eſperance,
Qu’en vos yeux, qui d’Amour ſont la force & l’honneur,
Auſſi tout le deuoir, & toute la conſtance,
Se trouuent és effects de ma fidelle ardeur.

Les Fortunez recognurent cet air ; car Fonſtelant l’auoit fait pour Lofnis, parquoy apres la muſique ceſſee ils changerent d’entretien, & laiſſant la compagnie voir le marchād & ce qu’il auoit de beau, prierent la Belle de leur declarer comment & de qui elle auoit eu ceſte piece. Elle leur fit reſponce auec grande modeſtie, que ſ’il leur venoit à gré de l’eſclaircir de ce dont elle les requerroit, qu’elle les en rendreit contans. Les promeſſes mutuelles faictes, elle leur demanda, S’ils n’eſtoient pas ceux que l’on nommoit les Fortunez. Ils luy dirent qu’ils eſtoient tels, & qu’en ceſte qualité ils la ſeruiroient. A ce propos ils debaterent reciproquemēt & auec courtoyſie des offres de ſeruices, dont on ſ’honore entre gens d’honneur, puis elle leur raconta ce qu’elle auoit entendu d’eux, & que par les enſeignes que lon luy en auoit dites, elle les auoit remarquez, les deſirant fort cognoiſtre, tāt à cauſe de leurs perfections, que pour le deſir qui la preſſoit d’eſtre eſclaircie de pluſieurs ſujects traictez entre Lofnis & elle : puis leur deduiſant à peu pres ſon voyage en Glindicee, & comme la Princeſſe luy auoit donné cet air, narra en fin toute ſon auanture, & qu’elle eſtoit fille du Roy de Boron, & retraçant en peu de paroles, leur declara ce qui s’eſtoit paſſé entre l’Empereur & elle, & comment il l’auoit expoſee en la foreſt. Quant au reſte de ce qui m’auint (dit-elle) iuſques à ce que i’aye eſté diuinement conduite entre les mains de mon bon homme, ie ne le vous puis dire à cauſe que les frayeurs, les apprehenſions, les doutes, les reſolutions, les deſeſpoirs, les certitudes, les difficultez, & tels accidens me reuenans en memoire, ie troublerois la belle diſpoſition à laquelle ie me ſuis determinee, partant ie vous remets à ce que vous en diſcourra ma ſage compagne Canocoïs, de laquelle vous le ſçaurez, & ie vous prie m’en excuſer, & i’ay tant de fiance en voſtre courtoyſie, que ie penſerois faire tort à voſtre bonté, de vous en requerir d’auātage, pource que ie vous preſume diſpoſez à laiſſer mon cœur au repos qu’il ſe veut eſtablir durant la miſere que ie cours. Ils eſtoiét fort affectionnez à ce deuis, que le Prince Nicoſtride grand Maiſtre vint luy-meſme querir les Fortunez que le Roy demandoit, tellemët qu’ils prirent congé iuſques au temps opportun, qui fut dés le ſoir, dautant qu’ils eſtoient preſſez de partir : Donques apres ſouper ayant diſcouru auec Cliambe, ils luy perſuaderent de voir ceſte belle Princeſſe, qu’ils luy dirent & au Roy, eſtre Etherine fille du Roy de Boron, & de laquelle ayant ſçeu les affaires, furent tres-contans qu’elle fuſt pres d’eux : Et cecy fut conduit ſi ſecrettement, qu’il n’y auoit que le Roy, la Royne, & la Princeſſe qui ſceuſſent l’affaire. Elle fut donques mandee & receuë honorablement. Dés ce ſoir le Rov la Royne & Cliambe eſtans au cabinet ſus le iardin, n’ayans auec eux que les Fortunez, auec Etherine & la ſage Canocoïs, ils ſceurent toute la fortune de la triſte Etherine, que Canocois continua ainſi, depuis qu’elle fut expoſee & m’eſt auis que ie ſuiuray de poinct en poinct ce qui en eſt, le vous deduiſant cōme elle le diſcouroit. Etherine aiant eſté quelque eſpace de temps en ce lieu de miſere, la peur n’arreſta gueres à l’aſſaillir de tous coſtez, & en ceſte detreſſe la crainte luy figuroit à trauers les arbres de grāds loups pres à ſauter ſur ce beau ſein pour luy trancher l’organe de la vie, elle fantaſioit à l’auenement des tenebres vn grand ours qu’elle cuide apperceuoir venir à pas peſans pour l’ēuahir, & l’ouurant ſe raſſaſier de ſon cœur, elle ſe propoſe en frayeur, vne once qui ſaillie ſur elle, luy efface ceſte belle figure de regard, où eſtoiēt autrefois deſignees toutes les entrepriſes d’Amour. En ces melācholies & accez de deſeſpoirs, il luy ſuruint vne petite grace (le ciel ne dōne pas touſiours tout d’vn coup ce qui nous eſt neceſſaire) ſes pieds ſe coulerēt d’entre les replis de la corde qui les enlaçoit, parquoi elle ſe leua & prenant vn petit de courage, ſe mit à cheminer à l’auanture, traçant dans le bois où elle pouuoit, ne ſçachant ſi elle fuioit le danger ou ſi elle ſ’en approchoit, & ſoy-meſme ſ’expoſant à nouuelle auanture, alloit broſſant de tout ſon pouuoir, iuſques à ce que les ombres ſ’vnirent, & que ne voyant plus elle ſe reſolut d’enſeuelir le reſte de ſon eſpoir, & ſe preparer à la mort. Au tēps meſmes que les tenebres auoiēt tout derobé le viſage du möde, & que ceſte gemiſſante eſtoit à l’extre mité de ſes penſees, qui ſ’accordoient à laiſſer ſa derniere voix, ſa vie & ſa miſere en ce lieu, par vn ſignalé bon-heur, il paſſa par là aupres des voyageurs eſtrangers, qui venoiēt, les vns de leur trafiq, & les autres de leurs deſſeins curieux, & affaires diuerſes. Ces gens coſtoyoiēt les bois, & ſ’entretenans de diſcours, comme font ceux qui vont par païs, & taſchēt à gaigner le giſte au ſoir, il y en eut vn qui eſtoit demeuré derriere, ſ’eſtāt vn petit deſuoié dās le bois, qui ſe mit à appeller, les autres l’ayans ouy luy reſpondirent pour le radreſſer, ces voix mutuelles continuoient, & Etherine qui les ouit, ſe mit en voye pour enſuiure l’air, les compagnōs huchoient reciproquement, & la pauurette alloit apres, l’egaré eſtant ioint aux autres leurs voix ceſſerent, & la deſolee errante ne les oyant plus, ſe recommanda aux pleurs, & aux plaintes qu’elle faiſoit aſſez reſonner à trauers les arbres : Ses lamentations douloureuſes paruindrent aux aureilles de ces paſſans : car le ſilence eſtabli de nuict, faict que lon oit plus clair. Ces gens donc, oyants & s’enquerās entr’eux s’il y auoit quelqu’vn à dire, & trouuants que non, s’aſſemblerent & preſterent l’oreille, ſe tenans cois & ſans bouger, & ils ouyrēt des plaintes ſi piteuſement dolentes, qu’ils en eurent compaſſion : parquoy apres s’eſtre encor recognus, ils iugerent que ces voix & cris piteux venoient de quelque perſonne en grāde angoiſſe, & amertume de cœur. Ils s’arreſterent tous & vn des plus anciens de la troupe moins craintif & plus reſolu, s’auança yers la part d’où procedoient ces voix plaintiues, & appellāt & broſſant en deliberation d’en ſçauoir des nouuelles, reitera tant à appeller, que la deſolee Etherine l’ayant ouy, reſpondit & appella auſſi, & en fin l’vn & l’autre par l’inductiō des paroles eſleuees & inſtruits parle bruit s’approcherent. Elle qui eſtoit toute troublee, n’eſtant pas bien aſſeuree d’eſtre ſi pres d’autres perſonnes, (tant ſon imagination eſtoit imprimee de mal apparent) à l’approche de ce bon perſonnage treſſaillit, eſclattant vn cri d’eſpouuantement, comme ſ’il fuſt ſuruenu quelque beſte farouche pour la deuorer, dont le bon homme en fremit tout, mais ſ’aſſeurant par la proche preſence de ceux qu’il ſçauoit bien, qu’ils ne l’abandonneroient point, & puis diſcernant la voix d’vne perſonne, ſ’approcha de celle qu’il auoit ouie, qui eſtoit Etherine, laquelle apperceuant à peine il prit par le bras, & la ſentant liee, il chercha le nœud de la corde pour le defaire, ce que ne pouuant en ſi longtemps à taſtons, il tire ſon couſteau & la coupa, & attirant à ſoy la Dame, la pria de prendre courage, & ainſi l’amena aux autres la conſolant à ſon pouuoir : L’oſtellerie eſtoit encor aſſés loing, tellemēt que chemināt & diſcourant auec elle, il ſçeut d’elle ce qu’il luy vint agré de luy declarer pour lors de ſon eſtre, ſurquoy ils conclurent enſemble du moyen de l’ayder en ſa fortune, & des ceſt inſtant la teint comme ſa fille : Eſtans arriués il la ſoignit auec honneur, auſſi en auoit-il auertis ſes compaignons, qu’il pria de trouuer bō la charité qu’il exerçoit enuers ceſte pauure fille, qui ſ’eſtoit declaree eſtre vne ſimple Damoiſelle muſicienne, laquelle ayant laiſſé ſa compagnie pour aller faire & chercher fortune en vn chaſteau là aupres, auoit fait rencontre de mauuaiſes gens qui l’auoient volee & miſe en piteux eſtat où ils l’auoient trouuee, & diſoit que ſans qu’ils les ouyrēt, poſſible ils luy euſſent mesfaict en ſon honneur, dont elle auoit eſté preſeruee par leur heureuſe rencontre. Ce persōnage qui auoit quelque credit parmi la troupe eut moyen de faire ce qu’il voulut : Iceluy voyǎt en cette fille vne grace auec la façon promettant plus que d’vne petite Damoyſelle, la voulut bien croire & luy demanda ſi elle vouloit eſtre conduite où elle auoit enuie d’aller & qu’il la feroit mener : Elle le ſupplia que celà ne fut point, ains que ſ’il la deſiroit gratifier qu’il l’amenat de ces terres le plus loing qu’il pourroit, adiouſtant qu’elle auoit vn parent au Royaume de Boron, qui le recompenſeroit bien de la faueur qu’il luy feroit, c’eſtuy là ayant moyen de faire beaucoup pour elle & pour luy : Ce ſage qui eſt le bon De leaſte conſiderant de plus en plus ce ſujet, & y remarquant vne certaine majeſté qui pouuoit non ſeulement induire, mais contraindre & cōmander, eut aggreable tout ce qui pleuſt à ceſte belle, luy promettant de ſ’employer du tout pour elle, & de fait pour effectuer auec grace leur deliberation, à ſa priere il prit puiſſance de Pere ſur elle, & elle luy promit toute obeiſſance de fille, deuant iour ceſte compaignie deſlogea & tous diligenterent ſi bien qu’à propos arriuās au haure, ils trouuerēt vn nauire Affriquain qui les reçeut & leua l’ancre. Il ny auoit que trois iours que le pere Deleaſte eſtoit arriué en Quimalee auſſi ny auoit-il pas d’auantage que les Fortunez auoient veu Etherine & ſçeu de ſes affaires qu’elle auoit auſſi declarees au bon homme depuis le temps qu’ils eſtoient enſemble : qu’il aborda au mefme haure vn vaiſſeau où eſtoient les Ambaſſadeurs de Boron leſquels eſtoient en queſte d’Etherine, & venoient de Glindicee. Ils mirēt pied à terre & firent leur requeſte au Roy qui leur promit brefue reſponce, il en communiqua aux Fortunés, qui luy

declarerent vne partie de ce qu’ils auoient ſçeu d’elle & pource luy conſeillerent ce qui eſtoit de faire Parquoy le Roy ayant appellé ces Ambaſſadeurs, il leur promit qu’il ſ’enqueſteroit de ceſte affaire, & que ſ’il en pouuoit deſcouurir quelque choſe qu’il en auertiroit le Roy de Boron, & qu’il pēſoit auoir ouy parler du pyrate qui auoit fait le coup & que ſ’il venoit en ſes terres qu’il ſ’en ſaiſiroit & luy enuoyeroit. Ainſi il les deſpecha toſt, tellement qu’ils partirent incontinent, pour aller en Sobare & autres lieux. Le iour du depart des Fortunés eſtāt au lendemain, Caualiree en diſcouroit ce ſoir là auec ſa chere Cliambe, & ce futur eſlongnement apportoit beaucoup de regret & douleurs à leurs deux cœurs ; Mais quoy ? il falloit que celà fut, d’autant que la fortune des freres ne ſe pouuoit ſeparer, pource qu’il cōuenoit qu’ils ſ’entraidaſſent à cauſe de l’honneur & de leurs grandes pretentions : car de laiſſer icy Caualiree, il ny auoit pas d’apparence, parce qu’ils euſſent eſté cognus, & leurs belles parties euſſent eſté imparfaictes, & puis ils craignoyēt que leur pere n’eut pas trouué bon ce deſordre, ayant en ſon cœur, comme ils iugeoyent, propoſé qu’ils paruinſſent auec gloire, ſans que leur qualité les auāçaſt : Cliambe ſentāt ceſte abſence ſouſpiroit auec les ſouſpirs de Caualiree, qui deuiſant auec elle luy proteſtoit qu’il luy eſtoit auis que l’abſence & la mort eſtoient egalement ameres, voir que l’abſence eſtoit la plus inſuportable & douloureuſe ſans reſolution & pour luy en demonſtrer viuement ce qu’il en ſentoit, luy dōna le teſmoignage qu’il en auoit ainſi ſouſpiré,

Donques il eſt certain que l’on ſent par l’abſence
Plus de calamitez que n’en cauſe la mort ;
L’abſent ſent mille maux, cauſez de ſouuenance,
Tout ſouuenir ſ’eſteint ſi toſt que l’on eſt mort.
Lors que i’eſlongneray voſtre belle preſence,
Ie mourray mille fois, & ne pourray mourrir,
Ie choiſi donc la mort pour auoir patience,
Et perir vne fois ſans tant de fois perir.
Je ne veux plus mourir ; ie garde encor ma vie,
Afin de vous ſeruir tandis que ie viuray,
D’vn mort vous ne ſçauriez iamais eſtre ſeruie,
Quād ie n’aymeray plus, c’eſt lors que ie mourray,
De ces extremitez ie choiſiray l’abſence,
Car on ne reuient plus ayant beu du lethé,
Adieu donc, pour encor auec perſeuerance,
Uous venir teſmoigner de ma fidelité.

L’opportunité venuë, les Fortunez partirent de Quimalee, & au depart ils y receurent toutes les courtoyſies que l’on depart à ceux dont on fait eſtat. Pluſieurs belles parties furent faictes ſur ce ſuiet, où le Roy ſe trouua, pour l’honneur qu’il portoit à l’Empereur de Glindicee, & à la Royne de Sobare, deſquels ils auoient honorablement receu & feſtoyez les Ambaſſadeurs paſſans. En peu de temps le vent ayant eſté propice & propre, les Fortunez arriuerent fauorablement en Glindicee.

L'HISTOIRE

VERITABLE,


ENTREPRISE III

PRELVDE.


'EsT icy où ie veux egayer mon eſprit, & donnant au poinct de $ K l'excellence, monſtrer vn reuers # d'auis propre à l'effect des belles recherches : Car voicy le poinct - de conſequence, & le traict qui , manifeſtera la grandeur des Fortunez, leſquels porteront la mienne ſurl'aiſle de leur authorité. Quoy ? qu'ils euſſent eſté ſi temeraires que de s'aller preſenter au Roy leur pere ayans eu vn congé tant exact, tranchant le filà tous moyens de reconciliation ? c'euſt eſté n'auoir point de ſageſſe,mais trop de preſomption inconſideree, c'euſt eſté faire eſſay d'vn affrontlà celuy qu'il faut reuerer en toute humilité, & par ainſi ſe preparer à la cheute qui les eutabiſmez, autant

profondément qu’ils pretendoient l’eſleurer. Les Roys ſont Rois, & faut, qui que l’on ſoit, viure auec eux, obſeruant tout reſpect : car ils n’ont conſideration ſinō qu’ils ſont Rois, leurs actiōs, penſees & reſolutions ne ſe forment pas au modelle de celles des hommes, ains au patron de la puiſſance des Monarques ; l’amitié & le deuoir ne ſont en eux que lors qu’ils deſpoüillent vn petit de leur grandeur, & ſe recreent auec les hommes pour leur ſeul plaiſir : Tout leur eſt deu. Mais en quels diſcours vay-ie nager à bras eſtendus ? Tout beau, propos d’eſtat, ne m’attirez pas ſi fort, ie ne veux point faire les Rois inhumains, ie les honore trop, arreſtons nous à ce but ; C’eſt qu’ils tiennent les reſnes des volontez, & que la bien ſeance nous aſtraint d’obeir, ſi nous ne voulōs que la force nous froiſſe aſſommez des pierres de noſtre fierté. Sçachons que le Roy eſtant Roy, il n’y a rien ſous luy, il n’y a rien qui ne ſoit ſuiet à la loy dont il eſt l’ame. Il n’y a point d’enfans de Roy, il n’y a point de parens ny d’amis, ſ’il n’y a de l’obeiſſance, la ſeule obeiſſance fait que les fils ſoient recognus enfans, & traitez gracieuſement ; que les parens ſoient honorez de tel aueu pour eſtre gratifiez que ceux qui ont eſté nommez amis, ſoient allechez de bien ueillāce, & que l’ame des peuples ſoit en eſtime, à ce que les congregations perſiſtent eſtans conſeruees, & que la iuſtice ait lieu & ſoit magnifiee.

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DESSEIN I.


Legations des Ambaſſadeurs de Sobare & de Glindicee vers le Roy de Nabadonce. L’Ambaſſadeur du Roy de Nabadonce vers l’Empereur, cognoiſt les Fortunez, & ſous vne belle feinte les fait cognoiſtre à l’Empereur.



TOvt nous rioit en Glindicee, on ne parloit que de l’aiſe & des futures delices des effects du voyage en Nabadonce ; & les Fortunez qui ſçauent toutes les maximes d’Eſtat, & les veulent practiquer pour obeyr, & vn iour auenir commander, mettent ordre à leurs affaires, qu’ils traictent tant dextrement, qu’ils n’effectuent rien qu’apres auoir eu conſeil ſur ce que le cœur a determiné pour l’iſſuë de leurs deſſeins, & le prennent de ce qu’ils entendent de leurs amis, auſquels ils ont communiqué. Ainſi ils apprennent comme la Royne de Sobare ne fait faute d’executer l’artifice raiſonnable de leur entrepriſe : car elle leur a faict entendre qu’elle a enuoyé le Comte de Patince en ambaſſade vers le Roy de Nabadōce, auquel elle demande à mari ſon fils Viuarambe, dequoy ce bon Roy fut ioyeux & eſtonné, d’autant qu’il eſtoit ſurpris, ne ſçachant rien des affaires de ſes enfans : Toutesfois il fit reſponce à la Royne ſelon ſon deſir, remettant le tout au retour de ſes fils, leſquels auoyent entrepris vn voyage qui les retenoit encor, adiouſtant à ſon diſcours la grace dont les princes ſçauent gratifier, amuſer ou ſuſpendre les cœurs, ſelon que l’iſſue des affaires les contraindra. En meſme temps l’ambaſſadeur de l’Empereur de Glindicee fut ouy, lequel obtint auec grand ſigne de courtoiſie, ce qu’il vouloit, pour confirmation dequoy le Roy enuoya le Duc de Porictonie vers l’Empereur, luy offrir tout ce qui eſtoit en ſon pouuoir, & deuant que ces ambaſſadeurs partiſſent il fit venir Sarmedoxe auquel il enioignit que l’hermitage fut ſumptueuſement accōmodé, & que tout y fut d’ordre pour y receuoir des Princes de telle qualité. L’empereur qui n’attendoit que le retour du Prince de Glacere, eſtoit preſt à partir, que le voicy arriuer accompagné de belle nobleſſe de pluſieurs prouinces, & honoré du grand Duc de Porictonie, lequel ſe preſenta à l’Empereur qui auoit eſté auerti du merite de ceſt ambaſſadeur lequel fut dignemēt receu, rafraiſchi & traicté, en toute magnificēce. Iour d’audience luy ayant eſté donné, il fut introduit deuāt l’Empereur pres de la majeſté duquel eſtant en ſon deuoir il deduit en belles paroles & ſuccintes la cauſe de ſa legation, & ſelon ce qui luy eſtoit commandé aſſeura le monarque de la bonne volonté du Roy de Nabadonce ſon maiſtre, à quoy il reçeut reſponce aggreable oyant ſortir de la bouche de ceſte Empereur les beaux & ſages diſcours qui le contenterent tant qu’il a plus faict eſtat de ſon belle eſprit que des magnihcences de ſa court, bien qu’elles fuſſent inimitables.Ce grand Duc qui ne ſcauoit rien de la rencontre des fils de ſon Roy fut fort eſton né de les voir tenir les premiers rangs auConſeil, illes recogneut bien, mais comme ſage & adui ſé ſe retint, & n’en fit aucun ſemblant, non plus qu’eux qui le ſceurent bien cognoiſtre. Le Duc ſorty du cöſeil s’enquit de ceux qui l’accompa gnoient, qui eſtoient ces trois Seigneurs veſtus de meſmes parures & d’habillemens tels que les grands les portent en Nabadonce. Il n’en apprit autre choſe, ſinon qu’ils eſtoient fort galands, & que leur beleſprit les auoit ainſi approchez de la perſonne de l’Empereur : Le Duc qui auoit peur de faillir, ne ſcachant pas l’intention des Prin ces, n’oſa paſſer outre, ny s’enquerir d’auanta ge. Le Conſeil eſtant leué, les Fortunez par le commandement del’Empereur traitterent ceſt Ambaſſadeur, & luy firent voir les ſingularitez † us exquiſes du lieu. Puis en temps conuenable e menerent à la fontaine où ilsluy donnerent le laiſir de la muſique & des autres exercices döt † ſe plaiſt, & par deſſein l’ayans ſeparé des autres le menerent à la Tonnelle Riante, là ils firent cognoiſſance, & ſous le ſymbole de fi—. delité communiquerent librementauiſant de ce qui eſtoit à faire. Ce Duc eſtoit fort prudent, il aymoit ſon Roy & ſes enfans, & eſtoit de ceux qui en auoit ploré la perte, parquoy les voyant il fut recreé, &voulut leur rendre l’honneur & le reſpect deu : apres quoyils le prierent pourl’aue nir de ſe contenir, veu la neceſſité des affaires : Luy qui ſcait bié que ce qui eſt de loy eſt ſtable, & qui n’eſt pas ignorât de l’amour des peres vers les enfans, & cognoiſt à peu pres les deſſeins que ſouuent on a és choſes grandes, les arraiſonnaa uec raiſon, ſi qu’apres ies mutuelles repliques, illeur conſeilla, entendant que c’eſtoit l’ordre u’ils deſiroient ſuiure, d’enuoyer prier le Roy leur pere de leur pardonner, & les receuoir en grace, leur remonſtrant en outre qu’il eſtoit bon meſmes treſ neceſlaire de ſe faire cognoiſtre à l’Empereur qui moyenneroit leur reconciliatiö vers le Roy qui les deſiroit, & qui le trouueroit extremement à propos de ceſte façon, leur pro poſant ce qui s’eſtoit paſſé és legations precedé tes vers le Roy : Ce que meurement conſulté, ils remirent le toutes mains du Duc qui en prit la charge, parquoy le lendemain il fit ſupplier ſa Maicſté † luy fut permisde l’entretenir de · quelque diſcours particulier. L’Empereur l’in troduiſit fort gracieuſement en ſa chambre, & eurent enſemble pluſieurs propos, à la ſuite deſ quels il fit rencontrer ce qu’il auoit à dire, & par la ainſi à lEmpereur, Sire, le Roy de Nabadon ce auoitvn excellent & notable ioyau, precieux ſur tout ce qu’il poſſede, d’autant qu’il a plu ſieurs vertus, & # compoſé de trois admirables pieces, & diuerſitez accordantes, & de telle vniö qu’iln’ya riéau möde quiluy ſoit égalen beauté & merite.Ileſtauenu par vn certain malheurac compagné de bonne fortune, par la propre vo lonté du Roy, & contre ſon deſir, de proposde liberé, & ſans y penſer, degayeté de cœur & à re gret, iugeant bien ce qu’il faiſoit, & n’ayant au cune cognoiſſance de ce qui aduiendroit, le de ſeſperant & s’y attendant, &voulāt ce qu’il craignoit le plus, qu’il a eſgaré ceſt exquis ioyau, ſans ſcauoir où il eſt : Il ſouhaite de tout ſon cœur le recouurer pour ſa ioye & commodité, & ſon honneurl’empeſche de le rechercher. Il appete ſur tout de le rauoir pour ſon vnique contente ment, & ſagloire approuuee par ſaiuſtice le cö traint de faire vn ſemblant tout autre : Le plai ſir de l’homme combat la dignitédela perſonne : Ie ſçay que ce luy ſera vn infiny contentement de l’auoir, & toutesfois il ne le demâdera iamais, & ie croy que s’il ſçauoit ce que i en dis mainte nant, il m’en deſaduoueroit, encor que ie ſcache qu’il m’en ſcaura bon gré, &en ſera treſaiſe, d’au tant que ce que ie pratique eſt ſelö ſa volôté, bié que ce ſoit ſans ſon cómandemét, & contre ſon intétion, meſme ſii’auois penſé de luy en parler, il m’euſt blaſmé&expreſſemët defendu de m’in gerer à ce que ie pourſuis † CC ſuiet : vous ſca— — uez, Sire, que ſouuent les bôs ſeruiteurs font de grãds ſeruices à leurs maiſtres, deſquels ils ſont auoüezayās bien fait, encor qu’à cauſe de l’hon neur & de la loy en apparence, ils n’euſſent pas voulu conſentir qu’on les executaſt, parquoy les ſages&fideles ſeruét dignemétau cœur plus qu’à l’œil : Et pource ayant grand deſir de faire vn ſi gnalé ſeruice à mon Roy, par voſtre faueur, ie me preſente deuantvoſtreMaieſté, parlant com me vn ſimpleGentilhomme, pour n’auoir en ce cyaueuque de vous ſeul, s’il vous eſt agreable, m ayant ouy, 1e croy que vous m exaucerez, car preſques l’égale part dubié quevous ferezà mon Roy vous eſcherra.Ievous ſupplie donc, que par voſtre moyen ceioyau ſoit cognu, trouué, & recouuré, & ie vous dis en parolcvraye, que diffi cilement paroiſtroit-il, ſi ce n’eſt par voſtre mo yen & authorité, ioint auſſi que tout ce que vo° eſperez ou pretédez en labelle entrepriſe de vo ſtre voyage, ne reuſſira aucunement ſans cere couurement : Et vaut autant pour vous deux grands Monarques que vous demeuriez ſeparez cöme cy deuant auez accouſtumé, que de vous voir ſans ce moyé. L’EMP. Ces beaux diſcours ont quelque grand deſſein caché ſous leur eſcor ce, ie vous prie de m’en eſclaircir ſerieuſemët, & apertement, à ce que mon eſprit ne peine point. L E D v c. Sire, l’honneur que ie reçoy de voſtre Maieſté, eſt occaſion que ie vous déduis cecy en la ſincerité de mon ame, auſſi ie vous obeyray promptement, & vous declareray tout ingenuement, pource qu’il ne faut pas ſe fein dre deuant vous. Et puis qu’oſeroit vne perſon ne priuee deuant vn ſi grand Prince ? Ce que ie vous diray & declareray vient de moy, tant pour voſtre ſeruice, que pour le bien de mon Roy, & s’il vous plaiſt le ſcauoir, ie vous ſupplie de m’in teriner ma requeſte, car il y va de voſtre parfait contentement, &du plusaccomply bien que vo ſtre ame deſire. L’EMP. Eſtes-vous plus accort que les Fortunez ? Il n’eſt pas que vous ne les ayez ſondez, & que ne ſcachiez comme par leur conſeil, i’entrepren le voyage qui me doit ren dre content, auez-vous plus de pratique qu’eux : cognoiſſez-vous d’auantage mes affaires qu’ils ne font pour me promettre l’heur qu’ils m’ont promis en me remettant à l’auoir par vn autre moyen, Ie ſuis fort aſſeuré d’eux, & ie ne vous cognois pas encores : A la verité, voſtre façon & vos paroles me ſemblent partir d’vne ame ſince re, & vous tiens pour höme d’honneur, veu meſ me le rang que vous tenez § le Roy mon frere : mais voſtre deſſein me fait auoirie ne ſcay quel doute, qui me met en peine, & me ſemble que ce quevous auancez, ſoit au deſaduantage de · ces perſonnages döt i’ay tät de ſeurté, &auſquels i’ay tant de croyance : En bon eſcient ſi i’eſtois volage, & prompt comme i’ay eſté quelquefois, à mon grand regret, ie deſcherois d’eſpoir : vou driez-vous bien qu’ils fuſſent preſens pour vous ouyr, afin qu’ils repartét ſur voſtre propoſition ? Il n’ya pas longtéps que preoccupé de mö ſens, & de § creusvne calönie contre eux, & ie les ay cuidé perdre, la penitence a ſuiuy la faute, ie ne tomberay plusen ceſtinconueniêt, puis que pour ce ſuiet & ſans cötrainte vous vo° eſtes demis de voſtre rangcn ceſt acte, ie veux a gir auec vous pour ou contre en la qualité que vous vous eſtes offert. LE Dvc. Sire, où le So leil luit, les autres aſtres ne paroiſſent point, ce u’ils ſont, m’efface du tout, & eux ny moy ne § rien en la preſence de voſtre Maieſté : & our le faire court, ie vous dy, Sire, en telle qua # qu’il vous plaira me prendre, que les Fortu nez vous deçoiuent en vn point : Et pour le vous dire auec plusd’honneur encoresvne fois, & afin qu’il en ſuruienne vn effet notable, ie vous ſup plie d’vne faueur, ſi i’ay failly en ce que ie vous ay dit comme perſonne priuee, ie me ſubmets à la correction : Én outre ievous ſupplie auſſi que comme Ambaſſadeur du Roy de Nabadonce, ie vous declare en la preſence des Fortunez, qu’ils ne peuuent faire ce qu’ils vous ont promis, ſans que vous m’accordiez le don que ie vous ay re quis, touchant leioyau de mon Roy : & mainte nant, Sire, tenanträgd’Ambaſſadeur de tel Roy, ainſi qu’il vous a pleu me receuoir, à ce que vous ayez affaireà vn Prince qui vous puiſſe reſpon dre, & qu’il eſt beſoin en accuſant d’eſtre de la qualité de ceux qu’on accuſe, ou approchante. Ie vous declare que les Fortunez vous ont de, ceu, ils ſont Princes & comme repreſentant le Roy, & Prince ie les accuſe.L’Empereur n’entë dant point ces propos, luy dit qu’ille mettoit en trop d’impatience : & partant pour ſe reſoudre, il commanda qu’on fit entrer les Fortunez, leſ quels entrez, l’Empereur fit approcher, & leur dit que le Duc de Piroctonie les tenoit pour de ceueurs : ils ne reſpondirent rien. Et le Duc prit la parole, diſant, Sire, ces Princes ne debateront’point auec moy, ſi de tout en tout ils ne veulent deſchoir de ce qu’ils ſont. Demeurant au terme du don que ie vous ay demandé : ie vous declare que ces trois Princes preſens ſont fils du Roy de Nabadonce, & que ſe cellans ils vous deçoiuent, c’eſt dontie les accuſe, & le don queie deſire eſt que vous les reſtituez au Roy leur pere, ſans que il les demande, & tout ainſi que s’ils eſtoientvo ſtres, & que vous les luy donnaſſiez, ce que vo° ferez s’il vous plaitinterceder pour eux, à ce que ils trouuent grace, & ſoient reſtablis en leur pre mier eſtat. Ayant dit celà, il raconta ſuccincte ment tout ce qui eſtoit de leur fortune.L’Empe reur tout raui & ioyeux de telle nouuelletant a greable, cmbraſſaamiablemët les Fortunez. Ce ne fut point ſans les tancer de leur deceptiō cōmiſe, & leur reprocher le tort qu ils luy auoient fait de ne s’eſtre deſcouuerts à luy, & en ceſte actiō furēt miſes en auāt les excuſes qu’vn ſi grād peut conuenablement laiſſer eſchapper, & les douces requeſtes de pardon que deuoient expoſer ceux qui n’ont failli que par bien-ſeance & pour bien faire.

Ceſte affaire cognuë, la Cour fut remplie de ioye, & ceux qui auoient fait eſtat de ces Princes vindrent à leurs pieds ſe repentir du meſpris inconſideré qu’ils auoient fait de leur grandeur, les blaſmant reſpectueuſement du tort qu’ils auoiēt fait à leur rang, & à leur deuoir. Apres il fut aduiſé que l’Empereur partiroit, & que le Duc de Piroctonie iroit deuant pour impetrer la reintegration des Princes par le Roy leur pere, duquel ils attendroient la volonté ſur les frontieres de Nabadonce, ce qui pleut à l’Empereur.

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DESSEIN DEVXIESME.


Partement de l’Empereur. Excellëces de l’Hermitage. Hymne de la natiuité du Daufin. Plainte de l’Empereur. Diſcours amoureux de Lofnis & Fonſteland. Le Roy de Nabadonce enuoye à ſes fils pour les receuoir en grace. Diſcours plaintifs de l’Empereur.



LE grand Anniuerſaire d’Amour ſe celebroit ceſte annee, & on auoit mādé de toutes parts que l’élite desamās ſe trouueroit en l’Hermitage d’honneur, parquoy tous ceux qui auoient des cauſes pour ce ſuietmirent peine d’y venir, pour ce que là eſt la perfection des recherches&preu ues d’amour, dont toutes les maladies ſont chä gees en ſanté parfaite, les opinions muees enve rité, lesdouleurs träsformees en ioyes, &les vai nes paſſiös faites aſſeurāce permanente &vraye. Et qui plus eſt, ſi quelqu’vn a perdu ſa Maiſtreſ ſe, ou vne Dame ſon ſeruiteur, quelque ami tié, inimitié, verité, feintiſe, ou diſſimulatió qu’il y ayt entr’eux, on rencontre là les nouuelles certaines de ce qui en eſt, pour en receuoir vtile contentement. Le partement del’Empereur fut feſtoyé ſolénellement par tout l’Empire, & l’aſ ſemblee fut grande & §, Lofnis eut permiſ ſion d’yvenir, & ſon equipagefut dreſſé ſelon sö merite, & fut accompagnee de pluſieurs Dames curieuſes de voir les † merueilles de l’her mitage, auquel depuis§ de temps auoienteſté adiouſtees de grandes ingularitez tirees de l’iſle Sympſiquee, § côme nous auons appris, a perdu en partie vne grace qui luy eſtoit propre, non que ce ſoit la faute des originaires, ains fer reur produit à cauſe du changement des ſaiſons, & de lafelonnie des hommes, qui ſous ombre de curioſité vertueuſe eſtoiët deuenus fauſſaires, ſous ſemblant devoyageurs corſaires, ſous feinte de Religió hypocrites, &ſousle tiltre de gésd’hö neurimpies&impoſteurs, employans le nô de la vertu à la malignité de leur maudite induſtrie : les gens de bien de Sympſiquee qui taſchent à mettre ordre à ce mal pour le repurger bien toſt, ne pouuans ſeuls reſiſter à la malice aug mentante, & qui meſmeauoit eſbrālé quelques vns des nouueaux habituez, ayans aſſemblé le conſeil pour en deliberer, ſans eſtre plus lógtéps contraints de flechir ſous le malheur du temps, ont reſolu de ſ’aſſeurer des bons, & de reſiſter aux mauuais pour chaſſer les meſchans, quiin terrompent les repos, & troublent les belles oc cupations, & pourceſe ſont adioints au Roy de Nabadonce qui les ſouſtient, & adonné moyen de rendre leurs coſtes inacceſſibles, &leurs ports imprenables, & quant & quant forces pour chaſſer d’auec eux ceux qui les gaſtoyent, le tout’ſ’eſtant rencontré à propos ſurl’affaire de label le figure : dont il fut parlé comme nous eſtions en Sympſiquee auec les Fortunez.. La Court eſtoit fort groſſe, paree d’infinies ſortes de gens, car outre † Princes, Seigneurs, Gentils-hommes & autres du païs, il y auoit des eſtrangers venus de toutes nations, & ſurtout de François : dont aucuns eſtoyent de noſtre co gnoiſſance, qui furent tres-aiſes de nous récon trer, principalement à cauſe que comme habi, tuez, nousauions de la creanceau païs, auſſi 11OllS les introduiſifmes en pluſieurs lieux, & notam ment en noſtre college de Druydes, qui dés les temps anciens y eſt conſerué. Entre ces com patriotes il y en eutvn qui prit conſeil de pre ſenter à l’Empereur vne piece de muſique fort induſtrieuſement elabouree, & qui n’auoit point encor couru : Sa Majeſté y prit plaiſir, & l’ame en eſtoit quelques ſtances que i’auois faites en l’honneur de la natiuité du Daufin, que le docte Bauduin auoit animees ſelon la ſcience des plus beaux accords : L’Empereur ſ’en eſtant reſiouy, eut fort agreable le diſcours qui luy fut fait des magnificences qui ſ’eſtoient faites en ce temps la. Ie n’auois pas enuie que ces vers fuſſent veus d’autant que ie ne demande rien aux grands, & que ie ne pretēs point ietter ces beaux traits en guiſe de doux hameçōs, pour tirer de leurs cōmoditez. Et toutesfois ie m’auiſe qu’il faut que on les voye, pour leur eſtre teſmoignage que ie m’eſiouïs de leur bien, à cauſe que poſſible ils ratifient quelques vns de mes amis qui ont affaire d’eux : Et puis i’oblige parauanture la bonté d’vn courage royal, m’eſgayant en ſon honneur, ores qu’il ne le peut gouſter, à ce que venant à l’eſtat accompli que ſa bonne deſtinee luy prepare, s’il vit, il ait plus d’occaſion de me regretter pour n’auoir veſcu auec moy, que ie n’ay d’opinion à l’eſpoir de ſes faueurs : voyez donc ce petit excés d’eſprit.

Voicy le iour promis au bon heur de la France,
Jour plus iour que le iour, le beau iour des François,
Tout le mōde auiourd’huy plein de reſiouiſſance
Pour bien chanter ſe change en vne belle voix.
Ceux qui ont du lis d’or la fleur au cœur empreinte,
Voyent l’age doré renaiſtre auec la paix,
Et to° ces malheureux qui n’aimēt que par crainte
Se trouuent confondu, en leurs deſſeins mauuais :
François marquons ce iour dedans noſtre memoire,
Qu’on honore ce iour, entre les iours plus beaux,
Le iour duquel eſt nay de nos Princes la gloire,
L’appuy de noſtre bien, la fin de nos trauaux.
Les cœurs deuotieux, les fideles au Prince
Viendront icy chanter en accens eterneJs,

Les peuples amaſſez de prouince, en prouince,
En diront deuant Dieu les hymnes ſolemnels.
Tout releuez de cœur, tout épris de louange,
Paſſionnez de ioye, eſperdus de plaiſirs,
Eſpointez de nos chants, pouſſez iuſques aux Anges,
Nous monſtrerons à Dieu nos fideles deſirs.
Jo donques chantons, beniſſons ce grand Maiſtre
Qui de biens infinis raſſaſie nos cœurs,
Chantons en ce beau iour qu’il luy pleuſt faire naiſtre
''La colomne d’eſpoir de ſes bons ſeruiteurs.
Tous fideles aux Rois, ont part à la lieſſe
Des bien heureux François qui louët Dieu ſans fin,
Ia deſia tout triomfe en parfaite alegreſſe,
Par tout on chante, Io, Io, pour le Daufin.

A la fin de chaque verſet, on repetoit ce couplet,

Io Io ſans fin

Io pour le Daufin.

L’apparence nous faiſoit croire que l’Empereur y prenoit plaiſir, ioint qu’il ſe diuertiſſoit vn peu : Et cependant le cruel ſouci de ſon cœur le mordoit preſſément, l’abſence d’Etherine le ſollicitoit aux regrets, l’indignité qu’il a commiſe vers elle le iette au deſeſpoir ; Mais les promeſſes des Princes le conſolent d’eſperance, vne fois qu’il eſtoit auec eux en particulier, il ſe douloit ainſi : Ie penſois auoir aſſez d’aſſeurance pour reſiſter à cét effort de diſgrace, & meſmes ie me diſpoſois à ceſte perte, d’vn cœur paroiſſant égal à celuy qui vit en contentement, mais la force de ceſte auanture tant deſauantageuſe pour moy, m’a tellement oppreſſé, que ie ſois ſuccombé, auſſiie recognois qu’iln’ya deſ plaiſir plus grand quel’eſlongnement du ſujet ai mé, & en ay l’ame tant affligee, que ie ne ſcay ſiie me pourrayreleuer eſtant opprimé ſi vehemen tement, ce qui plus me † & qui multiplie mon angoiſſe, eſt l’excellence de mö ſujet : Ie pé ſois faire le reſolume deſtournant à mö pouuoir de l’ënuy que ie ſouffrois, mais il m’a fallu flechir. ſous l’effort de ma detreſſe. Tant violentement touché, il faut que ie ſouſpire, ie me plains don ques & lamente pour adoucir ma miſere, ie deſ ploye l’aer de mes plaintes, que ie fay couler en piteuſes larmes, quei’eſpends ſecrettementdu rant mes triſtes irnaginations. Les Princes le cognoiſſans ſi dedaigneuſement preſſé de ſa me lancholie, le reconforterent & lui promirent hardiment qu’il verra en Nabadonce celle qu’il deſire, la preuue reiteree qu’il a des effets de leurs paroles & conſeils, & puis à ceſte heure ſa chant quels ils ſont, fait qu’il les croye, & que lein de bon eſpoir il ſ’allege ſoymeſme. Et de aitiln’ya rien qui apportetant de plaiſir que la certitude d’vne belleiouyſſance qui s’approche.. Continuans le chemin pour ce voyage heu reux, les Princes Fortunez ſe tenoyent pres de la perſonne de l’Empereur, inuentans iournelle ment des nouueaux diuertiſlemens, durant quoy ſouuétilleur tenoit prôpos de regret qu’ilauoit de ne les auoir pas cognus, & de deſplaiſir qui le touchoit de les auoir mal traitez. Mais eux ſuyuant leur accouſtumee ſageſſe le prioyent de ne penſer plus au paſſé, & d’auoir agreable la ^ncontre de leur fortune, l’incitans à ne ſonger qu’à ſe reſiouïr, lui requerans pardon de ſ’eſtre celez, alleguans que ce qu’ils en auoyent fait eſtoit pour aquerir de l’honneur en bien faiſant, ce qu’ils n’euſſent peu ſi biê eſtans cognus, car le reſpect que lon leur eut porté, eut empeſché le fil de leurs entrepriſes, qui eſtants ſecrettes de uoyent eſtre tramees ſecrettement, & de ce de uis tombans en autre, luy promettoyent qu’il n’auroit point veu le tiers des ceremonies & ſingularitez de l’hermitage, & du grand anni uerſaire d’Amour, que le ſujet de ſon conten tement ne fut proche de luy. Cependant Fon ſteland qui eſtoit touſiours en action, auoit quelquesfois l’œil & le deuis de ſa maiſtreſſe, qui luy dit.Vous eſtes bien contant de nous te nir, & de nous mener au lieu où vous auez tou te puiſſance. Et puis que ſera-ce quand nous ſerons deuant la belle figure ? FoNsTELAND. Vous auez bien iugé de mon grand contente ment, & l’euſſiez peu cognoiſtre auec ma fide lité par la figured’argent, mais ce ſera bien plus quand il faudra venir aux preuues entieres, alors vous iugerés combien ie ſuis veritable : Ie vous iure, Madame, que lavaleur que vos per fections ont excitee en mon ame, & qui me fait auoirl’aſſeurance de vous ſeruir, m’entre tient en ceſte magnanimité de courage, pour trouuer l’occaſion de vous faire preuue de mon obeiſſance, poſſible pourray-ie deſchoir de mes pretentions, pource que ma fortune ne me peut · promettre tant de grace, que ie reçoiue la fa ueur dont vos pitiez peuuent conſoler le cœur qui ſouſpire pour vous : Toutesfois ia ne changeray iamais ce grand deſſein, d’autant qu’il ne m’en peut auénir que toute gloire : Que s’il y a du hazard faſcheux pour moy, ce ſera à cauſe de mes deffauts, qui font paroiſtre les approches de ma ruine par la grandeur de vos merites, leſ quels ſont vn eſcueuil, contre lequel ie me per drois, ſi ma temerité n’eſtoit ſoulagee par vo ſtre clenmence : Siie me perds en ceſte fortune, ie ne lairray de faire vn guain abondant, car i’au ray eul’heur d’auoir pretendu au plus digne ſu jet d’amour. Oppoſez voſtre ſageſſe à mes di ſcours, auancez les belles reſolutions de voſtre cſprit, taſchez à me deſtourner par les reuers de voſtre prudence, me demonſtrant, ores ma pre ſomption, ores mes infirmitez, & par les viues pointes de vos raiſons, faites moy croire ce qu’il VOlIS plaira, tant pour me diuertir de ceſte auan ture, que pour taſcher d’affoiblir mes eſperan ces ſ’il ſe peut ; ſieſt-ce que vous ne ſauriés vous effacer de mon cœur, ny en oſter les fideles con ceptions qui l’entretiennent, ny aneantir l’eſti me de la felicité qu’il reçoit en meditant apres les parfaites idees, dont vous l’auez auiſé. LoF NIs : Pourquoy vſez vous de ces façons de pro pos, veu que ie ne vous ay donné, comme ie croy occaſion aucune d’auoir tant de defiance de moy ? Ne vous aneantiſſez point tant, car ie n’y aurois point d’honneur, continués l’affection vertueuſe que vous m’auez promiſe, & ie ſau ray bien me diſpoſer à mon deuoir. FoNsTE LAND. Il eſt reſolu que ie ſoy voſtré, auſſi rien ne pourra deſtourner mes heureuſes delibera tions, leſquelles ſuyuent les plus exquiſes formes de vertu ſous la lumiere d’honneur que ie reçoy de vous, qui eſtes deuotement conſacree àla perfection dont les ſaintes perſuaſions ſont voſtre entretien, 1’abondance que vous en auez vous en fait expoſer ſouuent les threſors, quâd par vos ſages propos vous deduiſez heureuſe ment ce qui eſt du deuoir, lors qu’il vous plaiſt repaiſtre les ames de vos vtiles diſcours, nous propoſant la vertu, ce que vous acheuez auec telle efficace que les eſprits d’honneur en ſont attirez : c’eſt ceſte equitable violence qui m’a conquis, & qui m’aquiert à vous, qui † triöpher de tout, & qui aurez peu de gloire de m’auoir retenu, toutesfois ce vous en ſera : parce que vous m’auez releué l’eſprit vers les obiets excellens. Ieſuis reſolu de perſiſter en la fidelle volonté que ie vous proteſte : afin que par mes comportemens, vous ſoyez acertenee que vous eſtes mon vnique flambeau, guide eternelle, & conduite raiſonnable de ma vie, de mes deſſeins, de mes eſperances & de tout mon bon heur : ie voy qu’il fautioindre la troupe. La grandeur du reſpect que ie vous doy m’empeſche, mais l’aſ ſeurāce que i’ay en voſtre böté me fait vous dire, ma Belle Maiſtreſſe, ie vous baiſe tres-humble ment les mains.

L’Empereur auançoit à petites iournees, & le Duc de Porictonie arriua & ſe presēta au Roy de Nabadonce, auquel il fit ample diſcours de l’effect & ſuccés de ſa legatiō, puis il adiouſta la charge expreſſe qu’il auoit de l’Empereur de Glindicee, touchant ſes fils les princes Fortunez. Le Roy fut treſ contāt de ce qui ſ’eſtoit paſſé auec l’ Empereur, & tres-ioyeux de ce que ſes enfans auoiêt tant accortement veſcu auecvn ſi grandMonar que, l’aiſe quºi eut d’entendre leurs diuerſes auä tures, lui fut vne ioye tant entiere, qu’il ne la peut communiquer qu’à ſon propre cœur. En ceſte lieſſe ilenuoya au deuant de l’Empereur, & luy rendant graces des biens qu’il auoit fait à ſes fils, le ſupplioit d’en vſer comme eſtans à lui, au reſte illeur mädoit parle grâd Duc qu’illes receuroit en grace, puis qu’ils lui auoyent eſté obeiſſans. L’Empereur entrantés limites de Nabadöce, ſe trouua à l’oree d’vne foreſt qui le fit ſouuenir du temps malheureux de ſa diſgrace, & lui ſembloit voyant les arbres que les bois fuſſent les meſmes où en cholere, &malicieuſementilauoit relegué ſabelle & tant deſiree Etherine. Il voulut qu’on ſ’y arreſtaſt, car, dit-il aux Princes Fortunez, ie veux en cét endroit, faire vn ſacrifice à la beauté maltraitee, auſſiie commence à ſentir par les ap parences que ie pourray receuoir de l’alegemêt, toutesfois ie ne veux point imaginer que ie ſois preſt de recouurer repos, que ie ne trouue ma pauure Etherine, que ie croyrois eſtre eſteinte ſans queie la ſens eſtre touſiours viue en moy, auſſiiuſques à l’heure heureuſe que ie la reuer rayie me veux inceſſamment plaindre, en la re grettant.En ceſte feruente humeur, il ſe monſtra lus vaillant qu’il n’eſtoit, car à dire vray, ſame § l’auoit tant mal mené& eſtoit ſi bas que preſque ſavie ne tenoit plus qu’à vn delié petit filet, il fit appreſter ſes chantres qui firent la mu ſique àl’ombre des beaux cheſnes qui receurent lesvoixdelicates, & les accens des inſtrumens, auec telle douceur de rencontre, que l’aer & la terre en retentiſſoyent d’vne ſi douce eſmotion, que la reſiouiſſance ſ’en conceuoit par les ſubſtances inanimees, & bien que quelques plaintes fuſſent ſouſpirees, ſi eſt-ce que les piteux reſons en eſtoyent ſi beaux, qu’en fin tout deuint ioye : entre autres aers qui furent eſtalez à l’ouye, les maiſtres firent eſtat de ceſtuy ci que l’Empereur auoit luy meſme retracé, à l’ombre de ſa douleur plaignant ſa balle, comme ſi elle ne fut plus.

Mon cœur eſt oppreſſé, ma vie eſt languiſſante,
Mon ame deſolee, ennuyee, dolente
Acheuera ſes iours : Me ſaiſiſſant de mal, ſans plaiſir & ſans grace.
Sans vie ie viuray, puis que la mort efface
L’honneur de mes amours.
Vie que ie tenois ma plus parfaite vie,
Enuie qui m’eſtois toute parfaite enuie,
Deſir entier deſir.
Douceur de mes douceurs la douceur ſauoureuſe,
Du meilleur de l’amour la rencontre amoureuſe
Plaiſir parfait plaiſirs :
Beaux yeux qui nourriſſiez de ſi bonnes delices
Mes eſprits lǎgoureux, yeux doucemēt propices
A mon cœur languiſſant ;
Uoſtre lumiere helas, eſt maintenant eſteinte,
De ce que vous eſtiés, vous n’eſtes que la feinte
Et l’ombre paliſſant.
Auſſi ie ne ſuis plus qu’vne image debile,
Sans vie & iugement, vne ſouche inutile,
Une ſource de pleurs :
Et ne reſte de moy qu’vne voix vagabonde,

Qui en retentiſſant, par tous les coins du monde,
Teſmoigne mes douleurs.

Durant que le chœur ſe delectoit en ces ac cords, l’Empereur entretenant les Princes For tunez leur diſoit, Voila ce que ie veux feindre, ie veux penſer qu’elle ne ſoit plus, qui eſt la pire fortune qui me puiſſe auenir, car ie l’ay di ſpoſee à la cruauté qui l’a deffaite ! Penſant à ceſte extremité tant triſte, i’auray vn grand bien ſi i’en reçoy quelque bonne nouuelle, & puisie penſe auoir de l’alegement, & ſuis ſatisfait quâd ie peux dire mon angoiſſe, & quand i’oy plain · dre mon mal, ie me reliouis, d’autant que l’hu | meur melancholique a cela, qu’elle eſt fortaiſe d’eſtre flattee, & ſe ſoulage quand on croid auec elle ce qu’elle veut qu’on imagine qu’il ſoit, & certainement il faut quelquesfois donner au genie ſon particulier contentement ; Iay voulu exaler cet er de la ſorte que mon cœur l’a penſé en offrande à la beauté de ſon intention, & ainſi pour me conſoler ie me donne permiſſion d’e— uenter quelquesfois mes pëſees. Ie péſois autre fois me iouer faignant de croire qu’il y eut des Fees ayans pouuoir de lier les cœurs pour par certains effortstourner les cogitatiôs à leur gré, & les tranſmuer à leur vouloir, & mener à leur plaiſir.Mais auîourd’huy ie le crois abſoluemët, carie ſuis touché de ceſte vehemence, laquelle procede d’vne force exiſtëte & non imaginaire, auſſii’en chante l’humble palinodie. Ie ſcay & i’experimente la violence qui domte les coura’ges, les eleue ou abaiſſe, excite ou retient ſelon ſes Pretentions & l’attribuant comme il le faut à celle la ſeule que i’ay indiſcretement perdue, ie la tiens pour vnique Fée dominant ſur mes deſtins, qu’à ceſte heure elle touche pour les fai re aller à ſon gré : L’aymant ſeparé de ſa mine, ou priué de § du metal qui le nourrit, ſe § & perdant ſa vie, demeure ſans vigueur, vne pierre inutile & vn fardeau deſagreable : de meſme trop ſeparé de celle qui eſt l’agiſſant qui fait mouuoir mon ame, ie ſuis vn vain corps & mon eſprit n’eſt que la ſimilitude de ce qu’il ſou loit eſtre, il eſt ſans ardeur, ſans beaux mouue mens, ſans belles cogitations, aſſopi & retenu dans ſon centre oyſeux & deſnué de ceſte excel lente agitation, qui le mouuoit aux grandeurs de ſes penſees, ſelon les accomplies rencontres de perfection. Tel eſt l’eſtat où ie languis ſi ſurpris des debilitez que cauſe la deſplaiſance, que ie ne me recognois plus ; Au lieu d’auoir l’humeur rompte & ſoudaine, l’intention gaye & reſo † penſee galante & releuee, ievay cheminât auec le deſordre de la triſteſle. Et ſ’il ne me re ſtoitvn peu de ce leuain d’eſperance qui me gra tifie des conſolations que ſe forment les fideles amans, ie ne ſerois plus que la ſtatue de ce que ie deurois eſtre : Ceſte beautéd’eſpoir eſt le reſte de l’eſtincelle de ma vie, c’eſt ce qui me retient & accouſtume à ſuporter le faix de mes inquietu’des, me faiſant reſoudre à la continuelle pourſui te de mö dueil, & toutefois iem’euertue à ce que vous me propoſez par l’eſpoir que i’ay de bié ré contrer : carie n’ay entrepris ces beaux deſſeins que pour r’auoir mon bien : S1 ie ſuis tant heu= reuſement regardé de l’aſtre fauorable que cela m’auiene, ie paroiſtray en glorieux & magnifiques effets, ayant pour but le ſeruice que ie doy à ma Belle, & par leſquels elle ſaura que ie ſuis & ſeray ce qu’il conuient que ie ſois pour elle, que ſeule meut mon ame augré de ſes volontez. Tel le reſolution ſera la fin de mes penſees, car ma fidelité ſ’eſt donné pour eternel objet, la vertu qui l’a touſiours accompagnee, & mō ame ſans ceſſe coniointe à ſi belle opinion, demeurera conſtante en deſirs & actions, auſſi ie ſeray tel que ie ne chemineray iamais par autres ſentiers que ceux que trace le deuoir.

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DESSEIN TROISIESME.


Parties plaiſantes pour le ſuiet des Dames & ſurtout de Lofnis. Contre ceux qui s’offrent à toutes Dames. Stances contre les ſorciers & charlatans. Couſtumes d’vn May. Remonſtrances de Lofnis à Fonſteland.



TAndis que l’Empereur deuiſoit auec ſes familiers, les Dames auoyent fait tendre leur pauillon vn peu auant dans le bois, où l’on donnoit du plaiſir à Lofnis ſelon les occurrences, & veint à propos qu’il falut faire là le ſeiour, pour le reſte du temps qui attendoit la nuit, & auſſi y coucher. Il ſemble que ſouuent le deſtin ſ’accorde auec les occaſions, ou bien qu’il les face venir à gré à ceux qui ont l’ame ſincere. Ce iour meſme eſtoit le dernier d’Auril, & il eſtoit eſcheu que Lofnis eſtoit nee le premier iour de May, de ſorte qu’y penſant durant ce petit repos Fonſteland prit ſujet de faire quelque partie pour ſa Maiſtreſſe. L’Empereur eſtoit occupé à ſon diuertiſſement, & les Princes Fortunez eſchapperent vn petit, & vindrent voir les Dames. La Belle Serafiſe compaigne de Lofnis, qui ne pretendoit rien moins en l’amour, que d’obliger vn iour quelque braue courage, leur dit, Et bien Princes, vous ſemblez eſtre oyſeux, que ne vous auancez vous chacun en l’honneur de ſa maiſtreſſe, pour donner du plaiſir aux Dames ? Cavaliree. Madame, commandez abſoluementà voſtre ſeruiteur, afin que nous ſachions ſi vous auez autant d’adreſſe de le bien traitter, que vous eſtes capable de le poſſeder. serafise. Ie n’ay encores rien acquis, & pourtant ie ne puis faire ce que vous dites, quād ie ſcauray d’auoir puiſsāce ſur vn bel eſprit, i’en vſeray ſelon le bon iugement qu’amour me laiſſera. cavalir. Seroit-il vray que vous, tant belle & accōplie fuſſiés parmy les beaux eſprits, & que rien ne fut à vöus ? serafise. M’eſtimez vous de tant de merite que ie peuſſe poſſeder quelque cœur, caval. Croyriés vous que i’euſſe ſi peu de iugement, que ie ne peuſſe eſtimer ce qui doit eſtre ? Comme ils eſtoyent ſur ces petits debats, il ſuruint vne maſcarade de ſept gentilſhōmes qui firent vne entree fort agreable & leur balet repeté par vne belle voix diſoit :

Triomfés iuſtement deſſus toute excellence,
Vous Belle qui auez toutes perfections,
Tant ce qui de parfait porte quelque apparēce,

Imite en ſa grandeur vos braues actions.
Ie ne vaypoint cherchant d’Ideepaſſagere,
Pour vous repreſentervos merites parfaits,
Ceux là qui vous verront, à la veue premiere
Prendront de mon diſcours à teſmoins les effaits,
Uoſtre eſprit releué ſur les termes du monde
Va touſiours meditant des deſſeins glorieux,
Coſtre cœur eſt ſigrand qu’aucun il ne ſeconde,
Tant ſoit il de vertu ferme deuotieux.
Vous eſtes tout ainſi que les flames mouuantes
Qui s’eſleuent touſiours deuers l’eternité,
Et vos penſees ſont des penſees brillantes
Apre, les grands obiets pleins de diuinité.
Vous eſtes le raport des eſſences extraites
Du ſuiet accompli de merite, & d’honneur,
Telle on vous iugera le patron des parfaites,
Le paradis des cœurs, des eſprits le bonheur.

Toute la belle troupe fut eſmeuë de ceſte gen tille petite auanture qui fut longuement con tinuee à l’honneur de Lofnis, qui cognut bien que ceci partoit de l’inuention de Fonſteland, qui auoit choifi ces ſept, leſquels ſe preſentans deuant les Dames les mettroyent en opinion, ue chacun d’eux chantoit ainſi les merites de ·ſa maiſtreſſe. Le bal eſtant ceſlé, vne Dame reſentale lut à Fonſteland, luy diſant qu’elle † offroit comme à celuy qui eſtoit l’vnique à le bien toucher, & le prioit par celle qu’il deſi roit ſeruir, de ſe donner luy-meſmes le plaiſir qu’il eſliroit pour eſgayer ſes penſees : Il le prit de ceſte belle main, ſuyuant la forte coniuration que la bouche en auoit faite, & dit : Ie vous re citeray vn petit ſouſpir tel que iel’ayaſſemblé, pour l’honneur de celle qui guide les puiſſances de mon eſprit.

ce qui eſt de grandeur, de beauté, de ſageſſe,
Eſt en l vnique obiet, honsré de mon cœur,
Auſsi rien n’eſt parfait que ma Belle maiſtreſſe
Dont les merites ſont des merites l’honneur.
Ces beaux yeux sot des feux döt la ſource eternelle
De lumiere fournit l’vniuerſel flambeau,
Son front de majeſté eſt le parfait modelle
Sur lequel eſt formé tout ce qui eſt de beau.
Sa bouche eſt des deſtins la profeteſ ſainte,
Sur ſes leures touſîours ſe ſied la verité,
Et ſon ame qui tient toute autre ame contrainte,
Va reduiſant tous cœurs ſelon ſa volonté.
D’vn cœur humilié d’vn courage ſincere,
Ie la vay recherchant en mes deuotions,
Telle eſt ma pieté, car ce ſeroit mal faire
De n’aymer & ſeruirtant de perfections.
Royne des volontez receuez ce ſeruice
De l’eſprit qui ſans vous l’amour n’eſtimeroit,
Et iugex aux effaits de l’humble ſacrifice
Du cœur qui volontiers pour vous s’immoleroit,

A ce propos fut mis en auant le ſeruice qu’on doit aux Dames, & chacun propoſoit le deſir qu’il auoit à ſeruir ſa maiſtreſſe : Et là deſſus Se rafiſe accorte entre les belles, parfaite entre cel — les qui ont de l’entendement, & galante entre celles qui ſcauent bien dire, ſe prit à raconter ſa ropre fantaiſie, où la fantaiſie qui la faiſoit par † Il y a dit-elle en ceſte court, vn perſonnage qui eſt fort accompli, & qui diſcourât auec moy me façonna le diſcours, pour r’abatre les beaux & auantageux propos de ces Amans, qui n’ont autre parole en la bouche, que le ſeruice qu’ils doiuent aux Dames, & cependant n’ont rien moins au cœur, d’autant qu’indifferemment à chacune ils vſent de meſmes proteſtations de fidelitez. Ie dyvray que ie croy que tels n’ont rien de bon en l’ame, ou bien ils penſent com meils diſent, eſtants affectionnez de tous ſujets quand ils les rencontrent : Cela n’eſt point ami tié, & encor moins amour.Et pour ſ’en aſſeurer, il faut auoir cét homme de bien, qui par ſa belle dexterité peut, ſiquelque Damel’en prie, luy fai re voir ſon ſeruiteur, en pourtrait toutàl’inſtät. LoFNIs. Ie te prie, m’amie, que nous l’ayons, afin " qu’il me face voir mon ſeruiteur. s E RAF I s E. Quand il n’y aura que nous deux, ie le ferayve nir, il ne ſe veut pas communiquer librement à toutes perſonnes, & ſi toſt qu’il ſeraauec nous, il vous fera voir en belles figures tout ce que vous aurez enuie devoir.VIVAR, Madame ne croyez pas ce que ceſte prudente Dame vous dit, & n’y penſez point, ces † gentilleſſes ſont auſſi vaines que les œrs figurez, prenez vous aux preu ues, qui ſeront ſolides&vrayes demonſtratiös de ce qui eſt, & ne vous abuſez point vous laiſſant trôper par ces ramaſſeurs de petites gentilleſſes, sE RAFisE, Vrayment vous en parlez d’affe ctió, vous auez peur d’eſtre deſcouuert, & que ie ſache par lui ſi vous eſtes fidele à voſtre maiſtreſ ſe.VIVAR.I’ay tät de fidelité pour ma maiſtreſſe, · que ſi ce perſonnage lui vouloit monſtrer autre pourtrait que moymeſme, ma † luy feroit tät de peur qu’il töberoit, & ſe tir à l’enfer, lequel ſ’ouuriroit incôtinent ſous ſes pieds. Ce Prince diſoit ceci pour rabatrela curio ſité de Lofnis, qui durant ce diſcours à ce qu’il aperçeut, auoit affligé Fonſtelãd, lequel ne peut repartir à cauſe qu’il eſtoit ſurpris & preoccupé. A ces diſcours d’autres ſuccederent, tät que cha cû ſe retira.Fonſteläd eſtoitvn peu troublé, auſſi ſon amour le cöuioit à ceſte eſmotio, en laquelle ruminât & ſe trouuât ſeul, il deſchargea só cœur, r’aſſemblant en belles paroles ce qu’il penſoit, ce qu’il pretendoit, & ce que ſon ame auoit deliberé, & trouua moyen de l’enuoyer à Lof nis qui le receut, ne ſe doutant point de ce que c’eſtoit, Elle le prit doncques, mais elle changea pluſieurs fois de penſeeau pris qu’elle courut des yeux& du cœur ces verſets,

Rentrez dedans vos creux ſubſtaces trompereſſes,
Qui ſcaueX par vos arts ſurprèdre tat de cœurs,
Ne venez pl° charmer les yeux de nos maiſtreſſes
Faignäs de leur monſtrer l’ar deleurs ſeruiteurs,
Anges pernicieux que la detreſſe ronge,
Et quiſcaue (mentir quelques felicitez,
Fuy (, carles beaux cœurs ennemis du méſonge,
Ne ſe deſtournent plus apres vos vanitez.
Et vous mignons eſprits ſemblances eternelles
De l’eſprit tout-puiſsät, croireX vo"ces mêteurss
Vo"chef-d’œuuresde Dieu faites pour eſtre belles,
Quoy voudri X-vous auſſi croire ces ſeducieurs ?
Fottº belle de mon cœur qui aueK cognoiſſance
Que ie n’honore rien que vos perfections,
Voudriez-vous rechercher vne fauſſe apparèce,
Pour deceuoir amour & mes affections ?
Uous voudrie{vous attendre aux especes friuoles,
Qu’vn triſie charlatan vou feroit eſperer,
Et me# riſant lafoy de mes chaſtes paroles,

Du meurtrier de la foy vous vouloiraſſeurer ? ces cruels deceueurs troublent les fantaiſies, | Ils mettent dans les corps trop de tentations : e WMais les fidelitez des amours accomplies eAccompaignent le cœur de conſolations’Joye Kmoy vous verreN non vne vaine image Legerementpourtraicte en vn traictpaſſager — Et vous qui iugez bien d’vn fidele courage ©ous y verre{ bien plus qu’vn nuage leger. e 2Mais qui vous faict penſer à cette experience De vouloirpar ha{ard voir voſtre ſeruiteur — Sinon que mepriſant ma fidelle conſtance Vous faictes peu de cas des deuoirs de mon cœur.’Uous abuſez amour, voas fraudeX ſa creance Puiſque vous eſtimez ces fantaſques diſcours feprens donques congé, car fruſtré d’eſperance He voy que Yous aucX cent mille autres amours 8t puiſque l’on ſe fie aux douceurs de ces Dames Qu’on ſ’oblige d’eſprit à ſeruir leur beauté, C’est ſe recuire en vain dans des iniques flames, En ſe rendant l’obiect de toute indignité Puiſque vous deſirés qu’vne fauſe magie Vous monſtre le ſuccés de vos intentions C’eſt faict, il nefaut plus que conſtant ieſupplie, Car voſtre cœur eſt loin de mes pretentions Ma belle i’en mourray, tant preſſé de detreſſe — Que ie ne penſe plus retrouuer de l’eſpoir ſOoila ! ieſcauois bien qu’vne belle Maitreſſè M’abuſant de propos me deuoit deceuoir, Rompez ce doux lien, qui oblige ma vie Auant que d’allervoir ces deſloyaux pipeurs Et puiſque vous aueX de ces preuues enuye, Ne faictes plns deſtat de ſuborner les cœurs.

Que ie fus abuſé quand i’aſſeruymon ame Au volage donteur de mes preſomptions Non iene deuois pas vous honorer ma Dame, Pour extreſme ſubiect de mes ambitions. Mais quel trouble eſt-ce cy, ces magiques sëblances Pourroient-elles forçer mon cœur determiné ? Faut-il qu’vn vain abus froiſſe mes eſperances 8t qu’vne opinion me rende ruyné. Non ie ne penſe plus en ces penſees vaines Suiuez ſi vous voulez, ces demonſtrations Ie ſuis tant arreſté d’affections certaines, Que ie ne veux penſer qu’en mes affections. Ma belle pardonne (à mon impatience, Et ne vous defiex de mes chaſtes ſermens, Touſiours le grandamour eſt plein de vehemëce, La crainte ſuit touſîours les fideles amans. Non, ie ne penſe pas que cent millefigures, Poupeuſſent deſtourner de me vouloir du bien, Et ie veux m’aſſeurerque tantg tant d’augures Dont on tente les cœurs ne menuiront en rien. Cependant tout d’ardeur, prompt à voſtreſeruice Ie paroiſtrayparfaict en reſolution, º Et ne deſirant rien que vous auoir propice f’arreſte à ce deſſein ma reputation. P ou ne me verre (plus auec la deffiance, AMachiner inconſtant quelque rebellion, Mais tout deuotieux ie feraypenitence T)es diſſeins outrageux de mon opinion. ©ous eſtes des beaut (l’image que ma vie Apriſe pourſuiett que reuerer ie veux, Ie vous immole doncq mö cœur en ſainčte hoſtie, Car vous eſtes l’obiet de l’honneur de mes vœux.. Ceſte Princeſſe liſant ces vers eut pluſieurs fantaiſies au cœur, car voyant les agonies, les deſeſpoirs, les reſolutions, & puis la palinodie de celuy qui eſt à elle, ſe trouue en peine, elle balã ce ſon deſplaiſirauec ſon aſſeurance, & puis ſage s’aduiſant qu’vn amant n’a pas ſi toſt §, qu’il demande pardon, ſe tientaux dernieres paroles de ſon eſcrit : car cöpaſſant les paſſions d’vn qui s’afflige aiſément & ſans cauſe, auec l’agitation de söpropre cœur qui la cöuainc d’auoir vn peu failli, ſe tāce ſoy meſme de n’auoir pas eu aſſez de diſcretion.A dire vray, c’eſt vn accroc bien delié & vne delicate paſſion que l’amour, le cœur qui l’a logés’vlcere facilement, parquoy il eſt beſoin de bien traicter les pauures eſprits qui en ſont touchez, de peur de les violenter & faire choir en des precipices qu’ils ſe cauent indiſcrette mcnteux-meſmes, ſans que ſouuent on y penſe, l’ombre d’vn petit oyſeau paſſant aupres d’eux, leur ſemblera plus grand que la pyramide ob ſcure döt la terre oſte la lumiere à la Lune.Tan disque laDame entretenoit ſes penſees, & qu’el le ſe iugeoitl’auoir incité à ce petit dépit, dont · elle ſe repëtoit auſſibië que luy.Voicy les Prin ces Fortunez & pluſieurs autres, leſquels ſur | uindrent au ſoir auec les luts donner la muſique aux Dam esautour la tente de Lofnis, qui ſe mit à deuiſer auec Serafiſe, & quelques autres, ſon ame pourtant n’eſtoit point bië raſſiſe, car elle a uoitinquieté celle de Fonſteland, toutesfois elle fe remit bien toſt par l’effet de ceſte partie faite en faueur d’elle, à la fin de laquelle elle ouyt vn air qui à ſon auis cóme les cœurs aymās croyent tout ce qui leur plaiſt, eſtoit ſouſpiré pour elle, & aduint que quatre luts s’en accorderent, & vn page auec ſa belle voix pouſſa par l’aër les paro : s de ce ſouſpir,

Ceſſe penſee trop cruelle De troubler mes affections, Car le courage de ma belle Prendgarde à mes deuotions. Opinionpartrop faſcheuſe ui m’incit oit à blaſphemer, Fayplace à la reſpectueuſe lui me la fait touſîours aymer. I’euſſe eſté laſche & miſerable T)’obtemperer à mon malheur, car ma Maiſtreſſe pitoyable Accepte les vœux de mon cœur. Amourpardonne à ma folie, Plus ie ne me reuolteray, Perſeuerant toute ma vie Ma Maiſtreſſe ieſeruiray. Fuyez faſcheuſes fantaiſies Et venez les douceurs d’amours, Afin que nos ames vnies se puiſſent entr’aymer touſîours. Ma belle, croyez que mon ame amais plus ne s’engagera A d’autres deſſeins qu’à la flame # pour vous la conſumera.

Que l’incöſideratiö döne de peineaux ames qui s’y laiſſent † ceſtamant flottoit en ſon dépit, & puis il ſe döna vn grand trauail pour en effacer la faute : Ses paſſionsl’agitét par † ropre erreur.SaDame l’avn petit affligé, &il § vlce rétrop violentemét, & puis il rºbi it.Et en ceſt eſtat, pour oſter toute opinió de ſon meſconté temét : il s’aduiſe d’vn beau deuoir, où poſſible il n’eut pas péſé ſans ceſte pointille, &auquel auſſi s’il euſt failly durät ceſt accidët, Lofnis euſt creu qu’il euſt tenu ſon indignation contre elle. Il en parla à ſes freres, qui tous enſemble aduiſerent au ſuiet propoſé, & ſelô l’antique couſtume ayât ordonné tout ce qui faiſoit beſoin furët preſtsa uec leurs amis preſens à döner l’agreable reſueil aux dames, en plantât au matin vn May pres la porte de la tente deLofnis : ceſt arbre fut conduit _ auec les inſtrumés de Muſique, & les voix ioin tesàl’honneur &à la magnificence, eu égard à la reuerence du iour, & à cauſe de la ſolemnité, & de la Dame pour l’amour de laquelle ceſte cere monie s’acco mpliſſoit. En ſuitte de ceſte façon de faire vn pagevint à la chambre de la Dame, & luy preſenta vn myrthe qui eſtoit lié d’vn petit rouleau autour de ſa tige, en ce rouleau eſtoitv ne eſcriture fort delicate, teleuee d’or : Elle ayāt ſçeu ce qui s’eſtoit paſſé dehors receuant aèrea blement ce bouquet en defit mignonnement le petit parchemin, & le diſpoſant en ſon premier plan, prit plaiſir d’y lire.

Arbres qui redreſſe (vos cimes blanchiſſantes, Qui brillent vers le Ciel de tant de belles fleurs, Tortez encorplus haut vos teſtes fleuronnantes A l’ègal des deſirs des plusfideles cœurs. Je m’aduance entre vous par fidele couſtume, Pour eſlire le brin de mes intentions, 8t comme eſt la beauté qui mon courage allume, I’auray l’œil au plus beau pour mes deuotions. ces Mays que le commun qui vit ſans cognoiſſance Plante pour la beauté de ſon émotion, Sont arbres qui n’ont riè qu’vnefoible apparêce

Comme la volontè qui n’eſt qu’opinion.
Les ſuiets ſont auſſi ſemblables aux ſymboles
Car onrecognoit bien la cauſe par l’effet,
Tous ces autres ſuiets ſont des ſuiets friuoles.
Il n’eſt que mon obiet de merite parfaict…,
La beauté que i’honore eſt toute de merite,
Et parfaits ſont les vœux que mon ame conçoit.
Il me faut döcvn may des plus beaux mays l’élite
Pour offrir dignement ce que mon cœur luy doit.
Dans les foreſts d’honneur conduit par ma lumiere,
Ie choiſiray d’amour le rainceau bien heureux,
Aux branches i’appendray, mô Kele, ma priere,
Mes flames, mon deſir, mon eſpoir & mes vœux,
Puis ie lepoſeray deuant la viue image,
Ou mes deuotions s’addreſſent ſainčtement,
Ma belle le voyantyverra mon courage,
Et ſçaura que mon cœur l’honore vniquement,
Ie ne dreſſera point un arbre periſſable
Deuant les chaſtes yeux de la beauté d’honneur,
Et comme ſon merite eſt parfait & durable,
Ie luy rendray des vœux dignes de ſa grandeur.
Mais que vay-ie cherchant ? il n’y a plus de plante
Qui ſe puiſſe égaler à mon affection,
Ma belle eſt le rainceau qui ſans ceſſe s’augmête,
Pour eſtre vnique may de la perfection.
Donq que lui offrirai-ie en ſigne de mon Kele ?
Vn cœur humble & deuot plein de fideliteX,
Belle acceptez ce vœu qu’apend voſtre fidele —,
Auec obeiſſance aux pieds de vos beaute{.
Mes deſirs ne ſont point fleurs de vaine a parëce,
Car en fruits de deuoir à la fin ils #
Et vous verrez auſſi par ma perſeuerance,
ſQue lesfideliteX de mon cœur dureront,

Pour paracheuer la partie il falloit du téps. Par quoy les PrincesFortunez auiſerent l’Empereur des couſtumes de ceiour, & qu’ayant veu venir en lumiere le gage de ſa chaſte affection, ils le prioyét que ceiour fuſt feſté, ce qu’il eut agrea ble, ioint qu’il vouloit en toutgratifier les Fortu nez, &puis il ſe doutoit que Fonſteläd eſtoit ſer’uiteur de ſa fille, ce qui luy plaiſoit, partantilac corda ce qu’ils voulurét. Ce meſme iour arriue rent forces Princes, Seigneurs & Gentilshömes de la part duRoy deNabadonce qui vindrentſa luer l’Empereur, lequel les receut magnifique mét, nó cóme voyageur, ains en grand Monar que : àl’iſſuë du diſner la muſique s’aſſembla, & fit entendre cethymne ſouſpiré par le deuot d’Amour, à ſa belle.

Uoicy le iour heureux du ſainct Anniuerſaire De la Natiuité de laRoyne des cœurs, Les amans qui voudront à leurs’Dames côplaire, Doiuent prouuer icy leffet de leurs ardeurs. Que tout amant de Foyface icyſon offrande, Qu’il immoleſon cœur deuant ceſte beauté, flfera ſon deuoir comme amour le commande, Car c’eſt icy l’autel deſa diuinité. ais que me reuiendra de l’humble ſacrifice Que i’y viendray deuot faire en fidelité, Si elle ne reçoit mon fideleſeruice, , Mes vœux ſeront ainſi que n’ayans point eſté. C’eſt tout vn, l conuient pourgaigner la Fortune, Faire icy de nos cœurs vn deuoirprecieux : Les Dames le ſçauront, &poſſible chacune Aura quelque pitié de ſon deuotieux. Belle, ſi c’eſtoit vous qui vouluſſie Kentendre Aux fideles deuoirs de mon humilité, — Que ieſerois heureux ! heureux i’ypeux pretédre Car en me receuant vous m’auez arreſté. Ie m’abuſe, peut-eſtre, vne Dame ſiſage, Mefera pas eſtat de mon affection, Poſſible ſifera, pource qu’en leur courage, Les Dames ont touſîours de la compaſſion. Ma Belle, ie croy donc, qu’il vous eſt agreable Que pour voſtre ſujet ie m’oblige à l’amour, Et que de vos faueurs me cognoiſſant capable, Si ors vous ne m’aimez, vous m’aimerez vn iours Queſipour mon ſujet voſtre ame n’eſt atteinte, Vous ne lairrez pourtant de receuoir ces vœux, Car en les receuant votu n’en ſerez contrainte, , Ooyant & non ſentant la vigueurdemesfeux. Telle eſt la liberté des ames genereuſes, Telles ſont les amours des amans plus parfaicts, Les eſprits releuez, les Dames curieuſes, Suiuent ainſi l’amour cognu par les effects. Or c’eſt faict, me voila, ieſuis à vous ma Belle, Triomphez demon cœur, qui ſeule vous co noiſt, Il n’a point d’autre amour, il n’a point #autrë Kele Qu’eſtre eternellement tel qu’il vous apparoiſt. Ce fut à pareiliour que voufuſtes propice Ames fidelite ( qu’il vous pleuſt receuoir, Et que ie vous iuray de vous faire ſeruice, Par les plus beaux effects que produit le denoir. Tout ainſi quel’honneur voſtre courage addreſſe, Il conduira l’eſtat de mon intention, En vous recognoiſſant pourvnique maiſtreſſe : Car c’eſt le terme heureux de mon ambition. En ce deſirconſtant, ie vous rends cet hommage, Comme tenant de vous la vie & le bon-heur, Prenex en le profit, fuyez-enle dommage. Vous qui ſçauez iuger demerite & d’honneur.

