Le bracelet de fer/18

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Éditions Édouard Garand (29p. 32-33).

Chapitre XIII

LA LETTRE


Lorsque Paul descendit à la salle à manger, le lendemain matin, son oncle et le notaire Schrybe l’y attendaient.

— Je regrette de vous avoir fait attendre, dit le jeune homme, quand il eut présenté la main à son oncle, ainsi qu’il le faisait chaque matin et chaque soir. J’ai fait la grasse matinée, je le crains.

— Comment va « l’égratignure » à la tête, Paul ?

— Je m’en aperçois à peine, mon oncle.

— Tant mieux ! Tant mieux ! Mais je te conseillerais de renoncer à ta promenade à cheval, ce matin.

— J’y renoncerai d’autant plus facilement que je sais d’avance que Réjanne va être trop fatiguée pour m’accompagner, répondit Paul, au moment où l’on se mettait à table.

— La chère enfant ! fit Delmas Fiermont. Oui, il faut lui donner au moins toute cette journée pour se reposer… Iras-tu à La Solitude, cet avant-midi ?

— Certainement, mon oncle, répondit l’ex-fiancée de Réjanne, mécontent, au fond, de se voir dans l’obligation de mentir ainsi.

À ce moment, Prosper entra dans la salle à manger, et se dirigeant directement vers Paul, il lui remit une lettre.

M. Paul, dit le serviteur, Daniel, le domestique de La Solitude, vient de laisser ceci pour vous.

— Merci, Prosper.

Delmas Fiermont et le notaire Schrybe échangèrent un sourire de sympathie.

— Ne te gêne pas pour lire ta lettre, mon garçon, dit Delmas Fiermont, en souriant ; nous savons que tu as bien hâte d’en prendre connaissance. Il me tarde, d’ailleurs, de savoir comment elle se porte, ce matin, ta charmante fiancée.

Une protestation vint aux lèvres de Paul. Il savait d’avance ce que devait contenir la lettre : Réjanne lui signifiait son congé, sans doute ; ce serait une rupture complète, et vraiment, il eut de beaucoup préféré être seul pour la lire cette missive de celle avec qui il avait échangé des serments de fidélité et d’amour.

— Merci, mon oncle, répondit-il cependant. Il pâlit légèrement. Vous permettez, Notaire ?

— Bien sûr ! Bien sûr ! s’écria le notaire Schrybe. Des lettres d’amour, des billets doux, c’est comme des petits gâteaux chauds ; il faut les déguster tout de suite, ajouta-t-il en riant.

Paul ouvrit l’enveloppe d’une main qui tremblait un peu, et il en retira une mince feuille de papier, sur laquelle quelques mots seulement étaient écrits ; il reconnut l’écriture de Réjanne.

Mais en retirant la lettre de l’enveloppe, il en retira, en même temps et sans s’en apercevoir immédiatement, un petit objet, qui tomba sur le plancher avec un bruit métallique, et alla rouler jusqu’aux pieds du notaire Schrybe : c’était l’anneau de fiançailles qu’il avait donné à Réjanne, il y avait quatre mois ; un joyau de grand prix, surmonté de diamants.

Paul comprit ce qui venait d’arriver et il devint très pâle. Le notaire Schrybe vit immédiatement la petite bague, à ses pieds, et Delmas Fiermont, s’il ne la vit pas, c’était à cause de la position qu’il occupait à table, et aussi parce que le notaire avait empêché le joyau de rouler plus loin en posant le pied dessus.

Cependant, l’oncle Delmas, s’il ne vit pas la bague, entendit le bruit qu’elle avait fait en tombant sur le plancher.

— Quelque chose est tombé par terre, Paul, dit-il ; quelque chose qui était dans l’enveloppe, je crois.

Ce fut dit d’un ton qui n’indiquait ni inquiétude ni soupçon, cependant.

— Je sais, mon oncle, répondit le jeune homme. C’est… Ah ! le voici !

Il s’empara de la bague et la glissa dans la poche de son veston, puis, sachant qu’il devait une explication à son oncle, s’il ne voulait pas exciter ses soupçons, il ajouta :

— C’est un de mes boutons de manchette ; je l’avais perdu, hier, sur la terrasse de La Solitude.

Ce disant, il montra à Delmas Fiermont le bouton de manchette qu’il avait, machinalement, mis dans la poche de son veston, lorsqu’il l’avait retrouvé, sur le promontoire, la veille.

— Une de tes perles noires ! C’eût été une grande perte que celle de ce joyau, Paul !

— Heureusement, Réjanne l’a trouvée, et elle me la retourne.

Ce tissu de mensonges qu’il se voyait obligé de fabriquer donnait à Paul de véritables nausées.

La lettre de Réjanne était très coûte ; elle ne contenait que ces mots :


« M. Paul Fiermont,

Le « Château »


Monsieur,

Vous l’avez compris, tout est fini entre nous. Je vous retourne votre bague ; demain, je vous ferai remettre vos autres cadeaux.

RÉJANNE.

P. S. — Inutile de vous le dire, n’est-ce pas, je ne soufflerai mot à qui que ce soit au monde de… ce que je sais.

R. T. »

Maintenant, il s’agissait de parler à son oncle comme s’il ne venait pas de recevoir un coup ; un coup à ses sentiments, et aussi à son amour-propre. Sa voix allait-elle trembler ? Il espérait bien que non !

— Réjanne préfère ne pas sortir à cheval ce matin, dit-il, d’une voix qu’il parvint à affermir. Cependant, elle se remet vite de ses fatigues, dit-elle. Elle me charge de saluts affectueux. pour vous, mon oncle, et aussi pour le notaire Schrybe.

Le Notaire, pour cacher son émotion et son embarras, depuis que la bague de fiançailles avait roulé jusqu’à ses pieds, tenait ses yeux fixés sur son assiette.

— Merci, répondit-il à Paul, sans même lever les yeux. Mlle Réjanne est bien aimable de se rappeler d’un vieillard comme moi !

— Oh ! s’écria Delmas Fiermont, Réjanne ne saurait manquer à la courtoisie, tu sais, Schrybe !

— Je viens de le constater, répondit le notaire, avec un sourire, qu’un homme plus clairvoyant que Delmas Fiermont eut trouvé contraint.

— Réjanne est un ange ! s’exclama Delmas Fiermont, en souriant et en jetant un regard à Paul, de qui il attendait, assurément, la confirmation de ce qu’il venait de dire.

Et Paul, de répondre, sans hésiter :

— Bien sûr, mon oncle, Réjanne est un ange !