Les Abus du crédit et le désordre financier à la fin du règne de Louis XIV/01

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Les Abus du crédit et le désordre financier à la fin du règne de Louis XIV
Revue des Deux Mondes3e période, tome 60 (p. 748-783).
2e partie  ►
UN CHAPITRE
DE
L’HISTOIRE FINANCIERE
DE LA FRANCE

LES ABUS DU CRÉDIT ET LE DÉSORDRE FINANCIER A LA FIN DU RÉGNE DE LOUIS XIV.

I.
LES ABUS DU CRÉDIT.

Le gouvernement de Louis XIV, dans sa longue durée de soixante-douze ans, présente les plus saisissans contrastes : la victoire et la gloire ont entouré le berceau du roi du plus retentissant éclat ; les plus cruels revers, les plus cuisantes douleurs ont attristé sa fin. C’est pour Louis XIV enfant que Condé remporte ses grandes victoires de Rocroi et de Lens, et que Mazarin négocie le traité de Westphalie : onze ans après, la politique habile et persévérante du cardinal complète son œuvre par le traité des Pyrénées, qui unit le roi à l’infante Marie-Thérèse. Louis XIV a vingt-trois ans quand, à la mort de Mazarin, il entreprend de diriger seul le gouvernement ; et aussitôt, « il commence à régner avec un éclat et une puissance sans exemples. » Son heureuse fortune lui donne pour commander ses armées des hommes de guerre tels que Condé, Turenne et Luxembourg, et lui fait trouver pour instrumens de sa volonté des ministres tels que de Lionne, Colbert, Louvois. La guerre de la dévolution et celle de Hollande occupent et illustrent le milieu de sa vie. En plein hiver, en vingt-deux jours de février 1668, il enlève aux Espagnols toutes les places de la Franche-Comté, pour les leur rendre au congrès d’Aix-la-Chapelle au mois de mai suivant. En 1672, après avoir employé, pendant quatre ans, tous les efforts de sa diplomatie à isoler, en Europe, la république des Provinces-Unies, prenant avec Turenne le commandement de son armée, il effectue ce passage du Rhin, célébré par Boileau, et pénètre dans la Hollande, qu’il occupe en quelques jours ; mais les digues sont rompues et l’inondation arrête sa marche victorieuse. En juin 1673, il assiège, avec Vauban, Maestricht, qui capitule après trois semaines de tranchées ; en 1674, il ne lui faut, comme en 1668, que quelques semaines pour se rendre maître de la Franche-Comté ; Condé remporte la sanglante victoire de Senef et Turenne reconquiert l’Alsace, où les Impériaux ont pénétré. Après avoir encore, pendant trois ans, poursuivi cette grande guerre contre toute l’Europe, il traite à Nimégue. en 1678, avec la Hollande, avec l’Espagne, avec l’Empire. Désormais il possède au nord de la France une ligne qui s’étend de Dunkerque à la Meuse : « La monarchie espagnole est désarmée. »

« Le roi, dit Voltaire, fut en ce temps au comble de la grandeur. Victorieux depuis qu’il régnait, n’ayant assiégé aucune place qu’il n’eût prise, supérieur en tous genres à ses ennemis réunis, la terreur de l’Europe pendant six ans de suite, enfin son arbitre et son pacificateur, ajoutant à ses états la Franche-Comté, Dunkerque et la moitié de la Flandre ; et ce qu’il devait compter pour le plus grand de ses avantages, roi d’une nation alors heureuse, et alors le modèle des autres nations. L’Hôtel de Ville de Paris lui décerna le nom de Grand avec solennité. »

Louis XIV n’a pas quarante ans, et rien encore n’a ralenti son activité et son ambition : tandis que toute l’Europe désarme, il conserve ses troupes et veut se faire de la paix un temps de conquête. C’est par un coup de main que Louvois prend, en 1681, la ville libre de Strasbourg, et le roi y fait, le 24 octobre, une entrée triomphale, pendant que, le même jour, Catinat prend possession de la ville et du château de Casal, achetés secrètement au duc de Mantoue. À cette politique de guerres et d’agrandissemens sans limites l’Europe répond par la ligue d’Augsbourg, et bientôt la révolution de 1688, en plaçant Guillaume d’Orange sur le trône d’Angleterre, donne à Louis XIV son plus redoutable adversaire. Le roi a cinquante ans : il commence à perdre l’heureuse fortune de sa jeunesse, et la guerre de la ligue d’Augsbourg, qui commence en 1689 par l’incendie et la dévastation du Palatinat, durera dix ans. Les armes françaises ont encore de glorieuses journées : les victoires de Luxembourg, à Fleurus, à Steinkerque, à Nerwinde, celles de Catinat en Italie ; mais ces succès sont mêlés de revers et l’échec de la flotte à La Hogue consterne la France habituée à la victoire. Louis XIV vient encore, en personne, investir et prendre Mons en 1691 ; Namur en 1692 ; cependant, en 1693, il ne trouve pas devant la ville de Liège, couverte à temps par le roi Guillaume, le triomphe assuré qu’il est venu chercher, et rentrant à Versailles, il abandonne pour toujours le commandement des armées. Pendant trois ans, la lutte se poursuit en se ralentissant : l’ancien conquérant de la Hollande et de la Franche-Comté ne peut plus que se tenir sur la défensive ; et le traité de Ryswick, en 1697, l’oblige à restituer une partie de ses anciennes conquêtes, en lui laissant cependant Strasbourg,

Louis XIV ne songeait alors qu’à se rendre libre de suivre et de résoudre les questions qu’allait soulever la mort de Charles II. En acceptant le testament de ce prince, et en faisant résolument monter son petit-fils sur le trône d’Espagne, il provoque, à soixante-deux ans, la grande ligue de La Haye entre l’Angleterre, la Hollande, l’Autriche, l’Empire, le Portugal. Il a perdu Condé, Turenne, Luxembourg, et dans la guerre de la succession d’Espagne ce sont les noms des généraux ennemis, du prince Eugène, de Marlborough, qui désormais vont retentir. Si, dans les premières campagnes, les succès se balancent, la bataille de Hochstedt en 1704, les défaites de Ramillies et de Turin en 1706 nous font perdre les places que nous occupions en Allemagne, dans les Pays-Bas, en Italie : le Dauphiné est menacé. En 1708, le roi, faisant un suprême effort, peut encore entretenir cinq armées ; mais la déroute d’Audenarde sur l’Escaut est suivie d’une retraite plus désastreuse encore : Gand, Bruges, Lille, assiégés par les Impériaux, capitulent, et la frontière française est entamée : on dit qu’un parti de Hollandais put s’avancer sur la route de Versailles. Louis XIV en est réduit à demander la paix ; cependant quand on va jusqu’à exiger qu’il rende Strasbourg, qu’il renonce à l’Alsace, que lui-même chasse d’Espagne son petit-fils, sa fierté indignée se révolte, et ce n’est pas en vain que, dans un noble langage, il fait un dernier appel au patriotisme du pays. À Malplaquet, 90,000 hommes, commandés par Villars, se défendent avec succès contre Marlborough, à la tête de 120,000 hommes ; cette glorieuse défaite marque le terme de nos revers, et la grande victoire de Denain finit par rendre possibles les traités d’Utrecht, de Rastadt, et de Bade, qui, rétablissant la paix à des conditions inespérées, laissent à Louis XIV les premières acquisitions de son règne, l’Alsace avec Strasbourg, Sarrelouis et Landau : une partie de la Flandre avec Lille ; la Franche-Comté, l’Artois et le Roussillon. La France sort de cette terrible épreuve affaiblie, mais non humiliée.

Ce n’est pas seulement la fortune de la guerre qui trahit la vieillesse du grand roi. « À peine respirait-il d’un danger si funeste, — écrit Saint-Simon de sa plume inimitable[1], — qu’il voit périr sous ses yeux son fils unique, une princesse qui seule faisoit toute sa joie, ses deux petits-fils, et périr de manière à le percer des plus noirs soubçons, à lui persuader de tout craindre pour luy mesme, et pour l’unique rejeton qui lui restoit d’une si nombreuse et si belle postérité. — Parmi des adversités si longues, si redoublées, si poignantes, sa fermeté, c’est trop peu dire, son immutabilité demeura toute entière ; mesme visage, mesme maintien, mesme accueil, pas le moindre changement dans son extérieur ; mesmes occupations, mesmes voyages, mesmes délassemens, le mesme cours d’années et de journées, sans qu’il fut possible de remarquer en lui la plus légère altération. Ce n’étoit pas qu’il ne sentit profondément l’excès de tant de malheurs ; ses ministres virent couler ses larmes, son plus familier domestique intérieur fut témoin de ses douleurs… Un courage masle, sage, supérieur, luy faisoit serrer entre ses mains le gouvernail parmi ces tempêtes… C’est le prodige qui a duré plusieurs années, avec une égalité qui n’a pas été altérée un moment, qui a esté l’admiration de sa cour et l’estonnement de toute l’Europe… »

On ne rencontre pas dans l’administration intérieure de Louis XIV, et surtout dans la conduite de ses finances, de moins grandes vicissitudes que dans sa diplomatie et dans ses opérations militaires. Sous le gouvernement de Mazarin et l’administration du surintendant Fouquet, la dilapidation des deniers royaux, l’absence ou la violation de toutes les règles protectrices de la fortune publique, avaient causé la ruine de l’état. Louis XIV a écrit dans ses Mémoires : « Je commençai à jeter les yeux sur toutes les diverses parties de l’état, et non des yeux indifférens, mais des yeux de maître, sensiblement touché de n’en voir pas une qui ne méritât et ne me pressât d’y porter la main… Le désordre étoit partout… Les finances qui donnent le mouvement et la vie à tout ce grand corps de la monarchie étoient entièrement épuisées, et à tel point qu’à peine y voyoit-on de ressource[2]. »

Mais si Mazarin, par sa faiblesse ou son aveuglement se fit le complice des désordres de Fouquet, il répara sa faute, à sa mort, en donnant Colbert au roi pour contrôleur-général de ses finances. D’avance et sur la foi du cardinal, Louis XIV savait ce que valait Colbert. « J’avois en lui, dit-il, toute la confiance possible, parce que je savois qu’il avoit beaucoup d’application, d’intelligence et de probité[3]. » En effet, « rude, renfermé, taciturne, infatigable au travail, passionnément dévoué à l’ordre, au bien public, à la grandeur paisible de la France[4], » Colbert ne tarda pas à fonder la prospérité financière sur l’économie dans l’administration des deniers publics et sur l’ordre dans la comptabilité. Il accroît les revenus, il diminue les dépenses et il parvient, un moment, à rétablir l’équilibre dans le budget, tout en ayant à pourvoir aux frais des plus grandes guerres et aux dépenses fastueuses du roi.

Mais, après lui, la faiblesse et l’inexpérience de ses successeurs se trouvent aux prises avec les plus périlleuses difficultés : il faut subvenir aux charges énormes de deux grandes guerres soutenues contre toute l’Europe, avec un revenu public amoindri, dont les sources mêmes sont taries par la misère de tous. Alors l’abus du crédit, l’emploi d’expédiens ruineux, la constante variation des monnaies, l’émission et le renouvellement d’un papier de circulation déprécié et avili créent à la mort de Louis XIV (1er septembre 1715) une situation qui semble un moment entraîner la banqueroute générale de l’état, et qui ne se liquide que par des banqueroutes partielles. Par l’ensemble des circonstances économiques et morales qu’elle présente, cette situation prépare et facilite l’entreprise, ou plutôt l’aventure, de banque, de commerce, d’industrie qui éclate au commencement du règne de Louis XV, qui compromet la fortune publique et bouleverse les fortunes privées par la perturbation la plus extraordinaire qui soit jamais résultée des actes d’un gouvernement régulier, et que, par un euphémisme qui s’explique plus qu’il ne se justifie, on a appelé le système de Law.

Ce sont ces crises financières et économiques de la fin du XVIIe siècle et du commencement du XVIIIe que nous voudrions retracer rapidement.


LES PREMIERS EXPÊDIENS FINANCIERS APRÈS LA MORT DE COLBERT.