Les exercices eſtoient conduits en perfection, & : | le contentement cheminoit à pas dansles com · · moditez, parmi ceſte chaſte troupe où chacun | | de nous ſ’addonnoit & employoit à ce que ſon | | cœur deſcouuroit pour döner de la reſiouiſſance | à l’Empereur, & fauoriſer Lofnis, laquelle ayât pris l’occaſion auec Fonſteland, luy dit : Vous 2lll6Z vengé voſtre cœur âmes deſpens, me dönät des alarmes faſcheuſes ; ie vous prie que cela ne ſoit plus, ſi mavie vous eſt chere, &ne prenez pas toutce qui ſe paſſe au pied leué, vous deſirez la fidelité, procurez la moy, afin que nous puiſſions l’vn par l’autre receuoir du plaiſir ſans nous don ner indiſcrettement des tourments : puis que vous eſtes aſſeuree de ma volonté, faictes que ie ne puiſſe douter de la voſtre : Et que cy apres les demonſtrations de voſtre amitié ne me ſoient point eſpineuſes, d’autant que i’ay l’ame tant vnie à ſa proprieté d’eſſence qui eſt toute vnité, que ie ne puis rien ſouffrir d’eſtrange. Or auiſez en m’aimant, que ie ne reçoiue de vous autres fruicts que de parfaicte affection, ſi vous ne vou lez trouuer en moy, non vne perſonneviue qui vous aime, ains vn corps delaiſſé de ſon ame, qui vous ſera vn ſujet eternel de regret.FoNsTE LAN. le vous requiers pardon, & me le deuez accor der afin que ie vous obeiſſe ; & ie vous iure reſo lument que iamais plus ces folles circonſtances ne troubleront mon cœur, & m’en garderay di "gemment, afin que ma vie vous ſoit à plaiſir. Ce deuis agreable eſtoit continué, quand pour le fruict les Fortunez furent mandez pour aller au Conſeil, à cauſe qu’à cet inſtant eſtoit arriué vn Roy d’armes, accompagné de ſept heraux, qui de la part du Roy de Nabadonce, ſignifioit à l’Empereur, que pour l’amour de luy le grand anniuerſaire d’Amour auoit eſté remis à com mencer à ſon arriuee en Amerimnie, & qu’il ne ſeroit ouuert que quand ille diroit : dauantage le Roy luy mandoit qu’il auiſaſt à ſe deffendre, · pource qu’il le vouloit vaincre de courtoyſies. Apres les auis pris, l’Empereur fit reſponſe qu’il remercioit le Roy ſon frere, & qu’il ſe tenoitia pour vaincu : mais que quelque iour il taſche roit de faire paroiſtre ce qu’il auoit au cœur pour triom her auec luy ſur le char des magni ficences, où ils diſputeroient d’vne derniere victoire pour le meſme ſuject. Ce Roy d’Ar mes ſ’en retourna ioyeux d’honneur & de dons : Et l’Empereur deſlogeant aſſez matin ſuyuit ſon chemin, aſſiſté d’autant d’eſperance qu’il en pouuoit practiquer : il eſt vray qu’il auoit auſſi touſiours de la douleur, & il les balançoit inceſ ſamment, mettant pourtant touſiours le plus fort du coſté de l’eſpoir.

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DESSEIN IIII.


Arriuee de l’Empereur en Nabadonce. Don de Seliſe. Les Princes receus du Roy. Reſponſes de l’Empereur pour les ſept Damoiſelles & auec Sarmedoxe. L’Empereur eſt introduit en l’Hermitage. Vertu du lieu ſur les penſees. Premiere ſeance au Palais de la Lune.



LA Nobleſſe arriuoit de toutes parts, tant pour faire honneur à l’Empereur que pour voir les Princes qui auoient eſté ſi longuement perdus, & par le commandement du Roy l’Empereur eſtoit conduit és bōnes villes, où il eſtoit receu auec toute magnificence, & quand il approcha d’Amerimnie le Roy vint au deuant de luy, & ſ’entreſaluerēt ces deux Monarques auec toute courtoyſie & façon de Princes, qui ſ’aimēt ſans feintiſe. Le Roy à l’arriuee honora l’Empereur de tout ce qu’vn grand peut apporter à la reception agreable d’vn autre grand qui le vient voir en amy. L’Empereur eſtant arriué il fut logé au Palais d’Amelie, & ſa chambre fut au pauillon du Querderotrofe, où toutes commoditez luy furent offertes ſelon que le Roy l’auoit ordōné : Les Ambaſſadeurs des Roys & Princes amis eurent audience en ſa preſence. La Court fut incontinant enflee de toutes ſortes de perſonnes qui venoient de toutes parts, & chacun auoit ſon departement, & ſur tout ceux qui venoient au grand Anniuerſaire eſtoient logez à Seliſe bourg prochain, dót eſtoit ſeigneur Geto ſin Apragme, ceſte ſeigneurie autrefois eſtoit nommee Hazard, mais ce nom fut châgé à cau ſe d’vne belle Dame qui en demeura heritiere, laquelle auoit nom Seliſe, & le donna aux ance ſtres de Getoſin, à condition qu’à touſiours le bourg porteroit ſon nom, ce qu’elle fit, parce qu’elle voulut viure vierge, & mourir en ceſte volonté, n’appetant autre recognoiſſance, pour tant de bien donné liberalement, qu’vne ſimple & douce memoire de ſon nom. Tout diſpoſé le Roy fit appeller ſes fils, & les ayant introduits en ſon particulier, les receut auec indices de fa ueurs paternelles, leur declarant ſon intention, à laquelle il eſtoit bien aiſe qu’ils euſſent reſpon du, & voulut les receuoirainſi. Car ce faict tou che de ſi pres qu’il n’eut ſceu faire le Roy & le pere deuant la multitude. Olocliree leur ſage ſœur eut vn de ſes bons contentemens, receuant auſſi vn aiſe particulier de ce que Lofnis luy fut commiſe pour la traicter, & conduire où il luy plairoit, & le bien fut encor plus grand en ſon cœur quand elle ſceut la part que ſon frere Fon ſtelandauoit en la belle grace de la Dame. Le Roy eſtoit fort contant de ſes fils, & ce qui plus lé contentoit & luy donnoit de ſatisfaction en ſon cœur, eſtoit l’agreable recit quel’Empereur en faiſoit, quand ils eſtoient enſemble, luy teſ moignât les merueilles de leur ſageſſe & valeur. Le iour ſ’approchoit que l’Hermitage deuoit eſtre ouuert, ainſi que l’Empereur l’auoit de mandé au Roy, qui luy auoit donné tout pouuoir ; Tout y eſtoit appreſté, & les magnificen ces y abondoient, & les ſtatuts, ordonnances & couſtumes furent proclamees, & le iour de de uant la ſouueraine enuoya vers l’Empereur les ſept Damoiſelles egales, leſquelles ſe preſente rentà luy toutes d’vne façon enſemble, & d’vne meſme grace, & luy fut dit qu’il choiſit la plus belle à † gré. Or ce fut ou par la vertu propre de ce beleſprit qui n’eſtoit point alteré, ou pour ce qu’il ne vid rien en celles-cy qui reſſemblaſt à l’air de ſa deſiree Etherine, laquelle ſeule il eſti moit belle, qu’il fit ceſte reſponce : Ie n’ay garde · de donneriugement ſur les ſujets diuins, de peur d’irriter la puiſſance qui ſ’eſt reſerué ce ſecret, & † ſi ie m’arreſtois à vne faiſant vn choix poſſi leinequitable, i’é aurois ſix ennemies, parquoy i’aime mieux gratifier chaqu’vne qu’vne parti culiere, & puisie ſuis venu icy pour eſtre iugé &. non pour iuger. Apres cela Sarmedoxe luy demanda : Sire, ſi ces belles eſtoyent en vne chambre dont elles ne peuſſent ſortir qu’vne às la fois, à laquelle eſt-ce qu’il appartiendroit de ſortir la premiere ? LEMPEREvR. Celle qui ſor-— tiroit la premiere ſeroit vne belle. SARME DoxE, Sire, ſi vous n’auiez point d’affection la mettriez vous en ceſte là ? L’EMPERE vR, A ceſte heure, qu’elles ne ſont plus icy, ie vous dy que i’aurois lame auſſi capable de les dedaigner toutes que de m’addonner à vne. SA R M E D. Qu’eſtimez Vous d’elles, Sire. L’EMPEREvR. Egalement : ºar n’ayant point d’emotion particuliere pour aucune d’elles, i’en eſtimerois le tout comme i "ºreiſt ſans m’y obliger. Et de faicts ce qui ne touche point eſt ainſi qu’vne peinture où nous voyons du droict, du courbe, la figure du ioyeux & du triſte, & telles differences qui ne nous eſ mouuent point à les gratifier ou plaindre.Apres quelques autres diſcours Sarmedoxe ſe retira pour faire ſon rapport à la Souueraine. Le iour de l’ouuerture du grand Anniuerſaire d’Amour l’Empereur fut introduit en l’Hermitage d’hon neur où il contempla auec quelque admiration les magnifiques ornements du lieu qui eſtoit pa ré de tout ce qui eſt requis à l’accompliſſement d’vne maiſon heureuſe. Eſtant en la ſale du Donjon deuant la Souueraine ( car par bien ſeance il obſeruoit les loix du lieu)il luy fit en tendre la cauſe de ſa venuë, apres quoy il fut ar reſté que ſa maieſté logeroit au palais de laLune. Cependant l’Empereur ſe promena és lieux li bres, remarquant les ſept palais autour du Pa lais des ſecrets, & Sarmedoxe l’entretenant luy dit : Sire, qu’eſtimez-vous des belles raretez que vous auez deſia veues ceans ? L’E M P E R E v R. Si i’auois l’ame en la tranquillité que ie ſuisvenu chercher icy, ie vous dirois poſſible des expoſi tions que parauanture pluſieurs courages ne pourroient ſupporter. Mais eſtant enl’eſtat di minué où ie me trouue, i’attés à parler au temps que i’auray barre ſur mes conceptions. Toute foisie vous diray en paſſant (non pour vous, car c’eſt le cötraire que vos actions&mon diſcours) que ie m’eſtonne comment chacun eſt actif à faire des figures & peintures reſſemblantes aux perſonnes, & on ne ſ’addonne point à faire tant que l’on puiſle taſcher à ne reſſembler pas aux figures. SA R M E D ox E. Sire, quelle differen ce penſez vous qu’il y ait entre le ſemblable & le reſſemblé. L’EMr. Celle que le temps, le lieu, & la diſpoſition y apportent. Ils deuiſoient de plus en plus entrant profondement ſur les ſujets plus notables, au moyen dequoy l’Empereur apprit le principal ſecret de l’Hermitage, lequel eſtoit de l’inuention de la Souueraine, à ſçauoir que quand vn amât ou amâte eſtoit dâs le palais où les cauſes ſe plaidoient, & que ſeparé ou en · compagnie on deduiſoit ſon affaire, on enttoit en la meſme humeur, ſemblable eſprit, pareil les penſees, & diſcours egaux aux precedens, on eſtoit poſſedé de telle ſorte, que quand l’Amour. agitoit le cœur ſuyuant les rencontres, deuis, re cherches, propos & actions amoureuſes comme au fort de la paſſion, & penſoit-on eſtre tout ne plus ne moins qu’en tel temps. Or pour faire honneur à l’Empereur, le Roy & la Souueraine auoient auiſé enſemble que l’Empereur preſide roit iuſques au iour qui le concernoit, que la Souueraine rentreroit en ſon ſiege pour pronö cer les derniers arreſts. L’Empereur fut fort contant de cela, & ſe diſpoſa de bien faire. Au iour ordonné que l’Hermitage fut ouuert, enſui uant les ſtatuts & bonnes loix, l’Empereur fut conduit en la ſale de l’Audience du Palais de la Lune, oùil entraveſtu d’vn riche accouſtrement de toile d’argent, accompagné de toute l’ordon nance, † qu’il conuenoit à ſa maieſté. Les meubles du Palais eſtoient tout releuez d’argent & les fermetures des huis & feneſtres en eſtoiët * n’y auoit vtenſile qui ne fuſt de fin argent, ou en eut autant qu’il eſtoit neceſſaire. L’Em pereur ayant fait vn tour§ la ſale vint à la fene ſtre pour regarder la conſtruction du lieu, & re cognoiſtre où il eſtoit ; de là il conſidera & re marqua les autres Palais bien diſtinguez, & de deſſous le Donjon il recognut vne petite ſour ce qui ſurjonnoit doucement, rendant vn beau ruiſſeau aſſez limpide, dont les foſſez du Palais de la Lune eſtoient pleins, & l’eau en eſtoit reſ ſemblante à la bruniſſeure de ſon metal, apresil ſ’aſſit ſur le riche lit d’argent, & autour en leurs ſieges ſe mirent les Conſeillers, les maiſtres des ceremonies & officiers d’Amour, puis on ap pellales Amans. Adonc il entra vne belle Da moiſelle, ieune & bien paree, qui ayant hum blement ſalué l’Empereur, ſ’alla aſſeoir ſur vn carreau qui luy auoit eſté ordonné, vn peu apres il entra auſſi vn Gentilhomme qui à ſa façon paroiſſoit auoir eſté bien nourri. Ces deux ſont deux Amans qui ont faict le voyage pour plai der leur cauſe, en intention d’auoir iſſuë agrea ble de leurs peines. Vn peu apres entra la Souueraine, accompagnee de ſes Dames, & vint ſ’aſſeoir au coſté droit de l’Empereur à ſes pieds ſur vn troſne d’argent qui luy eſtoit repare. Eſtant aſſiſe vn petit, elle ſe leua & dict à l’Empereur : Sire, à voſtre commandement chacun ſe mettra en deuoir. Puis ſe remit en ſon ſiege Alors l’Empereur dit : Que don—. ques ces belles Ames facent paroiſtre ce qu’elles ont eſté, & quel fut, & eſt l’eſtat de leurs deſirs. L’Amant ſ’aprochât de la Belle cötre la barre où les paſſionnés parloient, baiſe la main & luy ten dit, & elle ſe leua & illuy dit : Vous ſçauez belle Proſine, que i’eſtois franc de ſoing, & que ie n’auois aucune apprehenſion lors que ie fis ren contre de voſtre beauté, qui m’apparut comme vn aſtre de bon-heur, & ie ne veux que vous ſeule pour eſtre iuge de mes actions, depuis que ie vous eu preſenté mon ſeruice, & que pour vous ie formé en mon cœur l’inquietude & le ſouci d’amour, vous ne vous eſtes iamais plaint de moy pour auoir fait faute au ſeruice que ie vous doy. Auſſi ayant fait mon deuoir ie ſuis venu icy, non pour vous accuſer, ains pour de mander recompenſe de mes ſainctes affections, & faut mettre en euidence ce qui eſt paſſé entre nous, afin qu’il en ſoit memoire en lavie des bös amans, vous ſçauez auſſi que i’ay eu le cœur net, & que quelque diſcours que ie vous aye fait pra étiquant vos belles graces, mes paroles ne ſouſ piroient que ce que ie vous repreſenteray. Ma fidelité fera paroiſtre que ie ſuis tellement con ſtant, que difficulté aucune ne peut me deſtour ner de mes deſſeins, ie ſuis tant reſolu à la perſe uerançe, que iamais il ne paroiſtra de tache à mon honneur : auſſi mes humeurs ſont ſi bien diſpoſez au proiect de mes premieres volontez, que ie ne fieſchiray point, & quand meſmes ce ſeroit ma ruine que m’arreſter au ſuiect où ma pieté m’oblige, ſi ne laiſſeray-ie dy continuer à cauſe de ma ropre valeur. Dauantage mon ſu ject eſt de tant de merite, que ie ne peux rien Penſer de plus deſirable. Soyez aſſeuree de ceſte’erité, & que mes paroles ſont touſiours l’image de ma penſee. Ie cognoy bien que ie ſuis trop eſloigné de toutes graces pour meriter que vous me croyez, ou que vous me voulez du bien, toutefois i’eſtime tant de moy, veu la belle impreſſion que i’ay en l’ame, qu’il m’eſt auis qu’il faut que vous ſoyez certaine que ie ſuis veritable & conſtant à vous ſeruir, & par cela ie me perſuade que voſtre eſprit tout accompli, reçoit quelque gloire de triompher de moy. Ces paroles ſont le ſuiet de mon ordinaire entretien, ce que ie profere eſt le pied où ie me ſuis reglé en vous ſeruant. Ie ſçay bien, & vous ne l’ignorez pas, que ie me ſuis inceſſamment conformé à voſtre humeur, que ie voyois galante & releuee, & qui vous tiroit du commun ordre des Dames, par quoy en la proteſtation de mon ſeruice, ie chanté deuant vos yeux l’hymne de ma fidelité que — ſelon la couſtume de ceans, ie feray ſouſpirer à ceſte lyre, le repetant deuant ce grand Empereur, & ie vous prie d’y ioindre voſtre voix, comme iadis nos volontez eſtoient vnies, quand noſtre bonne fortune nous allectoit ſous les aiſles d’Amour. La Belle y conſentant, ſouſpira les accens de ce bel air.

Eſleuez voſtre cœur ſur les formes plus belles,
Paſſez outre le ciel en vos conceptions,
Afin de vous vnir aux beautez eternelles,
Qui ſont le ſaint obiect de vos affections.
Auſſi permettez moy d’auoir l’ame eſlancee
De ces belles ardeurs qui vont vous releuant,
Que vous ayant pour guide en ſi belle penſee,
Comme vn aſtre ſacréie vous aille ſuyuant,

Vous m’auez retiré des obiects periſſables,
Seule m’ayant fait voir les images d’honneur,
Par vous i’ay recognu les ſuiects deſirables,
Seuls dignes d’eſmouuoir les ſecrets de mon cœur.
Je renonce à iamais aux vanitez paſſantes,
Ie ne veux plus rien voir qui ne ſoit iuſte & ſaint,
Des erreurs de iadis deſſus moy dominantes
Pour ne plus ſ’allumer, le deſir eſt eſteint.
Qu’vne douce beauté par les vertus conduite,
A ſur les volontez d’equitable pouuoir !
Belle, conſiderez voſtre vnique merite,
Comme prince abſolu me renger au deuoir,
Que ie ſuis glorieux de ſi belle fortune,
Que mon cœur eſt contant d’admirer ces beaux yeux !
Mon ame vou ſuyuat d’vne ardeur non cōmune,
En ſouhaits accomplis, ſ’eſlene iuſqu’aux cieux.
Seule vous cognoiſſant digne d’eſtre eſtimee,
Ie mets icy le terme à mes ambitions,
Mon ame ne ſera cyapres animee
D’autres feux, d’autre Amour, d’autres deuotions.

Le chant acheué, la Belle dit à cet Amant Prodile ; Ie n’ay iamais douté de voſtre affection, auſſi nous ne nous ſommes point ſeparez l’vn de l’autre pour frauder l’Amour. Quand vous m’auez faict des proteſtations veritables ie les ay creuës, vous certifiant mon amitié : Si vous m’auez eſcrit, ie vous ay fait reſponce ; auſſi noſtre amour eſtoit ſimple, reciproque & fidele, auquel il n’y auoit rien meſlé d’eſtrange, la raiſon la conduit, & la vertu l’a continué tant que le deuoir nous l’a permis, Si le ciel l’eut ordonné, nous euſſions eſté l’vn pour l’autre, ioinct que ce n’a pas eſté le plaiſir de ceux qui ont pouuoir ſur nous : parquoy ayans eſté vnis d’amitié, nous l’auons eſté de conſeil. Il vous ſouuient bien que pour dénoüer doucement noſtre familia rité, ie n’vſé d’aucune violence, ny d’artifice dedaigneux, en ceſte faſcheuſe neceſſité i’ouuris ainſi mon cœur deuant vous : Puis que le pou uoir ſouuerain qui dreſſe les ſainctes volontez & ordonne toutes nos auantures, a deſtourné le ſuccez de nos ſinceres eſperances, & que mon malheur ſ’eſt oppoſé à l’effect delicieux que ie m’eſtois propoſé en la mutuelle fruition du but de nos deſirs ; & que par la reſolution de ceux — dont nous dependons, leſquels nous deuons re uerer, & croire, toutel’apparéce de noſtre eſpoir eſt euanoüye, & qu’il n’y a plus moyen de reſta blir ce que la fortune a ruiné, que nous ne pou uons refaire ce que les mauuais accidens ont de ſtruit, que nous ne ſauriös renoiier ce que noſtre diſgrace § iamais deſlié : Ie vous prie, vous quiauez eſté mon cœur, viuant des douceurs de • moname, qui eſtoit la vcſtre, & vous ſupplie par voſtre fidelité qui m’a eſté apparête lors que no" diſpoſions nos ames à meſme but, de vous ſou uenir d’vne promeſſe que vous m’auez faicte. Ceſte promeſſe fut ſuppoſee ſur la crainte d’vn auenir, elle fut conditionnee ſur ce qui ſe pour roit offrir de contraire à nos pretentions ſ’ilaue noit ; y penſant i’ay la penſee pleine de regrets, — & ie gemis la rememorant, car nous nous † mutuellement de mettre peine d’ou lier l’excez de nos affections, ſi la fortune ſe changeoit, adiuſtant à ceſte promeſſe toutes autres conditions. Or eſt-il que noſtre crainte a ſentil’effect que nous redoutions, puis que ce | | que nous craignons eſt auenu : & pourtant ie | vous requiers de la ſouuenance de noſtre reci : — proque foy, pour l’occaſi5 qu’il faut que ie vous declare, & auec celaie vous coniure d’obtempe rer à ma demande, en m’ottroyât ce que ie veux, deſia vous y eſtes obligé par la priere que ie vous en ay faite, & que m’auez iuré d’effectuer ſon ſujet, quand ie vous manifeſté qu’il eſtoit que ſtion de ſe deporter pour iamais del’eſpoir qui nous auoit ſi doucement animez : vous me fe rez donques l’honneur de me remettre és mains | les mignons teſmoignages de nos ſecrettes & honneſtes amours, ce ſont les lettres que ie vous ay eſcrites, vous le ferez, puis qu’il eſt paſſé entre nous ſous conditiös veritables. Et croy veu l’in tegrité de voſtre ame, que vous n’en ferez point # de difficulté. M’obeiſſant, ie le veux ainſi dire à cauſe de ma qualité & de voſtre reſpect, vous I’e— ſtituerez à mon ame l’aſſeurance entiere de ſa pleine liberté, laquelle luy eſt acquiſe par noſtre ſeparation. Et vous demonſtrant touſiours ve ritable, vous m’obligerez à faire cas de vous ſur tous ceux qui tiennent leur parole entre les chä pions d’Amour, m’attédant à ce que i’en † ie vous ſupplieray de croire que tout ainſi que moname vous eſtoit fidelementvnie quãd nous courrions meſme fin de felicité amoureuſe, que de meſme mon affection ſera entiere vers vous, Pour vous eſtimer & tenir le premier&plus cher de mes plus ſinguliers amis, & ie deſire de vous le ſemblable en pareil courage d’amitié : car nos premiers deſſeins n’eſtans plus, il nous faut oublier nos amours, nō pour les tourner en haine, mais en vne affection officieuſe, telle que ſera celle dont ie vous aimeray, pourueu que ie re cognoiſſe que vous ne me deceurez pas. Prodile. Ce que vous dites eſt vray, & i’y obtemperé, mais ie ne ſçaurois effacer l’amour, parquoi ie requiers ou que vous me recompenſiez de pareille penſee, ou que vous me donniez moyen de vous aimer ſans paſſion.

L’Empereur confere auec la Souueraine & les Seigneurs & Dames du Conſeil, & apres pluſieurs auis demelez chacun retourné en ſa place, il fut conclud & ſa maieſté prononça l’arreſt.

L’vnité de vos volontez ſ’eſtant trouuee en voſtre auanture, il eſt ordonné que vous changerez d’affections ſi vous pouuez, ſinon vous vous reduirez à cc que la commodité vous offrira comme l’honneur le permet.

Apres ceſte cy pluſieurs cauſes d’Amour furēt plaidees & iugees, au contentement de ceux auſ quels il eſcheoit. Mais vous petits eſprits, qui aboyez les courages nez à la reputation, c’eſt icy que ie prepare le glaiue qui tranchera voſtre envie, ce qui ſera gracieux aux cœurs debonnaires, deuiendra le venin qui vous fera mourir en voſtre malice, retirez vos yeux de deſſus ces pour traicts du ſouuerain bien : Vous les autres qui eſtes ces belles ames qui fauoriſez les courages d’Amour, approchez vous, leuez le voile de ces mignons diſcours, & raſſaſiez vous des bonnes delices que ceſte pellicule de paroles enuelope. Si le deſir d’eſtre parfaictement heureux alleche quelqu’vn, qu’il ſe diſpoſe de nous ſuiure aux endroits de l’accompliſſement de tous ſouhaits equitables, & venant gayement icy on rencontrera toute conſolation à la confuſion des profanes.

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DESSEIN V.


Beau debat & diſpute de deux Bergers, entr’eux & auec l’Empereur. Sarmedoxe rend raiſon à l’Empereur de ce qu’on a mis la Lune la premiere. Le Palais des ſecrets : ce qu’il y a. L’Empereury va & rencontre bien.



LEs Princes auiſerent qu’il ne falloit pas ennuyer l’Empereur, parquoy ils luy conſeillerent de ſortir, & laiſſer acheuer le reſte à la Souueraine. Ils le conduirent donques hors le parq, où de fortune eſtoient deux Bergers qui diſputoient gentilement, & leur debat eſtoit agreable, & de conſequence honneſte. Ils furent appellez, & eux qui auoient accouſtumé de voir ſouuent le Roy & les gens d’honneur en auoient pris telle habitude, que la honte païſane eſtoit corrigee, ſi que leur aſſeurance acquiſe fit qu’ils comparurent honneſtement en ceſte aſſemblee de tāt de grāds. L’Empereur leur dict : Mes amis, dites nous voſtre belle diſpute. Ces deux Bergers Neor et & Synet auoiēt vn peu gouſté au plaiſir que la reputation donne à ceux ſpecialement qui ſe trouuent ſouuent en ceſt Hermitage, & s’eſtans eſpoinçonnez d’vn ſou hait plus releué qu’il n’eſt de couſtume à tellés gens qui ont quelquesfois l’ame baſſe, ils s’e— ſtoient efforcez de ſcauoir quelque choſe, & leur debat eſtoit ſur ce ſuiet, mais premiere | ment ils reſpondirent à l’Empereur & diſpute rent auecluy auant que luy dire la reſponſe qu’il attendoit. NEoRET. Sire, pourquoy nousap pellez-vous vos amis, veu que l’amitié n’eſt que · entre pareils, & n’eſt iugee du premier coup ? L’EMPEREvR. C’eſt pour ce queie veux vous aymer pour vous faire du bien. SYNET. Ce ſe ra donc vous qui ſerez noſtreamy, & partant ce nous ſera vn grand aduantage d’auoir tant con uis eſtans ſimples bergers, L’EMP. Et bien, ie § voſtreamy, dés ceſte heure & veux que me teniez pour tel, & en ceſte qualité contentez moy de ce que ie veux ſçauoir devous.NEoRET. · Il eſt raiſonnable, voſtre Maieſté nous pardon nera : Or, Sire, nous auons tant veu de belles gens qui ſont de bonne grace, que nous auös en uie de les imiter.SYNET. Et voudrions bien les paſſer, car nous ſommes hommes, & puis vous nous auez donné du cœur. L’EMP. Comment cognoiſſez-vous qu’ilya de belles gens, & que vous eſtes hommes ? NEoRET. Par la lumiere qui nous fait iuger ce qui plait aux yeux.SYNET. Et parla parole que nous auons à commande ment, pour chercher noſtre contentements L’E Mr E R E v R. Dites-nous voſtre diſpute. NEoRET. Compaignon diſons encor, SYNET. Ayens du ſuiet pour touſiours dire. NEoRET : I’ay tant mis de diligence, ce m’eſt-il aduis, que i’ay appris à cognoiſtre ce qui eſt és liures où ces gens d’eſprit apprennent ce qui les fait ſça uans, & pour te le faire iuger, ie te prie d’ouyr vne rime que i’ay faite, penſant à celle’que i’ay me, mais prens-y garde, tu y trouueras toutes les lettres de l’A, B, C, iel’ay dit à ma Bergere.

Aux kalendes de May, la belle Marguerite Ficha le zele au cœur qui meurt pour ſon merite.

Synet. Si ie ne t’aymois, ie ſerois depit cour roucé, & enuieux contre toy, à ton eſprit, & de ta gentilleſſe. Il faut bien que ce ſoit vn meſme bon ange qui nous guide, ie te diray que 1’enay fait vn de meſmes, ſi tu as mieux fait, tu auras gaigné, verifions tantoſt nos rimes, & eſcoute la mienne :

katherine guidoit par ſes yeux les Zephirs, Qui faiſoient bien & mal voletter nos deſirs.

L’EMPEREvR. Vous eſtes bons enfans, vous meritez, ie veux que vous ayez l’honneur d’a— uoir bien fait, & que vous en ſoyez recom penſez : Il paſla outre ayant fait donner vn beau preſent à ces deux compaignons. Eſtant de re tour, & Sarmedoxe entretenant ſa Maieſté, qui auoit touſiours l’œil ſur les Princes, dont le con ſeil conduiſoit tout, il demanda au bon hom me, Mon pere, veu ce qui ſemble deuoir eſtre meſmes par les ſymboles du Palais des ſecrets, ie penſe quei’ay occaſion de m’enquerir pour quoy vous m’auez fait entrer au Palais de la Lu ne, auant qu’aller aux autres, & auez donné à ce ſtuy-cyd eſtre le premier en ordre ? Sarmedoxe. Sire, les ſecrets ſont pour ceux qui les meritent, lors que les curieux auront cogneu le bon principe † lequel on a paſſé pluſieurs fois, & poſſible en voſtre preſence. On iugera que le quatrieſme & le premier peuuent eſtre confon dus. Trois eſt le premier nombre, car il a com mencement, milieu & fin : quatre eſt vn en recö mencantainſi on a commencé au quatrieſme, comme au premier, qui de fait eſt Saturne, mais pource qu’il faut conſiderer par deſſus toutes les planettes, & auoir ce qui n’eſt point en elles, il a eſté conuenable de les traiter ſelon le hazard des iours, &nous auôspenſé que voſtre Maieſtél’au raagreable.L’EMP.Me voilà ſatisfaict quant à ce oint, mais ie voudrois bien auoir l’entree de ce § Palais qui me ſemble eſtre auſſi grand que tous les autres, bien que la perſpectiue le retran che de grandeur, quand on le voit d’vn des pe tits. SARMEDoxE. Sire, c’eſt vn fait de grande conſequence, auſſi pour neant vous ne l’auez nö mé grand, car le grand ſecrety eſt, mais l’impor—. tance eſt de n’y eſtre point trompé ſi vous y al lez, à l’entree vous ſerez informé de la loy duPa lais, qui eſt égale à tout le möde, aux petits & aux grands, auſſi la Fee qui en eſt conciergea les yeux · tous ronds, elle void chacun d’vne meſme ſorte. Si en ſuyuant la loy ayant receu le marreau pour guide au lieu où vous deſirez&vous rencontrez, vous ſerez heureux, mais ſi vous faillez, il n’y a pas moyen d’eſtre rhabilité. L’EMPEREvR., Ie vous prie que i’en face l’eſſay, i’eſpere que ie ſuyuray ſi bien la regle, que i’en auray du contentement : que s’il m’aduient autrement, i’y ſuis deſia determiné, il ne me peut aduenir de diſgrace plus importune que celle où ie me trouue. Ie penſe ſçauoir pour l’auoir ouy di re aux Princes ce que ſeruent les lettres que l’on voit aux banderoles du Palais : Et puis que tout d’vn coup vous m’auez introduit en la quatrieſme ſtation, vous pourriez bien me, donner entree où la quatrieſme lettre ſert de gouuernail, & ie penſe que vous l’auez reſo lu, carie le coniecture par ceſte circonſtance, mais vous voulez que ie le requiere, & que i’en tente le hazard à ma requeſte. SARME DoxE. Sire, on fait ſouuent deſirer ce que l’on a en uie de liurer : parquoy, puis qu’il vous plaiſt, cependant que la Souueraine acheuera ceſte iournee d’audience, vous ſerez conduit au grand Palais, & i’en laiſſe l’auenture à voſtre prudence, prouuoyez y.

Le Palais des ſecrets, dit le grand Palais, eſt aſſis au milieu : le baſtiment en eſt fort ample, fait en eſchiquier, ayant autant de ſailettes quar rees, toutes diſtinguees l’vne de l’autre par al lees & galeries paueesàl’antique de petits cail loux longs, & ſes ſallettes ſont comme cellules, ayant en ſoyinfinies capſules pleines de ſecrets : mais en la principale eſt le principal ſecret, de chacune petite ſalle, ou pauillon. La couſtu me du lieu eſt eſcrite ſur l’entree du Palais, au pauillon du portal, auquel loge la Fee Garyo ſe concierge du lieu, laquelle l’interprete à ceux qui ont congé de parler à elle. Les ſe crets qui ſont en ces petits pauillons ſont du #eſte qui a eſté delaiſſé des fragmens de ce que º anciens Druydes enſeignoient, & qui iadis auoit eſté recueilly par les Dames de Sym—.’pſiquee, qui en ont honoré ceſt Hermitage. Les ſallettes ſontbaſties en cube, ayans ſur ſoy vne pyramide parfaite, & ſont enrichies à merueilles dedans & dehors, d’aucunes le corps eſt de briques, & la pyramide d’ardoi ſe, quelques vnes ſont de marbre, & la py ramide de tuiles de couleur, & ſont ces tui les faites de fin cyment pillé, ioint par la colle metallique ou plaſtre glutineux, qui les rend vermeilles & brillantes, telles tuilles ſont for mees en chaſſis, comme ceux auſquels on fait le papier, puis on les laiſſe ſecher au Soleil, au quel plus elles ſont & plus elles en belliſſent,’& y prennent vn beau & † Ces differences y ſont diſpoſees au gré de l’œil. Tout le grand carré de, dedans paré en ſes bel les allees, eſt diuiſé en quatre carrez, & au mi lieu de chacun de ces quatre ilya vn Obeliſque fait d’vne piece artificielle, on fait moudre l’ardoiſe auec le talk Alexandrin, & le gip gommeux, & de ceſte compoſition on faict ces pieces de telle grandeur & groſſeur qu’on veut, & auec tels enrichiſſemens qu’on deſire. Les quatre obeliſques ſont poſez orthogonellemēt, & ont à la pointe qui eſt plantee dans le bouton, vne lame d’or, en laquelle eſt la figure d’vne des quatres lettres des quatre principaux Alphabets, des quatre plus exquiſes langues, Ainſi il y a vn Dalet qui eſt d. Hebreu ר. il y a vn Delta pour le Grec, Δ. vn D. Latin, & vn ₯ Francois. Chacun des grands obeliſques vne de ces lettres pour banniere, & ſont ainſi plantees, l’Orient regarde iuſtement entre deux, ainſi que l’Occident auſſi entre deux autres, & les poincts de Midy & de contre Midy, lequel eſt au pole antarctique, cecy eſt la vraye diſpoſition du lieu, mais pour ce qu’elle peut tromper ceux qui n’ont pas l’in telligence de la Charte de delà, ie laiſſeray la diſ † à noſtre ſorte. Ceux qui paſſeront es Mers pour alier là, eſtans aduertis, ſcau—. ront bien diſcerner pour bien faire. Or donc ſelon noſtre conſtitution, comme ſi ce pays là eſtoit où ſont ces antipodes, il eſt, que le pre mier obeliſque regarde le Nort Oueſte, & por te T. L’Obeliſque dreſſé au Nort eſt à A. Le troiſieſme qui void le Sudeſt tient le D. & l’autre qui eſt vis à vis du Sudoueſt a le S. chaque lettre eſtan t en ſon propre caractere. En outre chacun de ces carrez eſt diuiſé en quatre autres carrez ſecöds, ayant au milieu des quatre vn petit Obeliſque vert portant ſa lettre, à la raiſon des premiers. Et ces ſeconds ſont enco res diuiſez en quatre, qui ſont les cellules, & chaque cellule a ſur le haut de ſa Pyramide vne lettre propre en meſme diſpoſition que tous les autres. En ces cellules il y a auſſi le regiſtre des ſecrets & myſteres, à ce que ceux qui auront eu beaucoup de peine ayent du ſalaire de leurs labeurs. Pour eſtre addreſſé, celuy qui ſe preſente reçoit de la concierge vn marreau où ilya trois lettres, le premier caractere repreſente le premier grand carré, auquelil faut aller laiſſant lesautres : le ſecond caractere demon ºreleſecond carré, où il ſeconuient tenir : & le troiſieſme eſt le ſignal de la cellule, qu’il eſt ne ceſſaire de choiſir. Si le curieux a bien rencon tré, la concierge le †, & comme Fee luy octroye vn don de plaiſir parfaict, qui peut te nir touſiours ſon eſprit en habitude de gayeté ſpecifique, & commodité de cœur infinie. Au contraire, s’il a failly, lagouuernante le renuoye par le chemin oppoſé, où il trouue ſon iuge ment, & ſelon qu’il eſt modeſte, il eſt traicté : car s’il eſt d’vn cœur glorieux & inſupportable,. faiſant l’inſolent, on le bannyt du lieu pour ia mais, & la Fee le touchant en † par le mo yen d’vn taliſman, qui eſt en vne chelidoine, luy appoſe vn caractere de † perpetuel le, que s’il eſt gracieux elle le conſole & le faict ſortir par le coſté, & il va és iardins ſecrets, ſans faire § d’auoir rien attenté. A l’entree de ce Palais au deſſus de la ſeconde porte, parla quelle on va en Feſchiquier des ſecrets, eſt vn marbre verd, où eſt eſcrit en lettres d’or la ſub ſtance du grand ſecret. On dict que ce marbre eſt fortantique, & qu’il fut faict par Heliodore, de la bibliothecque duquelle Roy des Abyſſins l’a tiré & enuoyé au Roy de Nabadonce ſon alié. Ce marbre eſt poſé contre vne parroy à coſté droict de la porte tout autour enrichy, deux Sauuages en portent la baſe : trois Daul · phins le ſupportent par le deſſous, & vn porphy re d’or ſouſtient tout : vne corneille emmantelee eſt au haut tendant le bec vers le tableau, que deux anciens tiennent par le haut. A chaque coſté de ce tableau il ya vne figure de perfonne nué : Ces deux figures ſont tellement & tant induſtrieuſement elabourees, que ſi deuxper ſonnes les voyentenſemble & d’vn regard en meſme temps, les regardans auront diuers iu § car ſil’vne eſt eſtimee repreſenter vne belle fille, elle ſemblera vn beau filsàl’autre, & ainſi reciproquement. Si on les veut eſplucher en tiers †, elles paroiſſent maigres & de mauuaiſe grace : ſi c’eſt en profile, elles ſeront eſtimees mediocres : mais de front, on les tient pour belles & en bon point : De l’autre coſté eſt vn grand tableau repreſentant Adam & Eue au Paradis, ce ſont deux nuds exa ctement bien acheuez, parfaicts en aſpect, & ſi delicieuſement bien faicts, qu’ils font d’ai ſe entrer les yeux en extaſe, & rauiſſent le cœur d’vne enuie modeſte à preſque admirer ceſt ou urage. Plus loing eſt figuree l’iſſuë du iar din d’Eden, où ſont deux demy-nuds deſcou uerts, deçà & delà, & ce qui ſe monſtre faict ſi bien qu’il ſemble verité, il eſt vray qu’on y void vne difference treſ-grande aux premiers car on void ces pourtraicts, bien quetreſ-beaux, auoir vn certain eſtat manque, comme ſi l’impreſſion de la douleur, apres la cheute auoit diffus par le corps vn ingrat obiet qui demon ſtroit qu’il eſtoit ſuruenu vn notable deffault, Aubeau marbre eſtoiteſcrit,

Uous tous qui me cherchez pour augmenter la vie de ceux qui ne ſont pas en parfaite habitude, ouurez vos yeux, preparez voſtre intelligence.

Il n’y a pas moyen que vous diſcouriez de moy que vous ne parliez de ceux qui me

ve,, ſtēt, ny d'eux que vous ne difiés de moy : Et
,, cependant vous me meſpriſez à cauſe du
,, meſpris que vous faites de mon abondance.
,, Au lieu de moy vous prenez mon veſtemët
,, fatal: Et me laiſſés honteuſement, comme
,, vile creature traiter par les mains indignes,
,, & les voſtres me dedaignét. Soyez plusaui ,
,, ſés ſi vous pouuez.Cognoiſſez ma grâdeur
,, plus ample que celle de ma mere : Ie ſuis
,, plus capable que ce qui me contient, ſoit
,, que l'on m'eſleue en haut, ou queie perſiſte
,, en bas,ie fais effet ſeló ma Nature, ſi de for-
,, tune le Roy des agiſſants ne m'eſpard, Que
,, ſi on lui preſente ma pure ſubſtance, & qu'il
,, couue doucement mon humeur viſqueuſe,
,, me nourriſſe & accompliſſe, ma forme de
,, uient viue & viuifiante, ſans que plus aucü
,, deſtructeur puiſſe ſur moy,

Outre cecy il n'y-a rien. :::::::

L'Empereur ayant veu ceſte magnifique en tree, & ſachant les ſtatuts du Palais demanda à la concierge vn marreau: elle le mena en latou relle du portail,où eſt le petit pauillon de diſcre tion,& de là lui fit voir tout l'eſchiquier lui di ſant,Sire, auiſez quelle cellule vous deſirez abu ter, car on n'en ouure qu'vne à la fois & celle ſeulement à laquelle vous ferés rencontre par l'inſtruction devoſtre gaige, parquoy diſcernez les bien, afin que vous ne tombiez en diſgrace. Sivoſtre memoire peut conuenir auec le billet quevous aurés,vous ſerés heureux,le billet eſt la bas, & l'aurez ſelon le hazard, vne autre fois ſi vous rencötrez bié, vous aures le billet que vous deſirerez : car il faut obeir auant que ſcauoir fai re election. Eſtant deſcendu, il luy fut preſenté par vne main dont le corps eſtoit caché, en vn cabinet ſitué au portail, & il le reçoit, & l’ou urant il y trouua des caracteres I. D. A. Les ayantilles confera exactement en ſa memoire, & puis entrantgalammét en cet abyſme de ſecrets, ſ’y guida prenant les allees ſelon la doctrine de la § du lieu : Il ſ’auançaiuſques à la croiſee : puis eſtudiant ſon marreau, il ſe tourna vers le premier grand carré, au milieu duquel il ſ’alla addreſſer pour auiſer au reſte, eſtant là, apres auoir viſité ſon marreau, il choiſit le troiſieſme carré, auquelilalla & de lâ, ſuyuant la loy de ſon gage, il ſeguida à la ſeconde cellule ; qu’il ouurit ayſément, ce quine fut pas auenu fil eut failli, à celail recognutle ſuccés de ſon induſtrie & bon ne fortune : Il y entra & là eſtant, il conſiderain finis objets notables : Apres † ſe fut vn petit repeu de ces exquis ſuiets, il rèceut le contrega ge que laNymfe de la cellule lui bailla, auec l’in telligence de l’Enigme, lequeleſtoit † CEl lettres d’or, & releuees de diamans en celeſte de la cellule, laquelle eſt la plus exquiſe, & où ſont les plus cheres raretez. L’Empereur reuint donc ayant en main ceſte bonne piece :

Ie ſuis ce que i’eſtois de fait & d’apparence,
Et ſi ie ne ſuis pas ainſi comme i’eſtois,
Et ie ſuis tous les deux de fait & de ſubſtance,
Ainſi i’exiſteray, i’exiſte & i’exiſtois,

Quiconque en voudra ſçauoir l’interpretation, qu’il chemine par où l’Empereur a paſſé, & il trouuera lameſme Nimfe, quine fera point de difficulté de le contenter.La Fee concierge, vo yant que l’Empereur auoit bien rencontré, & faiten perſonnage d’exquis iugement, luy don nale brin de l’hiſoppe ſacré qui denotte ſa per fection, & le remit contant au placitre : dont il retourna au palais de la Lune, où il ſe raſſit en, ſon ſiege, & vn peuapres la Souueraine ayantre mis les cauſes au lendemain, donna congé aux amans, & ſ’adreſſant à l’Empereur, luy prononça le reſultat du conſeil, pris pour luy durant qu’il fut abſent, & depuis que le ſecödarreſt d’Amour auoit eſté prononcé : car à cet inſtant on fit arre ſter vne cauſe, & le conſeilafſemblé, il fut auiſé que l’Empereur reuenant auec fruict heureux, de ce qu’ilentreprenoit, la Souueraine lui feroit ceſte petite douceur.

Sire, voſtre merite & voſtre valeur vous ont acquis ce qui par honneurvous deuoit eſtre con · feré, ſilagrandeur eut eut ceans plus de priuilege que la vertu.Or puis que valeureuſement & dignement vous auez conquis ce qui vous appartient, vous pouuez acheuant ceſte bonne fortu ne, iouïr abſoluëment des priuileges de cét Her mitage, qui vous ſont entierement conferez.

La ſeäce de ceiour eſtant ainſi terminee, l’Em pereur repetant toute ſa bonne auanture, eut eſpoir § & cependant il ſuppoſe le reſte des detreſſés qu’il ſouffre, en corre étion d’auoirindignement traitté, la beauté, & laperfection, par l’iniure qu’ila commiſe contre la vertu en la perfonne d’Etherine,

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DESSEIN SIXIESME.


Diſarchee tenant maiſon ouuerte, eſt cauſe des amours des deux Amās ouurans ceſfe ſeance. L’Ambaſſadeur de la Chine eſt receu & ſatisfait. L’eſtat des vrais Amans. Celuy qui voyoit croiſtre les arbres.



ON auoit fait pluſieurs triomphes en l’Hermitage, tant pour l’obſeruation des ſacrez myſteres de l’Anniuerſaire, que pour donner plaiſir à l’Empereur, qui receuoit telles diuerſitez d’occupation d’eſprit, ſi pres les vnes des autres, qu’il n’auoit plus loiſir de penſer à ſa melancholie : Ces beaux diuertiſſemens abattoyent ſa triſteſſe, & releuoyent ſon cœur d’eſpoir, & ſur tout voyant qu’il luy ſuccedoit à plaiſir, ce qui fut occaſion qu’il ſe reſolut, croyant qu’il luy auiendroit vn bien parfait s’il continuoit. Beaux eſprits qui eſpluchez deſia les riches threſors, qui ſont icy enuelopez, cōme en voiles de ſoye, ne penſez pas que nous ſuyuions icy l’ordre par fait de ce qui eſt requis à l’eſtabliſſement de noſtre ouurage, nous pourſuyurons l’auanture declaree. Ceux qui auront le iugemét propre à ces particularitez ſauront choiſir le temps, les endroits & les apparences, ſelon raiſon, cependant nous conduirons cét Empereur au vent de ce deſſein. Le mardy au matin iour attribué à Mars, & à la domination de ceſte planette du Fer ou Acier : Le Monarque fut habillé de pourpre ex quis, & en cét equipage tout accompli, auec la ſuite & entiere magnificence, fut conduit au ſe cond Palais, dont tous les vtenſiles eſtoyent de fin acier rechargé de ſa propre eſſence, les enri chiſſemens eſtans de ceſte verdeur belle, & brillante qui ſe forme par la violence vitrifiante du feu, auquel s’affine ce metal. L’Empereur ſitué, & la Fee auſſi, ainſi que la bien-ſeance de l’ordre l’auoiteſtabli dés hier. Apres la voix du heraut, il entra pluſieurs Amans qui vindrent au vaiſſeau où repoſe la liqueur Emfrone, laquelle eſtre ceuë de la diſtilation de la lauande d’amour, qui croiſt en ce païs.C’eſt ceſte liqueur quifait par la vertu ſpecifique quiy reſide, que quiconque viēt icy poury rendre conte de ſes actions apresl’vſa ge d’icelle, r’entre en meſmes opinions& péſees, · qu’à l’inſtant meſme de ſes amours : car ceux qui l’ont ſauouree diſent les meſmes paroles qu’ils diſoyent enl’eſtat deleurs paſſiós, & ſuyuant les, meſmes actions, ſoit Nymfe ou Paladin, & meſ meauanture les retrouue : les Amans donc, ayans gouſté à ceſte fidele eſſence, &coulé en leur eſto mach ceſte eau celeſte, ſ’auancerent, Theofron qui vid Semnoſe ſa maiſtreſſe, &elle quil’apper ceut, ſ’enclinerent au meſme mouuement où l’a— mour les auoit conſtituez, lui qui ſe trouuoit en ſemblableauis, & elle en meſmes pčſees ſ’appro cherét de l’Empereur & de la Souueraine, rendås l’honneur deuà leur grandeur. Apres vne autre Nymfe ſ’auāça auec vne eſpinete, qu’elle toucha pour luifaire reſonner vn § premedité, qui eſt le meſme que l’Amant auoit aſſemblé, quâd il ſentit làviue pointe d’amour pour les yeux ay mez, les chantres y eſtoyent auſſi ſelon l’ordon nance & cét aer fut chanté à deux chœurs.

Mon eſprit releué deſſu ler de la gloire
Des ſuperbes deſſins dont vous eſtes l’honneur,
N’a point de volotez que pour vous faire croire
Que vous eſtes la loy des ſouhaits de mon cœur.
Les ſuiets accomplis dont vous ſerez la cauſe,
A l’eſclat de vos yeux dignement brilleront,
Et ce n’eſt point en vain que ie me le propoſe
Car comme vos beautez mes effets paroiſtront.
Vous ſerez pour iamais le soleil de mon ame,
Mô ame n’aura point d’autre aſtre quevosyeux
Au yifde vos beautez s allumera ma flame
Plus viue que le iour plus claire que les cieux.
Uoila que c’eſt d’anoir vn obiet de merite,
De cognoiſtre des yeux triomphans en pouuoir,
Mon ameau parauant eſtoit foible & petite,
Ores elle eſt par ſt/0f/4 magnifique en deuoir.
Uous releuez ainſi par vos beautez ma vie,
Excitant dedans moy ces pointes degrandeur,
La fin teſmoignera qu’one belle accomplie
M’aura mis dans le ſang, la vie, & la valeur.

Apres que ce ſouſpir euteſté dignement recher ché deuantl’Empereur, auant que les Amans ſe leuaſſent pour plaider, la Nymfe qui ſcauoit l’eſtat de † amours, s’auança & propoſa ceſte petite lumiere au diſcoursfutur de cesdeux ames d’amour. Sire, les Amâts diſent beaucoup de choſes cöme ils les penſent à l’inſtant de leurs extaſes, mais ſouuëtils deſcheent & fen reculét grãdemét, ce qui ſeiugera par les amoursde ceux cy : Il y a quelques annees que la ſage Diſarchee, dame cognue enAmerimnie, ſ’auiſa de tenir mai ſon ouuerte aux vertueux, ce qui luy ſuccede heureuſement, car là ſe range tout ce quiſe peut appliquer à la vertu. Ceſte façon de viure attira · ce gentilhomme curieux, lequel ſuiuât quelques deſſeinscelebres, paſſoit outre, maisà cauſe du nö de ceſte Dame, il ſe retint pour la voir, & lui ren dre de l’höneur, la Dame le receut ſuiuât les cou ſtumes de ſon abondante courtoiſie : Entre plu ſieurs dames & damoiſelles qui hantoyent là ſ’y trouua pour lors ceſte belle Semnoſe dont lare nommee auoit ſouuenteſmeule cœur de Theo fron, & lui qui n’auoit pas pris garde à ce qui ſe pouuoit preſenter, ne ſcauoit pas ſi ceſte belle tant renommee fut là, bien que voyant ceſte-cy, il la remarqua tres-accomplie : Ainſi que ce gen tilhöme deuiſoit auec Diſarchee, vn page veint qui parla à Semnoſe en l’oreille, adonc la Dame dit la voyant ſe leuer.Mabelle Semnoſe ſeras-tu longtemps ſans reuenir, Non, dit-elle, ma par faite, ie reuiens incontinent. Theofron l’oyant nommer tourna ſoudain ſes yeux vers ce Soleil, puis ſ’excuſa à la Dame, de ce qu’il n’auoit pas fait ſon deuoir vers ceſte Belle qu’il deſiroit tant rencontrer.Il prolongeoit ſon excuſe qte laBel le retourna, & que par la permiſſió de Diſarchee ilacoſta. Orça bellesames, paroiſſez envoſtre naiueté deuant l’Empereur. THEoFRoN. Bel le, dont l’honneur ſurpaſſe le renom de vos.perfections, Ie vous fais vne requeſte que ie vous ſupplie ne trouuer eſtrange, veu que c’eſt la premiere fois que ievous ayveuë, & que i’ay

parlé à vous. semnose. Que deſirez vous de moy ? THEoF. Que vous me diſiez en braue cœur qui eſt voſtre ſeruiteur. sEMN. Penſez vous que ie n’aye qu’vn ſeruiteur ? THEoF. Ie croy que vous en auezinfinis, maisie vous eſtime tant ga lande que vous n’en auez qu’vn accepté, c’eſt de ceſtuy-la dont i’entens ſcauoir. SEMNosE. C’eſt vous ſi vous auez l’aſſeurance de l’eſtre.THEoFR. I’en aurayaſſez, pourueu que vous m’eſtimiés de merite pour vne ſi belle auanture. Et bien que vous me rendiés confus de premier abord, ſi eſt ce que i’ay le courage de vous ſeruir. sEMNosE. Si vo" auiés vne maiſtreſſe, la voudriez vous laiſ ſer pour mon ſujet : THEoF. Si i’eſtois engagé, vous auez vſé de telle vehemence que ce ne ſe roit pas moy qui laiſſeroit ceſte maiſtreſſe, mais vous qui m’oſteriés à elle : Auſſi vos propos & voſtre puiſſance abſolue me rendêt tout à vous, & me deſtournent de tout autre objet : Par quoyil faut que vous m’acceptiés, vos diſcours † arreſts, il n’y a plus moyen de ſ’en retra cter, & pource ie vous tiendray des auiourd’hui pour mon vnique maiſtreſſe. LA NYMFE. Si re, nous eſtions preſentes à ces diſcours, qui nous eſtoyent agreables, veu leur nouueauté, & la prompte rencontre de ces deux, qui de premier abord ſ’vnirent de reſpect& de volontez, princi | palement Theofron qui forma fi viuement cét # amour en ſon cœur, qu’il en deuint tout d’affe—. étion.Ie ſcay, Sire, que la muſique eſt vne de vos delices, & pource ie vous donneray le plaiſir allCC CCS § d’vne des extaſes de cét amant.

Uos beautez m’ont conquis de puiſſance abſolue,
Me uenant deſtourner de toute autre beauté,
A peine vous auois-ie encores apperccue,
Que vous vintes ſaiſir toute ma liberté.
Tenez voyla mon cœur poſſèdez le ma Belle,
Diſpoſez en maiſtreſle, ainſi que vous voudrez,
Ie ſcay bien que touſiours il vous ſera fidcle,
Car il demeurera tel que vous le rendrez
Bien que vous en iugiés voſtre gloire petite,
Si vous me comparez à vos perfeciions :
Toutefois vous direz que ie ſuis de merite,
Si vous faites eſtat de mes affettions.
Releuez mon eſprit pour le rendre admirable,
Formez-y des deſſeins tout grads & tout parfais,
Ainſi que vous ſerez ma cauſe fauorable
Auſſi ie vous ſeray l’honneur de beaux faits.
Si vous en deſirez vn iuſte teſmoignage,
Ne ballez recherchant que dedans uoſtre cœur,
C’eſt de vous que i’ay eu ce que i’aydecourage
Car vous m’auez choiſi pour voſtreſeruiteur.

semnose. Ceſte Nymfe a raiſon, car voila Theofron les meſmes ſouſpirs par leſquels vous fiſtes profeſſion de me rendre teſmoignàge de voſtre deſir, mais vous ne duraſtes gueres en l’e— ſtat de ſi beau deuoir car ſans me dire adieu vous aſlaſtes où d’autres ſouhaits vous träſportoyêt, & m’ayât fait ceſte belle proteſtation, vous vous eſtes eſlongné de moy ſans cauſe. THEoFRoN. Belle vousauez occaſion de m’accuſer, pource que ie deuois tout oublier fors l’apparence & la | verité du ſeruice que ie vous doy : Ie me côdani ne moymeſme, & ſuis preſt de receuoir telle pu nition qu’il vous plaira de la faute que i’ay faite, de n’auoir pas eſtéreceuoir vos commandemens auant que partir : I’eſpere toutesfois que vous me ſerés fauorable, & croyrés que i’ay tant de fi deles conceptions pour voſtre ſujet, qu’ayſémët voſtreame ſe perſuadera, que ie ſuis reduit à tel deuoir d’obeiſſance, que les effets enferöt preu ue, & que vous pardönerez à mon eſprit confus, qui ne peut encör ſupporter l’eſclat del’auantu re ſi parfaite que i’ay rencontree, vous voyant ſi accomplie, & tant propice à mes humilitez. Le temps vous manifeſtera laverité, & la veritéap arente vous ſera teſmoin manifeſte de mes fide † proteſtations, vous iugerez aſſez par ces pre mieresatteintes de l’eſtat de mon ame, laquelle peu à peu ſe recognoiſtra, & alors eſtant digne ment conduite parvos belles lumieres, vous ver rés des effets magnifiques de la valeur que vous excitez enl’eſprit, qui ne ſouſpire autre felicité que de vous ſeruir. SEMNosE. Il eſt aiſé de par döner aux innocens, & à ceux qui ont le cœur fi dele, & puis ſi ce que vous proteſtez eſt vray, ie n’auray point d’occaſion de me meſcontenter. THEoF. I’en prenceſte belle main en teſmoigna ge, & la baiſe de tout mon cœur. s FMNosE.Vous vous auantagez beaucoup, & paſſez outre ceſte grande humilité que vous auanciés pour loy. THEoFRoN. M’accuſez vous deſia de preſom ption, meſcognoiſſez vous mon humilité en luy faiſant tort ? SE MNos E. Ie veux bien que vous péſiés quei’eſtime ceſte façon eſtre prelomptiö. THEoF.S’il eſt ainſi, ie preſente mon cœur à l’A— mour, quiiugera bien toſt, que vos perfections m’ayant reduit au ſeruice voué, ſiie ſuis preſomptueux que c’eſt auec raiſon, & que la grandeur que vous auez excitee en mon courage, eſt cauſe que ſans conſiderer mon deſfaut de merite, ie tante vne ſi auantageuſe fortune, que d’oſer par hommage vous baiſer la main. Mais en ce beaux diſcours, ie ſuis contraint de changer de propos, Ce n’eſt point moy qui ay eu † de vous rechercher, c’eit vous qui me rauiſſant à moymeſme, par vne violence extraordinaire, m’auez commandé d’eſtre voſtre. Si doncie cö metserreur, & ſi poſſible ma preſomption vous importune en vous honorant, il ne faut point m’imputer de vice, ains me dire ſectateur de parfaite obeiſſance : Or côme il vous plaira eſti · mez-en ; Sieſt-ce que mon plus excellët heur, eſt d’eſtre à vous, car vous eſtes l’vnique but de mes eſperances. LA NYMFE. Sire, tandis qu’ils confe royent ainſi du ſecret de leur cœur. Diſarchee ſ’aprochât leur dit, quels ſont les beaux diſcours dont vous vous entretenez, quel en eſt le ſujet ? THEoFRoN, Treſbeau, Madame, car nous diſcou rös de vos merites, & du ſeruice queie vous doy, ourl’honneur que i’ay par voſtre moyen d’e— ſtre à ma belle Semnoſe.A la veritéie ſerois trop + ingrat, ſi ie ne cherchois les occaſions de vous teſmoigner, que ie ſuis tant voſtre obligé, qu’il faut queie confeſſe que ie ne pourray iamais ve nir à l’effet de recognoiſtre dignement ce que ie vous doy. Et ie ne penſerois pas viure ſi ie ne vous ſollicitois de deſirer de moy ce que vous iugerez, que ie pourray pour voſtre ſeruice, afin · que ie vous monſtre, que ie n’ay point l’ame · meſlee d’humeur ingrate, ains quei’ay vn fidele & conſtant deſir de vous ſeruir comme ie le taſ cheray toute ma vie. LA NYMFE. Qui diroit que les puiſlances de ceans ſont manques, ſeroit trompé, car en voicy vn effet formel, d’autant qu’il a repeté les meſmes paroles que nous oyons, quand il les proferoit en l’ardeur de ſon zele. Ainſi que ceſte Nymfe parloit, les deux Amans eſtants debout en la preſence de l’Em pereur, pour acheuer leur cauſe, voicy douze Heraux qui entrerent, & faiſans ſigne de ſilen ce s’humilierent deuant l’Empereur, & ſe ren geans deça & delà, firent entrer vn Prince eſtran gel de grande & belle ſtature, ſuyui de vingt & quatre cheualiers bien equipez, & de plu ſieurs autres qui demeurerent dehors par hon neur. Ce perſonnage ayant ſalué l’Empereur, dit, Sire, voſtre ſeruiteur icy preſent, Prince de Vathiſoz vous eſt enuoyé du Roy de la Chine. Ie ſupplie voſtre Majeſté, que i’aye congé de parler. L’EMPERE vR. Tout eſt permis ceans, pourueu que la raiſon & la vertu, ſoyent le ter me des actions & des paroles. LE PRINcE. Sire,. mon Roy vous prie de luy faire ſcauoir, quel le eſt la fin de tout ce que vous pretendez, par ces belles rencontres & magnificences : Et pour ce qu’il eſt grand & puiſlant, comme vous ſca uez, & outre, eſt extremement curieux, il deſire entendre quelle eſt l’eſperance de ceux qui ſe peinent à ces auantures, afin que le ſachant, il continue à vous eſtimer & louer, & ait occa ſion de faire taire les Sages de ſon païs, qui luy perſuadent que ce ſont vanitez. 1’EMPE REvR. · Ie penſe que voſtre maiſtre vous a addreſſé auui luy perſuadent que ce ſont vanitez. L’EMPEREYR, · Ie penſe que voſtre mai(tre vous a addreſſé au Roy mon frere, qui eſt autheur de tout cecy : car de moy i’en ſuis ſimple ſpectateur. Voicy ſon filsayſné qui vous fatisfera. Là doncques, Ca ualiree, ie vous prie de contenter ce Prince, & comme vray interprete de la volonté du Roy, & de la Souueraine, declarez luy ce que ſon CCCl1r | deſire. CAVALIREE. Par le commandement de l’Empereur, ievous auiſe braue Prince, que noſtre but & de tous ceux qui vienent icy, eſt leſpoir que nous auons tous, qu’en fin apres plu ſieurs deſſeins & recherches, nous ſerons dreſſez à la cognoiſſance de la Sainte Galanctiſee, pour iouir en fin de la bien-heureuſe Xyrile. LE CHY NoIs. Tanty ont failly, & qu’eſperez vous, cA > vALIREE. Suyure la vraye intelligence d’Amour · qui nous y conduira parfaitement. L E c H 1 — N o 1 s. L’Amour vulgaire ne vous y conduira | pas, & les paſſions volages ne vous y meneront, point. cAvALIREE. Auſſi les Amours vulgai res ſonticy examinees, & nous les nottons exa ctement, afin que par comparaiſon nous ren—. contrions le fidele & non commun, lequel ſoit ſaint & exiſtant en belles veritez, non preſſé d’opinions, ains accompaigné de ſubſiſtences vrayes, conduiſant à l’heur parfait, à ce que le ſuyuant, nous venions au terme deſiré. L E c H 1 N o 1 s. Mon Roy vous fait ſcauoir, que ſi vous venez à bout de cét excellent deſſein, & ——, que de courtoiſie vous luy en faciés part, ilvous monſtrera l’egal, & ainſi le commerce, l’ami \ tié, & les bonnes aliances ſeront communes — cntre nous, s’il vous eſt agreable. A Dieu, Si re, & à vous tous courages Curieux, mes affaires, & le commandement ſuperieur me tirent ·’! autre part. Cet eſtranger eſtant ſorty, Theofron :, continua à parler à Semnoſe, & ſ’excuſoit de ce •* qu’il auoit eſté long téps ſans la voir, Ie m’accuſe · de pareſſe & non de ſouuenâce, de deffaut de deuoir, & nô d’amitié, auſſi i’eſpere pardö. Que feroit vn eſprit quine peut ſ’eſmouuoir que pour i I’admiratiö de ſon ſujet : Que pourroit executer vne ame qui eſt toute en la contéplation de la ſaincte Idee de ſes deſirs ? Ie ſuis tant arreſté, à ce que ie cóçoy pour vous manifeſter mö affectiö, que l’abiſme des diuerſitez qui m’y ſurprenent : m’engloutit, & ne puis me reduire à ce qui paroiſt aux autres eſtre tres-facile : Il faut que ie confeſſe ma honte, i’ay fait du braue, & tou tesfois ie n’ay pasl’aſſeurance de vous voir, i’ay crainte de vous aborder. On m’oppoſera à ce deſfaut, Quia-il de plus ayſé, que de s’adreſſer · à vne belle aymee qui le permet, & de deduire en paroles doucement exprimees l’eſtat des vœux que l’on luy offre ? Ie ſcay cela, & pour tant la difficulté ne m’en eſtoit pas moindre, que i’en penſois le hazardauantureux, d’autant qu’il y a vne certaine puiſſance qui retient quel ques eſprits : Et de fait, ie m’en rapporte aux experimentez, à ceſteheure que le courage m’eſt venu, Qui eſt le fidele ſe pouuant au commencement dilater ſi bien ſur les beaux deuis, qui ait l’induſtrie de depeindre au vray ſes paſſions pour les raconter à ſa maiſtreſſe, & l’en entretenir ? Ceux qui commencent à aymer paſſionnément, & qui ont l’ame touchee d’vn zele parfait, ſont retenus par la vehemence de leur ardeur, tellement qu’ils ne peuuent dire leurs penſees, & n’oſent aborder leurs objets, auſquels ils portent vne certaine reuerence ui ne ſe peut exprimer, les effets en paroiſ † & l’obſeruation ordinaire en eſt cognuë, & c’eſt ce qui me faiſoit auoir peur de vous eſtre importun, m’eſtant auis que ſi plus ſou uent ie me fuſſe approché de vous, i’euſſeen couru ce blaſme, tant ie vous reuere, & tant ceſte fade honte me troubloit : Mais à ceſte heure, que voſtre belle grace m’a rendu plus capable d’honneur, ie m’auanceray, & ſachant qu’il vous eſt agreable, ie tenteray cy apres la fortune, & me monſtreray plus galand, ie m’ex citeray brauement à vous manifeſter mes pre tentions pour vous ſeruir, & ſi vous en faites eſtat, ie † paruenu à l’entiere felicité des bien-heureux, & en ceſte belle pointe tout de cœur, ie vous iure que preſent ou abſent, tou tes mes occupations ſont arreſtees à voſtre ſer uice. S E M N o s E. Ie reçoy trop de gloi re en mon ame, de l’honneur que vous me fai tes, & iamais ie n’accuſeray d’aucun vice ou deffaut voſtre beau merite : Ie vous prie de croire que ie reſſens vn extreme contente — ment de voſtre bonne volonté, & vn ſouuerain plaiſir d’en eſtre aſſeuree, & vous prie de con tinuer, & encore plus, ores que ie croy que ſi i’ay quelque perfection, c’eſt vous qui me l’a— uez perſuadee, auſſi ie vous en rendray l’hom mage par quelque bon ſeruice. THEoFRoN. Puis que voſtre bonne volonté ſ’eſtend ſur moy, ie m’eſtime eſtre auancé au deſſus de ceux qui iouïſſent de l’entiere felicité : Mais repenſant à moy, ie m’apperçoy eſtre ſi peu qu’il n’eſt pas poſſible que voſtre belle penſee ſ’aui ſe queie ſois voſtre ſeruiteur : eſtant trop diſgra cié de fortune, toutesfois ie laiſſeray faire au temps qui deſcouurira ma perſeuerance, la quelle me ſera tout ce qui eſt neceſſaire à con querir vne Dame demerite, & me fortifiant de ceſte bonne opinion, ie vous feray voir que vous n’auez point de ſeruiteur plus humble ou plus fidele que moy. SE M N o s E. Ie ne man querayiamais d’affection pour vous, auſſi ay-ie vn parfait deſir d’eſtre continuee en voſtreami tié, vous me l’auez promis, & ie croy que rien ne merauira ce bien : Ie vous coniure de perſe nerer, car ie vous ſuis fidelement aquiſe. LA NYM FE. A mon grand regret, & au † des Dames, il faut que i’accuſe ceſte Belle, vous auez veu, Sire, comme elle a parlé d’af fection, & toutesfois ce deſir eſchappe : Si nousauions la veuë auſſi viue que l’auoit Mes xifurrece orfelin de Quimalee, qui voyoit croi ſtre les arbres, & groſſir le fruict, nous ver rions l’amour de ceſte Belle qui ſ’enuole, & change pour vn autre ſuiet qui la rendra miſe rable : Voyez ceſte inconſtante & la conſide rez encores vn peu, car à ce propos que luy va tenir Theofion elle aura vn petit reſte d’a— mitié pour luy, qui finira auſſi ſoudain. THEo FRoN, Belle Semnoſe l’eſperance qui porte mon eſprit, & le nourrit de l’œr de vos fa ueurs auec ſ’aſſeurance que i’ay de vous eſtre agreable, me ſont deux ſi fermes liens, que rieri ne vous ſeparera de mon ame, & n’en effacera la preſence que i’ay de vos perfe ctions. Ie ſcay bien ce que ma fidelité me per ſuade, c’eſt que comme vous eſtes l’vnique but de mes bons deſirs, auſſi vous faites eſtat de ma erſeuerance. Quand il vous plaira vous aurez † preuue de l’approbation de mon cœur : Ce que ie vous ayiuré, eſt ſtable car mon ame eſt tant reſpectueuſe, qu’elle n’oſeroit ſe deſguiſer deuant vos yeux, parquoy ie perſiſteray con ſtamment. Et puis la grace que vous me faictes de me permettre ce bien, m’oblige tellement à mon deuoir, queietiens à parfaite commodité · de cœur, de vous ſeruir & honorer. SEMNosE. C’eſt mon contentement extreſme que le vo ſtre, & ne veux viure agreablement que cro » , $ — 1-— — ; yant l’honneur que vous me faites, qui m’eſt auſſi gracieux que ma vie, qui n’a lieſſe qu’en penſant à la douce conqueſte que i’ay faict de voſtre courage. LA NYMFE. Qui penſeroit que ces deux beaux diſcours recherchez dans les delicates amorces d’amour fuſlent auſſi legers que le vent, qui eſtimeroit qu’il n’y euſt en ce ſtefermeté tant bien exageree, non plus de fixe qu’en vne tenuë glace qui fond ſous le moindre faix qui s’y poſe Voilà l’eſprit de ceſte belle tout changé, vn eſclaird’autre amour l’aviolen tementenuahie, l’oubly tout d’vn ſaut efface ſes contentemés premeditez en ce premier amour, elle ſe deſtourne de Theofron qu’elle meſconté te indiſcretement, auſſi elle n’a plus de reſpect qu à ſon nouuelamant. Confiderez ceſtuy-cy qui tout humble recherche ce qui tantoſt le re cherchoit : voyez comme toutsl’vn coup elle

meſpriſe & deiette celuy qu’elle cheriſſoit, iIla prie de lavoir, elle l’en recule, Ie les laiſſeray dire. THEoFRoN.Le reſpect que ie réds à ce que i’ho nore, fait que ie neveux prendre le temps de vo° viſiter qu’aux heures qu’il vous plaira me grati fier de ce bon-heur, & que vous ſerez eſloignee de toute autre occupation. SEMNosE. Le temps qui maintenant ſe pare de ſes beautez, l’hyuer eſtant paſſé, eſt cauſe que difficilement on me rencontre, & mes affaires ſuruenantes me tien nent diſtraite, ſi que ie ne puis auoir la commo dité de vous veoir : parquoy ie vous prie ne vous incommoder pour mon ſuiet, car ce vous ſeroit vne peine inutile. THEoFRoN. La façon dont vous m’eſconduiſez eſt cruelle & indecen te : elle monſtre l’alteration de voſtre cœur IH paroiſt que vous auez changé de volonté, ou que vous auez l’eſprit eſgaré, & en quelque ſorte que ce ſoit vous faites tort à mori humilité, & outra † deuoir d’en vſerainſi. SEMNosE. Ne § que les ſaiſons apportent des occaſions differentes, ou contraires à celles des autres temps, vous demandez mon loiſir, & ie n’en aypoint, la courtoiſie vous oblige de me croire, ou de penſer CC qu’il vo"plaira. THEoFR. Il n’y a rien qui penetre tant que telles rigueurs determinees, à ces geſtes & proposie cognoy fa cilement qu’il n’y a plus en vous d’amour pour moy. Or comme il n’y † tant humble à requerir que ie ſuis, auſſi n’y a il † d’eſprit ſi glorieux que le mien à meſpriſer le dédain. LA NYMPHE. En ce dépit ils ſe departirent, & l’a— mant dir à ſa l.taiſtreſſe ceſt adieu pour iamais,

Ie ne fais plus d’eſtat de vos perfections,
Puis que vous me trôpe (quädie ſuis plus fidele,
Il ſe rencontre aſſez d’obiects d’affections,
Sans vous qui n’eſtes plus ma deſirable belle.
Adieu.i eſteins ces feux que i’auois allumez.
Au bel air des douceurs d’vne feinte apparence,
Ie n’ayplus de deſirs, ie les ay conſommez ;
Puis qu’ainſi vous auez fraudé mon esperance,
Voyons qui de nous deux premierement aura
Les picquans deſplaiſirs de ceſte departie,
Et quand le ſouuenir le cœur en ſaiſira,
Condamnons le ſuiet dont la cauſe eſt ſortie.
Que ie ramenteurois icy de beaux diſcours,
Si ie ſentois pour vous quelque reſte de flame,
Tout ainſi que pour moy vo° n'auez pl° d'amours,
Pour vous ie ne ſens plu de pointes en mon ame.
Soit en fin ce diſcours comme vn er meſpriſé,
Ceſt adieu ſoit ainſi qu’vne douce diſgrace,
Vrayment ie ne ſuis point en l’ame deſguiſé,
Comme vous m’oubliez mon amitié ſe paſſe.

Les parties ayans fait la reuerence, Xyuoye Procureur general d’Amour ſe leua & proteſta, Sire, vous auez ouy & cogneu les intentions de ces amans qui ont eſté fermes & puis legers : par quoyie requiers pour l’Amour, que les parties ſoientenuoyees à la Fee de diſgrace, & que leur nom au moins deSemnoſe ſoit pour iamais effa cé du regiſtre des Amans.L’Empereur prit les voix, ayant ouy le conſeil, & prononça ceſt Arreſt.

L’inconſideration de vos deux fantaiſies vous ayant fait paroiſtre trop prompts & inconſtans, eſt cauſe que vous eſtes renuoyez, afin que vous appreniez la ſageſſe d’Amour. Semnoſe vous irez iuſques au regret apres voſtre ſecôde perte. Theofron, pour punition de voſtre temerité, vous conſolerez ceſte belle, ſi vous la retrouueX à propos, cependant voſtre dommage & ſon ennuy dureront tant que vous ayez les cœurs libres ou contents.

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DESSEIN SEPTIESME.


Les enigmes que l’Empereur apporta du Palais des ſecrets. L’Empereur demande encor la raiſon de l’ordre, & il en eſt eſclaircy.



CEluy qui vne fois a eu l’entree du grand Palais, & en eſt ſorti à ſon honneur, y a libre entree touſiours, principalement ſi c’eſt quelqu’vn de merite, & pour ce l’Empereur y a ſa libre entree. Ce que penſant & n’ayant rien veu entre les amantes qui fut de l’œr de ſon Etherine, il ſe leua du ſiege pour s’aller reſiouyr, & puis il ſe ſouuient de ce qu’il a veu chez Minerue, Sans liberté nul plaiſir : parquoy laiſſant faire à la Souueraine, il s’alla proumener, & de manda d’aller au grand Palais, auquel eſtant, il vid à gré tout ce qu’il y a de beau & d’exquis, & pour ſon plaiſir particulier il mit ſur ſes tablettes vne Enigme qu’il tira luy-meſmes de chaque cellule. Pour vous faire plaiſir nous vous expo ſons librement en veué les meſmes qu’il a choiſi, cóme la Fee nous l’a declaré, eſiouyſſez-vous en auec nous, iuſques à ce que le reſte ſoit commun & que nous vous en ferons part, lors que nous en aurons permiſſion, & que noſtre volonté s’enclinera à eſtaller les ſecrets aux yeux des mortels, & pource que la Belle de mon cœur eſt celle qui cauſe ces diſcours figurez, c’eſt à elle principalement à qui ie les preſente, comme vn vœu qui luy eſt deù : Il conuient que ie luy remette en memoire les meſmes accens que i’or donné pour elle, quand ie luy fis voir premierement ces enigmes, & puis le temps & l occaſion nous induiſent à ceſte reſſouuenance. Belle, aduiſez vous en doncques, & pour me gratifier iettez les douceurs de vos yeux ſur ceſt aer, & vous reſſouuenant de ma fidelité, rememorez-vous que vous auez en moy vn fidele ſeruiteur : Ce que ie vous preſente encor ces propos enueloppez, n’eſt que pour vous eſbattre à les faire interpreter aux autres, car vous les ſcauez, & pour ce ie vous dis,

Ma Belle ie vous pri ne tourmentervoſtre ame
Aux reſolutions de ces difficulte
Pluſtoſt conſiderez les ardeurs de la flame,
Que däs mon cœur fidele ont cauſé vos beaute
Vous n 7 cognoiſtrez point de dſtours d’artifice,
Mais vnfeu par vos yeux viuement attiſé,
Mon cœur qui n’a deſir quevousfaireſeruice.
N’oſeroit deuant vou paroiſtre deſguiſé,
Vous y diſcernerr(totu effaits de confiance,
Tous deſſeins de deuoir, toute fidelité,
Et ſi vou en voulex plus grande cognoiſſance,
Ordonnez vn deſſein de voir la verité.
Puis que vou entende{ ce qu’vne autre apparence
Cache pour exercer les eſprits curieux,

Uous verrez encor mieux par ma perſeuerance,
Ma paſſion naifue eſcrite dans mes yeux.
Uoyez doncques mes yeux, pourvoir mō cœur fidele,
Uous qui auez voulu vous obliger ma foy,
Et ie vous pri iugez que iamais autre belle
Que vou, n’eſtablira ſa puiſſance ſur moy.

Et puis quand vous aurez cogneu la ſimplicité de mon courage, & l’innocence de mon amour, eſpluchez ces diuerſitez pour voſtre plaiſir, afin que vous ayez du contentement de ce que vous auez cauſé pour contenter les beaux eſprits.

Les Enigmes qui ſont és cellules du Palais des Secrets, auec l’ordre & les caracteres de chaque cellule : ſuiuant quoy l’on pourra trouuer l’interpretation au plan du grand Palais par les ordonnances deduites au Palais de la Lune.

₯. D. ₯.

Je ſuis d’vne eau ſubtile vne pouldre legere,
Apres auoir monté ie tombe lentement,
Et par douce chaleur diſſoute en humeur claire,
je penetre par tout le ſolide Element.

D. D. D.

Auec beaucoup de fraix le monde le fait faire,
Pour ayder au ſupport de vie, & de ſanté,
Et encor que chacun viuant en ait affaire,
On ne l’achete pas le quart qu’il a couſtè.

៛. Δ. D.

Frere demon ſubiet, i’exiſte ſans ſubſtance,
Et ſi ſommes conioincts d’vn eternel lien,
Pourtant ie ne ſuis point, toutesfois mon eſſence
Eſt telle que n’eſtant, il n’y auroit plus rien,

D.

Vn pere a douze fils qui luy naiſſent ſans femme,
Ces douze auſſi ſans femme engëdrēt des enfans,
Quād vn meurt l'autre naiſt, & to° viuēt sās ame,
Noires les filles ſont, & les maſles ſont blancs.

៛. Δ. ₯.

Vn corps qui n'a point d'ame a vne ame mouuante,
N'ayant point de raiſon il rend raiſon des Tēps,
Bien qu'il n'ayt pas de vie, vne vie agiſſante,
Sans vie, le fait viure, en marchant ſur ſes dēts.

Δ. ៛. ₯.

On tire vne liqueur d'vne ſubſtance eſpoiſſe,
Qui paroiſſant humeur eſt vn feu vehement :
Si dans ce feu coulant les prix de tout on laiſſe,
Il les fait imiter le liquide element.

៛. Δ. ៛.

Le marchand n'en veut point encor qu'il le cömāde,
Ceſtuy là qui le fait ne le veut pas auſſi,
Des paſſans le voyans aucun ne le marchande,
Et celuy pour qui c'eſt n'en apoint de ſoucy.

៛. D. Δ.

Je ſuis ce que i'eſtois de faict & d'apparence,
Et ſi ie ne ſuis pas, ainſi comme i'eſtois,
Et ieſuis tout les deux, de propre & de ſubſtāce,
Ainſi i'exiſteray, i'exiſte, & i'exiſtois.

៛. Δ. Δ.

Il eſt vn feu ſubtil extraict de l'eau coulante,
Cachant ſa viue ardeur dedăs ſes froids glaçōs,
Son froid eſt apparent ſa chaleur euidente,
Quand il imite en l'aèr du tonnerre les ſons.

