Les Assemblées provinciales en France avant 1789/03

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III.

PROVINCES DU NORD.


I. — CHAMPAGNE.

Les assemblées provinciales créées en vertu de l’édit de 1787 n’ont pas eu la même durée que celles du Berri et de la Haute-Guienne[1] ; elles méritent cependant un coup d’œil de l’histoire, car leur courte existence a prouvé qu’elles renfermaient les mêmes élémens de succès. La première instituée fut celle de Champagne.

La généralité de Châlons, qui avait remplacé l’ancienne province de Champagne, comprenait à peu près les quatre départemens actuels des Ardennes, de l’Aube, de la Marne et de la Haute-Marne. Elle se divisait en douze élections, qui forment aujourd’hui seize arrondissemens, et dont les chefs-lieux étaient Châlons, Rethel, Sainte-Menehould, Vitry, Joinville, Chaumont, Langres, Bar-sur-Aube, Troyes, Épernay, Reims et Sézanne. Encore moins peuplée que le Berri, c’était une des parties de la France le plus accablées par les impôts. On y payait 26 livres 16 sols par tête d’habitant, ou près de deux fois plus qu’en Berri, et la différence ne tenait pas à une supériorité de richesse. « La généralité de Châlons, dit Necker, fait partie des grandes gabelles ; on y est de plus assujetti à toutes les impositions établies dans le royaume, et les travaux des chemins se font par corvées. Le peuple y est généralement pauvre, et l’étendue des impôts y contribue essentiellement. » Aujourd’hui tout a bien changé ; les départemens champenois ont passé des derniers rangs dans les moyens, laissant derrière eux la plupart de ceux qui les dépassaient en 1789.

Ce n’est pas sans doute l’assemblée provinciale qui a beaucoup contribué à cette transformation ; elle n’en a pas eu le temps, mais elle l’a commencée. La Champagne avait tout perdu en perdant ses anciens états. Les états de Champagne, réunis à Vertus en 1358, pendant la captivité du roi Jean, avaient donné le premier signal du soulèvement contre les Anglais. Deux siècles après, malgré ce grand service, ils n’étaient plus qu’un souvenir, car, dans les cahiers dressés en 1560 pour les états-généraux d’Orléans, la noblesse de Champagne se plaignait qu’on les laissât tomber en désuétude. L’institution des élections et des généralités remonte en effet à cette époque, ainsi que le constate Bodin dans sa République. La Champagne avait sous ses comtes beaucoup plus d’étendue que la généralité de Châlons ; elle comprenait la Brie et arrivait jusqu’aux portes de Paris, les villes de Sens et de Provins lui appartenaient. Or, d’après tous les documens locaux, ces différentes villes avaient eu autrefois beaucoup plus d’habitans qu’à la fin du dernier siècle ; les foires de Champagne étaient, au moyen âge, célèbres dans toute l’Europe.

L’assemblée qui allait rendre à cette province ses anciennes franchises se composait de 48 membres ; elle se réunit à Châlons, chef-lieu de la généralité. La Champagne l’accueillit avec joie, sans discuter sur des questions surannées de forme et d’origine. Dès 1779, l’académie de Châlons, entrant dans les vues de Necker, avait proposé un prix dont les fonds étaient faits par le baron de Choiseul, ambassadeur à Turin, pour le meilleur mémoire sur les assemblées provinciales.

Le président nommé par le roi, M. de Talleyrand-Périgord, archevêque-duc de Reims, premier pair de France et légat-né du saint-siège, appartenait par sa naissance à une ancienne maison souveraine. Le siège de Reims donnait 60, 000 livres de rentes, et M. de Talleyrand-Périgord y joignait les titres d’abbé de Saint-Quentin et de Cercamps, qui portaient ses revenus à plus de 100,000 livres. Comme l’archevêque de Bourges, il s’occupait activement des intérêts matériels de son diocèse ; l’agriculture et l’industrie lui devaient de nombreux encouragemens. Il est mort en 1821 archevêque de Paris et cardinal. Auprès de lui siégeaient deux autres prélats, M. de Barral, évêque de Troyes, et M. de Clermont-Tonnerre, évêque-comte de Châlons, parent de ce célèbre évêque de Noyon sous Louis XIV qui n’appelait le pape que Monsieur de Rome, et mort lui-même en 1830 archevêque de Toulouse et cardinal, après avoir rappelé dans une occasion bien connue la fière devise de sa famille : Etiamsi omnes, ego non. Le quatrième prélat de la province, M. de La Luzerne, évêque-duc de Langres, ne figurait pas parmi les membres de l’assemblée ; il n’avait pas voulu sans doute accepter la présidence de l’archevêque de Reims, dont il se prétendait l’égal par l’ancienneté de son siège.

Après les évêques venaient les abbés des deux plus grands monastères de la Champagne, l’abbaye de Clairvaux, fondée par saint Bernard dans la vallée de l’Aube, une des plus riches et des plus magnifiques de France, et celle de Morimond en Bassigny, un peu moins célèbre, mais dont dépendaient les cinq ordres de chevalerie de l’Espagne. Toutes deux, étant en règle, avaient pour abbés de véritables moines. Puis siégeaient deux jeunes abbés commendataires, destinés tous deux à jouer un grand rôle politique. L’un, neveu de l’archevêque, qu’on appelait alors l’abbé de Périgord et qui devait s’appeler un jour le prince de Talleyrand, n’était encore, quoiqu’il eût plus de trente ans, qu’abbé de Saint-Denis, dans le diocèse de Reims, et ne devait être promu au siège d’Autun que l’année suivante. Rien n’annonçait la future grandeur de ce personnage équivoque et mécontent, fait prêtre malgré lui, parce qu’une chute l’avait rendu infirme, froidement spirituel, novateur hardi, railleur, hautain, paradoxal, ambitieux profond et prêt à tout, qui avait voulu, par amour de l’effet, se faire présenter publiquement à Voltaire, et qui, agent général du clergé pendant la guerre d’Amérique, avait eu la singulière fantaisie d’armer à ses frais un corsaire contre les Anglais. L’autre, M. de Montesquiou-Fezensac, abbé de Beaulieu dans le diocèse de Langres, avait succédé à l’abbé de Périgord comme agent général du clergé, et devait bientôt entrer avec lui à l’assemblée nationale ; homme d’esprit aussi, instruit, éclairé, sans préjugés, mais moins amer et moins inquiet, d’un caractère bien autrement sincère et désintéressé, d’une éloquence douce et persuasive, qui, après avoir tenté vainement en 1789 la conciliation de l’ancien et du nouveau régime, a été en 1814 un des principaux auteurs de la charte, et qui, ayant occupé les plus hauts emplois, est mort dans une modeste retraite.

Les deux ordres de la noblesse et du tiers-état n’offraient pas de noms aussi éclatans. Le comte de Brienne, frère du premier ministre, fit un moment partie de l’assemblée ; mais, appelé presque aussitôt au ministère de la guerre, il fut remplacé par son fils, le vicomte de Loménie. On peut remarquer aussi dans la noblesse M. Lerebours, président au parlement de Paris : un représentant de l’ordre de Malte, qui avait de grands biens dans la province ; le comte de Choiseul-d’Aillecourt et le marquis d’Ambly, qui furent tous deux députés aux états-généraux. Le tiers-état présentait cette particularité, que des membres de la noblesse ayant accepté les fonctions de maires avaient consenti à y figurer. Tels étaient M. de Souyn, maréchal de camp et maire de Reims ; M. de Brienne, maréchal de camp et maire de Bar-sur-Aube ; le comte de Pons, maire de Châlons. Ainsi s’effaçait tous les jours par le fait la vieille distinction entre les ordres. Parmi les autres membres du tiers-état se trouvaient M. Leblanc, correspondant de la Société d’agriculture de Paris, et M. Quatresous de Parctelaine, grand marchand de vin d’Epernay, qu’Arthur Young a visités l’un et l’autre en 1789, — le premier pour ses moutons d’Espagne et ses vaches de Suisse, le second pour ses vastes caves.