L’état n’était pas endetté, en 1683, à la mort de Colbert, qui, deux fois, dans l’espace de vingt-deux ans, avait relevé d’une manière inespérée la fortune de la France. Nommé contrôleur-général pour rétablir l’ordre dans les finances, il y était promptement parvenu : quelquefois, il est vrai, par des procédés dont on ne peut méconnaître l’arbitraire et la violence. — En 1661, le produit brut des impôts était de 84 millions, sur lesquels il en fallait prélever 52 pour le service des rentes et l’acquittement d’autres charges ; il ne restait que 32 millions de revenu net, et les dépenses montaient à 60. — Cinq ans après, en 1666, Colbert était parvenu à porter à 92 millions le produit brut des revenus et à réduire à 34 le montant des rentes et des charges : la recette nette du trésor s’était élevée à 58 millions et présentait un excédent considérable sur les dépenses, qui avaient pu être réduites à 43[5].

La guerre troubla cette prospérité financière. Celle de la dévolution ne dura que deux ans ; mais celle de Hollande, qui provoqua la première coalition de l’Europe, commença en 1672 et ne se termina qu’en 1678 : elle porta les dépenses à plus de 100 millions par an, et, pour y pourvoir, il fallut recourir à des ressources extraordinaires, demandées le plus souvent à des impositions qui soulevèrent parfois de sérieuses difficultés et des révoltes. Aussi, après le traité de Nimègue, Colbert mit tous ses soins à rapprocher le budget de l’équilibre, et il y réussit cette fois en n’employant que des moyens d’une régularité irréprochable, La sécurité qu’inspirait le retour de la paix permettant d’émettre facilement des rentes au denier 20 (5 pour 100), il déclara obligatoire, par rang d’émission et avec délai de rigueur, le remboursement des rentes qui avaient été créées pendant la guerre à un taux plus élevé. Il réalisa paisiblement et sans secousses, de 1679 à 1683, une économie annuelle de 2 millions. Depuis 1661, l’impôt si lourd et si inégal des tailles avait pu être diminué de 22 millions ; cependant, en 1683, grâce à l’augmentation successive des taxes de consommation, qui avaient alors le grand avantage de ne comporter, dans leur assiette et leur perception, ni exemptions ni privilèges, le produit brut du revenu public s’était élevé à 112 millions, et, après un prélèvement de 23 pour l’acquittement des charges, — dont 8 seulement pour le service de la dette publique, — il restait un produit net de 89 millions. Les dépenses ordinaires atteignaient, il est vrai, 96 millions, et il restait une dette flottante de 38 millions remboursables à bureau ouvert et qui avaient été fournis au trésor par une caisse des emprunts que Colbert avait instituée. Toutefois, avec le système de remboursemens et d’économie pratiqué depuis la paix de Nimègue, il est évident que l’équilibre déjà introduit dans le budget n’aurait pas tardé à être rétabli.

La tâche de Colbert était d’autant plus difficile que, pendant la paix, il avait à lutter contre la magnificence du roi et sa passion pour les constructions coûteuses. « Sully, dit Voltaire, avait enrichi l’état par une économie sage, que secondait un roi aussi parcimonieux que vaillant, un roi, soldat à la tête de son armée et père de famille avec son peuple ; Colbert soutint l’état malgré le Iuxe d’un maître fastueux qui prodiguait tout pour rendre son règne éclatant. »

Quand Colbert mourut, sa ferme et courageuse résistance à l’excès des dépenses lui avait aliéné la faveur royale ; sa passion pour l’ordre et la régularité lui avait créé de vives inimitiés ; quelques impôts établis pour subvenir aux dépenses de la guerre de Hollande et son esprit de fiscalité avaient excité contre lui l’irritation populaire. « On fut obligé de l’enterrer pendant la nuit pour éviter les insultes du peuple, qui lui imputait les impôts dont il était écrasé[6]. » Cependant sa mort était un malheur public ; on ne tarda pas à s’en apercevoir.


I. — LES SUCCESSEURS DE COLBERT.

Colbert n’était pas seulement contrôleur-général des finances : il était aussi ministre de la marine et surintendant des bâtimens et des arts. À sa mort, ces importantes fonctions furent divisées : son fils, le marquis de Seignelay, lui succéda à la marine, et la surintendance des bâtimens fut réunie au ministère de la guerre entre les mains de Louvois, qui, jaloux de conserver la faveur du roi, ne tarda pas à flatter sans mesure sa passion pour les grands travaux, Versailles manquait d’eau ; il entreprit d’y amener les eaux de l’Eure au moyen d’aqueducs gigantesques dont on voit encore les ruines à Maintenon : 20,000 hommes pris dans l’armée y travaillèrent pendant deux ans. Les dépenses des bâtimens, qui ne dépassaient pas 6 millions en 1682, s’élevèrent à 15 en 1686.

Louvois était tout-puissant ; son parent, Lepeletier, ancien prévôt des marchands, fut chargé de l’administration des finances. Honnête, juste, bienveillant, mais sans activité et sans énergie, il était hors d’état de résister à l’influence prépondérante de Louvois, auquel il devait sa nomination : ne pouvant arrêter ou tout au moins modérer les dépenses, il n’avait qu’à subvenir au moyen de les payer.

Ses premières opérations financières furent peu heureuses[7]. La mort de Colbert ébranla le crédit de la caisse des emprunts, qu’il avait fondée. Les fonds qu’elle avait réunis pour les mettre à la disposition du trésor furent successivement réduits à 20 et à 10 millions, et deux arrêts du conseil[8] ordonnèrent ensuite qu’elle serait fermée le 1er octobre 1684. Il fallut donc pourvoir, au moyen d’un emprunt, au remboursement de la dette flottante qu’elle entretenait. Pour faciliter cet emprunt, Lepeletier imagina d’offrir 2,000 livres de rente à ceux qui, ayant souscrit pour 20,000 livres dans le dernier emprunt que Colbert avait contracté à 5 pour 100, — afin de convertir des rentes représentant un intérêt de 7 à 8 pour 100, — entreraient pour 16,000 livres dans la nouvelle opération. Par cette combinaison, un capital de 36,000 livres donnait droit à 2,000 livres de rente annuelle, ce qui élevait à 5 1/2 pour 100 l’intérêt, non-seulement du nouvel emprunt, mais de celui qui était déjà réalisé depuis plusieurs années. Pour rembourser une somme de 38 millions dont l’intérêt était servi à 5 pour 100, et emprunter 30 millions, les arrérages annuels de la dette furent augmentés de près de 2 millions 1/2.

Les dépenses de 1685 excédèrent le produit net des recettes de plus de 9 millions[9]. Les tailles furent augmentées de 3 millions, et cette augmentation fut suivie de plusieurs autres qui accrurent l’impôt et ses accessoires. Pendant les cinq années que dura l’administration de Lepeletier, la paix ne fut troublée que par quelques campagnes sans importance, et cependant les dépenses publiques s’élevèrent à 545 millions, tandis que les revenus nets ne dépassèrent pas 463 millions ; l’excédent des dépenses sur les recettes fut de 82 millions, et on y pourvut en empruntant 66 millions 1/2 et en se procurant 15 millions 1/2, soit par quelques expédiens alors en usage, soit par des anticipations sur le revenu des années suivantes. La dette, que Colbert avait réduite à 8 millions de rentes, était considérablement accrue, et le trésor était vide.

En 1689, quand éclata la guerre, que la ligue d’Augsbourg (en 1686) et la révolution d’Angleterre (en 1688) rendaient inévitable, « ce fut avec un trésor épuisé et obéré et avec l’aide d’une population n’excédant pas 20 millions d’âmes, qu’il fallut mettre sur pied et entretenir pour un temps dont on ne pouvait apprécier la durée, des armées comprenant de 3 à 400,000 hommes, et une flotte capable de lutter contre les marines réunies de Hollande, d’Angleterre et d’Espagne[10]. » Lepeletier s’empressa de demander au roi de le décharger d’un fardeau trop pesant pour ses forces, et il eut pour successeur (le 20 septembre 1689) Phelipeaux, comte de Pontchartrain, qui fut remplacé, le 5 septembre 1699, par Chamillart, auquel succéda Desmarets, le 10 février 1708.

Lepeletier, dominé par Le Tellier et par Louvois, avait affecté de se poser en censeur de l’administration de son illustre prédécesseur ; cependant, en réalité, il ne s’était pas beaucoup écarté de ses pratiques et de ses maximes. « Mais, dit Mallet dans ses Comptes, la guerre, qui commença en 1689, demanda des fonds si abondans que M. de Pontchartrain se crut dans la nécessité de suspendre l’ordre et les principes qu’on avait rétablis dans l’administration des finances : persuadé qu’un temps de besoin voulait des secours prompts, il se détermina pour se les procurer à avoir recours aux expédiens de finances qui avaient été proscrits par Colbert[11] »

Le comte de Pontchartrain, reçu conseiller au parlement de Paris, en 1661, à l’âge de dix-sept ans, était devenu premier président du parlement de Bretagne en 1676 et intendant des finances en 1687 ; il n’était donc pas étranger au contrôle-général quand le roi l’y appela : en 1690, il réunit à sa charge déjà si considérable la secrétairerie d’état, comprenant le ministère de la marine, que laissa vacante la mort prématurée de Seignelay. « C’était, suivant Saint-Simon[12], un très petit homme, maigre, bien pris dans sa petite taille, avec une physionomie d’où sortoient sans cesse des étincelles de feu et d’esprit et qui tenoit encore plus qu’elle ne promettoit. Jamais tant de promptitude à comprendre, tant de légèreté et d’agrément dans la conversation, tant de justesse et de promptitude dans les reparties, tant de facilité et de solidité dans le travail, tant de subite connoissance des hommes, ni plus de tour à les prendre. Avec ces qualités, une simplicité éclairée et une sage gaîté surnageoient à tout et le rendoient charmant en riens et en affaires. »

Il fut contrôleur-général jusqu’à la fin de 1699, et, pendant ces onze années, le produit net des revenus ordinaires ne s’éleva qu’à 795 millions, tandis que la guerre porta les dépenses à 1,580 millions : il fallut donc pourvoir à une insuffisance de 785 millions. Contraint par des nécessités si impérieuses, Pontchartrain se laissa entraîner à se procurer des ressources extraordinaires au moyen d’expédiens qui ne répugnaient pas alors aux mœurs publiques, mais qui ne soulageaient le présent qu’en surchargeant l’avenir et dont son imprévoyante légèreté ne calcula ni les conséquences ni les périls. Il emprunta ; il fit ce qu’on appelait alors des affaires extraordinaires, qui consistaient principalement en ventes de nouveaux offices ou en augmentations des gages des offices existans ; il fit refondre les espèces monétaires en élevant leur cours. Il commença ainsi à engager le trésor dans la voie funeste et ruineuse où il ne fut plus possible de s’arrêter jusqu’à la mort de Louis XIV.

Pontchartrain n’était cependant pas un homme sans mérite. Lorsqu’il quitta le contrôle-général, il fut élevé à la dignité de chancelier, et il exerça pendant quatorze ans ces hautes fonctions, plus appropriées à ses connaissances et à son esprit. Les lettres et les documens qu’il a laissés donnent la preuve d’une capacité et d’une vigilance qui lui assignent un rang élevé parmi les chanceliers de l’ancienne monarchie.

