Le chien d’or/I/0b

La bibliothèque libre.
Traduction par Léon Pamphile LeMay.
Imprimerie de l’Étendard (Tome Ip. 1-6).

LA LÉGENDE DU CHIEN D’OR.

« In questo raconto, il nostro fine non è, per dir la verita, soltanto di représentar lo stato delle cose nel quale veranno a trovarsi i nostri personaggi ; ma di far conoscere insieme per quanto si puo in ristretto, e per quanto si puo da noi, un tratto di storia patria pin famoso che conoscinto.
Manzoni.
«  Le but que nous nous sommes assigné dans ce récit n’est pas, à vrai dire, de faire connaître seulement les faits historiques auxquels ont été mêlés les personnages de notre livre ; mais aussi de représenter brièvement et autant qu’il nous a été possible de le faire, une époque de l’histoire de notre pays, histoire dont on parie beaucoup, mais que malheureusement l’on ne connaît pas assez.
Manzoni.

La légende du Chien d’Or a été édifiée sur un fait historique des plus émouvants.

Quand vous allez à Québec, vous pouvez voir sur la façade de l’un des principaux monuments de la vieille cité de Champlain, le Bureau de Poste, rue Buade, une énorme plaque de marbre, sur laquelle est sculpté un chien rongeant un os, avec cette inscription :

Je suis un chien qui ronge l’os ;
En le rongeant je prends mon repos ;
Un temps viendra qui n’est pas venu
Que je mordrai qui m’aura mordu.

La figure du chien est dorée, et le tout, chien et inscription, frappent par leur aspect antique.

En voici la reproduction fidèle :

Quel fait étrange a donc donné lieu à ce monument étrange, vieux de près de deux siècles et que l’on conserve soigneusement sur la façade de l’un de nos édifices publics ?

C’est, on le devine, l’un des épisodes les plus émouvants de notre vie nationale. Un homme de génie, qui s’est passionné pour les grandes beautés de notre histoire, l’a revêtue de tous les charmes de la littérature, et sous le nom de « Chien d’Or, » nous la représente en un tableau ravissant de l’époque qui l’a produite. Or, cette époque est l’âge héroïque du Canada.

Une note publiée en mai 1860, dans le « Journal de l’Instruction Publique, » donne les quelques détails qui suivent sur cette mystérieuse affaire :

«  Une tradition populaire voulait que M. Philibert, le propriétaire de cette maison, eût été assassiné par M. de Repentigny ; que le bas-relief emblématique et l’inscription eussent été placés sur la porte, par sa veuve, comme une terrible excitation à la vengeance pour son fils ; enfin, que ce dernier eût accompli la vendetta en tuant de Repentigny en duel, soit en France, soit à Pondichéry. Sur ces données, un littérateur spirituel et élégant, M. Auguste Soulard, écrivit une petite légende qui fut publiée dans le Canadien. M. Viger publia à la suite une critique dans laquelle il niait presque tous les faits affirmés par la légende. Il est résulté des recherches que fit plus tard l’infatigable antiquaire : 1o Que Philibert avait été tué en 1748 et non en 1736, par M. de Repentigny, dans une querelle soudaine ; 2o Qu’avant de mourir, la victime avait pardonné au meurtrier ; 3o Que M. de Repentigny revint au pays y faire entériner des lettres de grâce, et commandait une compagnie sous le Chevalier de Lévis, à la bataille du 28 avril 1760. Il est certain qu’il ne fut jamais tué en duel. Alors, le bas-relief et l’inscription deviennent plus énigmatiques que jamais. »

Quoi qu’il en soit, l’époque où l’histoire place ce drame est d’un intérêt extraordinaire. C’est la période des grandes guerres entre la France et l’Angleterre et des luttes gigantesques qui ont illustré nos héros canadiens. L’on a conservé, au bureau de poste, que la plaque de marbre. Tout l’encadrement et la tablette ont disparu. Ce qui précède est une image complète de ces diverses pièces, telles qu’elles existaient avant la démolition de l’ancienne maison de Philibert, laquelle démolition n’a eu lieu que lors de la construction du bureau de poste actuel en 18…

Voici les vers qu’il inspira à feu M. F. R. Angers, avocat, C. R., le père de M. le juge Angers :

Épigraphe sanglant d’un drame ensanglanté,
Aux parois de ces murs, quelle main t’a jeté ?
Osas-tu, noble élan d’une vengeance active,
Sarcasme audacieux, défier l’oppresseur ?
D’une épouse éplorée es-tu la voix plaintive,
Ou le cri d’un mourant qui demande un vengeur ?
Volcan des passions où la vertu s’abîme,
Vous, haine, jalousie, amour, cupidité,

Qui d’entre vous dicta cette page de crime ?
L’on ne sait !… L’œuvre est là, le drame est attesté,
Vengeance, assassinat y doivent trouver place ;
Philibert meurt percé du fer d’un assassin
Qui fuit, mais au vengeur ne peut cacher sa trace ;
Car le sang demandé ne le fut pas en vain.
Le temps n’ose frapper le Chien d’Or de son aile ;
Il reste plus entier que le fait qu’il rappelle.
Le drame est un roman, qui, voulant de l’effet,
Du vrai comme du faux à sa guise dispose ;
Tandis qu’aux murs vieillis, gardant un sens complet,
L’énigme encor subsiste, et nous dit quelque chose.