La réunion préparatoire pour les élections ayant eu lieu au mois d’août, la véritable réunion commença le 17 novembre, jour fixé pour la réunion des assemblées provinciales dans toute la France. Elle se tint dans la grande salle de l’hôtel-de-ville de Châlons, sous la présidence de l’archevêque. M. Rouillé d’Orfeuil, intendant, prononça le discours d’inauguration. L’administration des intendans s’était fort améliorée depuis l’avènement de Louis XVI, et M. Rouillé d’Orfeuil en particulier avait fait preuve de talens et de bonnes intentions ; l’archevêque lui exprima la reconnaissance de la province. Il fut donné lecture dans cette séance du règlement arrêté par le roi pour les assemblées provinciales, ainsi que de l’instruction ministérielle qui l’accompagnait. Divisé en cinq sections, ce règlement comprenait les assemblées d’élection et de municipalité ; c’était la charte complète de la nouvelle organisation. L’instruction entrait dans plus de détails encore et péchait beaucoup plus par l’excès que par le défaut des prescriptions. Le tout avait pour but de régler avec précision les relations des assemblées avec les intendans, de manière, y était-il dit, que la liberté qu’il convient de laisser à l’action de chaque partie ne puisse jamais altérer le concours et la surveillance mutuelle qu’exige l’intérêt de la province. Nous donnons ces détails une fois pour toutes, les mêmes formalités s’étant reproduites partout à l’ouverture de chaque assemblée provinciale.

L’intendant déposa en même temps sur le bureau la récente déclaration du roi pour l’entière liberté du commerce des grains, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. L’édit de 1774, rendu sous le ministère de Turgot, ne portait que sur la circulation des grains à l’intérieur ; la liberté d’exportation avait été plusieurs fois depuis donnée et retirée. La nouvelle déclaration l’établissait définitivement, le roi ne se réservant que le droit de la suspendre pendant un an, et seulement pour les provinces qui le demanderaient par l’organe de leurs représentans. » Nous nous sommes convaincus, disait le préambule, que les mêmes principes qui réclament la liberté de la circulation des grains dans l’intérieur de notre royaume sollicitent aussi celle de leur commerce avec l’étranger, que la défense de les exporter, quand leur prix s’élève au-dessus d’un certain terme, est inutile, puisqu’ils restent d’eux-mêmes partout où ils deviennent trop chers, qu’elle est même nuisible, puisqu’elle effraie les esprits, qu’elle presse les achats, qu’elle resserre le commerce, qu’elle repousse l’importation, enfin que la hausse des prix, pouvant être provoquée sur plusieurs marchés par des manœuvres coupables, ne saurait indiquer le moment où l’exportation pourrait être dangereuse. » On sait ce que les gouvernemens suivans ont fait de cette liberté précieuse, proclamée par Louis XVI; il n’a pas fallu moins de trois quarts de siècle pour la reconquérir.

L’assemblée reçut aussi communication de la déclaration du roi pour la conversion de la corvée en une prestation en argent. Louis XVI y chargeait les assemblées provinciales de lui proposer, dès leurs premières séances, les mesures qui leur paraîtraient les plus convenables pour régler le mode de conversion. Des instructions spéciales sur l’agriculture avaient été rédigées à Paris et envoyées par le gouvernement à toutes les provinces. « En comparant, y était-il dit, les différentes parties du royaume, soit entre elles, soit avec les royaumes voisins où la culture est plus florissante, on doit croire que, si les récoltes sont médiocres, même dans les terrains fertiles, si les essais pour tirer parti des jachères ont été infructueux, si enfin les nouvelles cultures qu’on a cherché à introduire n’ont pas eu tout le succès dont on s’était flatté, c’est au défaut de fumier et d’engrais qu’on doit principalement en attribuer la cause. Ce défaut d’engrais annonce l’insuffisance du nombre de bestiaux. Les assemblées provinciales doivent donc s’occuper des moyens d’introduire dans les campagnes un système de culture propre à les augmenter. Avant de chercher à les multiplier, il faut assurer leur subsistance. Un des principaux moyens pour y parvenir est la formation des prairies artificielles, et il est à désirer que les assemblées provinciales s’attachent à favoriser ce genre de culture. Indépendamment des instructions qu’elles peuvent publier, des distributions gratuites de graines, au moins sous la forme de prêt, seraient un grand encouragement. Ces assemblées pourraient proposer des gratifications en bestiaux aux cultivateurs qui auraient mis en bon rapport un certain nombre de prairies artificielles. Les turneps. les betteraves et les pommes de terre, cultivés en plein champ et à la quantité de plusieurs arpens, fournissent encore une ressource précieuse pour la nourriture des animaux pendant l’hiver. » Puis venaient des instructions non moins bien conçues sur l’amélioration des races de bétail, les labours à plat, la moisson à la faux, l’assainissement des terres humides, le chaulage des blés, l’usage des meules pour les récoltes, le perfectionnement de la mouture, l’extension des plantes textiles. « C’est aux riches propriétaires à donner l’exemple, disait en terminant la circulaire ministérielle ; leurs leçons seront plus utiles quand leurs essais présenteront des résultats, et ils pourront accroître leur aisance personnelle en devenant les bienfaiteurs de leurs concitoyens. »

L’archevêque-président ouvrit la session par un discours où se trouvait le passage suivant : « Une administration sage, égaie et permanente va s’établir dans la répartition des impôts. La propriété, le premier objet du code politique dans toutes les constitutions, va reconnaître un code invariable dans ses principes. Aussi doit-on s’attendre à voir disparaître cette avarice frauduleuse qui cherche à dérober à l’état ce qu’elle rougirait de ne pas accorder à ses propres engagemens, comme si l’on pouvait sans injustice et sans honte, se faire assurer jar la protection publique la jouissance paisible de sa fortune en s’affranchissant des charges de la société. Tout ce qui pouvait porter le nom d’obstacle a disparu ; tous les esprits éclairés sont d’accord sur les principes, tous les cœurs sont animés du même zèle. Je ne suis point effrayé de la variété des connaissances qui nous sont nécessaires, toutes se trouvent ici réunies ; cette assemblée est composée de tous les esprits pour faire le bien, et elle n’a qu’une âme pour le vouloir. Déjà ont disparu les querelles affligeantes qui ont tant de fois divisé les différens ordres de l’état ; on ne verra plus ces scènes de scandale où les droits, mêlés et souvent confondus avec les prétentions, étaient discutés dans le choc et le tumulte des passions. »

La commission intermédiaire, élue dans la session préparatoire, avait pu, en moins de trois mois, réunir les élémens d’un rapport sur l’état de la province. Le principal rédacteur de ce travail était l’un des procureurs-syndics, M. Lévesque de Pouilly, lieutenant-général au bailliage de Reims, fils de l’auteur de la Théorie des Sentimens agréables et auteur lui-même de plusieurs écrits historiques. Le père et le fils ont laissé un nom vénéré dans leur ville natale, qui leur doit plusieurs fondations utiles, entre autres des écoles gratuites de dessin et de mathématiques. Quand le célèbre Pitt, alors âgé de vingt-cinq ans, était venu en France après la paix de 1783 pour préparer un traité de commerce, il avait fixé sa résidence à Reims, et y avait vécu dans l’intimité du jeune Lévesque de Pouilly, qui avait à peu près son âge.

Le rapport de la commission intermédiaire contenait une véritable statistique agricole de la province. Il en résultait que l’étendue totale était de fx millions d’arpens de 51 ares, ce qui correspond assez exactement à ce qu’a depuis donné le cadastre, et que le produit brut pouvait être évalué en tout à 60 millions ou 30 francs par hectare. Les vignes couvraient 100,000 arpens, ou environ 10,000 hectares de moins qu’aujourd’hui. D’immenses quantités de terres incultes ne donnaient aucun produit. Le nombre des chevaux était de 120,000, celui des bêtes à cornes de 250,000, celui des bêtes à laine de 720,000; encore l’hiver rigoureux de 1784 et la disette de fourrage de 1785 avaient-ils réduit ce dernier nombre de près du tiers. Aujourd’hui les quatre départemens champenois possèdent 2 millions de moutons, 400,000 bêtes à cornes, 200,000 chevaux, et la valeur moyenne de ces divers animaux s’est encore plus accrue que la quantité. Un mémoire soumis à l’assemblée par un de ses membres, le M. Leblanc d’Arthur Young, traitait spécialement de l’état des troupeaux et des moyens de l’améliorer. L’auteur avait visité plus de 200 troupeaux sans en trouver un seul uniforme : à côté de moutons valant un louis, il y en avait qui ne valaient pas quatre livres ; ceux-ci donnaient une laine aussi fine que la meilleure de Ségovie, ceux-là ne portaient que de la jarre. Ce n’était évidemment pas à la nature du sol qu’il fallait attribuer ces inégalités, mais au peu de soin des cultivateurs. La France avait eu autrefois la supériorité pour la production des laines; cette industrie était tombée en décadence, mais elle pouvait facilement se relever. M. Leblanc lui-même donnait l’exemple.

