Le chien d’or/I/24

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Traduction par Léon Pamphile LeMay.
Imprimerie de l’Étendard (Tome Ip. 328-339).


CHAPITRE XXIV.

GAGES D’AMOUR, MAIS GAGES VAINS ET INUTILES !

I.

Elle s’assit. La pensée de Le Gardeur s’emparait de ses esprits. C’était comme un baume odorant sur les blessures mortelles de son imagination. Elle se sentait heureuse d’être aimée de lui.

— Son amour est un trésor, se disait-elle, et il me l’a donné tout entier !

— Il y a des femmes, pensait-elle encore, qui mesurent leur valeur d’après l’estime qu’elles inspirent, moi je n’estime les autres que d’après le bien que j’en attends… J’aime Le Gardeur et je ne veux pas perdre ce que j’aime…

Elle ne regardait guère aux inconséquences et aux contradictions. Elle s’accommodait de tout, pourvu que tout servit son égoïsme.

Des pas légers retentirent sur l’escalier et quelques petits coups empressés furent frappés aussitôt.

Le Gardeur parut. Ses habits étaient quelque peu en désordre et son teint fort animé.

Angélique, en l’apercevant, poussa un petit cri de joie et courut à lui. Elle s’était déjà transformée, et il eut été impossible de reconnaître en elle la sombre rêveuse de tout à l’heure.

Elle le conduisit au sofa et s’assit près de lui. Avec Le Gardeur, elle écoutait son cœur ; avec les autres, elle n’écoutait que sa vanité ou son ambition.

II.

— Ô ! Le Gardeur ! commença-t-elle, en le dévorant des yeux, me pardonnez-vous de vous avoir fait venir ici, ce soir, sans raison aucune… sans aucune raison, Le Gardeur ! excepté pour vous voir ?… Je m’ennuyais de vous ; j’en voulais à Belmont qui vous enlevait à Des Meloises.

— Et quel motif plus doux et plus pressant à mes yeux, Angélique, pouvait me faire accourir ? je crois que je sortirais du ciel même, si vous m’appeliez ailleurs, ô ma chérie ! Une minute avec vous m’est plus agréable que des heures de réjouissances avec les autres !

— Je n’avais aucune raison de vous faire venir, reprit Angélique, aucune ! si ce n’est pour vous dire une fois de plus combien je vous aime ! Pour vous jurer que je vous aimerai toujours ! Allons ! êtes-vous content ?

Si vous ne l’êtes pas, continua-t-elle…

— Non ! ce n’est pas assez ! Dites que vous êtes toute à moi, mon Angélique ! Toute à moi pour toujours ! ajouta-t-il vivement.

— Oh ! comme vous êtes bien toujours le même, Le Gardeur ! Jamais satisfait des gages d’amour que je vous donne !

Elle s’arrêta.

— Voyons, reprit-elle, qu’est-ce que je voulais dire ? N’importe ! Vous avez tout mon cœur ! Je vous le donne tout ! tout ! Quand vous êtes ici près de moi, je suis parfaitement heureuse !

Elle éprouvait de la répugnance à songer à Bigot maintenant.

Le Gardeur lui dit :

— Mon contentement serait parfait, Angélique, si vous le vouliez ! Oh ! pourquoi me tenez-vous toujours ainsi au seuil de la félicité ou du désespoir ? Décidez sans plus de délai de ma destinée ! J’ai parlé de mon projet à Amélie, ce soir même…

— Oh ! pas tant de hâte, Le Gardeur ! pas tant de hâte !… s’écria-t-elle violemment agitée, et fort anxieuse d’éviter une question qu’elle n’aimait pas à entendre.

Pourquoi les hommes ne sont-ils pas satisfaits de se savoir aimés ! Pourquoi, en nous faisant un devoir d’aimer, veulent-ils dépouiller l’amour de ses charmes ? Pourquoi veulent-ils le tuer, enfin, par un prosaïque mariage ?

Pendant qu’elle parlait ainsi, le rouge lui montait au front et un éclair de malice passait dans ses yeux.

Le Gardeur, joliment décontenancé, lui répliqua pourtant :

— Ô ! mon Angélique ! il n’en serait pas de même pour nous, et notre attachement ferait de plus en plus notre bonheur !