Il fut remplacé par Chamillart, dont les historiens, les mémoires, les légendes reconnaissent la parfaite honorabilité, le caractère aimable et doux, mais attestent, en même temps, le peu de capacité et la faiblesse dans les affaires publiques. Conseiller au parlement de Paris en 1676, à vingt-cinq ans, a sa fortune fut d’exceller au billard[13] ; « Saint-Simon raconte comment « Louis XIV, s’amusant fort de ce jeu, » M. de Vendôme, M. Le Grand, le maréchal de Villeroi, le duc de Grammont, qui faisaient sa partie tous les soirs, obtinrent que Chamillart « fut admis une fois pour toutes dans la partie du roi où il était le plus fort de tous. » Sa douceur, sa modestie, ses qualités aimables ne tardèrent pas à lui gagner les faveurs du roi et celles de Mme de Maintenon. Maître des requêtes et intendant de Normandie en 1686, il devint, en 1689, intendant des finances, et on pouvait penser que ces importantes fonctions, exercées pendant dix ans, l’avaient préparé à celles de contrôleur-général. Louis XIV voulut donner, en outre, à Chamillart la succession de Barbezieux au ministère de la guerre comme il avait autrefois donné à Pontchartrain la succession de Seignelay à la marine. Le contrôleur-général représenta vainement « l’impossibilité de s’acquitter de deux emplois qui avaient occupé tout entiers Colbert et Louvois ; mais c’était le souvenir de ces deux ministres et de leurs débats qui faisoit vouloir obstinément au roi de réunir les deux ministères[14]. » Il s’applaudissait « d’avoir mis sur de si faibles épaules deux fardeaux dont chacun eût suffi à accabler les plus fortes. »

Saint-Simon, qui cependant avait de l’amitié pour Chamillart, le juge sévèrement[15] : « C’étoit un bon et très honnête homme à mains parfaitement nettes et avec les meilleures intentions, poli, patient, obligeant, bon ami, ennemi médiocre, aimant l’état, mais le roi sur toutes choses et entièrement bien avec lui et avec Mme de Maintenon ; d’ailleurs très borné et, comme tous les gens de peu d’esprit et de lumière, très opiniâtre, très entêté… Sa capacité étoit nulle, et il croyoit tout savoir et en tout genre, et cela étoit d’autant plus pitoyable que cela lui étoit venu avec ses places, et que cela étoit moins présomption que sottise, et encore moins vanité, dont il n’avoit aucune. Le rare est que le grand ressort de la tendre affection du roi pour lui étoit cette incapacité même. Il l’avouoit au roi à chaque pas, et le roi se complaisoit à le diriger et à l’instruire, en sorte qu’il étoit jaloux de ses succès comme du sien propre. »

Pendant les huit années que dura son administration, Chamillart dut assurer le paiement de 1,462 millions de dépenses, et les revenus ordinaires sur lesquels on opérait des prélèvemens de plus en plus considérables, par suite des opérations onéreuses de Pontchartrain, ne fournirent qu’un produit net de 306 millions : il fallut donc qu’il pourvût à un déficit de 1,156 millions. Il eut du moins le mérite de ne se faire aucune illusion sur les progrès rapides du désordre financier. Il ne songea pas à dissimuler au roi l’état de ses finances : il n’atténua en rien une situation dont la gravité devenait de jour en jour plus inquiétante. Par sa ferme sincérité, par son désintéressement, par l’indépendance et même l’élévation du jugement qu’il porte sur la politique et sur la guerre, il surprend la sympathie de ceux qui étudient son administration, ou tout au moins il désarme leur sévérité.

On lit dans un rapport qu’il adresse au roi le 16 octobre 1706 : « Toutes ces dépenses extraordinaires, jointes à la disproportion des fonds à la dépense ordinaire, me firent connaître que le temps fatal approchoit, auquel, manque d’argent, il ne seroit plus possible de continuer la guerre, et que, si les ennemis ne vouloient pas la paix. Votre Majesté seroit obligée de la recevoir aux conditions qu’il leur plairoit la lui donner. »

Dans un autre rapport du 17 septembre 1707, il écrit[16] : « On pourroit soutenir la dépense jusques au mois de septembre 1708, y compris le reste de cette année avec 170 millions. Il n’y a guère d’homme sensé en France qui, avec rien, voulut se charger d’une pareille dépense,.. c’est donc sur ce rien qu’il faut faire un projet et soutenir le royaume. J’avoue que j’ai voulu plusieurs fois le commencer, que les forces et les lumières m’ont manqué : Dieu seul peut éclairer et conduire celui qui pourra y parvenir… Si j’avois une grâce à demander à Votre Majesté, ce seroit celle de pouvoir me soulager d’un fardeau que je ne puis soutenir, et de me permettre de réfléchir dans quelque coin du monde, avec un peu plus de tranquillité, à ce qui peut dégoûter des grandeurs que je n’ai connues que pour en être rebuté. Votre Majesté me doit rendre ce témoignage public qu’il n’y a point eu d’année que je ne lui aie représenté le danger auquel elle s’exposoit si elle attendoit les dernières extrémités ; qu’il étoit de sa prudence et de sa sagesse de sacrifier une partie de l’Espagne pour sauver l’autre, et qu’elle ne devoit pas perdre la France avec l’Espagne. »

Ni Pontchartrain, ni Chamillart, n’étaient des financiers ; mais on ne saurait adresser le même reproche à Desmarets, qui fut nommé contrôleur-général le 20 février 1708. Neveu de Colbert, il était entré de bonne heure dans les bureaux du contrôle-général et il était parvenu jeune encore au poste important d’intendant des finances. « Élevé et conduit par son oncle, il en avoit appris toutes les maximes et tout l’art du gouvernement des finances ; il en avoit pénétré parfaitement toutes les différentes parties, et, comme tout lui passoit par les mains, personne n’étoit instruit plus à fond que lui des manèges des financiers, du gain qu’ils avoient fait de son temps, et par ces connoissances de celui qu’ils pouvoient avoir fait depuis[17]. »

À la mort de Colbert, Desmarets avait été accusé d’avoir accepté des bénéfices irréguliers dans une opération monétaire récente qui avait pour objet une fabrication importante de petites pièces d’argent. Les passions et les haines qui s’agitaient contre la mémoire de son oncle l’avaient fait disgracier avec éclat. Obligé de donner sa démission et exilé dans sa terre de Maillebois, ce ne fut pas sans peine qu’il obtint de rentrer en grâce auprès du roi. Chamillart, dans les premiers temps de son ministère, fut autorisé à se servir de son expérience et de ses lumières pour diriger des recherches et des poursuites contre les traitans qu’il voulait assujettir à une taxe spéciale : avec l’appui des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, il obtint pour lui, en 1703, l’une des deux charges de directeurs des finances qui venaient d’être créées pour lui venir en aide : en 1708, quand, fatigué et malade, il se retira, il le désigna au roi pour son successeur.

Ce fut Louis XIV qui voulut prévenir Desmarets de sa nomination, « en lui expliquant lui-même l’état déplorable de ses finances, tant pour lui faire voir qu’il savoit tout, que pour lui épargner peut-être l’embarras de lui en rendre un compte exact, comme cela ne se pouvoit éviter à l’entrée d’une administration. Le roi ajouta que, les choses en cet état, il seroit très obligé à Desmarets s’il pouvoit trouver quelque remède et point du tout surpris si tout continuoit à aller de mal en pis ; ce qu’il assaisonna de toutes les grâces dont il avoit coutume de flatter ses nouveaux ministres[18]. »

On devait croire que les traditions de Colbert rentreraient au contrôle-général, avec son neveu qui avait été son élève. Mallet, alors premier commis des finances, affirme[19] « que la malheureuse situation où Desmarets trouva les finances, et les secours pressans et continuels dont on avoit besoin pour soutenir la guerre, ne lui permirent pas de rétablir les principes de gouvernement tels qu’ils étoient sous Colbert. » Le nouveau contrôleur-général, malgré son incontestable capacité, son expérience, la grande fécondité des ressources de son esprit, ne put donc que suivre à peu près les erremens de ses deux faibles prédécesseurs, s’efforçant cependant de diminuer le nombre et l’importance des affaires extraordinaires, toujours très onéreuses au trésor, et cherchant l’appui du crédit des banquiers. On sait comment le roi s’efforça de le seconder, en accueillant à Marly avec une faveur particulière Samuel Bernard, l’un des plus riches et des plus puissans de ces banquiers.

Dans cette situation désespérée, Desmarets ne fit pas beaucoup mieux que n’avaient fait avant lui Pontchartrain et Chamillart. Son administration dura sept années, les dépenses s’élevèrent à 1,579 millions et à 1,914 millions en y comprenant 335 millions de dépenses, non payées, des années précédentes : le produit net des revenus ordinaires ne dépassa pas 269 millions. Il dut se procurer 1,300 millions de ressources extraordinaires et laisser plus de 300 millions dus et non payés.


II. — L’ETAT GENERAL DES FINANCES DE 1689 A 1715.

On ne peut se rendre un compte exact du désordre financier de la fin du règne de Louis XIV qu’en réunissant et en examinant dans leur ensemble les faits qui appartiennent à l’administration de chacun des trois derniers contrôleurs-généraux. Dans cette période de vingt-six ans, qui s’étend de 1689 à 1715, la guerre de la ligue d’Augsbourg dura neuf ans et celle de la succession d’Espagne se prolongea pendant plus de treize ans : il n’y eut pas quatre années de paix. Les dépenses constamment accrues par la guerre s’élevèrent à la somme totale de 4 milliards 956 millions, tandis que la guerre aussi, avec ses conséquences inévitables souvent aggravées par la disette, amena une diminution rapide des revenus publics. Le bail des fermes générales fut réduit presque à chacun de ses renouvellemens. En 1703, il ne fut que de 41,700,000 : — depuis 1683, il avait diminué de 20 millions. En 1705, le désordre des finances dans l’état, la gêne et l’inquiétude dans les fortunes privées étaient telles qu’on ne trouva de fermier que pour un an. Bientôt on n’en trouva plus du tout : personne ne voulut se charger, pour un prix certain et fixé à l’avance, des fermes qui furent alors exploitées en régie, et dont le produit tomba à 31 millions en 1709 pour remonter à 40 en 1710. D’un autre côté, la misère fut telle en 1709 que le roi fut obligé d’accorder sur le brevet de la taille de 1710 une diminution de 6 millions, et, en fixant le contingent de chaque généralité, une nouvelle diminution de 2 millions ; les droits d’entrée sur les bœufs et les moutons et sur les vins furent en même temps réduits. Ces pertes ne furent pas compensées par quelques fermes spéciales et quelques droits nouveaux, comprenant le contrôle des actes des notaires, la vente des poudres et du menu plomb, celle des cartes à jouer, etc. Ainsi amoindri, le produit brut des impôts eut en outre à supporter, chaque année, des prélèvemens et des charges plus considérables par suite du système suivi pour se procurer des ressources extraordinaires. Le produit net des revenus ordinaires, qui, dans les cinq premières années de 1689 à 1693, varia de 105 à 112 millions, ne fut plus après la paix de Ryswick que de 72 millions en 1698 et de 69 en 1700 : il tomba à 46 millions en 1708, au milieu de la guerre de la succession d’Espagne, à 36 en 1712 et 1713, et même à 32 en 1714. Le montant total des revenus nets de 1689 à 1714 ne dépassa pas 1,370 millions, tandis que le montant total des dépenses fut de près de 5 milliards. Deux impôts temporaires de guerre, la capitation, établie en 1695, supprimée en 1698 après la paix, rétablie en 1701, et le dixième, dont la perception ne commença qu’à la fin de 1710, donnèrent, il est vrai, 521 millions. Les dépenses n’excédèrent pas moins les recettes de 3 milliards 65 millions, et il fallut se procurer cette somme énorme par des expédiens et des procédés dont on a peine à comprendre aujourd’hui l’excès, l’aveuglement, l’imprudence. On emprunta en rentes perpétuelles et viagères 720 millions, et c’était la ressource la plus régulière ; on fit des affaires extraordinaires, des créations d’offices, des augmentations de gages, etc., pour 900 millions ; le bénéfice de cinq refontes successives des monnaies donna environ 140 millions ; on se procura 600 millions par l’émission de billets de circulation remboursables à terme fixe ; le surplus, dépassant 600 millions, fut assigné par anticipation sur les revenus des années suivantes, ou resta dû sans être ordonnancé ni payé.

Ce fut donc surtout au moyen des emprunts, des affaires extraordinaires, de la refonte des monnaies, de l’émission des effets royaux qu’on pourvut aux dépenses de la guerre. Il faut étudier et suivre chacun de ces expédiens de finances dans son système, dans son développement et dans ses résultats.


III. — LES EMPRUNTS.

La dette publique, à la mort de Colbert, se trouvait réduite à 8 millions de rentes : les opérations peu heureuses et mal conçues de Lepeletier, pour la liquidation de la caisse des emprunts et quelques emprunts nouveaux, avaient augmenté le capital de 84 millions 1/2 et les arrérages annuels de 7,400,000 livres. Même après cet accroissement, la dette ne présentait rien d’excessif, et il était naturel qu’en présence des besoins urgens auxquels il fallut pourvoir, quand la guerre recommença, on eût recours à des émissions de rentes.

De 1689 à 1693, on put commencer par emprunter au denier 18 (5.55 pour 100) une somme de 88 millions ; mais bientôt la confiance diminua : il fallut, de 1694 à 1697, emprunter au denier 14 (7.15 pour 100) 109 millions, et même, pour une somme de 12 millions élever, l’intérêt au denier 12 (8.33 pour 100). Le capital de la dette fut accru de 209 millions et les arrérages annuels de 13,700 liv. : la dette fut presque doublée.