La commission avait recueilli des renseignemens non moins précis sur les manufactures. «Nous pouvons, disait le rapport, vous présenter la ville de Reims comme soutenant depuis plus de mille années une des manufactures les plus intéressantes du royaume par le nombre et la diversité des étoffes qui s’y fabriquent. En ne jetant les yeux que sur la quantité fabriquée dans le courant de l’année dernière, on trouve 95,000 pièces d’une valeur, exactement calculée, de 11 millions de livres, dont la moitié peut être considérée comme le prix de la main d’œuvre. Ces étoffes passent en Espagne, en Portugal, en Italie, dans le Levant, et y soutiennent la concurrence avec celles des Anglais. On emploie pour les faire un quart de laine d’Espagne, les trois autres quarts sont tirés du royaume. Trente mille personnes, tant dans Reims que dans la campagne qui l’environne, sont occupées à ce travail. » Suivent des détails du même genre sur les fabriques de Troyes, de Rethel, de Châlons, de Suippes, d’Arcis-sur-Aube, sur la coutellerie de Langres, les armes à feu de Charleville, l’entrepôt des fers de Saint-Dizier.

Le reste du rapport entrait dans de grands détails sur l’état des routes. La Champagne avait alors 375 lieues de 2,000 toises, ou 1,500 kilomètres de routes terminées ; elle en a aujourd’hui 7,500. La grande question des corvées ayant été définitivement réglée par le roi, il ne s’agissait plus que de bien employer les fonds de l’impôt établi en échange. L’ingénieur en chef de la généralité avait dressé un état des travaux à faire. On y remarque l’établissement de cantonniers ou stationnaires par chaque millier de toises sur les routes les plus parcourues, et par 2,000 et même 3,000 toises sur les moins fréquentées. Toutes les routes devaient être divisées en stationnemens de douze cantonniers, commandés par un chef. Chaque cantonnier, y compris les frais d’outil et le salaire du chef, devait coûter 300 livres.

L’archevêque présida exactement chaque séance, et tous les procès-verbaux imprimés sont revêtus de sa signature. Les noms des auteurs n’étant pas indiqués en tête des rapports, on ne peut savoir si l’abbé de Périgord en fit quelques-uns ; il appartenait au bureau des impôts. Ce bureau fit deux grands rapports, l’un sur les vingtièmes, l’autre sur la taille ; s’ils sont du futur évêque d’Autun, on y retrouve toute la variété de connaissances qu’il devait montrer à l’assemblée nationale. La taille avait eu en Champagne jusqu’en 1739 le même caractère d’arbitraire qu’en Berri ; mais depuis cette époque on l’avait tarifée, c’est-à-dire assise sur une sorte de cadastre, et il ne s’agissait plus que de perfectionner cet instrument de répartition. Quant aux vingtièmes, le gouvernement lui-même offrait de les fixer dans toutes les provinces par un abonnement, grand progrès dont l’assemblée du Berri avait eu l’initiative.

L’abbé de Montesquieu appartenait au bureau du bien public; les travaux de ce bureau roulèrent sur des questions agricoles. L’archevêque avait déjà fait venir à ses frais un troupeau de moutons espagnols pour régénérer les laines de la province. L’assemblée décida qu’il serait écrit en son nom à M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères, pour lui demander encore quarante béliers de l’Escurial et autant de brebis. Une souscription fut ouverte pour faire venir des taureaux et des vaches de Suisse et de Franche Comté. Le bureau de la comptabilité était présidé par l’évêque de Troyes, et celui des travaux publics par le comte de Coigny. Une somme annuelle de 184,000 livres venait de faire retour à la province sur le fonds des ponts et chaussées en vertu de la décision royale du 25 décembre 1786 ; en y ajoutant celle de 807,000 livres que donnait le nouvel impôt sur les chemins, et les 100,000 annuellement accordés par le roi pour les ateliers de charité, on arrivait à un total de près de 1,100,000 livres pour les travaux publics, sans compter les souscriptions volontaires. En cherchant les moyens d’augmenter encore ces ressources, on avait eu l’idée d’établir des droits de péage sur les routes, comme en Angleterre ; mais le temps n’avait pas permis d’étudier suffisamment ce projet, dont l’examen fut renvoyé à l’année suivante.

La province de Champagne fut la première qui mit à exécution la partie de l’édit de 1787 relative aux assemblées d’élection. L’assemblée provinciale désigna, aux termes de l’édit, les 12 premiers membres par chaque élection ; ceux-ci choisirent ensuite leurs collègues. À raison de 26 membres par élection, y compris les syndics, on arrive à un total de plus de 300 personnes pour la province. Voici les noms des présidens : élection de Reims, l’abbé de Mourdier, prévôt de l’église métropolitaine ; Troyes, l’évêque de Troyes ; Rethel, l’abbé de Saint-Albin, vicaire-général de Reims ; Vitry-le-François, le vicomte du Hamel ; Châlons, l’évêque de Châlons ; Langres, point de président nommé, sans doute dans l’espoir de décider l’évêque : Bar-sur-Aube, le comte de Mesgrigny ; Sainte-Menehould, le comte de Giraucourt ; Épernay, l’abbé de Lescure, vicaire-général de Reims ; Joinville, le marquis de Pimodan ; Chaumont, l’abbé de Clairvaux ; Sézanne, M. de Cotte, conseiller d’état. La plupart de ces présidens appartenaient à l’assemblée provinciale. Parmi les simples membres de ces assemblées secondaires, on remarque le marquis de Sillery, qu’on appelait aussi le comte de Genlis, mari de la célèbre comtesse de ce nom, et un des plus grands propriétaires de vignes de la Champagne, qui a été député aux états-généraux, ensuite membre de la convention nationale, et qui a péri sur l’échafaud ; puis M. Beugnot, alors avocat à Bar-sur-Aube, procureur-général du département de l’Aube en 1790, membre de l’assemblée législative en 1791, comte et préfet sous l’empire, ministre et député sous la restauration, un des hommes qui par la finesse de leur esprit ont le plus rappelé de nos jours la société du XVIIIe siècle.

Ces assemblées d’élection devaient avoir aussi leurs commissions intermédiaires et leurs procureurs-syndics. Leurs attributions, et c’était là leur principal défaut, ne différaient pas essentiellement de celles de nos conseils actuels d’arrondissement ; sans aucun doute, si elles avaient duré, leur composition se serait simplifiée, et leurs attributions se seraient étendues, car leur organisation était hors de proportion avec leur pouvoir. On a contesté l’utilité des commissions intermédiaires et des procureurs-syndics pour les assemblées provinciales ; cette critique ne paraît pas fondée pour les commissions, elle l’était davantage pour les syndics, qui pouvaient difficilement se concilier avec le maintien des intendans. Pour les assemblées d’élection, c’était l’inverse ; la commission intermédiaire n’avait aucune utilité réelle, mais il pouvait être avantageux de remplacer par des syndics élus ces agens de l’intendant, nommés et révoqués par lui à volonté, qu’on appelait des subdélégués. Seulement rien n’obligeait à en avoir deux pour chaque élection ; un syndic aurait suffi. Même pour les assemblées provinciales, deux étaient de trop. Comme tous les nouveaux convertis. Calonne et Brienne avaient eu trop de zèle ; ils avaient multiplié à l’excès les rouages de leurs administrations, et ce n’était pas sans raison que, dans le préambule de l’édit, le roi avait annoncé l’intention de faire à ces premiers arrangemens les changemens que l’expérience ferait juger nécessaires.