ſQuelques fleurs sût qui n’öt d’aucune fleur séhlāce, ces fleurs portët le nô des Roys & des Seigneurs : Ce ſont fleurs sâs pouuoir qui ont toute puiſ âce, Car par elles on agra ndeur, faueurs, honneurs. A Voulant aller au ciel, ſîie ſuis empeſchee, Les yeux des aſſiſtans en larmes couleront, S ils pleurêt sas regret ie n’en ſuis point fa chée, Car quand i irai aux cieux leurs larmes cſſèrôt. c#. 7. 7. I’augmente en defaillant aux deſhens de ma mere, ue ie deuore, aſn de mourirpar ſa mort, Puis ma fille ſouuent tient ma vie ſi chere, Qu’en ſon ventre me met pour me rèdreplusfort. D. A. A. — Il finit les labeurs & ſa graceſubti’e, S’auançant coyement cauſe ioye & trauaux ; Ce qu’on ſcait impoſſible ilfait eſtrefacile, Etſes faits differens ne ſont rien que repos C7. A. 7. — jleſt vn pont du ciel portéſur les nuees, Du deluge bridant les ſuperbes fureurs, Il eſt deſſus les eaux, & des eaux terminees, Il s’emplit les muant en diuerſes couleurs. — — D. :. ". —, Si ie ne ſuis ſoulé, ie parois triſte & maigre, · Meſmes à mes amis ie deuiens ennuyeux, AMais quand ieſuis bien ſaoul, toutgaillard & allegre, — Ét tout remply d’eſprit, ie n’aſpire qu’aux cieux. / c#. *1. A. Bien que ie ſois petit, i'ay vne ſeurgeante, - Qui me réd degrãds coups qu'écores ie luy rends, Nous faiſons ceſte guerre entre nous bien ſeante, Car c'eſt pour la beauté de nos propreparens. - . D. i. I'ay lapeaura (e & blanche, & ieſuis chauueteſte eAyant le poil dedans qu'eſtant ſaine on ne voit, Chacun le iuge bien, car lors que i'eſtois beſte Alentour de ma peau le poilon me voyoit. A. s. #. Le viuant de moyvif ſa nºrrlur. amaſſe, Ie reçoy les viuans haut & basſeſuyuans, Ors que ie ſuis tué,ſur les viuans ie paſſe, Et ie porte les vifs par deſſus les viuans. A. A. A. ffe n'ayſang, os, ny chair, nerfs, muſcles nyarterès, Zien que i'en ſoyproduit & n'en tiès rien du tout, Propre à bien & à mal, iefais effects contraires, Sans voix parlant apres qu'on m'a trächéle bout, - "j. . . · • · . Non maſle,nonfemelle,ains tout œilen ſubſtance, Sans ceſſer il produit des enfans differens, T)e la mort deſesfils,ſes filles ont naiſſance, Et d'icelles mourans, d'autres fils ſont naiſſans, - A. ©. t. . - Selon mon naturel, ie m'eſcoule legere, Mais parfois mon voiſin m'eſtraint de ſes liens, Adonques on me void la mere de ma mere, , , , Et puis fille à ma fille en apres ie deuiens. Ma ſœur eſtcomme mºy degrandbouchefournie, Ellel’a eontrebau & moy deuers lescieux, I’ayde aux conſeruateurs d’appetit & de Die Et ma ſœurfaittſeruice aux cœurs deuotieux. — ©. D • : î° D’Yne eſtoffeſolide # on mefaittfaire, Pourſeruiraux endroits où lºge leſou9, Mon maiſtreme cognoiſtluy eſtre neceſſaire,. Carieluy garde tout, il metient there auſſi. — "i, ºf D. — Celuy quile faictfaire en deteſtel’ouurage, ceſtuyla quilefaictnenoudroit l’emplver & celuypourqui c’eſ, maudit de bon courage celuyquilecommande, crl’ouurage & l’ouurier. A. A. D. Tandu quel’onſechoit de la merles ondees, Ie noyois les ouuriers qui trompoientleurrepos Et attendans leſec de leurs yagues ridees, Faiſoientcheoir deleur chairſansl’offencer, les os. D. c#. D. ze feu qui rauit tout eſt cauſe que gourmande ie tire à mey la chairpour m’en r’emplir leflanc Puis mon eſprit eſteint on m’oſtela yiande, Pourpar luy meſme apres m’enredonnerleſang. A. A. •i° En nos maiſons des champs duſeruicel’on tire Dºnnprudent, c d’ynfol, auſſi d’Ynglorieux, L’yn reſerue le bon, l’autregardelepire. et letiersnefaitirienſ dn’#portépardeux. feſaisplante animal viuante & non ºiuante, Ayantleventrefaicten canerneux deſtour , onapeineàr'auoirl'humeur qu'on mepreſente carſaoule ou nunieſuupreſteàboiretouſieurs, • : . D. D. 1. fen'ay qu'on minſe cºrps garny de dents aigues, Dºntl'ouurierfaict grädcas,quandil en voit l'effeâ separant l'nnion quand mes dents ſont eſmeuès, ielaiſſeallerau yentleprofict que i'ayfaict. · A. 3. A. . Rouuſammes quatre enfansfreres denoſtrepere, pont lemeilleur tient mieux, du feu & de la merà Tande qu'en nous Yſant chacunſedeſaltere, on noufait des banquets les âmes animer, • • ! .. : l D. A. H. élealepoildedans cx dehors eſtſagraiſſe. Etſipeut elleainſiauiourfaillypreueoir, _ Meſinesen pleinenuictles autres elle addreſſe, Faiſant yoiràpluſieurscequ'ellenepeut yoir, , , i D. D. Bien que leiour s'en ailleau lºin de ma cºntree, sienay-ienneſºlatreſerué dans mºn corps On le noir aupob de ma cornenitrée, Qui ce quei'ay dedans, manifeſte deſhors, Q 7 » ,t. c#. Pardiuers artifice on tire demaplante , Le blant que vous mette{ damespres de ^yos tœurs, Puis on memetpourrir dedans yneeau tollante, Pourfairela blanchehr qu'onſame # cºuleurt. •ºs s : -- : - º - s - : | ij • L’vne coye touſiours, l’autremouuant legere, Et envnmeſme lieu, font vn meſme labeur, ceste là quine bouge eſt bonnemenagere, Celle qui va touſiours l’eſt autant que ſa ſœur. c#. + D. Il me connient mourir à celle fin de viure, Car ma mort m’eſt de vie vn doux commencemêt, Chacun dit bien ma vie & ma mort ſ’entreſuiure, Mais tous ſans me cognoiſtre en parlèt ſeuremêt. A — c#. A. Ieſuis vn animalpriué d’intelligence, —2Ne ſachant que l’eſtat que Nature m’apprit, Celuy qui a cognu toute la ſapience, De moya prononcé, petit corps grand eſprit, "i. c#. D. je porte deux grands dents.cöme double aſſeurance T’ar leſquelles aux vents i’oppoſe mon pouuoir. Et ie combats auſſi dn goufre lapuiſſance, Dans la terre mordant quand iefaymon deuoir. — c#. A. D. — On cognoiſt vn oiſeau qui n’apoint deplumage, Qui donne à ſes petits de ſonteton le laict, Ilſe perche à rebours, il n’a point de ramage, Nul ne voit dont il vit, #ne ſgait ce qu’il faict. D. A. c$. Contenant lesſuiets i’en voilel’apparence 9ue ie cache dans moy d’vn gracieux pinceau, Auſſi celle qui eſt moy-meſme en ſon eſſence, M’ennelope dans ſoy deſſous ce ſens nouueau. chacun me peut couper, mº nul ne me peutfendre, Encor quel'accident de vray corps ſoit en mv Desdiuerſesouleursnaturemeſ# prendre, Enſuyuantpardegrez l' nniuerſelleloy. | • • · D. d#. n . . Lors que i'eſtois plus grand,ietenoumºins de place, Maulespierres m'ontfaiftcomme autre deuenir, caren mecontraignant de prendre Yne autreface, Me rendent plus petit pourplusgrand lieutenir. ' A. d#. d#. ninif, ni mort, ieſuuplein d'5n eſprit qui enº . et#en vademon corps,r'entrantauprix qu'ilſort, Mes oreilles lefont exaler de mon Yentre. · par mon becqut me monſtreºreºfoible, ores fºrt. t - A D. D. · · rriſte qu'à mon amant ie preſenté maplainte, -, §heences creux,chaſtiant mon deffº, · & ie neparle pas,ſ ie ne ſuis contrainte pe recrier bienfortce qu'on me dit touthaut. A. D. A. ouuerteàl' yn des bout ( Yne4ueu麺 me donne · JAffin qu'auec le bec ie la trainepartout» · | · §uiteau labeur que madamem'ºrdºmº jelaiſſeà chaſquepaº de ma queué le bout. D cºp). A. - piſſemblable à ma mere auſſi bien qu'àmonpºrº, #ºrméà leurpatroncºmme ºndº deux ieſuis, vAutant ou plus fºrt qu'eux, en celai'en diffère, · Qu'ils
peuuent engendrer eg moy ienelepui*: - - | | L I iij ' Matiere ieneſui, ideecorps nycauſe, |.pnm’arrachetout vif, on m’enfonce dansl’onde Sans memultiplieronneme diſtrair point, Ilyaplu demºy que de toute autre choſe, Et à toutcequieſ on metrouuecnioint. s, A. D. c#. « l’ay autres-foi eſté vne terre inutile, Sanseſtime, cachee enl’abyſme acieux, Mais ors qu’on m’a batu ie deuiensſi habile, Quelapluſpart m’egaleàla terre &-aux cieux,’D. H. A. | onmeſeche, ºnmebrſe, affind’auoirmapeau, Parlespicques iepaſſe, & parlavoyeronde, | La Yieille entreſes dents mefaift vn corps neuueau » — |ºi : n.. Jeſuis tomme ynetable encores innocente, — N’vantd’aueunpourtraict aucun lineament, s’ilauient quemonfeu quelque vifrepreſente Il monſtre ce qui s’eſt monſtré premierement.. #. A. A. Mºy qui portepartout mainteforeſt coniointe, Reduireaupetitpiedieſuis entés balieux, Bien quevaſte autrepart en ceſtendroiticontraintie Pnbienpetit de bois m’eſleue berslescieux. —— # — Jeſui bncorps brillantioutcongelédeflame, | Parforce ſublimé iemeformeplufºrt « guand i’embraſſe le Roy tout ſon corps deuientames Pºperdan ſºnglatpºurreuiureenſamºn, » fortunez# Entrepriſe III. 535 - © . A» rit,ie ſuis eſprit en maſſes te ſuunn demycºrpº touſ ours enfuſion, Tºut ce qui m'eſtpatentfacilement 'embraſſe Eſtantſymbºle heureux de reſurrectiºn. - c#. é#. D. Trois ames en Yn cº'Pº diſtingueesd'eſſence Enſemble ſubſiſtoient ? , ſachanttant auºir 75 ux enfin ºnt prisl'º puis demeſme apparenº, §u psdiſtingué Kºhººº lesapeuvºir. d#. D. D. irkatu vnelegere atteintº, defigure cºſſuiivn portraiti, soit qu'on meface ºrºº qu'on metienefeinte, §me dontie ſui,i'aytºſº quelqueiraitt « •. <#. e neſuis rien de moy, que ce quº l'on m'eſtime, e outes-fºispartºutieſº de tout le pris . ceſtuyla quiparº heureuſement s'animº Parte Yulgaire eſtmu aurang des bons eſpritk #. A« dhangéd'eſſence Ieſuunncºrps


e neſuis rien de moy, que ce quº l'on m'eſtime, e outes-fºispartºutieſº de tout le pris . ceſtuyla quiparº heureuſement s'animº Parte Yulgaire eſtmu aurang des bons eſpritk #. A« dhangéd'eſſence Ieſuunncºrps eſ? e ſuu d' Yna Ie n'ay potnt •t° · sans auoirrien perdu ie ſuis Et neſuu en rien moins que Bien qu'on m'y trouue tout cari'ay changè d'eſp A. A• .Acbandonnant mºn cºrpº » cela que i'eſtºi, enſent ma difference rit dans le corps qºe i'auoiº. eneſſence nouuelle Ieſuunn beleſprit enºrºſpirituel, parºnefºrcebelle Et merueilleux en faicts rel. Ie puis tirer l'eſprit de l'º'tre corporel. Nay dedans les foreſts aux maiſons on m’ameine Pour reparer l’erreur quela vieilleſſe fait, , Et m’employant du tout ie me perds, & ma peine Carfaiſant autruy beau, ma beauté ſe deffait. A. • « 1. je ſuis tiré de l’eau vnemaſſe ſolide, » Et rudement frappé ie brille tout en feux, Je ſuisfroid au toucher, ie me plais en l’humide, Mais par force mes feux apparoiſſent aux yeux. •t. : D. e I’ay paſsé par le feu dont ieſuis eſchappee, Iln a rien eu de moy, i’ay de luy retenu, Ce que iemonſtre aſſeX. lors que de l’eau trempee, Ie decelle le feu dedans moy contenu. + —, D. T. c#. Soit que dans le caillou, ſoit que dedans la plante, On m’aille recherchant, ſifuy-iefils dufeu, Ieſuisſemblable à l’eau, & ma forme brillante, — De ce qu’elle a le plus fait paroiſtre fort peu. D. D. A. · e_%fon corps eſt pris de terre & ma force des flames, Et tout du long des doigts on me fait ſublimer, Ieſuis auxplus hauts lieux miſe en eſpoiſſes lames, Ou mon humeurperduë on mefait rehumer. D. c# De l’enclos non ouuert de la ronde machine, Conceu ſans pere & mere, à la parfin ieſorts, Mais deuant que partir cruel ie me mutine, , Etrongeſesseſ pºurmetirerdehors’| D. D. ~.

femarche à pas egal de toute ameviuante, Choiſiſſant à mon grél’humble & leglorieux, Et ne ſuis rien du tout, toutesfois i’eſpouuante Et trouble tous ſuječts qui ſont deſſous les Cieux.

L’Empereur reuenu du grand palais retourna en la ſalle des cauſes de ce iour, & trouua la Sou ueraine leuee ayant donné congé aux amans, il ſ’auança & la prit par la main, & ſ’aſſéant ſur le lict de parade il fiſt approcher les Princes & Sar medoxe, & leur diſt apres quelques communs deuis : Ie ne m’arreſte pas ſeulement à la nuë eſ corce de cequi paroiſticy, car ayant à recouurer vn contentement ſpirituel, ie deſire ſçauoir ce qui peut reſtablir mon eſprit, parquoyievous prie me dire encor plus ouuertement, pourquoy vous ſuiuez cet ordre commencé de ſe trouuer iournellement aux Palais ayant plus d’eſgard au iour, ce rh’eſt il aduis, qu’au ſuiet LA S ov v E RAINE. Sire, vous auez eſté ſatisfaict de ce point en general, ie ne lairray pourtant de vous don ner le contentement que vous deſirez : ie croy que vous ſçauez aſſez que le germe de tout ſe deſcouure en blancheur ſortant de ſon contenu, ceſte couleur eſt appropriee à la Lune, cela eſt urement cauſe d’auoir commencé en la Lune : Et puis nous qui auons l’œil plus auancé que le vulgaire, nous ne nous tenons pas ſimplement à la ſuperfice, ains ſuiuant levray defir dont vous faictes profeſſion, nous profondons iuſque aux intimes lieux : & plus reculez, ayans dºnanta ge d’eſgard aux eſprits qu’aux — l p. & partant lors que les corps ſont de peu d’eſtime nous prenons garde aux eſprits, comme en la pla nette d’auiourd’huy, de laquelle le ſolide eſt petit, mais le ſubtil eſt grand & toutesfois fort ſeparable, ce qui auiétaux ſubſtäces de moindre force, & qui n’eſt pas en celles qui ſont de cópo ſition plus exquiſe, dont la ſeparation ſpecifi que eſt fort § corps ci eſt des plus forts ce ſemble, mais pourtant facile à ouurir, & fort preſt à laiſſer § enleuer ceſte ame ver meille & purpurine qui eſt en luy, & eſt ſavie Et ſelon l’analogie de noſtre diſpoſition, voſtre ſang qui eſtoit palli par la triſteſſe, ſera tiré de la maſſe peſante qui le retient, ſe reueillera, & ſera rechauffé par la vertu de Mars ſelon la cou leur duquel on imagine tout commencement de cuiſſon naturelle que l’on eſtime noire à cau ſe de ſon exuberante teinture. l’E M P E R E v R. Si comme i’eſpere, ie ſuis en tout autât ſatisfait, ie m’eſtimeraile plus heureux entre les mortels,’comme ie vous tiens les plus admirables en conſeil & prudence.

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DESSEIN VIII.


Quels furent les banquetx de l'Empereur. Amours de Meliſſe & de Veruille.



CE qui peut eſtre raſſemblé de plaiſir pour reſiouir vn grand, eſtoit pratiqué en ceſte entrepriſe : Et ſi nous voulions deduire les pompes des repas, & de l'apareil des banquets qui chaque iour à toutes heures eſtoient liberalement offerts aueç vn ordre de magnificence parfaictement recherché, nous rendrions confus les anciens qui ont tant mis de peine à ſeparer d'artifices les obſeruances qu'ils practiquoient és banquets de leurs Dieux : car deduiſant les entrees, les ſeruices, les entremets, les iſſues, les fruicts & autres delicieûſes & exquiſes bombances de repas ſi ſolemnels, on iugeroit que les ſuperbement admirables feſtins des antiques, n'euſſent eſté que les colations des Pages de ceſte court. Auec toute ceſte opulence les plaiſirs de l'eſprit ſ'exerçoient, & deſia la Nymphe Gnoriſe qui a la charge de diſpoſer les amans, eſtoit au Palais de Mercure, où l'Empereur ne vint pas ſi toſt qu'il auoit faict aux autres, pour-ce qu'il ne ſ'eſtoit leué ſi matin, dautant qu'il auoit aſſez bien repoſé, ce qui ne luy eſtoit auenu depuis ſa diſgrace ; Cependant qu'il tardoit, Gnoriſe preparoit tout & dreſſoit les plaidans, eſtant leur particuliere & bonne ſecretaire ayant la cognoiſ ſance des eirconſtancés de leurs affections. l’Empereur eſtant preſt, veſtu des accouſtre mens ordonnez à ce iour, & toute la court pa rée de meſme, il vint & comme il ſ’auançoit auec les Princes & ſeigneurs ceux qui eſtoient entrez deuant ſe mirent en haye, & à l’inſtant qu’il miſt le pied ſur le ſeuilla Nymphe toucha, vne harpe qu’elle auoit accordeeauec ſept belles voix, &châta ſur l’incarnadin qui eſt la plus viue des premieres couleurs, & enuoya ceſt air par les airs, en la maniere que l’auoit ſouſpiré le ſer uiteur cöſtant de labelle qui aime ceſte couleur.

Le bel incarnadin, ceſte couleur naifue
Que ſeule des couleurs la Belle on doit nommer,
Repreſentel’honneur de ceſte ºſſºnce Yiue,
Qu’ō doit ès beauxſuiects qu’amsurnouafaict aymer
Quand ma Belle paroiſt d’incarnadin paree,
On rencontre yn soleil Ynique en maieſté,
Ceſle belle couleureſ par elle honoree,
Car les belles touſiours ſeparent de beauté.
Elle qui cauſe l’heur & leſeu demoname.
Se plaiſt à ſe parer des plus belles couleurs,
Et commeſon belœil eſt yneniueflame,
Il ſe plaiſt au pourtraict de mes uiues ardeurs,
Mais pourquoy l’ont pensé & l’ordonnent les Dames,
Qu’Yn ſymb leſ beau ſoit ſigne de douleur ?
C’eſtpource que les cœurs alumez deleurs flames.
Conſtans en leur amourſont de meſmecouleur.
Leur rencontre eſt certaine, &— ceſtecºgnoiſſance
Qu’elles ont des douleurs de leurs deuotieux,
Fait que pour les garder dedans leurſouuenance,
Le bel incarnadin ſoit preſent à leurs yeux.

Celles qui ont le cœur capable de clemence,
Portent ceſte couleur pour comme nous ſouffrir,
Celles que la rigueur cruellement eſlance,
Y prennent leurplaiſirpour nous faire mourir,
On cognoiſt és beaux yeux de ces belles aimables
Les feux incarnadins quimeuuent leur vouloir,
Auſſi les cœurs qui ſont d'vn bel amour capables,
Se viennent conſtamment ſubmettre à leur pouuoir.
Ceſte couleur de feu diuerſement brillante .
Monſtre des paſſions la cauſe & les effecis,
Car ainſi que la flame eſt ou ferme ou mouuante,
Conſtants ou vagabonds ſe trouuent les ſouhaits.
Et bien que la douleur comme ilſemble menaſſe,
Il n'ya point de crainte aux eſprits ha'(ardeux, s
S'il ya de la peine aiſément on l'efface,
Se bruſlans aux rayons d'vn œil doux & piteux.
Et puis les yeux galans des belles accomplies,
Sçauent bien diſcerner ce qui doit eſtre aimé,
Auſſi d'vn traict eſleu leurs lumieres choiſies,
Ont iuſtement touſiours leur ſuicct animé.
Tout ainſi que la flame enſes pointesſeporte,
Et qu'à ceſte couleur ieme tiens arreſté,
Je ſens que mon eſprit d'vne paſſion forte,
S'eſleue en la douleur dont il eſt agité.
L'incarnadin flambant qui monſtre à ma penſee
De quelsfeux vn bel œil m'aſurpris viuement,
Memeſle tout d'amonr, & mon ame bleſſee
Douloureuſe volette à ſon contentement.
Couleur qui me retiens non partapropre eſſence,
Mais par ce que tu plais à celle que ieſers,
Ces conſtantes ardeurs dont mon ame s'offence
Sont en mon chaſte cœur contentemens diuers.

Comme l’incarnadin eſt la couleur plus belle,
Ainſi eſt mon amour entre les paſſions,
Madame eſt toute belle, & mon cœur tout fidele,
Il part d’vn bel amour & belles actions.
Amour Roy de nos cœurs, ſi tu veux que ma vie
S’oblige à la conſtance, en ſeruant ta grandeur,
Faytant que ma maiſtreſſe en ſa couleur choiſie,
Cognoiſſe les effects de ſes yeux ſur mon cœur.

Gnorise. Amans, preſentez vous, venez, icy deuant l’Empereur deſployer vos deſirs & luy deduiſant l’eſtat de vos amours ſoyez autant fideles au recit de vos auantures, que vous auiez de contentemens eſtans amans bien-aimez. Sire, vous verrez leur geſte, peuples, faictes leur place, & les laiſſez pourmener, car en cet eſtat ils ne penſent plus ny à l’Empereur ny à nous, ils n’ont deſſein ny penſee que ce qu’ils eſtoient alors, en deuiſant & allant comme ils font. Verville. Belle, ſi les grandeurs de vos perfections qui vous deſtournent des petits ſuiets, ne m’euſſent oſté l’aſſeurance, il y a long temps que i’euſſe tenté la fortune, que ie me reſous à ceſte heure de practiquer, vous deſcouuraat l’effort que vos belles graces ont fait ſur mon cœur, qui ne pouuant plus patienter, me force de vous ſupplier, qu’il vous plaiſe m’accepter pour voſtre ſeruiteur. Melisse. Ne me repreſentez point que i’aye tant de perfections ; car elles ſ’eſteindroient en l’inſolente grandeur que vous me feriez conceuoir de moy, qui loing de ceſte oſtentation, deſire eſtre plus innocente que glorieuſe. Verville. Ie vous ſupplie me pardonner, voſtre propre vertu que ievous repreſente, eſt ce qui m’excite — à ce que vous monſtrant que ie la recognoy, ie, vous faſſe paroiſtre que ie ne ſuis point ſi diſgra cié que ie ne ſçache diſcerner ce qui eſt de me rite, & que ie ſuis en eſtat de pretendre à quel · que grace, encor que ie ſçache aſſez que vous ne pouuez pas faire eſtime de moy, veul’excel—. lence de vos perfections. M E L 1 s s E. Vos vertus me ſont trop recognues, & vous me fe riez tort ayant bien penſé de moy d’en rabbatre l’excellence que vous m’auez attribuee, car ce ſeroit m’oſter tout eſprit que iuger de moy que · ie m’eſtimaſſe tant que ie ne fiſſe cas de ceux qui, meritent. Ie ne ſuis point preſomptueuſe, mais ie penſe auoir le ſens aſſez iudicieux pour ſça uoir comme il faut honorer ceux qui vous reſs ſemblent, & vous ſur tout que i’eſtime & hono re. VE R v 1 L L E. Ceſte courtoiſie m’oblige trop : Mais afin que ie n’aille point rechercher des diſcours qui me feroient deſtourner de mon bien preſent, ie vous diray que voyant la bonne opinion que vous conceuez de moy, ie vous prie de me le faire croire en me receuant. M E 1 1s s E. Ie ſuis voſtre ſeruante. VE R v 1 L L E. C’eſt me tuer trop doucement, i’aimerois bien mieux qu’il vous fuſt agreable d’eſtre ma mai— — ſtreſſe. M E L Is. Et que vous en aduiendroit il quand cela ſera ? V E R v 1 L L E. Toute com modité de cœur, & ie m’aſſeure que vous m’ac cepterez puis que vous voulez ſçauoir la fin de ce que mon cœur pretend à vous ſeruir : En ce bien ie me trouue au deſſus de tout

contentement, & deſia ceſte faueur releue mon ame apres les beaux deſſeins, ſi que ia tout de coura — ge, des maintenant iuſqués à la fin de ma vie, i’iray apres les plus excellentes idees pour dreſſé par icelles, rencontrer le moyen d’effectuer ce que ie doy pour vous teſmoigner mes fidelitez. M E L 1 s s E. Mais ſi ie ne vous accepte pas. V E R v 1 L L E. Vous eſtes trop belie pour re tracter ce que voſtre parolle a demonſtré que vous vouliez.M E L Is s E. Et ſi i’ay vnautre ſer uiteur. V E R v 1 L L E. Ie ne doute point que vous n’en ayez infinis. mais il n’y en a point vn plus fidele que moy. MELIssE. A quoy cognoi ſtray-ie voſtre fidelité VERvILLE.C’eſtce que ie deſirois, ceſte heureuſe parole eſt celle qui me met en la pleine aſſeurâce de mon bien.Et pour tant eſtant à vous ie vous diray que ma perfeue rance vous aſſeurera, & en ceſte plenitude de felicité permettez moy ma Maiſtreſſe de baiſer ceſte belle main. M E L 1 s s E. Bien mon ſerui teur ie le veux, mais donnez moy touſiours oc—. caſion par vos deportemens que ie n’aye point cauſe de me plaindre de vous, & viuez d’vne humeur ſi modeſte que voſtre affection ſoit vo ſtre contentement & qu’elle produiſe le mien. G N o R 1 s E. Leur amityé fut ainſi contractee pour eſtre ſtable, & durant ceſte ferueur ceſt amant priſt à Meliſſe vn nœud incarnadin qu’elle luy demanda inſtammient, & il luy rendit i ! | auec ceſte proteſtation.

Ne prenez point garde aux cºuleurs
Que vou aimez par fantaiſie,
Mais aux veritables ardeurs
Dont vous faities viure ma vie.
Si vous recognoiſſez vn iour
De vos yeux la douce puiſſance,
Uou iugerex qu'vn ferme amour
Me tient en voſtre obeiſſance.
Ma Foy, ma conſtance, & le Temps,
Uous en produiront teſmoignage.
c'eſt tout le bon heur que i'attens
Ie n'ay autre ſoin au courage.
Tout ce que ie conçoy d'honneur,
Ce que ie pretens de lieſſe,
Eſt de viure humble ſeruiteur
De ma belle & chaſte maiſtreſſe.
Ma maiſtreſſe, vous qui ſgauez
Qu'à d'autre gloire ie n'aſpire,
Rendex moy contant, vous pouuez
M'ottroyer ce que ie deſire,
Mes deſirs ſont que vous croyeX ,
Que ie vous ſuis humble & fidele,
Le croyant que vous receuiez,
Mon amitié perpetuelle.

Voyez comme l'extaſe de leur amourles domi ne,ils reliſent en leur amie ce qui ſ'eſt paſſé.Il eſt vray, Sire, que cesamours ſe continuoient auec vne beauté d'affection accomplie, & leur amitié eſtoit tantinnocente qu'ils n'y admettoient au cun artifice. Mais oyez vne auanture ſuruenan te,vn ſoir que Veruille alloit voir ſa maiſtreſſe . (Amans penſans à vos amours, oyez le recit veritable de ceſte rencontre.) La belle eſtoit à ſa porte qui le voyoit venir, &l’attendoit de bon deſir, & auãt qu’il fuſt venuiuſques à elle ilauint que quelques nymfes de la cognoiſſance de Me liſſe qui auoient paſſé par deuant elle & luya uoient dit bon-ſoir & en haſte, pour retenir cet amant, ce qu’elles firent ſe doutant de leurs a mours, luy qui ne vouloit pas qu’elles creuſſent ce qu’elles penſoient, ſe trouuant arreſté d’elles fit ce qui leur pleuſt, & elles l’emmenerent luy faiſans rebrouſſer chemin : ô cruelles que vous auiez de tort, d’empeſcher ce bel eſprit de voller à ſa vie ! Elles le deſtournerent à la veuë de Me · liſſe qui n’en fut pas contente, & bien qu’elle vouloit aſſez la feinte de ſon ſeruiteur, ſi fut elle depite de cet acte, & en la ſimplicité & iuſtice de ſon amour en fit plainte à ſa ſœur Aſcante, la quelle le lendemain tança doucement Veruille de ſa faute, & de ſi bonne grace en la preſence des autres Nymfes qu’elles ne ſ’en apperceurent point, l’alteration de ſon cœur en cette bleſſure eut eſté manifeſte ſans le iugement dont il vſa à feindre ſa douleur : en ceſte affliction il paſſa quelques heures faſcheuſes, & puis apres plu ſieurs eſlancemens d’eſprit il vint humblement *leuant ſa maiſtreſſe prononcer ceſte requeſte de pardon :

Ma belle ie vous pri ne m’eſtre criminelle,
Ie vous viens humblement confeſſer mon erreur,
Quand vous recognoiſtrez que ie vous ſuis fidele,
Uous n’imputerez point de defaut à mon cœur.
Non ie ne deuoi pas ſuyure vne autre ananture.

Ie ſcay bien qu’il falloit acheuer mon deſſein,
Mais ſans auoirpreueu de rencontre future,
Ie ſaiuois pleinement de mon deſir la fin.
Ie ne m’excuſe point, i’ay failli ma lumiere, ue deuoy ie eſtimer par deſſus mon deuoir ?
I’en demande pardon. D’vne faute premiere,
Vous ne vous deuez pas encor apperceuoir.
Que mon cœur fut tronblé lors qu’en ceſte ſurpriſe
Je me vi deſtonrné de mes denotion,
Les belles qui faiſoient changer mon entrepriſe,
Virent bien que i’auois d’autres intentions.
Auſſy ie declaré ceſte ſecrette flame,
Qu’auec tant de douceurs ie conpoy vous aimant ?
Ie veux que mon ſecret ſoit Ynique à mon ame,
Qui n’aime pas ainſi, n’aime point ardemment.
Ainſi que vous voudrez, iage ( moy ma maiſtreſſe,
Je ſouffriray conſtant tout ce qu’il vous plaira :
Uoſtre œil eſt l’aſtre ſaint qui mafortune adreſſe,
Ie viuray, iemourray, comme ill’ordonnera.

Melisse. Tout cela eſt beau pour ſ’excuſer, pourueu que voſtre cœur ſoit entier, mais ie me tourmente pour neant, car entre-vous gentils · hommes, vous auez tant de feintes, & de moyens de ſurpriſes, auec les inuentions de vous excuſer quand vous auez failly, que vous nous faictes croire ce qu’il vous plaiſt, & ce pendant vous prenez voſtre plaiſir par tout, pource que tous ſujects vous ſont agreables & beaux. V E R v I L. Vous m’affligez, ma Belle, i’ay le courage ſi entier & tant à vous, que tels eſbauchemens de deſloyauté n’y ont point de lieu. Pourquoy me voulez yo"perſecuter ſachãt la verité ? Ne ſçauez vous pas bien que la force m’enleua ? Ie vous diray bien que ſi ie ne me fuſſe ſouuenu de voſtre commandement, qui eſt — que ie ſois ſecret en noſtre amitié, i’euſſe faict loire ouuerte d’eſtre à vous, & ie les euſſe laiſ # pour vous venir trouuer. Mais vous † bien que ie fis mon deuoir, & que par ainſi ie leur oſtois l’addreſſe de l’opinion qu’elles auoiét queie fuſſe voſtre ſeruiteur, &vous preniez plai ſir à leur donner ceſte contre-perſuaſion, d’autät que vous me vouliez poſſeder ſans qu’elles le ſceuſſent, ioint qu’elles vous en portoient en uie, à cauſe qu’elles vouloient auoir la reputa tion d’eſtre belles, & qu’elles ſçauoient que ſi vous eſtiez ma maiſtreſſe, auſſi toſt vous § entre les dames † d’en meriter le prix : Ie dirois pourquoy, ſans que ie veux que maloüan ge ſoit de vous aymee, ſans y rien adiouſterda uantage. A cauſe de cecy, & de ce que ie reco gnoy, ie ſçay bien qu’il n’y aura iamais de con trarieté en ma fortune vous aimant, que par leur malice. Or ma maiſtreſſe, il eſt en vous de me punir commeil vous plaira, toutefois ie me per fuade que voſtre vertu vous oblige à croire ce qui eſt vray, que ie dy comme ie le penſe. As cAN D E. Ma ſœur, il a raiſon, encorie vou drois ne ſçauoir point qu’il fut ton ſeruiteur ; car vn amour mignonnement celé, meſme à ceux que lon voudroit en rendre teſmoins, demeure vifentre les belles cendres de ſes plaiſirs. V E R v 1 L L E. Voicy vne agreable rencontre, ceſte belle m’aidera fort à m’excuſer, le ferez-vous pas touſiours de meſme ? A s c AN D E. Il faut auoir pitié de ceux qui ne peuuent qu’au pris que la onne occaſion leur en donne le moyen, ne ſça | uez vous pas bien que ie ſuis preſte à bien faire ? V E R v. Les belles & ſages ſont de ceſte humeur, auſſi ie vous prie de me fauoriſer encores com me vous auez faict. Il faut que i’aille voir le Sei—. neur de Valdamour qui m’a mandé, ie ſerayab ſent quelques iours. AscANDE. N’y va point, croy moy, demeure icy, puis que tu es en la grace de ta maiſtreſſe, paſſe le temps auec nous, que pretens-tu de ces grands qui ne t’aiment que pour leur particulier contentement ? ſitu n’auois point de beaux diſcours, tu ferois bien d’en aller chercheràl’auanture. G N o R I s E. Tels deuis particuliers & gracieux entretiens, ſe conti nuoient entre cestrois aſſez ſouuent, & lesaffe étions des amans ſe fortifioiét auec l’excellence d’amitié mutuelle, le cœur de l’amant eſtoit fi dele, celuy de l’amante eſtoit loyal, & conduits auec tant de beau reſpect, qu’il n’y auoit pas moyen de penſer que le diſcord y peut iamais ſuruenir : Ceſte belle petite practique amyable ſe traictoit tant accortement, que meſmes Aſ cande encor qu’elle ſceut leurs amours ſi n’en peut-elle remarquer aucune circonſtance nota ble, & qui peut en aduiſer les yeux des autres, ioint que l’Amant n’en faiſoit diſcours ny ſem blant, & ſi de fortune il alloit pourvoir Meliſſe, & qu’elle fuſt abſente, il entretenoit Aſcande de beaux propos ſans toucher au ſujet desö amour. Il faiſoit comme les parfaicts Amans qui n’em ployent point de tiers en leurs affaires, auſſi ſouuent les tiers y mettent plus de zizanie qu’ils

n’y ſement de ſemence d’amitié.Or vne fois que cet amant eſtoit venu où il penſoit trouuer ſon | bien, il ne rencontra que Aſcante.auec laquelle il diſcourut fort longtemps, en eſpoir que Me liſſe viendroit : en ceſte attente il prit eccaſion de deuis auec Aſcante ſur le ſujet du bon conſeil qu’elle luy auoit donné de n’aller point voir le § de Valdamour, luy diſant que ſ’il ſe fut mis en chemin, il eut couru fortune dangereuſe, † qu’en ce temps-là Praguus le grand vo eur, rauageoit tout auec vne troupe aſſez forte : & ill’a remercioit du bien qui luy en eſtoit aue — | nu, luy en rendant ceſte douce recognoiſſance · · · & priete, *, , \ ! º ! ZBouche de verité, oracle deſirable, Ie vous offre les vœux que mon ame vous doit, | · PreneN le, c’eſt mon cœur, croyez moyveritable ! Autant que ma penſe en vo paroles croid. ZBellepardonnez moy, i’imaginois qu’encore — | Je poſſedois mon cœur, mais il n’eſt plus à moy, •. — Vne douce beauté qu’heureuſement i’honore |, Depuis que ie la vei, l’a retenu che{ ſoy. Helas ! ſi vous voulieK heureuſe propheteſſe, — AMe dire le ſuccc ( des flames de mon cœur, Autant que ie cheris les yeux de ma maiſtreſſe, Pour vos perfections ie vous rendrois d’hon | # /76’b/7". · · ·. JBelle dictes moy donc quelque mot d’eſperànce,’; Pourray-ie en bien ſeruant la fieſchirà pitié ? 4 | Selon que vous dire K auray de l’eſperance,. : | # tºlais prophetiſez-moy quelque accent d’amis

Ainſi la verité deſſus vos leures croiſſe,
Et puiſſe-ie de vous mes fortunes ouir,
Ainſi voſtre beauté touſîours ieune#
Ainſi de vos amours puiſſieX vous bien iouir.

Puis paſſant de propos en autre, ils ſ’amuſe rent tant que la belle Meliſſe vint, plus eſcla tante en beauté que le Soleil n’eſt clair, quand il ſe leue au iour plus agreable ; cet Amant la void comme le propre aſtre de ſa vie, dont il eſpere tout bon-heur. Mais elle luy faict tout ne plus ne moins que font les derniers iours aux vieillards qui ſont comme les reſtes de l’Eſté, qu’il ſemble que le temps doiue faire vne ſaiſon nouuelle, & tout incontinent l’Hy uer enuelope les contrees, & les anciens ſe trouuans gays & ioyeux ſe trouuent preſques en parfaicte diſpoſition, ainſi que iamais n’ayans eſté mieux ny plus ſains, croyans ne ſ’eſtre onques ſi bien portez, & durant ce bel eſtat tout d’vn coup ſans cauſe manifeſte ils deſ cheent, & treſbuchent en la derniere occa ſion. De meſmes vniour de grace Veruillere ſentir vn malin reuers d’affaires : Car eſtant continué en la douceur de ceſte grande felici té tant abondante, receuant toute multitude de plaiſirs en ſon ame, ſe tenant conmblé de toutes proſperitez d’amour : Il luy auint en vn inſtant vn tres-grand malheur, le plus deſplai ſant que la diſgrace puiſſe former, parvne meſ chante & maudite ialouſie, quelques Nymphes compagnes de la belle, luy donnerêt des attein tes pour ſes amours, &y adieuſterent de folles circonſtances qui la depiterent, pource qu’elle penſoit que ce qu’elles luy en diſoient, fut occa ſionné par quelque faute ou indiſcretion que Veruille euſt commiſe, & qu’il ſe fuſt vanté con tre ſon ordinaire, de quelque faueur, parquoy la belle prenant ſon opinion pour verité, delibe ra de luy faire ſentir ſon peché. Elle auoit tort la pauurette, ſe troublant ſoy-meſme, & autruy, & toutefois en ce malin changement depiteuſe ment premedité, elle deuint † Vers celuy qui n’aimoit qu’elle ; faſcheuſe contre le courage qui n’auoit reſpect qu’à ſa beauté, & fie re à celuy qui luy eſtoit tout humble : Et depuis ceſte heure là plusill’arecherchoit, plus elle ſ’en deſtournoit, continuant trop longuement ceſte mauuaiſtié.Le triſte Amant qui ne ſçauoit pas la cauſe de cet incöueniét, n’y a ſceu mettre reme de, & quoy qu’il ait ſouuët repreſenté ſon inno céce, ſes fideles amours, ſa parfaite loyauté, & les incoulpables pretétions de ſon cœur, le courage de la belle ne ſ’eſt pointamoli, dont plein de re gret, & en l’amertume egale à celle qu’on ſauou re en mourant, illuya chanté ceſte douleur :

Vous faites doncſipeu d’eſtat de la promeſſe,
Que ſans crainte y manquant, vou manquez à l’honneur ?
Non, vous ne croyez pas que le cœur qui träſgreſie
Doiueeſtre quelque iour puni deſon erreur.
Si vou auiez encorvnpeu de conſcience,
Vous en reſsentiriez en lame le pouuoir,
Mais vous ne penſez pas auoir commis offence,
Ne recognoissant plus d’amour ny de deuoir,

Tous ceux qui les vertus & le deuoir negligent, Ne parlent & nefont queſelon le hazard, Leurparole & leur foy de rienne les obligent, Leurs dits & faicts ne ſont que du vêt & du fard. souuenez vous du iour, qu’amante volontaire Vous me fiſtes promeſſe & priſtes monſerment, GardeK. qu’Amour vengeur ne vous ſoit aduer ſaire, Carilſçait chaſtier le courage qui ment. Non ie ne me plains point, ie recherche vengeance, On courage offencé ne ſe peut retenir, Ieſuis tont plein de cœur, i’ayaſſez d’aſſeurance Pour vous voir quelque iour repentir c5— punir. Gnoriſe ayant fini ſon diſcours & les parties ſe · taiſans, le Procureur general d’Amour fit ſon re quiſitoire, & l’Empereur ayant receu le conſeil prononça, La douceur dont vous auez veſcuejt notable, parquoy, vous Belle, l’entretien fauorable dont vous aueXattiré à vous ce Gentilhomme, vous rend hors d’excuſe : Et vous triſte Amant, vous eſfes enpeine, pource que vous n’auez pasflechi le courroux de voſtre maiſtreſſe. Et pourtant il gſfauisé que vous Belle, aurez douleur en voſtre fortune, ayant quelquefois regret d’auoir mal traicté celuy qui vous aymoit tant. Et vous, Amant, ſerez en ceſte perplexité tantque vous continuerez voſtre affection. En fin tous deux vous attendrez la rencontre, qui vous eſt deſtinee par le ciel.

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DESSEIN IX.


Diſcours de l’Empereur & de Meliſſe, laquelle luy raconte vne hiſtoire nouuelle, d’Arleone & de ſes amours. Et comme vne fille ayant pris l’habit de gentilhomme, & vn gentil homme l’habit de fille, à la fin ils furent mariez enſemble.



CE beau iour eſtoit employé à vuider de ſemblables cauſes, & l’Empereur auant que ſ’ennuyer ſe leua prenät Meliſſe par la main, qu’il amena auec ſoy pour mener au iardin : A la verité elle eſtoit tant accomplie de beautez, que quiconques la voyant ne l’euſt deſiree euſt efté priué de cœur, auſſi rien n’eſt tant aisé que d’aymer ce qui eſt beau, c’eſt la redite des amans, & ie croy que ce Monarque euſt facilement induit ſes affections à ce beau ſujet, ſi l’vlcere de fon cœur luy euſt permis, ſ’il euſt peu oublier le premier caractere & ſoy-meſme, il euſt tout de laiſſé pour ſ’addonner à aymer ceſte belle qui n’eſt que toute agreable : mais n’ayant vers ce ſuiet autre deſſein que l’entretien commun, deuiſant auec elle, & voulant apprendre de plus en plus des cauſes & effets d’amour pour ſe conſoler en ſon mal, luy demanda : Belle, d’où vient que ce Gentilhomme a perdu vos bonnes graces ? Melisse. Sire, les hommes ont pour la plus part de terribles & eſtranges opinions, leſquelles ils croyent, telles que leurs mauuaiſes. humeurs leurs figurent, ainſi en prend-il à ce pauuret, qui deuoit cognoiſtre mon cœur, auant que ſ’addonner au deſeſpoir. Il faut que ie vous confeſſe que ie l’aime, & que iamais il ne partira de mon eſprit, encor que i’aye taſché de l’en effacer à cauſe des dépits que l’vne de nos Nymfes m’en a faict. Auſſi quand il ſaura la verité ie le verray reuenir auec la penitence me ſupplier, ce pendant i’auray du regret pour luy, & le teſmoigneray ou au cœur, ou au viſage. L’Empereur. Donques voſtre eſprit occupé ne donneroit point de lieu à vn autre, & n’y auroit moyen de tirer de vous aucune commodité de cœur par mutuelles affections ? Melis. Les places eſtans priſes, il faut enleuer ceux qui les poſſedent auāt que d’y en mettre d’autres. L’Empr. Quelle grace peut-on donques auoir de vous ? Melisse, Celle qui doit eſtre requiſe. L’Empereur. Que ie ſois trompé ou non, ſi faut-il que ie reçoiue de vous quelque conſolation par le deuis familier, à ce que voſtre bel eſprit me repreſente ce qu’il eſt. Comme il diſoit cecy le retour ſ’acheuoit, & ſe rencontrerent pres la ſeconde ſale de Mercure, où ils entrerent pour ſe repoſer vn petit, ou y eſtre ſelon l’occurrence : & ce que la belle trouueroit d’occaſion propre, à quoy elle pretendoit ; car oyant les autres diſcours de l’Empereur vn peu interrompus (ioinct qu’elle ſçauoit de ſes affaires) pour le diuertir & luy cauſer du relaſche en ſa melancholie, ſe fouuenant d’vne belle hiſtoire, ſ’aui’a de la luy conter, & luy dit : Ie ſçait vne belle auenture eſcheuë n’y a pas longtemps en France, ie croy que le recitvous en pourra plaire. L’EMPEREvR. Voudriez-vous bien en prendre la peine, & me tant gratifier : Ie vous en prie Belle, & croyez que i’auray en cela double plaiſir, l’vn de vous ouyr bien dire, & l’autre de ſçauoir ceſte nou ueauté. M E L I s s E. Vn beau Gentilhomme François eſtoit nourri chez vne ſage Dame, où il apprenoit, encor enfant, les premieres lettres, & y eſtoit eſleué en la compagnie d’vne belle petite Damoiſelle de bonne famille, mais deſti tuee de biens, & tellement qu’il falloit que ſes amis fourniſſent à ſa penſion : Ce beau fils venât par frequentation à ſentir les premieres petites pointes que l’Amour mignon en guiſe d’amitié, aiguiſe contre les cœurs, & apres eſtre hors de la maiſon de la bonne femme & auoir eſté page, & paſſé toutes les carrieres que l’on eſſaye en la premiere ieuneſſe, nourriſſant en ſon cœur vne ſcintille d’affection, la ſentit ſe multiplier en hantant les compagnies, ou voyant pluſieurs belles Dames, dont les yeux ſollicitoient aiſe ment les ſiens, ſe reſſouuint de l’impreſſion que ſa premiere cognoiſſance auoit frappee en ſon cœur, & ſ’en informa tant auec ſon courage, qu’il luy prit enuie de ſ’eſclaircir par effect de ce qu’il imaginoit, ou pour ſ’en diſtraire, ou pour en courir la fortune ; & de faict il delibera d’aller voir ceſte belle, auec laquelle ilauoit eu tant de douces frequétations, ill’entreprit & l’executa, & vint chez la ſage dame ſa nourrice, pour en ſauoir des nouuelles, ce qui luy ſucceda : Meſ mes quand il ſe preſenta à la porte, la Belle fut celle qu’il rencontra la premiere, il l’a recognut bien, car ſon cœur eſtoit le parfaict peintre qui la luy figuroit, il fut eſmeu & ſurpris la voyant tant belle qu’elle luy paruſt ; car elle ſe monſtroit tant parfaicte, que difficilemēt on euſt peu trouuer vn obiect plus deſirable, leur rencontre fut ſolemniſee d’vn agreable baiſer : Et puis eſtants deuant la Dame qui le receut amoureuſemët, la rememoration de leur ancienne cognoiſſance miſe en auant, multiplia du tout le deſir qui l’auoit amené, ce qui parut, pource que quelques iours apres, & que la familiarité fut renouuelee, la ſage Dame ſe plaignant à luy de ceux qui prenoient le ſoin de la Damoiſelle, & l’auoient negligee depuis vn an & demi, ils en entrerent ſi auant en diſcours, qu’elle l’informa des affaires de la belle : luy qui iugeoit que cela le touchoit à cauſe de ſon affection, aſſeura la Dame de tout, & la contenta payant ſa penſion, & tous les frais qu’elle auoit faicts, luy contant qu’il eſtoit des amis des parens de la Damoiſelle. Les affaires ainſi reſolus, tout ſe portoit bien, & cependant ceſte grande courtoyſie donna à ce ieune cœur capable de paſſion, vne iuſte occaſion de ſ’en eſmouuoir : & le Gentilhöme voyant ceſte douce inclination de la Belle, ſ’obligea d’amour vers elle, ſi eſtroictement qu’il y poſa l’extremité de ſon bon-heur, auſſi elle qui repaſſa ſur les premieres fleurs de leur ancienne amitié, ſ’y propoſa toute felicité, & ſe donna entierement à celuy qui l’aimoit parfaictement ; les amours formees ſu le modele exact de la chaſteté durerent plus d’vn an, à la fin ce fidele amant ſe reſolut de donner vn terme à ſa belle amitié, & declarant à ceſte belle Arleone ce qu’il auoit premedité, la fit conſentir à ſa legitime deliberation, qui eſtoit de l’eſpouſer. Et pource que les parens du Gentilhomme le ſçachans l’en voulurét deſtourner, à cauſe du peu de moyens de la belle, & l’en empeſchoient, il fit vne feinte, & les aſſeura de n’y penſer plus, & qu’il practiqueroit d’autres amours : cependant il eſcriuoit à Arleone à toutes occaſions, ou la voyoit : & ainſi il fit partie auec elle de ſe diſtraire & ſ’en aller au loin viure heureux. Le Gentilhomme fit bource & amaſſa aſſez dequoy, meſmes en pierreries & ioyaux, qu’il mit entre les mains de ſa chere maiſtreſſe, & ayant communiqué à quatre de ſes intimes amis vn voyage premedité, ils luy promirent aide & aſſiſtance ſelon qu’il les en requereroit, leur diſant vne partie de ſon deſſein, mais non à la verité, car il leur teut le principal de l’affaire, biē leur raconta-il qu’il menoit auec ſoy vn ieune Gentilhomme ſien couſin, pour l’amour duquel principalement il entreprenoit ceſte partie. Ce Gentilhomme eſtoit Arleone, deſguiſé en beau ieune fils, laquelle ſçauoit le lieu où eſtoit le rendezvous, & elle qui euſt pluſtoſt ſouffert la mort que le denoüement de ſa foy, ny manqua pas, auſſi leur intention eſtoit mutuellement chaſte, & deliberoiēt de ſe depaïſer, & paruenus au lieu deſiré ſ’eſpouſer honneſtement, pour paſſer le reſte de leurs iours ſelon le deuoir. L’Amāt auec ſes amis vint où ils trouuerent Arleon, & incontinent veſtus en pelerins ſe mirent aux champs, & ſans eſtre deſcouuerts firent pluſieurs lieuës, ſi qu’il y auoit vn mois qu’ils cheminoient à pe tites iournees quand ils arriuerent pres de Poi, ctiers, où ils firent rencontre de voleurs qui les chargerent, & ils fe defendirent ſi vaillamment que huict des voleurs demeurerent ſur la place, le reſte ſ’enfuit : Mais helas ! par grand malheur le pauure amant fut tellemët nauré, qu’il expira entre les mains de ſes amis, ainfi qu’ils le rele uoient, dont l’ennuy fut extreme au pauure Ar leon, qui preſque perdit tout eſpoir ; toutesfois ce fut à luy de penſer à ſon affaire, & ſe demon ſtrer auec telle conſtance qu’il eſtoit neceſſaire : Ces pauures voyageurs prenans leur mort & cö duiſant deux des leurs qui eſtoient bleſſez, vin drent à la ville, & auertirent la iuſtice de ce qui ſ’eſtoit paſſé. Ceſte notable diſgrace les fit aſſez long temps arreſter en ceſte ville là, oùils firent les obſeques du deffunct, & donnerent ordre à la § des bleſſez, & cependant Arleon penſant à ſes affaires, ne ſe fit cognoiſtre aux autres qu’en qualité de couſin du deffunct, dont il lamentoit le decez, cependant il ſe tint ſaiſi des ioyaux que ſeul il ſçauoit, & continuant la feinte d’habit, viuoit auec ſes amis comme de couſtume. Vis à vis de l’hoſtellerie où ces pe lerins ſ’eſtoient logez, demeuroient quelques dames charitables qui les venoient viſiter fou uent, & donnoientaux malades pluſieurs petites delicateſles, & taſchoient à les reſiouir tous en leur affliction, entre elles eſtoit Clarioſe belle ieune vefue, laquelle ayãtietté l’œil ſur Arleon le trouua à ſa fantaſietant accomply, qu’elle ne ſe peut tant cömäder que ſon cœur ne ſ’addonnaſt à le deſirer, & de faict ſ’affligea ſi fort d’amour pour ſon ſuiet qu’il fut ſon vnique penſee. Elle preſumoit bien, veu l’apparence d’honneur de ſ’en diſtraire, mais l’amour futvainqueur de tou tes ſes autres opinions ; tellement que ceſteve hemence d’amitié l’enleua auec tel effort qu’elle en perdoit & repos & repas, & ainſi viuement ſollicitee d’affection, n’auoit plaiſir en ſoy, que lors qu’elle voyoit Arleon : Ces difficultez d’eſ prit luy cauſerent telle impatience, que ſon ame eſtoit eſperduë en l’abſence de ſon obiect : par quoy ne reſpirant que la douce felicité qu’elle ſe propoſoit de ſa belle grace, ſe reſolut de luy fai re ouuerture de ſon cœur. Il n’y a rien qu’vne amante determinee ne tente, & pourtant elle ſe reſout & puis effectua ſon deſſein qui luy ſucce da. Arleon que le deſplaiſir exerçoit cruelle ment, lamentoit ſans ceſſe pour le ſujet qui luy auoit eſté ſi cher, ayant pour ceſte cauſe de terri bles martels en la penſee, auec cela ayant l’hon neur deuant les yeux, & iugeant la diſgrace qui luyauiendroit retournant au païs, ioignit le cö ſeil auec ſa iuſte deſplaiſance, & ſceut tant bien feindre de pourſuiure ſon deſſein, que les autres ne cognoiſſans de ſon faict que les feintes qu’il leur en racontoit, ſ’en retournerent, le § — en ceſte Vniuerſité, où il dit qu’il vouloit eſtu—. dier, afin d’eſtre ſçauant & habile auant que ſ’en retourner, & qu’il eſperoit y trouuer condition & commodité, ou paſſer outre, ſelon que la for tune luy diroit. Durant qu’il minutoit ſes opi nions, Clarioſe l’apperceut & cognut fort bien qu’il eſtoit agité de ſolicitude, partant faiſant ſemblant d’autre occaſió, vint côme par hazard à ſa rencontre, & luy dit, Quoy ? Arleon vous eſtes tout melancholique, auez-vous beſoin de quelque choſe à ie vous aſſeure que vous eſtes entre des perſonnes qui vous feront tous traicts d’amitié, & ne permettront point que vous ayez de la neceſſité. ARLEoN. Mademoiſelle, ie vous rends graces treſ-humblement : Ce n’eſt point la crainte de neceſſité qui me trauaille, mais vne autre faſcherie qui m’eſt bien plusinſu portable, & qui eſt telle qu’a peine on la pour roit penſer. CLARIosE. Ie penſe qu’il n’y a rien qui puiſſe tant affliger vn beau Gentilhomme tel que ie vous † ce n’eſt la perte ou l’abſen ce de quelque Dame. ARLEoN. Ie vous iure & auec verité que telle cauſe (ſans vous dédire) n’eſt pas ce qui m’afflige mais la perte d’vnChe ualier, iointe à vneinfortune bien plus rehauſſee de malheur. CLAR. Nous auons taſché à vous conſoler de ceſte perte, à quoy il ſe faut reſoudre, † qu’il n’y a plus de remede, vos deſtreſſes ne e peuuent reſueiller, ny vos ennuis le reſtablir, & voſtre douleur ne le rappelleraiamais, il faut mettre peine de ſe reſtituer à ſa premiere ioye pour s’aſſeurer du reſte, & ſe tirer d’affliction, aduiſez à quoy ie pourray y eſtre † carie n’auray rien de cher que pour l’employer à vo ſtre commodité. ARL. Ie ſuis vn pauure eſtran ger que vous auez deſia tant obligé qu’il n’y a pas moyen que ie le puiſſe dignement recognoi ſtre pourvous en recompenſer. CLAR. Tout ce qui eſt en mon pouuoir vous eſt acquis, & d’a— | uantage, vous ne ſerez point º# s’il vous eſt agreable de conſentir au bien d’vne perſonne qui vous en deſire. Arle. Vn pauure infortuné pourroit-il bien faire vne rencontre telle ? il n’y a pas apparēce. Clar. Il y en a, auſſi telle pēſé en vous qui peut ce qu’il vous plaira pour voſtre biē, & ſi vous auez le courage de tenir ſecret ce que ie vous communiqueray, & le prendre de telle part qu’vn cheualier vertueux le doit, ie vous propoſeray vn party, lequel vous accepterez ſ’il eſt à voſtre aduantage, ſinon vous le laiſſerez par raiſon, en conſeruant dans voſtre ame ce qui en ſera, auec ceſte gloire d’auoir eſté recherché. Arleon I’ay l’ame tant addonnee à la fidelité, que iamais elle ne manquera à ſon deuoir, parquoy ie vous feray tel ſerment qu’il vous plaira de tenir ſecret ce que vous me direz, & que ie ne le declareray iamais ſans voſtre cōmandement. Clariose. L’amour fait faire de grandes paſſades aux eſprits de ſon obeyſſance, c’eſt luy qui veut que ie vous declare ce que i’ay de plus ſecret au cœur, & ie vous prie de tenir en l’eſtat que vous m’auez promis ce que ie vous deſcouuriray. Depuis que mes yeux vous eurent deſcouuert, & qu’ils en eurēt raporté la nouuelle à mon cœur, ie n’ay eu autre penſee que celle que vos graces m’induiſoient, qui eſt cauſe que ie vous ay conſideré plus inſtāment, & de là i’ay creu, veu vos façons, que vous eſtes de bon lieu, & partant que ſi ie vous declare mon affection, vous m’oſterez de peine, en acceptant mon aliāce ſi rien ne vous empeſche. Arleon. Voicy vn coup d’extreme obligation ! vous m’auez ouuert voſtre courage, ie vous manifeſteray le mien, & puis que vous me deſirez, ie ſeray à vous : Rien ne m’en empeſche, & de fait, puis que vous le voulez, ie me donne à vous : Mais tout ainſi que vous m’auez dit voſtre ſecret, auſſi eſt-il raiſon nable que vous ſçachiez le mien, & ie vous di ray que s’iladuient que quand vous le ſçaurez, — vous me reiettiez trop †, ſi ne vous abandôneray-ieiamais, la ſeule mort nous ſeparera ſi elle peut. Ceſte amiante l’oyant par ler de telle ſorte ſentoit en ſon cœur vn § de plaiſirs, & ne ſcauoit’comment ſouſpirer, tant le contentement l’emportoit, & Arlecn faiſant vn ſouſpir, tiré du profond habitacle de ſa vie, luy dit, Ma belle Demoiſelle, quand ie ſeray à vous comme ie le ſuis, quel vous en ſe rale bien ? Helas mon ſecret eſt la difficulté que ie trouue en cecy, c’eſt ce qui fait qu’eſtant du tout à vous, n’eſtant à perſonne, n’ayant plus d’obligation à viuant, iene puisvous eſtre ce que poſſible vous deſirez. CLARIosE. Quoy : m’o— ſtez-vous deſia ce que vous m’auez donné ? & que ie receuois tantoſt auec toute lieſſe de cœur ? ARL. Non, carie ſeray touſiours à vous, s’il vous plaiſt. Mais ce qui m’afflige à ceſte heure eſt, que nature n’a pas voulu que ie fuſſe ce queie parois eſtre. Mademoiſelle, mon infortune eſt cauſe qu’il faut que ie mente : Ie m’eſtonne que vous qui auez des yeux, n’auez deſcouuert mon menſonge. CLARIosE. Ces difficultez tant bien recherchees me mettent en peine, ie vous prie m’oſter de l’inquietude où elles me tiennent. Adoncques, apres pluſieurs douces & recipro ques proteſtations d’amitié & de ſecret, Arleone ſe declara à Clarioſe, luy deſcouurant fidelle ment ſes affaires, ſa maiſon, ſon eſtat, ſes amours, ſes ennuys, & ſa deliberation : ce qui fut pourſui uy auec des pleurs & larmes de tous les yeux de ces deux deſolees, qu’elles conduiſoient de pro fonds ſouſpirs tirez du plus pres du cœur. Apres ue ces deux Demoiſelles ſe furent vn peu con §, & eſtans reuenues de ceſt extaſe de pitié, apprenans vne nouuelle amitié, ſe reſolurent d acheuer l’entrepriſe que Clarioſe inuenta à l’heure de ceſte cognoiſſance. En telle delibera tion apres que les compagnons du deffunct fu rent partis, Arleone ſe retira chez Clarioſe, & y veſcut quelque temps auec le plus de conſolatiö d’amitié qu’elles peurent practiquer, ſans que Arleon ſe § autrement qu’il auoit en cor paru, car la feinte duroit toufiours, & ces deux ſe voyoient auec tant de belles actions, que les voyans en tiroient plus de coniectures ver tueuſes, que les peruers de ce iour n’en euſſent peuimaginer de folles cupiditez. Or Clarioſe auoit eu vn fils de ſon mariage, qui eſtoit nourry auec ſa mere grand, non comme garçon, ainsha billé en fille, car ceſte vieille poſſedee par ſa fan taiſie, vouloit auoir vne fille de ſa bru, & pour lui complaire on auoit touſiours ſi bien faict, que ce beau fils auoit eſté tenu pour fille.Quelque diffi cile pourroit dire que celà euſt eſté bon à trom per vn vieillard qui croit les femmes, & non vne femme qui a plus de liberté auec les enfans que les hommes : pour ſatisfaire à la maligne penſee de ce picquant, ie diray que ceſte Dame eſtoit de l’ordre des Innocentes qui eſt pullulant en ce pays là, & entre leur regle vne eſt de croire tout ſans vouloir rien eſprouuer, à cauſe de la conſcië ce, & de crainte que le ſcrupule ou doute fuſt cauſe qu’iladuint mal, ceſt ordre eſt ſemé par my toutes ſortes de gens & ſexes, ainſi quel’eſt. la police religieuſe des filles deuotes.Or donc la bonne femme ayât dit, qu’elle n’aymeroit point vn fils ſi ſa brus en auoit, les ſeruantes auoient ſi bien fait pour contenter leur Maiſtreſſe, que Cloriſel fut tenu d’elle pour vne belle Demoi | ſelle, qui ayant appris l’intelligence de ſon ſe cret, ſe maintinttouſiours meſmes eſtant grand en l’eſtat de fille portant le nom de Cloriſee, de quoy la mere eſtoit contente pour n’ennuyer oint la bonne vieille : & de faitil faut aux vieil † gens accorder beaucoup pour leur conceder peu, car ils ſe contentent pourueu qu’on ne les deſdiſe point.Ceſte gentilleinuention dedeſgui ſement de Cloriſee venant en memoire à Cla rioſe en eut du contentement en ſon cœur, ſans toutesfois en rien deſcouurir à Arleone, &ce qui plus l’induifit depuis à trouuer meilleure ceſte. feinte & l’approuuer, fut ſa nouuelle cognoiſ— — ſance, à cauſe dequoy elle prit en ſigrand dédain le ſexe des hommes, qu’elle confirma par ſecrets meſſages ſon enfant, à ce qui eſtoit commencé. | Ceſte nouuelle aduanture de Clarioſe ne dura ueres, car auant que ſix ſemaines fuſſent paſ ees, ou d’autant qu’elle auoit trop d’amour & de flames, elle futeſteinte faute de les eſteindre, ou pource que ſes deſtinees eſtoient accom plies, parce que ſoniour heureux eſcheut, ſon ame tira vers la multitude. Arleon coup de deſplaiſir occulte ſe retira errant quel ue temps, & hantant en bons lieux ſans ſe re † ne ſçachant comment faire pour hon neſtement ſe ranger : Cloriſee d’autre coſté tri ſte de la mort de ſa mere, ſe contenoit demeu rant touſiours chez la bonne femme, conſer uant ſa feinte, mais auec telle bride, que s’ab ſtenant des priuautez communes entre les fil · les, & n’en vſant auec celles qui ſe rencontroiét, elles l’eſtimoient reformee, & de faict elle ne s’aduançoit point aux mignonnes mignardiſes dont les filles ſe delectent enſemble, & ſid’a— uanture quelqu’vne s’emancipoit pour l’y in duire, elle la repouſſoit comme meuë d’vne hö te ſaincte, & de vergoigne vertueuſe. Iladuint qu’il ſe faiſoit vn tournoy & autres belles par ties, où pluſieurs Dames & Demoiſelles vin drent, & l’aſſemblee ſe rencontrant chez l’an cienne Dame, beaucoup de Nobleſſey aborda, entre autres Arleon y vint. expres pour ſe ra procher du lieu où il auoit eſté autresfois bien reçeu, carilauoiteſté iuſques àThoulouſe : mais forcé par ſon deſtin, il reuinticy, & il arriua le lendemain que les partiesauoient ceſſé, que les Gentilshommes eſtoient retournez, & qu’il n’y auoit plus que quelques Demoiſelles voiſines, il fut pourtant bien receu, & auec toutes ſortes d’höneſtetez, il s’eſtoit addonné à vneinfinité de petitesinuentions pour recreer les eſprits, deſ uellesil ſe reſiouytauec ces § & de # bonne grace qu’il leur fut fort agreable, meſ mes quelquesvnes retarderent leur retour chez elles à ſon occaſion, durant ces beaux exercices il ietta l’œil ſur Cloriſee qu’il n’auoit iamais veuë, & dont il ne ſçauoit aucune nouuelle, car celà luy auoit eſté teu, & la conſidera de tel œil qu’il ne ſe peut tenir qu’il n’expoſaſt ſon cœur à l’amour poury mettrel’affectiö de ce beauſuiet. Ce ne fut pas ſans conſiderer en ſoy-meſme d’où luyvenoit ceſte amoureuſe incommodité pour vne fille, & toutesfois ſe flattant s’excuſa ſur ce qu’il en eſtoit autant aduenu à Clarioſe, iugeant par là qu’Amour le vouloit exercer de meſme, parquoy il ſe laiſſa emporter à ceſte affection. Cloriſee quin’auoit encor rien veu quil’eut eſ meuë, ſentit vne ſemblable paſſion, & s’eſton nant en ſoy-meſme, de ce que ce pouuoit eſtre, ne ſçeut que penſer, ſinon de ſe reſoudre, que ce n’eſtoit pas amour, mais vne belle amitié, qui ſe formoit en leurs ames : Arieon faignit vouloir paſſer outre, & prendre congé des Dames, mais fa douce conuerſation eſtoit tant’aymable, que elles le retindrent : A la fin preſſant pour obte nir congé, elles luy demanderent qui l’incitoit à vouloir s’en aller ſi toſt, & comme Cloriſeein fiſtoit à ce qu’il fiſt reſponſe, il dit, Il n’eſt pas poſſible que ie peuſfe arreſter plus longuement envn lieu oùie ſuisaffligé ſans auoir fait offence. Et qui vous afaſché : luy dit Cloriſee. Il reſpon dit, Nul que vous, Belle, qui m’auez tant aliené de moy-meſmes, que ie peris pour l’amour de vous, parquoyie deſire m’eſloigner craignât d’é— trer en vn labyrinthe, dontie ne me demeſlerois iamais : Elle luy repliqua, Il n’ya rien tant † que l’amitié, mais il faut qu’elle ſoit reiglee, & que rien n’y contrediſe : autrement les fruicts n’ë que la iuſte innocence conduit à de petites paſ, · ſions aſſez pregnantes, & leſquelles l’aage mo dere : Ce ſera vous auec voſtre prudence quimo derera nos eſlancemens, vous ſçauez, Madame, ce que ie ſuis, & le commandement que i’ay eu de le feindre, & pourtant que ce gentilhomme — m’aymant, ſera fraudé, eſtant ce que ie ſuis. Ar leon ne pouuant comprendre ces enigmes, ac cordoit à tout ce que diſoit Cloriſee, ſur quoy la Dame l’appella & le prit à part, luy remon ſtrant que pour neantil faiſoit recherche du ſu jet deſiré, qu’il n’eſtoit pas ce qu’il penſoit, mais vn beaugentilhomme ainſi deguiſé. A ceſte pa role Arleone faiſantvn grand ſouſpir d’aiſe am braſſa’la vieille, Ha Madame, ce dit, quelle heu reuſe metamorphoſe me racontez vous, quelles commoditez me preſentez vous, quelles abon dances de delices, fourniſſez vous à mes amours ? de me dire que ce que i’ayme eſt ce que ie doy aymer : Madame, ſi ce beau fils eſt d’amour, & que ſa volonté condeſcende à noſtre proſperité : · nous ſommes en eſtat de parfaire § fortune, carie ſuis ce qu’on a penſé qu’il eſtoit, puis qu’il eſt ce qu’ô eſtimoit que ie fuſſe : Alors elle luy raconta ſa fortune, & ce qui ſ’eſtoit paſ ſé entre elle & Clarioſe, & luy diſant ſes com moditez, ſa race & ſes deſſeins, il futauiſé qu’ils changeroyent mutuellement d’habillements, & qu’auec la volonté de la vieille Dame, qui vou lut tout ce qui pleut à ſa ſœur, ils ſeroyent con ioints par mariage enſemble, ce qui fut accom pli au grand contentement des Amans, non ſans ſujet de grande merueille, çntre ceux qui les que la iuſte innocence conduit à de petites paſ, · ſions aſſez pregnantes, & leſquelles l’aage mo dere : Ce ſera vous auec voſtre prudence quimo derera nos eſlancemens, vous ſçauez, Madame, ce que ie ſuis, & le commandement que i’ay eu de le feindre, & pourtant que ce gentilhomme — m’aymant, ſera fraudé, eſtant ce que ie ſuis. Ar leon ne pouuant comprendre ces enigmes, ac cordoit à tout ce que diſoit Cloriſee, ſur quoy la Dame l’appella & le prit à part, luy remon ſtrant que pour neantil faiſoit recherche du ſu jet deſiré, qu’il n’eſtoit pas ce qu’il penſoit, mais vn beaugentilhomme ainſi deguiſé. A ceſte pa role Arleone faiſantvn grand ſouſpir d’aiſe am braſſa’la vieille, Ha Madame, ce dit, quelle heu reuſe metamorphoſe me racontez vous, quelles commoditez me preſentez vous, quelles abon dances de delices, fourniſſez vous à mes amours ? de me dire que ce que i’ayme eſt ce que ie doy aymer : Madame, ſi ce beau fils eſt d’amour, & que ſa volonté condeſcende à noſtre proſperité : · nous ſommes en eſtat de parfaire § fortune, carie ſuis ce qu’on a penſé qu’il eſtoit, puis qu’il eſt ce qu’ô eſtimoit que ie fuſſe : Alors elle luy raconta ſa fortune, & ce qui ſ’eſtoit paſ ſé entre elle & Clarioſe, & luy diſant ſes com moditez, ſa race & ſes deſſeins, il futauiſé qu’ils changeroyent mutuellement d’habillements, & qu’auec la volonté de la vieille Dame, qui vou lut tout ce qui pleut à ſa ſœur, ils ſeroyent con ioints par mariage enſemble, ce qui fut accom pli au grand contentement des Amans, non ſans ſujet de grande merueille, çntre ceux qui les cognoiſſoyent. Leur felicité fut excellente, mais de peu de duree, car la pauure Arleone aymee, & aymant, mettant vn beau fils au monde, laiſſa couler ſon ame, qui s’exala vers le ſiege de repos, laiſſant vn regret indicible au deſolé Cloriſel, qui n’a point voulu en eſtre conſolé : car il ſ’eſt retiré en la vie ſolitaire, ayant baſti vn ſuperbe ſepulchre à ſa chaſte Arleone, ſur lequel il poſa ceſte inſcription en lettres d’or.

Celuy qui fut les delices de ma Mere, deceue en ſon amour, eſt deuenue celle dont i’ay produit lignee. A cauſe dequoy, & pour ſi bon effect, i’ay oublié d’eſtre fille, pour au moyen d’vne tant heureuſe metamorphoſe, eſtre l’vnique de ma chere moitié, que couure ceſte pierre, laquelle i’arrouſe de mes larmes, auec des regrets que ie continueray, tant que ie ſois reduit à meſme ſort : A ce que l’effect d’amour accompli paroiſſe icy.

Toute ceſte auenue eſt figuree d’vn androgyne mixte, auſſi depuis quelques iours Cloriſela eſté mis dans ce tombeau ſelon ſon ordonnance, & l’a-on orné de pluſieurs inſcriptions & enigmes repreſentans la plus belle particularité de la plus belle recherche.

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DESSEIN DIXIESME.


La Belle figure viuifiee : puis reduite en pierres : ſes vertus : la tonnelle d’eau : coulombin ſignifie conſtance. Diſcours du brin apportéà l’Empereur. Le petit endroit du Paradis terreſtre, & de ſes merueilles.



IL y auoit deux iours que l’Ambaſſadeur de Boron eſtoit venu en Nabadōce vers le Roy, pour le prier ſur le ſujet de la perte d’Etherine, à ce qu’il y eut moyen, de la chercher en ſes terres & païs de ſon obeiſlance, & d’auantage cét Ambaſſadeur auoit charge de ſ’enquerir ſous le bon plaiſir du Roy, ce qui eſtoit de la belle figure, dont il s’eſtoit enquis en Sympſiquee, & auoit eſté remis à l’hermitage d’Honneur, où elle auoit eſté transferee. Les Princes ayans eſté preſens aux propoſitions de l’Ambaſſadeur, auiſerēt enſemble ce qu’il falloit faire, à ce que l’Empereur n’en ſceut rien, parquoy apres y auoir penſé, ils en auertirent le Roy leur pere, qui deſia informé de tout, remit cét affaire és mains de ſes enfans, faiſant reſponſe gracieuſe & agreable à l’Ambaſſadeur, lequel adreſſé aux Princes, fut reſolu de ce qu’il pretendoit, & auerti de ce qu’il faloit dire, & eſtāt cōduit par eux, veint en la ſale où eſtoit l’Empereur preſque à l’inſtāt que Meliſſe acheuoit sō hiſtoire. Eſtans entrez, l’Ambaſſadeur fit la reuerençe à l’Empereur, & ſelō l’ induction des Princes, luy fit l’honneſte harangue, qui tendoit à ce qu’ilipleut à ſa Majeſté, que le · Roy ſon maiſtre Prince de l’Iſle lointaine, fut acertené de ce qui eſtoit de la belle Figure, pour auoir reſolution de ce qu’ilfalloit faire pour di gnement accomplir le voyage d’amour. L’Em ereur le receutauectoute courtoiſie, & priales Princes de l’addreſſer à la Souueraine, & aux Sa ges pour le ſatisfaire ſelon les loix. Parquoy les Princes le menerent en la ſale du Palais de la Souueraine où eſtoit le ſage Sarmedoxe, auquel ayās parlé, il ſ’expliqua ainſi à cét Ambaſſadeur. L’eſtat de la Belle figure a autrefois eſté raconté, lors que les auātures amoureuſes de labelle He rodiasauec Herode, ont paſſé par les bouches de ceux qui les recitoyent, apres l’hiſtoire, qui ces ans paſſez vous a eſté expoſee. En ces diſcours, il eſt deduit comme la belle Cleomire Iuiue, fut tranſmuee en pierre en la chambre d’Herodias, apresauoiraualé la liqueur de Feudas, & com me pluſieurs auantures & rencontres differen tes, auindrent à ceſte bonne image naturelle, qui a couru beaucoup de dangers, eſtant tranſportee de lieu en lieu, § a ce que le Roy de Symr pſiqueel’allavaillamment conquerir, & l’enle ua du lieu où elle fut laiſſee, apresauoir eſté em portee du nauire qui la träſportoit, & eſt demeu ree pluſieurs ſiecles en l’Iſle de ce bon Roy ; döt noſtre Souueraine l’a recouuree, ſelon les ac cords faits entre les Roys de ce pais & de Sym pſiquee, & a eſté poſee en cét Hermitage d’hon neur, où nous la conſeruons, & eſt auenu que noſtre Roy, à cauſe de ſa vertueuſe courtoiſie vers le Sage, a receu du grãd & liberal Roy Eu meneſte ie Sage, l’vnguent Anaſtaſin, dequoy ſa Majeſté m’a commandé faire eſſay, ce queie fis — en la preſence de la Souueraine& grand nombre de gens de bien & d’honneur : dont la plus-part eſtoyent doctes, ce fut en ceſte ſorte.Eſtant en la ſale des ſecrets, ie fis mettre la belle figure ſur le lict verd, & luy frottél’eſchine & le col d’vn peu de cét vnguët, & lui en mis en la regió du cœur, aux poulx & en la † deſirable, puis en moins de cinq heures, labelle fut reueillee & toute re miſe, auſſitoſt on luy dôna vn beaulinge pour la couurir, adonc ſe recognoiſſant & comme ſor tantd’vn grand ſomm eil, ſemit à nous regarder : Cecy fut autant eſmerueilleux à voir, que ma gnifique à raconter : Elle reprit le naturel de vi ue perſonne, nous laviſmes belle & viue ſere muer, & faire quelques belles functions, les da mes preſentes tirerent vn rideau, & ſ’aprochans d’elle virent qu’elle auoit deſir de faire de l’eau, & elles lui preſenterentvn porfire, où elle en fit enuiron vneliure qui eſt reſeruee, incontinëtel le ſe ſouleua, & de ſa main tirant le rideau, nous parut à tous en eſtat vif, alors deſerrant le mi gnon côural de ſes leures, profera quelques pa roles notables eſcrites au liure vnique, apres quoy ſe relaiſſant ſur le lit, elle laiſſa ailer vn peu de douces plaintes, leſquelles finiſſant ceſte pe tite vie § ceſſa, & ainſi diſant adieu à la lumie re fut reduite en la forme de pierre, dont nague res elle eſtoit ſortie, & ſon ame qui ſi longue ment auoit eſté tenue priſonniere en ce durha bitacle, toute legere ſe gliſſa delicatement, & ſe retirant en ſon lieu deſtiné laiſſa ce beau corps en la parfaite ſolidité quel’on le void encores, & eſt conſerué comme vne des meilleures mer ueilles de ceans, eſtant la plus accomplie piece, exiſtante naturelle contre nature, & qui par ob ſeruation recueillie a vne remarquable vertu, pour laquelle elle eſt nommee, La preuue des cœurs : car ſ’il ſe preſentevne perſonne qui ait le cœur feinten ſes affections, & qu’elle approche du cercle qui eſt à cinq pieds diſtant de la figu re, on la verra ceſte perſonne là bleſmir, & ſi toſt qu’elle ſera dedans, elle paroiſtra de couleur au viſage, comme le faux or trop bas, ce † durera touſiours ſi elle ne ſe bagne ou laue en la fontai · ne des Amoureux, qui eſt en Glindicee, & faut que ce lauement ſoit accompaigné de deuë re pentance : Si quelqu’vn a eu pluſieurs maiſtreſ ſes, ouvne Dame pluſieurs ſeruiteurs contre la loy, ayant veſcu en inconſtance il paroiſtra au tour de ceſte perſonne là autant d’ombres tri ſtes, & ainſi la verité ſe manifeſte : Il eſt vray que ſi vne perſonne amante ſe preſente, & que par la, faute propre de ſa partie, ilya du changement ou de l’eſlongnemêt, ilparoiſtra vn ombre qui ſou dain s’eſuanouïra : Ceci eſt commun à tous, car il eſt raiſonnable, que quine demeure ferme en ce qu’il aiuré, ſoit oublié, afin qu’vn autre ait le contentement de l’amitié d’vn courage de me rite. Breficy eſt recognue la ſincerité des cœurs. Et ſi durant cét anniuerſaire, les amans veulent faire demonſtration de ce qu’ils ſont, le temps de la belle figure ſera la ſemaine prochaine où — l’autre d’apres, ſelon les affaires, adonques les excellences de ſes merueilles paroiſtront.Cét Am baſſadeur ayant ouy cela remercia le bon hom me, & ſ’en retourna auec les Princes qui l’acer tenerent de la proſperité d’Etherine, parquoy ayant rendu graces au Roy, reprit ſon chemin, auec du contentement & des preſens.

Sarmedoxe eſtant retourné vers l’Empereur, luy raconta ce qu’ilauoit dit à cét Ambaſſadeur, dont il luy prit enuie de voir ceſte belle figure, mais le Sage le remit au temps qu’il conuenoit, ce que ſa majeſté eut agreable, oyant les raiſons dont on le ſatisfit : & pour acheuer le iour auec grace, Sarmedoxe le conduiſit à la fontaine, Pi daxebe dont la merueille eſt grande, car la vraye ſource en eſt au Royaume de Claura, & touteſ fois par ſous les terres & les mers, elle vienticy § en vn vifruiſſeau, qui ſe pouſſant en haut, eſt par induſtrie ſinettement rabbatu, que l’eau ſe relaiſſant cheoir vniment, fait vne belleton nelle, qui repreſente l’arc du ciel quand le Soleil y donne. Par deſſous il y a vne petite arche par laquelle on y entre.L’Empereur proche de ceſte tonnelle : dont la voute de l’eau eſt de l’eſpoiſ ſeur de trois lignes, ſ’eſmerueille de ceſte § conſtruction : puis regardant attentiuement, ily void des ieunes hommes entretenans des Nym fes, & entre autres, il y en a vn qui iouë d’vne ly re, auec le ſon de laquelle il lui oyoit proferer d’vne belle voix ces paroles.


Le colombin Conſtance.