Mais après la paix de Ryswick, le prompt rétablissement de la confiance et du crédit permit de diminuer les charges de la dette ; 126 millions purent être empruntés au denier 18 (décembre 1697 et janvier 1698) et furent aussitôt employés à rembourser les 121 millions 1/2 empruntés au denier 14 et au denier 12 : le capital de la dette fut accru de 4 millions 1/2, qui servirent à rembourser les finances de plusieurs offices et de quelques augmentations de gages qu’il fallait supprimer.

La facilité avec laquelle on put placer ces rentes au denier 18 fit naître aussitôt la pensée de les rembourser immédiatement en empruntant cette fois au denier 20 et de comprendre dans ce remboursement toutes les rentes émises au denier 18, de 1683 à 1693 pour un capital de 163 millions : c’étaient, en tout, 299 millions à rembourser. On réussit à placer (en 1698 et 1699), 18 millions de rentes au denier 20 pour un capital de 360 millions, qui après le remboursement, qui était l’objet principal de l’opération, laissa disponibles 61 millions pour rembourser des offices et des aliénations de droits qu’on n’avait pu négocier qu’au denier 14 (7.15 pour 100) et même au denier 10 (10 pour 100). Cette transformation était bien conçue et avantageuse au trésor : la rapidité avec laquelle elle put s’exécuter sans embarras montre que le crédit public était déjà développé et comportait des opérations importantes.

Malheureusement, les événemens ne permirent pas de le ménager. On put encore, en 1700, emprunter, au denier 20, 17 millions, afin de pourvoir aux préparatifs de la guerre ; mais quand les hostilités eurent commencé, en 1701, le crédit se resserra, et il ne fut plus possible d’emprunter qu’au denier 16, au denier 14, et même au denier 12 (6. 25, — 7.15 — et 8.33 pour 100) La totalité des emprunts contractés, de 1700 à 1714, s’éleva à 440 millions pour 25 millions de rentes. Si le taux moyen de l’intérêt n’est pas plus élevé, c’est que des rentes furent encore constituées au dénier 20 pour des sommes considérables ; mais ces opérations ont le caractère d’emprunts et de liquidations forcés. Un emprunt de 20 millions en 1704 et un de 600,000 livres en 1710 furent répartis par le gouvernement entre les acquéreurs de titres de noblesse ; un emprunt de 400,000 livres fut réparti de même, en 1709, entre les étrangers naturalisés français, en violation des droits qu’ils avaient acquis ; et un autre de 12 millions, en 1710, entre les personnes intéressées aux affaires ; 34 millions constitués en rentes furent donnés, la même année, en paiement d’assignations délivrées pour des dépenses des années précédentes, et, en 1711 et 1712, 114 millions servirent à éteindre des effets royaux en souffrance. Tous ces capitaux furent constitués en rentes au denier 20, alors que sur le marché public l’intérêt était beaucoup plus élevé : ou ne respectait plus la liberté des conventions ; on n’acquittait plus régulièrement les engagemens contractés.

Cet oubli des principes et des règles dont l’observation est nécessaire au maintien et au développement du crédit fut suivi de mesures plus irrégulières et plus violentes. En 1697, on avait pu diminuer la charge annuelle de la dette en remboursant des emprunts contractés à un taux d’intérêt élevé (aux deniers 18 16-14 et même 12) au moyen de nouveaux emprunts régulièrement et librement consentis au denier 20 ; la détresse entraîna le trésor à réduire arbitrairement les rentes par un acte de l’autorité publique qui constituait une véritable banqueroute.

La rigueur de l’hiver de 1709 et la disette qui en fut la suite firent resserrer l’argent plus que jamais et élevèrent tous les prix que surhaussait déjà l’affaiblissement de la monnaie par la refonte des espèces et l’élévation de leur cours. Tandis que la diminution des consommations avait pour conséquence la diminution des revenus publics, il fallait continuer de subvenir aux frais de la guerre et remédier à la cherté des grains : la dépense des vivres, en 1709, dépassa 40 millions. Le trésor, épuisé, cessa de pouvoir payer les arrérages de la rente. En 1710, on annonça la reprise des paiemens ; mais ils se firent sur le pied du denier 20, quel qu’eût été le taux primitif d’émission ; et même, après cette réduction, un semestre seulement fut payé sur deux. À la fin de 1713, deux années étaient dues aux rentiers, et cette demi-suspension de paiement pouvait se prolonger indéfiniment : pour faire cesser ce provisoire, une banqueroute partielle, mais définitive, fut résolue, un édit d’octobre 1713 ordonna que toutes les rentes seraient converties en nouveaux contrats au denier 25 (4 pour 100) et qu’en outre elles seraient divisées en plusieurs classes, suivant la date et les conditions de leur constitution primitive, leur prix d’achat, leur cours actuel. Les plus favorisées furent remboursées intégralement en contrats nouveaux et ne subirent que la réduction résultant de la substitution du taux du denier 25 à l’intérêt plus élevé auquel elles avaient droit : les autres furent réduites en capital, du quart, de moitié ou des deux tiers ; on crut seulement devoir ajouter à leur capital ainsi liquidé les deux années d’arrérages qui ne leur avaient pas été payées. La charge annuelle des rentes fut diminuée de 14 millions et leur capital nominal fut réduit de 135 millions. Comme on promettait aux rentiers qu’à ces conditions onéreuses ils seraient intégralement payés à l’avenir, on ne craignait pas de leur dire « qu’on assurait leur sort[20] ; » et, pour justifier cette violation manifeste du contrat, on alléguait que, les usuriers profitant de la détresse publique pour exiger des intérêts exorbitans, la plupart des rentes avaient été acquises à vil prix par leurs détenteurs actuels, et quelques-unes en échange de valeurs déjà dépréciées.

Néanmoins, et quelles que fussent les défiances et les inquiétudes causées par l’édit d’octobre 1713, on put encore emprunter, en 1714, 22 millions, mais partie au denier 16 et partie au denier 12 : la paix étant alors définitivement conclue avec toutes les puissances, le livre de la dette publique fut fermé, au moins momentanément.

À ces emprunts en rentes perpétuelles se joignirent des emprunts en rentes viagères, au denier 10, pour une somme de 67 millions : l’intérêt était élevé ; mais, du moins, il comprenait l’amortissement de la dette, qui devait décroître successivement et s’éteindre par la mort des rentiers. Quelques-unes de ces rentes viagères furent émises sous la forme qu’on croyait plus attrayante de loteries et de tontines, qui avaient l’inconvénient d’exciter et de développer au sein des populations l’amour du jeu et du gain plutôt que l’esprit d’épargne et d’économie. Ces opérations n’eurent pas toujours le succès qu’on en espérait : une loterie royale de 240,000 billets à 20 sols, ouverte en 1705, ne put être tirée qu’en 1707 ; on en forma une autre à 20 livres le billet qui ne put être acquittée, et en 1714, il fallut ordonner que les billets visés par le receveur seraient portés au garde du trésor, qui les convertirait en rentes perpétuelles au denier 25.


IV. — LES AFFAIRES EXTRAORDINAIRES.

Le produit des emprunts, des loteries, des tontines était loin de suffire aux besoins du trésor : il fallut recourir à ce qu’on appelait les affaires extraordinaires. Ces expédiens, sous le ministère de Colbert, pendant la guerre de Hollande (1672-1677) avaient principalement consisté en créations d’impôts nouveaux. Mais ces créations avaient mal réussi : la plupart avaient excité des mécontentemens ; l’imposition sur les papiers timbrés ou formules avait soulevé les populations et provoqué en Bretagne et en Guyenne de sanglantes révoltes. Louis XIV en garda le plus vif souvenir et, quand la guerre reprit en 1689, il résolut de pourvoir à ses dépenses par d’autres procédés financiers. Alors on inventa et on épuisa toutes les combinaisons fiscales les plus onéreuses et les plus déplorables : — des emprunts déguisés, des augmentations de gages, des créations d’offices nouveaux, etc., et on arriva à se procurer ainsi, de 1689 à 1714, la somme énorme de 900 millions.

Cent quarante millions sont le produit d’opérations si variées qu’on ne saurait les comprendre sous une dénomination commune, et si nombreuses que leur seule énumération ne peut trouver ici sa place. Il faut se borner à donner une idée de leur nature et de leur diversité en en mentionnant quelques-unes. — Le clergé donne ou prête 15 millions 1/2 en sus de sa subvention annuelle ; — la vente de cinq cents lettres de noblesse, la recherche des usurpateurs de titres nobiliaires, la confirmation de la noblesse aux maires et aux échevins, une taxe sur les armoiries, spéculant sur la vanité humaine, produisent plus de 10 millions ; — les gens d’affaires, ceux qu’on appelle les traitans, sont imposés à 24 millions, et quelques années après ils sont encore astreints à plus de 15 millions de restitutions sur les bénéfices qu’ils ont réalisés[21]. Une somme égale de 140 millions est le prix de la concession à des traitans de perceptions et de redevances que l’état convertit en un capital mis immédiatement à sa disposition, ou du rachat par les contribuables de taxes auxquelles ils sont assujettis. — C’est ainsi qu’un traité pour le recouvrement pendant huit ans de droits d’amortissemens et de francs-fiefs produit 15 millions ; — on obtient 8 millions 1/2 pour l’affranchissement de droits de censives, rentes foncières et autres ; — près de 11 millions pour des aliénations de droits domaniaux, de greffes et autres droits en dépendant ; — 3 millions 1/2 pour le rachat de la taxe des boues et lanternes ; — 16 millions 1/2 pour la concession du contrôle des actes ; — le rachat de la capitation par quelques contribuables donne 6 millions 1/2 ; — le clergé, pour s’affranchir de cet impôt, paie 24 millions en 1710, et 8 millions en 1711 pour se racheter de l’impôt du dixième[22].

Mais, sur les 900 millions que produisent les affaires extraordinaires, plus des deux tiers (620 millions), sont demandés à l’exercice même des fonctions publiques : des augmentations de gages attribuées aux offices déjà, existans font verser au trésor 120 millions et des offices nouvellement créés sont payés 500 millions. « Les finances d’aucun pays n’offrent une suite semblable de moyens mis en œuvre pour se procurer de l’argent[23]. »

On sait que sous l’ancienne monarchie presque toutes les charges publiques étaient vénales et héréditaires. En 1512, Louis XII avait commencé à vendre des offices de finance et même quelques charges de judicature, et, après lui, François Ieravait abusé de cette ressource ; aussi la vénalité des offices ne tarda pas à provoquer de vives réclamations. Bodin, dans sa République, et Montaigne, dans ses Essais, s’élèvent hautement contre un trafic « qui livre au plus offrant des fonctions exigeant de la science et de la probité, » et qu’ils qualifient de scandaleux. Le chancelier de L’Hôpital se borna à soumettre la vénalité des offices à des conditions de moralité et de capacité. En 1604, Sully consacra non-seulement la vénalité, mais l’hérédité des charges publiques, et, notamment, des charges de justice, en soumettant les titulaires, qui voulaient assurer la propriété de leur office à leurs héritiers, au paiement d’un droit annuel, qu’on appela paulette, du nom de Paulet, secrétaire du roi, qui en fut l’inventeur et le premier fermier.

Dans cette organisation des offices publics, on donnait le nom d’augmentations de gages à un supplément de traitement que le roi accordait à un officier, à condition qu’il paierait une finance nouvelle en sus de celle qui avait été déjà payée pour sa charge. C’était, à vrai dire, un emprunt habituellement forcé sur les fonctionnaires publics : en 1689, on résolut d’user largement de cette ressource.