Pourquoi faut-il que cette expérience n’ait pas pu s’accomplir ? L’assemblée provinciale de Champagne, comme toutes celles qu’avait instituées l’édit de 1787, n’a tenu qu’une session, et les assemblées secondaires ont eu à peine le temps de se constituer. On ne peut que le regretter profondément en voyant l’esprit qui y régnait. « L’étude de l’administration publique, avait dit l’archevêque-président, élève l’âme en occupant la pensée. Le temps employé à méditer sur l’économie politique remplit le cœur d’affections douces ; il répond à ce besoin impérieux que ressent l’homme d’être utile à ses semblables. C’est là que le travail porte avec lui sa récompense : c’est là que l’âme peut jouir en paix du succès de l’esprit. »


II. — PICARDIE, SOISSONNAIS, HAINAUT.

Picardie. — La généralité d’Amiens, qui avait remplacé l’ancienne Picardie, comprenait le département actuel de la Somme et quelques parties des départemens voisins. Elle se divisait en six élections, qui forment aujourd’hui autant d’arrondissemens : Amiens, Abbeville, Doullens, Péronne, Montdidier et Saint-Quentin, plus les quatre gouvernemens de Montreuil, Boulogne, Calais et Ardres. Comme ceux de Champagne, les états de Picardie avaient disparu dans le cours du XVe siècle. Il paraît même qu’il n’y avait jamais eu une assemblée unique pour la province entière : dans ce pays de libertés municipales, chaque fraction de territoire avait ses états. Il en restait quelque chose dans le Boulonnais, qui avait conservé une administration distincte avec le titre de gouvernement, et qui réclama le maintien de ses privilèges, ce qui lui fut accordé sans difficulté.

L’assemblée provinciale, à cause du peu d’étendue de la généralité, ne se composait que de 36 membres. Le duc d’Havré fut nommé président par le roi ; les autres députés de l’ordre de la noblesse étaient le duc de Villequier, le comte d’Hellye, le comte de Crécy, le duc de Mailly, le prince de Poix, le marquis de Lameth, le commandeur de Varennes et le marquis de Caulaincourt. Pair de France, lieutenant-général et grand d’Espagne, le duc d’Havre avait fait partie de l’assemblée des notables : député de la noblesse d’Amiens aux états-généraux, il devait y voter contre toutes les décisions de la majorité et s’en séparer de bonne heure par l’émigration ; mais pour le moment il approuvait sans réserve l’institution des assemblées provinciales. Le prince de Poix, fils aîné du maréchal de Mouchy, passait pour un des plus grands admirateurs de Necker ; il a voté tour à tour à l’assemblée constituante avec la majorité et la minorité, et a fini par se ranger auprès du roi, qu’il défendit de sa personne au 10 août. Le marquis de Lameth était le frère aîné des deux Lameth, Alexandre et Charles, fort connus par la part qu’ils ont prise à la révolution, et le marquis de Caulaincourt le père de celui qui a reçu de Napoléon le titre de duc de Vicence. Le clergé se composait de l’évêque d’Amiens (M. de Machault), d’abbés, de chanoines, d’un religieux de Corbie et du curé d’Ardres. M. Lecaron de Choqueuse, maire d’Amiens, siégeait en tête du tiers-état. Les deux procureurs-syndics étaient, pour la noblesse et le clergé, le comte de Gomer, et pour le tiers-état M. Boullet de Varennes, avocat.

L’intendant de la province, M. d’Agay, ouvrit la session, accompagné de son fils, qui devait lui succéder, et un passage de son discours prouve que la corvée pour les chemins avait été abolie pendant son administration, avant l’édit du roi. « Grâce à la législation bienfaisante de sa majesté et aux sages conseils d’une assemblée à jamais mémorable qui lui a transmis le vœu de la nation, l’odieux régime de la corvée a disparu. Les contributions que supporte la classe la plus aisée des campagnes, en soulageant les malheureux, épargnent à la province le prix inestimable d’une multitude de journées souvent inutiles et très mal employées. Des calculs que j’ai exposés aux yeux du gouvernement établissent que la valeur des journées d’hommes et de chevaux employées par corvées en nature dans cette province, évaluées au plus bas prix, formait un objet de 900,000 livres au moins. Les essais que j’ai concertés avec un grand nombre de propriétaires éclairés pour la conversion en argent avait réduit cette valeur à la somme de 336,000 livres par an avant les lois qui ont étendu ce bienfait à tout le royaume. »

Je donnerai aussi un extrait du discours du duc d’Havre ; on aime à rappeler ce beau et touchant langage. « C’est l’union qui doit être notre premier caractère. Rien n’est plus précieux que cette intelligence unanime ; on marche pour ainsi dire en force et de front vers la vérité, la justice et le bien public ; les volontés s’accordent toujours, lors même que les opinions se combattent, et il en résulte infailliblement que, tendant au même but, tout se confond dans le désir d’y atteindre. Tout ce qui procure le bien nous paraîtra également glorieux ; dès que l’on a dirigé vers lui tous ses efforts, on se félicite également d’y contribuer, tantôt par un succès, tantôt par un sacrifice. Tous les succès seront communs et deviendront ceux de chacun de nous. Nous ne connaîtrons de rivalité que celle de l’application et du zèle ; la province qui nous observe bénira tous les jours l’institution qui lui offre un si touchant exemple, elle attendra avec plus de patience et d’espoir le fruit de nos travaux, et nos assemblées pourront devenir des écoles de mœurs autant que d’administration. »

Au nombre des questions spéciales dont s’occupa l’assemblée de Picardie, on peut citer ce qu’on appelait dans le Santerre les dépointemens. Le procès-verbal s’exprime à ce sujet dans les termes les plus énergiques. « Un mémoire a dénoncé à l’assemblée ce genre d’abus qui consiste dans l’usage où sont les fermiers de se perpétuer par toute sorte de voies illicites, et contre le gré des propriétaires, dans la jouissance des biens affermés, ce qui leur donne une espèce de propriété fictive, qui dépouille presque entièrement par le fait le véritable maître de la chose. Cet abus est porté si loin que les fermiers de ce canton mettent les biens de leurs propriétaires dans le commerce, soit en vendant à d’autres la faculté de les exploiter, soit en les donnant en dot à leurs enfans, soit en les laissant dans leurs successions à partager entre leurs héritiers. Les fermiers dépointés se livrent à toute sorte d’excès contre ceux qui ont la hardiesse de leur succéder, jusque-là qu’ils deviennent assassins et incendiaires. On a présenté un relevé effrayant fait au greffe criminel du bailliage de Péronne des délits occasionnés par les dépointemens. On a fait voir qu’un incendie particulier devenait presque toujours général, et qu’ainsi la vengeance d’un fermier dépointé entraînait souvent la ruine d’un nombre infini de citoyens. On a montré que cet abus portait les plus fortes atteintes à la propriété, soit parce que le véritable maître du bien ne peut pas le retirer pour le faire valoir lui-même sans encourir la vengeance du fermier dépossédé, soit parce qu’il ne peut jamais l’affermer dans la juste proportion du produit, et ne trouve pas souvent à le vendre la moitié de sa valeur. »

Une déclaration du roi, en date du 20 juillet 1764, avait tenté de réprimer ces désordres, qui rappelaient un des plus grands fléaux de l’Irlande ; mais les dispositions de cette loi restaient impuissantes contre des habitudes invétérées. L’assemblée décida que le roi serait supplié de prendre des mesures plus efficaces, et chargea son président d’insister auprès du gouvernement. L’abus dont elle se plaignait ne devait pas disparaître encore ; il prit de nouvelles forces pendant la révolution, et n’a cédé que de nos jours.