Soleil de nos eſpris amour qui viuifies
Les cœurs illuminez de tes rayons heureux,

Qui rends pour ton plaiſir les ames accomplies, En ordonnant leurforme au deſſein de tes feux.’Autant que i’ay d’amour donnemoy de conſtance | Tour chanter le merite, & la grace & l’honneur D# ſymbole parfait de la ſainčte conſtance, — Que ma maiſtreſſe oblige à ſa belle couleur. · · sa conſtance me ſoit l’auantageux modelle | Que i’imite en mesfaits ainſi qu’en mes diſcours Et qu’elle croye auſſi que ie luy ſuis fidele Autant que ie la croy conſtante en ſes amours. conſtance nourriture eternelle des ames Qui cherchent en aymant de meriter le prix, Aſſeurance d’eſpoir entretien de nos flames, Tu conioints les penſers vniſſans les eſprits. Onique liaiſon des courages fideles, | Te l’amour acompli l’effait plus glorieux, — sous la belle couleur des chaſtes coulombelles Ma belle te cherit au plaiſir de ſes yeux. Coulombin agreableaux jeux de ma maiſtreſſe, — — \ Touſiours meſmepº conſtant en ton eſclat heu · ·, reux, — — Tels ſont les beaux oyſeaux que touſîours l’a— mour bleſſe, — Pour l’oniqne ſuiet de leur cœur amoureux. Couleur en ta beauté iuſtement ordonnee Sans vieillirparle ans, ny changer par ſaiſon, Tu es belle auiourd’huy comme quãd tu fus nee, # nous ſignifier conſtace par raiſon.(ſance, " Mh quelque endroit qu’Amourayt monſtréſa puiſ On n’a iamais cognud’entiere affection — ſQu’anx coulöbes qui ont de l’amoureuſe eſſence, |, T)oucement reſu ccé toute perfection. — · Lturs baiſersamoureux oit l’amonr renouuelle Sans s’eſteindre iamais, ſon plus ardent braſier, Monſtrèt que n’eſtimäs autre amitié plus belle, Se tienent ſans changer à leur ſuiet premier. " Tout ainſi qu’elles ſont d’amour entretenues, Que leur fidelité ſemaintient conſtamment, Sans changer elles ſont de conſtance veſtues, couurant leur loyauté ſous leur beau parement. Et pource coulombingloire de ma penſee, Lors que de ton honneur ieme repareray, On verra que i’auray touſîours l ame addreſſee Al’vnique conſtance autant que ie viuray. 1’auray ceſte couleur pour obiet agreable, Et le ne penſeray viure que pour l’aymer, Tout autre eſt ſans deſſein & partant periſſable, Et pres de ceſte cy ne ſe doit eſtimer. Coulombes qui touſiours chaſtes, humbles, conſtates, Volettez auecl’aer de vos affections, Loyalles tout autant qu’eſtes d’amour brillantes, Fauorisés les vœux de mes conceptions. Et toy prince des cœurs de qui la douce mere Se laiſſe tranſporter à ces chaſtes oyſeaux, Fay que mon ame ſoit aymant autant entiere Que tes plaiſirs ſont doux & tes effaits sôt beaux, Uiue le coulombin puis qu’il me ſignifie La conſtance en amour : Auſſi bien autrement Ou ne peut ſauourervne amoureuſe vie, N’y recueillir le fruits d’vn vray contentemêt. ZBelle qui m’as reduit à te faire ſeruice, Si ta couleur te plaiſt & la conſtance auſſi, T’rens plaiſir que mon cœur conſtament t’obeiſſe, C’eſt mon höneur mā bien, mon eſpoir, mäſoncy. Le canal d’autour la tonnelle ne ſ’empliſſoit Point, & l’eau couloit inceſlamment, à quoy l’Empereur prit vn peu garde, mais il auoit in tention d’entrer là, parquoy il dit à Sarmedoxe. Mon pere, ſi ie paſſe à trauers ceſte eau pour aller où ſont ces Nymfes, offenceray-ie ? Sarmedoxe. Non, Sire, mais vous ſeriés mouillé, & feriés ſolution de continuité pour vn temps, il vaut mieux que vous y entriés par la petite entree, afin que toutes nos actions fuyuent la regle parfaite. L’Empereur qui auoit reſigné ſa volonté aux inſtitutions de l’obeiſſance, obeit au ſage, & veint en la tonnelle, & y vid de pres à ſon plaiſir ce qu’elle contenoit. Cependant qu’il s’y delectoit, il ſuruint vn des Princes qui l’aduertit d’vne belle auanture : C’eſt qu’il y auoit en la ſale vn nouueau venu, qui luy apporta brin du grand coagule, qui diſtile de l’arbre : dont eſt produit le fruict qui nourrit la Nymfe Xyrile, à ceſte nouuelle l’Empereur retourna auſſitoſt, & le gentilhomme nouuellement arriué luy fut preſenté qui luy ayant fait la reuerence luy dit, Sire, le deſir d’eſtre du nombre de l’heureuſe troupe, qui s’eſt miſe en queſte de la Belle Xyrile, me fit aſſembler ſix de mes amis, pour tous enſemble nous ranger auec ces voyageurs. Nous fiſmes eſtat de tout ce qui eſtoit neceſſaire : mais nous n’arriuaſmes pas aſſez toſt, ſi que le vaiſſeau où ſ’eſtoyent mis ces beaux eſprits, auoit deſia leué les voiles. Pour cela nous ne perdimes point courage : car nous pourſuiuiſmes chemin, tant qu’il nous fut poſſible, & nous eſtans fait mutuelle promeſſe de ne nous abandonner iamais l’vn l’autre, auons enſemble veu pluſieurs regions, & contrees, auſſi ſans crainte ne trauail & incommodité, noſtre entrepriſe a reuſſi à telle fin que ie vous declare ray. Apres auoir eſté long temps ſur mer, vn peu las de la marine, nous priſmes port en vn haure de Perſe, & nous veint à plaiſir de quit ter l’Ocean pour voyager ſur le ſec, & pres des riuieres, & en ceſte deliberation tirans pais, nous nous trouuaſmes à l’endroit où le Tigris entre dans l’Eufrates, approchans de la nous ouiſmes derriere nous vn grand bruit de ſifflemens diuers & eſpouuätables, & nous reulräs, viſmes des ſer és de toutes ſortes & grâdeurs, qui ſ’auançoyét à nous, ce fut là vne de nos peurs plus exactes, car de reſiſter il n’y auoit point d’ordre, & encore · moinsd’apparence de ſe ſauuer à la fuite, car au pris que nous fuyons ils faiſoyët de grands allon gemens, en fin cóme deſeſperez, ne recherchans plus que le retardement du treſpas, nous ha § le pas auec telle diligence, que nous en traſmes en vn eſpace fort beau, que nous ne di ſcernaſmes qu’apres, venus, là recreus, &’deli · berez de mourir, nous nous iettaſmes vers les beaux arbres, & nous barricadans d’eux, euſmes recours à nos eſpees, pour tuer en mourant. Mais il ne nous en fut point beſoin, d’autant que ces ſerpens qui gliſſoyent de grand roideur à nous, demeurerent derriere, ſans plus paſſer ou tre, bien s’eſlencoyent-ils en haut, & à la foule s’amaſſoiét eſpouuantablement, noſtre peur fut changee en admiration, voyans que ces meſ chans animaux ne paſſoyent point, & puis nous les viſmes ſ’en retourner comme vn flus de maree, cela nous donna occaſion d’aſſeurance, ſi que nous continuaſmes noſtre chemin, iuſques ſous des arbres fort beaux, & dont l’agreable ombrage nous inuitoit au repos, que nous y priſmes doucement, & auec telle delectation, queiamais nos eſprits ne furent ſi contans, & de fait en ceſte belle contree, nous remarquaſmes tant de beautez que nous en eſtions eſmerueil lez : en ce penſement & repos, il nous pritvn doux ſommeil, & nous endormiſmes, de dire combien d’heures, nous ne ſcauons, tant meſ mes le dormir nous fut plaiſant : Au réueil, cha cun racontant les beautez de ſon ſonge, nous de liberaſmes de les rememorer, & de fait nous en auons fait cſtat, pour en rendre contevniour en l’hermitage d Honneur, ou chacun de nqus doit apporter le ſien graué en lames d’or. Réueillez, nous nous promenaſmes par ce beau lieu, cher chans ſi nous y verrions quelque choſe de re marque, paſſans par deſſous des cedres, nous viſ mes vn perſonnage qui ſembloit ſortir de ter re, cét homme nous ayant veu, veint à nous, & nous demanda qui nous eſtions, ce fut auecvne façon tant pleine de majeſté venerable & de douceur, qu’incontinant le ſaluant & lui faiſant la reuerence, nous luy deduiſimes les affaires de noſtre fortune : Ce bon pere ſembloit eſtre trop vieil & de grand âge, † decrepit & abatu, & toutesfois il cheminoit droit, & parloit ſage ment, & nous ayant ouïs nous fit vn bon re cueil, &† d’entrer en ſon antre. Il eſt vray, nous viſmes vne des merueilles du monde, la · grotte de la Fee Romande, amye de Floride n’eſt ºn au pris, les excellentes ſalles de Fees n’en approchent point, & les tabernacles des Sybi les n’entrent point en comparaiſon auec cct tuy-ci qui les ſurpaſſe de tout en tout.Nous he bergeaſmes là pour le reſte de ce iour & de la nuict, auecvn plaiſir égal à celuy, qu’ont ceux — qui ſont contens : Siie pouuois me ſouuenir des bons propos du ſage vieillard, ie ſerois le plus heureux du monde, & aurois dequoy contenter les plus difficiles eſprits : Ce bon homme ne voulut pas nous faire la courtoiſie à demy : car nous ayant deduit par diſcours tout ce qu’il y a de plus beau en la conqueſte que nous auions entrepriſe, nous mena de bon matin au verger d’Amour, ainſi eſt nommé ſon iardin, & là nous monſtra le grandvegetable cultiué, & puis le bon Coagule vniuerſel, dont il nous donna quel ques brins, apres quoy il nous mit en noſtre chemin, nous donnant ſa benediction, l’ayant humblement remercié nous pourſuiuiſmes nos voyes, & vinnes loger au ſoir, en vn village eſlongné à noſtre auis : car nous fiſmes aſſez de chemin pour eſtre las, & cognoiſtre le deſtour que nous auions fait, il eſt vray que marchans en la vertu du repos & aiſe que nous auions eu, il ne nous eſtoit pointauis que nous nous laſlrons beaucoup, ioint que l’aiſe d’auoir participé 3ll grand bien nous tranſportoit, & n’eumes point le propre auis de noſtre laſſitude, qu’au ſoir, à l’eſloignement de ce lieu tant †. Apres que nous fuſmes vn peu repoſez, nous racon taſmes à ceux du païs l’auanture des ſerpens, & comme nous auions paſlé par ce lieu de delices, taiſans le bien que nous en raportions ces bonnes perſonnes qui nous ouyrét faire ces diſcours ſ’eſmerueillerent, & nous dirent qu’il y auoit beaucoup de temps que ceſte rencontre n’auoit eſté, & que cela auenoitfort rarement : Ils nous dirent bien d’autres merueilles que nous ne ſauions pas, & que de pere en fils, ils auoyent re ceues eſtre en ceſte petite partie de terres : cela nous vint au cœur d’y retourner, car nous pen ſions qu’aiſément nous le pourrions, parquoy ayans auiſé enſemble de ce que nous deuions faire, nous nous miſmes en deuoir d’executer ceſte entrepriſe, & de fait nous auons mis tout deuoir de nous en ecclaircir, pour acumuler plaiſir ſur plaiſir, mais il eſt auenu au rebours, d’autant que nous auons amaſſé douleur auec peine, ſans fruict profitable : parce que nous auons ou tournoyé, ou paſſé aupres, ou coſtoyé ſur nos premieres erres, comme il nous eſt auis, & cependant n’auons rien gaigné, n’ayans peu iamais retrouuer ce lieutant deſirable. Et pour ce que nous deſirions que noſtre peine nous fut vtile, nous nous ſommes auiſez de nous ſeparer, pour chercher ceſte petite contree, ce qui a eſté fait, mais auec promeſſe mutuelle de nous ren † à ce grand anniuerſaire : ſoit que nous euſſions rencontré ou non. Dés l’heure nous † chacun ſon canton, ie ne ſcay qu’ont ait les autres, quant à moyie n’ay peu rencon trer, & n’ay eu aucune nouuelle d’aucun de mes compaignons, bien que i’aye repaſſé par le vila ge où nous auions logé enſemble la premiere fois, apres noſtre iſſue de ce bon lieu, là mere — poſant & attendant quelquesiours, i’appris que ce deſtroit de terres où nous auions eu tant de — † du paradis ou iardin d’Eden, où per onne ne peut entrer par deſſein : Si nous euſſions † garde à ce que l’on nous en diſoit en ce vi age, nous l’euſſions ſceu dés que nous y vinmes l’autre fois, mais nous auions tant de preſom ption à cauſe de noſtre bonne rencontre, † — conſiderément ſans prendre garde à conſeil ou auis, nous ſuyuiſmes noſtre opinion, apres la quelle & que i’ay appris ce qui en eſt, i’ay quitté ceſteaffaire, iuſques à vne autre fois, & ſelon ma promeſſe ſuis venu à cét anniuerſaire vousapor tant, Sire, de ceſte rareté, que i’ay obtenue plus par bonne fortune que par prudence, & la vous offre en vœu, que i’appens au pieds d’Amour en cét Hermitage, où i’eſpere vniour venir auec ma maiſtreſle, poury receuoirarreſt ſelon mesme rites amoureux. L’Empereur receut ce rareio yau qu’il recognut d’vn preſent qui le ſurmon toit, non en valeur, ains en prix : l’intention du entilhomme eſtoit de le preſenterauRoy : mais # Princes l’auoyent ainſi addreſſé, pour de plus en plus honorer & obliger l’Empereur.Ces ren contres refiouiſſoyentl’Empereur qui ſe ſentoit alegé, & meſmes ſes hypocondres n’eſtoyent plus ſi tendus, & ſa durté de rates’amoindriſſoit, ſi qu’ilyauoit eſperance de mieux.

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DESSEIN VNZIESME.


Belles pointes d'amour. Reuers contre les ames qui deſpriſent les belles promptitudes. Amours galans de Voſolint & de la petite Floride. Traict ſur le ſujet d'vn miroir. Paſſions amoureuſes ſur le ſuiet d'vn crayon.



LA lieſſe eſtoit fortifiee en l'hermitage, tant à cauſe des belles auantures qui ſ'y acheuoyent que pour la ioye que l'Empereur en receuoit, laquelle ſe meſloit tellement és eſprits de tous, que la pure lieſſe en treſſailloit. En ceſte commune alegreſſe le iour eſtant reuenu ce Monarque fut conduit au quatrieſme palais, qui eſtoit natté partout, & luy & ſes gens par l'ordre que les Princes y auoyent continuee, veſtu de draps de couleur de iaune paillé ſelon la couleur attribuee à Iupiter. L'Empereur aſſis & les amans appellez, voicy vn qui ſe preſenta aſſez hagardement, & dit, Sire, voila vne belle que ie vous prie de iuger ſelon voſtre equité, à ce qu'elle reſſente le mal qu'elle m'a fait ſouffrir en la ſeruant. Acheuant ceſte parole la muſique preſte, ſouſpira auec l'épinette, l'ær que cét amant auoit le premier aſſemblé pour proteſter de ſon amour à ſa Dame.

Il eſt vray, c'eſt Amour qui force mon courage,
Ie forcene apres l'ar de vos perfections :

Mon cœur eſt emportépar le venteux nuage, Quil’eſleue par vous ſur ſes affections. Vous le cognoiſſez bien, car vous en faires gloire, 8t vous me gourmandez ſans en faire ſemblant, Et pour mepointiller vous me faites accroire, Que vous alle (pour moi quelque amour aſſem blant. C’eſt comme ilfaut leurrer les ames ignorantes, Tour les façöner mieux aux deſſeinsamoureux, Mais de traitterainſi les penſeesſpauantes, Ma belle le hazarden eſt trop dangereux. Non, non, ne penſe{ pas que vous ſoieXſi belle, Que ie nepuiſſe bien n’aimer pas vos beautez, Mais ie vous veux aimer pour paroiſtre fidele, Et que brane ie ſuis Rgi de mes volonte (. C’iue{ ſi vou voulez auec tout artifice, OupaſſeX doucement vos diuerſes humeurs, Ie le cognoiſtray bien, car i’ayfaict exercice Sous l’eſtendart d’amour pour cognoiſtre les C0º/47"$. Tant qu’vne belle humeur vou rendra deſirable, I’obligeray mon cœur au ſeruice voué, Mais ſi vous oubliez ceſtegrace agreable, Ie dirai Pour neant, comme m’eſtant ioué. Puis vn iourvous difie que voſtre ame galante Ne ſe ſoucioit plus de ce que vous ſpauiex, C’eſt fait, me voilà doncpriué de mon attente, Car vousſeauiez.d ſa que vous me poſſedie (. Auſſi ce n eſt pas vous que mon eſprit honore, Mais la belle vertu compaigne de vos mœurs, C’eſt celle qu’en vos yeux deuotieux i’adore, Cos vertus ſont l’obiet de mes viues ardeurs, Jeſuirtout de courage, & vous toute accomplie,

Vous meritez beaucoup, ie ſuis preſomptueux,
Si vous faites eſtat des deuoirs de ma vie,
Vous aurez de la gloire en me rendant heureux.

Les Muſiciens prenans plaiſir à bien reciter ces vers, l’Amant qui auoit la voix bonne, les aydoit, † s’approchant de la petite Floº ride ſa Maiſtreſſe, luy dit : C’eſt ainſi que la grandeur de mon courage s’eſtablit en vous voulant faire ſeruice : Elle luy dit, A la verité, Voſolint, vous commencez par vne brauade qui n’eſt point mauuaiſe : Eſtiez-vous de ceſte hu meur quand eſperant aupres de moy vous’atti riez mes volontez par l’humble artifice de vos ſouſpirs ? Il vouloit prendre le fil de ce diſcours, & parler, que Gijoriſe entrant ces Amans ehan gerent de geſte & de propos, tous deux, & ſe lon l’vſage de ceans la ceremonie faite, Vo loſint auec vn reſpect de belle ſorte, ſe vint preſenter à la Belle, luy diſant, Vous ſça uez, Mademoiſelle, que ie ſuis à vous, & pour ce ie vous prie me faire l’honneur de me don Iner VIl § que vous prenez plaiſir que ceſtefortune megouuerne : Commandez, moy doncques quelque choſe pour voſtre ſer uice. FL o R 1 D E, Vous auez aſſez de perfe ctions pour trouuer l’occaſion de ce que vous pretendez. VosoLINT. Maisie vous prie m’en donner vn ſuiet, afin quei’aye ceſte gloire que ie m’employe par voſtre commandement. FLoRIDE. Ne laiſſez pas de vous aduancer à / quelque bel effet, encores que ie ne vous en donne point de ſuiect. VosoLINT. Donnez m’en doncques loiſir. FLoRIDE. Il n’en faut point à ceux qui ayment bien : carl’Amour leur ſuggere à l’inſtant qu’il leur eſt neceſſaire. A ceſte parole il s’arreſta comme penſif, fit quel ques pas du coſté de la barre des aſſiſtans, puis allant au chœur des Chantres il pritvne Viole, & reuint en ſa place pres Floride, & accorda ſa voix auecl’inſtrument pour chanter.

Où ſont ces beaux eſprits qui auront la puiſſance T)’exciter vn ſuiet n’en aiant point ſuiet, ui pourroient ſuſciter vne nouuelle effence, Laquelle ſans deſſeinformeroit vnproietº Il ne s’en trouue plus, e n’eſt mortelau monde Quiſoit tant releuéſur la perfection, Il n’ya fantaiſie entre nous ſi faconde, Quipuiſſe ainſi tournerſa belle inuention, · Les eſprits de iadis, ces admirables ames | Ont tout dit, ont tout fait, ne nous ont rien laiſsé, Cartout fut conſommé par les premieresflames, Quemirétles beaux cœursaux beautez dupaſsé. Mau ne recherchons plus ceſte idee premiere De la vieille beauté, trompereſſe des yeux, Tarmi nos beaux flambeaux, vne belle lumiere T{ end bièvn autre eſclat qui fait encoresmieux. Sesfeux ſont feux nouueaux, nouuelles eſtincelles, Ét nouueaux cœurs viendront ici ſe conſommer. Nouueaux effets sötfaits par descauſes nouuelles Contre l’eſtat formant rien ne doit preſumer, fe l’ai veue ainſi belle, il faut que ie la ſuiue, Ilmefaut à ſes yeux renouuellermon cœur, Ceſterare beauté qui veut que mon cœur viue, Pour desſuiets nouueaux mepreſte ſafaueur. Mon doux ohiet d’eſprit, doux ſuiet de ma vie, Puis qu’il vous est à gré de m’auoir arreſté,

Uous ſerez en mes vœux tant ſaintement ſeruie,
Que vou ferez eſtat de ma fidelité.
Vous eſtes mon Soleil, il faut que ie m’addreſſe
Aux biēheureux ſentiers ou vo° m’eſclairerez,
Et vous recognoiſſant fauorable Maiſtreſſe,
Humble i’obeirai, car vous commanderez.
Ainſi mille ſuiets naiſtront dedans mon ame,
On verra tout nouueau dans mes conceptions,
Et gouuerné par l’œil d’vne ſi belle Dame,
On me verra brauer en mes inuentions.

Il y a touſiours des eſprits qui ſe troublent pour l’excellence des autres, ce qui ſe void & † maintenant en cecy, carencores que a perfection d’amour & de gentilleſſe d’eſprit y reluyſe : toutesfois la malignité naturelle non bien eſteinte és cœurs de quelques nouueaux venus, & non encores bien inſtruicts és ma ximes & loix vertueuſes de l’Hermitage, cau ſa que certaines Dames & autres en ceſte aſ ſemblee, au lieu de gratifier ceſt amant, & pri ſer ſa dexterité & promptitude, ſe mirent à en traicter vne petite enuie, diſans enſemble, qu’il auoit bien premedité ces couplets. Vo ſolint † les entendit ſe retourna, & comme en choiere dit au troublé où ſon cœur eſtoit : Si les leuresqui proferent ceſte malignité eſtoiët de perſonnes qui fiſſent profeſſion de l’honneur que l’on debat par l’eſpee, ie taſcherois d’obte nir preſentement de ce iuſte Empereur congé de faire voir que lesarmes me ſont autant, voi re plus familiaires que le diſcours qui m’eſt ſi doucement infuſé par la beauté que i’honore, qu’encores que ie ne ſois point payé pour dire, ie neveux pourtât laiſſer de taſcher à y exceller, pour faire paroiſtre la viueardeur de mes galan tes amours en la verité de mes affectiös, ſans leſ quellesie ne pourrois ny me ſoucierois d’aſſem bler deux ſeules paroles, auſſiien’é fais que pour 170 Oll plaiſir & le ſien. Mais pource que ce ſont Dames qui me veulent rabaiſſer deuant ma mai ſtreſſe, ie leur veux faire paroiſtre que les belles rencontres de diſcours croiſſent en ma bouche côme les flames amoureuſes naiflent inceſlam ment en mon cœur. Belles qui depeſchez ſi toſt ceux qui ne vous ont point offencé, nouices en ccſte heureuſe maiſon oyez moy en ce petit dé pit qui vous picquera iuſques au ſentiment de voſtre malignité.


GRACES, ne faites plus aux voſtres defaueurs, Tuis qu’on n’eſtime pas voſtre douce influence, · Ne nous eſnouuez plus de vos belles fureurs, Si le meſpris en fin en eſt la recompenſe. ZBeaux eſprits qui iuge K des belles actions, Au mons ſi vous iugeX., que ce ſoit en droiture, ſQuand vous eſtimereN de nos eſmotions, CognoiſſeX que’lles ſont an deſſu de Nature. Les grands cœurs releusX de leurs ſuiets d’honneur, Ne ſongent pas longtemps les traicts de leur ou urage, — Auſſi toſt que la cauſe eſpoinçonne leur cœur, On voit tout auſſi tof l’ffet de leur courage. Puis les traitts par longueur de trauailaffectez, Ne ſont point tåt naifs qu’vne pointe ſoudaine, Les beaux vers ne sôt point mignönemèt traiteX. Quandletºps par labeur les arrache à la peine.

Or iugez beaux eſprits ainſi q u’il vous plaira,
Si ſuyuray-ie touſiours mon humeur deſirable,
Ie feraytout ainſi que mon cœur le dira,
Plus prompt eſt vn effet plus il eſt agreable.

Ce petit excez d’entendement m’a tiré d’aupres de ma maiſtreſſe : Mais belle ayez-en le plaiſir, car c’eſt vous qui eſtes cauſe du bien que ie fay, auſſi ie me promets qu’il faut que vos belles graces me gratifient de ce qu’vn amant merite. FL o R 1 D E. I’ay autrefois ouy raconter des amours & entendu faire des recits de recherches de ceux qui s’addonnent au ſeruice de quel ques Dames, mais ie n’ay iamais rien ouy ny penſé, ny recogneu ſemblable àvos comporte mens. V o s o L 1 NT. Ie ſçay bien que vous m’eſtimerez preſomptueux. Et i’ayme beau coup mieux, que ceſte opinion ſe leue en vo ſtre ame pour mon ſuiet, que la penſee con traire qui vous feroit croire que ie n’aurois pas Paſſeurance de tenter vne ſi aduantageuſe † tune : Orie puis dignement vous proteſter du deſir que i’ay à vous ſeruir, & le vous faire pa roiſtre, vos perfections m’y contraignent, & i’y ſuis forcé par ma valeur : car i’ay trop de cou rage pour manquer à ce beau deuoir. Plus l’ad | uanture eſt grande & notable, & plus faut de magnanimité pour s’y hazarder, cognoiſſant vos merites, ie preſume heureuſement m’é— galer en deſirs pour vous faire preuue du ze le que i’ay à vous áymer & honorer. Le temps &lvoſtre volonté en tireront les demonſtra tions certaines, par leſquelles vous entendrez la yerité de mon obeiſſance, & puis vaincuë par mon humilité, vous m’accepterez. FLoRIDE. Vos merites me perſuadent aſſez à vous vou loir du bien, & ie deſire me maintenir en ceſte grace de bon-heur, que ie croy auoir en vous poſſedant. Mais comment ſçauray-ie ſi vous me ſerez fidele ? VosoLINT. Par le teſmoigna ge de voſtre cœur quile iugeras & afin qu’il ſoit vray, donnez-moy vne alliance. FLoRIDE. De mandez — la. VosoLINT. Soyez ma lumiere. FLoRIDE. Que dira noſtre belle pucelle tant vaillante, ſi nous empruntons l’alliance qu’el le a auec ſon ſeruiteur ? VosoLINT. Elle en ſe ra plus glorieuſe d’eſtre imitee, & puis le meſ me eſprit qui faiſoit ceſtealliance, eſt celuy qui nous agite D’auantage ſouuent les belles re etitions des circonſtancesd’Amour ſont agrea † à ceux qui en ſentent les pointes de douceur en leurs ames. FLoRIDE. Ie veux doncques bien ce que vous me demandez, mais ily va de noſtre reputation, n’ayant rien ſçeu inuenter de nouueau. VosoL INT. Le deſtin nous contrainct à ceſte action qui ne peut autrementeſtre.FLoR. Bien donc, mais que me ſerez-vous VosoLINT. Ce qu’il faut. FLoR. Suyuant ceſte belle amante ie vous diray que n’y ayant au monde qu’vnelu miere, ſiie ſuis ſeule Dame de voſtre cœur, il cö uient que vous ſoyez auſſi mon vnique.VosoL. I’ay obtenu ce que ie deſirois, auſſi vous ſçauez que ie ne ſouhaite que ce que l’honneur veut, & depuis le temps que i’ay eu l’honneur de vous frequenter, ie n’ay vſé de moyen que de celuy que la vertu nous eſtablit, ſuiuant lequel ie ſe · ray touſiours à vous. FLoRIDE. Aymez-moy doncques, & tout ainſi que la lumiere eſclaire ſans feinte, rendez-y le reciproque, & aduiſez qu’il n’y ayt point de fraude en voſtre eſprit, au trementi’auray regret de vous auoir affection né : Et ſcachez que l’amitié d’vne ame innocen te eſt la plus heureuſe fortune qui puiſſe eſ choir à vn bel entendement, & faites que ie vous trouue touſiours égal à vous-meſmes, ſans tacher ceſte belle reputation que vous vou lez acheuer d’imprimer en m5 ame.VosoLINT. Ma lumiere, ainſi vous puiſ-ie nommer, tant pour noſtre iuſte alliance, que pour le ſecret inſtinct dont vous luiſez en mon cœur, qui ne reçoit autre eſpoir de vie, que ce qu’il vous plaiſt luy en departir. Ma lumiere doncques ie vous ouure icy mon courage. Ie vous ſup † de ſupporter les deffauts que quelques fois’apparence pourroit faire eſtimer eſtre en ce qui eſt de mon deuoir, & quoy que ce ſoit, croire qu’il n’y aura momët que ie ne medite apres les meilleurs deſirs qui me ſollicitent à vous fai re voir ma fidelité, qui ne diminuera ia mais. Je ſcay, & i’eſpere qu’il ne ſe trou uera aucun deſordre par mon erreur expres, en la fortune que ie tente en vous ſeruant : Ce que vous iugerez, cognoiſſant que vous ne m’auez dit parole que ie n’aye ciſelee en mon cœur, dont les conceptions vous ſeront touſ iours manifeſtes : vos diſcours me ſont des Oracles, que ie tiens & tiendray touſiours pour les loix de mon ame, & ce que par elles i’apprendray de vos deſſeins, eſt l’eſtat ſur lequel ie veux donner regle à mes volontez. Si ie n’eſtois point voſtre ſeruiteur, ie viurois auec vous à l’auanture : mais l’honneur que ie porte à ce que ie ſers, auec tant de parfaictes af-, fections, me retient & conduit ſelon vos ordon nances, en l’amour, au reſpect, & en l’apparen ce qui me gouuernent. Ie m’aſſeure que conti nuant, vous me trouuerez auſſi accompli en ces effects, que le doit eſtre celuy qui veut obtenir vne fin heureuſe de la ſeruitude agreable où l’a— mour l’engage. Cependant ma vehemente af fection paroiſtratoute moderee, afin qu’elle ne ſoit cognuë que de vous ſeule. Le reſpect me conduira pour apprendrel’ordre de mon deuoir à ce que ievous ſerue opportunément. Et mon eſperance qui ſe veut eſtablir vn fidele arreſt, me fera temporiſer iuſques à l’heure que ie rece uray de vous l’arreſt de mon bien : Auſſi ie vous prie auiſer à l’equité de mes pretentions, eſtant certaine de ma loyauté, qui par le temps vous ſera encor plus apparente ; car autant que i’auray de vie, de courage, & de belles penſees, 1e m’oc cuperay aux deſſeins de valleur qui me pouſſent, à la gloire entiere de la perſèuerance. Et eſtant voſtre vnique, ie ſeray vnique en brauesactions, quiteſmoigneront mes legitimes amours, pour leſquelles ie feray de ſi belles entrepriſes, qu’il · en naiſtra vn remarquable fruict, & l’integrité de ma foy vous en rendra preuue veritable.C’eſt ce que ie pretens, c’eſt ce que ie deſire : Et au bon propos de ceſte verité, ie vous ſupplie, ſiieme rite quelque grace, vous ayant pour but de par faicts deſirs, que le ne ſois point fruſtré de l’eſ poir qui fait que ie ne pourray iamais eſtre à

autre qu’à vous, qui eſtes l’eternelle lumiere de mavie. F L o R 1 D E. Mon vnique, ie ne vous.priuerayiamais du contentement que ie deſire pour moy-meſme, tous ces beaux diſcours ne söt point la liaiſon de noſtreamitié, il faut qu’v— ne belle perſeuerance nous vniſſe, & s’il n’y a que moy à rompre ce beau lien qui nous enlace ſi doucement, il faut que vous ſoyez aſſeuré que iamais il n’en viendra faute, ie veux que vous le croyez. Et bien que ces iours paſſez i’aye eu quelque froideur contre vous, ce n’a pas eſté our eſteindre les flames de noſtre amour, vous § ſçauez bien, ce n’eſtoit qu’vne goutelette d’eau pour les eſmouuoir & viuifier : & puis pour vous teſmoigner que ie deſirois qu’il n’y euſt entre nous que perfection de bonne volon té, & que vous † lire en mon ame, ie def fis expres la glace de mon miroir, & comme ſi c’euſt eſté par fortune que cela fuſt auenu, ie vous baillé le Miroir & vous prié de le faire ra—. coutrer. V o s o L I N T. Ce me fut vn traict fort fauorable, car i’aucis eu grand ennuy de ceſte ſimilitude de diſgrace, dont pourtantie n’auois pas peur, d’autant que i’auois le cœur innocent, ſçachant n’auoir point faict de faute, i’en eu toutesfois vn ſi grand deſplaiſir, quei’eſtois ſur le poinct d’entrer en deſeſpoir, cholere d’eſtre puni ſans auoir mesfaict, & vous qui auez du iugementy prouueuſtes par ce bel artifice, me mettant en main voſtre miroir pour le racou trer, & par meſme moyen de conſoler mon ame, alors ie vous rendis ceſte offrande auec voſtre mitoir.

Quand vous conſiderez en ceſte claireglace De vos perfections les belles raretex, Non, vous n’y voye K. point ceſte parfaitegrace Que tout œil recognoiſt aux traicts de vos bean te (. | Tequoy vous peut ſeruir de ſpauoir eſtre belle ? C’eſt cela que ſans plus vou monſtre le miroir, Mais dans le cœur amant qui vous eſt tout fidele ſOou verre K. vos beautez pourſçauoir leur pou M0t/". Voſtre œil beau roydes yeux meſ deuroit pas plaire Au rapport des miroirs bien ſounent imparfaits, C’eſt dans les yeux d’amour qu’il ſe faut ſatisfaire Et voir dedans les cœurs le pouuoir deſes traicts. VoyeK. donc par mes yeux dans mon ame conſtante, (Joyez voſtre pouuoir ſur mes affections, Non comme en ce miroi qui ne vous repreſente Que les traits paſſagers de vos perfections. Mais Belle, voyeX y, voyez-y donc ma Belle, Et vous y cognoiſtrez vn effect merueilleux, R gardez-y de pres vous me verrez fidele, N’auoir autre lumiere en mö cœur que vosyeux.

Et afin que ie vous peuſſe faire voir l’vlcere de mon cœur, & ce que ie pretends eſtant voſtre, ſi toſt que ceſte nouuelle emotion vous eut faict changer de façon vers moy, eſtant retiré du deſplaiſir où i’eſtois, ie tracé ſur le dos du mi roir quelques ſouſpirs : voila comme Amour me traicte, & comment il vous plaiſt que ie viue, tantoſt triſte, tantoſt contant, & n’oſant vous inquieter ie m’addreſſois à voſtre miroir, en ces termes,

Miroir où les beaux yeux de ma belle lumiere Conſiderent les traitts de leurs perfections, Que ne luy monſtres-tumöame humble & entiere 7Ne viure que desfeux tireK deſes rayons ? Tuluyfais aſſeX voir ce qu’elle veut cognoiſtre, 8n luy repreſentant les traicts de ſa beauté, ue n’as-tu lemoyen de luyfaire paroiſtre Les fideles deſſeins de mafidelité ? Ingrat tu reçois tout ce qu’elle te preſente, Et tu ne voudrois pas alegermon deſir, Quand tu ſeras froiſsé, & qu’elle te lamente, Taperte & ſa douleur me ſeront à plaiſir.

Floride Ie m’en ſouuiens, & par là vous me faiſiez paroiſtre fort peu d’affection, veu que vous dites que l’ennuy que i’aurois de la perte de mon miroir vous ſeroit agreable. Quelque choſe que vous fiſſiez paroiſtre, ſi auiez-vous de la cholere, teſmoin que comme trop faſché, vous m’enuoyaſtes par voſtre laquay ce Sonnet,

Ie vous honore & vous n’en faities conte, Ieſuis à vous, vous n’enfaictes plus cas, Ie vous eſtime, & vous n’ypenſez pas, Faiſant ſemblantpreſque d’en auoir honte : « _WMon braue eſprit bien aiſement ſe doute, Pour eſchapper les amoureux appau, I’aime beaucoup, mais auectel compas, Que mon amour ma raiſon ne ſurmonte. Faictes ainſi que vous deſirerex, Siſgay ie bien que iamais vous n’aurez Digne ſuiet, d’amitiéſ parfaitte ; Et puis eſtant toute hors de mon cœur, le vous verray deteſter le malheur, ſ2si vous aura de mon ame diſtraicte.

Tels ſont les traicts dont vous me gourmandez, tellement que ſi tout ce que vous dites eſt vray, ie ne ſçay ſi ie puis croire que vous m’aymiez maintenant. V o s o L 1 N I. Ie vous ſupplie de iuger egalement ; Ie poſe le fait que vous m’euſ ſiez diſgracié ſans cauſe, & que de deſeſpoirie ne vouluſſe &ne peuſſe plus rien aimer : Encor faut il pardonner à ceux qui ſont outrez de la iuſte douleur qui les tranſporte. I’eſtois en teleſtat ſi mal mené de la fortune, par le ſemblant de diſ grace dont vous vſiez ſur moy, que ie ne ſçauois ce que ie faiſois. Et ie vous ſupplie de ſuppoſer que vous fuſſiez en ma place, qu’euſſiez-vous faict ? Si le reſte de ma raiſon ne m’euſtauiſé de la regle que vous m’auez commandee § la quelle ie ſuis rangé à la modeſtie, ie me fuſſe per du moy-meſme à voſtre deſauantage ; car il n’y a point d’affliction qui perſecute à l’egal de celle de ſe voir dedaigné. Poſſible comme ie le croy à ceſte heure, vous le faiſiez pour m’eſprouuer. A la verité ces eſpreuues-là ſont dangereuſes. FL o R 1 D E. Et maintenant où en eſtes vous ? V o s o L. Comme il vous plaira, mais en la meſ me ardeur devous ſeruir qui m’a touſiours alecté en l’eſperance de vos belles graces. FLoR. Ie ne ſçay ſiie m’y dois aſſeurer, car vous ne me pro mettez fidelité qu’au pris que ie vous ſeray fauo rable : tellement que ce ne ſeroit pas moy que vous aimeriez, mais vous qui voulez eſtre aimé de moy. VosoL. Vn eſprit qui n’eſt pas à ſoy fait ſouuent des extrauagances, ainſi qu’il m’a— uient : mais ma Belle, ç’a eſté la douleur cauſee par mon ennuy qui m’a tranſporté : Ie vous demande pardon & me remets ainſi qu’il vous plaira, & affin que i’obtiene mercy, tenezie ne ſçay plus que dire, voyla le reſte de möcœur receuez le, vous y verrez mes deſirs que vous conſidere rez en eet effect amoureux ſurvoſtre craion, iet tez vos yeux deſſus cependant quelon conſul tera noſtre affaire.l’Empereur attendant le con ſeil, ietta l’œil ſur les mains de la belle & voyant qu’elles deployoient vn papier, eut de la curio ſité pour ſçauoir que c’eſtoit, ſi qu’il fit ſigne que lon ſ’arreſtaſt & appella la Belle qui commen çoit à lire & luy diſt qu’il eſtoit ſeant que les be aux eſprits fuſſent conſolez auſſi bien qu’elle, partant qu’elle leuſt tout haut ce que ſon ſerui teur luy aueit preſenté, & puis on auiſeroyt à les iuger : Elle obeit & prononça diſtinctement,

Crayon faict apres l’air des beautez de ma Belle
Je ne te cognois point, car tu es imparfaict.
Ma belle a de beautez vneforme eternelle
Quel’artiſte ne peut reduire en vn pourtraict
Quand iereſſens en moyſa celeſte figure,
Grauce par ces yeux au plus vifde mon cœur, je ne diſcerne plus les traits de la peinture
Car la peinture n’eſt quefeintiſe ou erreur.
Beau crayon tu es mort, mais la beauté pourtraicte
Dedans l interieurde mes conceptions,
Eſt la viue beauté de la beaut éparfaicte,
Toute amour, toutehonneur, toutes perfections,
L’œil que deuotieux tant humblement i’honore
Fut l’organe du trait qui traça ſes beauteK,
I’enfus tout tranſmuè & ce bel œil encores
Me fit l’impreſſion de tant de raretez

Son front table d’honneur, ſa bouche ame des graces,
Vnit & anima ces beaux traits ſi parfaitts : 8t ſes beaux yeux ont fait en mö cœur tät de traces Que mon cœur n’eſt ſinon de ſes yeux les beaux traicts. Aſon cœur eſt transformè en ceſte viue image, Image qu’ardemment moname vaſeruant, Et ceſte image ainſi viuant en mon courage, Eſt la vie & l’amour dont ors ieſuis viuant. TBeau crayon dont mon œil quelquefois ſe contente, Tu peux eſtre effacé de ton foibleſuiett, e ZMais le pourtraictformè dans mon ame cäſtäte Parfaictement empraint n’en peut eſtre diſtrait, ſQuand ie ſuis à part moy, mon bien ie conſidere "De millepaſſions affectant mes deſirs, Et dans #cœurayant la beauté dont i’eſpere, feſouffre les douleurs des amoureux plaiſirs. z2Mille diuerſite (mignonnement cruelles Me vont eſpoinçonnant de poignantes douceurs 4 Et ces pointes d’amonrſont ſi douces & belles ue mon contentement conſiſte en ces doulenrs. eAinſi quandierepenſe à cesgracespreſentes, fe plaindrois volôtiers, mais ieſuis trop heureux, Et ie me plains pourtant : car defleches perçantes Amour mefaictſentirmille traits rigoureux : Non ie n’aypoint de mal, car ma belle maistreſſe Ne veut pas affliger ce qui luy appartient, Mais ie reſſents pourtant l’effect d’vne detreſſe Cauſee du ſuiet dont le bon heur me n ient Ma belle a lœilſ doux que la douceur diſtille T)es beauteX deſesyeux vniques en douceur, Mais deſſous ces douceurs vn effort difficile « Accompagne mon bien depeine & de langueur.

Le mal qui me pourſuit eſt cause par moy-meſme, Et mon peu de merite en eſt l’occaſion, c’eſt là mon de plaiſir : car la beauté que i’aime, 8n cauſe & en effects n’eſt que perfection. Beau crayon, cachetoy, car tu me mets en peine, Tu mefayſouuenir de mes triſtes deffaux, Ie ſçay bien que ma Belle à mon cœur eſt humaine, Mais mon peu de meriteeſt cauſe de mes maux. Ie ſens mille douleurs affliger ma penſee, car il n’eſt pas moyen que i’aye de l’eſpoir, Mon ame pourra bien d’amour eſtre offencee, Et ce ſera touſiours pourgemirc douloir. Que pourroit eſperervn triſte miſerable, D’vne qui de tous cœurs fait à ſa volonté, Rien que mourir d’amour, & auoir agreable Pour tout bien de languir enſa fidelité. Donques retenons-nous, devoir ceſte ſemblance, Qui noufait oublier noſtre propre valeur, Carne pouuoir trouuer enſon mal esperance, C’eſt tromper pour neant ſon amoureuſe humeur. e_2/ais en vain, beau crayon, iefuiraytapreſence, Car i’ay de ma maiffreſſe en mon cœur les beautés, AMon cœur eſt ſon pourtraict graué dedans l’eſ ſence, — De ſon ame, où ſes traits, ſont au vifimitez. eAinſi i’ay dedans moyla cauſe qui m’afflige, Et le digneſiiiet qui me rend bien-heureux, C’eſt ce qui me tourmente, & c’eſt ce qui m’oblige A ſouſpirer contant mon plaiſir douloureux. TOoila que c’eſt d’auoirvne ame ambitieuſe, Et d’oſer deſirer, ne pouuant meriter, C’eſt toutvn, lafortune eſt touſîours bien-heureuſe #ien qu’on ait des ſouhaits qu’on nepeut limiter.

Je ne veux point mourir, car ceſeroit dommage.
D’effacer la beauté qu’en mon cœur ie retien,
Qui fait cas d’vn ſuiet entien chere l’image
Auſſi j’aime & cheris le pourtraict de mon bien.
Et puis ceſte beanté eſt cauſe dema vie,
Pour l’amour d’elle ilfaut ma vie entretenir, La cauſe eſt de l’effect inceſſamment ſuiuie Quand elle defaudra ilmefaudra finir. Tonques heureux crayon, ſois moy touſiours en veue, —* — Ainſi qu’eſt dedansmoyle vifdeton honneur, Car de ta verité mon ame eſt tant eſmeue Qu’elleſera touſiours la vie de mon cœur. e %a Belle pardonnez à l’amoureuſe atteinte Que vous auez voulu me faire reſſentir, Et croyez mon diſcours n’eſtre point vnefeinte, Mon cœur qui eſt à vous ne vous ſauroit mentir.. Le bien plus accompli desſouhaits demon ame Eſt d’auoir eu voſtre œil pour aſtre de bon-heur, Et ma fidelité, de vous auoirpour Dame, Tout mon contentement, vous estreſeruiteur. fe viurayſeulement pour vous faireſeruice, — Mes yeux nesôt mesyeux que pourvou admirer, Et mon vnique eſpoir de vous trouuer propice, Carmö cœur n’eſt mö cœur que pourvous honorer, Croyez-vous pas celà, belle ame de ma vie ? ſOous quim’aueX choiſi ſur tant demillions ?. Belle vous le croyez : car voſtreameaccomplie, Ne veutpas deceuoir mes belles paſſions. Or viuez du bonheur, d’auoir tant depuiſſance : Surtous les cœurs qu’Amour oblige ſous ſes loix : De moy ie ſuis contant, pource que ie ne penſe ſ2u à l’amoureux deuoir qu’à vos beautez ie dois.

L’Empereur trouua bon cet amoureux tranſport, ſur lequel ayant ruminé vn petit, il ſe tira comme d’vn ſommeil inopiné ; puis ayant fait ſigne qu’il falloit iuger ces Amans, les Conſeillers ſe leuerent ſans que le Procureur d’Amour fit aucune requiſition : donc l’Empereur ayant receu les voix, & adiouſté ce qu’il penſoit eſtre raiſonnable, conſideré l’eſtat des ames paſſionnees, dont le merite eſt au ſupport des afflictions qui ſe forment à faute de familiarité decente, prononça ceſt arreſt.


Vous eſtes renuoyez à voſtre propre conſeil, ſelon la grace que l’Amour vous fait à cauſe de voſtre mutuelle affection ſans fard, à ce que vous en ayez du contentement, s’il y a de la conſtance reciproque. Parquoy acheuez le cours de vos pretentions, afin que l’accompliſſement de vos ſouhaits auenant, vous trouuiez l’entiere felicité qui eſt deüe à vos affections.

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DESSEIN XII.


Deux Amans muets ſont preſentez. Celuy qui les conduit raconte leur auanture. Les menees du Geant ſur les enfans du grand Roy Leci, & ſur ſa perſonne. Le fils de Leci mal traicté de ſon pere, eſt enfin celuy qui le delivre.



ENtre tant de beau peuple qui ſe vint preſenter en l'Hermitage, il entra vn Gentilhomme eſtranger, telle iugeons-nous, pource qu'il ne ſçauoit pas les couſtumes du païs, & n'auoit point appris la fraſe d'amour, pour ſçauoir dire par les paroles entendues à tous vrais ſectateurs de ſageſſe, ce qu'il pretendoit, toutesfois ayant ſceu que le premier poinct d'obſeruation en ce lieu eſt l'obeiſſance, il parut y entendre : Car menant auec ſoy deux Amans, & ſ'eſtant preſenté, Gnoriſe qui l'auiſa, ſortit & prit les deux Amans, ce qu'il laiſſa faire, eſtimant que ſ'eſtoit la couſtume. La dame donc les ayant pris par la main, les mena au parquet d'Amour, où les gens pour l'Amour faiſoient leurs examēs premiers, & là les interrogea de leur affaire, mais pour neant, car elle n'en peut rien entendre, dautāt qu'ils eſtoiēt muets. Parquoy elle les cōduit en la ſale, & apres que l'arreſt fut pronōcé elle propoſa ce qu'elle auoit fait ſelon ſa charge, & dignité en ce lieu, diſant : Sire, ſuyuant mon office, & ce qui m’eſt attribué, il conuient, ſ’il plaiſt à voſtre majeſté, que ſelon ma declaration ces Amans ſoient deſpeſchez ſur le champ ; ie ſçay bien que les autres auront patience, parce qu’ils ſont pleins d’obeiſſance, d’amour, & de diſcretion. Quant à vous, conducteur de ces Amans, vous auez tort que vous ne vous eſtes haſté, l’amende que vous en encourrez ſera de claree quand en perſonne & pour voſtre faict, vous aſſiſterez deuant ce tribunal : Pour main tenant dictes voſtre charge & faictes voſtre de uoir, touchant le faict de ces belles ames. Ayant le Gentilhomme fait ce qui eſtoit decent, il par la ainſi :

Sire, les difficultez ſuruenues à cauſe des j diſtances des lieux, eſt cauſe qu’auec tout ce que 4 nous auons peu faire pour atteindre ce lieu tant — heureux, afin de participer aux fruicts du grand ! Anniuerſaire, encores ſommes-nous arriuez en | Amerimnie plus tard que nous ne penſions, tou tefois nous auons eſté aſſeurez par ceux qui ſça — uent les couſtumes & des cöducteurs de l’Eſtat, & ceremonies de ceans, qu’il y auroit encor au # |ºi iourd’hui lieu pour nous, ioint que ce bien nous 1 | ſera concedé & eſtimé eſtre comme deu quand | on aura ouy les fortunes qui ont agité cesamās, & que l’on ſçaura leur origine, dont i’ay charge, de vous eſclaircir ; car leur naiſſance & auantu — — res me ſont tellement cognues, que ie puis aſtre dit fidele & vnique ſecretaire de leurs actions, volontez & eſperances. Tous cognoiſſent le grand LE c 1 Monarque des Royaumes releuez, leſquels, ilgouuerne auec vne prudence admirable. Or combien qu’il ſoit treſſage, ayant par ſes ans acquis beaucoup de Sapience, ſi eſt-ce que pour auoir eſté trop be nin à ceux auſquels il deuoit monſtrer de la ri · gueur : depuis quelque temps les ſiens & luy meſme tous enſemble ont couru telle fortune, que l’effect qui en eſt notable, a preſques eſté dangereux. Rien ne peut euiter les rayons du Soleil des ames, perſonne n’eſchappe destraicts d’Amour, meſmes les plus ſeueres & beaux eſ prits en ſont rencontrez, & parfois auec telle vehemence qu’il n’y a rien d’eſgal, ioint que ſouuent auſſiles hypocrites en ſont touchez, & quelque ſemblant qu’ils facent, ils en ſentent les poignantes eſmotions qui les excite aux ſaincts plaiſirs de l’ordonnance diuine, à quoy leur maudite humeur les faict decliner, en les aſſouuiſſant d’vn malheureux raſſaſiement auec lequelils deſrobent à l’Amour ce qu’ils luy doi uent, & fruſtrans eux & nature de la felicité des gens de bien. Ceſte puiſſance qui reluit meſmes aux abiſmes ſe fit paroiſtre en ces deuxcy.laieu neſſe excitant le cœur de Pirinte fils ſecond de · Leci, & ayant recogneu que les perfections d’Vfonis fille de Fronauue Prince des Tauxo mutes, eſtoit l’excellence contenant ce qui le rendroit parfait & l’endelechie vnique de ſa for me, ſ’addonna ayſément à la recherche où l’A— mour le forçoit par lesyeux de la belle, laquells cognoiſſant les merites d’vn ſi grand Prince ſe ſentoit treſ-heureuſe d’obliger ſon ame à ſon occaſion. Par ce moyen ces deux ſe trouuerent reciproques en ſinceres affections ; durant ces A chaſtes amours qui n’eſtoient que douces pre tentions au futur contentement que le mariage legitime eſtablit : Pirinte faiſoit pluſieurs voya ges à Fronauue, chaſteau principal du pere de la fille. En ce meſme temps Frulouſe Geanteſträ ger, toutefois habitant entre les Tauxomutes, leſquels il frequentoit auec amitié, deſiroit fort l’aliance de Fronauue, & pretendoit eſpouſer Vfonis, à laquelle il auoit offert ſon ſeruice, auec tout l’art qui ſe peut practiquer à ſe mettre és races d’vne Dame, mais il ne faiſoit rien pour † : car plus ill’a recherchoit plus elle l’auoit à dedain, lequel ſe multiplia par la † tion de Pirinte. Le Geant depit devoir ſes deſſeins deuenir friuoles, & cognoiſſant l’amitié de ces chaſtes amours, delibera de les perdre, au moins le fils du Roy afin de venir à bout de ſes deſirs : luy quine manquoit pointd’eſprit, eſtoit prompt à inuenter : donc apres auoir longue ment conſulté ſon faiét, attira à ſoy les Hoſpi-. tes, qui ſont peuples de noble extraction, mais — faſcheux & touſiours entreprenans choſes meſ — chantes ſous l’apparence de bien. Ces gens-cy | | | ſe fourrent par tout, & en habit diſſimulé & de · guiſé d’humilité & bonne conſcience, trompent | vn chaſcun, comme ils firenteſtans pres de no ſtre Roy, auec lequel ils obtindrent quelque — | creance à cauſe de † ſuiets qui ſ’addonnoientà | | |eux, & ily conſentoit : & qui fut plus, c’eſt que — : º — † à petitils le firent condeſcendre à leurs vo ontez, tellement qu’il ſe rapportoit à eux de · j à | | | pluſieurs vrgens affaires. Quelquesfois il paſſe des nuees faſcheuſes ſur les Princes & ſur leurs eſtats. Frulouſe ayant tramé & aſſeuré ſa trahi ſon, forma ſa cöiuration parvne calomnie qu’il palia de tant d’ornemens ſemblables preſquesà ceux de laverité, qu’il y auoit apparence en ſon faict pourpenſé dont il fit rapport au Roy, luy deſcouurant vne conſpiration arreſtee contre ſa maieſté laquelle eſtoit preſte d’eſtre executee ; luy diſant que ſon fils Pirinte en eſtoit chef, & qu’il auoit practiqué Fronauue & pluſieurs au tres quil’aſſiſteroient à ſe ſaiſir de ſa perſonne, pour puis apres ſe faire proclamerRoy des Tau xomutes, & Monarque des Seigneuries baſſes, àquoyille feroit códeſcendre par force.Le Roy tout en cholere, indigné par ce rapport, ſans fai re autre perquiſition, pource qu’il croyoit les Hoſpites † acertenoient le dire de Frulouſe, ioinct que leur hypocriſie ne luy eſtoit pas ma nifeſte, à cauſe qu’il n’y prenoit pas †, mit les armes és mains du Geant, & par l’authorité qu’illuy attribuale rendit le plus fort, ſi qu’il luy fut aiſé de paruenir à ſes fins : Ainſi auancé Fru louſe ſçachãt quePirinte eſtoit aupres de ſa mai ſtreſſe, luy dreſſa vne embuſche ſi ſecrette, que le Prince ſortant du chaſteau fut ſurpris, auant qu’y auoir peu penſer ; & le Geant luy mettant la main ſus, luy fit commandement de rendre obeiſſance à ſon Seigneur & pere : luy tout eſtö né voulut tenir ſon rang ſur ſon ennemy, mais il fut ſoudain pris & ſaiſi, & forceluy fut de cedder à la violence qui le maiſtriſoit. Griſette portiere du chaſteau, ayant veu & cognu ceſte tragedie, le courut en haſte dire à Vfonis, laquelle ſe deſtourna en diligence, & auant qu’on peuſt penſer qu’elle ſceuſt cet accident tira chemin, & auec grand labeur alla ſe ſauuer en la Republi que de Gaucontaine, qui eſt vne Seigneurie qui ne recognoiſt perſonne que ſon propre magi ſtrat, n’aiantSouuerains que certains choiſis par le peuple, & continuez ſelon leurs merites & bonté.Fulee eſt le chef de leur conſeil : Vragi nie le Lieutenant general, & les Douſſilans, leſ quels ſont de fort antique famille, font les Con ſeillers. Incontinent que Pyrinte fut pris, il fut ſerré ſeurement, & tellement que difhcilement pouuoit-on parler à luy : Ileut bien voulu parler pour ſçauoir & reſpondre, & ſe iuſtifier ſ’il y auoit de l’accuſation, mais illuy eſtoit denié, ſi qu’il ne ſçauoit qu’on luy vouloit, ny qu’il auoit à requerir. Il ſut gardé en la tour des Miſtau bolins, où ceux qui frequentoient recognoiſ ſoient aſſez qu’à tort le pauure Prince eſtoit là. Et toutefois perſonne n’en oſoit parler pour la crainte du Geant, qui ſe rendoit eſpouuantable au moyen de ſon authorité. Cependant par ſous —main & auec grand diſcretion, Griſerte auertit le Prince de toute la verité de l’entrepriſe du Geant, & de la bonne abſence d’Vfonis, ce qui le conſola, & fit qu’il prit cœur à penſer à ſe libe rer. Comme il eſtoit ſur ces deſſeins, il luy en vint vn à propos : C’eſt que Frulouſe ayant ſceu l’euaſion d’Vfonis fut en deſeſpoir & plein de triſteſſe, imagina vn moyen § CO11 tentement, il ne penſoit point que le Prince eut † rien ſçauoir des affaires, veu le ſoin dont il e gardoit : parquoy ayant en ſoy pris ſa concluſion, il vint à luy. — Pyrinte, luy dit-il, vous · eſtes Prince galand & beau, ie ſuis marry de la mauuaiſe fortune que vous courrez, & du cour roux du Roy voſtre pere contre vous, ſi vous auez de la prudence, ie taſcheray à ſi bien faire, que ie feray la paix, bien que voſtre cauſe ſoit treſ-mauuaiſe : car le Roy eſt deuëment infor—. — méd’vne trahiſon que vous voulez faire pour — le deſnuer de ſes Royaumes des baſſes contrees, il ne faut point de reſponſe à celà, il n’y a qu’vn moyen que ie vous diray : C’eſt que ſi vous deſi | rez que ie face p9ur vous, ie vous prie faire pour moy : Ie moyenneray voſtre entiere liberté, ſi — e vous voulez interceder pour moy vers le pere / d’Vfonis, pour me la faire donner à femme, cro yez que ſi vous le faites, voſtre deliurance ne tient à rien, car i’ay commiſſion abſolue ſur vous, aduiſez-y. Pyrinte ne faiſant point mine de ce qu’il ſçauoit, l’embraſſa, diſant, Mon bien facteur, mon eſpoir, il n’ya rien que ie ne face † vous, s’il ne tient qu’à prier Fronauue, & •.. — C. perſuader par toutes voyes, il n’y aura rien que | | | ie ne tente : Voire mais, luy dit le geant, i’ay en tendu que vous yauez affection, parquoy il fau droit vous en deporter. A celà reſpond le Prin ce, Dés maintenantie vous cede tout pour vous monſtrer que ie n’y pretends rien, allez-y, & l’enleuez pluſtoſt que ne ſoyez content, ie ne vous empeſcheray pas, tant pour ce que ie ne : puis, que ie veux, ſi ie le pouuois, ce ſeroit pour · # | | | vous gratifier. Par ces diſcours qui furent ſou— |# # — uent reiterez, le Prince attira ſi bien à luy le | | | # | | Geant, qu’en fin il en ſuruint des affaires autres que les premeditees. La bonne Griſerte ſage & accorte faiſoit ſcauoir tout à Vfonis, & ce † aydoit ſous main au Prince pour ſali erté, dont il vint à bout fort prudemment, & cependant il amuſoit le Geant, qui faiſoit par tout s’enquerir d’Vfonis, pour, l’ayant deſcou | uerte, aller en diligéce s’en ſaiſir, tādis qu’il dete · noit Pyrinte.Or ce Prince auoit vn page auec lui qui auoit liberté d’aller & venir par le chaſteau, ceieune enfant par l’inſtruction deGriſerte ſceut vn paſſage qui eſtoit en vne vieille muraille, & il en aduertit ſon maiſtre, qui s’y hazarda, & paſſalegerement, & ainſi euada & s’aduanca le plus qu’il † pour rencontrer lieu de ſauueté & ſeurté : le geant courut apres, mais trop tard, car il ne le ſceut que le lendemain. Or Pyrinte aſſant par vne foreſt, ſe trouua en vn chemin où des voleurs auoient tué vn homme, auquel ils n’oſterent que lavie & l’argent, car de peur d’e— ſtre cognus & decelez par les hardes, ils le laiſſe rent tout habillé auec ſon manteau dont ils le couurirent.Le Prince voyant celà, & qu’il n’ya — uoit perſonne là autour, prit le manteau de l’oc cis & y laiſſa le ſien, puis il gaigna chemin tant qu’il peuſt.Leiour d’apres le Preuoſt des Mareſ chaux paſſant par là, trouua ce corps que les loups auoient deſia enuahi : Ille fait viſiter, mais on ne le peut cognoiſtre. Il le fit leuer de la, & porteraubourg prochain, où vn des ſoldats du chaſteau eſtant, & voyant le manteau le reco gneut, & dit que c’eſtoit celuy de Pyrinte, qui depuis deux iours s’eſtoit ſauué du chaſteau, & auſſi toſt le Geant l’ayant ſceuy vint, & apres pluſieurs diſcours fut aiſément conclu que c’eſtoit le Prince qui eſtoit mort. Le Roy en fut aduerty, fit ſigne d’en eſtre content, & toutes fois il vouloit que iuſtice ſut faicte, & partant qu’enqueſte ſe fiſt partout, celà aduenu, le Roy fit tenir ſes Eſtats, & cōſtitua Frulouſe ſon Lieu tenant general, & luy donna le gouuernemēt de ſon fils aiſné. Le Geant ſe voyant en telle dignité, ſceut tant amadouër & flatter le Prince, qu’il le rendit du tout à ſa deuotion, tellement qu’ils n’eſtoient qu’vn cœur. Vfonis ayant ſceu ce qui ſe paſſoit comme on le contoit, en prit ſi grand ennuy, que de triſteſſe elle ſe relegua auec des filles deuotes, où elle paſſoit ſa detreſſe. Pyrinte fuſt volontiers allé en Gaucontaine, mais il n’y pouuoit paſſer ſans eſtre deſcouuert, par quoy il ſe retira és pays où regnoit le bon Triuoli ſon couſin, auquel eſtant paruenu en habit diſſimulé, il fut receu fort humainement, eſtant là, il raconta ſes fortunes & les menees de Frulouse. Trivoli qui auoit chaſſé de ſes terres & Seigneuries le Geant & les Hyſpoſtes, pour les affrons qu’ils luy auoient faicts, cōſola le Prince, & luy promit tout ayde & confort. Quelques iours apres vindrent nouuelles, que le puiſné de Leci auoit eſté tué en vne foreſt, Pyrinte ſit le diſcours de ce qu’il auoit faict, parquoy ſuiuant ceſte nouuelle, ne voulant eſtre cogneu encores, il prit conſeil auec ſon couſin, & ſe fit continuer le nom de Brilland, qu’il auoit pris entrant en ſes pays. Cependant Frulouſe ſe ſeruant de ce qui ſe preſentoit, incita Turanes fils aiſné de Leci à ſe faire valoir, & pour ce qu’il n’auoit gueres de courage, illuy dit — qu’il executeroit tout ce qu’il conuiendroit en ſon nom, & qu’auec le temps illuy mettroit le Diadeſme ſur la teſte, & l’afleeroit ſur le Troſne paternel qui luy eſtoit deu, & veu le peu de cas quele Roy faiſoit de luy, qu’il l’au thoriſeroit, & n’y auoit pas de danger, atten du ſon age, & que le bon homme ſe deuoit repoſer, & que pour ce faireille relegueroit fort aiſement enl’iſle Titane, & puis apresils iouyroient abondamment de toutes delices. — Le Prince qui gouſtoit ces nouuelles friandi ſes, ſe laiſſa aiſément perſuader, & par ainſi la coniuration eut lieu : moyennant les practi ques auecles Tauxomutes par le moyen des) Hiſpoſtes, qui tous enſemble firentreuol — ter les grands, & le peuple, qui contrai gnirent le triſte Leci de prendre la fuitte : Et tout ce qu’il peuſt faire, fut de ſe ſauuer & cacher au Comté de Rufime, au deſceu de ſes ennemis, qui ne l’ayans peu deſcouurir, en laiſſerent la pourſuite, & ſe tindrent au pays, où ils auoient occupé le bien des bons & obeyſſans peuples. La nouuelle de ceſt affaire fut apportee à Triuoli, qui en aduertit ſon couſin Brilland, qui s’en trouua fort ennuyé, toutefois il prit reſolution auec ſon bon couſin, & ainſi fort promptement & coyment ils leuerent vne forte armee, auec laquelle ils donnerent dans Suci uie, où eſtoient Frulouſe & les Hiſpoſtes, qui furent ſurpris, taillez en pieces la pluſpart, & les autres mis en fuite, le Geanty demeura. Les Tauxomutes de manderent’pardon, qui leur fut accordé, horſmis àTuranes qui fut pour ſa fau fortunez. Entrepriſe III. 6i ; te reſerré au chaſteau de Derence, où il ferape nitence legitime. Ces affaires ainſi paſſees, Brilland reprenant ſon premier nom, & s’eſtant fait recognoiſtre qu’il eſtoit Pyrinte, mit gar niſons§ tout, craignant les ſurpriſes des Hiſpoſtes reſtez, & en train aſſez capable de ſe faire obeyr, vint à Rufime, où il auoit appris — qu’eſtoit le Roy ſon pere : là entrant, il fit crier à hautevoix, Viue le Royle bon Roy Leci. Le bon homme qui ne ſceut rien de l’affaire qu’à coup prés, ſçeut par vn ſien fidele tout ce qui s’eſtoit paſſé, & que ſon fils Pyrintelevenoitde liurer. Le ſage Roy en attendit l’yſſuë, ne ſça chant qu’en croire : d’autant qu’il penſoit qu’il ne fuſt plus, veules choſes paſlees. En ce doute, il vid entrer ſon fils, qui auſſitoſt ſe vint ietter. à ſes pieds, & luy demander ſa bonne grace & pardon de l’offence que les meſchans luy auoient faicte à ſon occafion. Le bon Leci embraſſa ſon fils bien-aymé, & recognoiſſant ſon innocence par ſon deuoir, eut deux plaiſirs ſouuerains, d’autant qu’il recouura ſon fils en vie, & par luy ſe vit remis en ſes eſtats & do minations. Apres que le Roy fut reſtably, les Eſtats tindrent, & Leci voulant grati — fier ſon bon fils Pyrinte, luy donna pluſieurs fouuerainetez, entre autres le Royaume de Marſquouie : Mais tout ce ſuccez ne luy tou choit point tant au cœur que le deſir d’Vfonis qu’il alla luy-meſmes chercher en Gaucontaine où Griſerte l’auoit aſſeuré qu’elle eſtoit.Cepen dant qu’il deſpeſchoit ſes bonnes affaires pour paruenir au meilleur point, Griſerte aduer tit Vfonis de tout, auſſi toſt eſſancee de par faits deſirs reuenant à ſes premieres erres, elle laiſſa la ſolitude&ſe mit en chemin pour retour ner chez ſon pere, vn meſme ſoin pouſſant ces deux amans, Pyrinte ſe haſtoit d’aller où il de ſiroit trouuer ſon deſir, & labelle ſe diligentoit, ſi qu’ils ſe rencontrerent en la Duché d’Alto riante, leur entreueuë comme par ſurpriſe, bié qu’eſperee & recherchee, les rendit tant ſai ſis de contentement, que leurs cœurs abon dans de ioye firent vne certaine & mutuelle reuolution & tant eſtrange que la parole leur en faillit, & de fait ſont demeurez en ceſt eſtat comme vous les voyez : Et pource ils ſont ve nus comme loyaux amans § icy le re mede conuenable à leur mal. Et ie vous ſup plie par la meſme paſſion qui vous peuteſmou uoir : ſi autresfois elle vous a fait ſentir ſes vio lences, ou ſi vous les ſentez encor, de vouloir apporter tout ce qui ſera en vous pour gratifier le merite de ces deux parfaits amans. L’Em pe reur prit plaiſir à la naifueté dont en vſoit ce Gentilhomme, qui pour n’auoir eſté nourry que ſimplement, ne ſçauoit pas ſa court ar tificieuſe, ainſi que ces deliez qui font vne autre recherche de paroles, que celles qui, nuement declarent les intentions, & puis ayant receul’auis du Conſeil prononça,

La Souueraine vous promet conſolation, mais pour obſeruer tout ce qui eſt raiſonnable & neceſſaire, vous remet à Dimanche, cependant vous irez vous reſiouir au chaſteau de Palalme qui eſt au bout du parcq, & ſerez là tant que lon vous aille querir.

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DESSEIN TREIZIESME.


Galantiſé du Prince de Brancho pour Lofnis. Poemes ſur le iaune paillé. Inuention de Gnoriſe pour deſfourner l’opinion mauuaiſe des Amans.



CE iour-cy Lofnis eſtoit paree d’eſtofes d’eſtime dont la couleur eſtoit iaune paillé, auſſi c’eſtoit celle qu’elle aymoit le plus, & par l’entremiſe des Princes & congé de l’Empereur, elle auoit eſté preſente à ces actes, & fut vn peu de la partie : car le Prince de Brächo qui obtient de grandes & riches prouinces en Nabadonce & Glindicee, veint en l’hermitage, comme les autres pelerins d’Amour. Il eſtoit de bonne grace, neceſſaire & adroit, mais More & ne lui ſeoit que bien, car il en eſtoit plus accompli : Il ſe faiſoit accroire que Lofnis eſtoit ſa maiſtreſſe, pource qu’elle comme prudente, & receuant gracieuſement tout le monde, le voyoit d’aſſez bon œil, pourtant qu’elle prenoit plaiſir à ſes rencontres, & d’auantage l’entretenoit à cauſe qu’il auoit beaucoup # credit, eſtant ſouuerain de pluſieurs terres, & qu’il pouuoit faire ſeruice à l’Empereur & à ſes amis qui auoyent ſouuent affaire de luy : Cettuy-ci eſtant preſent à ces actions, & voyant l’occaſion luy eſtre fauorable fit ſigne aux muſiciens qu’il auoit inſtruits, de s’approcher, ils obeirent, & à l’inſtant firent reſonner vn aër, qui eſtoit approprié au ſuiet de la couleur du iour, adonques fut chanté ce petit poëme,

Les bien-heureux obiets des plus douces penſees,
Se rencontrent touſiours ſelon l’opinion,
Et les ames qui ſont en deſirs auancees,
Estiment leurs ſuiets par leur affection.
Les couleurs que le Ciel au plaiſir de la veue,
Va collant icy bas à l’entour des ſuiets,
Rendent auec raiſon toute choſe cognue,
Car icy l’on remarque aux couleurs les obiets,
Donq ſelon la couleur que plus belle on deſire,
On concoit en ſon ame vn ſymbole d’honneur,
Auſſi ceste beauté qu’heureuſement i’admire,
Se propoſe du bien en ſa belle couleur.
Le beau iaune de paille eſt aymé de ma belle,
Auſſi ſon œil iouyt du vouloir de tous cœurs,
Si quelque malheureux vouloit eſtre rebelle,
Comme paille il ſeroit bruſlé de ſes ardeurs.
Ceſte belle couleur ſuit touſiours l’abondance,
Mōſtrāt aux laboureurs leur loyer tout certain,
Pour ce elle ſignifie auſſi la iouyſſance,
Car quand la paille reſte on iouyt du bon grain.
Symbole bien-heureux tu esſeul teſmoignage
Que ma maiſtreſſe vn iour conſtant m’eſtimera,
Puis qu’elle t’ayme tant, c’eſt vn iuſte preſage,
Qu’à mes fidelitez piteuſe elle entendra.

Mais bien encores plus qu’elle iouit heureuſe
De ce que la Nature auoit de raretez,
Car il la faut iuger eſtre autant vertueuſe,
Comme on la trouue belle admirant ſes beautez.
Or triomfés de tout, belle & ſage Princeſſe,
Selon voſtre deſir iouiſſez de bon heur,
Quant à moy ie iouis d’honneur & de lieſſe,
Pour ce que ie vous ſuis fidele ſeruiteur.

Fonſteland eſtoit bien aiſe qu’on donnaſt de la loüange à ſa Maiſtreſſe : mais il n’eſtoit pas contant qu’vn autre prit ce tiltre deſtre ſon ſeruiteur, & n’euſt eſté qu’il ſcauoit le courage de la Princeſſe, dont la verité lui eſtoit aſſez apparente, il y eut eu du trouble. Eſtant donques certain de la volonté de ſa Dame, qui viuoit auec luy d’amour mutuelle, & qu’elle l’auoit auerti de la fantaiſie de ce Prince, il le trouua bon, & auſſi iamais elle n’y eut pris plaiſir, ſi celui qui luy eſtoit autant cherque ſon ame, n’y eut conſenti. Fonſteland laiſſant Brancho en ſon opinion, le laiſſa parfaire ce qu’il auoit enuie d’acheuer. Puis il fit ſigne à vne Nymfe qui eſtoit à ſa ſeur Olocliree, laquelle ſ’auança auec vn lut, & pouſſant ſa voix auec l’inſtrument, reſpira ces accens ſur le ſujet de la meſme couleur. L’Empereur pēſöit à ſe leuer : mais oyant iouër & chanter vne belle, eut patience de l’ouïr.

Il n’y a point d’eſpoir tel que mon eſperance,
Il n’y a rien d’egal à mes affections,
Car vous m’entretenez ſous voſtre obeiſſance
Des plus viues ardeurs des chaſtes paſſions.
La conſtante couleur de vos beaux yeux cherie,
Me monſtre le deſſein de ma proſperité,

Et telle vous l’auez diſcretement choiſie,
Afin de m’exercer à la fidelité.
Le beau iaune de paillé & la couleur mignonne
A l’vnique beauté queſeule ie sognoy,
Selon ſon iugement de mes deſſeins i’ordonne,
Son vouloir eſt le mien, ſon plaiſir eſt ma loy.
Ceſſez autres conleurs vous n’auez point de grace
Madame a remarqué ce qui eſt plus parfait,
Auſſi comme en beaatétoute autre elle ſurpaſſe,
Sa couleurplus que vous a d’eſclat & d’attrait.
Ces diuerſes couleurs que les Dames choiſiſſent,
Ne ſont que des eſclairs paſſans ſoudainement,
Et les opinions auſſi viſteperiſſent
Que leſymbole en eſt eſleu legerement.
Toute couleurperit, & par le temps s’efface,
Fors le iaune paillé qui ne s’eſteint iamais,
Toutes autres couleurspaſſent ſans efficace,
Mais ceſte-cy touſiours eſt brillante en effaits.
Plus on preſſe la paille en differens vſages,
Plus on void ſa couleur au deffaut reſiſter,
Auſſi recognoiſt-on que les canſtans courages,
Surmontent tous efforts pour conſtans perſiſter.
Tous fruits ſoigneuſement auec le temps meuriſſent,
S’auançans ſur la paille, en leur perfection,
Ainſi les beaux deſſeins à la fin s’acompliſſent
La conſtance guidant la belle intention.
Comme ceſte couleur eſt conſtante & certaine,
La conſtance ſera mon eternel obiet,
Et ma vertuſera non comme couleur vaine,
Mais vn fixe accident conioint à ſon ſuiet.
Bien que la paille enfin par trop de temps vieilliſſe,
Sa couleur toutesfois iamais ne vieillira,
Auſſi pour la maiſtreſſe à qui ie fai ſeruice.

Ma conſtance touſiours ferme ſe maintiendra.
Auſſi ceſte couleur n’eſt pour neant ſymbole
De l’vnique vertu du magnanime cœur,
Car comme on void noſtre ame aux aers de la parole,
On cognoiſt ma conſtance à l’œil de ma couleur.
Touſiours ceſte couleur ſera la couleur belle
Dont le ſymbole ſaint me rendra glorieux,
Et ma belle verra ma conſtance eternelle,
Puis que i’ay meſme obiet que l’obiet de ſes yeux.

Gnorise. Il y a entre les Dames vn gentilde bat ſur la ſignification des couleurs, lesvnes veu lent que ceſte couleur de iaune paillé, ſignifie iouiſſance, & les autres pour les dernieres rai ſons qui ont embellil’aer de leur excellence : af ferment qu’elle repreſente la Conſtance.Alave rité ( ie le veux dire pour Amour,) la conſtance eſt fort requiſe à celuy ou celle qui iouït, & plus qu’à l’ame qui n’a encores rien obtenu. Ce n’eſt point conſtance de rechercher ce que l’on deſi re, car on ne ſcait ce que l’on aura, quelle con ſtance pourroit-ilyauoir ſans ſujet § deſiré n’eſt point ſujet obtenu. On dira, conſtance eſt auſſi en recherche, c’eſt pluſtoſt opiniaſtreté, d’autant que l’on n’a pas de § de ce qu’on obtiendra. Parquoy ie conclus, que con ſtance eſt, de conſeruer ſon affectiö à ce quel’on tient aueciouiſſance. S’arreſter ſans ſe deſiſter à pourſuiure ce qu’on deſire, eſt pour le vray vne affection ferme, de ne ſe deporter tant quel’on ait acquis ſon bien, & cela § tres-louable : auſſi n’apartient-il qu’aux loyaux amans : mais lors qu’on eſt en entiere poſſeſſion, & que l’on ſ’egaye en courage pour en faire touſiours vne meſme eſtime, c’eſt la preuue de vraye conſtance. Or, Sire, ce iour nous fournira de beaucoup d’exemples d’amours auantureuſes, & non reciproques, ie les nommeray ſcalenes, pource que les vrayes ſont Iſoſceles, parce que chacū y a ſa Dame, & ainſi reciproquement, & auiourd’huy il y a pluſieurs qui ſont à vne Dame, & la recherchent, & elle en deſire pluſieurs pour choiſir. Parquoy le Gouuerneur d’Amelie n’a que voir ſur ceſte ſorte d’Amās, ie requiers pour l’Amour qu’il ſoit dit & iugé, que ce qui deſpendra du hazard ſoit la fin de tous ceux qui ſe prendront à la belle deſiree, à ce que les pretendās ſ’y comportent auec telle dexterité, que leur recherche ne leur vienne à honte, & qu’ils ne pretendent aucune reſource en ce lieu à cauſe de l’honneur.

Le Conſeil vint à l’Empereur par trois fois à cauſe que l’affaire le meritoit, & puis ayant bien digeré le tout, prononça.

Ceux qui ſeront temeraires, porteront l’iniquité de leur faute, & celui que la Belle gratifiera, ſeul ſe pourra tenir pour tel qu’il ſera accepté, car le tout eſt remis à ſa volonté.

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DESSEIN QUATORZIESME.


Qui eſt le plus fidele en amour, les dames ou les hommes. Exemples d’amours eſtranges, & difficiles, ou ſans raiſon. Le verd & ſa ſignification. Amour determiné d’vne Damoyſelle.