Le 5 août, le contrôleur-général mande aux intendans[24] que toutes les compagnies judiciaires de la ville de Paris, à commencer par le parlement, ont arrêté de prendre des augmentations de gages nouvellement créés, « par zèle et bonne volonté… sans qu’il y ait eu ordre de la part du roi. » Il s’efforce de leur montrer « combien de réputation cela donne aux affaires au dedans et au dehors dans les conjonctures présentes. Ce doit être un grand exemple à toutes les autres compagnies de province… Ces augmentations de gages que le roi veut bien aliéner, pour fournir aux dépenses de la guerre aussi grandes que nécessaires, sans charger le peuple, font un bien si sûr et si commode que les officiers ne peuvent regarder ce qu’on désire d’eux comme une charge. Aussi la chose n’est-elle pas susceptible de conditions et doit être conduite en sorte qu’elle paraisse venir de leur bonne volonté. »

Cet appel, auquel on avait affecté de donner une forme si douce et si persuasive, fut entendu. On ne peut en citer que quelques exemples. Dès 1689, 600,000 livres de gages héréditaires, au denier 18, attribuées à toutes les cours, produisirent net 9 millions 720,000 livres, et 300 000 livres attribuées aux officiers des élections et des greniers à sel, plus de 6 millions : en 1691, les payeurs de rentes eurent à verser 8 millions pour 300,000 livres D’augmentations de gages ; et, en 1693, les officiers des présidiaux, bailliages et sénéchaussées 5 millions 1/2 pour des augmentations de gages dont le chiffre n’est pas connu. Ce n’était pas seulement aux fonctionnaires d’un ordre élevé que le fisc s’adressait : les huissiers payèrent 250,000 livres en 1706, et en 1703 on avait fait acheter 600,000 livres aux vendeurs de marée une augmentation de 6 deniers par livre qu’ils étaient autorisés à prendre sur le prix de la marchandise vendue :ici le trésor recevait le capital ; mais c’était le public qui en payait l’intérêt.

En 1701, quand la guerre de la succession d’Espagne créa de nouveaux et plus impérieux besoins, il ne fut plus possible, comme en 1689, de s’en rapporter « au zèle et à la bonne volonté des fonctionnaires : » il fallut employer à leur égard des moyens plus coercitifs. Les officiers des cours de justice furent obligés de prendre pour 500,000 livres d’augmentations de gages, au capital de 9 millions, sous peine de ne plus être admis au paiement de l’annuel, c’est-à-dire sous peine de perdre l’hérédité de leurs offices[25]. Les recouvremens ne se faisaient pas sans difficultés[26]. Le contrôleur-général écrit le 29 août 1703 au premier président du parlement de Paris qu’il n’a pu se dispenser de faire connaître au roi que sa compagnie doit encore une somme considérable : « Sa Majesté l’a chargé de demander un état de ceux qui n’ont pas encore satisfait. Il craint bien qu’elle ne se souvienne dans la suite de ceux qui seront de ce nombre et qui n’ont pas témoigné leur empressement à fournir les sommes nécessaires pour soutenir le poids de la guerre. » Il écrit de nouveau le 11 décembre et fait entendre « que le roi finira par avoir recours à quelque mesure plus défavorable au parlement. » Le 18 janvier 1706, il mande à quatre conseillers du parlement de Bordeaux, qui n’ont pas encore payé leurs augmentations de gages que « Sa Majesté l’a chargé de faire savoir que son intention est qu’ils y satisfassent sans retard, faute de quoi on sera obligé de faire contre eux des poursuites. »

On usait encore de modération, on se bornait à des menaces à l’égard des conseillers des cours souveraines ; mais à la même époque (février 1706) le lieutenant-général au bailliage de Torigny, signalé par l’intendant comme refusant depuis trois ans de payer ses augmentations de gages et comme s’étant même porté à des violences contre l’huissier et les recors employés par le receveur-général, fut envoyé au château de Caen, et il ne fut relâché (le 13 mars) qu’après s’être entièrement libéré.

Les augmentations de gage avaient cela de singulier qu’elles pouvaient être acquises et possédées par d’autres que par le titulaire de l’office. C’est le contrôleur-général qui l’indique dans une lettre du 22 décembre 1689, et il en donne le motif : « On a créé des gages héréditaires, afin que les officiers qui ne pourront pas les acquérir eux-mêmes jouissent les faire acquérir par d’autres, et il est juste que, dans des conjonctures comme celles-ci, tout le monde soit intéressé à procurer au roi, par soi ou par autrui, les secours dont Sa Majesté a besoin. »

Cependant le capital que pouvaient fournir les officiers publics en exercice était nécessairement limité, soit qu’il provînt de leurs propres fonds, soit qu’ils l’empruntassent, soit qu’ils se substituassent, comme on vient de le voir, d’autres prêteurs : il atteignit néanmoins la somme considérable de 120 millions. La source ouverte par la création d’offices nouveaux fut plus abondante et plus riche : elle donna 500 millions. Il est vrai qu’on y puisa à pleines mains, de toutes façons, sans être arrêté ou modéré par aucun scrupule.

Les fonctions les plus élevées du royaume, celles qui exigent que ceux qui les remplissent possèdent toute la confiance du gouvernement et que, s’ils la perdent, ils les quittent, furent érigées en offices héréditaires et vendues à qui voulut ou put les acheter. Huit charges de maîtres des requêtes, auxquelles n’était cependant attaché qu’un faible gage annuel de 1,300 livres, furent payées 1,520,000 livres (190,000 livres chacune) ; quatre offices d’intendans des finances furent vendus 1,200,000 livres ; enfin les deux charges de directeurs des finances créées en 1701 pour suppléer à l’insuffisance de Chamillart, et dont l’une fut occupée par Desmarets, coûtèrent 800,000 livres chacune[27].

Cependant ce n’était pas dans ces premières charges de l’état que pouvait se trouver le développement complet et productif du système que poursuivait l’administration des finances : il fut appliqué à tous les services publics.

Les corps judiciaires, si nombreux alors, les parlemens, les chambres des comptes, les cours des aides, toutes les autres juridictions supérieures ou inférieures, virent augmenter, sans nécessité et sans utilité, le nombre de leurs membres, à moins qu’ils ne prissent le parti de financer eux-mêmes, pour éteindre en les réunissant collectivement à la compagnie les offices nouveaux, et pour se soustraire à des mesures qui atteignaient les magistrats dans leur considération et dans leurs intérêts.

À Paris seulement, des charges créées dans le parlement, en 1690, furent vendues 3 millions, et des charges créées dans la chambre des comptes une somme presque égale : en 1704, on vendit pour un prix total de 6 millions des charges nouvelles, dans le parlement, la chambre des comptes et la cour des aides[28].

Dans les provinces, il suffira de mentionner, à titre d’exemples, la vente d’offices de substituts, d’avocats et procureurs du roi, pour 1 million ; — de simples offices de conseillers d’honneur dans les cours supérieurs et dans les présidiaux, pour près de 1,400,000 livres ; — d’offices de secrétaires du roi dans les chancelleries présidiales pour 3,600,000 livres, et d’offices de gardes des archives dans les parlemens et les cours supérieures pour 900,000 livres.

Le gouvernement d’ailleurs considérait moins le nombre et la nature des offices à créer que le produit à en tirer. Sur la fin de 1689, le parlement de Bretagne, transféré à Vannes en 1675, fut rétabli à Rennes, et l’occasion parut favorable pour y créer une charge de président et six charges de conseillers : la cour ayant réclamé, le contrôleur-général écrivit, le 25 septembre : « Pour ce qui est de réduire la création à quatre charges de conseillers, je ne puis que vous répéter que le roi s’est fixé à vouloir 500,000 livres, sauf à faire cette somme de quelque manière que ce soit. Le roi vous laisse le choix des expédiens. » Le trésor parvint à tirer 1 million de cette translation du parlement de Bretagne : la ville de Rennes donna 300,000 livres ; les bourgeois 200,000 livres, qu’ils imposèrent sur le loyer des maisons, qui devait augmenter par suite du retour du parlement, et celui-ci contribua pour 500,000 livres par la création d’un président et de six conseillers.

Le parlement de Toulouse s’étant montré peu disposé, en 1691, à acheter des charges qu’on se proposait d’y créer, un traitant offrit de s’en charger à forfait pour 500.000 livres ; mais le contrôleur-général fît savoir au premier président : « que le roi donnait la préférence à la compagnie pour la vente des offices de nouvelle création. » Le parlement était donc invité à acheter les nouveaux offices, non pour les éteindre, mais pour les revendre ; il répondit, « qu’il ne se trouvait pas en état d’exécuter cet engagement, n’ayant ni crédit, ni fonds pour les avances… » À la même époque, au contraire, la chambre des comptes de Montpellier acheta 429,000 livres toutes les charges nouvelles, sauf une, qui venaient d’y être établies[29].

Quand une cour de justice croyait pouvoir réclamer contre l’augmentation du nombre de ses membres, le contrôleur-général le prenait de haut avec elle. Le parlement de Besançon ayant enregistré (avril 1704), sous réserve de très humbles remontrances, un édit qui créait de nouveaux magistrats, Chamillart lui fit aussitôt répondre : « On sait bien que Sa Majesté veut que les enregistremens se fassent purement et simplement et qu’elle n’admet aucune remontrance par arrêt. » Il mande au procureur-général de la cour des aides, qui lui avait annoncé une députation chargée de remontrer les inconvéniens d’une nouvelle création d’offices : « Vous savez qu’il y a longtemps que l’usage des remontrances est aboli. »

Les services judiciaires, quelque nombreux qu’ils fussent, ne pouvaient se prêter à l’institution de charges nouvelles aussi facilement que les services administratifs, financiers et militaires. On jugera du nombre et de l’importance des offices de cette nature qui furent créés par ce fait, qu’on en vendit pour 257 millions et à tous les degrés de la hiérarchie : on y trouve à la fois seize charges de grands maîtres des eaux et forêts vendues près de 2 millions, et des offices de priseurs nobles voyers, experts et greffiers de l’écritoire vendus 286,000 livres. Parmi tous ces offices, qu’il est impossible d’énumérer, ceux de greffiers conservateurs des actes de baptême, de mariage et de sépulture dans chaque paroisse attirent l’attention par les effets imprévus qu’eut leur création et les révoltes qu’elle provoqua. Ce n’était pas le désir d’assurer la conservation des actes de l’état civil, alors tenus par le clergé, qui la motiva : la pensée du fisc se révèle par l’établissement d’un droit pécuniaire que perçurent, sur les actes auxquels ils étaient préposés, ces nouveaux fonctionnaires, dont les charges (avec celles, il est vrai, de greffiers des insinuations et de notaires apostoliques) furent achetées 14 millions 1/2. Leur institution fut ensuite complétée par celle de contrôleurs des mêmes actes, qui produisit encore quelques centaines de mille livres, et Saint-Simon l’a marquée de ses traits incisifs : « Cet édit fut extrêmement onéreux et odieux. Les suites, et promptes, produisirent une étrange confusion ; les pauvres et beaucoup d’autres petites gens baptisèrent eux-mêmes leurs enfans et se marièrent sous la cheminée, par consentement réciproque, devant témoins. Par là, plus d’extraits baptistaires, plus de certitude des baptêmes, par conséquent des naissances, plus d’état pour les enfans de cette sorte de naissances qui put être assuré. On redoubla donc de rigueur contre des abus si préjudiciables… Du cri public et des murmures on passa à la sédition en quelques lieux ; elle alla si loin à Cahors qu’à peine deux bataillons armés purent empêcher les paysans de s’emparer de la ville… On eut grand peine à dissiper le mouvement dans le Quercy… En Périgord, les paysans se soulevèrent tous, pillèrent les bureaux, se rendirent maîtres d’une petite ville et de quelques châteaux. »

Le roi ne se borne pas à convertir, à prix d’argent, en offices héréditaires les services de l’état, il détruit ce qui reste des franchises et des libertés locales en s’emparant des charges municipales existantes ou en en créant de nouvelles pour les ériger en offices royaux et les vendre. Il allègue (édit d’août 1692) « que la cabale et les brigues ont eu le plus souvent beaucoup de part à l’élection des maires dans les principales villes,.. que les officiers ainsi élus, pour ménager les particuliers auxquels ils sont redevables de leur emploi et ceux qu’ils prévoient devoir leur succéder, ont surchargé les autres habitans des villes, et surtout ceux qui leur ont refusé leurs suffrages ; » et il établit en titre d’office héréditaire, en chaque ville et communauté, excepté à Paris et à Lyon, « un conseiller maire » qui jouira des honneurs et des émolumens dont les maires anciens ont toujours joui et de nouveaux privilèges qu’il accorde ; il crée en même temps des assesseurs des prévôts des marchands de Paris et de Lyon, et des maires des autres villes, et ordonne qu’à l’avenir la moitié des échevins, jurats, capitouls seront élus parmi ces assesseurs. On ne sait pas ce que furent vendus ces offices ; l’intendant du Languedoc écrivait le 28 décembre : « Les soumissions pour les charges de maires s’élèvent déjà à plus de 800,000. » Quelques villes essayèrent aussitôt d’obtenir, à force d’argent, sinon la révocation, du moins la modification du nouveau système. Dijon offrit 100,000 livres pour le rachat de l’office de maire et 50,000 pour celui des offices d’assesseurs ; ce qui fut accepté. Les consuls de Toulon demandèrent à acheter les charges municipales créées dans cette ville, et l’intendant de Provence leur proposa déverser 130,000 livres, « moyennant quoi on leur donnerait gratis ces charges ; » mais la négociation échoua.