On recherchait depuis quelque temps sur cette côte la situation la plus avantageuse pour y créer un port. Des commissaires envoyés sur les lieux en 1784 par le ministre de la marine s’étaient prononcés en faveur de Saint-Valery, rassemblée se déclara dans le même sens. L’exécution d’un canal de la Basse-Somme ayant été décidée en même temps, le roi y avait consacré une somme annuelle de 40,000 livres sur le trésor public pendant dix ans, plus le produit d’un droit d’octroi à percevoir sur les marchandises. Les travaux avaient commencé en 1786. Un autre canal, partant d’Amiens et passant à Péronne pour aller rejoindre l’ancien canal de Picardie, avait été commencé en 1770; les fonds étaient fournis par un octroi de 20 sols par velte sur les eaux-de-vie qui se consommaient dans la province. Enfin, pour joindre la Somme à l’Escaut en traversant des montagnes, Louis XVI avait fait entreprendre un canal souterrain, déjà ouvert en partie. « L’âme s’élève, disait dans son rapport le bureau du bien public, à la vue de ces canaux immenses, qui joindront le commerce de la Hollande à celui des principales villes du royaume. » — « Je suis fier d’être homme, s’était déjà écrié l’empereur Joseph II en visitant le canal souterrain, quand je vois qu’un de mes semblables a osé imaginer un travail si hardi ! » L’assemblée, pénétrée des mêmes sentimens, vota un témoignage de sa reconnaissance pour le roi.

Un projet de dessèchement avait été préparé pour la vallée d’Authie, dont les trois quarts formaient des marais inaccessibles. On devait rendre ainsi à la culture plus de 6,000 arpens. Le comte d’Artois, qui avait cette vallée dans son apanage, sollicité par M. de Lameth au nom des habitans, avait promis de faire exécuter à ses frais ce travail. Les choses étant toujours restées dans le même état malgré cette promesse, l’assemblée pria son président de s’informer de la décision définitive du prince, et, dans le cas où il ne croirait pas devoir donner suite à son projet, elle annonça nettement l’intention de s’en charger elle-même. La forme peu respectueuse de cette déclaration pouvait se justifier par la nécessité du dessèchement : elle prouve dans tous les cas combien le sentiment de l’intérêt public passait avant toute considération. Un dernier projet consistait dans l’ouverture d’un canal de l’Oise à la mer passant à Roye et traversant le centre de la province. On utilisait pour ce canal les deux petites rivières du Dom et de l’Avre. La portion comprise entre l’Avre et l’Oise devant passer sur le territoire de la généralité de Soissons, on résolut de concerter cette affaire entre les deux assemblées provinciales.

Soissonnais. — La généralité de Soissons, formée de parties détachées de l’Ile-de-France, de la Picardie et de la Champagne, n’avait pas plus d’étendue que celle d’Amiens ; elle comprenait le département actuel de l’Aisne, moins l’arrondissement de Saint-Quentin, et une portion de celui de l’Oise. Elle se divisait en sept élections, qui forment aujourd’hui six arrondissemens, Soissons, Laon, Noyon, Crépy, Clermont, Guise et Château-Thierry. Création tout administrative, la généralité de Soissons n’avait pas d’unité historique ; l’élection de Clermont était même séparée du reste par une partie de la généralité de Paris. On trouve, sous le roi Jean, les états du Soissonnais et ceux du Vermandois convoqués à part.

Comme l’assemblée de Picardie, celle du Soissonnais ne comptait que trente-six membres. Le comte d’Egmont-Pignatelli, gouverneur de la province, avait été nommé président par le roi ; les autres membres de la noblesse étaient le comte de Noue, le duc de Liancourt, M-. de L’Amirault, M. d’Alanjoye, le comte de Barbançon, le marquis de Causans, le marquis de Puységur et le vicomte de Labédoyère. Les évêques de Laon et de Soissons n’ayant pas été appelés à faire partie de l’assemblée, le personnage le plus important du clergé était l’abbé-général de Prémontré. Le tiers-état se composait, comme à l’ordinaire, des maires des principales villes, de propriétaires ruraux et de fermiers cultivateurs. Les procureurs-syndics élus furent, pour les deux premiers ordres, le comte d’Allonville, et pour le tiers-état M. Blin de La Chaussée, avocat. Sur cette liste, le nom qui domine tous les autres, sans en excepter le président, est celui du duc de La Rochefoucauld-Liancourt, grand-maître de la garde-robe du roi Louis XVI, un des hommes les plus passionnés de son temps pour la liberté, la justice et la bienfaisance.

On relit toujours avec plaisir les détails que donne Arthur Young sur son séjour au château de Liancourt en septembre 1787. « J’allai y faire, dit-il, une visite de trois ou quatre jours, et toute la famille s’employa si bien à me rendre le séjour agréable, que j’y ai passé plus de trois semaines. Le site est très heureux. Près du château, la duchesse a fait construire une laiterie d’un goût charmant. Dans un village voisin, le duc a fondé une manufacture de tissus qui emploie un grand nombre de bras. Les filles pauvres sont reçues dans une institution où on leur apprend un métier. La vie du château ressemble beaucoup à celle qu’on mène dans la résidence d’un grand seigneur anglais. C’est une mode nouvelle en France que de passer ainsi quelque temps à la campagne en été ; quiconque a un château s’y rend, les autres visitent les plus favorisés. Cette révolution remarquable dans les habitudes est le meilleur emprunt fait à notre pays ; elle a été préparée par les écrits de Jean-Jacques Rousseau. Le duc de Liancourt, devant présider l’assemblée de l’élection de Clermont, se rendit à la ville pour plusieurs jours et m’invita au dîner de l’assemblée, où se trouvaient plusieurs agriculteurs en renom. Ces assemblées, proposées depuis si longtemps par les grands patriotes français et reprises par M. Necker, m’intéressaient au plus haut point. J’acceptai l’invitation avec plaisir. Il s’y trouvait trois grands cultivateurs, non pas propriétaires, mais fermiers. J’examinai avec attention leur attitude en présence d’un seigneur du premier rang ; à ma grande satisfaction, ils s’en tirèrent avec un mélange d’aisance et de réserve fort convenable, d’un air ni trop dégagé ni trop obséquieux, exprimant leur opinion librement et modérément, à la manière anglaise. »

Les procès-verbaux de l’assemblée du Soissonnais ne présentent rien de particulier, ils ne se distinguent que par de nombreux détails sur les travaux des routes. Le département de l’Aisne est aujourd’hui le troisième de France pour l’étendue de ses voies de communication ; il ne le cède qu’à la Seine-Inférieure et au Pas-de-Calais. Cette supériorité date de loin. Six routes royales traversaient la généralité en 1787, la plupart arrivées dans toute leur longueur à l’état d’entretien. Sept routes de seconde classe ou de province à province, six de troisième classe ou d’une élection à une autre, douze de quatrième classe, servant à rallier entre elles les trois premières, étaient aussi presque complètement terminées. Sur un total d’environ 1,100 kilomètres, 200 seulement restaient à achever. De toutes parts cependant on en demandait de nouvelles, et l’assemblée provinciale se mettait en mesure d’y satisfaire. Une loi nouvelle sur les chemins avait été préparée par le gouvernement, mais pour n’être définitivement promulguée qu’en 1789 ; en attendant, les assemblées provinciales étaient invitées à faire connaître leur opinion sur le projet. Le bureau des travaux publics de l’assemblée du Soissonnais fit à cette occasion un rapport remarquable ; le nom du rapporteur n’est pas indiqué, mais comme le duc de Liancourt présidait le bureau, il a dû exercer sur la rédaction une influence décisive. Ce rapport mérite d’autant plus l’attention qu’il développe tout un ordre d’idées assez peu en faveur aujourd’hui, et qui était alors tout à fait conforme aux idées du gouvernement, la décentralisation aussi complète que possible des travaux des chemins.