Ajoutons à cela quelques-unes des observations que contenait le prospectus de publication du Chien d’Or :

Petit peuple de 60,000 habitants à peine, nous avons lutté plus d’un quart de siècle contre l’Angleterre et ses colonies qui lançaient contre nous plus de 75,000 hommes de troupes, c’est-à-dire plus de soldats qu’il n’y avait de population au Canada, y compris les vieillards, les femmes et les enfants !!!

Comment nos pères ont-ils fait ces prodiges de valeur ?

Oh ! c’est qu’ils avaient à leur tête les plus vaillants héros, les plus illustres guerriers qu’aient jamais produites et la noble France si féconde en héros et la Nouvelle-France qui sous ce rapport a rivalisé avec sa mère-patrie.

Lisez ces grands noms :

Montcalm, Lévis, Iberville, Bienville, La Galissonnière, de La Corne St. Luc, Le Gardeur de Repentigny, Claude de Beauharnois, Rigaud de Vaudreuil, Le Gardeur de Tilly, de Beaujeu, de Lothinière, Jumonville de Villiers, Coulon de Villiers et cent autres.

Montrez-nous une pléiade plus chevaleresque, plus brillante, plus valeureuse !

Quels héros, quels gigantesques faits d’armes ! Et comme si ce n’eut pas été assez des armées anglaises, pour ruiner le Canada français, ajoutez à cela les terribles misères intestines causées par la scélératesse de l’Intendant Bigot. Avec un cercle d’amis pervers et débauchés, ce misérable faisait servir en partie le pouvoir que lui avait délégué le Roi, pour ruiner la colonie, tirer de ses ruines de quoi payer les plus infâmes orgies et s’enrichir, lui et ses amis, de plusieurs millions.

Hélas ! dès cette époque reculée, des spéculateurs politiques spéculaient sur notre patrie en détresse !

Eh bien ! ce drame émouvant d’une lutte héroïque livrée sur les champs de batailles contre la puissante Angleterre, et dans les affaires intérieures, par toute une population de braves gens et de nobles guerriers contre une coterie de scélérats spéculant sur le coffre public, l’auteur nous le représente en traits admirables.

Que ne donnerait-on pas pour voir agir sous nos yeux toute la population française du Canada de 1740 à 1760 ?

Or, ce tableau, on le retrouve dans le « Chien d’Or. » On y voit vivre nos pères non-seulement dans les jours solennels des grandes batailles et des actions d’éclat, mais dans tous les plus petits incidents de la vie ordinaire.

Ce sont :

Les grandeurs de Versailles transportées dans les salons de Québec et de Montréal, où les femmes canadiennes montrent toutes les qualités du cœur et de l’esprit, tout le brillant, tout l’héroïsme et même les défauts qui les caractérisaient à cette époque ;

L’esprit fin, la gaieté, la touchante amabilité, la politesse de haut ton, les manières exquises de la plus belle société du monde ;

Les allures chevaleresques, le patriotisme admirable, la grandeur de caractère, l’élévation d’âme, la haute science de nos hommes d’état, de nos missionnaires, de nos découvreurs et de nos guerriers ;

Le type de l’habitant canadien, pieux, jovial, franc, brave et loyal, dévoué à la patrie jusqu’à l’héroïsme ; le haut caractère, et l’influence de notre clergé qui se montre au premier rang dans toutes les entreprises patriotiques ; par-dessus tout, l’esprit catholique et le caractère français qui imprégnaient notre population de cette époque !

Les intrigues y sont ourdies avec un grand art. Le drame s’y précipite et s’y dénoue à travers mille péripéties émouvantes.

Et les caractères admirablement rendus de héros et d’héroïnes qui charment par leur piété, la noblesse de leurs sentiments et leur grandeur d’âme, tandis qu’à côté, d’autres types non moins réussis nous montrent le vice, l’astuce, la fourberie, l’intrigue, les crimes sous les couleurs les plus repoussantes :

Tout est là pour faire du « Chien d’Or » l’un des chefs-d’œuvre de la littérature canadienne. Il sent même un événement en France lorsqu’il y sera connu.

Et cet hommage rendu à notre race, l’a été par un Anglais.

Et ce tableau si touchant de nos mœurs canadiennes, de nos vertus et de notre foi catholique, c’est à un protestant que nous le devons !

Il ne manquait plus que deux choses à cet ouvrage : 1o Être traduit en français par une plume à la hauteur du livre et du sujet qu’il traite : Mr. L. P. Lemay est à accomplir cette tâche patriotique ;

2o Être lu par tous les Canadiens-Français, etc., etc.

Cet objet, déjà atteint dans une grande mesure par notre publication de l’ouvrage en feuilleton, nous voulons l’accomplir dans son entier en publiant le Chien d’Or en volume.