III.

Elle se leva sans répondre, se dirigea vers un buffet où se trouvait un plateau avec des rafraîchissements.

— Je suppose, dit-elle, que vous ne sentez guère le besoin de goûter à ces choses… Vous arrivez de Belmont… Les dîners sont magnifiques à Belmont !

Elle lui versa un verre de vin. C’était un cru délicieux que Bigot lui avait envoyé. Elle ne jugea pas nécessaire de mentionner ce détail.

— Vous ne m’avez pas encore parlé de la splendide affaire de Belmont, reprit-elle. Les honnêtes gens, j’en suis sûre, n’ont pas manqué de fêter dignement Pierre Philibert !

— Et Pierre Philibert mérite pleinement qu’on le fête !

Mais pourquoi donc n’êtes-vous pas venue à cette soirée, Angélique ? Pierre aurait été content de vous y voir, assurément !

Le Gardeur se tenait toujours prêt à défendre son ami.

Angélique répondit d’un air moqueur :

— Oh ! j’aurais bien aimé à m’y rendre, mais j’avais peur de manquer de loyauté envers la Friponne. Je suis actionnaire maintenant ! Tout de même ? Pierre Philibert est un bel homme. Je n’en connais qu’un seul dans la Nouvelle-France qui soit plus beau… J’ai voulu piquer Amélie, un jour, en lui disant cela, et je lui ai fait plaisir. Elle a dit comme moi ! Sans même faire comme moi d’exception !

— Merci de la bonne opinion que vous avez de Pierre ! merci, Angélique ! fit Le Gardeur.

IV.

Il prit la main de la jeune fille dans la sienne, et d’une voix que l’émotion faisait agréablement vibrer, il ajouta :

— Votre vin, vos paroles, vos regards ne sauraient me faire oublier que je suis venu avec la détermination de savoir aussi ce que vous pensez de moi… j’ai promis à Amélie de lui rapporter votre réponse.

Il avait, dans le regard comme dans la voix, une affection aussi sincère que profonde. Angélique comprit que la fuite était impossible ; il allait falloir parler franc ! Elle tremblait, se trouvait irrésolue ; les émotions la bouleversaient. Dernièrement encore, elle aurait été si heureuse de devenir la femme de Le Gardeur ! la sœur de la belle Amélie ! la nièce de la noble dame de Tilly. Aujourd’hui, elle était le jouet de ses folles rêveries, de ses coupables espérances ! L’Intendant royal se mettait à ses pieds ! La France lui apparaissait dans un tourbillon lumineux avec la cour pleines d’intrigues et de splendeurs. Elle ne pouvait pas, elle ne voulait pas renoncer à tout cela !

V.

— J’ai parlé de vous à Amélie, disait Le Gardeur, et je lui ai promis d’apporter votre réponse, cette nuit même. Elle est prête à vous embrasser comme une sœur… Voulez-vous être ma femme, Angélique ?

Angélique, toujours assise, n’osait lever les yeux sur lui. Elle avait peur de voir sa cruelle résolution s’ébranler. Elle sentait bien qu’il la regardait avec une ardeur extrême, et ce regard lui faisait mal.

Elle devint pâle et fit un effort pour dire : Non. Sa gorge oppressée ne rendit aucun son, un râle peut-être. Elle ne voulait pas répondre oui, cependant.

Ah ! si l’inhumaine Angélique avait voulu lire un instant dans ces yeux chargés d’amour, de franchise et de dévouement qui s’ouvraient sur elle comme des ailes de flamme pour la couvrir et l’enivrer ! tout ce malaise, ce trouble, ce tourment auraient fini dans un assentiment accompagné de larmes de bonheur ! et le tragique récit que nous faisons n’aurait jamais été écrit.

Il ne devait pas en être ainsi !…

Elle ne leva point la tête. Elle contemplait les passions de son cœur qui s’éveillaient encore. Elle voyait surgir encore la terrible vision de tantôt. Les pensées mauvaises que l’on a une fois appelées, reviennent aisément et d’elles-mêmes ! Elles s’établissent en souveraines dans nos cœurs et nous devenons à jamais leurs esclaves !

VI.