Cependant, en 1714, après le traité d’Utrecht, le roi, reconnaissant que les ventes des charges municipales « n’avaient pas eu dans les derniers temps le succès qu’il s’en était promis, » non-seulement supprima celles qui restaient à vendre ou à réunir, rendant aux communes la liberté de les faire exercer par ceux qu’elles voudraient nommer, mais il leur permit de déposséder les acquéreurs et titulaires des offices déjà vendus, « en les remboursant toutefois en un seul et même paiement de ce qu’ils auront payé, tant en principal qu’en frais et loyaux coûts. » — L’état conserve les sommes qu’il a reçues et exige qu’elles soient rendues par les villes et les communes à ceux qui les ont payées.

En même temps que le trésor exploitait ainsi à son profit le trafic des fonctions de l’état et de celles des municipalités, il s’adressait aux professions commerciales et industrielles pour les réglementer et les monopoliser entre les mains d’une foule d’officiers auxquels elles n’échappaient qu’en s’imposant elles-mêmes un sacrifice pécuniaire considérable. « On créa, dit Voltaire, des charges ridicules, toujours achetées… Ainsi on inventa la dignité de conseillers du roi rouleurs et courtiers devin, et cela produisit 180,000 livres. Ou inventa des conseillers du roi contrôleurs aux empilemens de bois, des conseillers de police, des charges de barbiers-perruquiers, des contrôleurs-visiteurs de beurre frais, des essayeurs de beurre salé. Ces extravagances font rire aujourd’hui, mais alors elles faisaient pleurer. »

Une foule de métiers furent en quelque sorte confisqués au profit du trésor et devinrent des monopoles. On n’eut plus la liberté de se faire essayeur d’or, emballeur, essayeur de bière, etc. Parmi ces folies, celle qui créa des offices héréditaires de barbiers-perruquiers a été souvent signalée à la risée publique ; elle a cependant son côté sérieux, car aucune ne montre à ce point combien l’administration était aveugle et irréfléchie. On commença par créer à Paris (1691) 100 charges de barbiers-perruquiers qui furent vendues 300,000 livres ; dans les provinces, le prix de charges semblables (avec celui d’offices de contrôleurs et essayeurs d’étain, qui furent négociés en même temps) s’éleva à un peu plus d’un million. Leur nombre s’accrut successivement : de 1689 à 1714, on en créa 550. À moins d’avoir des lettres du grand sceau, personne ne put raser et coiffer sans s’exposer à une amende de 500 livres. On ne s’arrêta pas dans cette voie et le monopole des perruquiers fît établir un droit de Contrôle sur les perruques par un édit (janvier 1706) dont les termes ne peuvent être passés sous silence. « L’usage des perruques, dit le roi, étant devenu très commun et ne contribuant pas moins à l’ornement de l’homme qu’à sa santé, nous avons créé des lettres de maîtrise,.. afin que le public pût être mieux servi et avec fidélité ; mais comme nous sommes informés que plusieurs particuliers, sans expérience et sans titres, s’ingèrent à faire des perruques et ôtent aux maîtres l’avantage qu’ils ont espéré tirer de leurs lettres, nous croyons que le moyen le plus sûr pour empêcher ces abus et le préjudice que le public en souffre est de faire marquer à l’avenir toutes les coiffes des perruques qui seront faites par les perruquiers et de les faire exercer, au moyen de quoi ceux qui travaillent sans lettres seront facilement découverts… » Le fisc d’ailleurs y trouvait son compte, car le droit du contrôle des perruques fut aussitôt affermé moyennant 210,000 livres par an. Il est vrai que, six mois après, des réclamations très vives s’étant élevées dans un grand nombre de villes, et notamment à Marseille et à Lyon, le directeur des finances, Desmarets, qui, le 18 avril, recommandait instamment aux intendans « d’accorder au fermier du contrôle des perruques et à ses commis toute la protection nécessaire, » écrivait le 11 juillet : « … Mais ce droit est si odieux et les difficultés pour en faire la levée sont si grandes qu’il serait à désirer qu’on n’y eût jamais songé, et je doute qu’on puisse conserver cet impôt. » En effet, le roi, informé que le contrôle sur les perruques ruinerait un grand nombre de familles, ne tarda pas à le supprimer ; mais le monopole des officiers barbiers-perruquiers fut maintenu[30].

Quand des offices étaient créés dans une corporation déjà constituée, ses membres les achetaient pour les éteindre et ne pas voir s’élever à côté d’eux une corporation rivale.

Dans les communautés d’arts et métiers qui avaient conservé la libre élection de leurs administrateurs, « on établit au lieu et place des jurés électifs des jurés en titre d’office, qu’une perpétuelle application et l’intérêt de la conservation de leurs charges, qui répondront des abus et des malversations qu’ils pourront commettre, engageront avec plus d’exactitude et de sévérité à l’observation des ordonnances (édit du 14 mars 1691). » On pourrait croire qu’une pensée d’ordre a inspiré cette mesure ; mais on a soin de déclarer dans l’édit qu’on espère « en tirer dans les besoins présens quelque secours pour soutenir les dépenses de la guerre. » Le fisc cherche ainsi toujours à se parer d’une apparence d’intérêt public. En voici un plus curieux exemple. Le roi (édit d’août 1691), « qui veut faire régner l’abondance dans sa bonne ville de Paris et autres, pour la satisfaction et la plus grande commodité de ses sujets, » a reconnu « que trois ou quatre particuliers, qui font le commerce des huîtres à l’écaille, s’en sont tellement rendus maîtres que ses sujets n’en ont que tant et autant que bon leur semble ; qu’ils les vendent souvent à des prix excessifs et que même il en manque quelquefois à Paris, faute de personnes qui prennent soin d’en faire voiturer ; » il croit donc utile de créer des pourvoyeurs vendeurs d’huîtres à titre d’office, mais en même temps, il en lire un prix de 125,000 livres.

Dans les métiers qui n’avaient ni maîtrises ni jurandes, des syndics héréditaires furent institués. Les corporations, craignant de voir des étrangers s’immiscer dans leurs affaires, demandèrent à acheter ces offices. L’administration, qui ne voulait que de l’argent, y consentit. Rouen se racheta ; les six corps de marchands de Paris donnèrent 624,000 livres.

Mais les communautés qui achetaient ainsi des offices pour les éteindre n’étaient pas garanties contre une création nouvelle. En 1696, elles acquirent en partie, pour 666,000 livres, des charges de trésoriers des bourses communes et, quelques années après, en 1701, des offices absolument semblables étaient institués sous le nom de trésoriers-receveurs et payeurs des communautés, en violation des droits que celles-ci avaient acquis.

Le besoin d’argent l’emportait sur tout. Les députés du commerce se plaignirent d’un édit (octobre 1704) qui créait, en titre d’office, des inspecteurs généraux des manufactures dans chaque généralité, des commissaires-contrôleurs visiteurs dans chaque lieu de fabrique de toiles et dans toutes les villes de commerce, et des concierges ou gardes des halles aux draps et toiles en leur attribuant la perception de certains droits : le contrôleur-général crut faire droit suffisamment à leurs réclamations en informant (25 novembre 1704) les intendans que « Sa Majesté préféroit, au produit de la vente de tous ces offices, qui auroit pu monter à 3 millions, de prendre du commerce une somme certaine de 1,200,000 livres, que les députés ont fait entendre que les corps de marchands des principales villes pourroient fournir pour aider le roi… et de permettre à ceux qui fourniront cette somme de lever à leur profit des droits sur les marchandises pour les indemniser. »

Le nombre des offices concernant les communautés d’arts et métiers fut si considérable, qu’en 1710 on créa dans chaque généralité deux contrôleurs et deux trésoriers payeurs de leurs gages.

De 1689 à 1714, le prix des offices de toute nature créés dans les professions commerciales et industrielles s’éleva jusqu’à 94 millions.

Les inconvéniens et les dangers de ces créations, auxquelles on ne saurait donner le nom d’un système financier, étaient d’ailleurs si bien sentis que le gouvernement ne manquait pas de chercher à les atténuer par des suppressions dès que les circonstances, par exemple le rétablissement de la paix, paraissaient le lui permettre. Après le traité de Ryswick, on supprima 50 offices de secrétaires du roi pour les réduire au nombre de 300, d’autres charges et plusieurs privilèges attribués aux officiers des chancelleries près les cours supérieures et les présidiaux. On put employer aux remboursemens que nécessitaient ces suppressions une partie des 61 millions que la conversion des rentes laissa disponibles ; mais, l’année suivante, le trésor, manquant de fonds, fut obligé de créer 600,000 livres de nouvelles augmentations de gages. Après le traité d’Utrecht, à la fin de 1714, différentes charges furent supprimées : celles de syndics, celles de payeurs et contrôleurs des rentes en partie, et beaucoup d’autres ; mais, pour rembourser les titulaires des offices supprimés, après la liquidation de leurs finances, on constitua 1,500,000 livres de rentes au denier 25 (au capital de 37,500,000 livres), et ce remboursement en rentes à 4 pour 100 n’était, dans l’état du crédit, ni complet ni juste ; il avait, à un moindre degré, le caractère des opérations qui, l’année précédente, avaient converti et réduit les rentes. D’ailleurs, ce capital était insuffisant, et, à la mort de Louis XIV, une somme énorme restait due pour le remboursement des finances des offices supprimés.

Tantôt les nouveaux officiers recevaient des gages du roi, et la finance qu’ils payaient était un emprunt que le trésor n’encaissait qu’en s’engageant à en payer l’intérêt ; tantôt aussi ils étaient rétribués au moyen de perceptions et de redevances qu’ils étaient autorisés à lever sur le public ; alors la création de l’office, qui restait un emprunt pour l’état, devenait une imposition pour la ration. Ce fut le mode adopté pour un grand nombre d’offices commerciaux et industriels : il fut appliqué plus rarement aux fonctions publiques.

Les gages des nouveaux officiers et les augmentations de gages des anciens, quand ils étaient payés par le trésor, et c’était le cas le plus fréquent, constituaient des charges annuelles qu’accroissaient chaque année les opérations nouvelles, et qui, le plus souvent assignées directement sur les revenus ordinaires, en diminuaient le produit net, alors que la prolongation de la guerre, l’appel au crédit sous les formes les plus diverses, la variation des monnaies, les disettes, se réunissaient pour atteindre la richesse publique et privée, les impositions, les revenus bruts de l’état dans leurs sources les plus productives.