DEsia le iour auoit fait reuoir tous les obiets, & ayant reueſtu de ſa propre habitude ce qui eſtoit caché ſous la difformité de la nuict, eſgayoit tout ce qui eſtoit ſous l’eſtendue des Cieux, Que l’Empereur bien accōpaigné, veint au cinquieſme Palais, où l’apreſt des viādes & de tout ce qui ſuyuoit, ne manqua non plus qu’aux autres iours. A l’heure des cauſes il entra en la magnifique Sale, où pour ce iour il fut aſſis non ſelon l’ordre exact de la magnificence imperiale obſeruee és courts des Monarques reſplédiſſans, en vanité de majeſté, plus ſouuent qu’en gloire de vraye dignité, mais en eſprit aſſuieti à la loy d’vn plus grand qui eſt l’Amour, aux ſtatuts du quel il rend toute obeiſſance ſuyuant les couſtumes du lieu, où il eſt venu chercher remede, à ſon mal : bien eſt il qu’il iouyt de la diſpence octroyee à ſa grandeur, ſelon l’ordonnance des Princes & de la Souueraine, qui veulēt que touſiours il ſoit occupé à ce que ſon cœur ne moyſiſſe en l’attente de ſon bien, n’ayant point de diſtraction. Tout eſtant en ordre, Gnoriſe & Xyuoye gouuerneur d’Amelie, ſe preſenterent pour auoir reſolution d’vn debat eſmeu entreux. Elle maintenoit que les dames eſtoyent les plus parfaites en Amour, & luy ſouſtenoit que les hommes en emportoyent le prix. Quād ce fut à Parler, Xyuoye cedoit à Gnoriſe, laquelle ne voulut pas ceſte courtoiſie, de peur de luy eſtre redeuable, Parquoy le ſort fut ietté ſur la remonſtrance reiteree de Gnoriſe, qui diſoit qu’en cet affaire il ne falloit apporter aucune diſſimulation ou gratification. Et le ſort tomba à dire à Xyuoye qui parla diſant : Sire, pour prouuer qu’il y a plus de conſtance en nostre ſexe, ie Propoſeray vne exemple ſuffiſante, deduiſant vne partie de la vie d’vne entre pluſieurs, ſelon quoy on pourra iuger qu’elles n’ont aucune memoire du paſſé, & partant point de conſtance, pource que ce qui ſe preſente deuant leurs yeuxs eſt auſſitoſt accepté que leur courage en a enuie. Pour l’amour des Dames, & que quoy que ie die, ie ne laiſſe d’eſtre leur affectionné ſeruiteur, d’autant qu’il y en a de vertueuſes, que ſi elles ne le ſont, au moins nous les faiſons telles, tandis que nous les aymons : Ie celleray le nom de celle dont ie veux parler, ſon païs & ſa condition : Ceſte belle & de bonne grace ayant beaucoup de ſciences, & eſtant autant aymable qu’autre de ſon temps, fut mariee à vn beau gentilhomme qui l’auoit longuemët recherchee, & auoit couru pluſieurs fortunes pour ſon amour, à quoy elle auoit participé : d’autant qu’ennuis ſur ennuis lui auoyent eſté donnez, à cauſe de ceſte amitié, qui ne lui firēt point quitter la partie, ains pour ſuyure plus vinemēt, & auec vne conſtance tant apparente, qu’cl e fut eſtimee† entre les Dames d’Amour loyal & chaſte : sö ſeruiteur qui trauailloitinceſſarnmét à luifaire demonſtratiö de la verité de ſon cœur, ſurmontoit toutesaffli ctions, incommoditez & faſcheries, que ſes pa rens & ceux de labelle lui dreſſoyent pour rôpre le coup à la fortune qu’ilspretédoyët acheuer : Et firenttant ces Amans, & ſi bien qu’à la fin ayans gaigné le cœur de ceux quiles empeſchoyent, ils obtindrét le fruit deſiré apres tät de peines : heu reuſe couple ſ’il fut auenu que vous fuſſiés par tis du monde enſemble ! vn peu apres leurs nop ces, ce gentilhömefut ſaiſi d’vne faſcheuſe ma ladie quicötinua en telle lögueur, qu’elle deuint li maligne, que les medecins deſeſperäs de ſa ſan té, lui conſeillerent pour dernier côfort lesbains, & eaux medecinales, à quoy ſ’eſtant reſolu, il ſe fit porter où le remede eſtoit, durant tout ce téps ſa § angoiſſee ne l’abandonnoit point, ains cöme ſuportât ſon mal, ſouffroit auecluy le ſol licität nuict &iour fort ſoigneuſemêt.Quelques fois il lui diſoit, mé cœur ie te prie de te repoſer vn peu, & dönertréue à tes peines.Elle lui reſpö doit, ma vieiete ſupplie, ne m’éparle point, car ſi ie me reculois de toy, & que mes yeux ne fuſsët collez ſur toy, i’aurois trop de tourmét : ce que tu péſe peine en mes actiös, m’eſt vn ſouuerain bië, pource que ie te fay ſeruice.Telles & de sëblable ſujet eſtoyent leurs mutuelles paroles, quädl’oc caſion ſ’y addonnoit : En ce voyage ( cöme touſ iours)elle eſtoit inceſſammët pres de ſa perſon ne ſansl’abandöner, y apportât vn ſoin merueil leux.Apresque ce pauuregentilhôme eut fait ce qu’il pouuoit, en fin ſans auoir moyē de ratraper la ſanté, prit la voye des ames qui ſ’eſchapent, & au depart de ſa vie, à laquelle celle de la Dame tenoit, il ſembla qu’elle voulut la ſuyure, & de fait la pauurette fit ce qu’elle peut en apparēce pour mourir, & voyoit-on à ſon deſplaiſir apparent qu’elle eut deſia voulu eſtre du grand nōbre. Or voyant que s’en eſtoit fait, s’eſtāt determinee aux pleurs, aux regrets, & aux eternelles ombres de l’ennuy, elle fit enbauſmer le corps du defunct, & mettre en vn grād cercueil où il y auoit place pour elle & y vouloit eſtre, mais par la remōſtrāce de quelques gens ſages, elle ſ’en retint, elle fit pourtant mettre ce cercueil ſur vn chariot qu’elle faiſoit tirer auec ſon train, faisāt eſtat du mort, tout ainſi que ſ’il eut encor eſté plein de vie. Elle n’auoit autre ſouci que celui meſme qui la tenoit durant la chere vie de ſon mari tāt aymé, ſon œil eſtoit touſiours ſur ce cercueil, & ſes ſouſpirs eſtoyent terminez où eſtoit le corps tant agreable. Il n’y auoit que neuf iours, que la cauſe de ce dueil extréme eſtoit auenue, que paſſant chemin ceſte demoiſelle vint loger en vn bourg qui ioint le pied de la mōtaigne, & l’hoſtellerie eſt en vn ſpacieux & riche hoſpital, où tout le monde eſt receu, en pauures ceux qui le ſont, & en hoſtes aymables ceux qui ont le moyen de viure ſans ſ’obliger pour le giſte ou le repas ; En ce ſpacieux logis il y a vne retraite de gēs religieux, obſeruateurs du Celibat, leſquels prenĕt le ſoin de viſiter les malades, conſoler les affligez, ſoulager les eſtrangers, & ſuruenir aux autres neceſſitez de corps& d’eſprit qui peuuēt aduenir aux paſſans, entre ces bôs perſonnages on trouue des lumie res eſclairantes en pieté : ceſte demoiſelle deſolee ayant eu logis ſelon ſa qualité, receut la viſitatiö de ces bös freres qui ayâs ouy parler de ſa triſteſle & de ſes deuoirs paſſez vers le deffunct, lui laiſſe 1ëtvn de leurs côfreres pour la conſoler : ceſtui-ci apres auoir ouy les lamentatiös de ceſte femme, entendu ce qu’elle diſoit de ſes reſolutiós, & reſ—. ſentien ſoy la pointe de pitié, ſe mit de tout ſon pouuoir à lui faire gouſter les effets de la côſola tion, & ſe mit à lui faire des remöſtrances de telle veheméce d’eſprit, que biétoſtilla diſpoſa à pé ſer autrement qu’elle n’auoit deliberé : & cepen dāt qu’il lui perſuadoit, que ce mort n’auoit plus de frequentationauec nous, & que ſe ſeroit dö mage qu’elle ſe conſumaten pleurs & triſteſſes, perdant ſon temps en lamétations, pour vn ſuiet auquel cela ne rouchoit plus, illuifitentédre que lesviuans valoiét mieux que les morts, & de fait ſe rédit ſi familier auec elle par les beautez desö diſcours, qu’elle ſe trouua touteträſinuee, & ſon deſplaiſir ſe chāgea en amour, &tel qu’en meſme inſtant les aires en furent priſes & donnees : mais ce ne fut que cömencement, il eſtoit queſtiö d’a— cheuer en continuant ceſte fortune, à quoy le pauure amant ne trouuoit aucun moyen, ains au cötraire ſevoyoit perdu par la deſcouuerture qui auiendroit de ſon affaire ſi elle eſtoit ſceuë, elle quiauoitvn eſprit pröpt, inuentif, & degrãdpre uoyance, le fortifia & lui monſtrale moyen de ſe | contenter & de pourſuyure, lui enſeignant yne voye aiſee de ſe cacher & d’eſchaper pour venir auec elle, que lui ayant cómuniquee ils executerent. Ils prirent le corps du defunct & le mirêt au lieu du religieux, & luiil ſe gliſla dans labiere : & auſſitoſt partirent.Illeur fut aiſé d’eſchapper car la frächiſe n’eſtoit qu’à vne lieuë de là. Ceux de la maiſon eſtimerent que le Sage conſolateur eſtoit en ſa chābre, à regaigner de repos ce qu’il en auoit perdu la nuict à recöforter la deſolee, & cepédantilgaignoit païs auec la Belle, qui le fit leuer du lieu piteux, &l’ayât fait habiller propre ment l’emmena chez elle, où depuis elles’eſt dö né du plaiſir aueclui, &poſſible auec d’autres, car · celle qui le preſte à vn le cômuniquera bië à plu ſieurs, & sâs difficulté à tout autre qui ſe presëte ra, dequoyie cöclus que les Dames aymët moins, &quel’hôneur de bien-aymer nous appartient. GNoRIsE.Ie ne veux pas excuſer celles qui fail lent, ſ’il eſt vray qu’il y ait des dames qui ſe debä dent du deuoir, mais ie prouueray que les hom—. mes ne ſont pas meilleurs les vns que les autres, d’autãt qu’ils cheminentd’vn meſme train, ioint qu’ils n’ont autre † que † les mo yés de deſtourner les femmes pour leur plaiſir, & puis apres ils ſe laiſſent enuahir par les plus diſ gratiees.Ainſi il y a pluſieurs hommes quineſa chans que c’eſt de bien-aymer abandonnent des femmes ſages & chaſtes, pour ſuyure deſbordé ment des § viuans qui ſont ſans grace. Il eſt vray qu’il ſe trouue de certains animaux qui ont la ſimilitude de femmes, apres leſquels les hömes inſenſez courët à bride abatue, & ſans cöſiderer la difference qu’il y a entre les faueurs d’vne femme qui ayme auec hóneur, & les inſo lences d’vne effrontee quin’a d’affection que ce qu’elle fait ſemblant pour attrainer les miſera bles à perdition, ſe gliſſent où l’effrenee concu piſcence les alleche, ie pourrois en deduire tro d’exemples à la honte perpetuelle de ceux qui ſe fouruoyent du ſentier de lºvertu : mais i’ay hon te que mes leures ſoyent profanees de tels di ſcours : Toutesfois puis qu’il faut debatre pour la verité, il eſt conuenable que ie mette en auât vne hiſtoire, qui me ſeruira de pointe contre ce qui a eſté dit, au deſauantage des Dames, ſi cela les touchoit.Vn bourgeois honorable en apparëce auoit eſpouſé vne belle ieune Dame doüee de vertustant apparentes qu’interieures, & telles que ſi ſon mari euſt ſceu le threſor qu’il poſſe doit ſe fut eftimé tres-heureux, & en eut fait tel cas, que ſans ceſſe il ſe fut tenu pres d’elle, & ce plus pour eſtreinſtruit à lavertu au contentemët de l’ame, que pour le raſſaſiment du corps au gré des ſens.Le premier feu de ſa cöcupiſcence § appaiſé en ce ieune homme, il commença à ne faire plus d’eſtat de ce qui eſtoit à luy, & dont le merite eſtoit parfait, & ſe mit à la recherche de la femme d’vn homme d’eſtat, laquelle ſans ſ’eſti mer du ſexe egal à lavertu, ains gliſſant au natu rel de ſa naiſſance, qui n’eſtoit que d’eſtrevnani mal ſenſuel, oublia toute honte, & s’adonna aux miſerables plaiſirs d’incótinence & lubricité, & receut ce perſonnage, vrayemët ſi ceſte folle eut eu quelque apparente grace qui eut peu effacer l’eſclat de l’autre, encores on eut peu † quelque meſchäte ombre d’excuſe pour le bour geois, mais elle en eſtoit du tout differête ſi qu’il eſtoit condénable.Auec ce que ceſte belle beſte eſtoit d’aſſez mauuaiſe rencontre, elle eſtoit ru de & faſcheuſe, dépite & inſuportable : mais ſon inſolent amy eſtimoit ſa maligne façon vne lante humeur, ceſte rudeſſe döt elle ſe redreſſoit, il la diſoit grace alties ſon dépit il le publioit eſtre grandeur de courage, & ſon importune lai deur il la contoit pour vn aer de majeſté qui ne flattepoint, ſon arrogance lui ſembloit vn port magnifique, par lequel elle ſurpaſſoit en bien ſeance les plus accomplies.vrayement c’eſtoit là qu’Amour eſtoit aueugle, & que ſa viue rage do minoit ſur vn cœur. En ceſte folle humeur, ce ieune homme ſe rendoit captif de ceſte perdue, auectant de vehemëce qu’il n’auoitfelicité qu’à la careſler : Elle qui cognoiſloit la ſtupidité de ce ſeruiteur, le gratifioit quelquesfois de ſes pl°ex quiſes faueurs, puis quelquefois les lui faiſoit ſi cheres qu’il en eſtoitau mourir, tantl’impuden ce de ceſte folle le tranſportoit : auſſi le § elle rendre ioyeux & triſte quãdil lui plaiſoit, & luiiouât mille traits de deſplaiſir tiroit ſon plai ſir de lui, arrachant le plus beau de ſes commo ditez qu’il tiroit d’aupres ſon agreable femme, · en l’incommodant pour accommoder ceſte de piteuſe vilaine. Vne fois entre autres qu’il eſtoit auec ceſte laide, dérobât ce qui ne lui deuoit pas appartenir, voici heurter à la porte vn ſien autre fauori, auquel elle auoit dönébut : O miſerable, moy, luidit-elle, ie ſuis perdue, c’eſt mon mary, & vous infortuné, ſauuez vous, le pauuret ſauta Par la feneſtre en la court, & de malheur où ex · Pºesla trape de la caue eſtoit ouuerte, &ily cheut *ſefroiſſa tout, & encor ceſte douleur, tant il eſtoit hebeſté, ne lui ſembloit que fleurs. Quäd il fut retourné en ſa maiſon il ſe mit au lit pour ſe · faire penſer, & il fut ſecouru de ſa benigne fem me, qui ne ſe doutant point de ſes deſbauches, creut la fortune telle qu’il luy voulut conter, & cependant elle le ſollicita de tout ſon cœur, auec tout amour & courtoiſie de courage.. Il void ceſte douceur tant pudiquement ay · mable qui le flatte ſi amiablement, & auec des attraits ſi chaſtes, que l’honneſte amour en naiſſoit, &toutesfois il ſouſpire en ſon ame & ge mit pour la beſte cruelle qui préd plaiſir à le per dre.Eſt il guariº il retourne au labirinthe de ſon malheur, feſtimantencor trop heureux, ſ’il peut | voler à grand peine vn baiſer de ceſte laſciue, qui feint le lui laiſier rauir en crainte.A la fin le mary de ceſte louue, qui a les yeux aſſez clairs, ſ’apper ceuant des fautes de ſa femme, que ſage il vou droit ne croire point, mais cacher, ne peut ſe con tenir d’auâtage. Et pource ſe deliberant d’y met tre ordre paroiſt de viſage changé, dequoy la deſ loyale ſ’apperceut, & ne voulant pas eſtre pre uenue, practique ſon bourgeois, & lui faitenten—. dre non ce qu’elle ſcauoit de la pretention deſon. mari, mais la feinte d’amour dont elle l’atti roit, lui diſant qu’il n’y auoit plus moyen d’eſtre en peur continuelle, & qu’il failloit ſe liberer : A ceci il ſe reſout, & ſoudain amaſſant ce qu’il peut l’enleua, & faiſant paquet auec ceſte ſiennetant aymee, changea de pais, pour courir fortune auec ceſte meſchante ; laiſſant vne ſage femme & bel—. le en la compaignee de laquelleilauoit du repos, pour courir miſerableauecvne meſchante qui le tourmente inceſſamment, lui reprochant qu’il l’a volee à ſon mary, adiouſtant auec tels conui ces, infinité detourmens qu’il a ſupportez lon guement, & tant que ceſte infame eſt decedee, dötila pristant d’ennuys qu’il ſ’en eſt allé vers les deſerts, ſans que depuis on en eut ouy nouuel les. Ceci me fait conclure, que les hommes ont moins de vertu que les Dames, & neſcauët point aymer ce qui eſt aymable, ains ſuyuent ſans plus pour la plus partleur honteuſe cupidité,

Le Conſeil fut fort long temps à ſe reſoudre ſur ceſte difficulté, à la parfin apres pluſieurs gra cieux debats, il fut conclud. L’Empereur refuſa de pronöcer, & auſſi fitlaSouueraine : Il alleguoit qu’il eſtoit en cauſe, elle diſoit que ſon age luy oſtoit le ſimple rang de fille : dont l’honneur n’e— ſtoit point touché icy, ſurquoy ils auiſerent vn expedient : c’eſt que Lofnis dicteroit à Olocliree l’arreſt qu’elle prononceroit, Adoncfurent ap pellees les deux Dames, & apres que Lofnis eut eu le commandemët de l’Empereur, elle ſapro cha & entendit les paroles de la reſolution qu’el · le veint raporter à Olocliree, laquelle aſſiſe au ſiege de la Souueraine, prononça cét arreſt.

Le Conſeil ne prend point cognoiſſance de ce qui outrepaſſe les loix de raiſon, ayant ſeulement égard à ce qui eſt conduit par la vertu : Et pourtant il abandonne à leur ſens reprouué les eſprits quine ſe veulent pas addreſſer ſelon le deuoir, donnant & attribuant le tort à ceux qui ſont cauſes du mal, & declarant indignes les cœurs quitranſgreſſent.

La ſage Olocliree n’eut pas entrepris ceſte charge, ſansl’expres commandement de la Souueraine, à laquelle elle deuoit en ce lieu toute obeiſſance, & d’auantage ne l’eut pas voulu en la preſence de Lofnis, à laquelle elle le cedoit, n’eut eſté qu’ilauoit eſté ainſi auiſé pour la bien ſeance. Ainſi ces deux furent contentes de cét honneur également diſtribué, & firent paroiſtre leur obeiſſance, ſans vouloir autrement cognoi ſtre de la raiſon pourquoyil ſe faiſoit en la ſorte, n’ayant ſoin que d’obeïr à leurs ſuperieurs.. † fluſtes que les § auoiét apreſtees, firent deuoir de s’accorder, & ayans reſonné vn verſet les Nymfes le rediſoyent, en accords entiers, faiſant entendre ceſte louange du verd, qu’vn amant auoit fait en la faueur de l’excellente Mataliree.

Au printemps que tout renouuelle, Que de ſa couleur la plus belle | Tout ſe repare ſous les cieux,’' Sous la verdeur de toute plante On voidbeſpoir qui ſe preſente, Augré des hommes & des Dieux. Les fleurs diuerſement ornees, Sont eſteintes ou toſt fanees, T’ar le froidle vent, au l’ardeurs Ellesſe changent en peu d’heure Mais leſeul verdtouſiours demeure, En tout ſuiet qui a vigueur. Le verd ſymbole d’eſperance Doucement monte auecl’eſſence De toute plante en tout endroit, Si par vn deffaut de Nature On voyait faillir la verdura, Al’inſtant tout eſpoir faudroit

La vie & l’eſpoir s’entretienent,
Et l’vn par l’autre ſe maintienent
L’vn periſſant l’autre n’eſt riens :
Auſſi tout ce qui eſt en vie
Au verd a ſon eſſence vnie,
Comme au bon ſigne de ſon bien.
Ainſi ceſte couleur plaiſante
Qui l’eſperance nous preſente,
Et qui nous l’a fait conceuoir
Sera ſans ceſſe en ma memoire,
Sera touſiours viure en eſpoir.

Ce chant acheué les deux Amans ſe preſenterent, & la ſage Mataliree dit à ſon pourſuiuant, Que vous ſert-il d’eſperer, ſi vous n’auez vn ſujet pour arreſter voſtre efperance ? Gelase. Pourquoy faignez vous ignorer ce que vous ſcauez bien, & faites ſemblant de ne cognoiſtre pas que i’ay arreſté mon eſperance en vous ? & que ie croy que ie ne ſeray point confus ? Matalirbe. Comment mettriez vous voſtre eſperance en moy, veu que ie ne ſuis point voſtre, & que poſſible i’ay vn autre ſeruiteur accepté. Ie ſcaybié & ie dis ſans preſomption, car il eſt vray, que ie ſuis recherchee d’infinis de toutes qualitez, qui tous croyent qu’ils receuront de moy vn abiſme de cōmoditez, & vous ſcauez bien auſſi, que le nombre de ceux qui me deſirent, eſt treſ-grand, & s’il ya bien plus, c’eſt que beaucoup ſe vantent de mes bonnes graces, & que ie leur ſuis propice, & ils ne me cognoiſſent pas, qui font eſtat de me voir & ne ſauent où ie ſuis, qui me tienent pour leur Dame recognue, & ſuiet vnique de leurs amours, & ils ne me veirent iamais, ils m’attribuent que ie ſuis à eux, & n’ont oncques traité auec moy.GELAsE. Ie ne ſuis pas ſi miſerable que ceux-là, car i’ay l’heur de vous voir, ie percois la felicitéde parler à vous, & i’ay la commodité de vous offrir mon ſeruice, non en idee mais en verité, ſi par defaut de ce bien les autres ſont fruſtrez de ceſte gloire, & d’eſtre à vous, il y araiſon par ce qui paroiſt qu’il vous ſoit agreable que vous ſoyez mienne, & que ie ſois receu de vous. MATALIREE.Ie vous ay propoſé ce queie ſuis, & que difficilement vous puis-ie receuoir, parce que poſſible nos eſprits ne pourröt conſentir l’vn à l’autre, & partant il n’ya pas moyen que ie vous accepte. GELASE. Si ſuis ie aſſez beau, galant, & vertueux pour vous obtenir, auſſi rien ne me deſtournera de mon deſſein, d’autant que ſi vous n’eſtes à moy ce ſera pource que ie ſeray trop malheureux. ie · l, : ne lairray toutesfois la pourſuite qui me rend · lº * i ! voſtre affectionné, & vous feray tant de bons of— #, | t fices en vous rendant du ſeruice, que vous au— •, | | | # rez regret de m’eſconduire. Ievous ſuis hum— # | # · t ble, ne me ſoyez point difficile, ie vous recher — che, ne me reiettez pas : Ie vous iure que tant que i’auray quelque eſprit de vie, il ſera em loyé à vous honorer : conſiderez-le, & ne de— — § point vn cœur dont vous pouuez tirer de la cómodité & de l’honneur par ſon ſeruice legitime.MATALIREE.Croyray-ie ces beaux diſ— — cours. Ne ſont-ce, point feintes ? ces belles reparties que ie penſe eſtre deſguiſemens, pourront-elles ſur moy afin de me fleſchir à croire ce que vous proferez auce telle vehemence, qu’il ſemble que la verité & vos paroles ſe planchent ſur vn meſme ær. A dire vray vous me preſentez des offres bien recherchees, mais

Celà eſt ordinaire à ces accortes ames,
De ſe ſçauoir ayder de leurs inuentions,
Et feindre à leurplaiſir des paſſageres flames,
Pour ſonder ce qui eſt de nos conceptions.
Ainſi vou vou iouez de vos belles idees.
Ainſi vous voletez ſur l’eſle des plaiſirs,
Mais les Dames qui ſont par la vertu guidees,
Cognoiſſent par la fin, la fin de vos deſirs.
On conte toutesfois que les ames touchees
De veritables traicts, ne peuuent s’exprimer,
Et que celles qui ſont moins d’amour empeſchees,
Diſent mille fois mieux la paſſion d’aimer.
C’eſt comme il faut paſſer les momens inutiles,
C’eſt comme il faut leurrer les eſprits ignorans,
Aux diſcours on cognoit les langues plus habiles,
Et aux effets on voit les courages galands.

Gelase. Ie me fay tant fort de la bonté de mon cœur, & de voſtre bel eſprit, que ce que, vous auez maintenant profetiſé, n’eſt pas à bon eſcient pour mon regard, auſſi celà eſtant comme on le prendroit, à l’aparence, vous me feriez tort, & à vous qui auez tant de iugement que vous liſez és ames : Et tant de courage que ie ne daignerois m’occuper que pour vn ſuiet de merite & de vertu : car i’ay l’ame trop digne pour la vouloir prophaner à des obiets inutiles. Et puis vn cœur qui s’eſt addonné à la recherche de ce qui le vaut, ſçait bien s’expliquer, & ie vous veux repartir par ce peu, attendant le plus que mon ame medite excellemment pour vous vaincre :

Si vou faictes eſtat des profits de la gloire,
Faites eſtat auſſi de mes affections,
Car tant que de l’honneur il ſera fait memoire
Je feray faire cas de vos perfections.

Si vous brauez tant ſur la vertu, n’auez-vous pas aſſez de prudence pour faire eſſay de moy ? engagez-moy ſans vous obliger, que vous ne ſoyez ſeure de ma loyauté qui eſt ſincere, ainſi que mon affection eſt naifue, & ſans artifice, Auſſi

Ma Maiſtreſſe vous ſcauez bien,
Que ie ne vous demande rien,
Que ce que l’honneur nous propoſe,
Ie ſuiuray touſiours le deuoir,
Auſſi ſelon Yoſtre vouloir,
Mon cœur tout humble ſe diſpoſe.

D’auantage, s’il eſt queſtion d’auoir de la valeur, & que la mienne ne vous ſemble ſuffiſante, donnez-m’en, excitez-la en moy, ou bien me laiſſez aduancer en la mienne, & vous verrez en toutes ſortes que ie paroiſtray en effets, qui me feront non ſeulemët eſtimer digne de vous, mais meriter que vous ſoyez à moy. Mataliree. Et bien, ie veux entrer & demeurer en telle opinion que ie ferois tort à la grādeur de mon courage, ſi vous ayant poinçōné, ie ne demeurois au terme où vous me recognoiſſez, & i’ayme mieux deſchoir de ma reſolution qui eſtoit de n’admettre aucun en mon amitié, que de vous laiſſer ſans vous obliger à moy : Mais y penſant que feray-ie à ces pauures ames innocentes qui ſont affligees de mon amour ? à tant de Dames qui bruflent inconſiderément pour moy, ſans rien deſirer de contraire à la vertu ? Que leur feray-ie ? Elles me veulentauſſi bien que vous ! C’eſt fait, ie me veux reſoudre, ie pretens qu’vn courage maſle me poſſede, s’il peut, & qu’ily eſſaye, & pour tant aduiſez à vous, parce que s’il aduient que, vous veniez à manquer, vous feriez vne grande tache à voſtre ſexe, & à vous : Et comme au _linge neufvne petite ſalleté paroiſt extrememët, la tache que vous acquerriez vous ſeroit plus ignominieuſement deſaduantageuſe qu’à vn au tre : d’autant que par vos diſcours & compor temens, les premices de vos amours me ſont en gagees, eſquelles s’il y a del’erreur, elle ſera fort manifeſte, & le tout touſiours retournera à ma gloire, car on ne m’accuſera pas, mais vous qui n’aurez ſçeu vſer de voſtre bonne fortune. Ainſi ie vous coneede que ſoyez à moy à ce que vertueuſement vous faciez queie ſoye à vous, & que voſtre reputation redonde à mon’hon neur. Aduiſez à ne faire faute à la vertu, ie vous accepte doncques & à la charge, pour de ·ſtourner toute opinion ſiniſtre, que vous n’au rez autre but quel honneur ny conduite que la raiſon. GELAsE. C’eſt fait, il n’y a plus moyé de s’en dédire, ie ſuis reſolu à ce bon-heur que ie conſerueray toute ma vie, & encores au delà, ſi on y a quelque reſſentiment des delices d’a— mour. Or Madame le bien de ma fortune eſtant arreſté à l’obligation que i’ay de vousſer—. uir, il eonuient queie m’y diſpoſe ſelon la perfection des plus iuſtes deſſeins, qui excitent les cœurs fideles. Et pource que mes propres imaginatiōs ſont le plus ſouuent friuoles, & quoy que nous ayons reſolu en noſtre courage, il n’en peut rien reuſſir d’auantageux, ſi la fin n’en eſt acceptable, il eſt neceſſaire pour auenir à vn terme raiſonnable, que noſtre ame recherche en la ſource de ſa fidelité, ce qu’elle doit ſuiure, à fin de ne ſe tranſporter apres des vaines penſees, par tant ie iuge que ſi ie me propoſe des effets pour le ſeruice que ie vous doy, parauanture la rencontre n’en ſera ſelon voſtre deſir, & i’auray trauaillé en vain. Parquoy afin de ne perdre le temps, car le perdre eſt la plus malencontreuſe deſconuenuë qui puiſſe aduenir, ie m’addreſſe à vous, mon vnique ſurion de mon bon-heur, pour receuoir vos commandemens, pour autant que c’eſt de vous qu’il faut que i’entende l’ordonnance des diſpoſitions de mon cœur, ayant reſigné entre vos mains toutes mes volōtez. Ie vous ſupplie de les incliner par la puiſſance que vous yauez, & me deſignant les particularitez de mon deuoir, prenez du contentement à me voir deuotieuſement addonné aux ſinceres demonſtrations de mon obeiſſance, ſuyuant les reigles de voſtre plaifir. Mataliree. Quand ie vous auray obtemperé, me pourray-ie aſſeurer que vous ne commettrez aucun default : Vous ſcauez qu’il n’y a rien tant libre que promettre : auſſi n’y a-il obligation ſi forte que la liaiſon que fait la promeſſe. Gelase. Les effets comme vous l’auez propoſé, ſeront le teſmoignage de mon deuoir, & cependant il faut que ie dilate mon cœur en voſtre preſence, & ie vous prie d’en receuoirl’humble ſouſpir qui repreſente ma paſſion naifue,

Quād vosyeux n’eſtoient point les aſtres de ma vie, fenereſſentois papour eux d’affiittions, Mais or auec douleur mon ame ſe ſoucie, "Par eux ſentant l’effort de toutes paſſions. Éſ’oigné deſoucyi’auois la patience Logee en mon eſprit auec tranquillité. Mais quandiefureduit à voſtre cognoiſſance, Des trauerſes d’amour iefus inquieté. Que l’heur que ie reçoy d’eſtrevoſtrema Belle, • 2Meſera cher vendu au prix de la douleur, Et vou n’enpouueX mais, lafortune cruelle, Pour troublermo amour meſle ainſ mö bö-heur. Sans cauſe ieme plains.maispardóma Maiſtreſſe, · On peut en ſon trauailſes douleurs eſuenter. T)oncques permette Gmoy lors que l’amour me bleſſe, Tepouuoir doucement en mon mallamenter, Ce n’eſt point mon amour qui ma douleur excite, La cauſe en eſt trop belle, & l’obiet trop parfait, e_2Mais ma fortune eſtant pareſſeuſe & petite, Ieſuis au cœur frapé, mais bien d’vn autre trait. Mon bien vient de l’amour, & mõ mal de fortune,
Qui meſle mõ bõ-heur d’angoiſſe & de tourment,
L’amour m’eſt gracieux, mais ce qui m’importu-
Eſt que ie n’oſe auoir d’eſpoir envous aymant. (ne,
Ie ne ſçay que des deux mon cœur voudroit eſlire,
Ou n’eſtre point à vous, ou bien ne viure pa4, Et ie neſpayiuger lequelſeroit le pire, Ou ne vous aymerpoint, ouſouffrir le treſpas. Mais ieſens tant de bien de loger en mon ame · Le bien-heureux ſougy quimefait vous aymer,

Que i’aime biémieux viure, erſouffrirenlaflame Qu’öt Douluvosbeaux yeux en möcœur allumer. 1WAa belle excuſe ( moy, conſiderez ma peine, · Que nul ne peut penſer s’il n’aime commemoy, Voſtre amoureſt monaiſe, & le mal qui megeſne, Eſt qu’en ma paſſion des ennuisie preuoy. Ie me conſommerai, ie cherrai tout en cendre, feſerai lepatron de toute loyauté,. Mais pour mespaſſions ie n’oſe rien pretendre, Car vous ne penſez pau à ma fidelité. 8t bien quand ie deur ois en ma perſeuerance, Priué de tout eſpoir ſans ceſſe ſouſpirer, Si ai-ie tant d’amourauec toute conſtance, Que ieſuis bien content ſans plurien deſirer. Toutesfois ie reſſens tant & tant de trauerſes, Dont ieſuisſans repos parl’amouragité, Que ieme perds quaſi dans les peines diuerſes Du malquim’accompagne auec ma fermeté. A ſon accompli bon-heur est voſtre belle grace, Tous mes plus chers deſirs n’ont point d’autres, 4 obiets, — e2Mais vnſort dédaigneux to° ces# efface,’Entremeſlant la crainte auec mes bons ſouhaits. La crainte qui d’ennuymonameſollicite, ( mienx, N’eſt pas que i’ayepenr que quelque autre ayme Mais Madame ie crain que mö peu de merite cauſe que ie vouſois à lafin ennuyeux. Mon cœur en eſt troublé, & mon ame eſtonnee, ſOous le pouuez iugerpar ce diſcours faſcheux, c’eſt pource qu’en naiſſant ma triſte deſtinee AMe rédit braue amant, mais amat malheureux. Voyez comme vn erreur vn autre erreur attire, Dans vn eſprit ſurpris d’vne maligne humeur,
Non ie ne penſe pas qu’heureux on s’oſe dire,

Si l’on n’a quelque traict devosyeux das le cœur. Ieſuis donc7 trop heureux d’auoir en mon courage Lefidele deſſein qui me fait vous ſeruir, — cyapres ieprendrayrout à mon aduantage, , Rien ne mepourra plu ceſtegrace rauir, Il n’ya plu qu’vn mal quimon eſprit offence, c’eſt que ieſuis ſouuët trop distrait de vos yeux, Il n’eſt malheur égal au mal de ceſte abſence, , Cartout autre malheur me ſeroit gracieux. Orſoit ce que pourra, ie vous ſarayfidele, — Rienne deſtournera ma belle affection, , Par l’effet vouſ aurex les ardeurs de mon Xele, Car l’effet iugera demon intention.

Bien que l’Empereur fut attentif au diſcours de ces amours, ſi ne laiſſoit-il de conſiderer vne Demoiſelle qui eſtoit comme il penſoit en im patience, & toutesfois auec contentement. C’e— ſtoit Orfuſe, laquelle auoiteſté appellée à l’an niuerſaire eſtant accuſee d’amours qui ſem bloientillegitimes, à cauſe qu’elle s’eſtoit à ce qu’on diſoit, mariee clandeſtinement, & le Pro cureur generall’auoit fait aſſigner pourvenir de clarer ſon courage : attendu qu’il ne fauticypre tendre qu’à l’honneur. Ainſi qu’ellevid que ces amansauoient ceſſé leur propos, elle ſe vint pre fenter deuant la Souueraine, C’eſt à vous, dit elle, Madame, que ie declareray ce que i’ay au cœur, Vous, Sire, vous m’excuſerez, d’autant que i’ay vne penſee qui m’empeſche de m’ad dreſſer à vous, c’eſt que tous les hommes du mö de ne me ſont point en eſtime, ie ne fay eſtat que d’vn ſeul, ie prie voſtre Maieſté de m’en ex cuſer, ie ſçay qu’elle le fera, d’autant que ceans nous ne reuerons autre Maieſté ſeconde que celle de l’Amour. L’EMPEREv R. Pourquoy nous interrompez-vous ? ORFvsE.Pource que ie ſuisinterröpué, & que i’vſe des priuileges des Amans, qui ſont de prendre toutes occaſions. L’EMPEREvR. Mais en ce lieu de Maieſté oſez vous empeſcher le conſeil, n’auez-vous point peur d’encourir amande ? ORFvsF. Sire, ie ne puis empeſcher les deliberations des ſages, & puis tandis qu’ils conſultent, ie leur fay vne ou uerture qui parauanture aduiſera leur ſens : Si re, ſçachez qu’vne petite goutte meſpriſee ſou ſtient ſur le bord du chandelier vn reſte de flamr beau qui l’excede en tout preſques infiniment, & toutesfois l’ayde manifeſtement.ainfiie ſeray. poſſible cauſe de faire ſouſtenir auiourd’huy vne colomne de ce Palais : oyez doncques tous ceſte appellee pour ſa iuſtification : Et vous Mada me, oyez ma declaration : Ie ne veux point met tre de diſſention entre les autres amans, & nul † n’a ſceu & autre ne ſcaura la deliberation emon cœur : Ce queiefayicypar commande— — · ment, eſt que ie proteſte de mon zgle, pour le manifeſter à tous, comme iel’ay fait ſentir à mö parfait.Etieiure (pëſez en ce qu’il vous plaira) que ie ſuis tant & ſi loyalement affectionnee de celuy auquel ie ſuis, que quand il y auroit du ſcandale en mes amours, ſi eſt-ce que pour l’honneur de l’Amour, & à cauſe de la fideli té de mon cœur vnie à ſes perfections, i’eſlirois pluſtoſt qu’on eſtimaſt de moy que ie fuſſe ſans plus ſa mignonne d’amourettes eſtant à luy commeie § tiltre • oſté, s'il y eſcheoit, que d’eſtre la femme d’vn Roy, & ce que ie dy, ie le profere de l’abondance d’amour, qui eſt mon vnique honneur.

D’autant que c’eſtoit vne Demoiſelle qui parloit, on la ſouffrit, pour la reuerence deuë aux Dames, & puis elle eſtoit appellee : & il falloit auoir eſgard que ſon ieune cœur eſtoit d’amour, parquoy le conſeil l’ouyt, ſi que meſlant tout enſemble, veu la conſequence & le iour, les auis furent portez à l’Empereur, qui prononça,

Uous eſtes tous enuoyez à l’Iris de cognoiſsance.

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DESSEIN QVINZIESME.


Hymne ſur la couleur de Mataliree. Diſcours du curieux Glaucigelle auec la Souueraine. Interpretatiō de Optimum philoſophari, melius viuere. A qui conuiennent ces gentilleſſes. Amours eſtranges. De part de l’amant incognu.



CE qui s’eſtoit paſſé auoit mis en la fantaiſie de l’Empereur pluſieurs penſees : par quoy il ſe leua pour s’aller proumener & changer de plaiſir. Et comme il eſtoit en ce geſte, & que ia ceux qui deuoient le ſuyure ſe preparoient, le chœur de la Pſallette diſpoſé à bien faire, entama vne muſique entiere, celà le retint, car c’eſtoit vn de ſes plus accomplis paſſetemps : oyant le commencement du concert, il demanda au Maiſtre les vers du ſuiet, il luy. dit que c’eſtoit vne aſſemblee de couplets en hymne de la couleur aymee par Mataliree, de laquelle couleur au Palais eſtoient en pluſieurs lieux les liaiſons des pierres, l’entretien des carreaux, les aſſemblages du meſnage, les fi lets des chaſſis des tableaux, & eſtoit ceſte cou leur compoſee de iaune paillé & d’orengé. Sa Maieſté prit plaiſiràl’ouyr chanter & dire, au † qu’on reprenoit les verſets addreſſez à la elle ſur la ſignification de ſa couleur.

Soyez grande de cœur comme vous eſtes belle, Ne priſant quel’eſtat de vos opinions, · · Puis que vou choiſiſſe(ceſte couleur fidele, Pourſymbole accomply de vos affections. De la couleur de paille & de celle d’orenge, ceſte viue couleur reçoit ſa mixtion, Et ſous le doux effet de ceſt heureux meſlange se trouuel’accomply d’vne iuſte vnion.. Beaux esprits qui cherchez la belle conuenance, N’èpeſchexie vou pri, ces beaux deſirs naiſsäs, Et ſi de ce proiet ietire la conſtance, concedez pour l’amour ces deſſeins innocens. Quand bien ceſte couleurſeroit toute contraire, Aux vertus que mon cœur luyfait ſignifier, Pour autant que l’amour me contraint d’ain faire, Tourl’amour il voufaut l’amourgratifier. Ia le iaunepailléteſmoigne iouyſsance, C’eſt la perfection qu’on recherche en deſirs, Et l’œildel’orengé deſignepatience, Sa vertu moderant l’aigreur des deſplaiſirs,
Ceſte belle qui ſçait qu’elle a toute puiſſance

Deſſous infinis cœurs adoransſes beaux yeux, Iouyſſant de cet heur dont elle a cognoiſſance, Enpatience attend pour eſlire ſon mieux, yoilà comment elle eſt fidellement conſtante, , Sans ſe laiſſer rauir à d’autres qu’à ſon cœur, Auſſi comme en deſirsſon ame eſt permanente, Elle pretend au chois d’vn pareilſeruiteur, ZBelle qui rauiſſeX toutes les belles ames, Qui excite X en nous vn precieux ſouhait, Si vous vous reſſente (de f10 ; pudiquesflames, Choiſiſſe (d’entre nous le cœur le plus parfait. Puis que vous vous pare (d’vne conſtanceſagé, eAyez vn ſeul obiet pour but de volonteK, Lors que ſur vn ſuiet vous aureK du courage, On verra vos deſſeinsſagement limiteK. Mais i’ay crainte qu’ainſi que ceſte couleur chage, Qu’elle va terniſſant vſee par le iour, Q e la conſtāce en vous prenât vn eſtre eſtrage, N’aille eſuanouyſsantpres les flames d’amour. Pardon, Belle pardon, ie vous croyveritable, Et que rien ne ſcauroit vos deſirs eſbranler, Mais paurſeauoir au vray ce hazard tant no table, 4 | Conſtant ie voudrois ſeulà vosyeux me bruſler. Ce n’eſt gueres d’auoir la conſtante apparence, Ilfaut prendre vnſuietſeruiable & conſtant, Ieſcay bien comme ilfaut viure en obeiſsance, Que ieſois donq l’obiet de voſtre eſprit content. AAais ie me feins ici des volantes chimeres, Ooſtre conſtance eſtant conſtanteenſon humeur, Vous croiez que mes vœux ſont paroles legeres, Nefaiſant pas eſtat de ma fideleardeur. Seuleil vous eſt aduii d’,ſtre conſtante vnique,

Rien conſtant n’eſgalant voſtre braue penſer,
Et de ſi beaux deſseins eſtes tant magnifique,
Que vouloir vous ſeruir ſeroit vous offencer.
Belle vous ſerez donq conſtante recognue,
Pour eſtre le patron des courages conſtans,
Mais ne ſoyez pas tant à voſtre humeur tenue,
Que paſſant vos beauteK vous perdiez voſtre temps.

Cet aer, comme ſon ſuiet, fut fort agreable à l’Empereur qui deſira de ſçauoir qui l’auoit fait, & dés l’heure en fit faire inquiſition, mais il n’y eut pas moyen d’en rien apprendre. La Belle en la faueur de laquelle il a eſté ſouſpiré ſcait qui eſt le cœur qui par ces attraits l’inuite à ſe preſenter à l’iris de cognoiſſance à cauſe d’elle, à ce qu’il ſçache s’il eſt aymé auant que ſe deſcouurir. Gelaſe tout eſmeu ne fit pas ſemblant de l’vlcere qu’il en a au cœur, mais quoy que ce ſoit, il ſe delibere d’attendre la fortune, ſcachant qu’il obtiendra ſi d’auanture le deſtiné Huxuree ne luy rauit ſon bien, car la belle ſera pour l’vn des deux. Or comme on chantoit, il entra en la ſale vn Gentilhomme de façon aſſez belle, & de geſte vn peu trop braue, ayant auec ſa mine courtoiſe vne rencontre deſdaigneuſe, |meſlee toutesfois de reſpect : ſa belle apparence fit que meſlé en l’aſſemblee il parut non comme comparoiſſant ou requerant, ainfi que vaſſal d’Amour, ains en forme de curieux indifferent, & remarquant les deportemens de chacun pour ſon contentement. La pauſe eſtant faite, la Souueraine qui l’auoit fort contemplé, le fit appeller & approcher, puis luy demanda qu’il cherchoit. Le Gentilhomme. Ma dame, iene ſçay ſi ie cherche, d’autant que ie trouueauant que chercher. LA SovvERAINE. Que penſez-vous de ce que vous trouuez icy ? LE GENTILHdMME, Tout ce qui me vient à gré, & que i’ayme eſt fort beau, & tout ce que ie hay eſt treſ-laid. LA SovvERAINE. Qui vous meut ? LE GENTILHoMME. L’eſprit d’amour, qui quelquesfois me fait eſtimer ex cellent ce qui autrement me ſeroit indifferent & poſſible deſ-agreable. LA SovvERAINE. Qui eſt voſtre Maiſtreſſe LE GENT. Celle qui le voudra eſtre : carie n’en ay point, ce ſera tout vn, ſii’en ay vne il ne m’importera, d’autant que ie recoyle contentement ainſi qu’vn gain preſent, & la diſgrace auenant ne plus ne moins qu’vn hazard qui paſſe, LA S ov v E R A I N E. Nous direz-vous voſtre nom, afin que nous vous cognoiſſions ? LE GENTIL. Ceux qui me cognoiſſent me nomment Glaucigelle, pour ce que ie ſuis deſcendu de † Fee, dontie porte le nom taſchant auſſi de l’imiter en pru dence tant qu’il me ſera poſſible. LA SovvER. Qui vous a nommé premierement ? LE GENT. C’eſt ma Deſtinee. LA SovvERAINE. Suy uez-vous la Deſtinee ? GLAvcIGELLE. De bien loin, elle deſpeſche trop de chemin, ie ne la puis ſuyure de pres, car elle m’emporte & s’eſloigne. LA Sovv. Quel ordre y mettez vous,GLAvcIGELLE.La reſolutió laquelle eſt v ne habitude qui diſpoſe l’ame à ſe conformer à tout ce qui ſe rencontre, & à commander’à ſoy meſme, à ce qu’il ne ſemble pas quel’on ſoit cōtraint fortuneZ. · traint, mais què ſimplement on ſuit ſes inclina tions corrigees par lavertu. LA SovvER. Mais encor qu’eſtes-vo°venu faire icy ? GLAvcIGELLE — ^ Vous contraindre ſelon voſtre valeur à m’adreſ ſer à la perfection, LA Sovv. Comment con traindre ? Eſtimez-vous que ie puiſſe eſtre con trainte paraucun ? GLAvcIG. Ouy, car vous a uez du courage, & deſirez qu’il paroiſſe, & il ne peut ſans que vous faciez demonſtration de ce qui eſt de plus beau en voſtre eſprit, qui s’e— ſteindroit pluſtoſt ſoy-meſme, que de ſe diuer tir de mettre en euidence ce qu’il a d’excellent. L’EMPEREvR. Mon Gentilhomme, ie cognoy que vous auez de lavaleur & de l’induſtrie à de ſtourner les braueries des Dames par voſtre ga lanterie, par laquelle meſmes vous leur releuez le cœur : acheuez enſemble, Celà dit, l’Empereur ſortit pour aller vn peu prédrel’aer, il prit le che min du grand Palais, & y fut conduit par la† ſeptentrionale, voulant entreril vid ceſte ſenté celatine eſcrite en lettre d’or, Optimum Philo ſophari, melius viucre. Cecy, dit-il, n’eſt pas mis là ſans cauſe.Mais l’examinant il faut que i’y pé ſe, de direil eſt treſ bon de Filoſopher, & tou tesfois qu’il eſt meilleur de viure. Qu’ya-il en la · vie de böſinö Filoſopherº Le plus ſage des Filo ſophes diſoit, que la Filoſophie eſtoit vne per petuelle meditatiö à la mort : cöme voulant di re que ceux qui Filoſophoiét eſtoient deſia ainſi que ſeparez de leurs corps, & partantiouyſlans du plaiſir que ſauourent abondamment les In telligéces ſuperieures, auecleſquelles on cómu nique librement, eſtit hors de ce corps.Celà

posé, ie penſerois contrarieté, diſant que le viure fuſt le meilleur. Il y a icy quelque choſe de caché Sarmedoxe. Sire, celuy qui a fait poſer ce ſymbole, n’auoit pas alors l’intention de la ſorte que vous la tournez, bien qu’il fuſt de voſtre opinion, qui eſt la meilleure, & veritable, mais il l’applique au ſiecle declarant, veritablement qu’il n’y a rien de ſi excellent aux mortels, que de Philoſopher, c’eſt à dire, rechercher curieuſement les cauſes & effets de nature, auoir ſon eſprit occupé aux douceurs des belles inuentions, l’addonner à vn ex cellent amour, pour celebrer heureuſement vne chaſte Maiſtreſſe, & s’amuſer ſainement à toutes nos belles delectations : Ouy il l’aſſeure, comme il eſt vray, que ceſte condition eſt treſbonne : Mais il adiouſte, que viure vaut mieux. C’eſt icy le point exquis, & le vray nœud, car par là il demonſtre le deuoir à chacun ſelon ſa qualité & vacation. Viure en ce monde eſt faire ſon deuoir : A ceux qui ont commandement ſur les hommes eſt de les regir, dreſſer & maintenir, & puis à cecy adiouſter les belles delectations : Aux autres viure eſt proprement auoir le moyen de paſſer ceſte vie auec honneſtes commoditez, leſquelles ayant on peut s’entremettre de ces gentilleſſes : Et ſi on ne les a point, il conuient apprendre les arts par le moyen deſquels on peut viure du ſien en toute douceur de vraye liberté, que ie definiray ſelon qu’il me ſouuient d’vn fragment de mes antiques meditations,

La liberté eſt à ſon deſir viure,
Et non contraint de ſoy les loix enſuiure
Suyuant touſiours de cœur la pieté.

En ceſte façon on peut ſe donner le beaucon tentement, car de penſer ſ’adonner à ces bel les gentilleſſes, que nous allons retraceans en ces lieux, & eſtre pauure, c’eſt multiplier ſa mi ſere, & s’engager mal à propos, en vn beaula byrinthe oùl’on ſe perdgayement. Il n’eſt donc pas ſeant ny bon, à ceux qui n’ont point du tout fait de fortune, ou n’en ont point d’acqui ſe ou delaiſſee, de venir en ces lieux pour s’yar reſter du tout. Et auſſi ceux qui le peuuent, ne doiué ; s’y addreſſer que pour y trouuer le moyé de ſe rendre plusaccomplis, car la decence veut bien qu’àl’vtile on meſle le † CO11 clure auec luy, poſſible que le plaiſir qui ſera trouué icy, eſt tel que le profit en eſt admirable à ceux qui rencontrent bien. L’Empereur ſatiſ fait de ceſte interpretation paſſa outre, & vid deux belles figures fort antiques, leſquelles on auoit apportees des Indes, du lieu meſmes où les anciens Gymnoſofiſtes habitoyent, l’vne · des figures eſtoit la repreſentation de Stridio lante & l’autre de Berioſtant, qui fut le fidele | amant de ceſte Dame abondante engrands mo yens, laquelle aymable entre les belles, luy por toit de l’affection, & toutesfois elle n’aymoit rien : ce qui eſtoit cauſe qu’il la recherchoit ſans eſpoir que de rencontre : La façon de ceſte Da me eſtoit fort agreable, auſſi eſtoit elle gracieu ſe pourueu qu’elle ne fut point contrainte, luy il eſtoit braue en affection, n’ayant autre mai ſtreſſe, qu’elle qu’il aymoit, ſans que ſa paſ ſion l’affligeat. Bien que toutes les Dames ſe parant, euſſent certain ſymbole de couleur affe ctionnee & choiſie auec deuiſe, ſi n’en auoitel le aucune, n’ayant point de particularité e11 ſa vie, qui peut teſmoigner qu’vn ſuiet luy fut plus gracieux qu’vn autre : ces deux fentray moyent ſans § ſans ialouſie, ils ne ſe vouloyent pas beaucoup de bien l’vn à l’au tre ; & toutesfois leurs cœurs eſtoyent ſi mu tuellement conioints d’amitié ſans amour, & de paſſion ſans eſmotion, qu’ils ne pouuoyent durer l’vn ſans l’autre, abſents ils eſtoyent enin quietude perpetuelle, preſens ilsn’auoyent# d’auantage de repos, & en l’vne ou l’autre ſor te n’eſtoyent ny bien ny mal, ils eſtoyent in ceſſamment triſtes & faſchez, en s’eſloignans, & ſ’approchans, ils ſe trouuoyent trop agittez, touſiours contans & ſans ceſſe en peine.Au recit de telles amours que lui racontoit la Fee ſçauante, l’Empereur eſtoit eſtonné, debatant en ſoy-meſme comme cela ſe pouuoit faire, † repenſant à ſa paſſion qui ſans intermiſſion ui † la guerre, il imaginoit que comme il reſentoit les diuerſitez de ſon cœur, les autres erceuoyent les emotions de leurs ames, ſelon † diſpoſition. En repaſſant vers la princi pale porte, alant & venant, il ſe trouua à l’en droit où eſtoit le tiltre I E R o T E R M 1 A, il ſ’y arreſta, & comme tout Amant penſe que tout ce qu’il rencontre ſoit à ſon occaſion, il ſ’in gina vnbon & bref ſuccés de ſesaffaires, & en

ceſte penſee retourna en la ſale de l’audience, ou il eut encor le plaiſir de quelques beaux di — ſcours. Vn peu deuant qu’il entrat, il veint vn | page de bonne graceparé degris, qui preſenta à la Souueraine vn † Elle penſoit que ce fut vne requeſte, & elle la reteint en ſa main, eſtant attentiue à la fin d’vne belle cauſe, & ce pendant le page ſ’eſcoula & ſ’en alla. L’Arreſt. ayant eſté prononcé, la Souueraine ouurit ce papier & voyant que c’eſtoit vne aſſemblee s de couplets, demanda celuy qui luy auoitbail lé ce papier, on mit peine de le trouuer, mais il n’y eut point de moyen, & pource que le ſu jet luy en ſembla bon, elle le bailla au maiſtre, des Chantres qui mit en muſique le premier º. verſet, à l’ordre duquel les autres ſeroyent chan tez : ce qu’il fit de bonne grace & prompte ment tandis qu’elle expedia quelque † cauſe. Si toſt qu’elle eut recognu que le Mai ſtre eut fait, elle fit ceſſer les plaidans, d’autant qu’elle vouloit donner à l’Empereur le plaiſir † auoit en plus de recommandation, & luy aire ouïr cétaer, expoſé par vn Amant qui n’a · point voulu eſtre cognu, & qui n’a pas declaré ſa Maiſtreſſe, comme quelques vns, leſquels ont fait nommer des Dames ou ont eſcrit leurs noms, les taxans ou d’ingratitude ou de manque. d’amour, & ne ſe declaroyent point. Cét A mant toutesfois & ſa Dame, ſont amplement decellés en la ſuite de ces memoires, qui ne ſou ſpirent queſon amour & la gloire de labelle, qui cauſe ſes paſſions & ces §. Mais oyons auecl’Empereur cét aer.

Mon cœur ne ſera plus eſlongné de regret, — Ma vie de douleur, mon ame de detreſſe, : Mais en me deſolant en mon depit ſecret, Mon ennuy ne ſera cognu qu’à ma maiſtreſſe. #Belle vous ſcauiez bien qu’à vous ſeule obligé, Ie ne reſpirois rien que voſtre ſeul ſeruice, Et que mon humble cœurpar l’amour affligé Se bruſloit à vos yeux en humble ſacrifice. c’eſt fait ie ne puis plus, & ne veux eſperer, Car vous auez conceu ſur moy quelque di ſgrace, — Quand encor ie voudrois touſiours perſeuerer, Tout ce que i’ay d’eſpoirpar vos deſdains s’ef face. Puis que vou vous plaiſeX : à deſtourner le bien, Que ieme propoſois en vous faiſant ſeruice, Ie demeure confus, ie n’eſpere plus rien, Car vous Youlez qu’ainſi mon bien s’anean tiſſe. — — ſ2uelque inhumain diſcours vous a mis dans le C0º}4 ? ° Le dédain trop cruel dont vous perdez ma vie, Iel’ay bien recognu par la changeante humeur • Qui depuis quelque temps a veſtre ame enua — hie. He bien dedaignez moyſansl’auoirmerité, Si aare K vou regret quelquefois demapeine, Et puis en vous blaſmant de ceſte legerté,’Oous me direz fidele & nous trop inhumaine. je meſuis conſacré à vos perfections, ſOous croyant la parfaite entre toutes les Da mes, 44ai vous voyant changeante en vos affections,

I’eſtouffe ded, m, moy, pour iamais toutesflames Ieme fay plus d’eſtat des pames ny d’amour, Tuis que ieſuis fraudépar vne ameſ belle, Prenant le deſeſpoir adieu ie dis au iour, Pour entrer és ennuis d’vne nuict eternelle. Ie ne lairraypourtant Belle à vous faire voir, Les deſſeins unſacrez à voſtre grand merite, e_ZMais ſi toſt que i’auray accompli ce deuoir,. j’iray ſuyure l’erreur de moname depite..’Belle ſouuenez vous qu’il ne faut pas oſter Le bon heur concedé à vn cœur magnanime, vne ame de valleur qui ſe voidmal traitter, º A contraires deſſeins à la parfin s’anime, je ſcsy que vous direz que vounyperdrez rien, — Et que j’en auray ſeul, & la perte, & la honte, Mais vous diſant adieu, ma Belle ie ſcay bien, Qu’en fin vous en Yiendrez à l’Amour rendre conte. — — — Seule vous cognoiſtrez mon dernier deſplaiſir, eAinſi que ſeule auſſi vous ſcauez ma penſée, famais autre que voiu n’entendra mon deſir, Ni les derniers regrets de moname offencee. Lors que ie vous ay veue à ces dernieres fois, · j’ay recognu l’effait de voſtre humeur mua 6,… — A voir voſtre façon ie vous importunois, On cognoiſt aiſément ce qui eſt agreable. Et bien iamais auſſi ie n’y retourneray, — | Mapreſence iamais ne vous ſera faſcheuſe, Ieſuis tout de reſpect, ie me diſpoſeray JA ce qu’apropºſé voſtre humeur dedaigneuſe. Puis que vous aue Kfaitſ peu d’eſtat demoy, gue vous m’auez fruſtré d’vne douce promeſſe,

Eſtoufant en mon cœur, mes amours, & ma foy,
Pour ne plus y penſer : adieu Belle maiſtreſſe.

Durant que ceſte Muſique ſe dilatoit des leures ſur les oreilles ententiues, il entra vn enfant d’honneur qui veint auertir les Princes, que Platineſte gouuernante des enfans de Quimalee les demandoit. Ils ſortirent incontinent, laiſſans le bon homme Sarmedoxe pres de l’Empereur, & vindrent receuoir auec tout honneur ceſte Dame, qui en receut vn ſingulier contentement, ils la firent bien & commodément loger aupres d’Olocliree. Les Princes ſceurent par Platineſte, que les vaiſſeaux de Sobare & de Quimalee eſtoyent arriuez, & qu’en ioye & ſanté la Royne de Sobare & la Princeſſe de Quimalee, ſe repoſoyent à Tanette auec leur compaignie, attendans de leurs nouuelles, qu’ils y porterent eux-meſmes : Car auſſitoſt ils monterent à cheual, & veindrent au deuant des Dames en magnifique apparat pour les receuoir, & conduire aux palais qui leur eſtoyent preparez : cependant Sarmedoxe & le reſte de la court deſtinee pres de l’Empereur, l’entreteindrent le reſte de ce iour, puis le conduirent au Palais où ſon ſouper & coucher eſtoyent appreſtez.

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DESSEIN SEIZIESME.


Amours chaſtes de Gifeol & Aderite. L’Entrepriſe de la Tyranne Garonince, pour bailler Aderite à ſon fils qui en deueint amoureux. Comme les chaſtes Amans voyoient en la lune. Les trois queſtions difficiles expoſees par Gifeol. Le criſtal merueilleux, par le moyen duquel Gifeol ſurprend Garonince, luy fait ſon proces, & eſt fait Roy.



LE beau iour ſ’eſtoit emparé du deſſus de la terre, & tout rioit aux Amans, quand le Palais de Saturne fut ouuert, où l’Empereur entrant ne trouua perſonne : car le peuple auoit eſté retenu au paruis, le Conſeil & ceux que la Souueraine auoit choiſis pour eſtre participans de ce qu’il ne faut communiquer à tout le monde, entrerent auec l’Empereur, qui ce iour eſtoit accouſtré d’vn veſtement de gris, orné de brun, ſelon quoy la court eſtoit paree ſuyuant l’ordonnance. Ce monarque eſtant entré, fit vn tour ou deux en la ſale, conſiderant ça & là ce qu’il pourroit remarquer, & ſur tout il ſ’arreſta à vn rideau gris, qu’vn peu apres vne Nymfe tira, & alors parut ce qu’il auoit caché, qui eſtoit la figure d’vne hiſtoire de conſequence, alors la Souueraine pria ſa majeſté de prendre ſa place, & puis elle & les Conſeillers & aſſiſtans ſe mirent en leur · rang Ainſi qu’elle diſpoſoit les affaires & que le doux murmure desSages ſe delectans à l’at tente de ce dont il y auoit diſcours meu, n’a— uoit pas encore ceddé au ſilence qui s’eſtabliſ ſoit peu à peu, en ce lieu, l’Empereur eſplu choit fort curieuſement auec les yeux les beau tez des figures, & les diuerſitez des belles in. uentions des enrichiſſemens qui les decoroyent, & comme tout eſtoit paiſible, il ſ’adreſſà à la Souueraine, la priant, que deuant qu’on appel laſt les Amans, qu’elle voulut raſſaſier quel que peu ſon eſprit, de l’apetit que ſes yeux luy auoyent cauſé, par l’obiet de cét ouurage, dont il ne pouuoit rien remarquer, parce que ſa ſou uenance ne luy pouuoit ſuggerer aucune hi ſtoire, à laquelle il peuſt adapter ceſte peintu : re, ny diſcours qui peuſt eſtre remarqué, à ce que l’imagier auoit deſigné en ces ordonnan ces tant bien obſeruees.Eſpris releuez quin’eſ pargnez rien, ne penſez pas que cét Empe reur ne ſache parler proprement, ayant dit de peinture, oùily a de la ſculpture, il a ainſi vſé de-ce terme à cauſe des couleurs qui ſont repaſ ſees par deſſus les figures, & cependant auiſez au reſte, car ſi vous † y ait de l’im proprieté en quelque terme, vous le racouſtrez ſi voſtre conſideration eſt equitable, & que vous ayez de l’amitié plus que de ſeuerité. La Souueraine ſe delectant au plaiſir de l’Empe reur luy ſatisfit ainſi : Sire, ce qui eſt deuant vos yeux, eſt nouueau à ceux qui ne ſont point de l’ordre des Orthofiles, & encor plus à ceux qui ne frequentent point les curieux Amans de Xyrile, les paroles vous remettent au chemin dont poſſible vous eſtiez egaré, allant par imagination loing de ce que vous preſentoit cet obiect : Or puis que vous y eſtes, ie vous di ray, que les curieux ont touſiours fait vn cas ex † ce qui concerne leurs bellesintentions, auſquelles ſi quelqu’vn paruenoit il eſtoit en eſtime exquiſe, & propoſé comme patron que les ſages doiuent ſuyure, & on en faiſoit mentiö ſpecieuſe, afin que les beaux eſprits fuſſent ſti mulez & inſtruits pour auec beau labeur parue nir à la parfaicte gloire. Et là deſſus les Princes entre les rechercheurs ayans cognu la verité en firent enleuer le ſymbole ſous les figures de ce, bel homme & de ceſte Dame accomplie, qui ſont Gifeol & Aderite, parfaicts en condition & · amour, & auſquels le ciel l’auoit promis, d’au tant que leurs noms ſont meſlez l’vn en l’autre, & par vnart ſi fort qu’ayās eſté dits tels, ils n’ont † qu’ils n’ayenteſtél’vn à l’autre, leur deſtinee es ayant auant coup entrelaſſez fatalement, & tant vntment qu’ils n’euſſent peu eſtre parfaicts ſans leur mutuelle communion, qui les rend le leuain d’excellence : Ils ſont enfans de deux ſa ges & notables Vieillards, Melonde & Viruleus, qui de leurs femmes legitimes entre autres enfans, ont procreé ces deux comme le tri de leurs genitures.Ces deux ſages à cauſe de leur ancienne amitié, deſirans faire vne nouuelle alliance, ſ’auiſerent que ces ieunes gens en eſtoient le vrai moyen, pour à quoy paruenir ºmeſme conſeil, ils mirent ce beau fils & ceſte deſirable fille auec la ſage Arulante, qui les eſleua & enſeigna treſſoigneuſement, & ſi bien qu’ils furēt accomplis en tout ce dont leurs eſprits eſtoient capables : la belle Aderite fut premiere retiree d’auec ſa maiſtreſſe, & vn peu apres Gifeol fut enuoyé à la Court, & aux païs diuers pour ſe façonner, & cependant ayant la frequentation des Dames, il ſe mit deuant les yeux par la memoire de ſa premiere conuerſation les graces d’Aderite, auec laquelleil auoit veſcu en tāt de douceur, qu’object aucun ne luy ſembloit pouuoir apporter tāt de contentement que le penſer de ceſtuy-là, ce qu’il imprima ſi viuement en ſa memoire, que la belle deuint toute preſente à ſon cœur, & ſ’en affectionna tant, qu’il ſe laiſſa gouuerner à la douce paſſion qui naſquit de ceſte deſirable en penſee : Il eſt vray qu’au commencement & durant leur commune demeure, il auoit de l’amitié pour la belle ; mais la pointe d’Amour n’y eſtoit pas comme maintenant, que ceſte affection ſ’eſt tranſmuee en paſſion amoureuſe. Si l’amour trauailloit ſur le courage de Gifeol, il ne faiſoit pas moins en l’ame d’Aderite, qui eut les meſmes deſirs pour celuy qu’elle auoit eſleu Prince de ſes pēſees, & en ceſte ſeparation tous deux ſouffroient les angoiſſes que cauſoit leur importun eſlongnement. Gifeol ſe ſouuenoit des petits propos qu’enfant il auoit ouy dire aux vieillards de la future conionction de leurs enfans, ce qui luy mettoit plus fort les pointes d’Amour au cœur : Voila comment l’enfance garde les fortes repreſentations, & la memoire les cōſerue pour les offrir auec plaiſir au iugement, quand le téps ſ’y addonne : Cela fait que Gifeol ſe ſent plus ou tré, & puis les perfections de ſon ſuiet l’indui ſent auec ce qui ſ’eſtoit innocemment paſſé en tr’eux tant agreable, durant leur fidelle & plus mignonne hantiſe, tellement que ſon amour de uint meſlé d’impatience, accompagné de tant de regret & deſplaiſir ſuiuis de pudiques deſirs, qu’il ne peut plus durer, & n’eut eſté que le de uoir & l’obeiſſance luy ſerroient la bride, il eut, bien accourci ſon voyage. Il ſ’affligeoit patien, tant ; car il n’oſoit aller voir la ſource de ſavie, ſans auoir congé ou iuſte occaſion de repaſſer au — païs. A la fin comme ſa douleur le preſſoit l’A— · mour qui eut pitié de lui, luy ſuggera vn belauis, ſuyuant lequeiil fit ſçauoir à la Dame Arulante l’eſtat de ſon eſprit : Elle qui ſçauoitl’intention des bonnes gens & auoit nourri ces beaux ſur jons en l’attente du bien qui leur eſtoit deſtiné, & voyant labelle qu’elle auoit ſi cherement eſ leuee, luy mander par fois de petites recommen dations, qui ſembloient tendre au meſme but, ſ’auiſa qu’il falioity pouruoit.Parquoy trouuant les deux bons vieillards à propos, leur fit auoir ſouuenance de leur parole dite longtemps ya uoit, touchant l’aliance de leurs beaux enfans, &leur repreſentant leur deliberation les reſiouit fort, & pour luy teſmoigner l’aiſe qu’ils en auoient, la prierent d’en prendre toute charge, & luy donnerent tout pouuoir d’en diſpoſer, la \ coniurât d’accomplir le tout lors qu’elle le trou—. ueroit bon, ſ’exeuſans à elle de ce qu’ils ne ſ’en eſtoient reſolus par effect, l’occaſion eſtant que leurs grandes occupations les diuertiſſoient, & encor ſur tout l’affaire qu’ils auoient entrepriſe pour le bien des peuples qu’ils gouuernent, durant laquelle ils ne pourroient aſſiſter particulierement à ce faict qu’ils luy commettoient. Et de faict ils n’eurent pas pluſtoſt reſiné ce deuoir à Arulante qu’ils partirent pour aller à leur grand voyage, qui dure vne reuolution entiere moins quelques minutes, & ils deſiroiēt que durāt leur occupation ce mariage fuſt accomply, de peur de retardement, durant lequel leurs enfans euſſent trop paſſé de ceſte belle fleur dont naiſſent les amours. Arulante ayant tout pouuoir, manda l’vn & l’autre de ces beaux enfans, qui venus chez la bonne mere, receurent le mutuel contentement que deſirent les courages aymans, participans aux reciproques delices qu’ils ſ’entre-communiquoient par leur preſence tant deſiree. Ces Amans heureux en leur rencontre, & ſouhaittans le bien parfaict qui eſt d’eſtre legitimement vnis, n’attendoient pour leur entiere felicité que le iour ordonné par la ſage Dame & leurs amis, afin de celebrer la ceremonie de leurs nopces : Ce qu’attendans ils viuoient auec la modeſtie & le reſpect que le chaſte amour engendre és cœurs d’honneur. Les fiançailles de ces deux belles perſonnes ayans eſté faictes auec l’ordonnance & magnificence accouſtumee, le bruit courut par tout de leur exquiſe beauté, perfection & apparence, que l’on diuulgoit comme vn nouueau miracle. En ce temps-là vſurpoit le Royaume la Tyranne Garonince, qui rude, forte, orgueilleuſe, & puiſſante Amaſone, par audace & fortune ſubiugoit auſſi toutes les terres d’enuiron. Elle ayant ouy le recit que l’on faiſoit des perfections de ces amans voulut les voir, & pour cet effect les enuoya querir, & ils luy furentamenez. Ceſte Royne fort eſiouye de la preſence de deux ſi beaux obiects, commanda reſte du ioury fuſt paſſé en eſbats & böne chere. Le fils de la Royne qui eſperoit ſ’aſſeoir ſur le throſne de ce Royaume apres elle, ayant veu la belle fiancee s’en rendit ſi paſſióné d’amour, que ſon cœur eſmeu & tout outré cuidoit perir d’im patience. Il ſortit du bal, va entretenir ſes pen ſees, mais ſon mal augmentoit, ſi que trop eſ poinçöné de ſon deſir ne ſceut autre remede que de s’en deſcouurir à ſa mere qui eſtoit en ſon ca binet paſſant ſur quelques affaires : il vint l’y trouuer, elle quileua lesyeux l’auiſant fort pen ſif, luy dit : Qu’auez-vous Halicambe ? Madame, dit-il, ie ſuis en peine pour ceſte belle Aderite, car ie penſe que ie ne pourray viure ſi ie ne l’ay, & m’eſt aduis que bien que ſon fiancé ſoit beau, ſi ne merite-il pas de l’auoir, eſtant ceſte belle digne d’vn Prince. GAR oN 1N c E. N’y a-il que cela qui t’ennuye ? ne t’atriſte point, tu l’au ras à ton plaiſir. Incontinent elle ſortit de ſon cabinet, & vint en la ſale du bal, où elle s’arreſta vn peu, puis prenant la fiancee la mignarda vn †, & l’emmena en ſa chambre, où eſtant elle’a tira pres de ſoy, & luy dit : Mamie, vous eſtes ſi belle que i’ay pitié de vous, que vous n’eſtes donnee à vn homme de plus grand’ſorte & me—. rite que celuy que vous penſez eſpouſer ; I’ay auiſé pour vous, qu’il vaut mieux que vous ſoyez colloquee en meilleur lieu, ie vous veux donner à mon fils, & cela ſera bien plus ſortable & profi table pour vous : car par ce moyen vous ſerez Royne de ce pays. Auſſi apres vos nopcesie de clareray mon fils Roy, pource que ie me veux repoſer, & ainſiie vous laiſſeray les affaires entre les mains. Aderite auoit le cœur ſi parfait, que quand ſon cher Gifeol euſt eſté le moindre du monde, elle ne l’eut voulu quitter pour le plus grand Monarque de la terre, & puis ſachant bien que ſans eſpouſer Halilambe, elle ſeroit vn iour Royne du pays, ce que laTyrâne ne ſçauoit pas : car cela luy eſtoit incognu, pour autant que la Dame Arulante auoit cellé la race de Gifeol, qui eſtoit vray heritier de ce Royaume, comme auſſi en eſtoit heritiere Aderite à cauſe de leur grand ayeul qui en fut Roy, & qui laiſſa deux enfans ſeulement, dont l’aiſné fut Roy & ceux qui de ſcendirér de luy iuſques à vne fille heritiere, qui fnt mere de Gifeol, & pource qu’elle eſtoit fille, la mere d’Aderite entra en la moitié de l’herita ge, tellement que ces deux eſtoient les vrais, auſ quels appartenoit ce Royaumc que Garonince auoit occupé durant que les bonnes gens pen ſoient à leurs autres plus grands royaumes. Ade rite oyant la Tyranne ſentit vn grand trouble en ſon cœur, & ſi elle euſt peu executer l’effect du depit qu’elle en couuoit, elle l’euſt bien fait pa roiſtre toutefo s ſe deguiſant par vne belle diſſi mulation, cedât à la force luy dit : Madame, vous me ſurprenez ſi ſoudain, que ie ne puis cöprédre lg grand benh-ur que vousmt faites. Garonin. Il faut eſtre reſoluë à ſon bien, il vous conuient eſpouſer le Prince m6 fils, & afin † vous ſoyez ſans excuſe, ie feray trancher la teſte à Gifeole, à ce qu’il n’y ait rien qui vous nuiſe, & que ſoyez quitte de voſtre promeſſe ſi vous en faictes ſcru pule-ADERI. Madame, vous auez tout pouuoir, auſſi vous eſtes treſböne & ſage, parquoyie vous prie de m’ouir vn peu, ie ſçay que mon humilité vous contentera, & que quâd vous aurez ouy ce que ie vous veux propoſer que vo*l’aurez agrea, ble : le reſſens & conçoy † bien que voſtre bonté m’offre, & deſire ſous voſtre bon plaiſir vous obeir en toute reuerence auec honneur : mais afin que les mauuaiſes langues n’ayët occa ſion de me calomnier en blaſmāt voſtre maieſté, ie vous prie de m’entêdre au moyen que ie pour ray trouuer pour me rendre agreable à mon Sei gneur, & qu’à ceſte fini’aye congé de m’ouurir à vous. GARo.Dites ma fille, vous me faites plaiſir de parler ainſi. ADERITE.Vous ſçauez, Madame, qu’il n’y a pas moien à vn cœur cóme eſt le mien. qui ne ſçait que c’eſt de grandeurs, d’oublier ſi toſt ſa petite condition, & quitter vn amour où i’auois poſé mon ſouuerain bien, n’ayant aucune penſee à la grande fortune qui me rit. Si tout d’vn coup animee de la magnificence qui m’eſt preparee, ievenoistrop glorieuſe de mon bien, à mettre ſous pieds ce qui m’a eſté ſi cher. Mon ſeigneur qui eſt l’vnique en beau iugemét, auroit poſſible mauuaiſe opinion de moy, & croyroit ue la cupidité d’honneur auroit plusde pouuoir ur moy, que le defir de deuoir & d’amitié, & me tiendroit pour vn petit eſprit, emerillonné apres l’inconſtance & la commodité, & que ſans con ſideration ie luy concederois ce qu’il deſire par raiſon. Parquoy ſous voſtre meilleur auis, Ma dame, il ne ſeroit pas mauuais que fiſſiez com mandement à Gifeol de ſe deporter de la recher che qu’il fait de ma perſonne, & que vous vou lez, comme noſtre ſouueraine & vnique Dame, me prouuoir à voſtre plaiſir & à mon contente ment, luy remonſtrant qu’il a eu tort de m’auoir pourſuyuie ſans voſtre congé. Ce que toutefois vous luy pardonnez eu eſgard à ſa ieuneſſe. Et cependant vous me retiendrez, & ie demeure ray pres de vous pour me façonner, à ce que ie ſois à la fin agreable à Monſeigneur. En outre, Madame, ie vous requiers d’vn don, c’eſt qu’il vous plaiſe pour me recreer de me donner pour logis le petit palais du iardin du donjon, oùie ſe ray quelques iours auec ma ſeruante pour mere duire à oublier ce qu’il faut que ie laiſſe pour par uenir au grand heur que voſtre maieſté m’or—. donne : auſſi bien à ceſte heure Monſeigneur n’auroit de moy qu’vn triſte plaiſir, au lieu du quel auec le temps il pourra cueillir en toute douceur la fleur agreable qui eſt plus gracieuſe eſtant conquiſe par amitié, que rauie par force. GA R o N 1 N c E. Ie trouue bon tout ce que vous dites, ma fille ; mais que feray-ie de ce beau fiancé ? ADERITE. Madame, vous ſçauez qu’on a pitié de ce qu’on a aimé, ie vous fupplie pour l’amour de moy, apres l’auoir auerty de voſtre volonté & de ma reſolution, de luy commander de ſe retiier chez luy. La Royne approuuant tºut cela, manda à Gifeol qu’il vint parler à elle : Eſtant en ſa preſence elle le tança fort de ſa preſomption, d’auoir oſé rechercher Aderite ſans luy demander congé, & adiouſtant plu ſieurs faſcheux propos & circonſtances, luy fit commandement de ſe retirer en ſa maiſon, ſe comportant ſagement, & que ſelon ſa diſcre tion qu’elle le pouruoiroit vn iour auec quel qu’vne des dames de ſa court. Cependant que la Royne luy diſoit ces faſcheuſes nouuelles, ſa fiancee luy faiſoit vn ſigne † ne peut enten dre, tantil ſentoit de trouble & d’affliction, & en ceſte amertume de courage dit à Garonince : I’ayme pluſtoſtmourir que d’encourir ce mal heur ! Vous auez puiſſance ſur nos corps, mais nos eſprits ſont libres, & noſtre foy tant ſaincte qu’elle ne peut ſouffrir d’iniure. Ie vous ſup plie de n’vſer point de violence ſur nous en me rauiſſant mon eſpouſe. Il vouloit continuer, que la Royne commanda au Capitaine de ſes gardes de le mener incontinent priſonnier en la Tour Valerne. O hô, dit-elle, ie voulois vous gratifier, & vous ne le pouuez endurer, & ſi vous m’iniuriez, ie vous feray ſentir l’outra ge que vous me faictes, & voſtre teſte en pour ra bien reſpondre. Auſſi toſt il fut mené, & Garonince aſſembla le Conſeil des Thebees, qui apresauoir entendu & conſideré le vouloir de la Royne, & ce qu’elle raconta de l’aduis d’Aderite, fut auec elle d’opinion de laiſſer Gifeol en priſon pour ſe recognoiſtre, & qu’el le accordaſt à labelle ce qu’elle auoit demandé à ſa maieſté. Tout cela ſuyui, & les Amans ainſi ſeparez, la belle ſe contriſta extremement, & ſur tout à cauſe de le priſon de ſon cher eſpoux, qui ſans ceſte incómodité l’eut peu tirer du lieu qu’elle auoit eſleu, &quiluy eſtoit accordé : mais il n’auoit pas pris garde à ſon ſignal. Or de bon heur la lune eſtoit pleine, dont l’vn & l’autre ſ’a— uiſerent, & poſſible leur b6 Angelesauertiſſoit de ce qui leur eſtoit propre. Il eſt ainſi que de puis leur retour chez Arulante, ils auoient apris d’elle vn merueilleux ſecret, qui eſt que par le moyen d’vne bague qu’ils auoiét chacun la ſien ne, ils pouuoient la preſentant à la lune, voir ce qu’ils deſireroient des aétions l’vn de l’autre. La nuict venuë Aderite eſtant au palais du iardin du donjon, enuironné de grâds foſſez & murailles, ſe mit à la feneſtre comme pour prendre vn peu d’air, & oppoſant ſa bague à la lune clairrayan te, la tourna & vira tant qu’elle auiſa ſon deſiré Gifeol, qui tout triſte eſtoit à vne grille renfor cee, entretenant ſes penſees à l’air, alors elle fit briller ſa bague ſur ſes yeux dont il ſ’apperceut : parquoy il regarda en la lune qui luy monſtra ſa maiſtreſſe dans le palais du iardin, ce qui le con ſolainfiniment, & ſur tont venant d’elle, qui l’a— uoit ainſi recherché, & comme il penſoit & deſia conſideroit attentiuement pour commu niquer auec ſa vie, le cruel geolier vint le faire retirer pour l’enfermer. Ceſte male-auanture fraudale deſſein d’Aderite, coup preſques inſu Portable, & qui feroit, peu ſ’en faudroit, trou bler le plus ſage eſprit. Ces pauures amans ſont contraints de ſe retirer, auec l’amertume de leur #iſte condition, bien autre que celle qu’ils ſ’e— ſtoient promiſe. Le lendemain Garonince eſtant ſur le poinct de demander nouuelles des deportemens de Gifeol & d’Aderite, voicy qu’il arriua vn Ambaſſadeur de la part de Tor cinde Royne des Hibaletes : Ceſte Royne en uoyoit à la Tyranne ſon couſin le Prince Lido ce, accompagné de pluſieurs autres Princes, Seigneurs, Gentil-hommes & autres du païs, Garonince les receut magnifiquement, pro mettant bien toſt audience à l’Ambaſſadeur. Pour cet effect elle aſſembla le Conſeil gene · ral des Melſes, dont l’auis fut que ceſt Ambaſ ſadeur fuſt deſpeché au pluſtoſt, ils craignoient le ſeiour de ces perſonnages, au moyen duquel ils euſſent cognu la foibleſſe du païs, & l’inſu fiſance & peu de prudence de la Royne, auec pluſieurs autres defaux, propoſant toutesfois certaines bonnes conſiderations. Il eſt vray que la plus part de ces Conſeillers, & les plus ſages euſſent bien voulu que quelque Monar que euſt chaſſé ceſte Tyranne, non pourtant ſi toſt à cauſe dugrand profit qu’ils § 2UlCC elle, & qu’ils euſſent voulu eſtre bien richesa uant ce changement. C’eſtoit aux grandsiours parquoy on donna à l’Ambaſſadeur les plaiſirs des beaux lieux de plaiſance de la Royne, & luy fut dit que le lendemain à dix heures du matin il auroit audience.’Cet affaire fut cauſe que Gifeol demeura reſſerré en la chambre interieure, ſi que la nuict il n’eut pas moyen d’auiſer auec ſa chere Dame, à laquelle ce fut auſſi vn grand ennuy. Le iour venu que le Prince Lidoce fut introduit deuant Garonince. ſcante en ſon lict de maieſté, il luy fit entendre que la Roine Torcinde ſa ſouueraine dame, Monarque des Hibaletes, la prioit de luy reſti tuer les prouinces de Triſcouie, que pour la pluſpart elle auoit vſurpees durant ſon abſen ce, Et pource que poſſible ceſte demande ſem bleroit mauuaiſe, afin d’en oſter l’opinion, elle luy mandoit qu’au lieu de les requerir, qu’elle eſtoit toute preſte de ſ’en deſiſter, moyennant vne belle condition qu’elle luy propoſoit : C’eſt † trois dou tes qu’elle luy preſenteroit, & ſi elle les luy fai ſoit declarer, que iamais ne luy tiendroit pro pos de rauoir ſes terres : au contraire elle & les prouinces demeureroient en l’eſtat qu’elles eſtoient, & bonnes amies, ſinon qu’elle perſi ſtoit en ſa premiere demande. La Royne fit reſponce, que tout ce qu’elle poſſedoit, luyap partenoit de droict ; & que ſi la Royne Torcin de le vouloit debatre qu’elle eſtoit preſte & l’at tendroit pour en faire leiugement par l’euene ment des armes, Et toutesfois pour nourrir paix, qu’il baillaſt ſes queſtions, & qu’elle les luy feroit expoſer dans le lendemain. L’Am · baſſadeur ſe contentant de ceſte reſponſe, miſt és mains de Garonince le billet ſeellé du ſeau de Torcinde, où eſtoient eſcrites les trois doutes que la Tyranne receut. Le Conſeil leué, les eſtrangers feſtoyez, la Royne auiſant à ſes affai res, ouurit le pacquet, apres la lecture duquel, elle ſe diſpoſa plusà bien frapper qu’à eſplucher les ſecrets en ce trouble, pour vn peu ſe diuertir elle voulut aller où eſtoit Aderite, àlaquelle elle raconta ce qui ſ’eſtoit paſſé touchant les affaires de Torcinde, & luy monſtra les doutes : Elle qui vid que cecy eſtoit vn acheminement à ſon bien, vſa fort accortement de ſon eſprit en ce deſſein : & par diſcours appropriez prudemmët, fit entendre à la Royne que Gifeolles ſoudroit promptement, dont elle ſ’aſſeuroit pourueu qu’elle luy donnaſt liberté.Garonince qui auoit crainte de ce qui luy pouuoit auenir, entendoit à ce conſeil : ioint qu’elle ſçauoit que Torcinde eſtoit accorte, ſage, riche & puiſſante de cöſeil, de force & d’amis.Parquoy ayant aſſez conferé en ſon cœur le dire d’Aderite, ſ’en alla en inten tion de le faire : Dés l’heure elle manda que l’on luy fiſt venir Gifeol, eſtant deuant elle, elle luy monſtrales doutes, & luy promit ſa liberté s’il les expliquoit. Il eut de la prudence, & luy demanda le reſte du iour pour y auiſer, & que le lendemain à telle heure qu’il plairoit à ſa ma ieſté qu’illes declareroit : pour ce faire la ſupplia qu’il eut liberté en ſa chambre, ce qu’elle luyac corda, & le renuoya en la tour en la belle châbre où il eut le loiſir & la cômodité qu’il pretédoit. Le ſoir venu il pritl’opportunité devoir la lune, qui ſembloit par ſa belle clarté le fauoriſer, & il eut moyen de conferer auec ſa maiſtreſſe, & luy faire entendre ce qui ſe paſſoit : Elle qui eſperoit qu’il ſortiroit, luy m6ſtral’endroit où elle auoit ſerré le criſtal merueilleux.Mais cependât qu’ils ſ’entretiendront, il ſera bon de nous eſclaircir de ce ioyau tant renommé : Ce criſtal eſt long de treize pouces, ayant vn bout comme vn petit globe, & l’autre ainſi qu’vn cube, le milieu eſtant en cylindre droit & vni : dans le globe eſt la liqueur tres-belle & magnetique, qui ſ'y retire touſiours quädle criſtaleſt couché, que ſi on le tient droict ſur le globe, la liqueur monte ſoudain au cube, & ſi on tourne le cube à bas ſoudain la liqueur remonte. Ce ioyau eſt accomply de pluſieurs vertus & merueilles, en tre † il en a vne tres-exquiſe, c'eſt que ſi vne perſonne qui a la bague lunaire le tient à nud ſous ſon eſſaile enuiron vn quart d'heure, il rend vn effect terrible qui dure tren te heures, c'eſt qu'à vne toiſe à la ronde, il faict dormir profondement toutes les perſonnes & animaux qui ſont autour de la perſonne qui le tient, ſur laquelle il n'agiſt pas, car meſmes par ſon attouchement on eſt reueillé du ſommeil qui dure quarante heures, auec vn aſſopiſſemët violent. En outre preſentant à terre ce ioyau il # cauſe vne ouuerture qui ſe faiét de ſix pieds de aut, & de deux & demy de large, ſi qu'il ouure des conduits comme ceux des mines qui dur enr, tant que veut la perſonne qui ſ'en aide, & ſ'il auient que le train ſ'addonne à trauers vne riuie re, l'eaue demeurera autour de la voye comme ſi elle eſtoit gelee. Si la lune ne ſe fuſt point ſi toſt tournee nous euſſions euloiſir d'en dire da uantage: à ceſtinſtant les amans ſe retirerent.Le iour venu Gifeol manda à la Royne qu'il eſtoit preſtauec reſponces & demonſtrations conue nables; Alors la Royne enuoya versl'ambaſſa deur qui vint à dix heures du matin, comme il auoit eſté arreſté: Eſtant entré & tout preparé la Royne luy preſenta Gifeol ayant en main le cartel où eſtoient les doutes : l'ambaſſadeur en auoit ſa copie. Adonc l’ambaſſadeur diſt à Gi feol : Faictes moy voir ce que i’auray perdu de veuë, & ce ſans † de diſpoſition.Alors · Gifeol priſt vn eſcabeau, ſur lequel il poſa vn petit baſſin d’or, aſſez creux, ilauoit ſept pouces · de diametre, & le bord en auoit deux de haut, &, dans iceluy il miſt vne piece dargent monnoyé, · & tenant le tout vis à vis de Lidoce, luy demä da ſ’il voyoit la piece d’argent, ayant reſpondu qu’il la voyoit, Gifcol retira à ſoy l’eſcabeau tant que l’ambaſſadeur euſt perdu de veuë ceſt obiect d’argent, & luy diſt qu’il luy feroit voir ſans qu’il touchaſt aucunement à l’eſcabeau ny au bafſin, ny à la piece, accompliſſant en tout · les conditions de la propoſition. L’ambaſſadeur ne pouuoit voir la piece d’argent, car le bord du baſſin l’empeſchoit, alors Gifeol priſt vn vaſe · d’agate plein d’eauë & la verſa dans le baſſin, & adonques par les reflections que l’eauë cauſoit, l’ambaſſadeur vidla piece ſans changement de diſpoſition. L’A M B Ass A D E v R † moy en vn meſme temps trois ou pluſieurs re preſentations d’vn meſme obiect, par vn meſ me organe : Gifeol fiſt apporter le grand miroir de la Royne lequel eſtoit de criſtal eſpois & : beau, ayant la couche aſſez eſpoiſſe, l’ayant il le poſa perpendiculairement vis à vis de l’ambaſſa : deur & ayant pris vn flambeau allumé fiſtfer · mer les feneſtres, &poſa ce flambeau ſur la table de ſorte que l’Ambaſſadeur pouuoit en voir la · repreſentation dans le miroir, & ayſement y diſcerner comme trois flambeaux, ſans quelques autres petites apparences de l’ombre d’iceluy vn peu eſlongnees. L’Ambassadeur. En vn meſme temps par vne meſme cauſe, en vn meſme ſuiect, excitez trois effects tous differents & apparents. Gifeol ſe ſouriant dit, Les grands ſecrets ſont les plus aiſez, & les diſcours magnifiques couurent de petites choſes, puis il fit oſter le flambeau & ouurit les feneſtres. Auſſitoſt (car il auoit tout diſpoſé) l’Eſchançon entra auec les autres ſeruants ſuiuant le grand Maiſtre, le petit couuert fut dreſſé, & le bouillon de la Royne fut apporté & mis ſur la table. Gifeol dict à l’Ambaſſadeur : Ce boüillon eſt trop chaud, il faut le refroidir, adonc il verſa de l’eau froide dedans comme enuiron autant qu’eſtoit le tiers de ce que le plat contenoit, puis il dit : En meſme temps, qui eſt ores par meſme cauſe, qui eſt ceſte eauë de fontaine, en meſme ſuject qui eſt ce boüillon, ie fais quatre effects differens & apparens. Car le boüillon eſt refroidy, il eſt deſſalé, il eſt deſgreſſé, & multiplié. Ie croy que vous deuez eſtre contant de ces demonſtrations : & ſi iamais ie me trouue deuant voſtre Royne pour le ſujet qu’elle entend touchant la derniere doute, ie ſçay le moyen de luy en donner l’apparence de merite, mais ceſtecy ſuffit, iuſques à ce que ſ’il eſt beſoin ie vous face voir l’eau deſechee, coulouree, fixee, & enrichie. Et ſçachez par là, que ie peux vous contenter amplement à l’honneur de ma Royne, Cecy acheué Lidoce remercia la Royne, laquelle le fit traitter magnifiquement & cons duire par ces Princes : d’autant qu’il voulut deſ loger dés l’heure, ayant eu vne deſpeche qu’il ne # pas. Les adieux, remercimens, & autres ypocriſies honorables faites, l’Ambaſſadeur partit ſur les deux heures † midy ; & Garo nince ſatisfaite, prit Gifeol par la main, & le mit hors de la ſale, luy donnant congé d’aller où il’voudroit, cependant Lydoce ayant veu que ſon fait n’auoit pas retifly, ne ſçauoit qu’eſtimer, car il eſtoit venu en intentiö de declarer la guer re ſi on n’expliquoit ſes doutes, qu’il croyoit que nul ne pouuoit deſchifrer, auſſi n’y auoit-il que Gifeol qui le peut, dont Lydoce eſtoit eſtonné & § fortune, penſant qu’il fut de ſi peu de cœur qu’il ſe fut rangé auec Garonince, pour ſe fouſmettre à elle, & pour en eſtre eſclair ci & ſ’en douloir, il ſ’en alla repoſer chez la Da me Arulante, à laquelle parlant de ce qui ſ’eſtoit paſſé, il entendit la diſgraceauenue aux Amans, & ainſi qu’ils demenoyent ceſte affaire, Gifeol libre auoit pris le chemin pour gaigner le logis de ſa bonne Gouuernante, & yarriua à cét in ſtant, quifutaggreable pour le ſuccés aux vns & · aux autres, d’autant que Lydoce fut eſclarci de fon doute, & Gifeol mis en eſtat de faire ſes af faires. Car apres qu’ils eurent conferé enſemble, l’Ambaſſadeur luy promit des forces ſuffiſantes, ſ’il pouuoit ſe rendre maiſtre du chaſteau & de la Tyranne. Ce que Gifeol ayant dit pouuoir, il eut de Lydoce, promeſſe de troupes bonnes & afſeurees, à iournommé, promeſſes donnees, & lafoy iuree Lydoce paſſa outre, & Gifeol penſa pour ſes deſſeins, Garonince deliuree de ceſte auanture alla voir Aderite, à laquelle elle racöta tout, la remerciant de ſon bon conſeil, apres plu ſieurs deuis, & Garonince ayât encouragé label le d’acheuer ce qui eſtoit commencé, ſe retira, laiſſant Aderite pleine de ſoucy iuſques à l’apa réce de la lune, laquelle par ſa lueur luy promet tant de la conſolation, eſclatoit à plaiſir vers ce bel objet d’amour, adonc elle ſ’y rangea auec ſon anneau, & en meſme temps Gifeol qui n’auoit point perdu courage, ſ’y addreſſa & ils commu niquerent enſemble, & reſolurent qu’il ſe trou ueroit auec elle dans le quatrieſmeiour. Le bon Lydoce ne manquant à ſa promeſſe, haſta les troupes qui auoyenteſté †, CaT On ne penſoit pas eu’il y eut quelqu’vn qui peut expli quer les doutes pour Garonince, & ſans retarde ment faiſoit diligence, afin que l’affaire deGifeol reuſſit, lequel de ſon coſté ne demeura pas oifif. car incontinent il mit le criſtal en œuure, & fit tant qu’il alla où eſtoit ſa chere Dame, où il fut receu ſelon ſon cœur.Que ce leur fut à tous deux vn plaiſir exquis ! Il n’ya que vous Amans quile iugiez à droit.Sur le matin, du iour que les genſ d’armes des Hibaletes pouuoyent paroiſtre, Gi fcol prit le criſtal, le diſpoſant pour faire dormir tous ceux qui ſeroyent au climat de ſa domina tion, il prit le remede& en donnaà ſa Belle & à ſa ſeruante, puis enſemble ils allerent par tout le chaſteau, és corps de gardes, & lieux où ilyauoit des hömes, paſſerét par la chambre de Garonin ce, & partout où il y auoit quelqu’vn, & fit acca bler de ſommeil beſtes & gens, puis à ſon plaiſir il les lia & garotta tous, fermales chambres, em prisöna & enſerra tout ce qui eſtoit là à ſon plai ſir, puis mit ſur la porte du chaſteau le § gnu à Lydoce, & auſſitoſt ayant ouuert les por tes, & fait ceſler la force du Criſtal, introduit au dedans ceux quiluy pleut, leſquels entrans par tout ſe ſaiſirent des endormis : le chaſteau pris, Garonince ſaiſie, & ſon fils, les ſoldats furent de ſarmez, &mis hors excepté quelques mutins qui furent reſerrez. Le procés fut fait à Garonince, qui apres auoir veu executer ſon fils & ſes autres enfans, eut la teſte tranchee : En apres le peuple fut appellé † preſtale ſerment de fidelité, les Princes, les Seigneurs&gentils-hommes ioyeux de ſi bonne fortune vindrent ſe ſubmettre, & ayans tous recognu Gifeol & Aderite pour vrays & naturels heritiers, les reſtablirent en leur ro yaume, & leurs nopces furétacheuees en magni ficence, & lieſſe vniuerſelle : ces amans ayansre ceu la couronne, firent alliance irreuocableauec Torcinde, laquelle dure encor, meſmes leurs ſuc ceſſeurs ont égale domination és païs & royau mes de Triſcouie. De ces deux parfaits amans, ſont comme pluſieurs autres princes iſſus les monarques de Claura, dont vous auez ouy par ler autre fois, quand vous auez entendu di ſcourir des fortunes de Bafiſe, hantant chez Floride où communiquantauec Minerue.