— Angélique ! demanda encore Le Gardeur, d’une voix suppliante et passionnée, voulez-vous être ma femme !… ma femme bien-aimée !… la plus aimée des femmes ?

Elle faiblissait. La supplication était si touchante, si pleine de sincérité ! Elle cherchait une réponse, mais une réponse qui n’aurait rien dit. Elle voulait répondre : oui, pour faire comprendre : non, ou : non, de manière à laisser espérer toujours.

— Toute la Nouvelle-France viendra rendre ses hommages à la châtelaine de Repentigny, reprit Le Gardeur, et ma femme sera la première et la plus belle !

Pauvre Le Gardeur ! il se doutait un peu qu’Angélique regardait la France comme le seul théâtre digne de ses talents et de sa beauté.

Elle était là, toujours muette, et pâlissant de plus en plus. Elle se transformait en une statue de marbre. Elle n’osait plus décourager une si violente affection. Cependant, il lui semblait qu’elle allait se perdre elle-même. Un léger frémissement des lèvres trahit les efforts de la lutte, et elle porta une main à ses yeux pour les couvrir, car elle sentait qu’une larme allait couler.

— Angélique ! exclama Le Gardeur, qui pressentait un refus maintenant, Angélique ! pourquoi vous détournez-vous ainsi de moi ? Vous rejetteriez mes vœux ?… Mais je suis un insensé d’avoir une telle pensée !… Parlez, ma chérie ! un mot, un signe, un regard de ces yeux que j’adore, pour me dire que vous consentez à devenir ma femme ! et pour nous deux, ce sera toute une vie de félicité !

Il lui prit la main et lui découvrit les yeux ; mais elle se détourna de nouveau. Elle n’osait pas le regarder.

Alors, d’une voix basse et faible, elle murmura :

— Le Gardeur, je vous aime !… mais je ne puis vous épouser…

Elle ne put rien dire de plus, mais elle lui saisit la main avec frénésie, comme pour le retenir mieux à ce moment cruel où elle le désespérait.

VII.

Il se retira vivement comme au contact du feu.

— Vous m’aimez et vous ne voulez pas m’épouser, Angélique ! répéta-t-il avec lenteur… Quel est ce mystère ? Mais c’est une épreuve, que vous voulez me faire subir !… Merci mille fois de votre amour ! Le reste n’est qu’une plaisanterie, n’est ce pas ? une bonne plaisanterie dont il faut rire !…

Il essaya de rire, en effet ; mais elle ne riait pas elle. Elle était pâle et tremblante, comme au moment de défaillir.

Elle posa sa main sur celle de Le Gardeur une main lourde et implacable, comme un froid acier. Rien qu’à ce toucher de glace, il comprit que le refus était vrai.

— Ne riez pas, Le Gardeur ! reprit-elle, je ne suis pas capable de rire, moi ! Je ne plaisante pas ; je suis sérieuse… mortellement sérieuse ! Je sais la portée de mes paroles… je vous aime, Le Gardeur ! mais je ne serai jamais votre femme !

Elle retira vivement sa main comme pour ajouter de la force à ses paroles.

Les cordes harmonieuses qui vibraient dans le cœur du jeune homme parurent se rompre tout à coup.

Angélique le regarda franc dans les yeux alors, comme pour voir s’il l’aimait encore.

— Je vous aime, Le Gardeur, vous savez ! Je vous aime ! Mais je ne veux pas, je ne peux pas vous épouser maintenant ! répéta-t elle lentement :

— Maintenant ! s’écria Le Gardeur.

Il se cramponnait à une vaine espérance comme à une paille ! de même que le nageur qui se voit emporté dans le gouffre.

— Maintenant ! je n’ai pas dit maintenant ? mais quand vous voudrez, Angélique ! Toute une vie d’attente pour obtenir votre main un jour, et ce serait peu !

— Non ! Le Gardeur, répliqua l’inconstante demoiselle, je ne vaux pas la peine que vous attendiez ainsi. Ce que j’espérais ne peut se réaliser… Mais je vous aime, et je vous aimerai toujours !

L’égoïste, la trompeuse enchanteresse osait rejeter ses protestations en redisant toujours :

— Je vous aime, Le Gardeur ! Mais je ne veux pas vous épouser !