Le projet de loi posait en principe, par application des règles générales de l’économie politique, qu’une localité quelconque ne devait concourir aux frais d’une route qu’en proportion de l’intérêt qu’elle y avait. L’administration avait déjà fait un grand pas dans cette voie quand elle avait décidé qu’à l’avenir les fonds payés par chaque province pour les ponts et chaussées seraient dépensés dans la province elle-même ; elle allait plus loin encore en étendant autant que possible cette règle aux élections et même aux simples communes. Le rapport s’associait complètement à cette pensée. « Ce n’est plus ici une loi qui, considérant les travaux des routes comme une dette commune à acquitter par toute la province, en répartit la charge dans une proportion uniforme sur tous les contribuables ; c’est une loi qui, descendant dans l’examen de l’intérêt de chacun, ordonne qu’il serve de proportion à sa contribution, ne veut exiger de tribut que pour le rendre utile aux tributaires, et cherche à appliquer dans tous les rapports et dans tous les détails les vues d’équité qu’elle annonce. » On opposait à ce système que les municipalités rurales seraient incapables de bien diriger l’exécution de leurs chemins, et que les routes principales seraient négligées pour les chemins vicinaux ; mais le bureau répondait aux objections par la puissance de l’intérêt bien entendu, qui ne pouvait manquer de se faire jour : il insistait sur cette considération, que les municipalités obtiendraient une grande économie dans l’emploi des fonds, surveilleraient de plus près l’exécution des marchés et augmenteraient souvent leurs contributions volontaires, lorsqu’elles seraient bien assurées que cette augmentation n’aurait lieu qu’à leur gré, et ne serait pas prolongée pour les besoins et par la volonté d’autrui.

Ces principes sont au fond ceux qui ont présidé à la loi de 1836 sur les chemins vicinaux, et l’expérience témoigne tous les jours en faveur des idées que voulait appliquer le gouvernement de Louis XVI en les généralisant.

Hainaut. — Au nord du Soissonnais et de la Picardie, et comme enclavée entre deux provinces qui avaient conservé leurs anciens états, la Flandre et l’Artois, se trouvait la plus petite des généralités, celle de Valenciennes, qui comprenait seulement le Cambrésis et le Hainaut français, ou la moitié environ du département actuel du Nord. Le Cambrésis avait conservé une administration distincte, et on peut le ranger au nombre des pays d’états ; chaque année, une assemblée, composée de l’archevêque, de sept membres du clergé, de huit barons et du corps municipal de Cambrai, se réunissait sous la convocation du roi, et réglait tout ce qui concernait les impôts. Le Hainaut avait eu aussi ses états particuliers, qui se tenaient à Mons ; mais une partie seulement de cette province ayant été réunie à la France en 1678, la partie restée autrichienne avait seule gardé ses anciennes franchises. Le Hainaut français n’était pourtant pas tout à fait pays d’élection ; la gabelle y était inconnue, ainsi que le privilège exclusif du tabac, et, un siècle seulement s’étant écoulé depuis la réunion, son droit à une administration indépendante pouvait être considéré comme suspendu plutôt qu’aboli.

Louis XVI n’y établit pas d’emblée une assemblée provinciale, « Sa majesté, était-il dit dans l’arrêt du conseil du 12 juillet 1787, a pris connaissance du régime anciennement suivi dans la généralité du Hainaut, et voulant connaître si ce régime devait être remplacé par celui qu’elle a préféré pour les autres provinces du royaume, ou s’il était possible de le modifier de manière que le retour de cette province à ses anciens usages ne nuisît pas à ses intentions, elle a déterminé qu’il serait convoqué dans la ville de Valenciennes une assemblée consultative à l’effet de prendre une connaissance particulière et approfondie des formes des administrations provinciales que sa majesté vient d’établir dans les autres généralités de son royaume, et de s’occuper en même temps de l’examen attentif des formes anciennes de l’administration de ladite généralité, afin de voir les rapports qui peuvent exister entre ces deux régimes et leurs avantages respectifs. »

L’assemblée consultative se réunit en effet à plusieurs reprises sous la présidence du duc de Croï ; elle se composait de 36 membres, dont 18 nommés par le roi et 18 élus par les premiers, en conservant les mêmes proportions entre les ordres que dans les autres assemblées provinciales. Le résultat de ses délibérations fut de réclamer le rétablissement des anciens états, mais avec des modifications qui les rapprochaient beaucoup du régime nouveau. Ainsi les trois ordres devaient délibérer ensemble, les voix se compter par tête, et le nombre des membres du tiers-état égaler celui du clergé et de la noblesse, ce qui s’écartait tout à fait des anciens usages. Les autres dispositions avaient moins d’importance, et on avait pu s’y conformer sans inconvénient aux traditions locales. Les états devaient avoir 46 membres ; tous les abbés réguliers devaient en faire partie de droit, tous les gentilshommes possédant une terre à clocher y entrer tour à tour par voie de tirage au sort. En réalité, quoique l’assemblée répétât à tout moment dans son projet ces mots sacramentels : conformément à la constitution essentielle du Hainaut, on ne rétablissait que les noms et les apparences des anciennes institutions, et l’esprit nouveau pénétrait profondément cette organisation rajeunie.

L’assemblée provisoire s’occupa des affaires de la province absolument dans les mêmes formes que les autres assemblées provinciales, et remplit ainsi, pour commencer, l’office des états, qui devaient se composer à peu près des mêmes personnes. Ce qui arriva dans cette petite province mérite d’être remarqué en ce qu’on y voit comment on aurait pu passer sans secousse, dans tous les pays d’états, du régime ancien aux règles nouvelles. Les états eux-mêmes auraient pu être appelés à se reformer, et tôt ou tard la plupart d’entre eux y auraient consenti de bonne grâce.

L’assemblée, en se séparant, nomma comme les autres une commission intermédiaire et un procureur-syndic. L’intendant de la province, Sénac de Meilhan, qui a publié plus tard des écrits estimés sur la révolution, et dont l’administration a laissé en Hainaut d’excellens souvenirs, termina la session par un discours. « Je me glorifie, dit-il, d’avoir le premier applaudi à vos vues patriotiques, à cette application constante et éclairée qui vous a fait saisir l’ensemble et les détails de l’administration. Vous partagez ce succès avec les autres assemblées provinciales animées du même esprit. Il en est un qui sera votre gloire particulière : le roi a daigné se communiquer plus intimement à cette province ; il vous a associés en quelque sorte à l’exercice de sa puissance législative. Vous avez fait passer sous vos yeux les diverses constitutions des provinces de ce royaume. Vous avez été rechercher vos titres de famille dans les archives des états de Mons. Vous avez comparé ce que les temps, les lieux, les formes naturelles, doivent apporter de différences dans les institutions. Enfin vous avez été particulièrement attentifs à suivre les intentions de sa majesté, à en saisir l’esprit, afin de déterminer dans les trois ordres une égalité d’influence qui assure à chacun une égalité de traitement dans la répartition des charges. Le monument que vous allez élever fera votre éloge à jamais. Vous dire que je me concerterai » du tout avec le chef qui vous préside, c’est vous convaincre de mon zèle. Ce concert, utile à la province et glorieux pour moi, doit vous être un présage de succès. »

Quelle différence entre ce langage et celui que tenaient les intendans quinze ans auparavant ! Ainsi constitués, les nouveaux états du Hainaut auraient été réellement bien supérieurs aux anciens. Quarante-six députés pour une province qui n’embrassait que les deux arrondissemens actuels de Valenciennes et d’Avesnes, c’était à coup sûr une représentation sérieuse de tous les intérêts. Le Hainaut aurait sans doute contrasté par sa petitesse avec la plupart des autres provinces, et la régularité symétrique y aurait un peu perdu ; mais était-ce donc un si grand mal ? Même en admettant que le Cambrésis ne se fut pas réuni un jour au Hainaut pour n’avoir qu’une seule assemblée, comme on les avait déjà réunis dans une même généralité, ces deux provinces, pour être les plus petites, n’étaient pas les plus malheureuses. La Flandre et l’Artois n’avaient pas beaucoup plus d’étendue. Ce coin du territoire contrastait alors avec le reste au moins autant qu’aujourd’hui, et parmi les causes de sa prospérité on peut compter hardiment cette division, qui donnait plus de vie aux libertés locales. Même de nos jours, il a été souvent question de partager en deux le département du Nord, ce qui ramènerait à peu près aux faits historiques.