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DESSEIN DIXSEPTIESME.


Louange du gris : le Plaidoyé de la Royne de Sobare contre Viuarambe : comparution de la Fee Epinoyſe & ſon abſolution. Amours de Serafiſe & de Conſtant : Fantaiſies d'A-mant differentes.



APres que la Souueraine eut acheué ſon diſcours & que l'Empereur euſt eſté ſatiſfait pour le ſujet de ceſte hiſtoire, le rideau fut retiré, puis les portes ouuertes pour donner entree aux Amans & aux curieux : Incontinēt pour le plaiſir de l'Empereur, le chœur des chantres fit ouir les accords de quelques accens aſſemblez en l'hōneur du gris, dont l'aer a eſté ſouſpiré par celui qui recognoiſfoit que Ierotermia contenoit le nom de ſa maiſtreſſe, en la faueur de laquelle il a priſé ceſte couleur.

Ie veux d'vn pas égal marcher auec la gloire,
Puis que le Ciel reſpond à mes intentions,
Car celle que i'honore, enfin aura memoire
De la fidelité de mes deuotions.
Je me predis cét heur par la belle apparence
Du beau deportement de la Royne des cœurs,
Joint que l'ame fidelle en ſa perſeuerance
De l'obiet honoré merite les faueurs.
Ma Belle ayme le gris,car ſon ame innocente
Se prepare touſiours aux effets d'equité,
Auſſi du gris heureux la couleur repreſente

Le droit en equité par iuſtice arreſté.
Les Sages anciens nourriçons de iuſtice,
S’aſſembleyent pour iuger ſur le bureau d’honneur,
Meſme auſſi le tapis de ce ſaint exercice
Retient ce nom, encor qu’il n’en ait la couleur.
Tout ce qui s’accomplit prend du gris la ſemblāce,
Suiuant ainſi l’arreſt de l’erernel deſtin,
Et le feu qui reduit à# toute ſubſtance,
Sous le gris de la cendre ameine tout à fin.
Amour qui n’eſt que feu exerce le ſemblable
Sur les ſuiets qui ſont de ſon gouuernement,
Uoila comme legris aux amans fauorable
Promet heureuſe fin à tout courage aymant.
Puis que ma Belle prendlegris pour ſa parure,
C’eſt ſigne qu’elle veut me traiter iuſtement,
Et que me conduiſant en ſi belle auanture,
Ie brusleray d’amourauec contentement.
La cendre de mon cœur cachant ſon eſteincelle,
Se renouuellera en vn cœur plus parfait,
Ainſi le beau Fœnix d’vne cendre eternelle,
Aux rais du feu diuin ſe deffait & refait.
Le gris de l’equité le ſymbole fidele,
Eſt l’vnique en beauté, carmadame en fait cas,
Il eſt Roy des couleurs puis qu’ilplaiſt à ma Belle
En iuger autrement c’eſt nel’entendrepas.
Or puis que l’equité conduit ceſte belle ame,
Retirez vous de moy la fortune & l’eſpoir,
Ie me conſommeray dans ma parfaite flame,
Seur de la recompenſe aquiſe à mon deuoir.

La muſique ayant ceſſé Gnoriſe veint en ſon ſiege, duquel vn peu apres elle ſe leua, & ſe tenant debout deuant l’Empereur, lui dit : Sire, nous auons commencé ceſte ſeance, par l’hymne dont le ſujet doit auoir lieu en voſtre cœur : Que donc l’équité y ſoit, pour quelque choſe que ce ſoit, d’autãt qu’il n’y a rien que ceſte vertu qui vous réde certain de voſtre bié, duquel nous ſommes aſſeurez, carl’Amour nous a promis que vous ne ſerez point fraudé de voſtre eſperāce : & toutes fois nous vous auertiſſons, qu’auãt que ce grand bié vo°auiene, ilvous cöuiétfaire paroiſtrevoſtre patiëce &iuſtice, qui ſe ferôt recognoiſtre par les tentations qui vous auiendront. Et bien que voſtreame ait eſté quelquefois confuſe, par les diuerſitez que l’amour yaſuggerees, ſi eſt ce que eſtant ce que vous eſtes, ayant la raiſon qui vous conduit, il eſt expedient que ce qui eſt ordonné par les ſtatuts de l’hermitage, eſchee, à ce qu’e— ſtant legitimement tenté, vous meritiez d’eſtre heureuſement ſatisfait. Ce qui vous a eſté pro mis par eſpoir, & poſſible § hazard, pour deſ tourner vos plus ennuyeuſes penſees, & chaſſer ceſte maligne humeur qui vous preſſoit, vous eſt auiourd’huy promis realement, & en iouïrez, ſi voſtre conſtāce demöſtre que vous en ſoyez ca pable. Auiſez donques à maintenir voſtre cœur & le rang que vous tenez icy, pour eſtre & per ſiſter tel que doit eſtre celui qui ſied ſur le tribu nal d’Amour, vous aurés peut eſtre quelques combats difficiles & des aſſauts extrémes : Auſſi des lieſſes abödantes & desioyes excellëtes vous attendent.Or, Sire, vous verrés & oirés des mer ueilles, cela dit, elle ſe raffit&auiſa le gouuerneur d’Amelie de faire entrer l’eſtranger qu’il auoit en charge.Etvous, ſe tournât vers Viuarābe, laiſſant ce lieu de Côſeiller, venez icy aurägde ceux qui ſont en cauſe, le ieune Prince rougit pour la douceur de l’emotion où il entroit, à cauſe de la presëce de ſa Royne, qui entrăteſclatoit en ceſte audience cöme vn beau Soleil.Le Prince ſe leuät fit la reueréce à l’Empereur, & ſe veint mettre au rang de ceux qui attëdentiugement. En meſme tëps, on vid paſſer la Belle eſtrangere qui futre cognue, & meſme de pluſieurs de ſes ſujets, qui eſtoyent venus à l’Anniuerſaire. C’eſtoit la belle Royne de Sobare, qui dönant vn petit clein d’œil à Viuarâbe lui alla querir l’ame iufques au fons du cœur, & le prenant par la main, le fit auancer deuātl’Empereur : pour le reſpect deu à ceſte grä de Royne, on la fit ſeoir en vne chaire royale qui luy eſtoit preparee, puis elle parla ainſi. Sire, le ſiege que vous tenez, & la iuſtice que ie vous de mande m’a fait laiſſer ma Souueraineté hors cét enclos, à ce que deſpoüillée de toute grandeur, fors de courage, ie vous demande raiſon d’vn tort que m’a fait ce Prince, qui cóme moy, pour l’intereſt d’amour, eſt ſouſmis à ceſteiuriſdictiö. Ilya certain temps que Viuarambe venant chez moy, fut receu humainement, tant de moy que de tous ceux de ma court, eſtant fort agreable aux Princes, Seigneurs, gétilshommes & autres. Eſtantainſi bien voulu, il ſceut tellement vſer de ſon bel artifice, & ſe preualoir de ſes agreables induſtries, auec leſquellesil practiqua mô eſprit curieux, & errât qu’ill’engagea à l’aymer, ie m’é trouué fort ſurpriſe : carie ne ſcauois encor quel le eſmotion eſtoit celle, quitant audacieuſement ſ’emparoit de latrâquillité de mö cœur.Or pour le plaiſir que i’y pris ne péſant pas à la conſequēce qui ſ’en deuoit enſuyure, ie n’y mis point d’ordre, ains m’y laiſſé emporter, tellemēt que ie me vi toute à vn eſtrāger, que ie ne cognoiſlois point bien que la beauté de sō bel eſprit me fut en grāde recommendation : Ie n’auois pas toute égaré ma raiſon, partant ie me mis à penſer ce qui m’eſtoit auenu, & ie trouué que poſſible ie me meſprenois & parauanture auſſi que non, ſi que i’eſtois en ſuſpens de ce que ie deuois reſoudre ; à la fin ie voulu mettre mon ame en repos, pour ce faire ie parlé à ce Prince, & le coniuré tant, que preſſé par ferment de me declarer ſa condition, ſon éſtre, & ſes parens : il me confeſſa qu’il eſtoit fils de Roy, ce qui fut cauſe que deſlors i’acheué d’abandonner mon cœur, à ſouffrir la recherche qu’il faiſoit de moy, pour obtenir mon amitié, & ſelon ſon deſir qui eſtoit le mien ie le receu, & l’amour deueint mutuel à la charge & condition qu’il ſeroit tenu & ſerré au chaſte ſecret de nos ames. Cependant il eſt auenu que cét Anniuerſaire eſtant publié, i’ay ſceu qu’il falloit que tous les vrays & pudiques amans y vinſſent, meſmes Viuarambe me fit ſcauoir ce qui en eſtoit, & depuis ſon abſence (car il ne demeura pas longtēps en mon Royaume) me fit entendre par lettres les ſtatuts & ordonnances qui ſont obſeruees és auantures qui ſ’acheuent icy ordinairement, & m’auertit des belles fortunes qui ſouuent y peuuent auenir, qui fut occaſion que ie me preparé pour venir icy pelerine, faire mō voyage d’amour : ayāt mis ordre à mō equipage ie me teins preſt & retardé mō embarquemēt, croyāt que celui qui faiſoit profeſſió d’eſtre à moy meviédroitquerir pour m’accôpagner à ce deuoir : en ces entrefai tesie ſçeu qu’il vous y conduiſoit, ce qui me fut vn grand deſplaiſir, d’autãt qu’il me deuoit plus qu’à vous, Sire, non que i’aye regret qu’il ayt apporté de la commodité à voſtre Maieſté, mais ource que ie ſuis offencée, attendu qu’il m’a § venir ſeule, comme le venant rechercher contre les ſtatuts d’Amour, partantie demande qu’il ſoit emendé de ceſte faute à mon profit. VIvARAMBE. Madame, ie ne puis repreſenter icy l’humble affection, dontie ſuis fidelement voüé à voſtre ſeruice, car elle eſt parfaite. Mais pour excuſe en m’accuſant pource que ie reco gnois & aduouë auoir failly quand encoresi’au rois fait mon deuoir, ie vous dis auec toute l’hu milité que ie vous doy, que ce n’eſt pas moy qui vous ay recherchee, ains c’eſt vous qui m’auez forcé par vos perfections à vous ſeruir, telle ment que vous m’auez conquis de haute lutte : quant à la faute que i’ay commiſe, ç’a eſté par. contraincte, pour autant que ie deuois bien d’a— uantageàl’Empereur que le peu de ſeruice que ie luy ay fait, attendu qu’il eſt cauſe que i’ay eu ce ſouuerain bien d’eſtre voſtre, & en telle qua lité vous ſeruant, ie ſuis venu luy faire ſeruice, pour commencer à vous rendre ce que ie vous doy : Parquoy ie me remets à vous ſeule, ſans pretendre eſchaper la peine que vous m’ordon nerez, ne voulant autre iuge que vous-meſmes, & reculant l’Empereur s’il luy plaiſt à cauſe d’a— mour. GNoR1sE. ie ſuis d’aduis pour l’Amour qu’ils ſoient renuoyez à leur propre diſctetion, concluant à l’honneur & au deuoir. L’Empe reur ſe tenant pour recuſé, remit l’affaire entre les mains de la Souueraine, laquelle ayāt recueil ly les voix prononça,

Le Conſeil ayant examiné le dire de cese Amans, & les cencluſions de l’agente pour l’Amour, a or. donné, qu’ils ſeſeeroyent icy ſelon le rang de leur grandeur, remettant le reste à leur volonté, ſelon les loix & leur commpdité.

L’Empereur donna la main à ceſte belle Royne pour la placeren fon lieu, &comme il la conſide toit, ilſuruintvne auāture qui l’eſmeut plus que toutes les autres : car vn peu apresque la Royne eut pris ſeance, elle ſeleua & ayant ſalué l’Em pereur & le conſeil d’vne nonneſte reuerence, ſortit & paſſa iuſques à la porte de la Chambre, dont elle eſtoit ſortie, oùelle prit par la main vne Dame qu’elle amena, & la poſa deuant l’Empe reur, & dit, Sire, ceſte Dame eſt en affaire auec, vous, & deſire que vous ſoyez ſon iuge, eſtant ſa partie. Adonc ceſte Dame ayant baiſé & laiſlé la main de la Royne, ſe mit à genoux deuant l’Em pereur, qui la recognoiſſant, car c’eſtoit la Fee Epinoiſe, s’eſbahit fort & s’eſmerueilla de ſon diſcours, qu’elle aduanca incontinant que la Royne de Sobare fut remiſe en ſa place. Sire, puis que la Fortune a changé mes mauuais deſ ſeins, & qu’eſtanticy ſous là iuriſdictiô d’Amour où ſont donnez les Arreſts iuſtes, & ſelon les in tereſts des cœurs qui ſont penitens, ie penſe qu’il vous ſera agreable de me remettre la fautequeie vous ay voulu faire, & de laquelle i’ay porté la Penitence : Il eſtvrayque l’Amour qui n’eſpargne perſonne, a eſté cauſe de mon delict. Ie me fai ſois accroire quei’eſtois encores aſſez belle pour meriter la grace du Prince Caualiree, & qu’il ne me deuoit point refuſer ſon affection : ſe l’eſti mois glorieux, pource qu’il ne me recherchoit pas, puis luy ayant declaré mon amour, & voyât qu’il n’en faiſoit aucun conte, ie me depité, & creus qu’il eſtoit inſolent.Mais i’ay depuischan gé d’opinion, ayant veu le beau ſuiet de ſes affe ctions, quand ſabelle Cliambe m’a eſté preſen te, ie me ſuis repriſe de ma preſomptiö, i’ay par donné & en mon cœur requis pardon à ce Prin ce.Certes il faut bië dire qu’elle ayt du merite en beauté, puis que ie la trouue belle : d’autant que ce n’eſt pas l’ordinaire de celles qui péſentauoir quelque beauté de priſer les autrespour en iuger vne plus belle que ſoy.Or elle eſt belle, parquoy ie confeſſe ma coulpe, mö offence & ma malice, & pource auſſi i’ay priéla ſageLofnis de me par donner, ce qu’elle m’a accordé ſçachât ma repé tance. Au reſte Sire, pour celà qui eſt du voſtre, ie m’é remets à vous, en vous ſuppliât de cöſide rer puis que tout eſt venu à bien quelle excuſe peut auoirl’ame qui fait faute eſtât induite pour vn ſuiet de merite.L’Empereur faiſant ſemblant devouloir ouyr le cöſeil, dit tout bas à la Souue raine il faut que ie confeſſe que ie ſuis forttrou blé, carie voy ce que ie n’euſſe peu péſer, &ie dis auec verité, qu’il y a eu vne notable prudence à | dreſſer ces defleins, veu queie ſçay bië que ceſte fille auoit en ſon courroux enuie de perdre les Fortunez, ie vous prie d’éiuger à ſa faueur& hö neur, & me laiſſez vn peu reprendre meseſprits, la Souueraine prenant les auis, prononça : Sage Fee, l’Empereur eſt bien marry de voſtre mal, dont vous pouuez vou accuſerſeule cauſe. ft veut que tout ſoit oublié, & que vous ſoyez reſta blie pour eſtre comme auparauant. Et pour ce qui eſt d’Amour, le Conſeil vous promet de vou prou noir : auſurplus, vous eſtes enuoyee à Gnoriſe pour eſtre reſtituee en voſtre premier eſtat.

Incontinant Gnoriſe ſortit du parquet, & pre nant Epinoiſel’emmena dehors. Cependant le reſte des cauſes fut plaidé. Et la Fee † condui te en vne des cellules du Palais des ſecrets : là e ſtantauec Gnoriſe elle ſe deſcouure, & elle luy appliqua ſur le caractere de feu qu’elle auoit en la cuiſſe, vn remede fait de mercure corporel, de baume d’axunge de mulet, de ſel de talx, d’eſ ſence d’Iris, & d huyle de Saturne, qui auſſitoſt enleua la cicatrice qu’elle laua d’vn peu deſſence delin, puis d’vn peu d’huile de talk, ſi que depuis n’y a paru, la peau en peu de iours eſtant rentree en ſon naturel, & partant Epinoiſe oſtee de la eine où elle eſtoit touchant ceſte marque ſerui e, & de là elle fut renuoyee au Palais de plaiſan ce, où eſtoient les Dames auec Lofnis & Olo cliree. Belles ames qui prenez plaiſir à ces ren contres & qui meſurez vos amours au pied de ces paſſions, ne penſez pas que nous vous repre fentions toutes les circonſtances des amours, ſi nous y taſchions ſeulement, nos diſcours tire roiental’infini, vn ſeul amour ſeroit capable de nous y ietter. Nous ne mettons deuant vos yeux que ce que nous auons recueilly de plus delié de ce quia eſté deduit en la preſence de ce grand Empereur, auquel s’adreſſoient les actiōs peines & ſouffrances des Amans, à fin que les comparant à ſon mal, ily miſt ordre par vertu, en comparant la douleur d’autruy à ſa deſtreſſe : les fortunes des autres à ſonaduanture, & leurs faits à ſes deportemens, & qu’en ce faiſant il tempe raſt ſa maligne humeur, & puis qu’en finiliu geaſt excellemment que l’Amour & les Dames ſontle beau feu des eſprits auquelilsſont exami nez poury deuenir parfaits comme l’or dans les ardeurs du charbon allumé : Mais ne nous de ſtournons point trop : Gnoriſe ſe remit en ſa pla ce, dont ſoudain elle ſeleua, auſſi bien vne §. le cauſe s’acheuoit, & elle paſſant vers le peuple y auoit aduiſé Serafiſe belle & accomplie De moiſelle qu’ellealla querir, & trauerſant expres, s’addreſſa auſſi au ſeruiteur de la belle, & les fit ioindre le barreau, toutincontinantil auint à ces Amans comme aux autres, & combien qu’ils ne fuſſent venus que pourvoir, ſi eſt-ce que par la force duTalifman leurs cœurs entrerent en l’hu meur d’amour qui excite les paſſions. Adonc Serafiſe dit à ce Gentilhomme, Qui vous mei ne icy Conſtant Il reſpond, Le deſir devoir, maisie m’aduiſe, laiſſant à part ce qui s’eſt paſſé, que vous me detenez en vne grande peine, veu que vous m’auez promis toute amitié, & cepé dant vous ne faites pas beaucoup d’eſtat de moy. Auſſiie n’ay plusde courage, mon cœur s’eſcou le comme eau meſpriſee, & la valeur qui me re leuoitl’ame apres tant de belles conceptions eſt eſteinte : Adieu, Belle, il ne faut plus que i’eſpe re, puis que vous me deſdaignez.N’eſt-ce point ce que ie premeditois, & que languiſſant aupres de vous ie craignois, vous auez vn eſprit tranſcê dant qui vous emporte apres des magnifiques idees, & ceſte vertu qui autresfois m’eſlançoit de meſme, eſt cauſe que vous recognoiſſant de telle humeur, ie m’afflige cruellement, & treſ buchant aux eſcots du deſeſpoir ie deſchay de touteforce, &principalement quand ie me pro oſe voſtre perfectió. Ie meurs doncques deſo § l’affliction continuelle que l’Amour me fait apprehender, pource que ie né ſuis pointaſ ſeuré devoſtre amitié, veu le peu de ſoin que vous prenez à me le faire paroiſtre.Ie mets à Pa bandon mes belles entrepriſes. I’enuoye au loin mes deſſeins, & me perdantie fraudray l’at tente de pluſieurs à voſtre dommage : i’oublieray les beaux trophees queie preparois àvoſtre gloi re, l’oubly que vous auez pratiqué pour moy, a touteſteint ma memoire. Que le deſplaiſir de perdre l’aſſeurance de ſon amitié eſt cruel ! C’eſt fait, il n’y a rien au monde tant aymable que vous, auſſi rien ne me defera que la perte de vos belles graces : voilà ie meurs oppreſſé des plus vrgentes extremitez du dueil, l’inquietude meſle moname detant d’ennuisqueie ne me recognoi plus : Toutesfois en quelque eſtat que ie puiſſe eſtre, & fuſſe meſme en l’extremité, les reſtes des ſouſpirs de mon cœur s’enuolerontauecvo ſtre nom, & toutes mes penſees prenans fin vous auront pour leur dernier ſuiet, Serafiſe fit vne longuepauſe, puis luy dit le regardant d’vn œil voleur de cœurs : Vous ſçauez queie n’ayiamais eu deſſein que de vous hoiiorer plus que ma vie, § fidelité, &iene ſçay pourquoy vous vous eſtrangez tant. Ie vous prie de viure en la tranquillité que vous auez acquiſe, & n’affligez voſtre ame de triſteſſe, eſtant certain que ie ne ſeray iamais autre que ce que ie vous ay promis.Le peu de tempsque ceſte Belle auoit ·eſté ſans reſpódre repreſentoit l’eſpace de quel ques mois qu’elle n’auoit rié fait entendre à Cö ſtät, encor qu’il luy euſt eſcrit pluſieurs fois, ſur quoy illuy fit ceſte reſponſe : I’ay longtemps diſputé auec mes propres deſirs, auant que me laiſſer tranſporter au deſeſpoir, mais voyant que la conſtance de mö cœur s’étretenoit pour neät, ſe reduiſant en vnevaine fantaiſie, recreu de cou rir aprestant d’imaginations, i’ay deliberé de me tenir a ma perte, & m’occupant doucement à deſduire mes regrets, m’accuſer quant & quant de mon inſolence, ayant trop entrepris, & ſans vous rien imputer que voſtre propre plaiſir, me dire moy-meſme coulpable de mon mal.En ce ſte reſolutiöi’ay reſigné mesvolontez à la deſti nee, afin d’eſtre conduit ſelö le hazard, vos beaux yeux triompheront comme il leur plaira, vos puiſſances ferontàleur gré, & vos merites vous eſtabliſſans Royne des cœurs me paroiſtrôt cya pres en heureux tableau où ie verray les rencö tres d’amour, de l’obeyſſance duquel ie me re uolte, ne me reſeruant que le plaiſir que"i’auray de voir les paſſades des eſprits qui vous recher cheront, tandis que deſdaigné ie m’endurciray contre les pointes de la diſgrace.Ne laiſſez pour tant de viure heureuſe, eſtant contente de m’a— — uoir mal mené. le ne me veux point reſſentir de ce dernier outrage que vous me faictes, mc traictant en deſeſperé auant le temps : n’eſt-ce point en vſer comme on faict à ceux qui languiſſent ſans eſpoir de reſchaper, de me propoſer des paroles qui autresfois euſſent eſté ma vie, & à ceſte heure me ſont vn traict deſ laiſant & mortel : ceſte belle conſolation & ces § paroles en temps propre, m’euſſent en tretenu & fait viure, mais hors temps m’appor tent du deſpit, & puis apres ma reſolution me ſont indifferentes : voilà ce ſont de beaux artifi ces qu’il me faut trouuer bons pource qu’ils vië ment de vous, qui viuez de la † que vous ob tenez ſur tous les cœurs. Or belle ieme rauiſe, ie quittetoute diſpute, ie me departs de toutes re proches, & veux auoir tort s’il vous plaiſt : Mais ſi depuis tant de fois que ie me ſuis aduancé à mon deuoir, vous l’euſſiez recogneu, au moins d’vne ombre de bonne volonté, vous m’euſſiez autant obligé que vos deſdains exercez ſur moy ſans raiſon & ſi longtemps m’ont cruellement eſtrangé : Toutesfois ayant laſché ceſte deſpi teuſe colere, ie penſe à vos belles paroles, & me repreſentant ce queie doy à la beauté que i’ay me tant, ie vous veux deſduire mes fantaiſies, mes volontez, & mes recognoiſſances, pour ce que vos doux accens ſont allez iuſques au plus delicat de mon ame, & l’ont ramenee du deſtroit où ſon affliction l’arreſtoit, pout ſe remettre à vous ſeruir, file deſtin le veut.

Un iour recognoiſſant que ie ſuis incapable
Belle de vous ſeruir i’en vins au deſeſpoir,
Et prenant le chemin du deſert effroyable,
Je voulu m’y cacher pour iamais ne rien voir.

C’eſt bien auoir des yeux de voir ce qui s’addreſſe,
Et de le diſcerner : e_Wfais voirparfaitement,
Eſt voir le iourheureux des yeux de ſa maiſtreſſe
Car c’eſt voir ſans rië voir que devoir autremét, Pour doncques ne rien voir, i’eſleu vn Hermitage, "Pour le lieu deſtiné du reſte de mes iours, Et me determinant dans ſa grotteſauuage, I’ypenſois conſumer ma vie & mes amours. le me determinois à ceſte vie auſtere, eAfin d’eſtrepuny de ma temerité Et cherchant à ma vie vne vie contraire, 1’eſtois à ce deſſèin ardamment arreſté. T)eſia ie lamentois ſur ma vie paſſee, Teſſous le triſte habit voulant m’enſeuelir, Et de deuotion mon ame tant preſſee, Vouloit tout autreſoin de mon cœur abolir. J’eſtimois que ce monde eſtoit vne balotte Formee deſauon, figuree de vent, Et voulant l’oublier ma penſee deuotte, En ma deuotion m’enfonçoit plus auant. f’eſtois preſques reduit par ceſte desplaiſance, &tpenſois reſigner au deſert mon vouloir, Et comme n’ayant plus deſſu moy depuiſſance, Tout mon penſereſtoit Religieux dcuoir. Mais comme ie cuidois franchir ceſte barriere, feſentis mille feux en mon cœur s’allumer, Et poury reſiſterie me mis en priere, &t les eſteindis tous, fors le doux feux d’aymer. Plus ie penſois l’,ſteindre & plus la ſouuenance De vos perfections le venoit exciter, — Plus ie m’en tirois loing, & plus ſa vehemence
Plus aſpre que iamais me venoit irriter.
Ie n’eſtois preſque plus qu’vn deſcharné ſkelette,

Ou l’on ne cognoiſſoit quel eſprit & les os,
Et i’eſtois reſolu, mais mon ardeur ſecrette,
Tant eſloigné de vous metroubloit ce propos.
Adoncq ie recogneu que ie n’auois de vie,
Que celle dont vos yeux m’animent doucement,
Et que ſi obſtiné ie ne changeois d’enuie,
Qu’il me faudroit perir trop deſdaigneuſement.
Pour m’oſter ce penſerie faiſois penitence,
Mais plus ie m’affligeois plus ieſentois d’amour,
Et mon feu ſe ſeruant de ceſte circonſtance,
Se ralumoit de nuit pour s’enflammer de iour.
Ie penſe que i’auois deſir de me diſtraire
Du tout du ſouuenir de vos perfections,
Ie ne le voulois pas : mais ie le voulois faire,
Me combattant moy-meſme en mes tentationr.
Depuis qu’on s’eſt ſubmis à l’amoureuſe flame,
On ne ſe peut iamais deſdire de ſes vœux,
On pourroit auſſi toſt eſtre viuant ſans ame,
Que viure ayant ayméſans en ſentir les feux.
Et puis meſounenant de voſtre bellegrace,
Et que vos yeux eſtoient mesſoleils de douceur,
Je ſentis vn brillant comme vn eſclair qui paſſe
Me venir arracher toute faſcheuſe humeur.
Adoncques reſueille ie reprisma memoire,
Laiſſant le triste ſoin qui de vous meprtuout,
Et ſuyuant les deſirs de ma premiere gloire,
Je repris les deſſins que mon cœur conceuoir.
Je reuins voir vos yeux, & leur belle lumiere,
Me rendit eſperdu tant mon cœur fut ſurpris
Apres ie me remis en mafaçonpremiere
Au feu de vos beautez reprenant mes eſpritr.
Et bien qu’encorieſois indigne, qu’il vous plaiſe
Accepter le deuoir de mon humilité,

Mon ame toutesfois ſe promet pourſon aiſe
Que vous fere (eſtat de ma fidelité.
Je n’irayplus tracer apres le triſte ombrage
De ces lieux eſcartez, ou ſe meurt toutplaiſir,
Par des deſſeins plus beaux ie Yeux que mon courage
Rendel’effet eſgalà mon braue deſir.
Auſſi pour tout iamais tout autreſoin i’oublie,
Rien meme ſera cher quevous porter honneur,
1’y ſuis determiné, auſſi ie vouſupplie
D’excuſer les diffauts de voſtre ſeruiteur.
Ma belle, il vous a pleu de m’eſtre fauorable,
De m’auoir accepté, d’auoir receu mafoy, Ie la vous garderay, & tant inuiolable : ſQue tous fideles cœurs prendront exéple en moy, & n ceſt excez d’eſprit tout raui de lieſſe, T{ entrant au bon eſtat de mon entendement, cet hömage ie rends : car de vous ma Maiſtreſſe Ie tiens l’honneur, la vie, & le contentement.

SERAFisE. Voila l’humeur du perſonnage qui ſe donne des trauerſes en m’en donnant, & ie n’oſerois letancer de ſes perturbations qui me moleſtent, Car incontinant que ie penſe l’en aduiſer pour le reprendre, & deſtourner, ſon cœur s’en vlcerera, & entrera en fougue, par tantil me le faut & ie le veux traicter en patien tant, ioint que ſa fantaiſie eſt ſi delicate † eſt à mignarder comme vn enfant, poſſible auec le temps ſes opinions deuiendront eſgales à ſon nom, & ne m’attribuera rien de deſrai | ſonnable.

L’Empereur ayant ouy le Conſeil, ces Amans entendirent ceſt Arreſt : Le conſeil a ordonné que Serafiſe continuera à iuger prudemment de ce qu’elle deura à Conſtant, afin qu’il ſoit recompenſé des afflictions de ſon cœur à ſon occaſion s’il ſe treuue digne d’eſtre gratifié de ſes faueurs. Auſſi conſtant demeurera fidele à celle qui reçoit la gloire a eſtre parfaite Amante.

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DESSEIN DIXHUICTIESME.


Humilitez de Viuarambe à ſa Royne. La Chambre de la Tourterelle. Quitte, libre, & iouyr de ſes Amours. Amour immortel. Que c’eſt que Sentence, Arme, Deuiſe, &c. Pointe des Amours de Beleador. Les douces reproches de Calimbe à ſon Fortuné. Le frere d’Etherine vient en l’Hermitage.



CEpendant que l’Empereur auoit l’eſprit attentif, Viuarambe prenant le temps ſortit pour dreſſer vne partie de muſique ſur vn ær, faict en l’honneur de ſa Royne, parquoy incontinant que l’Arreſt fut prononcé, les voix & les inſtrumens accordez ietterent comme vne bouffee de vent retenu, ces premiers accords qui furent continuez en ces vers :

Trop longtemps eſloigné de vos belles lumieres,
Je perdois tout eſpoir de vie & de bon-heur,

Et comme tout diſtrait de mes ardeurs premieres,
Mort à mes beaux deſeins ie n’auois pl° de cœur.
Encores ie ne ſçayſ i’ay de l’eſperance,
Car vous meritez trop, & ie ſuis ſans pouuoir,
Mais vos perfections me donnent aſſeurance,
Que vous aurez eſgard à mon humble deuoir.
Ainſi ie me releue & ie reprens courage,
Puisque i’ay ce bon-heur de reuoir vos beautez,
Ie veux ainſi tourner tout à mon aduantage,
Eſtabliſſant mon bien ſur mes fidelitez.
R’alumé de deſirs, & renflammé de vie,
Ie viens renouueller mon cœur à vos beaux yeux,
Ia ma nuit en beau iour eſt toute conuertie,
Mon eſpoir eſtouffé deuient espoir de mieux.
Ie vous retrouue doncq Royne de ma fortune,
Oracle de mon bien, pour ſçauoir mon deſtin,
Prononcez ie vous pri d’vne voix non cōmune,
En me rendant heureux les Arreſts de ma fin.
Vous pouuez tout ſur moy de puiſſance abſolue,
En vous ſont mes deſirs & l’obiet de mon bien,
Car puis qu’à vous ſeruir mon ame eſt reſolue
Apres vos chaſtes yeux ie ne recognois rien,
Or diſpoſez de moy ſelon voſtre prudence,
M’empeſchant d’eſperer ou me donnāt l’eſpoir,
Mais quoy qu’il en auienne, en ma perſeuerāce
Je demourray conſtant ſans iamais en deſchoir.

Ceſte muſique terminee, l’Empereur ſe leua pour ſe donner vn peu de recreation, en diuerſifiant ſes plaiſirs, & fut conduit en la ſale du grand Palais, où eſtoient les Dames : La Princeſſe de Quimalee y eſtoit qui auoit acconduit Etherine, qu’elle auoit laiſſee en Amerimnie, où elle demeurera iuſques au iour determiné : Là eſtant l’Empereur, il commenca à s’eſgayer vn peu plus de couſtume, & s’eſtant addreſſé à Olocliree qui eſtoit belle & ſage Princeſſe, deuiſoit auec elle & auec Sarmedoxe & les Princes qui chacun pres de ſa Maiſtreſſe participoient au bien qu’ils auoiēt auſſi preparé à l’Empereur, lequel s’amuſa aſſez longtemps de diuers propos. Cependant Viuarambe diſcourant auec ſa Royne, & continuant ſon deuis luy dit, Que direz-vous, Madame, de ce que ie m’aduance ainſi, & que comme importun ie vous preſſe poſſible contre voſtre gré. Eſtimez-en ce qu’il vous plaira. Ie vous diray toutesfois ce que ie cōçoy. Mais encores penſeriez-vous qu’vn cœur qui a pour conduite vn beau ſoleil, fuſt preſomptueux ou deuſt l’eſtre eſtimé s’il le ſuyuoit ? Et que ce ſoit temerité d’eſſayer vne grande fortune ? La Royne. Pourquoy vſez-vous de ces termes à auez-vous veu en moy quelque diſpoſition qui vous induiſe à telles conſiderations ? ie vous ay penſé offencer, pource qu’il m’eſt aduis que vous m’offencez vn petit, laiſſons celà, i’ay l’opinion de vous telle, que ie ne croy que vertu de vous, & partant tous effects vertueux. Vivarambe. Puis que vous m’honorez de ceſte bonne opinion, telle que vous l’auez à bonne occaſion des courages aduantureux, & de moy guidé par vous, qui eſtes la plus belle lumiere du monde, ie veux ſuyure les plus aduantageuſes aduantures, pour obtenir a gloire de meriter quelques fois voſtre faueur. En celà ie n’entreprens que ce qu’il vous plaiſt, & ceſte belle audace qui m’eſleue, me ſeruira d’excuſe, ſi que vous recherchât ie ne ſeray point importun. Et de fait, ſi ie n’eſtois aſſeuré par vo° meſmes, qu’il vous eſt agreable que ie vous teſmoigne le ſeruice auquel vous m’auez obligé, ie n’oſerois pas comparoiſtre deuant vous en qualité de ſeruiteur. Il eſt vray que quand meſme vo° ſeriez contraire à mon deſir, ie ne lairrois de perſeuerer, & quoy qu’il m’en peuſt aduenir, i’aurois ceſte gloire de vous auoir voulu ſeruir, & d’y perſiſter, combien doncques plus auray-ie de bien & d’honneur de m’addonner à vous, veu qu’il n’y a rien de plus magnifique que de tenter vne grande fortune : en quoy ſi ie māque, voſtre œil qui m’a conquis à ſon plaiſir, ſcaura deſtourner mes deffauts : car quoy que ce ſoit, puis que ie ſuis à vous, il eſt raiſonnable que vous approuuiez les effets que vous excitez, & que vous les aduoüyez à ce que vos belles graces triomphent en maintenant ce qui vous appartient. En ceſte belle aſſeurance plein de deuotieuſe volonté de vous rēdre tout deuoir d’obeyſſance, ie vous prie de me continuer voſtre bonté en l’affection pro miſe. La grandeur du reſpect que ie vous porte, m’empeſche, mais l’aſſeurance que i’ay en voſtre clemence, fait que ie baiſe ceſte belle main, & la rebaiſe d’vne bouche toute d’humilité prouenāte de cœur parfait. Ceſte belle Royne eſtoit bien aiſe de voir ſon deuot humilié deuant elle, luy racōtant l’humeur qui le poſſedoit au deſir de ſon amour. L’Empereur cependant s’enqueroit de tous les obiets qu’il rencontroit, auſſi par tout en ces Palais y auoit quelque choſe qui diſoit sās parler, & tout y parloit tacitement, enuelopant ſous ſon figuré ſilence tout ce qu’il y a de plus beau és imaginations & recherches des beaux eſprits. Entre autres, l’Empereur vid vers le ſeptentrion ſur la porte la figure d’vne tourterelle, & il s’enquit pourquoy celà eſtoit. Sarmedoxe luy raconta que la chambre en laquelle on alloit par là eſtoit dite la chambre de la Tourterelle, en laquelle on logeoit les Amans qui eſtoient trop gays, afin de les faire vn peu deuenir melancholiques, à ce que ces deux humeurs meflees ils fuſſent en bon temperament d’Amour, eſtāt, dit-il, en cecy vn fort notable ſecret. Les Tourterelles ſont animaux magnetiques ayans telle vertu, qu’eſtans enſemble accouplez, & ſe faiſans l’amour chaſte, tel qu’eſt le leur vnique entre tous, ſi quelqu’vn habite où ſont ces oyſeaux amans il ſera touché de meſme paſſion, & ſi vn beau couple de mariez y demeure, leur mour ſera treſ-parfaict que s’il aduient que le pair des oyſeaux ſoit deffaict, & que l’oyſeau reſtant y ſoit conſerué, il auiendra que la perſonne qui frequentera ce lieu en demeure ordinaire, ſera touchee de la meſme melancholie que le triſte oyſeau, quelque occaſion autre qu’il y ayt. C’eſt ne plus ne moins comme il ſe rencontre que le Maiſtre d’vne maiſon eſtant malade, & que le coq face vn œuf, tant que le pondeur & la pounte ſubſiſteront, le dolent demeurera affligé, & la maladie continuera. L’Empereur. Ie ne deſire point entrer en ces chambres de triſteſſe, pour abonder en melancholie, i’ayme mieux ſuyure ce beau commencement de la quitter, & ſemble que ie voy à propos en eſcrit au plinte de ceſte coulonne, Quitte libre & iouyr de ſes amours. Ie vous prie mon pere de m’expliquer ce que vous en tenez, Sarmedoxe. Sire, ie vous en eſclairciray promptement, afin que ſelon noſtre bon fondateur, ie puiſſe dire, Plus deſiré qu’importun. Ceſte Auiſe eſt vn axiome du ſouuerain biē d’icy bas, lequel conſiſte en la iouiſſance de l’hōneſte plaiſir, ſans qu’il en puiſſe ou doiue ſuruenir, ou eſchoir, de l’incommodité ou du mal. Or mal aucun ne peut auenir par la perception de la iuſte volupté, laquelle ſuit les ordonnances diuines, & ne contrarie point aux bonnes loix humaines, & ne fait aucune tranſgreſſion, par ainſi les loix ſont libertez, & les libertez ſont loix aux gens de bien. Si on eſt en liberté de paſſer outre les limites d’vne terre, & que la franchiſe en ſoit à deux mille pas, & on ne va que mille ou douze cent pas, on demeurera en pleine liberté, & on en aura encore plus que l’on n’en prendra, & par ainſi on voguera dans vne abondante grace, en laquelle l’eſprit le refera de parfaite alegreſſe, ce qui ne peut auoir de beauté ſans loix, leſquel les ſont vn ordre accompli, outre lequel n’y a que confuſion, qui eſt la perte de l’eſprit, lequel ſ’eſiouït en l’ordre. En ceſte expoſition i’ay mis la liberté la premiere, pource que c’eſt elle qui fait qu’on ſoit quitte, car nul n’eſt quitte qui ne ſoit libre : Le quitte eſt celuy qui n’a riē de mauuais au cœur qui le tranſporte, & ne doit à aucun dont il puiſſe eſtre moleſté : c’eſt le plus grād malheur qui puiſſe eſcheoir que d’eſtre redeuable, d’autant que durant ceſte rude debte, on n’eſt point à ſoy, & n’eſtant point à ſoy, on ne peut dignement ordonner de ſes belles imaginatiōs. Eſtāt quitte, au cōtraire on n’a affaire qu’à ſes propres penſees, qui inſtalēt l’eſprit au ſouuerain bien, le rendāt cōtant : & n’y a nul contēt, que celui qui ſe ſatisfait en ſes particulieres fantaiſies, reglees par raiſon, ſelon laquelle on a iouiſſance de ſes amours. Or l’amour eſt vne émotion, qui comprent les deſirs de tout objet ſouhaitable, parquoy celui qui iouit de l’objet, deſiré en ſon eſprit tel qu’il ſoit, iouit de ſes amours, & en ceſte iouyſſance, il ſent ſon eſprit libre & quitte de mauuaiſes craintes, & faſcheux deſtours, & en telle latitude de cœur, il peut rendre à chaqu’vn ce qu’il ſemble deuoir à cauſe de la bien-ſeance, & ce ſans ennuyeuſe contrainte. Ainſi il eſt libre, n’ayant rien au cœur qui l’inquiete, ioint que la parfaite liberté eſt au repos de conſcience. L’emperevr. Ie vous prie, Pere Sarmedoxe, ne paſſez point plus auant en ceſte ſpeculation, qui me remettroit en memoire mes deffaux, car par l’intelligence que i’en conçoy, ie iuge combien ie ſuis loin du but de l’excellence auquel ie pretens. Acheuons ce qui eſt bien commencé, afin que ie puiſſe iouïr de mes amours, eſtant quitte & libre. Paſſons vers ces autres Dames, qui ſ’amuſent à vn beau ſuiet. En ceſte humeur, prenant congé d’Olocliree, il fit paroiſtre qu’il auoit relaſché de ſa melancholie, auſſi ſe ſentoit-il poinçonné de quelques flames meſlees d’eſperance, lesquelles l’alumerent encor plus viues, par l’ objet de la figure, ſur laquelle les Dames feſtoyent arreſtees : c’eſtoit vn Amour blanc comme nege, | eſpargné en relief, ſur vn fons d’agathe noir, choiſi tant bien, qu’il ſembloit que nature eut fait la pierre expres Cét Amour en geſte, alumoit ſon flambeau au feu des Veſtales, & au bas y auoit vn bord vermeil, où eſtoyent ces lettres d’azur. Mon amour eſt immortel. L’Empereur ioint à la compagnie, chaqu’vn prit plaiſir d’en diſcourir, ſurquoy ſa Majeſté demanda à Sarmedoxe, ſi ceſte figure eſtoit Deuiſe, ou Auiſe, ou autre, ſelon ce que les premiers ont determiné. Le Sage, tant pour complaire à l’Empereur qu’aux Dames fit ce diſcours. Nous vſons ſouuent de pluſieurs paroles : dont poſſible l’intelligence n’eſt pas touſiouts ſuyuie, & parauanture auſſi elle l’eſt, & ſur tout, en ce qui eſt dit Sentence Ænigme, Parabole, Symbole, Armoirie, Embleme, Deuiſe & Auiſe, & auons toutes ces parties ſouuent en la bouche, & eſt expedient de les cognoiſtre, afin d’en parler proprement. Sentence eſt vn diſcours pur en peu de paroles contenant vne grande ſignification, & n’y faut aucune figure ou couleur, pour la faire entendre. Ænigme eſt vn propos couuert, qui n’eſt entendu que par ſa propre & particuliere interpretation, nous la nommons auſſi Doute, Parabole eſt vne propoſition figuree, ayant deux ſens, l’vn qui appert par les paroles meſmes, & l’autre eſt caché, qui toutesfois lui conuient. Symbole eſt vne parole, deuis eſcrit, ou ſigne & figure, ayant ſon intelligence en l’eſprit, de ceux qui ſont de meſme cabale, & ont intelligence mutuelle. C’eſt auſſi la marque de l’intention de quelqu’vn, qu’il deſigne par ce moyen qui luy eſt particulier, ou bien c’eſt vne certaine conuenance claire, mais particuliere à certains qui l’ont entrepriſe enſemble. Armoyrie ou arme eſt vn ſigne ayant champ, couleur & figure, ou champ ſeulement, & ne doit ſignifier aucun nom de famille, ſi elle n’eſt fort ancienne, & auſſi ne faut, & n’eſt ſeant qu’elle ſoit Deuiſe, ou qu’elle la porte ou la ſignifie ; Si d’auanture ce n’eſt en quelque tournoy, où la deuiſe eſt iointe aux armes, en faueur des Dames ; ou ſi le Souuerain ne la donne telle, pour ſignifier nobleſſe acquiſe, ou denote quelque acte genereux & extraordinaire, de quelque grād ou vaillant : Embleme eſt vn pourtrait qui peut eſtre entendu ſeul ſans eſcrit, & bien que l’on en face vn diſcours qui l’interprete, ſi eſt-ce qu’il n’y doit point eſtre ſujet, mais cognu de ſoy-meſme. Deuiſe eſt vne figure qui ſeule n’eſt qu’vn corps, qui ne porte pas toute ſon intelligence, car il faut l’ame pour l’entendre, laquelle eſt la parole qui luy eſt tellement coniointe, qu’auſſi ſeule elle ne peut rien ſignifier. Auiſe eſt vn petit propos fort ſimple ſuyuant la penſee de ſon inuenteur, & ſ’entend de ſoy mefme. Tandis que ce Sage diſcouroit, Beleador qui auoit receu quelque mauuais traitement de ſa maiſtreſſe auec laquelle il parloit, pour ſçauoir l’iſſue de ſon auanture amoureuſe, apres quelques petits deuis luy dit, Vous qui auez tenu ma vie ſi chere, qui l’auez excitee, par celà qui eſt de meilleur ! és plus agreables douceurs qui ſe conçoiuent en aymant, ſerez vous celle qui la ruinera par l’aigreur de l’ennuy où voſtre rigueur me iette : Soit ſ’il ſe peut : Il me faudra conſoler en ce que i’ay eu le courage tant fidele, que d’honorer celle qui me ruyne, & qui ſans occafion ſ’eſiouit de ma calamité, c’eſt tout vn, le ciel me vengera : car mon affliction eſtant diuulguee, quelque regret vous en ſurprendra, mais poſſible ſi tard, que ie ſeray peri auant que l’on ait penſé à mō ſecours. Elle luy repliqua, ie ne ſcay pourquoy vous eſtes en telles inquietudes imaginaires, penſez vous qu’il ne faille auoir autre ſoin, que d’eſpier le temps à ſ’auiſer de vous eſtre attentiue ſi ie n’auois qu’vne occupatiō ie ne vaquerois qu’à icelle, mais il faut eſtre à tout, & puis les Dames ne baſtiſſent pas le ſouuerain bien de leur cœur, ſur les friuoles entretiēs dōt vous nous amuſez, pour ſouuent nous abuſer, quant à moy ie vay ſuiuant les rencontres des auantures qui ſe preſentent, ſans me donner autre ſouci que de ce qui me peut plaire, lors qu’il eſchet que ie le trouue. Beleador. Viuez donc ainſi qu’il vous plaira, ſuiuant toutes vos fantaiſies, quant à moy ie viuray ſans changer tel que ie le vous ay iuré, les effaits me font iuger de voſtre amitié, que ie croy eſtre legere comme l’aer, & vn effait extréme fera demonſtration de mon integrité, & de la fidelité que vous ayant promiſe, i’emporteray auec moy quand ie me retireray des cachots de ce corps, deſplaiſant toutesfois d’auoir eſté ſi malheureux, que mon ame n’a eu autant loyale rencontre, qu’elle eſt iuſte en ſes deſirs & deſſeins, qui eſtans touſiours égaux à vous aymer & ſeruir, me feront oublier mon bien propre, pour vous accommoder du contentement que vous pretendez en vous diſtrayant de moy. Ceſte douce aigre querelle d’amour euſt eſté plus longue, ſans qu’auec l’heure & le iour qui ſe retiroyent, chacun ſ’en alla en ſon logis. L’Empereur ce ſoir là, prit plaiſir à ſon ſouper plus que les iours paſſez, & ſon cœur plus dilaté luy auoit permis de l’appetit, ſi qu’il entra en termes de conualeſcence. Apres ſouper, il voulut à ſa couſtume entretenir les Sages, & cependant les Princes eſtans auec les Dames, acheuoyent ce qu’ils auoyent deliberé pour Etherine, qui ſe trouuoit fort conſolee de l’amour ferme de l’Empereur, qu’elle auoit veu comme il ſ’alloit promener, car la ſage Gnoriſe l’auoit amenee en vne des chambres du pauillon, d’où elle auoit eu ce plaiſir : Eſtans ſur les auis de l’auenir, Caliambe tençoit vn peu ſon cher Caualiree, en ces termes. Si vous euſſiez eu le cœur touché d’autant d’affection que vous auez la bouche pleine de belles paroles, ie ne vous accuſerois comme ie fay à mon grand regret d’vn crime que ie ſuis contrainte de vous mettre à ſus : Eſt-il vray que vous n’auez point eu ſouuenance de moy, peut il eſtre que ie me ſois miſe en deuoir de vous rechercher, & vous ayez fait ſemblant de n’y penſer point encor ? ie ne veux pas croire que l’oubli vous l’ait fait faire, & que vous ayant ſollicité vous n’ayez pas recognu l’affection de mon ame : I’ay ſouſpiré pour vous, i’ay langui pour vos perfections, qui ſeules sōt le bien de ma penſee, & il ſemble que vous ſoyez endormy ſans penſer à me conſoler ; I’ay fait eſtat de vous comme ie fay, encores autant que de ma vie, & vous ſans confiderer le trauail de mon ame, auez volagement trauerſé où il vous a pleu, oubliant ce qui vous eſtoit acquis : le iour vous a t-il peu voir, ſans que vous ayez eu quelque eſlancement de deſplaiſir ? Ne vous eſtes vous point ſouuenu que ie vous ay eſcrit, & que ie vous priois de me mander que ſignifioit, que fermant ma lettre, le feu de la laque m’auoit attinte au doigt, & que ce ſigne eſtoit plus vif que vos diſcours ? Si vous eſtiés autant accompli en amours qu’en autres vertus, vous excelleriés ſur tous : Mais ie croy que vous auez laiſſé eſcouler toute affection, pour ne penſer plus en celle que vous diſiez eſtre cauſe de voſtre deſir de viure, laquelle ne vit qu’en vous aymant. Cavaliree. Ma dame, vous qui eſtes l’vnique vie de ma vie, pourriés vous auoir la perſuaſion au cœur, telle que le propos en la bouche ? Ie ſens bien que vous faites de grandes & notables accuſations contre moy, entremeſlant le miel de vos douceurs de pointes cruellement viues me repreſentant trop de belles conceptions, que vous auez à mon ſuiet & en m’aſſeurant que voſtre eſprit en eſt occupé me manifeſtez vn cœur parfaictemët vni, à l’obiect qu’il ſ’eſt propoſé d’afectionner, dilatant vos penſees ſur le reciproque amour que ie vous doy vous debattés auec moy ayant pris les armes que i’auois eſleués, pour vous mōſtrer par vn combat de courtoiſie quelle eſt mon amitié ; vous m’aués preuenu en la douce reproche, que ie penſois vous faire de ce dont vous m’accuſez, & par ainſi vous me tanſez à propos, me remonſtrant mon deuoir. Et bien vous me penſiez corriger, & vous ne pouuez, car ie n’ay point fait de faute, & toutesfois ie ſupporte le chaſtiment : d’autant que par ce bel artifice d’innocence, vous m’obligéz tant eſtroitement, que vous me faites confeſſer que i’ay failli, encor que mon ame ſoit ſans crime, vos agreables attintes, font que ie veux bien eſtre coulpable, & ſuis preſt & appareillé à la punition, qu’il vous plaira. En ceſte ſubmiſſion ie ſcay bien que ſi vous vous auiſez de nos fortunes, & que vous me conſideriez ſelon ce que ie ſuis eſtant voſtre, vous aurés regret d’auoir penſé à la moindre opinion des taſches : dont vous feignez dire que mon cœur eſt ſouillé : Car vous verrés clairement, que ce qui entretient mon eſprit, eſt vne agreable douleur qui le tyranniſe, & va menant en tant de diuerſitez, qu’il n’y a que luy ſeul qui puiſſe ſupporter telle affliction, qui luy eſt tollerable, pource que vous la cauſez. Ne penſez pas que ie ſois oublieux, de ce que ie vous doy, à vous ma Belle, que ie reuere en mon ame auec toute deuotion, & ne iugez point que i’aye le courage ſi peu penetré des eſclairs de ma chere lumiere, que l’ardeur n’en ſoit penetrante & viue, & auſſi eſtimez qu’vn eſprit affligé, & tranſporté de ſa pure paſſion, n’eſt pas à ſoy. Ie vous diray vne particularité, à laquelle poſſible vous ne penſez pas, & qui eſt la cauſe que pluſieurs Amans ſe diſent tourmentez, & en douleur & le ſont. C’eſt qu’vn courage accompli & plein d’integrité, craint quand il ayme, que quelque choſe ſ’oppoſe à ſon bien, & partant il en eſt tellement inquieté, que ce trouble luy fait tant de douleur, que ſouuent il ne ſe peut remettre. A la verité depuis que vous m’enquiſtes par lettres, de la ſignificatiō de ce que le feu vous offença, en fermant vng petit paquet, ie n’ay point eu de repos, & ie m’eſbahis comment vous ne vous eſtes doutee de mon inquietude, & que ne l’ayez apperceue : Si vous viſtes bien ma lettre, vous peuſtes iuger que les paroles ne partoyent pas d’vn cœur tranquile, vous l’auez bien iugé, & là deſſus pour faire tomber le tort ſur moy, & vous garentir en me mettant ſus la faute, vous m’acccuſez d’oubli : C’eſtoit moy qui pouuois iuſtement vous en conuaincre, & preſumer qu’vn feu nouueau & vne flamme eſtrangere, vous bruſloit pour vn ſuiet qui retiroit voſtre penſee de moy : Pardon Belle pardon, oubliés ce feu eſtrange, & au lieu de m’accuſer taſchés de me conſoler du mal qui me ſuruint alors, car ie fus en peine, parce que ie m’imaginaiy contre raison, plutoſt du mal que du bien, & ce feu nouueau me donna dans la teſte, par vn bruit mauuais qui courut, & me fut rapporté, durant que nous preparions ce voyage, & diſoit-on qu’vn grand auoit l’honneur d’eſtre poſſeſſeur de vos belles graces : celui qui le racontoit ne ſcauoit pas comme il me touchoit, parquoy il en parloit plus auantageuſement, deduiſant ce qui en eſtoit penſé : ſelon le cours des diſcours communs ; En verité ie n’eſtois pas faſché de voſtre bonne fortune : car on vous donnoit l’heritier d’Ofir, mais i’eſtois infiniment ennuyé & affligé de ma perte : Toutesfois ie me diſpoſois à la patience, pource que ie voulois touſiours croire que quoy qu’il vous aueint, ie ne ſerois point du tout fruſtré de ma douce part de l’affection que voſtre cœur me doit ; Et que la beauté de voſtre entendement trouueroit moyē de m’appaiſer par raiſon, & me conſoler honorablement. Ceci fut l’occaſion de mes perturbations ordinaires, & croyant ſans le croire qu’vn autre eut obtenu ce que i’eſperois, ie me reſolvois à ſupporter ceſte diſgrace, à quoy i’eſtois preſque deſia tant faconné, que voſtre contentement tel que ie l’imaginois eſtoit le mien, & m’eſtimois comme heureux de penſer que ie vous voyois en vne mer de plaiſirs : Ceſte fantaiſie auoit deſia tellement tranſmué mon cœur & changé mes deſſeins, que mon amour ayant conſulté auec la raiſon, eſtoit preſt de ſe tranſformer en vne amitié ſi parfaite, que les choſes ayans eu effait en l’ayant recognue l’euſſiez acceptee, & contrainte n’euſſiez point eſtimé voſtre contentement eſtre accompli, ſans ceſte particularité, qui euſt eſté de m’aymer de meſme, pour en ceſte vnité de bien-vueillance, conſtituer l’vnique belle Affection. Cliambe. Ceſte nouuelle comme vous la dites, eſtoit toute autre que ce qui ſe paſſoit, & i’en demande pourtant pardon à l’Amour & à vous, ſi vous le deſirez : Il eſt vray & ie vous le dis comme il en va, que le Prince des Hoſpiſtes me veint voir, & non celuy que vous dites, qui n’eut pas eſté mieux receu, d’autant que l’vn ny l’autre n’eut peu eſtre accepté de mon cœur, mon deuoir me fit receuoir ce Prince auec honneur, à quoy i’adiouſté l’artifice, luy faiſant en apparence de grandes demonſtrations de luy vouloir du bien, ce que ie faiſois pour deſtourner l’opinion de pluſieurs qui comme ie l’auois deſcouuert, ſe doutans de nos affections, euſſent voulu les empeſcher, & de faict ils craignent que ie ſois voſtre, pour ce que cela auenant, ils perdroyent les libertez inſolentes & malignes, où ils viuent en noſtre Iſle en toute diſſolution, contre la vertu au deſceu du Roy. Ainſi entretenant ce Prince i’abuſois mes eſpies, & vous conſeruois en mon cœur, maniant mon amour ſi modeſtement qu’ils ne penſoyent plus à attenter contre vos affections, au preiudice de nos amours que ie deſguiſois induſtrieuſement : Et quant à ce Prince, ie le renuoyé fort à propos auec quelque cōmandement, dont il fut tres-aiſe & moy fort contente : car il ſe retira & ie partis incontināt pour venir icy où maintenāt ie vo° ouure mō courage, duquel vous ferés preuue cōme il vous ſera agreable. Cavaliree. Ie ſuis & veux eſtre tant aſſeuré de laverité de ce que vous dites, que ie ne deſire autre certitude que le teſmoignage de mon cœur qui vit de la pure flame qu’il alume en vous aymant, & ce n’eſt point vne vapeur vaine qui ſoit ſimplement paſſagere en mes affectiōs, c’eſt vne forme qui l’a penetré & qui durera autāt que ie viuray, laquelle iamais ne chāgera, ny diminuera. Auſſi ie m’aſſeure qu’il n’y aura plus d’vne part ny d’autre d’alteratiō en ceſte perfectiō d’aymer, d’autant qu’elle eſt cymentee par la vertu qui la rend immuable & permanante : I’en recognois mes ſens tout remis, & en telle humeur i’ embraſſe la tranquilité, ie repare mes belles intentions, que ie repren pour vous demonſtrer la verité de mes paſſions legitimes pour vous, & de quelle fidelité d’amour, ie demeure conſtant en la fermeté des affections que ie vous doy. Quand ie vous ay veuë, ie ſuis retourné à moy-meſme, & tout animé de conſolation, ie r’entré en mes erres, ie recommence donc à viure en vous aymant, pour viure : & ſans plus cy apres, m’alterer de mauuaiſes emotions, qui ſollicitent les eſperances à mal, ie m’appuye ſur la fermeté de bonnes promeſſes où ie poſe pour iamais le piuot de mes agreables mouuemens, & ne donnant plus lieu aux inſolentes idees de mal, ie m’arreſteray à ma fortune eſſeue, entremeſlant le plus ſerieux de mes exercices du penſer qui m’occupe à la recherche du moyen de vous ſeruir : Ie viuray conſtamment en ceſte deliberation, & ne reſpireray que l’amitié dont ie nourriray mon ame qui vous a pour vnique obiect, mes fidelitez vous le teſmoigneront. Ils prolongeoient leurs diſcours & la nuict ſ’approchoit pour ſ’emparer du deſſus de la terre, qu’ils furent ſeparez par l’effect d’vn bruit qui ſurveint : la cauſe en eſtoit l’arriuee d’Ahorant prince de Boron frere d’Etherine que les Princes furent receuoir & mener au Roy leur pere qui l’ambraſſa auec grand honneur. Il ſembloit que cecy eſcheut à propos, car on auoit au ſecret conſeil des amis conferé auec Etherine, pour luy donner Olocliree en mariage, moyennant la volonté des ſuperieurs. Apres que les Princes eurent traitté Ahorant, ils l’amenerent au logis d’Olocliree où eſtoit Etherine, & firent entreuoir ces deux qui ſ’eſtoyent tant deſirez, le contentement de ce frere & de ceſte ſœur, fut le ſuiet de ceſte Seree, auec lequel les deuis entremeſlez des ieunes Princes & Princeſſes ſ’eſtendirent tant auec la nuict qu’ils la paſſerēt preſques : Meſme ce nouueau venu, ſans ſe douter du bien qui luy eſtoit reparé, ne pouuoit laiſſer Olocliree, à laquelle il ſ’eſtoit deſia tant addonné, qu’à peine creut-il que la nuit fut cloſe, que la compaignie ſe deſbandant, on ſentoit la venue de l’aube du iour.






L’HISTOIRE

VERITABLE,

OV

LE VOYAGE DES PRINCES

FORTUNEZ.


ENTREPRISE QVATRIESME

ENTREE.


E ſeroit vn dommage infini pour les curieux, ſi l’oubli enſeueliſſoit les actiōs magnifiques des Princes de Nabadonce : auſſi ce leur ſera vn profit exquis, de voir au iour les eſfaits de ſi rares conſequences égales preſques à la lumiere. Tous les beaux eſprits qui s’adonneront à ces auātures beniront l’heure en laquelle leurs yeux aurōt eſté ouuerts pour diſcerner ces diſcours, & ſentiront en eux meſmes vn abſolut contentement, ſi toſt qu’ils pourront deſcouurir quelque deſſein : Or que chacun qui voudra ſ’y delecte, quant à moy i’ay pris plaiſir à retracer ces belles rencontres que i’auois comme delaiſſees, mais la bonté de mon cœur, & les excellēces de mes penſees m’ont incité à pourſuiure, à ce que les eſteincelles de mes delices illuminent pluſieurs qui ſ’eſiouiront de la naiſſance de cet ouurage.

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DESSEIN PREMIER.


Le iour pour l’exercice de la Pieté. La ſepmaine d’excellence reſeruee pour l’Empereur, ſtructure du lieu de deuotion. Artifice de la figure d’vn crucifix. Bastiment de ſale eſgale. De l’inuention des lettres, de la ſcience nottee. Comment ie deuins Curieux. Particularitez Royales.



LE temps eſtoit releué ſur ſes beautez, & la pureté du iour promettoit aux eſperans toute felicité, le commencement de la lumiere denotoit que le reſte de la iournee ſeroit de meſme ſuite, & en ceſte douceur de temps, l’Empereur ſ’eſueilla du plus gracieux ſomne qu’il eut reſenti de ſa vie, eſtant preſt & veſtu de drap d’or mignonnement élabouré auec le luſtre qu’y donnoit la ſoye teinte en couleur de pauot champeſtre, & tous ceux de ſa court habillez au ſemblable ſelon leur qualité, il fut parlé de ce qui eſtoit à faire. Deſia le Roy & la Souueraine, à la requeſte des Princes, auoyent ordonné, que ce iour ſeroit ſeulement ainſi qu’il eſt raiſonnable employé aux exercices ſaints, & de pieté, pource que nos actiös ne doiuent point tant eſtre à nous pour y vacquer abſolument, que nous ne tournions les yeux de noſtre eſprit, pour contempler celui auquel nous nous deuōs nous meſmes, & que quelque ſuiet que nous traitions, nous ne deuons point y eſtre tant adonnez, que nous ne recognoiſſions la premiere cauſe, ceſte eſſence des eſſences, ce grand Dieu qui nous eſlargit tant de biens, & permet l’vſage d’iceux, car il faut eſtimer que noſtre principal deuoir eſt ceſtuy-là : le reſte des affaires du monde, ſoit qu’on les die ſerieuſes ou autres, ne ſont que nuages paſſagers : Et pourtant il fut conclud, que laiſſant toute autre affaire à part, on ſ’employeroit aux prieres & actions de graces, & que pourtant ſelon, que noſtre humanité honneſte le requiert, l’on s’egayerot auec modeſtieaux paſſetemps, qui ſont la ioye de l’eſprit, & le confort des ſens. Adonc le heraut d’Amour fut appellé, & luy fut enioint de proclamer de par l’Empereur & la Souueraine, ce qui auoit eſté reſolu : Alors il ſortit en ſon magnifique accouſtrement, & montant ſur le perron qui eſt la baſſe court, qui ja eſtoit pleine du bon peuple, qui venoit aux ſaintes ceremonies, & ſ’aſſembloit pour ſcauoir ce qui auiēdroit apres, il proclama, Auiourd’huy eſt le temps de la ſainčte Aſſemblee, pour la vacation à la pieté. La ſemaine prochaine en l’honneur de l’Empereur auquel elle eſt donnee pour ſon particulier, il ſera aduiſé au reste des affaires & cauſes d’Amour, & ſera nommee la Semaine d’EXCELLENCE, libre aux Curieux.

Vn peu apres l’Empereur ſortit, & s’achemina vers le lieu de deuotion qui eſt fitué au plus bel endroit de l’Hermitage. Si en tous les edifices de Nabadonce il ſe trouue des excellences & raretez, il y en a en ceſtuy-cy, qui eſt le racourcy de tous les plus parfaicts baſtiments du monde, leſquels n’ont rien d’exquis que la piece qu’ils ont empruntee de ce Theatre d’Architecture : Nous ne l’oſons deſcrire ny pourtraire, d’autant que le propoſant aux yeux il ſe mettroit tant d’en uie és cœurs des puiſſans curieux, qu’ils s’aſſembleroient pour démolir les ſuperbes temples, afin de les reconſtruire ſur le modele de ce parfait. Et puis qui pourroit en ſupporter la magnificence, veu qu’auiourd’huy il y a ſi peu d’ames de proportion que celle que nous preſenterions ne ſeroit pas entenduë que de quelques vns, deſquels le courage eſt ſans mauuais ſoin, ſans ambition, ſans auarice, & ſans enuie. L’Empereur remarqua les traicts admirables qu’il peuſt apperceuoir en ce lieu, qui de tous coſtez reluit de pieces exquiſes : car outre l’excellence de dedans, il n’y a endroit dehors, qui ne parle aux yeux & les arreſte. Pour l’ interieur il eſt tel qu’il contiēt tāt d’exactes ſymmetries, qu’il eſleue les cœurs des voyans en extaſes parfaites. Ainſi que ſa Maieſté mettoit le pied ſur le ſeüil, Sarmedoxe l’arreſtavn peu luydisät, Sire, cöſiderez s’il vous plaiſt ce que vous voyez ſans l’apperceuoir.L’Empereur qui auoit l’œil prōpt & ſe ſentant auiſé demeura vn petit pour eſplucher les obiets auec la veuë, & contempler plus attentiuement ce qui s’oppoſoit : regardant au hault de la vouſte il luy fut aduis en montant ce pas qu’il vit la figure d’vn crucifix qui tomboit d’enhault, s’auançant il le perdoit de veuë, ſe reculant le voyoit parfaitement. Il prit occaſion de conſiderer ceſt ouurage notable, pour, eſtant entré, le comparer aux autres. Il eſt certain qu’il ſe trouue peu d’artifices ſemblables : car il eſt naifuement fait, releué par tous les endroits de cou leurs naturelles appoſees artificiellement& d’inuention non veuè autrepart. Il eſt de toutes ſortes de plumes de toutes couleurs ſi bien collees & fermemēt appliquees qu’elles y perſiſtent durablement. Minerue cōfeſſe que celuy qui eſt en fon cabinet n’en approche pas, biē qu’il ſoit d’vn meſme ouurier, lequel en ceſtuy-cy a vſé d’vn art plus tranſcendant, & de fait il y a en ceſtuy-cy vne particularité merueilleuſemēt remarquable, c’eſt que ceux qui ſont dās le ſainct lieu ne voyēt point ceſte figure, ce crucifix diſparoiſt aux yeux & quelque peine qu’ils y mettent, ne le peuuent diſcerner. On n’en voit haut ny bas aucune repreſentation. Il n’y a apparence que d’vne riche vouſte figurant le Ciel où ſont les bien-heureux, auquel on eſt attiré par la contemplation d’vn ouurage tant extraordinaire, où chacun voit les heureuſes impreſſions qui l’excitent à deuotion : Les obſeruations que fit l’Empereur apres auoir rendu le deuoir à l’Eternel furent cauſe qu’il eſtoit haute heure, quand il vint à la ſale du Soleil, où le couuert eſtoit. En ce lieu tous les meubles ſont d’or, & ce qui n’en peut eſtre, eſt doré, & le reſte eſt d’or muſaique, non pour l’eſpargne de l’or, ains pour donner le luſtre, & garder la proportion aux eſtoffes & à l’ordre des meubles & pieces ſymmetriques qui y ſont.