— Assurément, Angélique, ce n’est pas ce que vous voulez dire ! exclama Le Gardeur hors de lui. Vous ne voulez pas me tuer ! n’est-ce pas ? me tuer au lieu de me faire bénir la vie ! Vous ne pouvez pas vous mentir ainsi à vous-même et vous montrer si cruelle pour moi ! Voyez, Angélique ! ma sainte sœur Amélie croit en votre amour ! et elle m’a donné ces fleurs pour que je les mette dans vos cheveux, quand vous aurez consenti à devenir sa sœur ! Vous ne les refuserez point, Angélique !…

Il étendit la main pour lui mettre sur la tête la fleur de jasmin, mais elle se détourna brusquement et la fleur tomba à ses pieds.

— Les présents d’Amélie ! Le Gardeur ! je ne les mérite point ! dit-elle d’un air résolu. Je le sais, je trahis mon cœur et je torture le vôtre ! j’avoue ma faute ! Méprisez-moi ! tuez-moi, si vous voulez ! Tuez-moi ! c’est mieux, je pense ! Mais je ne suis pas capable de vous tromper comme je tromperais les autres hommes ! Ne me demandez plus de revenir sur ma décision ; je ne le puis ni ne le veux !

VIII.

— Je n’y comprends rien !!! Ma tête se perd !!! répétait Le Gardeur tout abasourdi…

Elle m’aime et ne veut pas être ma femme !…

Elle veut donc en épouser un autre ?…

La jalousie commençait à se réveiller au fond de son âme désespérée.

— Dites moi, Angélique, demanda-t-il, après un silence assez plein d’embarras, avez-vous pour m’aimer ainsi et refuser ma main, quelque raison que vous ne pouvez déclarer ?

— Aucune, Le Gardeur ! C’est un caprice, une folie, peut-être, mais c’est cela ; et je n’y puis rien. Je vous aime et ne vous épouserai point !

Elle avait de la résolution maintenant et parlait avec hardiesse. L’embarras avait été de dire le premier mot.

— Angélique Des Meloises ! s’écria Le Gardeur, il y a ici un homme, un rival, un amoureux plus heureux que moi ! c’est vous qui parlez, mais c’est lui qui vous inspire ! Vous avez donné votre amour à un autre, et vous m’avez rejeté !

— Je n’ai aimé personne autre que vous et je ne vous ai point rejeté, répondit Angélique.

Elle se donnait garde de dire qu’elle n’attendait que l’occasion de le faire, et surtout qu’elle aspirait à la main de l’Intendant.

— Tant mieux pour cet homme ! dit Le Gardeur.

La colère le gagnait. Il se leva et fit deux ou trois tours dans la pièce.

IX.

Angélique louait son âme avec Satan, et elle sentait qu’elle allait la perdre.

Le Gardeur lui dit :

Il y avait autrefois un sphinx qui proposait une énigme aux passants, et celui qui ne pouvait la deviner subissait la mort. Je vais mourir car je ne saurais vous comprendre.

— N’essayez pas de deviner, cher Le Gardeur, lui répliqua-t-elle. Et souvenez-vous que le sphinx devait se précipiter dans la mer, si l’énigme qu’il proposait était devinée. Ce n’est pas ce que je ferais probablement. Mais vous êtes toujours mon ami, Le Gardeur ! ajouta-t elle d’une voix câline en venant s’asseoir à ses côtés. Regardez ! ces fleurs que je n’ai pas voulu mettre dans mes cheveux, je les cache dans ma poitrine comme un trésor !

C’était le jasmin d’Amélie. Elle le prit, l’embrassa avec effusion et le mit à son corset.

— Vous êtes encore mon ami, Le Gardeur ! fit-elle en donnant, à son regard ce charme séducteur qu’elle seule connaissait.