Le duc de Croï, président de l’assemblée provisoire, appartenait à l’une des plus grandes familles de l’Europe. Son père, le maréchal de Croï, avait été surnommé pour sa bienfaisance le Penthièvre du Hainaut ; lui-même était membre de la Société d’agriculture de Paris et fort occupé d’améliorations positives. On voulut lui décerner la présidence perpétuelle ; il refusa. À ses côtés siégeait un autre grand seigneur, issu comme lui d’une ancienne maison souveraine, le prince Auguste d’Arenberg, connu en France sous le nom de comte de La Marck, le même qui, ayant contracté à l’assemblée nationale des relations intimes avec Mirabeau, le réconcilia secrètement avec le roi et la reine au mois de mai 1790. Parmi les membres du clergé figuraient les abbés des cinq grands monastères du Hainaut, dans le tiers-état les prévôts ou maires des principales villes et un égal nombre de propriétaires de campagne.


III. — ILE-DE-FRANCE.

La généralité de Paris, une des plus grandes, comprenait à peu près les quatre départemens actuels de la Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne et Oise, avec une partie de l’Yonne et d’Eure-et-Loir, Elle se divisait en vingt-deux élections qui forment aujourd’hui vingt-cinq arrondissemens, et dont les chefs-lieux étaient Paris, Beauvais, Compiègne, Senlis, Nogent-sur-Seine, Sens, Joigny. Saint-Florentin, Tonnerre, Vézelay, Melun, Meaux, Coulommiers, Rozoy, Nemours, Provins, Montereau, Pontoise, Étampes, Montfort-l’Amaury et Dreux. On y payait beaucoup plus d’impôts qu’ailleurs, 64 livres 5 sols par tête ; mais la ville de Paris, qui contenait à elle seule près de la moitié de la population, en fournissait la plus grande partie. « Tant de ressourcés, dit Necker, sont l’effet des grandes richesses concentrées dans la capitale, séjour des rentiers, des hommes de finance, des ambassadeurs, des riches voyageurs, des grands propriétaires de terres et des personnes les plus favorisées des grâces de la cour. » La généralité de Paris supportait toutes le impositions établies dans le royaume ; mais, par un privilège particulier, les chemins s’y exécutaient aux frais du trésor royal.

Malgré ce privilège et beaucoup d’autres, les trois quarts de la généralité n’étaient pas beaucoup plus riches que le reste de la France. Arthur Young remarquait avec étonnement l’aspect morne et désert des grandes routes qui aboutissaient à Paris. Même aux portes des deux villes où affluaient les tributs des provinces, l’administration despotique avait étouffé toute activité. À en croire les dénombremens, la population s’y était à peine accrue depuis Louis XIV. On a reproché à la formation des départemens de n’avoir pas suffisamment respecté les anciennes limites des provinces ; cette critique peut s’appliquer encore plus aux généralités. Celles de Châlons, d’Amiens, de Soissons, de Paris, se partageaient des fragmens détachés de la Champagne et de la Picardie ; la généralité de Paris avait même emprunté au Nivernais la pauvre et petite élection de Vézelay. Cette confusion permet difficilement de démêler les précédens historiques. Une portion au moins de la généralité de Paris avait eu cependant ses états particuliers, qui se réunissaient à Melun et qui duraient encore au commencement du XVIe siècle ; la coutume particulière qui régissait la province avait été votée par les gens des trois états en 1506.

C’est probablement à cause de ce souvenir, et sans doute aussi pour échapper à l’influence de Paris, que Melun fut choisi pour la réunion de l’assemblée provinciale. Cette assemblée se composait de quarante-huit membres. A la tête du clergé était le général des Mathurins, ordre qui possédait de grands biens à Paris ; les deux archevêques de Paris et de Sens et les autres évêques de la province ne figuraient point par exception parmi les membres. Dans la noblesse, on remarquait le duc du Châtelet, président ; le comte de Crillon, le marquis de Guerchy, le prince de Chalais, le vicomte de Noailles, MM. Molé et Talon, qui représentaient les familles parlementaires ; dans le tiers-état, les maires des principales villes, des avocats, des cultivateurs, et parmi ceux-ci M. Cretté de Palluel, maître de poste à Dugny, près Saint-Germain, un des membres les plus actifs de la Société d’agriculture de Paris, et dont Arthur Young parle avec les plus grands éloges.

Le duc du Châtelet, fils de la célèbre amie de Voltaire, créé duc en 1777, ancien ambassadeur en Autriche et en Angleterre, était alors colonel des gardes françaises, haute dignité militaire qui appartenait ordinairement à un maréchal. Le comte de Crillon, fils du duc de ce nom et arrière-neveu du compagnon d’armes d’Henri IV, avait le grade de maréchal-de-camp. Le vicomte de Noailles, second fils du maréchal de Mouchy et par conséquent frère du prince de Poix, était colonel des chasseurs d’Alsace, et passait pour un des meilleurs officiers de son temps ; beau-frère de La Fayette, il avait combattu avec lui sous Washington pour l’indépendance américaine. Ces trois hommes, placés par leur naissance au premier rang de la noblesse française, professaient les opinions les plus généreuses, et allaient en donner d’éclatantes preuves aux états de 1789.

Le marquis de Guerchy, fils du brave colonel de Fontenoi, qui avait été ensuite ambassadeur en Angleterre, partageait les mêmes idées et s’occupait d’agriculture avec passion. Arthur Young fait une agréable description des trois jours qu’il passa chez lui, en juin 1789, au château de Nangis (Seine-et-Marne). « Une maison, dit-il, toute remplie d’hôtes, l’ardeur de M. de Guerchy pour la culture, l’aimable naïveté de la marquise, tout contribuait à m’attacher. Je me trouvai là dans un cercle de politiques : je ne pus m’accorder avec eux que sur un point, le désir d’une liberté indestructible pour la France ; mais quant à la manière de l’établir, nous étions aux deux pôles. Le chapelain du régiment de Guerchy, qui a ici une cure, se montrait particulièrement porté pour ce qu’il appelait la régénération du royaume ; il entendait par là, autant que je pus le comprendre, une perfection théorique de gouvernement qui me parut le comble de la folie. Le château de M. de Guerchy est considérable et mieux bâti que ceux qu’on construisait en Angleterre à la même époque ; on était en France, sous Henri IV, plus avancé que nous en toutes choses. Grâce à la liberté, nous sommes parvenus à changer de rôle. Comme tous les châteaux que j’ai vus dans ce pays-ci, celui-ci touche à la ville ; mais l’arrière-façade a vue sur la campagne. On y fait les foins, et le marquis, l’abbé et quelques, autres montèrent avec moi sur la meule pour que je leur apprisse à la tasser. Avec de si ardens politiques quel miracle que la meule n’ait pas pris feu ! Je demandai à M. de Guerchy combien il en coûtait pour habiter un pareil château, avec six domestiques mâles, cinq servantes, huit chevaux, y recevoir du monde et tenir table ouverte, sans aller jamais à Paris ; il faut environ 1,000 louis de revenu, en Angleterre ce serait 2,000. »

Dans la session préparatoire de l’assemblée provinciale, il fut décidé que la commission intermédiaire se réunirait à Paris pour être plus près du gouvernement. Les mêmes raisons de jalouse indépendance qui avaient fait fixer hors de Paris le siège de l’assemblée elle-même n’existaient point en effet pour la commission. Les deux procureurs-syndics élus furent le comte de Grillon pour la noblesse et le clergé, et M. d’Ailly, ancien premier commis des finances, pour le tiers-état. La véritable session commença, comme partout, le 17 novembre. L’intendant de la province, M. Bertier de Sauvigny, remplissait les fonctions de commissaire du roi. Après l’accomplissement des formalités ordinaires, le comte de Grillon lut un mémoire sur la taille, et M. d’Ailly un autre sur la capitation. Tous deux tenaient compte des améliorations sensibles récemment apportées dans la perception. M. de Grillon surtout insistait sur les avantages de l’édit de 1780 qui avait arrêté la progression arbitraire de la taille[2]. La commission intermédiaire rendit aussi un hommage public à l’intendant, qui avait singulièrement facilité ses travaux. Le temps n’était plus où les intendans ne tenaient nul compte des intérêts et des besoins des peuples. M. Bertier de Sauvigny, qui administrait depuis vingt ans la généralité de Paris, et qui avait succédé à son père dans ces fonctions, avait commencé l’arpentage général de la province, et divisé les terres pour l’assiette de l’impôt en vingt-quatre classes, la première ne donnant que 25 sols de revenu par arpent, et les autres augmentant de 25 sols en 25 sols.