Le Roy de Nabadonce auoit fait par ſpecialité baſtir ceſte ſale, de ſtructure tant obſeruee & de tel ordre, qu’elle eſtoit comme double, ſi que ce qui eſtoit le haut bout ou lieu plus honorable, ne l’eſtoit point d’auantage que l’autre, ſi que deux Monarques égaux y pouuoient eſtre également à meſme table, & tous deux ſeruis de ſemblable ſorte, de pareille vaiſſélle & de ſeruices égaux, & en meſme rāg. Ceſte ſalle eſtoit carree, poſee ſur vn piuot qui la tenoit en iuſte balāce, & y auoit au bas vn artifice de rouages qui ne faiſoit point de bruit, car les roües eſtoient radoucies ſur piuots obliques, ſi que l’engrenage ſe faiſoit ſans eſchaper à coup, mais lentement, & ainſi la ſale tournoit preſques imperciblement, ſi que l’Orient deuenoit l’Occidēt, & de meſme conſequēment ſelon le iour ordinaire. D’auantage aux deux parois oppoſites y auoit vne cheminee, & aux autres des croiſees propres, le tout exactement faict ſelon les plus exquiſes practiques de l’architecture, Les portes ſi bien ſituees que les ſeruices eſtans à droict à l’vn comme à l’ autre, il n’y auoit que choiſir pour le lieu plus eminent, vn bout eſtoit à melme aduantage & autant aduantageuſe aſſiette que l’autre, tant vn Prince que l’autre eſtans aſſis auoient place en meſme degré, la diſpoſition eſtoit eſgale : Ceci pourtant n’auoit point eſté faict pour debat qu’euſſent peu auoir ces deux Monarques pour la preſeance, d’autant que liberalement, volontairement, & de franc vouloir, ils s’entrecedoient amiablement, & toutes les difficultez & preſomptions dont les autres debattent, n’eſtoient point és fantaiſies de ceux-cy. Ces obſeruations n’auoient eſté practiquees que pour faire paroiſtre l’excellence des ouuriers, le bon loiſir du Prince & ſes deſirs vertueux s’occupans à ſoulager ſon peuple, le rendre à ſon ayſe, pour en eſtre benit, luy faire iuſtice, ſe recreer en ſuiets de merite : & faire paroiſtre aux peuples qu’il eſt ſeant que chacun tienne ſon rang és aſſemblees notables, où la confuſion faict voir de quel eſprit ſont menez ceux qui la cauſent : & l’ordre demonſtre la bonté de cœur, excellence de courage, & grandeur vertueuſe qui gouuerne les ames de ceux qui ſçauent bien faire. Nous auions les yeux fort empeſchez à conſiderer, & les oreilles eſleuees aux diſcours, parce que ces Monarques en diſnants ne faiſoient point employer les langues des flatteurs, ny des donneurs d’aduis pour preſſurer la ſubſtance des peuples, ains commandoient aux bouches diſertes de s’exercer ſur ſuiets de merite : ſuyuant quoy les Sages diſputoient de choſes notables, & tendans à la gloire de Dieu, où ils raportoient tout, le loüants des biens qu’il octroye liberalement, & comme les propos ſe forment les vns par les autres, il fut parlé de l’inuention des lettres ſur ce que les premiers hommes auoient tant de ſciences infuſes, que leur ſcauoir eſtoit vne abiſme de doctrine, ce qui occaſionna Sarmedoxe d’en diſcourir ainſi. Le premier homme eut la ſcience infuſe generalement & ſpecialement, ce qui paroiſt aſſez par le iugement qu’il eut de nommer toutes les eſpeces par leur nom propre, & ſignificatif, & demonſtrant le naturel, vertu, fins, & compoſition : Et pource que poſſible il preuoyoit que Dieu ne donneroit pas à tous vne meſme ſcience, par ce qu’il n’eſtoit pas neceſſaire pour l’impoſition des noms, ains ſeulement pour la cognoiſſance de l’obiet, il recueillit de ceſte intelligence tant abondante certaines marques dont il fit vne Science que ſes ſucceſſeurs qui l’ont pratiquee long temps, & eſt demeuree à quel ques vns, ont nommé Science nottee, la quelle a eſté conſeruee auec la Cabale en la meſme façon que nous auons veu que les peres la gardoient en leur excellent manoir où nous fiſmes vne deſcente, ſuyuant les auantures qui accompaignent celles d’Herodias. Par le moyen de ceſte ſcience on cognoiſſoit incontinant vn ſuiet propoſé, & de ſes nottes on extrayoit vn caractere qui en particulier repreſentoit le tout. Depuis comme au declin tout diminuë, l’entendement s’eſtant abbaiſſé, & encor plus par le peché, les enfans d’Adam n’ont pas eu ſi ample cognoiſſance, d’autant que la premiere ſcience leur fut deniee, ou pource qu’elle fut perduë par la faute de celuy qui l’auoit receuë, ou pource qu’eſtant partagee les vns en eurēt d’vne ſorte, les autres d’autres, ſi que leurs inuētions furent diuerſes, comme diuerſement ils heriterent de leur pere. Il eſt aduenu que ceux qui ont eſté vniuerſels en ſçauoir ont par diligence & eſtude ou bonne memoire recueilly & gardé ceſte Science Nottee, & l’ont par charité ou amour de gloire laiſſee à leurs intimes & ſucceſſeurs, & à ceux qui eſtoient les meilleurs d’entre les autres qu’on iugeoit gens de bien, & celà continuoit ſans difficulté, tant que Babylon eſtant entrepriſe, les langues & la cognoiſſance furent troublees de confuſion, & ceſte doctrine courut hazard d’eſtre eſteinte & perdue. Il eſt vray (pour autant que Dieu ne nous punit pas exactement) que quand la langue d’entre la famille, gent & nation fut diſcernee & aſſeuree, les plus ſages qui auoient quelques reſtes de ce grand bien s’auiſerent par labeur exquis, de pluſieurs de ces nottes, & figures des ſuiets & eſpeces, ſi qu’vne partie de la ſcience fut reſtablie es entendemens, & continuee par quelque temps, ce qui ne dura pas long temps, à cauſe de la preſomption des malins qui ſe fians en leur ſçauoir plus qu’au don du Sainct Eſprit s'en glorifierent, & entrerent en ſens reprouué, dont le Genie des Intelligences eſtant contriſté, il laiſſa les hommes ſans les aider, tellement que tout deſcheut gliſſant de mal en malheur, & ces belles nottes ont eſté troublees, & leur notice a eſté perduë & euanouye, & les hommes n’ont plus rien cogneu : Ceux auſquels quelque eſchātillon de la bonne ſcience eſtoit reſté, cognoiſſans que le monde n’eſtoit pas capable d’vn tant excellent ſecret qui deſnoüoit toutes difficultez, & ouuroit la nature iuſques aux plus reclus cachots, s’aduiſerēt en celāt le meilleur d’ē publier quelque choſe & telle, que ſans hazard de dōner trop de cognoiſſance on le peuſt apprendre, & en firent vn abbregé : lequel fut aſſez pour tenir longtemps les eſprits en occupation, & ne declarer gueres, bien qu’il peuſt declarer aſſez, & quelquefois trop. En ceſte vertu ils inuenterent le moyen de pourtraire les paroles, & non les choſes & vertus, & ſe contentans de celà par grand labeur trouuerent les lettres, ſe raportans analogiquement aux ſons, aux voix, accords, accents, prolations, mots & paroles : Pour à quoy paruenir, imitans nature qui a quatre elemens, ils ſe figurerent quatre nottes que binant, combinant, & triplant finiment, ils firent eſclorre en lettres conſonantes, deſquelles ils extrayerent les voyelles & diphthongues que ils terminerent à ce que leur cognoiſſance eſtant certaine, on eut de la certitude de ce qu’ils en gendreroient par leurs mutuelles rencontres. Ayant ainſi eſtably ces fondemens ſelon l’vſage, force, & ſignification, de la plus parfaicte langue, ils ont propoſé & laiſſé imiter leur admirable inuention à tous les autres de toutes langues qui ſelon le plus ou moins, de la pureté ou impureté des langages ont accommodé leurs lettres aux paroles de leurs intelligences. Or les premieres lettres auoient encor quelque ſigne de caractere ſignifiant, mais par l’ignorance ou promptitude des ſuyuants, les figures n’ont pas bien eſté exprimees, tellement que la forme a changé, & par tant de fois a eſté troublee, qu’en fin elle eſt corrompuë, ſi qu’il n’a plus eſté neceſſaire de s’arreſter à la diſpoſition des characteres, ains ſe tenir ſimplement aux dictions demonſtrees. Que ſi nous ſçauions bien les premieres lettres, & les premieres paroles, & impoſitions, nous ſerions incontinant ſçauans, car ayans la cognoiſſance d’vn nom propre, auſſitoſt nous deſcouuririons tout ce qu’il cache & peut : parquoy apprenans bien les paroles, le fons de la ſcience nous ſeroit acquis.

Tandis que le diſcours ſe prolongeoit en beaux exemples, paroles triees & demonſtrations exquiſes, i’auois l’oreille attentiue, mais encor plus les yeux & l’eſprit au Roy : C’eſt ce qui nous perd que de penſer obtenir des graces des grands pour nos beaux yeux, il leur faut faire du ſeruice qu’ils reſſentent, ils ne ſe repaiſſent point d’imaginations, leurs cœurs ayment ce qui eſt perceptible, ils ne ſcauent combien ils doyuent viure, ils deſirent ce pendant qu’ils ſont, iouyr de tout & obtenir ce qu’ils veulent, & ceux qui leur en fourniſſent quoy que vils qu’ils ſoient, ſont leurs amis, qu’ils auctoriſent, aggrandiſſent & maintienent, ie ne le penſois pas, mais ie m’abuſois à la douce vanité d’eſtre careſſé & laiſſant la doctrine de Sarmedoxe qui m’euſt apporté du profict ſans honte & ſeruitude, ie ſuyuois la courtoyſie d’vn Roy qui peut à qui il veut, & ie vous diray que le ſens d’vne exquiſe parolle que ie luy auois ouy dire ſans qu’il penſaſt que i’y priſſe garde, m’auoit dreſſé à la commodité, qui eſtoit cauſe que ſans luy ie m’eſtois fourny pour les neceſſitez de la vie. Occaſion que ne dependant en rien de luy, & ne deſirant point de ſes richeſſes, i’eſtois plus enclin à ſa grace qu’à ſon bien-faict, auſſi cela faiſoit que l’eſtois plus libre, : Car qui eſpere d’vn grand, le craint ou le flate, & qui n’en demande n’y eſpere, n’y pretend, il vit auec luy autant pour ſon propre plaiſir que pour celuy du Prince. Et pource n’ayant aucune penſee de profict, ie m’arreſtois à la courtoiſie de ce Roy, lequel m’ayant recognu fort affectionné de ſes fils me fauoriſoit de ſa parolle & benigne approche, & m’euſt volontiers gratifié & encor plus ayant ſceu par ſes enfans que i’eſtois autodidacte ſans ambition, & contant de ce que ie rencontrois ; ſur tout pour ce que ie ne demandois rien, car les Roys n’aiment point à donner à ceux dont ils n’eſperent beaucoup, n’y a ceux qu’ils voyent qui leur ſont humbles sās ſçauoir qu’ils leurs ſoient neceſſaires outre le plaiſir, & encores moins pretendent d’honorer de dons ceux qu’ils croyent qui deſirent ſ’approcher d’eux, crainte que les ayants remplis, ils ſ’eſcartent. Mais ie parle des Roys en l’air, ils ont leurs penſees auec leſquelles il les faut laiſſer : cependant que ie ſuis auec ceſtuy cy auquelie prens mon plaiſir pource qu’il m’eſt auis qu’il le merite, & ie me donne ce contentement de luy declarer que ie l’ayme ſeulement pour l’honorer, ainſi que ie luy teſmoigné par ce petit ſymbole.

Si i’auois le pouuoir egal à mes ſouhaits,
Et que ma Muſe peuſt ioindre voſtre merite,
Je dirois vos grandeurs en accents ſi parfaicts,
Que mes beaux airs ſeroient des accomplis l’eſlite.
Il eſt vray qu’à l’obiect s’eſmeut noſtre pouuoir
Donc eſmeu dignement i’auray de la puiſſance,
Me ſurmontant moy meſme en ce braue deuoir,
Tout ce que ie diray ne ſera qu’excellence.
Voguant deſſus le plain des mers de vos grandeurs,
Plus ſuruiendrōt de vents plu i’eſtēdray de voiles
Et plus l’onde ſ’enflant fera de profondeurs,
Tans plus ie dreſſeray ma nef vers les eſtoiles.
Quand ie diray de vous, mon air ſera parfaict,
Les plus graues cenſeurs, n’y trouueront que dire.
Deſia tout eſt ſi bien pour ſi digne ſuiet
Que riē que tout parfaict mō diſcours ne ſouſpire,
Prince dont les valeurs on ne peut eſtimer,
Si vous auez àgré ceſte petite offrande,
Pour chanter voſtre gloire, on verra m’animer,
Si bien qu’il ne fut onc d’auanture ſi grande.

I’aurois trop de regret d’auoir fi bien dit pour vn Prince de peu, tels que ſont plufieurs qui ne ſçauent qu’ils ſont, mon intelligence eſt à moy, & le Roy que i’honore, eſt le Souuerain de mes intentions : Mais ie me rauiſe de ce Roy qui m’ayant tenté par pluſieurs diſcours fut auſſi de moy meſme ſatisfait ſ’il le vouloit eſtre, & ie m’ē eſchappé le plus induſtrieuſement que ie peu à couuert toutesfois, & le plus qu’il m’eſtoit poſſible me couurant auec diſcret vſage de naiueté laquelle conſiderant il m’enquiſt aſſez violentement où i’auois frequenté, qui m’auoit endoctriné, & comment & pourquoy ie m’eſtois addonné à la curioſité. Adonc contraint parce que ie prenois plaiſir de l’eſtre par la douce force que me faiſoit la benignité de ce Monarque dont la parole ſortoit de l’abondance que couuoit ſon cœur aymant, & curieux. Ie luy en fis le diſcours en termes de meſmes que ce que ie vous deduis : En noſtre France où ſe perdent les richeſſes du iour, ie ne dis pas l’endroict, car perſonne ne m’en a donné occaſion : Si la maiſtreſſe que i’y auois eſleuë ne ſe fuſt oubliee elle auroit l’honneur que pour l’amour d’elle i’en euſſe dict particulierement, car rien que tel ſuiet ne m’y euſt contraint : En ce lieu donc la où ſe retire la lumiere au temps que le Soleil traine auec ſoy le plus furieux des animaux que l’on a imaginez reſider en la ceinture celeſte, eſt vne petite plaine en laquelle nature compoſe ſes delices pour ſe reſiouir, & nous donner du cōtentemët : ceſte terre eſt abreuuee de pluſieurs ruiſſeaux, ornee de ſimples pretieux, marquee d’agreables boſcages, terminee de delicieuſes montagnettes abouties d’innumerables petites collines fructueuſes, & couuertes d’vn air plus delectable que celuy dont on faict le plus d’eſtat pour la ſanté. Au milieu eſt vn petit roc qui en radouciſſant ſa montee ſe releue aſſez apertement, & conſtituë vne ſituation amiable tant il vient à propos de l’ordre de toutes les autres rencontres des artifices naturels qui ſont autour de là ; enuiron le ſommet ſourd vne claire & belle fontaine qui encloſt vn petit parc, qui deuient comme vne Iſle pleine d’arbres ſalutaires, qui y ſont expreſſément rengez en forme d’vne foreſt abondamment peuplee : Ce parc eſt gardé par l’Ange du Silence qui en a le ſoin, & qui n’y introduit meſme par hazard que ceux qu’vne ferme volonté d’eſtre parfaicts àttire & excite à paroiſtre tels ou le deuenir, autant que le peut perceuoir la fragilité humaine, & encor faut il qu’ils en donnent preuue, en faiſant bien à chacun ſelon raiſon ; ſe gardant de nuire & ſuyuant de pouuoir entier & pleine volonté les ſainctes loix de charité. Ceux qui de faict ſe peuuent reſiouir, qui ſont les bien-nez & bien fortunez, & leſquels trouuent moyen d’y entrer, & viſiter les raretez qui y ſont auec iugement de les conſiderer, ont occaſion de ſe dire pleins de felicité, car qui peut auoir eſpace de ſe repoſer à l’ombre lors que le ſoleil eſt en conionction auec l’aſtre d’amitié, & d’y continuer vn peu la demeure, ils reçoiuent par l’influence meſlee en l’ombrage, pureté d’eſprit, beauté d’eloquence, & bonté de iugement, le tout par la diligence & ſoin de la Fée Barule, qu’il faut ſoigneuſement carreſſer & frequenter : C’eſt elle qui m’a duit aux curioſitez que ie vay pourſuiuant ; Par elle, Sire, ie me ſuis duit à cherir ce qui eſt le but des vrais curieux.

Ce grand Roy ayant ouy ce que ie luy racontois de la ſituation de ce petit territoire, eſtoit ialoux en ſoy-meſme qu’il n’en auoit vn pareil en ſon Hermitage ; & ie croy que ſi c’euſt eſté quelque meuble tranſportable, il l’eut non ſeulement deſiré, mais eut mis peine, diligence, & employé moyens pour l’auoir, tant ſa bonne curioſité le poſſedoit. Mais moy, helas ! trop inconſideré, que n’aie eu l’heur d’eſtre plus long temps auec ceſte bonne Fée ! A la verité ſi ceſte excellente, m’eut gratifié parfaictemēt & qu’auſſi ie l’euſſe aymee de parfaict amour, continuant és meſmes pointes dont quelquesfois ie la cheriſſois, ie me fuſſe rendu tāt accomply que i’euſſe conduit cet œuure à l’egal des plus parfaicts. Mais quoy ? on ne peut par deſſus la fortune, ny paroiſtre outre ſa capacité.

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DESSEIN II.


L’Hiſtoire de Pleraſte fille de la Terre, racontee au Cabinet myſterieux.



APres que l’hymne d’action de graces eut eſté prononcé par les voix accordantes aux ſons des plus parfaiéts inſtrumens, & que les plaiſirs ſuccedans aux repas euſſent recreé les eſprits qui ſ’en entreteindrēt quelques heures Les Monarques ſ’auiſerent d’entrer au Cabinet myſterieux où l’Empereur n’auoit point encor eſté, & le Roy luy en vouloit donner le plaiſir : on n’y introduit gueres de perſonnes, & encor faut-il que ce ſoit des intimes & bien voulus, & les plus fauoriſez : I’eu ce bon-heur d’y eſtre 26. Le voyage des princes

adinis, i’eftime que pour lorsi’eu cefte grande recompente dema fermeté & patience, car le Roy quim’aimoit, comme ie penfois,aumoins ic mele faisaccroire, pour mon contentement:

car les Roys n’affectionennt que leurs ſemblables, m’auoit commandé de me tenir pres de ſa perſonne, & ainſi il me mit ſa main fur l'eſpaule comme pour luy ayder a cheminer, & ie paſſé auec luy & vn peu apres la porte fut fermee , à l'inſtant on ouit y Frapper , & la Fée Gnoriſe qui auoit le gouvernement du cabinet regarda qui ſ'eſtoit qui heurtoit, puis vint dire que c'eſtoit l'ancien Hermite, incontinant les Princes commanderent qu'il entraſt, le Roy faiſoit un grand eſtat de luy, tant pour ſa ſageſſe & âge, que pour ſa bonté naïue qui le rendoit de notable merite : apres qu'il fut entré les Monarques le firent feoir entr’eux deux, & comme les deuis ſe multiplierent ils le prierent de leur dire quelque choſe de beau & notable ; Adonc l’excellent vieillard leur raconta cefte merueille. Puis que le lieu le requiert, que voſtre iuſte & belle curioſité le demande & l'ordonne, il faut que ie vous face ſcauioir excellence vnique & merueilleuſe entre les miraculeuſes actions de ceſte force que Dieu a miſe en l'vniuers, & qui {¢ demanitre 4 nous fous ‘fe nom de nature : le yous raconteray ce qu’aucun n’a encores decla- ré, que pecfonne ne pent (cauoir & qui ne doit

eftre dinulgué, auf] hor. di icy chacunle tien-

dra enushoppe dans fon cour, aucc le prndent yaile cde fignce Mon Royi ig parle dyn af vos fortune~. Entreprife 1V. . 7’-7 ·

i :,.11ceG :res & bie11 que ie n’en doitte rien decla. rer quinefoit à fa loua11ge, & à vollre aduantage, toutesfois ie fitis forcé de vous çleduire & reprefenter v11 erret1.r qui rempdrta, & ne~11tmoins cela tour11era à vo !l :re gloire,d~aut ;tnt · que v•ofrre li1n1iere dimpera l’ombre que· ce !l :e faute eq !l : pet1 faii :~ paroi !l :re, & puis le bien qui . e11 e !l : aq~µu faiél ; qqc l’011 c11 doit bie11 e !l :imer, , &croire que fo11ue11ç no,s mau11ai !l :iez ou plu. fl :oll : fllallieurs, fo11t c11 leui :s operations tel- : ·.le~1e11t di.fporees , qu’il. en : paiŒ de grandes · ço !TÎmoditez, c’ell vn · des -faiéts _du Souuerain qui ne’ veut rie11 perdre. Sire le Roy vcill :re grand pere eO :a11t delia d’age èfpot1fal’hcritiere · des I_fles, de laqu~lle il 11’ çut pour to-µs en fans qt1’v11 fils· ; peu apres" la 11aiŒa1,ce duquel 1~ RoJrne mot1r11t lailfa11ç I,e R.oy en gra11d deu1l, ce fils fut efl~ué (oigneufe1ne11t & ,l)ie1111ot1rri, ~e b.o,n homme Roy n’·aya11t q11e ce !l : e11fa11t , q11'il vc>)’oit delia gra11d, e11 ell :oit tout co11folé, & Cti !p,e11da11til ç.11 :_ ?ii : àttri(l :é de 11’auoir que luy. cela f11t caufe qµe par l’ :,iduis des fagesïolnt a1,1 fie11,il feremaria,&eutd’autresé11fà11s, qu’il ~ailTà e11 bas age, car il ~nouruç deux .ou trois an,~ ~pres fon 110uueau 111ariage, & vç,tislaifià fort petit aifi1é po.urtant de ceder11ier Iiçl. Or do11 :QUès ce ho11 Roy atteiri,t des ans,. & ratfalié de . iours ,pres atto_ir ce11u. le fceptre qe N a,bac.lo.nçe foixat1te ans :iccoiµ,plis, fifr retrai0 :e vers la n.îulcitu_de, & [011 fi_ls aifné obti11ç le R.oyaume.• .C.e Pri1ice ~uojt e !l :é tc11u d’afiez prcs par la pru :~e11ce ~u pere qui ne le nourilloit p,as en Prinçe · po_ur. deuenir i1~[~l~nç_ 1 mais. ei1 fils qui ’4oi~_ ··

·

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72.8

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. Le voyage des Prin~es · · .

ell :re obcilfa11t & le retenoit fi qu’il n’euil of~ faire les de{hanches qt1e l’o oit dire qtte fo11t les grands & lesPrinces,lefquels f y laiflè11c empol.’~ ter. Tout~sfo•is (e voyant Pri11ceabfolu,&goufiant de la doticcur que les Roys fonc efclore du miel qu’ils f.1.tÎoure11t, polfeda11t la fouueraii,eté ,aya11t en main libre la bride de fes alti-. on’s, fe don11a, licence de f’ellàyer ;l la delbau- • che : Au comme1Jceme11t l’es ho1111eiles ieu,ç -l’e11l< ;uoient, puisles illicitesl’aya11s !1ectié_, _il-· 7

feles propofaloyfil,les_, telleme11t qu ll fe gl1tfa’ Elaifammefit au cdula’nt des vices~ & f~i : tout, · fc rcJidit vit1emei1t à la fi1ire de l’impudicité, de forte qt1e fon bie11 f9ut1erain çll :oit de renco11-_ trer çl{nerGt6 de fuieéts d’amour impudique, , Suyuant efperdume11t ceG :è pointe lafçiue qu’il mefloit’dé l’exercîce de,la c :haife, il auint que : par v11e par~ie f.1ill :e & rio11-accoQ[Jumee 11 e11-, ~ra au l)arc du buiifo11 ~e_s Damè5 (a.i11fi iadi~ pn nomn1oit

bois où e !ç baQ ;i 11oitre Her111itage,& tout cet encl’os où e11·quel ques ~ndroit.$ voQs auez faiêl : o.O :er les arl,,L ;es 1ïuifaùs, pc~ur llCCon1moder ce Palais f)e l ;tiff.’ltlt e11 fàn ;intiquité q~c :lamo11taignccredcl<1,Mantiçhore<Sç • le lieu de n,a Ccllulç :) le Roy do11qi1es tirpffan t dans ce grand parc où pcrfQnnc 11e hail toit ordin :,.ire111e11t, que le Mq’na"rgne & t1uelque~ particuliers qµ’il y me11oit, f’eQ :a11t efçatcé ïJ - re11con~rala belle Fée qt1i a e(l :é ainG 11on1meç du con fenterne,1t de tot1tes, à ç :aufe de fa perf~- · ê :ia,1,ellc e !l :oi~ fille qe la· fée·Reclufe qui a fai~ l, ;ill :ir le petie Palais ciue vos prcdeceliëµrs luy - Q11t ~Q !lJl~ ?lc ’ll :lÇ Voµ~ m’~µ~~ çq1~tt11u~ ~pr~§_I~ 0

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. fortune~. €ntreprife 1 V. ,/

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719

laig qu’elle 1n’cn a faifr, ie,le puis bie.n n~ !n ?’ler Palais àcaufe d~ la grande l excel.len~e qu 11 garde : Le Roy ayant eu Ja rencontre1nefperee’& no11 premeditee de ~elle Belle, qui n’eut pas , voulu confè11tir,à drelièr des parties pour donner occalio11 d’ A1nour : il l’a contempla & elle furprife, .fiefl :ant arrell :ce, & le cognoi1fantàfon , port & authorité, luy renditle deuoirqu’elle .. fc ;auoit cll :re de la· bie11-feancè : luy gracieux comme on le doit ell :re aux Dames, l’arraifon11a. courtoif~m ent,&ai116 et1~ét enfem ble quelquei p~·opos , ap !es lefqt1els il palfa ot1tr~, & incontinant fc retira & L’e11 alla chal[erautre part. La, beauté de cc{l :e Dame fefl :ai1t reprefentee à fa. 1nemoire,il fe la miG : t~llemêt en l’ opinio11 qu’il crut qu~ ian1ais, rien ne l’aùoit peµ tant efmouuoir, que cell :e belle, dont il Pefprifl : fi viuemc11t· qu'il fe refo1ut de f>y arre !l :_er ., & de là en aua11t de fe promèner feul e11 ces bois : Il eut la coLl :â·ce de ne faire point.paroi !l :re fa paillon, car il fut plus d’v11 mois fa11s aller atl parcfuiµant, a :uec l~s fiens les lieux ordi11aires. A la·fi11 vou-·.

!~rit don11er lieuà.fes amours, ilfemitàfu}·ure

fcs dclirs,& f en alla11t feu ! efgayer da11s ces bois accofroit la belle Fee qu’il vie li’fouue11t & auec · ta11t d~artifice amiable, qu’il luy 6Q : trouuer 1->on & ~uoir agreablefon affeério11 : & pource qu’il f9auoit bién que les.am purs fe forµ1e11t par douceur, il en pratiqua tant, auec humilitez de de-..

!,loirs qu’il vainquit çefr efprit qui viuoit fans artifice, ainfi quelque fi11 qui e11 auicne !es approcl1es d’amour 011t touliours leurs commencémçns par 11µmilitç & fi1ppliçatio~~, ce Roy ay~ 1


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J 7 3o

. Le "V~age des Princes .

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a11t par telartifice faiêè (es approches iQduiGt la · l,eJle à luy vot1loir du bie11, & con1n1e il la pra- · ti qt1oit, pottrce q11e les an1a11s 11’e !liiment vray que ce q11’ils pe11fè11t, 11e ittgerit ferieux q11e ce l)t1-’ils e11trepre1111e11t , 11’el1in1e11t bon qtte leur _et1 :it, il n1ill : toute {à. cure à cefl :e foli-eitt1de, à lilquelle il fe donna entieren1e11t, 011bliant tout at1 tre foin,dc forte qt1e ce 9u1 li ell :oit qrdi11aire Jl’efroit plus enfa cog11oilsâce,(011 c~t1r’11’efioit plus ~tteint de ce qt~_i p :ira~ant le, paffion11oit~ les autres .daines qn 11 ~uo1t efperdume11t ay-- : • mecs 11’ :iuoicnt rlus de gracè, tou’s ob.ieél :s d~ qeliccs _e !l :oient fa,1s attraits, il 11y auo.it que l’a, feu le Fee ~ui-ft1 !l :ltot1te

ay n1a ble, elle efl :oit l’y1

l1iqtie ~1ui cot1 roit f.1.ueur, cot1tes alttres eQ :oie11t J’1ulles ? Il auoit 111is [on ftrtgnlier pl~ifir à lorti~ fcul par l’l1ùis des iarditJS qt1i uefpo11d a9 parc, 11e vo1.tlant qt1’ ;i.t1cu11 lefi.1yui{l :-, &~cfaiét,iel~ pcnfois dire, quand ai.1 premier il trouua l ;,i. Fie. il { ;e !toic deba11dê, & ~t1oit co1nma11dé qu’on lelaillà(l : lèt1l, ce qu’il fai[oit pe11là11t qu’il y eu !.l : là quel9.t1es l-,er.geres pottr en cl1oil1r à fo11 plaifir, 11e (’a.t1ifa11tpas qtt_e çe p, ;irç.eG :o_it clos_de n1t ;1- : railles & que per(o1111_e 11yl1antoit, car ce lieu· de. tot1t téps au oit eG :é d~~ié el"l [olitud~ ,& t_neîn{es. y auoi,t _tot11Ïours dcn1e11ré quel<.111e Druy de, ou. fee, ot1 : i-Ier111ire. Il e11tr,oit e11 ceparc Îeul cbm- :111e pour encreçenir fes pc11fces, fans 9u’il déina{t à cognoiG :re le fi.1iet qui le n1enoit. Cebeau fuiei ;. le retenoit feu !·& 11’auoit rie11 e11 l’an1e que cefr< ;. vJ1iqt1e agitatio11 qu’il 111efloit des affaires ne~effaires du Royaun1e at1fcluelles il vaquoit affcz,, 1

· ~ ~ie11 eau~ [01_1 :111}Ç)l1C. ftt COlJ.1111_~ ~ffre !~e fi l1 :1y. '

. · forfunez. ·fntrepr :ife_JV~ 731 . ~or111ôit-il ccfl :c : l1ride pour auoir Je bien de {•e1~ ~11tretenir auec le feul te1n~ig11age dc_fq11 cq :n11, Les Prfnces, feig11eurs & 5=011feillers qui le voy 7 · oient ai11G pre11~{re des l1eures de folitt1de, i11geoie11t e11 bien_efp~rant qi.1ece fufi vne lJellc rctraiéte_ qu’il fiO : des vic~s ppur v !1qµer à.foi~ deuoir, & pource trout1oicnt J,q11l’ord~e & le r,noye11 q11’il y te11qic. E11 . celte forte il v.oyoi~ fouuentfâ l1elle qui le re,cet1oit aµei :;.hpn11eur, ~ luy ~e11doit tqt1s l< !s_ ofiic~s que l ;i. biei1-fèance comtnande., ·ccpe11~a11~ il fe mul~i ;plioit en la. ,’eheme11ce de [011 zele amotiret1X,&}1~ po11u,an~ · plu~fuppqrtcr fo11 ardeur, il pria la b~llç ~e l’ex-,.• qui[e fi1t~eur :A q11oy elc.luy rerpqndit pruden1. ipc11c,lµy rc111onfrr< c·.ce_qui cfroic del :l10 !1nefl :et ! ,qui l’empefèhoic de col11inett~e .v11 aéte tant derogea11t à fa qualité & gr~nd< !ur, attee cefl :e fen1011llra11_ce elle. adio11lla les plc11rs Ggtles de ln Budicit~ du cœur : Cc Roy 11’aya11c po11r qut d_e felicitê quy la iouyfiànce qu’il efi,e- :. rqi,r, luy dic :B.elle 11epepfez p~s qµe i’aye le c.oura.ge ta11tqer9gea11,tà ina propr.e cog11oi !là11ce, . · q !e ~ç y~ulufl~ de V<>us quelq11e cl19fe f.1ns rai(011 :_11e cr9.ye~ p9ii1t qµ’v ~1 an1oµr inutile n1’ aie reridu vofl :re, Br- q~e le vain defir d’vfer de vous fç,it mo11 dt !fièio : I’ay bie11 v11e autre pe11fee pl4sJ :,~lle, & aua11tageulè po11r VOU$ : le deGre ._ous auoir pour, v11ique Dame, celle qu~ a11ra lpa vie e~1 (qi11, 8- ; qui ,, 11ie auec n1oy par les iu-. 1les loi~ ~e 111ariage, pqrcera .fi1r f~11 chef le Di~-. den1e qui 11’appartie11t .à autre qt1’à la, R oyne, telle que ie vous’fc~ay, & C1chcz ,qucc’cfl :_1110~ ~FfPibewiki (d)fc 4 :i

n10-11 elp~Jr : 1 :-,~ Fi~

S~re ~- : 11e d9 :l1" :

.

.

.

.

. ~-, 3 2.

•. ·. ·

Le r<Jojage des Princes

te poi11t que vous 11’a-y-ez

.

beaucoup d’affeél :ion

pour moy. Car depuis tant de temps voùs 11’auriez pas· eti le cour.age de pre11clre la peine que ie voy qtte to11s les iollrs vous at)CZ à tracer par ce bois,{i qttelque inte11tio11 ne vou~ y tnouuoit, QQa11tâ ce qoevous me propofez de 111ariage,ie vot1s prie de m’excufer fi ·ie 11e pttis croire que cela puiffe ell :re, dau_t~a11t q11il y a dès parties au · n1onde qui vot1s feroie11t plus co11uenables q :µe moy,qui po11c tout bie11·n’ay,que lagloirede noblellè & â’li.onrieur : Car les n1oiens de no- · fire maifon ne· font 1~as affe~, grand~ pour . nous. elleuer e11 telle efpera11ce : parquoy Sire ie_vot1s fuppliede m’e_xcufer& croirequemo11 ’. cf prie 11’èfl : poi11t t~nt. ambitieèix qu’il me face efifmer ell :re capable d’y11 Roy, LE Rov. Ma. Belle lai1Tez ie vous prie toµtes ces excufès,• & co11fideratio11s qui n’ont. rie11 de commu11 à 1100 :re affaire~ ie vous dcfire &_ ay affez ;de moyen de. vous faire Royne quand vous le voudrez : Il ne vo11s ·manque que’l~ v,oloNté, vot1s auez toutes les qualitez qui_fe p.euuent requerir e11 cefl : affaire, vous ell :es i1T1 :1ë· dti fang. Royal , he bien vne .tige Royalle produira v11e Roype, li adioufra tant de l,on11cs èo11dition~ à • ce6 parolles qu’il cc5tinua fi-long.temps qri’ ~Ile y prefl :a e11 fin l’oreille de co11fen temét : li luy con :ta q~’aya11~ fai& de ~ea ?X prep :tratifs il_l’a vie11dro1t quer1r e11 appareil Royal , ·& que cependant il ne lèurfallo1taùtre alfeura11ce que le11rs · mutuelles promelfes : les Roys & les Fees n’ay..

1,11-s de tous temps autres 11otaires que leur foy

& leurs p~roles1 il ne !~ur elto_it b_ef.oin d’ au~~e 7JJ

contraél : que le fyn1bole de la foy., qui e !l :oit de coucher à la mai11, à. quoy elle obtempcra : · parquoy ayant pris_ la foy, du Roy le me11a à fa n1ere qui fe laiffa aifcn1ent emporter à cette belle aliance fàns_y pe11fcr qt1e ce qui Poffl’oit iugeant de l’ame du Roy comme de la ~e1111e, ioi11tauffi_.queco1nn1et,ous amans,-il 11e difoît quece qu’il au oit e11 l’an1e, ·& fes propr~s deliberatio11s l’incitoi~nt à parler fa11s fard·, car fa voJonté e !l :oic de fair~ ce qu’il difoit. En cefre deliberation ·il V !nolt,a__upetir palai~ viuant e11 grande dileél :1011 a_ue :cJa bcl_l.e ,. 8< : €,Ornn1e n :iari ’ , & femrn~ pa.lfoie11c plulieurs. bo1111es : delices enfembleau cétc11temeut mutuel ’delet1r courage vrii & accompagné d~ mefme ~fp< ;>ir , ce qui a paru non que ç1ait eG :e notoirewent pour ce fuiec : car fans 11ommer celle qti’i,l au oit choifie, le Itov raco !lt ;i à res fa1niliers ;qu’il au oit v11e Roy11e qui ·en. bref :fereit fea11te fur Je fiege Royal des ~an1es de N abado11èe, & pour la.receuoir (aifoit drc !fer ce quiétoit nece !faire, appre !l :oit des 1nagnificence~ , ordonnait des ~a..i :iiq’uets & fe !li11s,d !fpofoit des ieux & parties,. . teller,nent que les l’rU4ces-& les pJu~ fages de J.,, court ne fçauoie11t qu~ ce pouitoi~ e !l :re, d’autant qu’ils ne fe doutaient poi11t des amoursdtt Roy : qt1elques ; vns parlas à la dellia11dadc, 1nàis · e11 cachette, imptitoient toue cecy à l’humeur hypocondl’iàquc qui pouuoic l’agit~r, vcu fa folitudc ordinaire ~ les autres auoient d’autrespenfces felon la difpofitiéi de-,leur cœt1r : cepe11dapt le bruiêl : cc,uroit que bien to !l il,arriueroit · v11c gra11de Pri11ceffe qui feroic la Roy ne


femme734

. "l’é·’Voiagedes Princes.

· me & efpotife du Roy ; Lé peuple tout ioyeùi èn efperoit ·de la cci111111odîté :· Les Princes f e11. reïio11y !loie11t , & tous tes g.ètis dè bien f>efgaya11ts. efp~roient que celte Dan1e retiendroît’le :Rôy, le i :etireroit de coures defuati. é :l1es ; & de ’(a vie fdlitàire ; Ai11fi tout le mo11 .. de atten’dôit ceO :evenuee11.èfperancedegrand bie11 ;: Et lu y couÜotlt :S ’éenèlu :l’. res amours les conti11t1oii : ·a1.1èc ln belle , ; cè qui. dura alfez 1011g temps..Or côme ces deùx.~ma11s auoÎeii’t c11fem bic refolù de faire pàrqill :re ce qui e !loit, qi1c : le Roy elloit eri ·de1ibèratio·1~ de fàirè aba :trc la : mtirâjllè dt1 parc po·t1~l’< ::11treè de fà Royl .i1e : Il fu~uint tout-à coup&’ f.1.11s que cëla fut. pre1neclité’, ·lê pins ri1all1etiret1x deifei11 qui 011c. :. . ques ftir otiy .,- -l>ar v1i rnàl-l1eur exti’ém·e , fe"". 1011 v11e Ina’udiél :e de !l :ineè , ’vif n1efchà11t Sa.i tari to’~t d’vri COtlp ; & cÔmtÎlè Vil ’e.fclat d.è to1111erre vï1. tôuclier le céx !t’tr •dê ce Roy g’ui venait vers’la pQrte du parc pont. rentrer- Sot1dain il fe reprit & retourna à la.Fée, qt1i l’auè>ft accondt1ititiïqucsà dix pas,de là & Pell rètour- :noit baiïee & co11tente co1111ne lHy fâtisfaiél : & auec fon gré : _A ce !l :.inll :ant il rèbràuifa ~ & fe ha !l :a ve·rs là· Fée, qui oya11t, le bruiél : de fes pas fe retourna. & vi11t à luy ; & ltiy cd1ùn1e la voula11c einbraifC !r luy po’rt :i vn co·up de poig11art an cœ’t1r,dôt elle tomba 11101’te ~ fes pieds, illa defl :ourne v11 pel !1 &.lenà11t la terre ayfee en ce lieu, lay aya1it oO :é fa ràbbc la cacl1e en "ne legere foife, & plus loin’ va iettèr cet habit da11s le : l1allier., pù1’s repre11d fo11 che1ni1 ! . oti il. fllri

affez .lo’ng temps -- : ~ar : tcit11 : troubli : . .

.

. .

. ,.

fortun :è,z_. èntreprife IV. . 7~5

i~ prifr v11e fente pciur l’agtre, e11 alla11c il iugeoit qu’il au oit bien faiét d’ oLl :er cef1 : ol1fracle à fes . affaires, qu’auffi bie11 on luy enc do1111é l1lafine d’auoir obligé fa foy à vne .fille des bois,& preÎl.lma11t toue au rebottrs de ’ce qu’il. auoic autresfois e !li111é & creu ; il fe facdnna à. fan•

,

defdai11,& fortifia îo11 cœttr fi1r l’aél :e qu’il auoit commis, Orco111inelalo11gucurdu cl1e111i11 où il s’ef1 :oic fouruoyé, luy eue d_o1111é temps .de co11fei ;er auec [011 defpit, il fe ret1i11t ~ pe11fc’r qu’il 11’a1.1oic point ~li de refpeé’I : à fa grandeur. en fe fouilla.11t de f.-ing, qu’il ,11’auoit poi11t porté reuere11ce au, fexe • & qt1’il llC s’il.toit pout lors auct1netnt11t fouue1111 de ce qtt’.il àyn1oit tant, & que ·tol’ !t d’vn caup f11.11s caufe il a hay c· ;qu’il te11oit fiche~ ; il l’,a ·co·11t !!ml1é auec ta11t d l1orreur & de cr_uattte , pe11C-i11t co1nment l’l101111eur efroit tombé de. deua11t· fes ye11x qui furent lors fermés à coute· bie11 -feance, car à ce coup tou·ces les.vertus efl :oiëc efro11ffecs,& peri. :. rent e11 luy par l’excés ·de c~illc furicqfe opini.a. 011_qui le fifl : par vne i11ique ,refoll1tio11 de,._ u~11ir mcur’trier’ & en.terreur de corps mort. ’En-ce tèmps là il cot1rut vn brt1iél : qu’il ha11tqit ès bois de la folitude vsr Drago11 aile :r. dangereux, il s~e11 fouuin t., parqt1oy à fa de~ n1ie repe11ta !1ce il adioufra-vne co11fideratioQ. & i1nagina qtte f :i. faute fera couuerte par la perifee q11’aura la vieille Fée, que fa fille aura éll :é deuoree : à celle penfee il c11 adioufra vne autre, c’ ell : qt1’il et ;l :ime que pour quelques iours la !age vieille iugera q11e fa fille . toute Roy11i.. . Le 1J ayàge d~s Prin ces

·13 6

feraallee au ~a.lais royal, & qu’elle prepareles · affaires ponr la ’venir voir, & voila. comment il feint fa confolation. Mais quand i ! fuc de retourau chall :eau, & fi1r le foir que fa folie fut· refroidie, & ;que fon cœur luy reprc :fenta for.t offcnce, & fes delices perdues, fon aél :e 111audic-& perfo1111e ’qu’il auoic eCT :einte, faifa11t batailler ces contrarietez a1.1 fo11-des trompettes . de là repenta11ce, du dcpit, du regret ; & de la furet1r : il e11.tra .et~ v11e f.i~ure cl1aude, fomente~ de mel~ncholte ca11t vel1emente ? que fcs. propres furies rc11co11cta11t à propos~ il ell men.é de frel’laifie meflec de f}·mpton1es fi crùels, qùe n1ultipliez par le fouue11ir de l’enortiiicéde ce. forfaiél :, il efr accablé d’vne maladie de[efpereé ; . .laquelle dés fon, e11cre~ monG :re :J es d~11rs au>. rnede.cins_, fe :1.1jc :de ; reme.des, f’efgaye des refra1 :1ran~ & pot1rfuit fon hilto,ire fa11s que i :ieri puilfe,çefil.l :cr à force : te~lernent qu’en fept iours il ell : cout al-,batt1 ; mais èon1me à l’i11ll :a11 t que la mori : qui n’auo_it fai_t qt1’.v11 pas depuis qu’elle au oie fuit1i la maladie, fu’t prell :e de’l~1y faire fe11tir la derniere partie de fo11 a~e, l’efprit_ lqy reuint v11 peu,& en cel1 :e petite_re1niffi9n en bon fens, il dit .ces mots : ,le fuis prefl d’expirer, ie recog11oy mes fautes, faiél :es v11 cenotàf~ _à la 1 ;loy11e, egal à mes obf~ques.11.n’eu.t pas lo1lird en proferer daua11rage ; que fa parole & fa vie Pexalerenc enfemble , & par fa mor~ le RoyvoG :rep~refutfaifi du Royaumeàl•igede dixfept ans ou enuiron. C’efl : icy que.la For.. tune a-monllré que les goules qui fo11rdenc des vieilles foucl1es , font clfc :n,ùcllème11t viues11

Ia

fa

·-.

.

bi~ fortune’"{ Entre,prifl ·1 P. 737

biè11 que rares, & auta11t qtte celfes qt1i rt1ilfele11ti des ieunes arbri !1ea11x, car la bo1111e vieille apres attoir 1011g temps attc11du fa fille, & ne la voya11t poi11t, e11tra e11 diuers foupfons, · & tels qtte le Roy auojt para11 ;artt det1i11ez, vi1e pe11fee eO :oit ta11tol1 fi.1iuie d’v11e aittre, pui~ apres aitoir long ten1 ps debatu eri {011 cœttr la premiere opi11io11, . fuccedoit à toutes les autres, à laqttelle. at1ffi i11.. ; fi11ies autres fe re11controyen t :, Elle concluait pourtant, felo11 la bon11e opinion qu’elle ai1oit de fa ·fille, qu’elle n’eut pas v·oulü .faire v11 defl :our e11 fa vie mal à propos ; 11y rien :atte11ter ou · _e1itreprendte farts fori co11gé i11coi1tinent que ce bo’11.auis l’à co11folce, v11 autre la troùble : car el.. ; le va rauaiT :a11t tout aucreme11t ; & en ce !l :e i11. guietude, apres que qt1elquesio.urs ont pnifé,el.. : · 1e refo11t auec la 111efme n1agrihi1imit~, qu’elle l’a,. e11treprife de rompre f.1. reclufion : En ceG :e 11ou-· ttelle & raifo1111able ferl’ieur, : 611blia11t les va11itet <les trifl :es v·œux, elle brife fa robe qui la rete11oit,la iette bas,& fe reuefra11t d’l1abits cômu11s, & legiti1nes fort de [011 habitacle, va & vie11t,ti :_a... cc& retrace par le)’·arc, & faifa11t fo11dre fes yeux e1 :i :plet1rs de do·uletirs, va cl1ercharit non fà fille, mais quelque figne qui luy d~clare ii elle a efl :é· obeïilànte, ou negligen te de f011 deuoir : elle ne peut fe refoudre t Si ell~ eut èllé de l’l1umet1r de ces yilai11s coti.rages, qui ou 11’ ayme11t ri~11, ou fc ; rê11de1it endurcis co11tre ce qu’il faut aymer, elle 1ieut bot1gé de [011 e11clo·s, 111 :tis la te11dre affeêl :io11 qu’elle a vers fa fille prot1e11i1e d’vri pere ay.. nié, la f.1it auoir de l’amitié :· & e11 ceŒe bon11e R,rd_eur, elle va quefl. :ant ce qt1ià e !l :é,àelle :iHelas : A A’Ji.

738

Le,voya !,e des Princes

ô pauurette ! elle e11 trot1ue la robe fur les ro11.ccs, c’ efr à ce 1uome11t, que la l1011<le de fes larmes ell : outierte, les re{forts de fcs yeux font laf. cl1ez,& ado11c elle va lame11tant fur la croya11ce qu’elle a que {à fille 11’ ell : plus :&puis qu •elles’ elt deil :ii1ee & refolue à courir les bois elle 11e veut pl}1s autre occ11.pai :i~ q11’ aller &venir par le ~a~c :. Ell :ant en ce !l :e 111qt11etude elle fc. re11co11tre a 1alee ioignant les murailles, & elle oit du bruit de pl11fieurs ge11s qtii chen1i11ans à fot1le for1ne11t vn 11111rmure infole11t, elle ’fe l1afl :e & arriuantà la petite porte qui regarde fi1r cc cl1cmin l’ ouure, & aya11t veu vi1e vielle fe,n11ne qui paffoit . Ippella ;lavieille va vers elle : Man1ie l11ydit elle, ie vous prie n1e dire q11elles 11ou11elles il y a & que fig11ifie cette n1ultitude ~e peuple alla11t & : ve11n11t, la. vielle luy racoi1t,i. tout ce qu’elle a11oit recueilli !d11 · difcours des v11s & des autres :~ 1’011 faifoit les fu11craillesdu Roy q11i’ efl :oit n1ort d’vne fiet1re chaude , do11t il auoit efte tot1rme11té iufqt1es à-la fin , excepté’ qu’ auant mourir il a11oit dit. fàns autres paroles t}u’ 01 :i fit fes funerailles & celles de la Roy11e qui efl :oit deff1111él :e. L ’A F E E • ~oy 1nat1Jie, le Roy ef.l :oii : il n1arié ? LA- VIE r L LE. :N Oll pas cjue ie fache,Madame. ~.a~s. 011’ dit que fil 11e f1.1t mort, ou n’.euQ po~1~.~-çgé_ 111alade que tout ell :ant prefl :, il deuoit aller querir & an1e11ër v11e belle Roy11e, potir l’ a1no1.1r de laqu’elle il aùoit fait ordonner ca,iit -de mag11ificenccs, que c’ell : mertteiJle, & ’le bruit efioit certai11 que i :i il l’au oit efpoufee, n1ais-à1111e fcauoit ,& 11e fcait on c11cores _.qui elle cfi : & d’ o.ù_ : Et pource q1.1e 73~

le Roy en 111ourant par ies dèrhiercs paroles a ordo1111é fes obïeques, & de la Royne, les fa. ges 011t aui1~ tJt1.il Jerbit ainfi fait,parce qu’il faut obeir au~ der11iercs volontez, La Fee ayant ot1y ces propos re1ncrcia la boi1i1e. fe1n111e & fe ret_ira aya11t fer111é fa porte , & fe 1nit à confi. ;. ; derer ces p,troles de !a vieille, & à faire trop d’imaginations fi1r ce qu’elles lt1y pouudye11t do11. ;. ner d’auis, penfant qu’il y attoit qt1elqt1e cl}o !è de bien caclié.e11 cet affaire : Ou ,que le ·Roy auoiti en1mené fa fille & c11uoyee quelque part pour dt1111011de. ou’ l’auoit fait affaill11er la dell :ourner

.

ou ietter en la mer , & rauafioif tant diuerfe111e11c qu’elle 11e fe pouuoit refoudre qt1’à lâ _perte ,ie fa fille, qt1i fut la finale penfee, ce qt1i luy caufa ta11t de deuil, que_ fi la vielleiie l’eut peu faire 1not1rir, elle l’eut efrei11t,e par cet excez de defplaiGr. Or les Fees ô11t v11. aori de 11ature plus que 11ot1s, l caufe a11ffi de l’vfage qu’elles ~11t de lalitJtteur dtt gra11_d v :t{et~bl7, c’e~ qt~e leur an1e vegetable efl : p !1re11le a 1endelecl11e qui co11ferue le mo11de, fi qt1e l’ ;in1e raifo11nabl~ efra11t departie d’elles,. bie11 qtie la vie f’exale, ieurs corps & principale1ne1~t cl.es ie11nes, [0111 : lo11g t~mps_~~n1rP-~-yiua1ls d auta.11t q9~ 1 : haumetl’~_tttrel erf lus fixe e11 elles, & par a1ni1 leurs corps 011t p us 101.1 ue1ne11t e11 v ·at apres la

1nor , atta 1 que a corrt1pcion les pttifle do11ter, ce qui preiqt1e arrit1e à cet1x qui 011t eu la .fauerir de l’excelle11te Xyrile. Cette bo11té de nature fut caufe que la petite creature qui ef !:oit au ventre de la Fee defft111él :e,lut cra11f1nuee cm vn germe vif, .co11fei :uant fo11 an1e, fi.sue fe vi... ·

AAa ij 74o

l,e 1.Jqy..tr’<,e des [)1-inces

llifiant par rit vigt1et1r du lietl atl te111ps prefix,il en i !1iî : v11etige 11out1elle & pct1 cognt1e. La vieille Fee. :1lla11c & ve11ai1t és liettx où. iadis elle Pe !toit proun1e11ee, & at1oit plnJieurs fois 111e11é ià fille ta11c aymee, & tant regrettee, attifa e11tre les 111iliers des pla11tès ceile 11ou11eat1té, elle fe tro~tle f11rprife, car elle 11’ c11 auo ic ian1ais veu de pa.rèille, parquoy elle fly arreila, la confideta11t atte11tit1e1ne11t, tot1te e1n1et1ë de telle rareté, fe mit à : la co11te1npler, & at1ec tel foin, que iotl[-’ i,ellen,ent ·elle Ia vifitoit, fi qu’e11 fi11 to11cl1ee d’affeéèio11 & gra11d defir de fèa11oir, f>a11if.1. de gratter douce1n~11t à l’ e1111iron, pot1r defcou11rir 11 elle trot1t1ero1t quelq11e choie de fe111blable, _ou appcrcet1roitce tJtlc ce pot1rroit e !tre, par les raiirceat1x des racit1es. E11 ce dc !ir s’cf1oig11ant a !fez, de petlr d’offè11cer ce fujet,i11cog11tl, ellè fo11illa e11 v11" lie11 ~11 elle recogni1t. qt1’il’ 1i1y

nuoitpas lo11gten1psqt1e la terre auoiteftére~

·111t1ee ; carelle11’efl :oic pas fer111e co111111e autre ·part, ai11fi elle fa11a11tura de defcout1rir, fo11 Ge ;11ie _la pre !loit de let1er la terre, & fo11iller vi1

P,etit plus auant,’.& puis. v11 petit, ce ~t1’ elle co11 !..

·’t111t1a len te1ne11t, de celle lorte, qt1 el’le trot1t1a ·rolis fes.doigtsv11e rcfill :accplu~ v11ie qtte de !ît1s. He las, qu’ e !l :~ce q1t ! elle trot1ua ? elle eut biei1 · vo11lu 11’ a11oir pas c !l :é tant curie.t1fe :, & toùtef. fois elle èull :efié infi11ie1ne11t 111arrie {i elle :11’ etlt fait :ii11_fi,at111ris tj11’ èlle etr !l : e11fo11cé le11te111èn_i :, · el !e’de !couurit la t’eil :I". d’vJ1f :_perfo1111e, elle e11 .t611ci1ala 1,ea11~ ·e11 vid les tl1euct1x, & puis paf- :.~ nt o~tre, lc11à tot1te la terre d’ a11tot1r 1c·vifagè, &·reco_g1111t telt1y· de fa fillci :· ta11t cl1cric) fès .

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. :.. fortrtnez : Entreprffe IV.

7 41

.cl1et1et1x cfl :oyc11t trop be1ux pot1r c !l :re n1efcog11us> (011 œil e11cor <-JU’ cG :ei11t trop ay111é pot1r .efi :re ot1l)lié> & le reD :e ca11t de fois plt1s agreable qt1e tot1s a titres, trop efl :i111é pot1r 11’ ellre poiI1t deliré encor vnc fuis : elle void fa fille 111orte, recognoifl : fo11 11ez > fo11 fro11t, f.1 bot1cl1e, 8c fes ioues, elle les rcn1arqt1e quaG con11ne efl :ant c11 vie, elle les vo1d là11s 111ot1t1e111ent & 1.1ns ref}1iratio11, y ietcac iès yeux piteux,lè.s iugecom111c fi elle venoitd’efl :rc cot1èl1cc è11 cc tri(l :e to111beat1,Mi (èrablc 111cre que pe11x tt1 pc11fcr l1a dole11te !il fallt1t q11’cllc prit patience , car elle 11c fcait à qui fe prendre l1e ce dô111age, fo11 co11feil, f.1 deliberatio11, fo11 cfpoir, & fa dcr11icre rcfol11. ti6 eG : de fe Ia111cntcr. Diuerfcs pe11fees la trouble11t, plt111c11rs deilèit,s l’ occ11pét, elle 11e fcait fi elle doit ofl :cr de 11 cc corps ay111é pour.1’110110rer d’vnc fcpt1lt11re ·plus a11a11cageuiè, tot1tesfois apres pl1111 eurs rc111 ue111és d’ efprit,clle i11ge q11’il le faut laiifer là, pot1rce <-Jt1e p ::u :at1antt1re cc tige ad111iré dés gt1elq11cs iot1rs pallèz e1i petit iliir, & poi.1rta11t dés lors acco 111 plilf111t cc qu’elle pou : uoit de la111étatio11s co1111rit ce bea11111iroir <-Jtti auoit ellé l’ ol)icél : des de lices d’v11 Roy ,&q11icut efré l’attrait qcs l--,ra11cs qt1i l’ e11lTe11t ve11e, & a11ât qt1’y re111etrre la tcrre,îetta de !1us v11bca11111otcl1oir de lit1 a !beJlin,e11 0’111 bole del’ c11fc11eliJlè · 111étqt1’elle l11i eut fait,li elle ct1t ofé re111t1cr tônt le corps, lailf ;.nt c11 ccll :- :! t :,rte ce qt1’elle tront1e ot1 elle 11e le cl1erchoit point,&pt1is recô111a11dac . à la terre le re !lc de fo11 clenoir,lè 11repara.dc f ;,i,. rc v11 der11icr office 1 cc corps, dc)llt aya11t :iui té le tot1r, 1,rit de JJCÇÎts bois & t :fcl1alats dct}llt)y AAa iij 7 4 2.

Le v<rya_~e des Princes

elle fitv11è dotlce l1aJ C l 1’e11t1iro11 de fa dèfft111ébe 1

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ietta deifus v11 lincet1l fort delié qui 11’alloic pas tout abas, pt1is fit e11cor vne autre enceinte pltts loi11g. E11 apres :2}’a11t aui té à ce qu’elle vouloic aci).euer, prit les 1nefi1res dtt lieu ai11G qu’elle le propofoic, & ayant tracé le plan & dctlis de ce qui la 111ouuoit, alla à fa petite porte ou ayant appel lé qt1elqu’v11 à foy ·eut ; 1no} e11 d a !fe1nbler des ot1t1ricrs, t}UÎ fire11t vn beau baO :in1ent Celon le de !Tein qu’ cl !e attoic pour trait : Ces maifires en leur art, tant n1açons, que cl1arpentiers firent tot1t ce qui el1oit 11ei. :eflaire, fi qu’au tour die, 11e fallut que fur le lieu eileuer lè toile, ce quifutcxecucé e11 pett de iours, f.1ns q11’aucu11 ot1t1rier e11trafr def1i1s la terre feparee. Cc ba{lime11c eflcué, con1pris d’e11tre-las de ciffres, & diuerlitez de deuifes, & traits d’arcl1iteéènre, fut par elle pett à pet1, acco111paig11é de tout ce qui l’acco1nplit, & le faifoic e11 intention d’v11 parfait & bie11 he11retix tom beau à fa fille, le · rendant propre & paré, elle ofl :a les deux petites haycs & circ11its,t1u’ elle y a11oit dre{fez,do1111a11t tel ordre, que le tot1t el1 :oic dig11eme11t approprié ; auec la co.1n1nodité des plantes qui 11’ elloit pas en1 péfchee, la fale ba !fe eL1a11t a !Iez fi1acieufe. A uec le temps, elle aperceut q11e la tige 11out1elleauoic beaucoLtp profité,& qu’elle re1np_C ?_~~ fur terre dê la lo11gueur âe l’ept pièds ou pPibewiki (d),&du~1t e11 vid fai~lir v11e fleur, qui 11’ eil :oit fe111blable à at1cu11e autre, car e11 ordo11J1at1ce & beat1tJ, elle les fur111011toit toutes ; c :ell :e bo1111e fe1111ne pre11oit v11 grand foi11, e·n viGtant ce 11ot1ue4u fpeGtacle, ce !l :e ·fleur q11i 1 fartuneZ... : Entreprife 1 V. ·74 3

iou~ à iour groilllfa11t, en fi11 f’ot1urit douce.me11t, & adoncques elle vid fot1s les ouuercures efclailleufes des feuilles, vne petite reprefencation de perfo1111e e11uelopee es replis 1nig11011s de fa couuercure 11aturelle, elle ny voulut point mettre la mai11, ai11s la.i !fa fiire 11acure qt1i par fois faifoit que la fleur f ouuroit pour 111a11ifefier les ri cheffes qu’elle couuroic : Elle eue patiéce,amt1f.111c fes yeux à la co11ten1platio11 de cefre merueille,qui peu à peu f>apparuc e11 forme parfaicç ,le fille bélle,_& bic11 proporcio1111ce,& iointe à la tige par le 11on1bril ; ati pris qt1e ce !l :e belle croifloic, at1 !Ii les fueillcs qui luy feruoye11t de veCT :e1ne11t croilfoJ’e11c , cc !l :e bo1111e Fee fe tro11u ;;. confolce 11 ar ce ft1rj on, d’ aupres d11quel elle 11e bot1geoic gt1eres, Il foignant amot1re11fel’).1e11t & delicate111cnt : elle lt1y prcfe11ta d11 laiél :, n1aisclle11’en vf.1. point, fe co11tc11tant de fuccocer v11c t-loiiillecce fneilie t111i , frayait fi1r fa

bouche, delaqu_ellc fcxprin1oit v11e agreable liq11et1r qui la fi.16fia11t0it ; l)rena11t croitfa’11ce, 8c ell :antapriuoifec. : pat· la iàge Fce, cile s’aèco111n1oda , recet1oir du lait, & ai11ii v f.111.t de nourriture d’ a11imal f’e[1 :ra11geoit à den1i de cellè ’de · pla11te. Le te1nps,la 11ature, le foi11 & diligence del’ a11cie1111e Da111e,co11feruere11c l’eO :re de ce !l :e mig1101111e qui creut peu à peu, telle1nenc q11e gra11dette elle aprit à parler, vfa dG la cog11oifia11ce, & Cil fi11 re parfit Cil belle Dan1c, fage & accon1plie : & pource tiu’elle eCT :oit fille d.e la terre, {à11 6011 Ge11ie lt1y decella l’excés que le · Royauoit comn1is vers .fa mere, do11t elle i11forma l’a f.1ge Fee, laqt1ç :lle ta v9ulu cou !iours ·

AAa iiij

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l,e voyac’l._e des Princes

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,te11ir fecret, & l’eut c(lé d’ aua11~age, f.1.11s qt1’ elle n1’ a co1nn1a11dé expres de le vous defcouurir en ce te1nps,cepe11darit ceil :e a11cien11e Fee eut cefl :e co111paignie pot1r acl1e11er at1ec q11elq11e lie !fe, le re(l :e de fes iours , q11’ autremc11t elle e11t trop penibleme11t trai11é atl fept1lchre, auec difhcurté & de41lai[1rice. Or, Sirfl, il y a v11e certaine cabale e11treles Fees,les Ortl1ofiles & les det1otsà Xyrile , qu’ e11 quelque part du mo11de q11’ils foye11t,lesv11s ou les autres, ily-a moy~11q11e to11s f.1chent ce qui fe palîe parn1i les a11tres, en le11rsat1a11tures & particularitez plus fecrettes, ie 11e vous deduiray poi11t icy ce moye11, ear il notts f11t difco11r11 e11 voO :re prefence , qua11d nousaprifmes les fecrets qu’a occafionnezl’at1ant11re, d’Herodias. Par cefle i11duil :rie ou 6011ne re11co11tre, la Fee dtt n1011t de Cece11is, qui ~fr e1111ofl :re contree, & laquelle ie voyais fouue11t, l’ayn1ant e11 to11t l1011ne11r det1 à f :t perfe~ion, me racontait ordi11aire1nent & à propo~, des dits & 111erueilles de la Fee·Plerafle fille de la terre, & 1n’e11 difoit ta11t ·de me11us miracles, & bon11es 111erueilles, c.,11’ellc

m’enfiam1na de

venir icy, pour voir fi ie pourrais voir ce q11i en •cfl : l’y vei11s do11c, & n1is toute pei11e, dilige11çe & artifice, pour i :rou11er le moyen, ou d’ efrre i11troduit atiec la Fee, ou de la voirei1 quelque ma11iere q11e ce f110 :: le 111’ eQ. e11quefr0Is co1n1ne par n1an :iere de d~fco11rs, car ie 11e voulais pas qu’ 011 fce11t n1011 opinio11, ce qtti pl11s n1e do1111oit de difficulcci , efl :oit que ie la te11ois EOttr reclu(c, & par ai11fi que ie 11’aurois 11as aifé1 !1~~1t .i :ccés à elJ.e , ye11 qu’elle eil :oit da11s 745

le gra11d bois enclos de tot1tes pnrts, & inac~ ceffible aux i11cogne :1z : les deuis quei’ena-, 11ois a11ec quelq11es-v1ls , auft1uels i’c11 parlois cortne de cl1ofe qt1e.i’auois oiiy dire, fa11s le croire ; f111 :e11t caufe qi.te I’ 011111’ e11 dit de gra11des cl1ofes, & qu’elle n’efroit p !11s rcclufe depuis la n1ort du Roy Tre1n11rier, & qu’il y a1,1oit des perfo11nes de là auto11r, qni quelquefois la voyoie11t à la petite-porte dtt parc, ott c_llevenoit pour quelques affaires, co1n111e q11a11d elle.voulait ball :ir, 011 auoit befoing de quelq11e extraordi11aire. Cela n1e do1111a del’ efpoir , & fut caufe que par plulieurs.ari11ees fer1ne e111no11 propos, fa11s craindre auc1111 labe11r, c.1u n1’ e1111uyer ; ie faifois fouuentpluGeurs tours vers la petite porte, à laq11elle ie 11’ ofois l1e11rter , depettr de perdre ma peine, ou receuoir vne fafcl1c11fe efco11duite, ay111a11t mieuxviure en cfpera11ce de pou11oiradue11ir à ce l,ien, que d’e11 eflre fr11ll :ré tout d’v11 coup, v oula11t a11ffi faire paroill :re que 11011 deffei11, 1nais fembla11ce d’adue11t11re n1’y conduifoit. Iln1’adui11t felo111no11de(ir, & efcl1e11t q11e 1’011 celel,roit v11 des a11nit1erf~.ires du feu Roy · Tretnurier, _ ui eŒ ce~ebr~Ae Cepe a11s e11 fept ’ ans : tant tJUê e 1i.1ccefleur vit con1m.1 :: e11cor 011 le praé :ique felo11 les a11tiques loix de voll :re royaume , 111efn1cs pot1r le deccz du Roy voG :rc pere, ainfi qu’il fe fit l’ a11ncc pallèe. Ce iour là i’allay tant & tant, vi11s & rettins , que ievids . ceile Eetite porte 0u11erte, te totlt an pres la da. n1e deiiree affife fi1r v11e pierre : i :efl :e fài :re dame

L"J

q11i co11fid croit les pafià11s , ad uifa qt1c ie la fa. Iuay aflez deµote1ne11t, & co11111Je par gra11d a-,

amour

Le voy_age des 7’ rinces

n1our elle me rendit l~ falut fort liberale n1ent, m’appellantàfoy, &med<i !n1andancque ie cherchais & deûrois de ce lieu, regardant cefle . c11tree fi attentiuen1e11t. A cela ic lt1y rctpondis le plt1s courcoifeme11t qu’il 111c f11t po{Iibie, lt1y di !ànt lJtle la Fee du n1011c Çece11is m’a11oic ta11t raconte de fes perfeél :ions, & des rarecez excelIe11tes de fo11 palais en ce parc dela folitude, que pottllé de parfait an1our & it1lle curiofité, ie m’y efrois ,1cl1e1ni11é pour, !i poffible m’ elloit, a11o~r cefre grace de la pout1oir voir, & oüirquelques fois co1nme fai11tl :es propheties les bo1111es pa..roles dont elle pouuoit,raïfaûer les courages refpirans apres la perfetl :ion : à cela i’adiouO :e le temps de ma ve11uë : n1011 foi11 & folicitude , auec la perfeuerance à laquelle i’ au ois iu :é fer1neté, y n1eflant les l1umbles propos tiue ie pe11fois COOUCtlir pottt attirer fa Oon11e grace ! & Cil ceLl :e forte ie m’humilié tant . elle, luy declarât tout mo11 cœur,& 1no11 i11cli11atio11 à la vie fen1 blable à la lien11e, où ie pofois mon fot1t1erai11 bien, qu’elle me donna l’ e11tree en fon bois, & ie m’aperceu qt1’ elle y admit tel artifice, c’ e{l qu’elle me tint lorig temps à la porte, puis quad elle cog11ut qu’il 11’y au oit plus de perf011nes fur ce cl1emin elle me comma11da d’ e11crer & fui11re la petite ratte où elle me rangea : le f11s lo11g temps fcul fuyua11t ce [entier, tant que ie trot1u~ v11e petite porte verte à la muraille t-lt1 petit Palais où ie l1attendis co11fidera11t&re1narq11a11t _ce t111e ie pouuois. Cepc11dant elle de1u~ra à la porte du P~ ;c, poµr y attc11dre c~ q11’el1e v~11 !oit, puis l·ayalt fei :111ee_ fe retira & n1e v111t 7 41

.trout1er, tn ’ho11ora de pl11Geurs care !fes & propos amiables, ine gratifia11t de 111011 6011 deûr. êc furce qu’elle auoit Je l’ a1nour à la Fee de Ce... ce11is -fa gra11de a1n1e, 111e fit v11 accueil fat1orable , & me-logea e11 la fale où e11corcs à prefent ie de1neure parvoll :re bo11té qui a fait cbnfer. :. 1 uer ce bel è11droit qua11d on a çl & li da11s les bois fait les places pot1r ball :ir ces riches Palais & d’auantage, vous e11 àttez conferué les loix, car aucùn 11’a attenté d’aller Ott voir e11 lieu où iene l’ay pas voulu incrodt1ire. Ce bon-heur

m·eG :a11t adt1ent1 Celon rno11 efpoir, ie me rendis tant feruiable, ay111able & officieux ; cell :e bo1111e vicill~, qu’elle n1e prit e11 affeél :io11, & n1’ay111a con1mefo11 fils,ceq11’ellem’afaic paroi !lre, car elle 11’a rie11 eu de fecrct qu’elle 11e m’ayt comn11111iqué Iiberaleme11t, n1’affeél :io1111ant tl)t1lÎours de plus en plus, & 1nefi11es aprcs qu ·elle fe fut du tout fiee e11 111oy, q11i n1e rend ois docile à fcs e11feig11en1e11s, ne requeranc rie11, ains atte11dat1i : tot1ftours ce qu’il luy plai- · · roit, lê plaifoit à 1n’enfeigner. E11 ccfre obeifla11ce & fuiettio11, ie 11’attentois rien, 11y pour aller 11y vi(icer atJct111 lieu f.111s fo11 co111111a11den1e11t : ce qu’elle aya11t cog11e11, & it1gea11c par li qt1~ i1e1lois fans feintife, elle s’adua11ça d ou11rir du tout 1~011 cœurpot1r 111e re11dre rafîa !ié des ~ffets de mes defirs : Ce ne fut pas f.111s prem1ere1nent tirer de 111oy pron1eflès it1ll :es pour le prefe11t, & ; executions de volo11tez pour l’auenir, à quoy ie 1n’obligé fidellen1e11t, pot1r-, co1nmei’ay fait, contint1ër loyaler11ent. En cefie bonne l}umeur elle 111e n1e11a au 111a11oir de 7 48

.· Le voyage des 1’rin,ces -

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I>lerafl :è, elle me la n1011fl :ra, 111e raco11ta fon l1ifl :oire, & me la refina, à ce qt1e i’e11 eullè foi1 ;, co1nme dela Ro}·11e de 111erite, & dig11e d•efl :re , feruie d’v11 cœur parf.-iit ; _cett ft1t caufe .q11e ie m’a,ldonné c11cor plus·parfaite1ne11t à elle, & elle 111e ti11t 1>our du to11t lie11, ce que co1nr11e elle me l’a dit pl11fie11rs fois, lu}· fut v11e co11fo- · làtio11 foul1aittee, & è11 ,fin acco1nplie. Ayans long te1nps ai11fi vefc11, la bo11nea11cie1111eayat tout e111ployéle refre de [011 aage, fe fepara po11r le log te1nps de111ày, & iel’i11l1u1né où elle 111auoit con11na11dé. · Depuis cefre l1eure là i’ay go11uer11é Plerafreauec tant de deli-c ;es d’eïprit, que nia folicude 1n’a eilé la pl11s agreable co111111u11a11té du 111011de, d’autant que 11ous vi11011s enfemble & vfonsio11rnelleme11t de deuis ta11t agreables qu’vn fiecle s’il 11ous y trotiuoit, 11’auroit eG :é qu’v111no1nent, & 11’y'.a perfo1111e qui ayt cog11oifla.11ce de 1100 :re efl :at, de 110s aéèio11s, 11y de11os plaifirs. Or pource q11e l’l1e11re s’approcl1e, que ie dois ell :re feparé d’entre les _111ortels, & ,1ue ie fuis e11 difj.1ofitio11 de faire le der11ier voyage des viuans e11 corruptio11, voula11t fur tottt obeyr au tefl :a111e11t de ma bo1111e a11tique 1 aufii quei•ay crai11te q11e 1na chere Plera.11 :e perille : :iua11t le ten1ps : I’ay faiéè cefre deliberation de vo11s venir voir, & vous aduertir d~ cc !l :e n1agi1ifiquea11a11ture, q~’aucu11 11’a e11cores dcfcou11erte . Ie la vot1s decele do11cq11es icy n1011 Roy, à celle fi11 que 11ous 111ettio11s, ordre qu’il y ayt qt1elq11’v11 :ipres 111oy qt1i ft.1ggcre à celte belle ce qui ltt)· eQ : 11eccfiàirc pot1r è911ci11t1er fo11 cfrre, qtti fi11iroic trop toll :, {1 9llc 7.49 ·

11’ at1oit qt1efqt1’v11 quilt,y aidafr, car de fe co11-· tenter de ce qt1’ elle pot1rroit pre11dre de la terre,.. 11e pot1uant s’efloig11er bcat1cot1p, 11c fuffiroit pas_ à l’e11crcte11ir, vet1qt1e ~oi1 lie111~ater11c !, & q11111c pct1fl : cfl :re retra11cl1e f.-ins fa v1e,l ::i ret1e11r •. vous verrez cel.1 :e 11otable 1nerueille qua11dil vo'>, piaira, & qt1and vous vcrr~z cefre bel.le, vous 1~ iugerez e11 la 111efine apparc11ce de 1eune !fe &, beauté du pre111ier aage des belles. filles, auquet tern1e elle den1eurera ta11t qt1 1elle fi11i !Iè par tàu-· te, ot1 qu’ efl :a11t e11trete11t1ë c_c>111n1e eŒ fa· cou" {lnn1e :, elle paruie11ne atl ter111e de vieillel1è > & obey Ile’ au iour detern1i11é. Te ,rous adiottil :eray icy· v11 gi’a11d fècret, leqt1el c01nn1é tot1s autres elle ni’ a dit fa11s qùe ieles aye de1na11dez : car en.. corc c111è’i' ci.tf1’e cog11oillà11ce q11’ elle les fi ;auoi t :i ia111ais ic•11c les l11y dema11dois,voula11t q11e tot1t ,•i11td’cllc, & par aii1_fr1n’ayi11afl : de tant plus : Celècret, ô l)ri11ces, do11t votts deuez faire e..fl :at,e/1 : 111er11eilleux, c’efl : le b11t des i11i.1cntio11s ; c’,el.1 : oi1 le peut1e11t arrefl :er les curiei.1x, ie fi.1i-s co11traint de le dire comn1e le Cyg1te n1oura11t lai Ile ,exl1aler vne voi~ ·n1elo·diet1fe qui11’a q1.1è dc11x to11s, c’ eCI : de tiofrre Cyg11e do11t ie par~ le, q11i n1ot1ra11t d’vne vie in1parfaite det1ie11t vi11anc po11r v11e pl11s parfaiél :c : certes qt1a11.d il cl1a11ge, il iette v11. petit efclat de prolatio11 agrcable, & qt1i fig11ifie fo11 aua11ture à ce11x q11i l’ oycn t -& l’ e11te11de11 t : E11 la n1efme n1a11iere e !ta11t poilible fur l’i11CT :a11t de 1no11 depart, ie vo11, fays 011yr le rcfo11 q11i. vous donnera d11 plaitir. lev ous declare qttc Plcrall :e eJla11c vier• ge acco111plic, elle co11tic11t e11 fo)’ ce qt1i. luy Le {J~ya,t,e dès Princes

. peut faire e11ge11 drer l’excellente& admiree Xy.. rile. En foy elle tient le fexe cacl1é, qt1i par l16neurexcitel’enge11drement & la 1iaifla11ce de la parfaiéèe des parfaiéèes, dot l’ho1111eur ; & n16 amour n1e fer1nent la bot1cl1e, crainte que i’ay de 11’ e11 dire 1-1as a(Tez dig11e111e11t ; - Ce difoour~ acl1eué, le Roy pria l’En1pere11r cl’auoiragreable de voir ceCte rpert1eille : Il luy propofoit fo11 n1efme delir, & qui eil :-ce q11i pourroit at1oir au cœur tant de belles fantailies, ou tant d’ e !l :ra11ges opi11ions., ou tant de co11cradifantes imagi11atio11s, ou ta11t de troubles d’cfprit pour effets ferieux ou difficiles, ou à crai11dre, 011 à detirer , qui 11e full : bien aife de participer au contentement , . la grace, au plailir, &

ura !Iàliementquel’o11 rèço1t en tel nien , qui

11~ voult1~, ne fouhaitat, 11’ entrefir}t & 11e refo1ut de voir c.e my !l :ere tant rece,le & tant deft .. ré,cell :e excelle11ce i11dicible ? En1 portez de penfee, follicitèe de fi grand bie11,les Pri11ces s’ ache-mi11ere11t àl’ a11tique l-Ier1nitage, où ils receurent la do11ce11r qt1e perçoit l’ elprit quanli il iouyt du fouuerai11 bie11 :. Apres qt1’ils et1rc111 : diligemme11t tout vet1 , & fèlo11 leur fagefiè prom.is au 6011 vieillard d’ e !l :re N ocaires de fà volo11té, comme il l’auoit ell :é de celle de l’a11 .. cien11c Fee, ils me.ioigriire11t à luy, pour li ie luy efrois :i.greable, e !l :re cefruy-là qui apres l11y feroit garde.de cefre exqt1i[e admiration.

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DESSEIN TROISIESME.


Apres ſouper ſur la brune il vint vn bal de bergers & bergeres. L’Empereur les conſidera fort, & penſe y auoir veu Etherine.



TOut plaiſir eſt agreable en ſon temps, & tous ſuiets ont leur rencontre, parquoy cecy eſtant paſſé, il fallut venir à ce qui eſt ordinaire : Car faites ce qu’il vous plaira, ayez tels deſſeins que vous imaginerez, ſi faut-il qu’aux temps limitez vous ſuyuiez les ordonnances mondaines qui ſont de ſe retirer à l’heure du repos, de ſe leuer pour vacquer aux affaires, & de ſe trouuer aux temps de la refection. Encor faut-il s’occuper à ce qui eſt du conſentement vniuerſel : les heures de ceſte expedition ſont notables, elles ſont neceſſaires & vtiles. Par ceſte Ordonnance les Princes vindrent pour ſouper, & furent ſeruis en la ſale haute, où rien ne manqua. La muſique & les ieux furent prolongez, de ſorte que le ſeruice ne fut pas haſté, ce qui fut fait à deſſein, tellement que le iour eſtoit preſques terny & deſia vn petit filon de tenebres ſe meſtoit dans le reſte de la lumiere, qui en bruniſſoit l’eſclat, faiſant que les obiets qui requierēt plenitude de moyēs pour leur apparence exacte, n’eſtoient plus en exiſtence bien perceptible, que voicy vne entree de bergers accouſtrez en diſpots qui parurēt en la court auec Le ’Voya7,e des Princes

i11ll :r111nens ca11fo1ï11cs à le11r eG :re : après ceuxcy e11trere11t au bal plufie11rs bergercs me11ees par leurs bergers : Ils auoici1t v11 a :r 11ouueau, v11 berger cha11toit v11e ll :a11cc & la bergere apres, V_N BERGJ ;,R. l’ayl’ttme totttefaifie ’IJe la c,lefte furie . . ~vientefmouuoirlecœ11r, QJ±,and nom reffentons"noftre ami Pour l’œil d’ vne belle D.11rne S’alt, :rer de belle h111ner11·. LA BERGERE, 1e reffens dedans mon arne Vne crlcftè vig1teur, QJ !i he11re1e(ement l’ enftame Po11r q1-t~fque fi•iet d•honne11r, Lli BERG ER. Tout vale1i1·e1ex au,courage , · en ceft amoureux feruage i Jctne po1effe à mes deffeins, Et d’vne belle a/lcgreffe Je 1ne voüc à la Dcejfe ~ eftablit 1nes drftins • . LA BERG ERE, ’R. !faluë c11 mon :courage . Po,er vn hra~e ferûiteur, , Suy11srnt de [ !honneur l’vfagt · 1eLuy f,1i1 part de mon cœt’r. LE BERG ER. Je’n'ay point l’arne tenrec . . . Pour, la trornper, ar,·eftee . fi quelque in nt ile obier, La beauté de/a lumicro 1·sJ

R !!,i la retient prifonniere . .