— Je suis plus qu’un ami, Angélique ! plus que mille amis !… Mais que je sois maudit si je reste ce que je suis et que vous deveniez la femme d’un autre !…

Il subissait l’aiguillon d’une fureur longtemps retenue. Repoussant violemment mademoiselle Des Meloises, il se précipita vers la porte. Mais soudain il s’arrêta, et se retournant :

— Ce n’est pas vous que je maudis, Angélique ! s’écria-t-il, pâle et tout agité, mais c’est moi, parce que j’ai cru sottement à votre amour menteur !… Adieu ! soyez heureuse !…

Pour moi, tout est fini désormais ! tout, excepté la douleur et la mort !…

— Arrêtez ! arrêtez, Le Gardeur ! ne me laissez pas ainsi ! exclama mademoiselle Des Meloises, épouvantée.

Elle courut à lui, essaya de le retenir en le saisissant par le bras, mais il s’arracha brusquement de ses mains nerveuses, et nu tête, sans autre adieu, sans dire un mot, il s’élança dans la rue.

Elle monta à son balcon, se pencha au-dessus de la rue sombre et se prit à crier :

— Le Gardeur ! Le Gardeur !…

Ce dernier cri d’amour l’eut fait revenir de chez les morts s’il l’avait entendu ! Mais déjà il s’était enfoncé dans les ténèbres.

Et loin, sur le pavé sonore, on pouvait entendre encore résonner le bruit d’un pas rapide…

C’était Le Gardeur de Repentigny qui fuyait la belle Angélique Des Meloises.

X.

Angélique demeura longtemps sur son balcon, écoutant toujours si elle ne l’entendrait pas revenir.

Il ne revint pas !

Son amour aurait pu la sauver encore peut-être : elle se sentait vaincue et se trouvait plus heureuse de sa défaite…

Il était trop tard !

— Ô mon Dieu ! s’écria-t-elle, dans une angoisse mortelle, il est parti ! parti à jamais !… Mon Le Gardeur ! le seul qui m’ait aimée véritablement, il est parti ! je l’ai chassé par ma folie et ma malice !… Et pourquoi ?…

Pourquoi ? elle le vit clairement, et, dans son désespoir, arrachant ses tresses d’or et se frappant la poitrine, elle s’écria :

Que je suis méchante !… Oui ! affreusement méchante !…

Je suis la pire, je suis la plus méprisable des créatures ! Comment ai-je osé repousser la main de celui que j’adorais, pour accepter la main de celui que je hais de toute mon âme ? L’esclave qui se vend sur la place publique, vaut mieux que moi ! car elle n’est pas libre, elle ! Moi je me vends corps et âme à un homme que je méprise ! car je sais qu’il me trompe ! Oh ! de quel prix infâme je vais payer la splendeur que je demande !

Elle se laissa tomber à terre et se blessa au front. Mais elle ne remarqua point le sang qui coulait de sa blessure. Son âme était déchirée par mille tourments.

XI.

Par moment elle voulait se lever, et comme la Rose de Saron, courir à la recherche de son bien-aimé, pour se jeter à ses genoux et lui jurer un amour éternel !

Elle ne connaissait guère son pauvre cœur ! Elle avait vu le monde obéir à ses caprices, et n’avait jamais eu d’autre règle de conduite que sa volonté. Elle était devenue la divinité terrestre qui cherche en vain à réunir dans son cœur des choses qui se repoussent ; elle s’était faite le jouet de toutes les puissances du mal !

Elle gisait évanouie sur le plancher, ses mains se crispaient douloureusement.

Elle était comme une reine tombée du trône, et sa longue chevelure d’or en désordre la couvrait comme un manteau royal déchiré.

XII.

Ce fut bien après minuit qu’elle sortit de son évanouissement, et les brises fraîches du matin commençaient à souffler.

Elle se leva lentement, s’appuya sur son coude, et se mit à regarder, d’un œil hagard et surpris, les étoiles impassibles qui luisent dans l’infini, sans se soucier de nos peines.

Persée atteignait le Méridien. Elle aperçut Algol, son étoile. Algol, tantôt étincelante et tantôt pâle, lui sembla, comme son âme à elle, être tour à tour au pouvoir de l’esprit de lumière et au pouvoir de l’esprit des ténèbres ! Elle se leva tout à fait. Son visage était souillé de sang ; elle éprouvait des tortures et frissonnait de froid. Le vent qui passait dans le treillage l’avait glacée. Elle ne voulut pas cependant appeler sa servante. Elle se jeta sur un lit, et fatiguée par les émotions et les souffrances, elle dormit longtemps.