Cependant, tandis que les revenus publics décroissaient, les affaires extraordinaires avaient pour effet de rendre le poids des impôts plus lourd pour les populations. Les exemptions et les privilèges accordés, sans mesure, aux acquéreurs des nouveaux offices aggravaient la charge d’une partie des contributions, en diminuant le nombre de ceux qui les supportaient. On exempta de la taille, du logement des gens de guerre, de l’ustensile[31], des fonctionnaires importans, comme les trésoriers généraux à Paris, et des agens d’un ordre peu élevé, comme les greffiers des actes de l’état civil ; les maires, les lieutenans de maires, les assesseurs, les jurats, les capitouls, dans les villes et dans les villages ; les subdélégués des intendans et les officiers des présidiaux et des greniers à sel ; les contrôleurs des exploits et même les greffiers de l’écritoire des revues et logemens des gens de guerre, etc. En 1691, l’intendant de Guyenne cite déjà un receveur des consignations, « qui a acheté sa charge 1,500 livres, et qui prétend se faire exempter de 400 livres de taille et d’ustensile qu’il a payées jusque-là. » Dans une autre dépêche, il signale la moindre ville de son intendance comme ayant au moins dix exempts, sans compter les maires, les procureurs du roi et greffiers : « Ces exemptions, dit-il, se multiplient dans des lieux où les offices sont complètement inutiles, au profit même des gens les plus haut imposés. Dans un an, il n’y aura plus dans toutes les paroisses que les plus misérables pour payer les subsides. » À la même époque (novembre 1691), l’intendant de Touraine envoie la liste des privilégiés de nouvelle création, « qui prétendent être exempts de l’ustensile, bien que les édits ne parlent que du logement. » Ils sont au nombre de 4,275. Huit ans après (le 28 septembre 1699), il écrit que « toute l’application des gens riches… est de parvenir à quelque titre coloré pour se rendre maîtres et jouir de privilèges qu’ils n’ont pas même au sujet de la taille,.. où on se fait modérer et souvent mettre à un taux modique. » L’intendant d’Orléans (octobre 1699) « trouve dans toutes les petites villes un si grand nombre d’officiers exempts de tailles que c’est un accablement pour les pauvres artisans. » Le roi lui-même reconnaît (édit d’août 1705), « qu’il a créé différens offices de judicature, police et finance, auxquels il a attribué des exemptions et des privilèges, pour s’en procurer le débit avec facilité. Les plus riches habitans des paroisses les ayant acquis, le nombre des exempts et privilégiés est tellement multiplié qu’à peine reste-t-il un nombre suffisant de contribuables pour porter les charges, ce qui a rendu les recouvremens si difficiles, qu’il n’est pas moins de sa justice que de son intérêt d’y pourvoir et de révoquer une partie de ces privilèges et de ces exemptions. » Mais l’édit a soin d’ajouter : « sans supprimer les offices ; » et, allant au-devant des plaintes des officiers auxquels il retire quelques-uns des avantages qu’ils ont achetés à prix d’argent, il déclare « que les gages et les droits attribués aux offices sont plus que suffisans pour indemniser ceux qui les ont acquis de la finance qu’ils ont payée. » Cet édit ne révoqua d’ailleurs qu’une partie des exemptions et des privilèges déjà concédés et n’interdit pas d’en concéder dans l’avenir. L’année suivante, on en accordait de nouveaux à des offices créés dans les hôtels de ville avec attribution de la noblesse, et à beaucoup d’autres.

Toutes les affaires extraordinaires furent, en même temps, d’autant plus onéreuses à l’état que, le plus souvent, il ne pouvait les négocier directement et qu’il devait recourir à des intermédiaires avec lesquels il traitait et qui traitaient à leur tour avec le public. Ces traitans profitaient des embarras du trésor pour lui imposer des conditions excessives et pour réaliser des bénéfices considérables ; mais ils se chargeaient des affaires difficiles et ils en avançaient le produit. Ces avances avaient un grand intérêt pour le trésor, toujours vide. Leurs procédés rigoureux rendirent souvent ces traitans odieux aux populations. Les consuls d’Aix ayant refusé d’acquérir, en 1695, quatre offices de jurés crieurs d’enterremens, un traitant les prit, et il fallut « protéger ses préposés contre les outrages et les mauvais traitemens de la population. » Une circulaire du 28 mai 1705 rappelle aux intendans « qu’on se plaint souvent des frais que font les commis des traitans pour le recouvrement des affaires extraordinaires, et surtout des garnisons qu’ils établissent de leur pure autorité. Il importe, pour le bien du service, de ne pas laisser aux traitans la liberté entière de ces garnisons… » Cependant le contrôleur général se garde bien d’interdire aux traitans l’emploi de ce moyen violent de contrainte ; il s’en rapporte à la prudence des intendans du soin de « leur permettre de s’en servir dans les occasions où il sera nécessaire pour assurer les recouvremens[32]. »

Les traitans avaient droit, pour rémunération de leurs services, à un sixième de la somme qu’ils versaient au trésor : c’était leur remise en dedans, et, en outre, à une remise en dehors de 2 sous pour livre que payaient ceux avec lesquels ils avaient traité, en sus de leur finance : plus de 26 pour 100. Toutefois ces allocations n’avaient rien de fixe ; quelquefois ils avaient plus, et quelquefois moins. De 1689 à 1708, pour 644,600,000 livres de finances, ils touchèrent 90,100,000 livres de remises en dedans, et 51,100,000 livres de remises en dehors ; en tout, 141,200,000 livres, tandis que le trésor encaissa 554 millions de livres : leurs commissions furent donc de plus de 25 pour 100[33]. Des bénéfices si considérables ne pouvaient rester inaperçus : sans doute ils n’étaient que le résultat de conventions librement acceptées, et toujours même recherchées par l’état ; mais cette considération n’avait pas alors la valeur qu’elle aurait aujourd’hui. Les traitans furent en conséquence, en 1701, imposés à une taxe spéciale de 24 millions, « Bien que cette taxe fût juste et modérée, dit Forbonnais[34], elle n’était pas opportune. C’est quand on est résolu à se passer des traitans et qu’on a les moyens de le faire, qu’on peut réclamer contre le prix excessif qu’ils ont mis à leur argent : ils trouvèrent le secret de se dédommager amplement. »

Si, au point de vue pécuniaire et financier, les créations et les ventes d’offices ne peuvent être justifiées, elles sont plus déplorables encore au point de vue administratif et moral. L’institution et la distribution des fonctions publiques ne sont plus qu’un commerce : les expressions qui deviennent de style dans la correspondance officielle du contrôleur-général et des intendans en fournissent la preuve, aussi curieuse qu’irrécusable.

Au mois de novembre 1689, l’établissement d’un présidial au Puy a été résolu, et Pontchartrain écrit à l’intendant du Languedoc : « Il ne reste plus que de savoir si on débitera ces offices en détail ou si ce sera par traité, si on les débitera, dès à présent, au profit du roi ou si Sa Majesté ne trouverait pas mieux son compte à en charger la province… Il sera toujours bon de vous assurer de marchands pour les débiter. » — Quelques semaines après (28 décembre 1689), c’est par une circulaire que le contrôleur-général recommande aux intendans de faciliter le débit des charges de grands-maîtres et de maîtres particuliers des eaux et forêts ; dans cette vue, il leur annonce « que le roi avait résolu de n’admettre personne qui fût du ressort de la charge qu’il demanderait ; mais il a depuis reconnu que la convenance du pays est ce qui détermine beaucoup de gens à entrer dans ces charges, même à en augmenter le prix. » — Les intendans, de leur côté, emploient journellement dans leur correspondance les mêmes expressions ; celui de Provence écrit en mai 1691 : « Si les traitans des offices de receveurs ne débitent pas leur marchandise aussi vite que je le souhaiterais, ce n’est point par défaut de protection,.. mais parce que l’argent diminue et que le grand nombre des offices qui ont été mis en vente en même temps fait que le débit des uns nuit au débit des autres[35]. »

Les charges sont tellement considérées comme une marchandise qu’on se préoccupe de la concurrence et du tort que leur vente pourra faire à la vente et au prix des terres, à la négociation des rentes qu’émettent dans les provinces les états et les villes, au crédit du commerce. Non-seulement ce sont des biens comme les terres, mais, comme les terres, on les hypothèque. En mai 1693, il s’agissait de faire acheter, au prix de 25,000 ou 30,000 livres, par les conseillers du parlement de Tournai l’hérédité dont ils ne jouissaient pas encore, et l’intendant des Flandres écrit : « Il n’y en a pas un qui ait cette somme ; l’argent en ce pays est entre les mains des banquiers et des marchands, qui ne savent ce que c’est qu’une hypothèque privilégiée sur une charge, et qui aimeront mieux une lettre de change sur une personne qu’ils croiront solvable sans la connaître que ce privilège, qui nous paraît la meilleure de toutes les sûretés[36]. » Aussi on va jusqu’à demander pour cette nature spéciale de propriété des dispositions et des garanties dans les conventions diplomatiques.

Quand on ne parvenait pas à assurer par les procédés du commerce le débit des offices, on recourait à des moyens plus énergiques, dont l’emploi a besoin d’être attesté par des documens officiels pour ne pas être révoqué en doute. On sait que, quand les élus et les assesseurs, chargés de l’assiette de la taille et d’autres impositions, avaient arrêté les rôles, les intendans avaient le pouvoir de taxer d’office les contribuables qui étaient parvenus à se soustraire à l’impôt ou d’augmenter d’office la taxe de ceux qui n’étaient portés au rôle que pour une somme insignifiante. Ils imaginèrent d’imposer sans raison des taxes d’office à ceux qu’ils voulaient contraindre à acheter des charges nouvellement créées et qui devaient ou payer la taxe ou acheter la charge. — Le 6 mars 1703, l’intendant du Berry annonce « qu’il a fait, lors du dernier département, 600 ou 700 taxes d’office pour débiter les charges de syndics dans les paroisses de la généralité. Elles sont toutes levées par cette voie ; je me dispose, dit-il, d’en faire autant cette année pour les charges de vérificateurs. — Celles d’élus-contrôleurs n’ayant été levées que dans les élections des villes taillables,.. je me suis fait nommer les personnes les plus propres par leur bien, leur âge et leur état à les remplir ; j’ai fait en même temps trois taxes d’office, l’une à la taille pour la ville de La Charité, une à l’ustensile et à la capitation pour la ville de Bourges, et une à la capitation pour la ville d’Issoudun, qui n’a pas d’ustensile. Celui qui a été taxé à La Charité a levé la charge : c’est une chose consommée ; celui qui a été taxé à Bourges m’a été mal indiqué,.. Un sieur de Villecourt m’a été indiqué pour Issoudun : le motif de la taxe est pour le prier de lever la charge de l’élection d’Issoudun. C’est un homme qui a 80,000 ou 100,000 livres de biens ; c’est un garçon jeune, très oisif, qui a été tenté de toute sorte de charges et qui ne saurait se déterminer. Si vous ne lui faites concevoir aucune espérance de modérer sa taxe et que vous le renvoyiez seulement à moi pour lui faire justice, je suis assuré ou qu’il lèvera la charge, ou qu’il trouvera quelqu’un pour la lever, ou qu’il fera trouver de l’argent à l’élection, qui, dans ce cas, s’obligera en corps à l’emprunter. » — Ce n’était pas là un acte isolé, l’acte d’un intendant qui voulait faire du zèle ; car, deux ans après, le contrôleur-général lui-même mande à l’intendant de Tours « que le conseil se repose sur l’engagement qu’il a pris de faire débiter les offices de vérificateurs particuliers soit par le moyen de taxes d’office, soit par la réunion aux paroisses. »

Mais l’administration revient à des procédés qui se rapprochent davantage de ceux du commerce quand Desmarets, alors directeur des finances, écrit (26 mai 1706) à l’intendant d’Orléans : « Afin d’assurer ou de faciliter le débit des offices de juges-gruyers, chargés de connaître du fait des bois ou de la chasse dans les justices seigneuriales, sans user directement de contrainte envers les seigneurs, on a fixé la finance sur un pied assez bas en laissant des délais suffisans pour lever les charges ; mais s’ils en ont besoin, on fera craindre une recherche et des poursuites auxquelles on n’a pas réellement dessein de procéder ; » ou quand le contrôleur-général blâme le premier président du parlement de Besançon d’avoir retardé la réception de nouveaux présidons et conseillers pour installer son neveu, qui vient d’acheter une charge ancienne : « Pour favoriser le débit de la création, le roi défend de recevoir aux anciennes charges avant que les nouvelles soient toutes remplies et leurs acheteurs reçus[37]. »

Ce trafic est si nécessaire au trésor qu’il est difficile de ne pas sacrifier au désir de le rendre plus facile et plus fructueux, soit les conditions d’âge, de bonne conduite, d’aptitude, d’instruction qu’on exige ordinairement des officiers publics pour assurer l’exercice honnête et régulier de leurs fonctions, soit même la moralité et la dignité des fonctionnaires.