Eft l’ idee duparfaill. LA BER GERE. 1’ay recogneu la penfee Du mii :n pArfidelité, ’D'vn rneftne.amour ejl11ncte ; 1eluy iure IDJauté. ·· LE. BERGER, V’fle m1tiffrefse ,•honore, .... , : · V~ Dufle •’adore ·· .Auffi he/le que le iour, T 01,te la vert11 ;m•arreflë ; · Je fers la helleparfaite> R !!_i feule eft t11ute l’Amour, LA BERGERE. Vn cœurparfait me dejire~ .,·.. Jedefireleparfaiéf ; . _ :· ., .’ .. • P 011r mon faiet il fou.fPir’e ;; Vers ltfJ eft to,it mon fo11hait ~ . . ,. LE·. ·.B ERG ER. •• ,.’ !f,,fa helle eft fe1elc11ecomplie~ ~eritttnt d’eftte fèr,eie~ • Et triompher. en grandê11r. Elle 6ft /,e fleur eternel/e, , . ’JJelilbeauté- laplmbe/le, · Et des bel/et tout l’honneur• . L·A. B E R G E RE.ll n’y arien de femblablè · . · .A ,non parfaiét Cheua !ier ; · Car il eft l’. vnique aymablé, . R !:j merite le prier. · · .·· . · LE ·BERG ER. · ~fQit 111ne tre es hei,re1ifè~ ’

, Leruoyagedes Princei

0 uand toute deuotieufe Tiivoù [on œilfanspareil, . Et que d’vne douce amorce, Par les attr11,iéis de fa force~ 1e m•allume à ce Soleil. LA BERGERE. Toute en mo ;•ie me contente, · De m’allumer és beaux fèux · Rf !,emonfùietmeprefante, ... Pour rendre mon cœ11r he1ireU."(. LE BERGER.· Rgandto11trAuidejà grace ,· levoy quema be/tee/face ; Tout ce quieftgracieux : Je fens tant âheur en moy-mefme, QJJ’ en mon bon·hettr tant extref me· • 1e m’e[g11,le au.,c demy-’Dienx ; LA BERGER :.E. · R !!_,A1td ievoy q,ie l’on 11dmire., . · tYl-1 on 11ccornpry en toui lieux, Mon Amed’aifefoufPire, · · Mon cœur eft·iout glorie1,.-,. :~ LE BERGER ; je [uiJ [urpru demërueill,, · _ . R !!_,and ·,non ·œil comme l’ ilheiUe EfPluche t 11nt de heaute’{. : _ Je voy tant de graces belles, Tant de douceurs eterne/les, T 11nt de fainGlès M aieftez :.. LA .·B.E R GERE. ’V11_11ccompf :y m’afarprife, Sèsgr aces parle11rpo1tuoir M~ ont defon arno{,r ef}ri[e,. . . fortune’{, Entr~prife. ~V-. ’Pour luy donner mon voutdir. · LE BER GER ; ~ipeuteftretant Tartare ; V oy11nt ci : q1tî eft fi rare ; Et n’en_feroit point tenté, Et qui feroit ft farouché,

!l. !!, ;.’fuand cet 11ttraiéé l•attOJtcht J

,N’enferait point arrefté ! .

7 5~ ·

L A B E R G E RE-.·,, Toute belle a~e quitlyme, .

M erite vit p1r,reilJoncy ; . On /11, doit cherir de mef,nt’ ; J’11yme mon parfait du/fi. LE BERGER.· Ceux dont /11, viemefchante Ne fent /11 doucéur q11i11nte, Ler tendres 11-Jfeéfions ; Indignes du nom qu’ilspor-tent Ne cognoijfent ce qu•apportent Nos belles imprejfions. · LA BERG ERE. f.,4 beauté de cefte vie La grace de noffre h0nne11r Eft deJe ttouùer ra1eie · · D’rne cl,aritable arde1tr. LE BERGER. Tous ceux q11i ont/’ame do11c1 fit dont le po1,lmon rcpouffe V n ,be11u fouJPir rado11,y ; Dont le cœ11r n’eft po11r Jôy-mifmd Dignes que le Ciel les ay1ne, Sont dign,s de çefo11cy. B Bb ij

,

LA BERGERE ; Les courages di ;rnerites , Sont capables d’eflre aymez., C’ eft le ciel qui les excite Pour d’ A1no1er effre anime :<. • . LE BERG ER. Ma -vie eft11tnt 9rdonnee Pour fi douce deftinee, J’en fuis to1tt trt,nfporté d’heur :.Aujfi re{oltt[an.s ceffe Je tafche que ’llta M aiftreffi Me tienne pour fèruiteur. LA B.ERG ERE. C’eftmon he1ir qui me difpo[e · .Arece1Joir1nonfùiet, .. Etp1Jurt~ntiemepropofe · N’a11oir iamais 411tre obiet, LE .BERGER. Il n’ eff riev.ft beau,ft braur, Tant honnefte ,fainéi & g1·aue.

!J.ge d’1iuriir l’a1r.011r a11 c(1J11r,

Le Ciel aujfi mefit n11iftre P 011r ,n1i bell.e qui doit eftre Ma D11rne & m~ (er1eite1tr. LA BERGERE.’ C’eft Je bon-heur de n()ftre11mf D’eftrefaruie & d’ayn1er, 1 eveux d’vne egi11le .fla,ne A11ecl11ymeconfommer•. , L.E BERGER. ,11,fa Belle ie vom dedie ~Jon cœur, rna force & ma vit ) Pour t,ujioarsvous ho1Jorer : 757

Et vous i1trc ma M aiftrcffe,

Q. !! :, ! l’on me vet·ra fans cefse T 01tt httmble vou, admirer.

LA BERGERE.

Mon fer1tite11r ic vom prie

’1Jeconfer11er nos amo11t·s,

C at· autant co1nme rna vie

levoll6 a_y1nera_y101tjio11rs.

I

Ce ioyet1x bal efl :a11t acl1etré totts fe retircre11t qt1e defia les’obiets efl :oie11t prelqt1es lè111blal1Ies à des on1bres gliifa11tes de delfot1s la lt1miere : & 011 auoit allumé les fl.a1n beaux e11 la Salle, où les Mo11arques rctot1r11ere11t : l’E111pereur efplt1cl1oit fort aue~ l~s }·ct1x pour ~e111arquer 1es l1eautez , n1a1s 11 11e petit faire ce qt1’il pe11foit , car chact1ne fçat1oit tant bie11 fa ,011te11 ;:1.11ce à propos , qt1’il 11e pot111oit bie11 difcer11er, .& mefi11es il Ile s’apperçet1t pas qt1’il y euCl : v11 couple qt1i 11e cl1 :1n• ta rie11 : Or co1nbie11 gt1’il rcg-ardaO : fort e11"’ aiJ~ de rc111arte11tit1en1e11t, fi 11e lu}· fut-il pas quer : car les pas dt1 bal eG :oient pro111pts, & tout difparttt fot1dai11e111c11t. Si eft-cc qt1’il ltty fut aduis qt1’il a11oit pet1 voir c11tre les bergeres ie 11e fça}’ quel elèlat qt1i rapportait fort àl’~r d’Etl1eri11e. Sa penfee 11’eO :oit poi11t efloig11ee de raifon, car ces l1ergeres et1oie11t dei J)_ri11cellès de la Cot1rc, lèfqnclles at1oient pris des vefl :e1ncns de bergeres, & :1infi dcfguifees ·auec les Princes & Seig11et1rs vcfl :us de n1efi11es e11 bergers, :tt1oie11t fait ceO :e ge11tillclfc : e11 celle trot1pe cG :oit Epy11oife vcG :ue e11 berger qt1i : . B B b iiJ menoit Etherine, ces deux cy ne reciterent rien, car tout euſt trop paru, là voix eſt vn ſigne notable. L’Empereur auoit la fantaiſie touchee, toutesfois il ne ſe peut tant fortifier en ſa perſuaſion, qu’il eſtimaſt que ce fuſt la verité qu’il euſt veuë, & qui luy auoit ietté quelques viues pointes, il ne ſe peut faire autremēt que ce qui ayme ne ſe face ſentir : il eſt vray que ce Monarque dominé par l’Amour ne veut rien penſer qu’à ce qui luy aduiendra, ſans qu’il y ayt à douter : Cependant auec ceſte douce penſee accompagnee d’opinion de bien futur, il ſe retira aſſez ioyeux, eſperant que bientoſt il aura le bien que les Princes Fortunez luy ont promis : Et dés l’heure faiſant le magnanime ietta au loingt toute penſee trauerſante qui peut le faire pencher vers les triſtes imaginations, & en ceſte bonne humeur ſe diſpoſa à la reſiouyſſance pour paroiſtre vaillant & vertueux.

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DESSEIN QVATRIESME.


L’entree du grand Melancholique contempteur de ces gentilleſſes. Il eſt mis nud en la Tour d’examen. Il en ſort par vn bel artifice aydé par ſon Page.



LE matin que le Soleil auoit eſtendu les plus riches draps qu’il eſtale pour faire honneur à ſa propre lumiere, & manifeſter la fortune~. Erttreprijê 1v.· ·

759

gloire de celuy qui le guide : & que defia le iour auoit alfeur~ le te1ï.1ps : Orcofee out1rit les portes d’Or c11 îig11e qt1e tous ces iotJrs & cefre Sen1ai11e eiloie11t v11 feul iour tout d’or. Attffi il auoit ellé ai11G. adt1ife, & qu’il 11’y au,roic point difri11étio11 de iours e111 de1nonfrratio11 des facrez n1y{l :eres & aétions qt1i s’ offriroye11t : At1ffi, l,elles a111es ·, nous 11’at1011s pl11s de iour 11y d’l1eures. decer1ninees : Nous ne defctuiîo11s plt1s les re11co11cres co1nme paraua11t, notls les efj1lt1cl1011s felo11 le plaifir, ,le peur d’efrre furpris, car il 11ousfi.1ffit de ce qui efr fans obfi :ruation de ten1ps , de peur de ma11ifefrer aux i11dig11e~ cc qui 11’appar~ie11c qt1’at1x vràys Amans , & qui fo11t ell :at. de la perfeétion, laquelle s’ acqt1iert p :1r vertueufen1c11c ay1ner. Ai11fi que 11ous eû :io11s e11 la fale d’i1111oce11-. ce , e11 laquelle tot1t eO :oit 111ag11ifi,1ueme11t ordon11é, voicy e11trerv11 per1on11age de faço11 . ta11 c rclcuee , qu’elle fut : it1gee l1agard e. I 1efl :oit : po11rta11c galand de n1ine, & d’apare11ce d’auoir ell :é n1icuxnou.rry qu’il 11e tàifoit pa :roi{l :re. E11 e11tra11c il fe p.[it à rire d’, 11e fa.co11 defdaig11et1fe, fe macquant de 11o.s a.étions. ~oy, dit-il, Qgelles ferieufes folies fo11t-ce cy ? quelles indece11tes fa11taiGes capal)les d.e te11ir en11naillotté les fe11s de fi gra11ds .Mon.1rques ? E11 quelle frenaifie fo11t crefbt1cl1ez les Sages fe prop,ofans ta11t de va11itez pot1r l’e11tretie11 de let1rs e11te11dcn1e11s ? C’eil ai1x efprits bas que fo11t fèa.ntes ces vetilles : Ces a.111t1fen1ens 4’An1ours fo11t propres à rete11ir & dit1ertii : 1

.

BOb iiij 7 ~o

Le ruoyage des ~princes

des gés de peu.Il efl : i11dig11e at1x efprits Royauiç de.s’y defl :ourner. A la verité il feroit pl11s fea11t Aées Monarques de,vacquer ferieufeme11c au~ affaires de leurs efl :ats, que de s’ abuièr à ces infolentcs n101111neries. Lailfez ces ioiiets c :11fa11tins,reiettez ces ieux de ic :unelfe, ofl :ez ces de., ceptions d’ efprits derraquc :z de la voye droiéte. letnemocquede cesfaço11s i11utilc :s : le me rÎ !i. de ces ofl :entations follettes,& detelle ces 111yfrere’s de pure Folie : Et Roy des braues, Pri11ce des Curieux, Seigneur des ù1ue11tions, i’ :ibo111ine ces fa.laifes. G11orife oya11t ces importu11itez, & le peu dereuere11cede cefl : effronté, fic figne i quatre puiiia11s compaignons qui eG :oienc là, de fe (aiGr de· fa ·perfon11e, ce 1.1uïls fire11t pru’1e1nrrte11t, & fa11s extortio11. Il ,·aul11t contrec, dire & fe reua11cher,1nais 011 luy dit qu’il perdait temps, car où. eO :laforce, il co11uient ooeyr, & flattât qu’il falloit parler àl’Empereur&qu’ai11Ii luy fallait efl :er à droit : Ado11cques ils le fire11t approcl1er,& l’Etnpereurpar l’aduis du Co11feil luy dit : Hom111e peu refpeél :ueux,&com1ne i11J fe11fé, & f.11~s recog11oifrre le deuoir, qui elles vo11s ? le fuis, dit-il,legrand Melanchaliq11e qui ay en horreur ces fre11aifies. L’EMPEREVlt. Si rien ne votts plaifoit icy, vous n’y deüiez pas veJ1ir, 0~1 y eO :a11t ven11, au oir ell :é acco ?Jpaigné de deuo1r&refpeél : pour le n1oi11s a11x : perfo11nes,& ’ousauez deuvousgarder d’ offe11ceraucu11, pri11ci palemét efl :a11 t e11 lic :u où l’ 011 peut & doit faiÎtlll :iceà cl1acu11. LE MELANCHOLIQ. :. ~lie ~~lt~c9 f~auriez-vo11s fai~e eltant hors de vous ?

re

fortunez. 8ntreprife IV.

7.61

N’el.l :es vous pas bie11 hors devous, qua11d au lieu de paroiO :re 1nag11anime E111peret1r, vot1s aŒllez icy e11 langui{la11t A111anc, & a11lie11 d’v11 cœur de guerri~r, auez v11 co11rage faible & dan1eret. L EMP.-· le pardo1111erois Yoll)ntiers à voilre te111erité fi vo11s11’ a11iez ofFe11céque l’ A1nour qui m•eaa11ce qt1a11d ie ’CllX, ’& q11e ie fay reCttler de 1noy lors q11’il 111e plaiil :. Ec vo11s ren1ct-’ trois voG :re faute, !i feul vo11s 111’attaquiés.11ais vous auez offe11cé co11s les bea11x cœ11rs,e11 i11tereifa11t l’ A1nour, contre let111cl vot1s a11ez n1all1eureufement blafpl1cmé : & r-uis brauant e11 i11folens epicl1etesvo11s eO :es die Seig11e11r des in11e11tions. 011 vo11s iugc par voftrc parole, parq11oy v-ous lailfant e11 vos opi11io11s,il fa11dra qtte vous faciés paroiltre fi vo11s eftes fi gra11d ir111cnteur que vo11s dites, or oyez voG :re arrcCT :. Tour vos vanteries arrogantes, vo1is ferés mis 111td fier la Tourd’ exarnftl, l.i vosu :iclJetJerJs vos folies, 01, deuiendrés fage.

·

Inco11ti11e11t il fut co11d11it à l :1. to11r, à lacj_ttelle 011 va parv·11e galerie qui eG : depttis la 11111raillc d11 petit p :rc, iufqt1es à l’ e11clos du parterre de la T 011r. Cell :e gallerie eft totttc de 111arbre,& vo11tee en plat fons, & à coG :é, d’arcades à Î<)tlr, par où l’ 011 void les iardi11s ; eftans c11 celle galerie, le 1v1ela11cl1olique fi1pplia, q11’il eut congé de dire v11e parole à fan Page, a11a11t t11ril ft1t exclus de to11te co111pag11ie l1t1111ai_11e. 011 le ra porta a11 côfeil & il l11y f11t·pcrmis, le Page veii1t, & parlai l11y fort peu & le re1111oya. La tot1r efl : a11 111ilie11 du gra11d iardi11,elle,a de ha11t vi11gt & v11e toitout .1 l’ e11co_ur cfl : V 11 q narré : do11 t les ]ign eg 1

r~s ? i 6, 2.

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Le ’V( !_Yttge des ’ :Princes

fo11t loing de l.J tour dé cinq toifes, ce carré eŒ paué de rnarbre de diuerfes couleurs,c’ c !l : v11 fingulier & notable ai :tifice e11tre tous,d’ a11ta11c que la to11r efr v11 cyli11dre bien planté, aya11t autot1r foy plulÎe11rs poi11ces, par le 1noyen des ombres .defquc :lles efrant_re1narquees à propos, felon les temps on cog11oiil : les l1eures (ur les 1narbres, ta11c du paueme11c q11e de la tour, la porte po11r y mo11ter efr àtt•~o !l :é defepce11trion, :a11 deda11s il y a pluGeurs belles fallcs & cl1ambres, où font de bea11x meubles & rares macI1ines, & rarecez remarq11ables. Tout au. l1aut il ;· a v11e cerralfe pauee de marbre 11oir, e11uiro1111ee <.ie q11arantc trois wcadei i :aillees en 011ale, & touteàutrc forte de’ fig11res adioi11tes à pi11lie11rs corn partin1ês à iour, de mefme faç6 q 11e la galerie d’ en1 bas,ces arcades feruent de garde-fo11s ou baladriers, ;l ce quel’ on f’y accoude, 011 que l’on 11’ait horreur d’aprocher fur le ras,où que sas y péfer on t6be. La fut me11é & lailfé nud Ie grand Mela11cl1olique expofé com1ne celuy q11i fort d11 ventre n1ater11el, puis la porte en trape laquelle eil : de fet. fut fermee : Or pour ce q11’ 01111e veut que ’celui qui eil :ai11fi expofé, fc n1esf.1ce, on le cei11t par le co~ps d’v11 ti11u de 1naille, qui c !l : abouti d’v11e cl1ai11e repalfee de cordes de foyc çrui ;, attacl1ee à vne boucle de fer, qi1i eil : au milieu de la ter.ra !Iè, e11 laq11elle fe peut protimener le patient qt1e l’ 011 y lailfe, ta11t qui ! l’ 011 facl1e qu’il foit befoiu de le retGur11er querir, apres que fa peille aura eO :é a{lèz lo11gt1e, cepe11da,1t qt1’il efl : là il recoit par le garde, v11 pet1 de pai11 q11’il lt1y ~ç11çl auc ;:c v11e pi. ::qt1e

de .la çl1a111bre lJat1te, 011 ;

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fortunez.. Entreprijè : I ,, .

76J

il ya v11g regardài.nont, ce pdi11eO :accompaigné d’v11e merueille = c’ ell : qt1e tbt1t là haut il y a v11 petit t11ya11 de fo.11taii1e d’eau clair( !, filla11t alfez pour abret111er v11 l1omme par iour,,auec cell :e commodité, le gra11d 1nela11colique ft1t lailf~~ & fut raporté a11x Pri11cès qu’il auoit ell :é en to11tes fes aéèio11s & paroles côll :a11t & vcnerabie, trancha11t du gra11d & 11e s’efpquua11ta11t aucu11eIT).et1t, ains lailf.1nt tot1~ faii :e ce qu’ 011 vouloir. Çell :e execution faite, or1 po(a la garde au bout de la galerie. La coull :utne e !l :oit telle, q)la11dil yat1oitlà vnexpofé,quel’o11 mettait .e11 cet e11droit v9e fe11ti11elle, ccluy qui e~1troic au mati11 y reGdoi~ iufqt1es an1ïdi, & celt1y qui Iuy fuccedoit y de111et1roit iufques à la nuit & de 11t1ic les fe11t1nelles 11’y eû :0yept qu’vne l1eure, Lo le11demai11 le page ·alla libremç11t où e/.l :oit le foldat, a11quel il parla a !îezlo11g te111ps,,(e 1nita iouer d’vn lut qu’il auoit apporté, puis f- ;e11 re.,. tour11a. Apfes midy le page reuiI1t, aya11t fon lut fous le bras, & onlelai !là pa !Iercomn1e au n1ati11, ~/.l :a11t venq, le not1ueat1 fc11tinelle le care !fa a{fez, ioi11t qt1el’ at1tre li1y a11oit raco11té co111111e il luy auoit donné le plaiGr,de fon lut= tant qu’il vouloit. Ce pp.geaya11t v11 peu difcouru at1ec le Soldat, il le pria delt1y .per111ettr~ d’ allrr a11 pied de la tour, pour ouïr fi [011 maifl :re fc plaignait :, Voire I.uy dit le Soldat, & co1n111c11t le po11rriésvous oJir ? LE :r>AGE. fi feray fort bie11,& y et1t-il qt1atre fois auta11t de difl-a11ce, 111c !Ï11cs i’ oiray bie11 s’il ro11fle ou s’il dort paiGblc111e11t, ou s’il fp11fpirc, & s’il parloit at1fli bas c6111c q11a11d 01~ qi t qt1elque

cl1qfe ~ l’oreille, ic le difcer11croi~~ .

. 764 . · ·Le ’V~yag·e·vles ’Princès ·. .

.1 :· E S o ;’DA T. le ne pè11fe pas qt1è cella fe pt1iie, fi ce11 efl :·pa :r fort~ L,E PAGE. 0 la ;pat1ure refolutio11 ! à la verité il 11’y a poi11t de fort, il 11’y a ’aue

... de l’i11dufrrie 11àtt1relle·. LE S 6 Ln AT • Tu te mocqt1es ·Page. Ie ne.le vot1drois ’pas 11’e11 aya11t poit1t d’ occafio11 , & lÏ vous voulez vous l’orrez auffi, mo11 n1a10 :rem’a et1feio-11é ce fecret, & defaiél : G ie veux prefrer l’oreille i’ oirray .fil fe pro111ne11e 011 f•il efl : aflis 011 cot1cl1é. Aya11t dit cela, il prit v11e fleur cpntrefaié :e q11i efroit de foye, bien elabouree, & f e11 frotta les deux trous des oreilles, le fro11t & le 11ez, puis il le n,it ft1r fo11 n1a11teau, & ella11t pres de1a tour il dit au Soldat, Ie l’ oy, il fe pro111e11e,& parle a{lèz trillen1e11t de fà fortune. Ce foldat curie11x prit le bouqt1et,& fit de la ma11iere qu’auoit fait le page,& Pe1i frotta allez viue1ne11t, 1nais inco11ci11e11t qu’il fe fut venu mettre ~u pied de la tour, il ft1t furpris d’v11 li profo11d fon111çil qt1e l’ 011 l’eut prefque at1fli toŒ e !êorcl1é qu’ eueillé. Inco11ti11e11t le page qui auoit fo11 cas pre/1, co1111ne auffi il auoit fait fi.1l-,tile111e11t, -ct1 111etta11t vne autre fl.e11r pot1r celle do11t il f>e{l :oitfrocté ; Et fe dilige11ta11t tira vi1e boëte plcii1e de gros four111is, aya11s cl1afqu’v11 at1 pied , v11e gra11de aifg11illee de fo}’C, & les prena11tl’v11 apres l’àutre, leur mit ft1r le bout d11 11ez v11 petit graii1 de be11rrc :, & les dreffa11t co11tre la muraille l :i. telle à mo11t le laiffoit aller : les fo11rn1is

iyn1e11t &de !ire11t fort le bet1re, partJtlO)’ le Ïe11ta11t fi1y11oye11t cefl
e odeur iu(qt1es à l1a11t, & le

gr5’.d 111elâcl1olique les J)re11oitq. : 11oi.ioit to11s les pçiuts les v11s at1x a11crcs,& & ::IJlt e11 e11c q11’il 11et1t .

' aiſémēt auec vne petite pierre tendre ſon fil iuſques à bas, auquel le Page attacha vn plus gros fil, & a ceſtuy là apres vn autre, puis en fin vne ficelle & en apres vne corde, & puis vn chable qu’il, auoit apporté dans l’eſtuy de ſon lut au lieu du lut, & le maiſtre ayant tiré tout l’vn apres l’autre, & vne tenaille & quelque ferrement pour ſ’en aider, ſ’il en eut eu affaire, il ſe detacha, & faiſant ſon artifice vers le deſert on ne l’eut ſceu voir : ainſi il acheua fort bien ſon entrepriſe, car sō page ayāt attaché le dormeur au cable il le tira à mont & le despouilla, le mettant en ſa place puis il ſe veſtit de ſes habillemens, & deſcendit en bas par ſon chable, en apres il donna congé au Page, & ſe promena tant que l’autre ſ’entinelle veint lequel eſtant arriué, ceſtuy ci comme faſché d’auoir attendu le rudoya, & grondant ayant la caſaque & les armes du ſoldat ſortit libremēt, paſſant iuſques dehors, ſans qu’on prit garde à luy & ainſi ſe retira en ſon logis.

Quand l’Empereur eut enuoyé le grand melancholique priſonnier : Il ne ſe tint pas là long temps, car l’aſſemblee auoit eſté troublee par ceſte auanture, & puis le Roy Roſolfe arriua auec ſa belle Feriſee, qui fut occaſion que les Princes s’allerent proumener aux beaux iardins, où ils paſſerent le reſte du temps, ſelon les occurrences, & par l’auis du conſeil, meſme à l’inſtance de l’Empereur, le lendemain fut donné à Roſolfe & Feriſtee, & le temps y fut tant bien employé, que l’Empereur ſe trouua plus contant qu’il n’auoit eſté, les Princes Fortunez l’ayans aſſeuré, qu’il trouueroit ſans doute ſa deſiree Etherine, auant que la ſemaine fut acomplie.

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DESSEIN CINQUIESME.


Gnoriſe parle à l’Empereur. Le marchand de la figure d’argent uient demander ſon don. Le grand melaucholique ſe preſente, & eſt recognu & honoré. L’Empereur ſe plaint & accuſe. La liqueur notable.



AV temps que l’Empereur ſe deuoit trouuer pour comparoir en la ſale d’innocence, il y fut introduit & il vid là vne notable magnificence, tout y eſtoit abondamment, biē en ordre, entre autres au bout d’enhaut, il y auoit vne tapiſſerie releuee d’or ſemblable à toute l’autre, mais elle eſtoit enrichie de plus viues couleurs, qui depuis les orees iuſques au milieu rehauſſoyent tellemēt leur couleur, que là eſtoit vn vermeil plus exquis qu’en tout le reſte. Les ſieges de la ſale eſtoyent autrement diſpoſez qu’aux autres. La Souueraine auoit ſon throſne releué au lieu qui lui appartenoit, & le ſiege de l’Empereur eſtoit au bas en vn lieu d’eminence moindre, mais royale. Aux pieds de la Souueraine eſtoit la place de Gnorise, & aux lieux proportiopnez, les ſeances de ceux qui deuoyent aſſiſter à ceſte grande ceremonie, toutes les obſeruations acheuees Gnorise ſe leva, & fit la reuerence à la Souueraine, puis ſe tournant vers l’Empereur lui dit : Il eſt temps que vous qui auez fait profeſſion d’eſtre Amant, plein de perſeuerance, apres tant de tentations ayez quelque plaiſir, ſelon l’eſperance dont on vous a fidelement repeu, depuis le iour qu’il a eſté ordonné que vous viendriez en ce lieu faire preuue de voſtre courage, & que en fin vous y trouueriés ce que vous deſirez, auec tant d’affection & de paſſion. Or pource que vous eſtes coulpable, & qu’il eſt ſeant que vous ſubiſſiez le iugement d’Amour, il a eſté ordonné que vous auriez ce tēps particulierement à vous, & qu’il ſeroit determiné de voſtre affaire, ſelon la bonté de voſtre cœur. Parquoy c’eſt à vous à y penſer, & ie doy proceder contre vous, pour vous rendre la punition que vous meritez, ou pour vous inſtaller en la gloire de vos contentemens. Diſpoſez vous donc comme fidele Amant, a fin que vous acqueriez autant de grace qu’auez eu d’ennuy. L’Emperevr Puis que ie ſuis venu en l’ermitage d’honneur nouueau pelerin d’annour, ie veux & deſire demeurer exactement ſous les loix & couſtumes de ce lieu eſtant preſt de rendre conte de mes deportements : A cét inſtant voicy entrer en la ſale vn perſonnage eſtimé marchand pour ſon habit, il auoit vne belle aſſeurance & vne grace conſtante, ce qui le fit conſiderer de tous, & puis ſa facon auec humilité fut cauſe que l’on deſira oüir ce qu’il diroit & voir ſes actions : Approché de l’Empereur il luy fiſt la reuerence accompagnée de grande ſubmiſſion, alors l’Empereur le recognut pour celuy qui luy auoit baillé la figure d’argēt, & luy en auoit promis ce qu’il luy en demanderoit en temps & lieu, adonc le marchand luy fit ceſte harangue. Sire, apres auoir mis fin à pluſieurs grāds voyages, & ayant ſceu que vous eſtiés icy en lieu où toute courtoiſie abonde, toute galantiſe d’eſprit paroiſt, & le plus beau des ames ſe manifeſte, ie ſuis venu ſaluer voſtre majeſté, & auec cela vous ramenteuoir du don qu’il vous pleuſt m’octroyer quand ie vous laiſſé la belle figure. l’emperevr. C’eſt raiſon que vous ſoyez contenté. Le Marchand. Sire, il n’y a que Dieu qui me puiſſe contenter. l’emp. Ie l’entens ſainement, mais vous eſtes trop galand, & ſcauant pour vn marchand. le march. Sire, I’ay acquis & acheté de la ſcience ; parquoy en voſtre preſence ie n’oſe parler autrement que ſelon que le deuoir me commande de dire deuant le patron des beaux eſprits :Sire, pardonnez à ma preſomption, elle eſt humble. Et me faites l’honneur de m’accorder le don. l’emp. Pour le plaiſir & le bien que m’a apporté l’effait de la figure, ie vous ottroye le dō. {{sc|l’emp]]. Sire, dōnez moy, Madame, voſtre fille. l’emp. Elle n’eſt pas de condition pour eſtre donnee à vn Marchand. l’emp. Sire, donnez là dōc au Roy. l’emperevr. Serez-vous contant ? le march. Ouy ; Sire, pourueu que ce ſoit de bon cœur, car lors ie ſeray ſatisfait, & Vous quitte. l’emp. Ie la lui donne. le march. Sire, ayez en ſouuenance, & ne penſez plus à elle, car iamais plus ne partira d’icy puis que vous l’auez reſignee à celui qui la colloquera ſelon les loix de ce ſaint lieu. Il auoit encor ces termes ſur les léures, qu’vn petit murmure ſ’eſleua à la venue d’vn homme d’apparence, il auoit façon de Prince, geſte de grand, & entree de magnifique, eſtant ſuyui de gens bien en ordre, il ſ’approcha du Roy auec vne action de courtoiſie genereuſe, & modeſte, & luy ayant faict la reuerence luy diſt : Sire ie ſuis iſſu du grand Triſmegiſte & viens vers vous pour vous ſupplier de me faire droict ſur vn tort que ie preſume m’auoir eſté faict par ce ſage Empereur, lequel enuoya l’autre iour en priſon le grand Melancholicque, il m’eſt aduis que ceſte execution a eſté trop toſt faite, & partāt ainſi precipitee eſtre tortionnaire, veu que par le droict d’ancienne amitié deu à mes predeceſſeurs il eſtoit honneſte de nous auertir à ce que s’il auoit delinqué, iuſtice exemplaire non cachee, notable & non priuee, en fut faicte. L’Empereur qui eſtoit faſché que ſon bien ſe retardoit par telles venues, ſe fut volontiers mis en cholere, mais il ne ſçauoit à quoy telles parties tendoient, & ſi elles eſtoient faictes, ou auantureuſes, ayant toutesfois aſſez de courage pour ſe preparer à vaincre ſ’il euſt faillu ſ’offencer, reſpondit : Ie n’ay rien faict que par l’aduis du Conſeil, c’eſt au Roy mon frere d’en reſpondre icy, ie luy ayderay, & à moy d’en faire raiſon ches moy, ie m’y prepareray s’il en eſt beſoin. Il replicque, Sire ce n’eſt pas ceans le lieu, & n’eſt pas le temps de s’vlcerer pour pratiquer la guerre : Il n’y a qu’vn mot, puis que vous me faites l’honneur de parler à moy, ie ne vous demande ſimplemēt que la raiſon que vous me deurez quand vous aurez recognu la ſurpriſe que vous vous eſtes faict en vous faiſant tort m’en penſant faire, & ie vous en fais le ſeul iuge. Pour cét effect ou me conſiderez, ou bien enuoyez querir celuy que vous auez logé ſur la tour d’examen, & apres vous attribuerez le droict à celuy qui le merite. l’Empereur demanda l’aduis du Roy, de la Souueraine & des aſſiſtans. On fut d’aduis d’enuoyer là haut, donc incontinant on amena deuāt les Monarques Triſcrude que tous recognurent, on luy demanda qui l’auoit mis là haut, il n’en ſceut que dire, adonc l’eſtranger ſe fit cognoiſtre pour celuy meſme qui ſ’eſtoit dict le grand Melancolique, & fiſt raconter tout l’artifice par ſon Page. Et puis il ſe declara & fut recognu le Prince Traſite heritier du grand Triſmegiſte veritablement Seigneur des belles inuentions, & partant ſeance luy fit donnee, & depuis par effait on a cognu que ce qu’il auoit fait, n’auoit eſté qu’en intention de faire preuue de ſa valeur. Incontinant Gnoriſe requit que la porte fut fermee, ce qui fut fait, puis l’adreſſant a l’Empereur & repetant ſa remōſtrance luy dit. Entrés en la belle humeur de vos bonnes amours, & ſi vos fidelités vous le teſmoignent, oyés voſtre muſique ſouſpirer les doux accens que vous donnaſtes à l’aer, incontinant que ceſte belle affection vous eut touché.

J’honore des beautex des belles la premiere,
Je ſers des plus beaux jeux la plus belle lumiere,
Ie uou mes deſirs à la perfection.
Mon ame heureuſement en ſon amour s’eſleue,
Et mō deſſein parfait qui ma fortune acheue,
M’offre l’vnique obicci de toute affection.

Oriante beauté qui mon eſprit eſlances,
S’il m’eſt permis de viure auec mes eſperāces,
Ie te pri receuoir mes vœux deuotieux.
Animé par tes yeux tu me verras fidelle,
Et que te cognoiſſant vnique aymable, & belle,
Ie ne reuereray que l’honneur de tes yeux.
Royne de mes eſprits, ceſte maieſté graue
Ceſte belle rencontre & ceſte facon braue,
Qui vous practique, acquiert, & gaigne tous les cœurs,
Rendent mon cœur confu, car voſtre belle grace
Qui ſans les receuoir tous les eſprits enlace,
S’accordāt à mes vœux m’ottroye ſes faueurs.
Eſt-ce pas mon bonheur que ta beauté parfaite
Sans peſer mon merite, à mon ame permette,
De l’aymer, la ſeruir, l’honorer, l’admirer ?
Ie n’auois point de cœur auant cette fortune,
Mon corps eſtoit vne ombre, et ma vie importune
Ne ſcauoit que c’eſtoit d’aymer & d’eſperer.
Tout de cœur maintenant, tout d’amour, tout de flame,
Releué de valleur, ie ſus viuant d’vne ame
Qui me fait reſpirer tous effects genereux :
En ſi parfait eſtat, i’entretiendray ma vie
Afin que vous ſoyez fidelement ſeruie,
Autre deſſein ne peut me rendre bien-heureux.

Lemperevr. Ie ne fcay, pourquoy vous faites ma condition pire que celle des autres Amans, ſi ce n’eſt que vous me vouliés faire payer l’honneur du rang que vous m’auez fait tenir, lequel ie n’affectois pas : Lors que i’ay eu le contentemēt de voir & ouyr plaider les Amans, ie voyois la maiſtreſſe auec l’Amant, & moy qui n’ay pas moins de beaux deſirs, i’oy mes ſouſpirs eſtre raportez au vray, ie reſſen ma propre paſſion ſe mouuoir en mō ame, & ie ne voy point celle qui cauſe ma flame, ceſte beauté tant deſiree, tant offencee, tant inuoquee à pardon, ne paroiſt point. il eſt vray, i’ay receu vn grand contentement, & qui m’allegeoit beaucoup, quād i’ay entendu les fotunes de tant de cœurs menez diuerſemēt par l’amour, & leurs trauerſes ont ſoulagé ma peine, deſtourné ma grande melancholie & vn peu refait mō cœur, mais c’eſt ſans aporter fin à ma calamité. Si les yeux de ceſte belle ne reuienĕt ralumer ma vie, que me ſeruira de propoſer mon cœur ouuert en voſtre preſence : mais bien pour faire deuoir comme vray Amant, ie veux expoſer le ſerment de fidelité que ie lui iuray, la priāt de m’aymer. Page, repetez-le comme il fut ſouſpiré chez la Fee, & y ioignez la meſme induſtrie, cōme lors vous y futes dreſſé, le Page adōc chanta.

I’arreſte icy ma fortune eſtablie,
En m’obligeant à vos perfections,
Car ie n’ay plus d’autres intentions,
Ne d’autre obiet qui releue ma vie.
Mais auiſez douce Belle accomplie,
Qui m’acceptés en mes deuotions,
De faire eſtat de mes affections,
Et vous ſerez fidellement ſeruie.
En m’attirant par tant d’heurevx appas.
Ie uous ſupply ne me ſeduiſez pas,
Mais traitez moy comme ie le merite,
Uiuant ainſi, ce ſera veſtre honneur,

Car les beaux cœurs qui ſcauront mon bon-heur
Vou nommeront des parfaittes l’eſlite.

Que me ſert cela puis que ie ſuis ſeul, que ie parle auvent, & que celle qui eſt la gloire de mes entrepriſes n’eſt pas icy : Ie ſçay que i’ay failli la traitant mal, & ne ſachant pas fa qualité, qui toutesfois par raiſon telle autre qu’elle euſt peu eſtre, eſtoit aſſez puis qu’elle eſtoit ma Maiſtreſſe. Que voulez vous dauantage de moy ? & ie le feray. Que faut il que ie demonſtre pour faire voir plus de contrition, & quelle Palino ie chanteray-ie ? ie ſuis diſpoſé & appareillé de ſouffrir tout ce qui ſera arreſté contre moy, voila ie ne veux eſtre autre que treſhumble, affin que ie merite par la faueur des belles plus que par ma vertu, & ſi ma belle eſtoit preſente ie luy dirois,

Si vous auez le cœur capable d’amitié,
Iettés ſur mes ſouſpirs quelque trait de pitié.

Gnoriſe ayant recogneu ceſte viue affliction de cœur ſe leua & requit que la feneſtre d’azur fut ouuerte, pour dōner entree à l’iris de cognoiſſance & qu’il pleut au conſeil d’auiſer au bien de l’Empereur. La Souueraine ayant fait ſigne, les conſeillers vindrent à elle ſelon leur rang, & apres que chacun luy eut dit fon opinion, elle prononça,

L’Empereur ayant faict paroiſtre l’integrité de ſon cœur, doit receuoir le guerdon de ſes fidelitez, pource des maintenant il eſt liuré à ſon propre iugement, pour ouyr ce qui le peut conſoler, voir ce qui eſt capable de le contenter, & ſaiſir ſon ſouuerain bien ou il le rēcontrera & luy eſt loiſible de s’ēquerir de ce ſuiet, & ſuyure ce qui l’y attirera. Puis à temps opportun on fera paroiſtre l’Iris, s’il eſt beſoin, apres que les pretendans ſe ſeront preſentez.

La Souueraine fermoit la bouche acheuant cet arreſt & vn gentilhomme ancien & venerable ſe preſenta à l’Empereur, luy diſant, Sire cet arreſt ne peut eſtre executé ſans mon ayde, ie ſuis le vieil Meliquaſte auoué de la Souueraine, & qui ay conſeillé infinis princes & Rois Parquoy ſ’il vous plaiſt me croire, bien vous prendra de me ſuyure, & ie vo° cöduirai au labyrinthe d’Amour iuſques à la rencontre de vos deſirs. I’ay voſtre bien en ma puiſſance, la Belle eſt en mes mains, ie l’ay trouuee apres vne longue recherche par le commandement du Roy ſon pere. Ie l’ay conduite où elle eſt maintenant, & dont elle ne bougera que vous ne l’en tiriés : l’Empereur trāſporté ſe leuoit pour ſuyure Meliquaſte que les deux amās muetz furēt introduitz presētez par Eurogire, adōc la Souueraine tourna vne petit canelle d’or, dont il coula la liqueur notable qui eſt de couleur accomplie, de laquelle elle les arrouſa, auſſi toſt ils furent reſtituez en leur premier eſtat, & renuoyez à leur diſcretion. Cette liqueur eſt icy conſeruee dans vn vaſe d’or brillant cōme verre. On nous a dit qu’elle eſtoit cueillie d’vne fleur qui eſt ſœur du ſoleil, & qu’en ce pais là ils nomment le Soleil de la Terre & ſon ame, ceſte liqueur eſt treſprecieuſe effacant toutes infirmitez, & quelle eſt l’effait de Xyrile qui auſſi ſ’en reſiouit meſme par le continuel vſage qui luy eſt frequent, elle eſt telle que ſon vrine ſe conuertit en baume, ſa ſueur en ambre gris, ſes larmes en perles, ſes ongles en argent & ſes cheueux en or & disēt les ſages qui nous ont prié de ne le diuulguer qu’aux gens de bien, que ſi elle engendroit comme elle pourroit eſtant legitimement vnie à ſon deſirant, & deſiré, ſes enfans ſeroyent des corps ſi parfaitz qu’on les iugeroit n’eſtre qu’eſprits, pouuans communiquer leur perfectiō aux imparfaits. L’Empereur eut vn peu de patience impatiente, puis ſuyuit Meliquaſte.

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DESSEIN SIXIESME.


L’Empereur ſuit Meliquaſte au labyrinthe où il void pluſieurs apparances notables en allant. Meliquaſte raconte à l’Empereur la fortune d’Etherine, la repreſentation de laquelle luy apparoiſt dans la ſale du milieu.



SOus le plus ample palais de l’Hermitage d’hōneur, eſt vn labyrinthe tout taillé dans le roc, ſur lequel auoit eſté baſti vn des antiques logis que Sarmedoxe auoit oſté : ce labyrinthe eſt vne merueille en ouurage, & a eſté vn miracle en nature qu’il ſe ſoit trouué en terre vn roc ſi propre pour cet artifice parfait entre les accomplis tant pour l’excellence de ſa ſtructure où il ny a nulle faute, que pour les belles veines de pierre qui le rēdēt lumineux, moyēnāt vn petit ſouſpiral, que pour pluſieurs raretez exquiſes que l’on y remarque, & ſur tout en la ſale du milieu, laquelle eſt en voute ronde faite en doſme, & qui na qu’vne ouuerture outre la porte par laquelle on y entre tout aupres hors la ſalle eſt vne petite vis qui conduit au cabinet où eſt la belle figure. En ceſte salle & belle grotte, il y a vne petite ouale non au ſommet, mais vn peu plus bas vers le midi, par où le ſoleil iette ſes rayons, & alors on void non ſeulement en ce bas tabernacle ce qui eſt recellé, mais on diſcerne ce qui eſt viſible à vne lieue à la ronde, & celà par l’inuention qui s’y eſt trouuee à propos, dure enuiron vne heure & demie, peuplus peu moins ſelon le temps, l’ouurier l’eut bien fait pour durer d’auantage, mais les autres baſtimens l’empechoyent, l’Empereur ſuyuant Meliquaſte deuala de grand courage là bas, n’eſpargnant ny peine ny diligence.

Le Roy fut informé de toute l’affaire, & sō ſiege eſtoit iuſtement à l’endroit par où paſſoit l’Iris quand il paroiſſoit, quand l’Empereur fut ſorti, les Princes & les Dames diſcoururēt de pluſieurs auātures, & les aliāces furent conclues, car l’Empereur ne pouuoit ſe dedire du don de ſa fille au Roy, & puis tous les autres eſtoiët d’accord pour celebrer les nopces au prochain iour à ce que les amours fuſſent trouuees ſaintes & legitimes ſans quel but iamais le Roy ny les autres n’y euſsēt entēdu, l’honneur eſtant leur conduite. Cependant chacun entretenoit ſa dame, & le Roy deuifoit auec Etherine, & l’ētretint tant que venu le tēps d’vn artifice propoſé il fallut qu’elle ſe rangeat. Tandis que ceux cy ſont fi doucement occupés de ce qui ſ’offre, l’Empereur cheminoit par les allees du labyrinthe, oyant les diſcours de Meliquaſte & aduiſant les differentes ombres qui ſe preſentoient ſous terre. Si vn courage laſche ſe fuſt hazardé à ceſte veuë, ſi vn cœur bas s’y fuſt aduanturé, mille frayeurs l’euſſent ſurpris à la rencontre des apparences qui peuuent quelquesfois eſpouuanter les plus aſſeurez. Et puis ce Prince qui ſçait que c’eſt des hazards, & la difference des feints aux veritables, tranſporté d’amour & d’aiſe de iouyſſance de bien futur, & du plaiſir qu’il a d’ouyr ce que raconte le vieillard, ne ſe peut effrayer des obiets paſſagers qui le viennent tenter : Incontinant qu’il eut deſcēdu l’eſcalier pour entrer aux allees & galleries, n’ayant pas pris garde à l’actiō de Meliquaſte, il mit le pied ſur le ſueil, & comme il ſe fut balancé ſur ceſte pierre, elle tourna, & ſans doute luy eut fait prendre vne triſte cheute, ſans qu’il ſe ioignit à ſoy-mefmes, & ſe tenant droit & ferme, ſe laiſſa porter à bas par le tour que la pierre fit ſur ſon centre & ſe trouua debout, & ceux qui y obeyſſent tombent, ce qui fut aduenu à l’Empereur, s’il n’eut eu honte d’eſtre pris au piege, où les petits eſprits ſe laiſſent ſurprendre, il mit ſus à ſon propre vice la faute qu’il auoit faite de n’auoir agembé ce pas. Ayant paſſé vn petit tour, il vid vn brillant comme de feu lumineux, & il ſe tourna d’autant que c’eſtoit du derriere qu’il procedoit, & il apperceut vn Dragon qui auoit de grandes æſles, il ſe tint fur pieds pour diſcerner ce que c’eſtoit, & s’arreſta attendant s’il approcheroit : auſſi faut-il attendre ce qui ſuit, & s’oppoſer à ce qui vient contre quand on ne les peut euiter. Meliquaſte paſſoit en haſte, & l’Empereur laiſſant ce Dragon qui auoit gliſſé autrepart, ſuyuoit, & au proche deſtour trouua vn grand ſerpent frayant le paué, il ne ſe peut tenir qu’il ne voulut eſtre aſſeuré que c’eſtoit : donc il prit ſon eſpee pour taſter la beſte, qu’il cogneut eſtre feinte figuree par la reuerberation qui ſe faîſoit ſur l’ombre d’vn contrefait releué, & poſé en l’āgle d’enhaut, il eut preſques honte d’auoir tiré ſon eſpee, toutesfois il s’en excuſa ſur le deſir que il auoit d’ouyr l’hiſtoire que racontoit ſon conducteur, & celà luy nuiſoit. Ayant ainſi commencé à faire peu de cas de telles apparences, il continua à meſpriſer le reſte, eſtimant de meſmes quand le crocodile luy vint enuelopper les iambes, il le void, mais n’en ſentant rien, il trouue admirable & agreable ceſte gentilleſſe, qui fut ſuyuie du grand Lyon verd, puis du Baſilic, dont il receut facilement les belles figures alleché par les beautez de la queuë du Pan qui le retint plus que les autres, parce qu’elle luy ſembla plus veritable que toutes, & peut eſtre ſeule vraye, à cauſe que dedans vn des miroirs du milieu, il luy fut aduis qu’il vit vne figure reſſemblant à ſa deſiree Etherine, ainſi cōme quand on ſonge, on eſtime tout n’eſtre que ſonge excepté ce qui plaiſt. Il n’auoit pas apperceu le corbeau, car il ne faiſoit point clair où il eſtoit, mais vn peu apres il le vid qui pouſuyuoit deux innocētes tourterelles, dont il eut tant de pitié qu’il leur tendit ſon ſein, où il luy fut aduis qu’il les receut, mais elles paſſerent imaginairemēt cōme les autres, il cuidoit pourtant repouſſer le malin corbeau, & ſa main ne rencontroit rien : Il ne s’y amuſa point d’auantage, car ſon cœur eſtoit occupé au fon qui touchoit ſes oreilles eſcoutant Meliquaſte qui alloit touſiours filant ſon pro pos qui eſtoit tel. Ayant beaucoup trauerſé de terres, veu diuers Royaumes, practiqué pluſieurs Prouinces, & hanté toutes ſortes d’hommes, ie pris la route du deſiré pays de Quimalee, eſtant là auec les miens, & viſitant ſouuent la Princeſſe Caliambe que i’honore infiniment pour ſes rares perfections, ie vis aupres d’elle vne treſbelle Demoiſelle, qui à mon iugement eſtoit eſtrangere, & comme on cherche les occaſions de ſçauoir, i’en trouue vne de demander à la Princeſſe qui eſtoit ceſte belle, laquelle me fit entendre ce qu’il luy pleuſt. Elle me dit que elle appartenoit à vn Ancien qui l’auoit amenee en noſtre contree, & qui l’auoit donnee en garde par ſupplication au Roy, pour autant qu’il ne pouoit plus tenir aupres de ſoy, attendu que on l’eſtimoit trop belle & accomplie, pour eſtre eſtimee fille d’vn perſonnage de ſi petite qualité, & puis eſtant de grand merite, il eſtoit plus à propos qu’elle fuſt en la Court de quelque Roy. Ie ne puis me tenir que ie n’entraſſe en quelque belle affection pour elle, ayant remarqué ſon merite & cogneu ſes perfections qui ſont à la verité notables & exquiſes, elle eſt beile & ie ne penſe point auoir oncques veu Dame plus accōplie en beauté, que ceſte-là. Il n’y a ſcience dont elle n’ayt cognoiſſance, & eſt tant ſage, qu’elle paroit pluſtoſt Royne que ſimple Demoiſelle. Ie la voyois ſouuent, & de tant plus mon affection à la ſeruir croiſſoit, & bien que ie me trouuaſſe indigne de ſon amour, ſi auois-ie tant de plaiſir à me paſſionner pour elle que ce m’eſtoit aſſez : Et pource que ie m’eſtois addonné à tout ce qui peut & doit plaire aux beaux eſprits, ſçachant vne infinité de gentilleſſe, ie luy en dōnois le plaiſir, & pour toute ſatisfaction de mō amour luy communiquant ce que i’auois de plus rare, ce m’eſtoit aſſez ſi parfois auec ſa bonne grace ie pouuois deſrober ſa main pour la baiſer vn petit, ce que i’executois non en ſigne d’amour, car ie n’euſſe oſé, ains en hommage à celle qui peut dominer tous cœurs. Elle voyoit bien l’indiſpoſition de mon cœur, & en auoit pitié, & comme ie le penſois elle compaſſoit par ma paſſion cōbien plus auroit de trauail celuy auquel elle a pofé ſes affections, s’il l’ayme. Ie me fuſſe volontiers bruſlé d’Amour pour elle, mais incontinant ie rabbaiſſois ce beau penſer, eſtimant que ce me ſeroit folie de me conſumer pour vne qui eſtoit de trop grand lieu, & qui appartenoit d’amour à vn grand Monarque. Noſtre frequentatiō m’ayant inſinué en ſes belles graces, elle me cōmuniqua ſes affaires, qu’elle faiſoit tant pour me gratifier, tirant de moy mille petits plaifirs & ſeruices, que pour m’empeſcher de l’aymer d’amour, ce qui ſucceda, car quand ie fceu qu’elle eſtoit la Princeſſe de Boron, i’arreſté mes affections qui ſe conuertirent toutes en pure volonté de ſeruice, auſſi m’auoit-elle tellement dreſſé à ſon vouloir, & cognoiſſoit tant biē mon cœur, qu’elle ne fit point de difficulté de me deſcouurir ſon eſtat & ſa fortune, me manifeſtant que deſireuſe de voir & ſçauoir ſi ce qu’on luy racontoit des perfections de l’Empereur de Glindicee eſtoit vray : Elle ſe deſguiſa, & le vint voir iuſques en ſon pays, vſant d’vn artifice non practiqué, & nouueau s’eſtāt fait enleuer par vn Pyrate feint qui la donna à ceſt Empereur, lequel l’obtenant ſans la cognoiſtre luy fit pluſieurs demonſtratiōs d’honneur & de courtoiſie, qui eurent des fins ſemblables à l’excellence d’Amour deſirant, & me parloit de vous comme ſi ie ne vous euſſe point cogneu. Ceſte vigueur d’Amour vlcera leurs ames, & aduint qu’eſtans à la chaſſe il ſe faſcha contre elle, & la fit expoſer au milieu de la foreſt, où ſe voyant abandonnee, ſe reſolut de mourir, & s’en eſtoit deſia aſſeuree, ſe tenant preſte d’attendre le dernier peril, ce qui fuſt aduenu ſans l’arriuee d’vn Marchand bien accompaigné qui la retira, & auec lequel elle a touſiours eſté iuſques à ce que venuë en l’iſle de Quimalee a demeuré auec la Princeſſe Caliambe, en la com pagnie de laquelle elle eſt venue à l’Anniuerſaire. Or, Sire, elle a ſceu qu’il y a vn Empereur icy, elle croit que ce ne peut eſtre vn autre que vous, parquoy elle m’a enuoyé vers vous pour ſçauoir ſi eſtant retourné en voſtre terre, vous auriez agreable qu’ell vous allaſt voir, pour vous demander ſelon voſtre iuſtice raiſon du tort que vous vous eſtes fait en i’outrageāt. L’Emperevr. Ie ſuis icy en vn labyrinthe corporel, & vo° mettez mon eſprit en vn plus difficile, ie ſuis venu expres icy pour la trouuer, & elle me veut renuoyer : Elle eſt mon ſouuerain bien, c’eſt pour l’amour d’elle que i’ay tant ſouffert d’ennuys, & il m’en faudroit ſupporter de plus difficiles : Ie luy deſire faire voir que c’eſt à elle que i’addreſſe mes vœux, & elle me veut eſloigner, c’eſt vouloir prendre trop de vengeance de moy. Mais dites moy mon pere mon cher amy, eſt-elle en ceſte Court ? i’ay veu la Princeſſe Caliambe, mais elle n’y eſtoit pas. Meliqvaste. Ie vous diray, Sire, vous me ferez tantoſt telle reſponſe qu’il vous plaira, nous verrons ſi c’eſt celle que vous pēſez, car ie ne ſçay ſi elle m’a deceu. Ils cheminoient deuiſans, & l’Empereur par meſgarde marcha ſur la plante du myrthe vif, ce qu’auiſant il ſe retint, le redreſſa contre le mur, puis il entra en la ſale ronde apres ſon conducteur, lequel tira la porte ſur eux, puis tira vne fiſcelle qui fit vne ouuerture à la voute par où vint vne viue lumiere, qui fit voir à l’Empereur l’excellence de l’ouurage, tel qu’il ne voyoit là aucune iointure, ains ſeulemēt vn enduit continuel, & qui plus eſt merueille exquiſe, il parut en la ſale tout ce qui ſe faiſoit pour lors tout à l’entour dehors aux champs & aux Palais. L’Empereur iettant l’œil vif partout, auiſa Caliambe, à la conſideratiō de laquelle il s’arreſta pour eſſayer à voir Etherine, mais ce fut lōgtemps en vain, car il ne iettoit pas ſa veuë où elle eſtoit, apres qu’il eut obſerué les obiets il aduiſa ententiuement la ſale d’Innocence, & y apperçeut vne chaire enuironnee des Dames & des Princes, & en ceſte chaire il vid ſon Etherine tāt deſiree, ce fut à ceſte heure là qu’il n’eut plus de patience, il pria inſtamment le bon Meliquaſte de le retirer de ce labyrinthe, à ce qu’il ayt pouuoir d’approcher de l’excellence de ſon bien.

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DESSEIN SEPTIESME.


Les fleurs que Caualiree repreſenta à Caliambe auſſi belles que quand elle les luy donna. Le moyen de les conſeruer telles. Raiſon, vertu & ſon Taliſman. Diſcours de l’Hermite ſur la vie ſolitaire.



L reſte des artifices ſe preparoit pour la gratification de l’Empereur qui eſtoit dās le labyrinthe : Et cependant les Dames & Seigneurs paſſoient le temps aux plaiſirs qui s’offroient. Et comme Caliambe & Caualiree diſputoiēt de leur affection, chacun d’eux deux diſant que l’honneur luy en appartenoit, ce que la conſtance & fermeté de leur cœur leur teſmoignoit. Caualiree qui cedera à ſa belle tout ce qu’il luy plaira, ne veut point eſtre vaincu en ceſte douce guerre, & pour le faire paroiſtre, & que le prix luy appartenoit, il tira vn mouchoir où eſtoient enueloppees quelques fleurs que la belle luy auoit donnees au commencement de leur amitié, & les luy repreſenta auſſi viues qu’elles les luy auoit baillees : Elle les recognut fort bien, & aduoüa que c’eſtoient les meſmes : Auſſi il luy dict que c’eſtoit le ſymbole ſacré de la verité de ſa perſeuerance, en quoy il vouloit touſiours taſcher d’eſtre accomply, Le ſage Sarmedoxe qui les oyoit, pria le Prince de diſcourir en ſi bonne cōpagnie de ce bel effet, & de communiquer le moyen dont il auoit vſé en la conſeruatiō de ces fleurs. Cavaliree. Les beaux ſecrets ne doiuent point eſtre celez aux belles ames, & pource ie le diray librement & ſurtout à vous, Belle, qui dominez ſur mon cœur : Il faut prendre la ſeue naturelle de la racine de chaque ſuiet, lors que ſon propre ſigne eſt en vigueur, & en tirer l’eſſence par impreſſiö de faculté, & puis prendre du vegetant le ſpecific tout entier, de cela on imbibe les fleurs, qui ont par le pied ſuccé la primitiue eſſence, ayans eſté ainſi repaſſees les faut laiſſer ſecher à l’ombre, & elles ſeront capables de durer vn ſiecle, ſi on reitere cet œuure pluſieurs fois, à cauſe que la reiteration multiplie la vertu qui s’y empraint fixement. Sarmedoxe. Le plaiſir que l’on trouue en exerçant ces belles recherches, eſt ſi grand qu’il peut eſtre appellé l’vnique, & dont les mortels ſe priuent cōme de tout autre contentement par les malignes poſitions, par leſquelles ils troublent le repos de tout le monde auec le leur : Et ie puis dire par raiſon qu’il n’y a endroit au monde où les mauuaiſes conditions ayent moins de domination qu’ē ce lieu auquel chacun a pour guide la Raiſon, il n’y ſeroit pas retenu ains en ſeroit honteuſement chaſſé : car il n’y demeure que ce qui eſt raiſonnable : Le Taliſman qui eſt ſur le portal, faict preuue de la bonté ou mauuaiſtie de chacun, ſi on y prend garde, parce qu’il faict diſcerner les vicieux, d’entre les vertueux : Si le vicieux le regarde, il eſt terni : car il ne peut ſouffrir le venin du vice : ſi le vertueux ſ’y mire, il ſe tiēt ſplendide & net : Les Dames le peuuēt mieux diſcerner, auſſi Ortofee en eſt la ſecretaire, ceſte eſpreuue eſt cauſe qu’il ne hante icy que des Dames d’honneur qui peuuent y conuerſer en toute franchiſe, pour y reſpirer & reſentir les doux effects de l’Amour pudique, à l’exaltatiō des beaux cœurs qu’vn ſainct zele anime & à l’extirpation des vicieux qui periront honteuſement bannis de cét enclos ſacré, hors duquel ils ſe ruyneront en l’horreur de leurs mauuaiſes concupiſcences. Il diſoit encor & nous l’eſcoutions auec des oreilles bien nettes, que la porte fut ouuerte : pluſieurs cuydoient que ce fut l’Empereur qui à ce que iugeoit Gnoriſe eſtoit aſſez loin encor, c’eſtoit l’ancien Hermite qui venoit voir ce dernier plaiſir, car comme il nous auoit raconté il ſ’eſtoit determiné d’attendre ſon changement, & me reſiner ſa place ſous le bon plaiſir du Roy, ce qui auoit eſté ratifié & auant que ſe releguer en ſa cellule de recluſion deſiroit ſauourer les delices communes aux beaux eſprits ; Eſtant entré le Roy luy cōmanda de ſ’approcher de luy, & le fit ſeoir au banc d’enuiron le ſiege Royal. Alors le Roy ſans faire ſemblant de ce qui ſ’eſtoit paſſé l’autre fois, pource qu’il y en auoit icy auſquels on ne doit encor reueler les myſteres abſtrus, miſt en propos le bon homme ſur l’excellence de la vie d’Hermite, luy demandant pourquoyil l’auoit choiſie : le bon homme qui ſçait cacher ce qu’il faut tenir ſecret & manifeſter les paroles qui ſont propres à contenter le monde, luy diſt, Sire Nos ſeules affections nous conduiſent, & ſelon qu’elles ſont nettes, nous fourniſſent de beaux deſſeins : Mais il faut que la reigle raiſonnable y ſoit, car autrement en voulant imiter ceſte action du tout ſaincte, & vertueuſe, on ſent vne contrarieté qui contriſte le genie & renuerſant les imaginations faict choir en des extrauagances melancholiques. Mais il faut fuir ceſte piteuſe reſolution, & ayant des deſirs accomplis en bien, les reigler par la vertu : ſelon ceſte loy quand l’amour m’a eſlancé i’ay ſouſpiré d’amour, & me determinant à ſuyure ſon enſeigne, ie m’y ſuis maintenu ſelon ce que i’y auois trouué d’exquis, en l’eſpluchant par les plus auantureuſes recherches de ce qui eſt de ceſte paſſion ayant touſiours eu le cœur en bon lieu, ſans rien aimer de bas, ny rechercher le contemtible, ains volant hardiment à ce qui eſt galant, & de merite. Et pource qu’il n’eſt pas ſeant à vn bel eſprit qui ſe cognoiſt beaucoup capable, de n’auoir qu’vn ſuiect de tranſport apres les belles idees, ie me ſuis mis à ſuiure brauement pluſieurs obiects, pour en auoir le plaiſir par cognoiſſance ou iouyſſance. Il eſt vray qu’à chaſque fois vn ſuiect vnique me retenoit. Tellement que ſi le deſir m’agittoit pour ce qui eſt recognu Amour, ie n’auois qu’vne maiſtreſſe bien que pluſieurs autres deſſeins m’emportaſſent en meſme temps, d’autant qu’vn ſeul ne pouuoit m’occuper, & toutefois ſelon ce qui ſ’offroit il ny auoit qu’vne eſpece particuliere à la fois qui me bloquaſt l’eſprit, & tenois mon cœur à ce qui m’eſtoit agreable ſans changer, tant qu’il ſubſiſtoit. Or d’autant que nous ſommes enuironnez d’infinies occaſions de trouble, apres auoir par le deſtin perdu le ſuiect de mes amours vulgaires, ie m’auiſé de me retirer des lieux où les cauſes de troubler mon eſprit ſe rencontroient ; Et ayant conſulté en moy meſme de me diſtraire de tant de nuages, pour me ioindre à ce qui peut m’apporter vn contentement vni, les feux agreables de ma ieuneſſe eſtans paſſez, non eſteints, appaiſez non euanouys, ie choiſi la vie ſolitaire, & libre, non que ie ne vouluſſe bien eſtre veu & voir ma conſolation : car ie n’ay iamais eu autre intention que de la laiſſer ſi elle m’euſt ennuyé, ce qu’elle eut faict ſi elle eut eſté contrainte, auſſi ie la dis libre, m’eſtant loyſible de la laiſſer quand ie voudray, comme il me l’a eſté, & auſſi de la reprendre pour vaquer aux belles contemplations, qui ſe trouuent en la ſolitude volontaire, & non geſnee & dont la preſſe ne faict ietter que des apparences d’hypocriſie. Donques eſgayant mon eſprit à ce qu’il deſiroit, ie voulu ceſte vie, telle que ie la meine pour m’y eſtre pleu extremement, & iugeant qu’elle peut à mon aduis rendre cōtant vn eſprit qui eſt raſſaſié d’ambition, ou qui ne l’affecte point, & ny pretēd. En la ſorte que ie paſſe le temps, ie ne puis faillir de me cōtenter, eſtāt ſeul il n’y a perſonne qui me deſtourne de mes parfaictes meditations, leſquelles i’aſſemble pour puis apres les enuoyer à mes amis. Si quelquefois i’ouure ma porte à quelqu’vn, comme il auient és temps commodes, ie ſuis aſſeuré d’auoir du plaiſir, car ie m’attens que celuy qui entrera, ny viendra pas pour faire mine de ſtatue ains d’homme, dont il rapportera quelque remarque, affin que ie le recognoiſſe tel : ſ’il me dit quelque choſe que ie ne ſçache pas, i’augmente d’autant, ſi ie le ſçay, ie m’eſgaye en le rememorant, & iamais aucun ne ſortit qu’il ne s’en allaſt auec quelque contentement, ſ’il a eu l’eſprit de le comprendre. Telle eſt la façon de ma vie, qui comme ie croy, n’offence perſonne. Ie paſſe en outre mon temps aux belles inuentions, que ie croy eſtre de moy : que ſi quelqu’vn les a euës deuant, he ! bien ça eſté qu’il a eu le meſme proiect, auſſi à dire vray, inuenter eſt apprendre ſans maiſtre, & adapter ſon eſprit à l’idee veritable, & non feinte : car tout eſt és premieres idees, & partant il ny a pas moyen d’inuenter abſolument ou en penſer autrement, que ce qui eſt pourvenir à chef, parce qu’on ne peut changer ou corrompre ce qui eſt determiné. Qu’ainſi ne ſoit, qui eſt-ce qui pourroit eſtre tant habile és nombres, qu’il peuſt les changer & faire vn autre terme que dix ? en la muſique vn autre que huict ? voila comment ie vay ſuyuant ce qui eſt, le deſcouurant au pris que ie le rencontre par mon propre ſoin. Faiſant icy de meſme que quand ie frequentois les peuples vulgairement, & viuāt d’egale façon ſans poſſeder que ce qui eſt à autruy, & à moy par adaptation : Auſſi ie n’eus onques rien à moy de propre aſſemblé, mais ie l’auois eſpars : car Dieu m’ enuoyant au monde y ſema mon bien, ſi qu’il eſt meſlé en celuy de pluſieurs, qui quelques fois me l’ont rendu ſans y penſer, & vous meſme Sire, par haſard me laiſſez ce propre dōt ie ioüis, & vous ne ſçauez pas qu’il eſt à moy, ſans que la loy eſcrite en voſtre cœur vous y induict. Telle eſt ma vie & a eſté, & ie diray vray en diſant comme pour derniers propos

J’eſtois en pauureté extréme
Alors qu’au monde ie naſquis :
En mourant, ſi ie ſuis de meſme,
Ie n’auray perdu ny aquis.

Il ſembloit que ce fuſt par eſprit d’intelligence qu’il parlaſt ainſi pour acheuer ſon diſcours ; car auſſi toſt le murmure de la reuenue de l’Empereur nous fiſt changer d’ouye : à l’inſtant Fonſteland paſſant par la petite porte emmena Lofnis. La grand tapiſſerie fut tendue & la Souueraine ſe remiſt en ſa place, affin que l’Empereur entrant il vit tout en l’eſtat qu’il l’auoit laiſſé. Et Fonſteland qui auoit deſtourné Lofnis pour la bien-ſeance (elle ſçauoit bien tout)l’en tretenoit ainſi ; Madame depuis que ie ſuis vo ſtre, & que le cœur vous a iugé que ie deſire paroiſtre tout loyal au ſeruice que ie vous doy, n’auez vous point remarqué que vous eſtes la reigle de mes penſees & la loy de mes actions ? n’auez vous pas recognu que ie deſpens de vous ſeule qui eſtes l’ame dont ie ſuis vn petit organe : vous l’entendez bien, car vous auez tant de iugement qu’il n’eſt pas poſſible que les bluettes de mon feu qui ſintillent de voſtre lumiere, ne vous aient fait diſcerner ce qui vous appartiēt : mais voſtre prudēce qui me regit auec tant de mouuemens agreables, veut que ie m’ingere de moy meſmes aux belles entrepriſes, vous voulez ſans me le commander que ie m’exerce à mon deuoir, & que des feux qui m’allument i’illumine mon eſprit pour le dreſſer ſelon voſtre vouloir, & vous vous retenez tellement qu’auec l’amitié dont vous m’honorez vous meſlez trop de reſpect. Et ie deſirerois qu’il vous pleuſt vſer de voſtre puiſſance ſur moy auec dauantage d’auctorité, & que me commandant me propoſaſſiez quelque bel effaict, par lequel ma fidelité vous fuſt apparente, Si vous me faiſiez ceſte faueur ie penſerois eſtre au comble du ſouuerain bien, parce que mes plus vrgents ſouhaits, ont pour leur fin que i’aye l’heur d’eſtre honoré de vos commandemens. Vſez donques vers moy de ceſte grace, vous qui ſeule eſtes la conduite de mes volontez puis que vous eſtes certaine de mon courage, dont l’integrité eſt tant vouee à vous obeir, que ie ne peux rien penſer que pour vous ſeruir conſtamment. Lofnis Ie croy que les belles paroles que vous me repreſentez ſont tirees du meſme cœur que vous les propoſez, & puis qu’ainſi eſt, comment voulez vous que i’en cherche autre demonſtration ? ſeroit-il poſſible que ce que vous me dites fut autre que ce que i’en entends & veux croire : Il me ſemble que vous me faictes tort & à vous auſſi, puis que vous m’auez aſſeuree de voſtre affection, de me prier d’en prendre vne nouuelle aſſeurance. Si vous auez fiance en la bonne volonté que ie vous ay promiſe, il m’eſt auis que vous ne de uez point deſirer que i’en cherche autre teſmoignage.

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DESSEIN VIII.


L’Empereur de retour en la sale conſent & iure les alliances, moyennāt qu’il ayt Etherine. Le Cenotafe du Prince François eſt ordonné. L’Empereur embraſſe Etherine.



LA Sale eſtant ouuerte, le bon Meliquaſte ramena l’Empereur, lequel on fiſt aſſeoir où parauant il eſtoit : Et la Souueraine luy diſt, Sire auant que nous paſſions outre il eſt conuenable que vous nous declariez ce que vous eſtes venu chercher icy, & pourquoy vous y eſtes acheminé. L’Empereur. Madame ie recognois icy voſtre Souueraineté, & vous declare naiuement que ie ſuis venu en ce lieu Pelerin d’Amour, rendre mes vœux à l’honneur, pour y trouuer l’alegement qui m’a eſté promis, & aſſeuré par les Princes, deſquels iamais le Cōſeil ne m’a deceu, auſſi ie ſuis tout certain de trouuer mon bien en ce pais : Et pource ie vous prie en ſuiuant l’arreſt prononcé fidellement pour moy, que ſelon les loix & ſtatuts de ceans puis que ie m’y ſuis ſoubmis, i’obtiene ce qui m’eſt octroyé. Que l’affliction mortelle qui m’a preſſé depuis ma perte, ſoit iointe à ma repentance, en ſatisfaction & reparation de ma faute & offence, que mes ſouffrances tant difficiles me ſoyent vne iuſte penitence, affin que ie trouue fin à mes calamitez. La Sovveraine. La circonſtance du temps, l’eſtat des affaires, la raiſon de ceſte aſſemblee, la diſpoſition des eſprits, & la cauſe de tout ce qui eſt du ſuiect pour lequel ces eſtabliſſemens ont lieu, accompagnent mon auctorité d’vne grandeur extraordinaire, auec la puiſſance dont il me conuient preualoir auiourd’huy ſur voſtre eſprit : Et ainſi ie m’adreſſe à vous genereux Monarque, & ordōne derechef, que ce qui a eu vn commencement heureux, paruienne à vne fin accomplie en felicité : Or auant que vous ayez le bon heur qui vous attend, il faut que vous ayez agreables les alliances que le conſeil a reſolues, ou que vous y reſiſtiez. Le Roy & les Princes qui ſont icy ſuyuant la reſolution & conſentement des Dames y obtemperent. Ces alliances ſont que le Prince de Boron eſpouſe la fille du Roy, qui eſt la ſage Olocliree, vous auez donné voſtre fille au Roy & il la donne ſous voſtre bon plaiſir à ſon fils Fonſteland, ainſi donq ce Prin ce aura la belle Lofnis. Et pour la concluſion des autres alliances, Caualiree & l’excellente Caliambe ſeront vnis, ainſi que le ſeront auſſi Viuarambe & la magnifique Royne de Sobare, outre plus a communs frais ſera baſti le Cenotafe du Prince François qui a eſté ſurpris de ſon dernier iour venant icy pour auoir la part des ſaincts myſteres d’Amour. L’Empereur donnāt pur & entier conſentement iura les alliances moyennant la ſienne particuliere auec Etherine qui luy eſt accordee, ce qui fut authētiquement arreſté entre les mains de la Souueraine qui commanda qu’on ouuriſt la feneſtre de Cedre à ce que l’Iris paruſt, & que l’on abbatiſt la tapiiſſerie qui cachoit le throſne où eſtoit Etherine en ſa magnificence comme fille de Roy & future Imperatrice. Tout beau, arreſtons icy vn peu, quoy de preſumer retracer en paroles ou figures le contentement de ces deux parfaictes ames ! De les penſer ouir reciter ou les voir ! Il ny a perſonne qui les puiſſe exprimer, ny eſprit qui les peuſt ſupporter quand meſmes on les pouroit offrir aux yeux & preſenter aux oreilles. Tout donques diſpoſé comme la Souueraine l’auoit ordonné, l’Empereur vit Etherine aſſiſe dans le throſne ainſi que la figure du labyrinthe luy auoit monſtré, qui eſtoit pourtant la meſme verité qu’il ne pouuoit encor bien & aſſeurement iuger. Il ſ’auance à elle & dilaté de cœur comme de bras vint pour luy demander pardon, & elle ſortie du ſiege toute tremblottante ſ’humilie deuant luy, le requerant & demandant excuſe. Ils ne peuuent acheuer ce qu’ils veulent dire, ils ne ſcauent plus ce qu’ils ont premedité l’eſclat de leur bien apparent a eſblouy leurs eſprits, ils ſe rencontrent en meſmes volontez, & ayans eu ſemblables deſirs ſ’entredonnent le baiſer delicieux & licite à tel couple heureux, en conſolation des afflictions paſſees.


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QVATRAIN.


La vie de mon Roy conduiſoit cet ouurage ;
Lors que ſa mort auint, elle en rompit le cours :
Ce trop ſoudain malheur m’emporta le courage,
Et finit mes Deſſeins à la fin de ſes iours.

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PRIVILEGE DV ROY.


OVYS PAR LA GRACE DE DIEV ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE : A nos amez & feaux Cōseillers les gens tenās nos Cours de Parlement, Preuoſt de Paris, Baillif de Roüen, Senechaux de Liō, Tholose, Bordeaux, & Poitou, & leurs Lieutenants, & à tous nos autres Officiers qu’il appartiendra, Salut : Noſtre bien aymé Claude Guerin dict la Tour marchand libraire en l’vniuerſité de Paris. Nous a faict remontrer qu’il a recouuert un liure intitulé, Le Uoyage des Princes Fortunez : Compoſé par Beroalde de Veruille, que le dict expoſant voudroit imprimer, mais il craint qu'apres l'auoir expoſé en uente, autre Libraires & Imprimeurs de ceſtuy noſtre Royaume le uouluſſent semblablement Imprimer ou ſuscitaſſent les eſtrangers à ce faire, & par ce moyen fruſtrer ledict Guerin dict la Tour, de ſes frais & mises, & rendre ſa peine inutile, & luy faire receuoir perte & dommage. Pour à quoy obuier & affin qu'il ſe reſſente du fruit de ſon labeur, il nous a tres-humblement ſupplié luy permettre d'Imprimer ou faire Imprimer ledict liure en tel caractere que bon lui ſemblera, & interdire tous libraires & imprimeurs de les imprimer ou faire imprimer, & aux eſtrāgers d'en apporter uendre ne diſtribuer en aucune maniere que ce ſoit, & à ces fins luy octroyer nos lettres neceſſaires. Nous & à ces causes deſirant l'aduancement

de la choſe publique en ceſtuy noſtre Royaume, & ne voulant permettre que le dict suppliant soit fruſtré de ſes frais, peines, & labeurs : Nous vous mandons & enioignons par ces preſentes, que vous ayez à permettre comme nous permettons audict Guerin dit la Tour d’Imprimer ou faire Imprimer ledict liure vendre & distribuer iceluy en telle forme & caractere que bon luy semblera, faisant tres-expresses inhibitiōs & defenses à tous autres libraires & imprimeurs & autres perſonnes, de quelque eſtat & condition qu’ils ſoient, de l’imprimer ou faire imprimer, vendre ne diſtribuer, contrefaire ou alterer, ſans le consentement dudit Guerin dit la Tour, durant le terme de ſix ans apres que ledit liure ſera acheué d’imprimer. Et aux eſtrangers d’en apporter, vendre ny distribuer, ſinon de ceux qu’aura fait imprimer ledit ſuppliant, ſur peine aux contreuenans de mille liures d’amende, applicable moitié à nous, & l’autre moitié audit ſuppliant, & confiſcation des exemplaires, & à tous deſpens, dommages & intereſts. De ce fait vous donnons pouuoir & mandement ſpecial, nonobſtant oppoſitions ou appellations quelconques, pour leſquelles & ſans preiudice d’icelles ne voulons eſtre differé : clameur de haro, Chartre Normande, & priuilege des pays, auſquels nous auons deſrogé & deſrogeons par ceſdictes preſentes, & pour ce que d’icelles ledit suppliant pourra en auoir affaire en plusieurs & diuers lieux : Nous voulons qu’au vidimus d’icelles, fait par l’vn de nos amez & feaux Conseillers, Notaires & Secretaires, foy soit adiouſtee, comme au preſent original & outre qu’en mettant par brief le contenu du preſent Priuilege au commencement ou fin du liure que cela ait forme de ſignification, & ſoit de tél effect, force, & uertu, que ſi ces dictes preſentes auoient eſté particulierement monstrees, & ſignifiees, car tel est noſtre plaiſir. Donné à Paris le troiſieſme Nouembre l’an de grace mil six cens dix & de noſtre regne le premier.


Par le Roy, en ſon Conſeil.


COMBAVD


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Ledit Guerin dit la Tour, a fait tranſport de la moitié de ſondit Priuilege à Pierre Cheualin maiſtre Imprimeur & Libraire iuré en l’Vniuerſité de Paris, à luy & à ceux qui auront droict de luy.

Faict ce 3. iour de Nouembre 1610.


Achevé d’imprimé le ſixieſme


dudit mois 1610.











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A FRANCOIS DE


BEROALDE ESCVYER


ſieur de Veruille.




En ſentences, en uers, en ſecrets, en diſcours,

Non obſcur, non menteur, non vanteur,

Tu te monſtres, ſeras, tu fus, & es touſiours,

Philoſophe, Poëte, Alchemiſte, Orateur.



N. E.





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Au ſieur de Verville, sur
la Conqueſte de la Nym-
phe Xirile.



E demon de Veruille eſt ioint à ſa fortune,
L’un eſt son vray Soleil, commë l'autre ſa lune.
L'un l’eſchauffe & nourrit, l'autre agite ſon corps :
L’amour des beaux ſecrets anime sa memoire,
Et la neceßité, neceſſaire à sa gloire,
Arrondit en ſon ame vn grand nombre d’accors.
Ces quatre, comme Dieux, furent à ſa naissance
Pour luy donner des Arts l'entiere cognoiſſance,
Son Eſprit éleué uoltigea dans les Cieux :
Il accoſta Mercure & print ſon Caducee
Dont il ouurit la terre, obſcure & creuaſſee,
Et penetra ſes reins de l'éclair de ſes yeux.
Le voilà donc au ciel, le uoicy ſur la terre,
Maintenant sur la mer : il ne craint le tonnerre,
Ny les gouffres profonds, ny les uents irritez,
Il demare, singlant aux Iſles Fortunees
Des Princes Fortunez ; apres les Destinees
Qui marquent l’abondance à ſes felicitez.









Iaſon, ou bien Iaſis, medecin, medecine,
Au dragon fit manger l'endormante racine,
Pour rauir le threſor par luy tant deſiré,
Veruille, ainsi charmant l'ignorance endormie,
Eſpure les ſuiets de l'obſcure Chemie
Pour faire naiſtre en France un Empire doré.


Le Grec print le conſeil de l'amante Medee,
Veruille prend Phyſis, dont ſon ame est guidée,
Et ſon liure Mystic nous conduit à Colchos :
Courage, prenons port, ma langue eſt alteree,
Emportons, rauiſſons ceſte toiſon doree,
Pour étancher la ſoif qui nous ſeche les os.


De Sonan, l'vn des cent
Gentil-hommes ordinaires
de la maison du Roy.








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SVR LE PALAIS

DES SECRETS.


Voicy le beau treſor de la belle richeſſe,
L'unique Paradis des eſprits curieux,
Les beaux cœurs qui suyuront de ces Deſſeins
l'adreſſe
En terre gouſteront les delices des Cieux.


I. de Castaigne
Docteur en Theologie.











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Il est impoſſible qu'en un œuvre comme cettuy-cy L'auteur eſtant absent il ne coule quelques faute ; cela eſt cauſe qu'il y en a par-cy par-là en ce volume, deſquelles nous remarquerons celles qui pourroient troubler le ſens.

En la carte où il y a l'hiſtme rompu, faut entendre que l'iſthme est ouvert.

Où il y a Naxcise, faut Narcise.

Où on trouvera Fulonde, liſez Fulondes. Pour Seneſaſtes, liſez Sinefactes. Où il y a Caliampe, liſez Cliambe.


Le reste ſera aisé à ſupporter à ceux auſquels
ſe ſujet ſera agréable.





  1. C’eſt la ſphere à Archémédes.