À la fin de 1689, l’un des grands maîtres des eaux et forêts nouvellement créés, voulant « se dédommager du prix de sa charge, » fait chercher « un marchand de confiance » auquel il adjugera la coupe de bois qui doit produire la plus grosse somme ; « il trouvera moyen de trancher sur les enchères et de se rendre maître, » si on donne 10,000 livres, « dont moitié sera pour lui et le surplus sera partagé entre ceux du complot. » L’intendant du Hainaut, en faisant connaître ce fait coupable, se borne à dire : « Comme toutes les charges de grands maîtres ne sont peut-être pas vendues, et qu’il peut y avoir raison de ne pas chercher à dégoûter ceux qui y pensent en veillant de trop près sur leur conduite, je me contenterai d’empêcher, autant que je pourrai, l’abus, et de vous mander ce que j’aurai appris de l’adjudication. » — En Bourgogne, les greffiers des rôles des tailles réclament le droit de dresser les rôles de l’imposition qui se fait pour l’affranchissement des cens et des rentes ; l’intendant estime que cette demande est mal fondée : « On devrait, écrit-il (18 mars 1694) la rejeter nettement, s’il ne restoit des offices à vendre. »

En Normandie, les magistrats du présidial de Rouen mettent des obstacles à l’installation des conseillers d’honneur qui viennent d’y être créés, et leur refusent le rang qui leur est attribué par l’édit de création, l’intendant s’en plaint (mars 1691) et « demande des lettres de cachet pour punir les principaux opposans. » Une contestation analogue s’élève dans le présidial de Blois, « à propos de la réception d’un valet de garde-robe de Monsieur, qui ayant acquis une charge de conseiller d’honneur, prétend être reçu en épée, bien qu’il n’ait jamais servi, et qui ne peut non plus porter la robe longue, n’étant pas gradué. » En Dauphiné, l’intendant est obligé de soutenir contre les officiers de l’élection de Grenoble, l’acquéreur d’une nouvelle charge d’assesseur, « que ses collègues repoussent comme ayant été joueur de violon et maître de danse[38]. »

Les corps judiciaires les plus élevés n’échappent pas aux conséquences du commerce dont ils sont l’objet. Le premier président du parlement de Guyenne rend compte (24 novembre 1691) des difficultés que présente la vente des charges créées, à l’occasion de la translation du parlement de La Réole à Bordeaux : « Le fils de M. d’Alesme, écrit-il, est en fuite pour avoir tué son père. M. Duval est dans la meilleure volonté, mais dans une impuissance qu’il ne peut vaincre ; on ne peut compter sur ces deux-là. — Je suis revenu à M. le président de La Tresme, dont le fils a déjà pris quelqu’engagement dans l’épée, et qui d’ailleurs a l’étude nécessaire pour être conseiller… Nous l’avons déterminé. Le reste consiste à trouver de l’argent : il en cherche, on en cherche pour lui ; mais c’est chose rare ici. — Je n’en suis pas resté là : le président Lalanne a un fils qui sort du collège et étudie en droit à Paris. Je lui ai proposé de faire cette acquisition ; il a répondu que son fils était un écolier, qu’il avait vingt et un ans, que cet âge non plus que ses affaires ne lui permettaient pas d’y songer ; il a répondu aussi par la disette d’argent. J’ai répliqué par l’intérêt de sa famille et le service de Sa Majesté. Si la qualité d’écolier n’est pas un obstacle et que le roi veuille donner une de ces charges pour 35,000 livres, vous pouvez y compter. Il y a même des raisons de croire que cet exemple pressera M. de La Tresme, auquel cas ce seroit une affaire finie, et le roi auroit encore 10,000 livres au-delà des 300,000. » Deux ans auparavant, le contrôleur-général avait déjà fait connaître au premier président du parlement de Bretagne, « qu’il avoit enfin obtenu que le chancelier ne refuseroit plus aucune dispense d’âge, ni de parenté, et même à l’égard des études, ce qui étoit plus difficile, il se réduit à demander six mois à ceux à qui il manquera le plus de temps. Sur ce pied, ce qui nous reste de charges ne doit pas être difficile à débiter[39]. »

Au surplus, — et ce trait achèvera de caractériser la déplorable faiblesse du gouvernement, — les ministres sont les premiers à condamner leurs actes. Si leurs lettres ne nous avaient pas été conservées, qui pourrait croire aujourd’hui que Pontchartrain écrit au premier président du parlement de Paris, M. de Harlay :

« Le 3 mars 1691. — Voicy deux édits à qui j’ai mis la dernière main depuis vous avoir écrit ce matin. Je vous supplie de les voir. La marchandise est si bonne qu’elle est vendue avant d’être créée ; le traité est fait verbalement ;.. cela ne laisse à souhaiter que d’en avoir souvent de semblables, ou plutôt d’être hors du malheureux besoin d’en faire de semblables. »

« Le 24 mai 1693. — Vous pouvez dire assez de mal de l’édit que vous m’avez renvoyé : je conviens de tout avec vous ; mais, puisque vous convenez aussi avec moi de la triste et malheureuse nécessité qui nous oblige à ce qu’il y a de plus mauvais, je n’ai que trop de raisons de craindre que nous ne soyons forcés de faire pis. En attendant, faisons donc ce mal-ci. »

« Le 10 octobre 1696. — Si cette affaire étoit de votre goût, au lieu de 3 millions qu’on en offre, j’ai des gens en main qui la feroient valoir près de 5, et, pour la rendre de votre goût, faites réflexion… sur l’impossibilité de faire à présent d’autres affaires que les plus diaboliques et sur la cruelle nécessité d’en faire de quelque nature qu’elles soient. »

Et Chamillart, avec moins de hauteur et d’emportement, mais avec la douceur et la résignation plus tristes qui sont dans son caractère :

« Le 28 octobre 1701. — Où propose d’établir des greffes, des hypothèques ;.. c’est une cruelle place que celle des finances quand il faut renouveler la guerre après celle qu’on a essuiée. »

« Le 6 novembre 1701. — Je suis bien fâché d’avoir recours à de pareils moyens ; mais ce n’est pas ma faute ; ni mon cœur ni mon inclination n’y ont part. »

Et, à propos d’un projet de taxe sur les moulins et sur les moutures : « Le 9 avril 1702. — Je consentirois volontiers, aux dépens de la place de contrôleur-général et des appointemens considérables qui l’accompagnent, de n’avoir jamais de pareils objets sous les yeux ; mais Dieu ne l’a pas permis[40]. »

Cependant ni Pontchartrain ni Chamillart ne manquaient de bon sens et de probité ; mais leur situation était fatale. Ils subissaient la pression des événemens sans pouvoir l’atténuer et sans que les mœurs publiques du temps vinssent leur prêter quelque appui : cette pression terrible qui les écrasait avait quelque chose du destin antique.


AD. VUITRY.

  1. Saint-Simon, Parallèle entre les trois premiers rois Bourbons, publié en 1880 par M. P. Faugère, page 89.
  2. Mémoires de Louis XIV, publiés par Ch. Dreyss, tome II, page 375.
  3. Mémoires de Louis XIV, tome II, page 389.
  4. Guizot, Histoire de France, tome IV, page 360.
  5. Comptes de Mallet, pages 286, 314, 343, 358.
  6. Guizot, Histoire de France, tome IV, page 381.
  7. P. Clément, le Gouvernement de Louis XIV, page 80.
  8. Arrêts du conseil du 10 juin et du 8 août 1684. (Manuscrit inédit du ministère des finances.)
  9. Comptes de Mallet. — Les chiffres rapportés par Forbonnais (t. II, p. 15) font même ressortir un déficit de 11 millions.
  10. P. Clément, le Gouvernement de Louis XIV, page 228.
  11. Comptes de Mallet, page 105.
  12. Mémoires de Saint-Simon, tome II, page 226.
  13. Mémoires de Saint-Simon, tome II, page 231.
  14. Ibid., page 420.
  15. Ibid.
  16. Correspondance du contrôleur-général et des intendans, tome II. Appendice, p. 474 et 475.
  17. Mémoires de Saint-Simon, tome V, page 324.
  18. Ibid., page 113.
  19. Comptes de Mallet, page 113.
  20. Mallet, premier commis du contrôle-général, dit dans ses Comptes (page 151) : « Je ne puis me dispenser d’avouer que cet arrangement fut mal reçu du public ; mais on doit convenir aussi avec moi que la plus grande partie des rentes réduites avaient été levées à un titre onéreux pour le roi, et que c’étoit assurer le sort des rentiers, que de retrancher près de 14 millions sur le montant des arrérages annuels ; que le retranchement des 2/5e a opéré une décharge considérable au profit du roi, et que si M. Desmarets avoit attendu pour frapper un coup aussi important que la paix générale eut été faite, il y auroit trouvé plus d’opposition ; car ce n’est que dans les temps de besoin et d’épuisement qu’il est permis au ministre de faire des coups aussi hardis, parce qu’un chacun se prête plus aisément à une situation qui lui est connue, qu’il ne se prêteroit dans des temps moins difficiles. » — Mais Forbonnais, qui écrivait au milieu du XVIIIe siècle, fait remarquer avec raison (tome II, page 254) : « qu’en pareil cas, l’état perd encore plus que les rentiers, puisqu’il se met dans l’impossibilité de faire de longtemps usage du crédit… L’augmentation momentanée des impôts dans les besoins publics est toujours un fardeau plus léger sur les fortunes que les suites d’une révolution sur le crédit national. »
  21. On peut encore mentionner : des sommes perçues sur les bois des ecclésiastiques, 4,500,000 livres ; des sommes perçues sur les îles et îlots, 4,500,000 livres ; une taxe sur les aubergistes, 3,600,000 livres ; confirmation de foires et marchés, 1,800,000 livres ; confirmation de la comptabilité de toutes les charges, 2,500,000 livres.
  22. On citera encore : une augmentation de 30 sous par minot de sel, 2 millions ; droits de jauge et de courtage abandonnés aux fermiers des aides, 1,800,000 livres ; affranchissement des tailles en Dauphiné et en Languedoc, 3 millions ; attribution de droits manuels aux officiers des greniers à sel et désunion des greniers d’avec les élections, 4,300,000 ; aliénation du sixième denier, 5 millions ; une livre d’augmentation sur le suif à Paris pendant onze ans, 2,400,000 livres.
  23. Depping, t. II ; introd., p. 21.
  24. Correspondance du contrôleur-général avec les intendans, t. I, no 740.
  25. Forbonnais, t. II, p. 126.
  26. Lettres du premier président du parlement de Metz (18 février 1703), et du premier président de la cour des aides de Rouen (24 février 1703) au contrôleur général.
  27. On trouve encore : deux charges de gardes du trésor vendues 1,600,000 livres ; et plus tard une seule, 1 million de livres ; des charges de secrétaires du roi et des offices au grand conseil, 8,650.000 livres ; des charges de lieutenans-généraux de police dans les provinces, 3,600,000 livres ; deux offices de trésoriers de l’extra des guerres, 3 600,000 livres ; divers offices de trésoriers des corps composant la maison du roi, 2,684,000 livres.
  28. Sept charges de présidens aux cinq chambres des enquêtes du parlement à 200,000 livres chacune ; quinze charges de conseillers à 100,000 livres avec trois offices de greffiers principaux à la grande chambre ; quatre charges de maîtres à la chambre des comptes à 120,000 livres chacune ; quatre de correcteurs à 50,000 et quatre d’auditeurs à 45,000 livres ; à la cour des aides, deux charges de présidens à 200.000 livres chacune et six de conseillers à 60,000 livres.
  29. Correspondance du contrôleur-général avec les intendans, t. I, II, 756, 771, 881, 939.
  30. Correspondance du contrôleur-général avec les intendans, t. II, no 1014, 1027, 1035, 1050, 1066.
  31. On donnait le nom d’ustensile à la contribution quotidienne allouée aux troupes en quartiers d’hiver. Suivant l’ordonnance du 27 décembre 1675, la levée des sommes destinées à la fourniture des fourrages et au paiement de l’ustensile était faite par les syndics des paroisses, d’après des rôles où elles étaient imposées au sou pour livre de la taille, plus 3 deniers alloués à l’extraordinaire des guerres pour le maniement des deniers.
  32. Correspondance du contrôleur-général avec les intendans, t. I, no 1471, t. II, no 816.
  33. Comptes de Mallet, p. 106 et 108.
  34. Recherches sur les finances, t. II, p. 122.
  35. Correspondance du contrôleur-général avec les intendans, t. I, no 778, 834, 943.
  36. Ibid., no 1184.
  37. Correspondance du contrôleur-général avec les intendans, t. II, no 699, 1257.
  38. Correspondance du contrôleur-général avec les intendans, t. I, no 806, 926 et note.
  39. Ibid., t. I, no 1013 et 1301.
  40. Correspondance administrative sous Louis XIV, t. III. no 99 et 100.