M. de Tocqueville a écrit un chapitre désespérant sous ce titre : que le règne de Louis XVI a été l’époque la plus prospère de l’ancienne monarchie, et comment cette prospérité même amena la révolution. Il y démontre que les parties de la France qui devinrent le principal foyer de la révolution étaient précisément celles où le progrès avait été le plus marqué. « C’est, dit-il, dans les contrées qui avoisinent Paris que l’ancien régime s’était le plus tôt et le plus profondément transformé. Là, la liberté et la fortune des paysans étaient déjà beaucoup mieux garanties que dans aucun autre pays d’élection. La corvée personnelle avait disparu longtemps avant 1789. La levée de la taille était devenue plus régulière, plus modérée, plus égale que dans le reste de la France. Il faut lire le règlement qui l’améliore en 1772, si l’on veut comprendre ce que pouvait alors un intendant pour le bien-être comme pour la misère de toute une province ; dans ce règlement, l’impôt a déjà un tout autre aspect, de telle sorte que l’on dirait que les Français ont trouvé leur position d’autant plus insupportable qu’elle devenait meilleure. » M. de Tocqueville arrive par là à une conclusion un peu excessive, car elle ne tendrait à rien moins qu’à détourner les gouvernemens d’entreprendre des réformes ; mais le fait qu’il signale ne saurait être contesté.

Il faut d’ailleurs tenir compte de l’état de la ville même de Paris, état qui avait ses causes particulières, et qui a été certainement la cause principale de la révolution. Dans la plus importante des notes secrètes que Mirabeau adressait à Louis XVI à la fin de 1790, il trace de Paris le tableau suivant : « La démagogie frénétique y est tellement invincible, qu’au lieu de chercher à changer la température de Paris, ce qu’on n’obtiendra jamais, il faut au contraire s’en servir pour détacher les provinces de la capitale. Jamais autant d’élémens combustibles et de matières inflammables ne furent rassemblés dans un seul foyer. Cent folliculaires dont la seule ressource est le désordre, une multitude d’étrangers indépendans qui soufflent la discorde dans tous les lieux publics, tous les ennemis de l’ancienne cour, une immense populace accoutumée depuis une année à des succès et à des crimes, une foule de grands propriétaires qui n’osent pas se montrer parce qu’ils ont trop à perdre, la réunion de tous les auteurs de la révolution et de ses principaux agens, — dans les basses classes la lie de la nation, dans les classes les plus élevées ce qu’elle a de plus corrompu, — voilà Paris. Cette ville connaît sa force ; elle l’a exercée tour à tour sur l’armée, sur le roi, sur les ministres, sur l’assemblée, et une foule de décrets n’ont été que le fruit de son influence. » Mirabeau ne cessait dès lors de presser Louis XVI de quitter Paris et de convoquer ailleurs l’assemblée ; il avait d’abord désigné Compiègne ou Fontainebleau ; plus tard, il parla de la Normandie et enfin de la Lorraine.

On n’en était pas encore là en 1787, et l’avenir se montrait au contraire sous les plus belles couleurs. La plus importante des questions spéciales traitées par l’assemblée de l’Ile-de-France fut celle de la milice. Notre organisation militaire se divisait en deux parties, l’armée proprement dite, qui se recrutait par voie d’engagemens volontaires, et la milice, qui se recrutait par voie de tirage au sort. Cette dernière charge passait pour très lourde.

« Il y a 60,000 hommes de milice en France, dit Necker dans son Administration des Finances, et l’engagement est de six ans. Ainsi chaque année 10,000 deviennent miliciens par l’effet du sort. Tous les roturiers du royaume au-dessus de cinq pieds, et depuis seize ans jusqu’à quarante, participent à cette effrayante loterie, à moins qu’ils n’en soient exempts par des privilèges attachés à leur état ou au lieu de leur habitation. » Que dirait aujourd’hui Necker en voyant le temps de service porté de six ans à sept, et le contingent annuel de 10,000 hommes à 100,000? C’est le vicomte de Noailles qui lut à l’assemblée un mémoire sur cette question. Il y était tenu un compte curieux des pertes qu’entraînait tous les ans le tirage au sort. Dans la seule province de l’Ile-de-France, 25,000 hommes, obligés de se déplacer pendant trois jours, donnaient un total de 75,000 journées perdues, qui, à 25 sols chacune, valaient 93,750 livres. Chacun des appelés contribuant en moyenne pour 20 francs à une cotisation commune destinée à acheter des remplaçans, on arrivait à une nouvelle contribution de 500,000 livres, et ainsi de suite. M. de Noailles proposait, d’accord avec le duc du Châtelet, l’aholition du tirage au sort, qu’on aurait remplacé par un impôt destiné à payer des enrôlés volontaires. Tel fut en effet le système adopté par l’assemblée constituante dans son décret sur l’organisation de l’armée, mais il ne devait pas durer longtemps.

Plus on relit les documens de cette époque, plus on s’assure que la révolution n’a réalisé qu’une partie des idées et des espérances de 1789. Cette partie a suffi pour doter la France d’une véritable prospérité; mais l’effet eût été bien autrement grand, si le programme entier avait reçu son exécution. La paix passait alors pour inséparable de la liberté, et un trop grand état militaire pour un des legs les plus funestes de l’ancien régime. Montesquieu, cité par le vicomte de Noailles, avait fixé à un centième la proportion des armées à la somme de la population. Une expérience continuelle avait-il dit, a pu faire connaître en Europe qu’un prince qui a un million de sujets ne peut y sans se détruire lui-même, entretenir plus de dix mille hommes de troupes. Adam Smith avait accepté vers le même temps le même principe. À ce compte, la France, qui avait une population de 26 millions d’âmes, pouvait tenir sur pied une armée de 260,000 hommes. Elle en a eu au moins le double pendant les guerres de la révolution et de l’empire, et de nos jours encore l’armée dépasse de beaucoup la proportion. Depuis les lois de la constituante, celle du 6 mai 1818, qui fixait à 40,000 hommes le maximum du contingent annuel, s’est le plus rapprochée des principes de 1789. Moins ce contingent est élevé, plus on peut espérer de le remplir par des enrôlemens volontaires, et moins l’aveugle tirage au sort devient nécessaire ; mais il faut, pour s’en tenir là, renoncer à l’esprit de conquête et de domination, et savoir préférer la réalité à l’apparence de la puissance.

Ce qui rendait surtout odieux l’ancien tirage à la milice, c’était la multitude des exemptions. Même en admettant que la moitié seulement de la population mâle y fût soumise, il était en fait bien moins lourd qu’aujourd’hui. Ce mode de recrutement avait d’ailleurs reçu de nombreuses améliorations depuis l’avènement de Louis XVI. Il suffit de lire dans les œuvres de Turgot sa lettre au ministre de la guerre sur la milice pour voir où l’on en était en 1771. À cette époque, le remplacement était interdit, et quiconque tirait le fatal billet noir se considérant comme perdu, le nombre des réfractaires était énorme. « Chaque tirage, disait Turgot, donnait le signal des plus grands désordres et d’une sorte de guerre civile entre les paysans, les uns se réfugiant dans les bois, les autres les poursuivant à main armée pour enlever les fuyards. Les meurtres, les procédures criminelles se multipliaient, et la dépopulation en était la suite. Lorsqu’il était question d’assembler les bataillons, il fallait que les syndics des paroisses fissent amener leurs miliciens escortés par la maréchaussée, et quelquefois garrottés. » L’admission de remplaçans et d’autres réformes de détail, dues pour la plupart à Turgot, avaient fort adouci le tableau en 1787; mais le souvenir du passé survivait toujours, ainsi que le défaut capital de l’institution, l’inégalité. Il a suffi de supprimer toutes les exemptions pour la faire accepter définitivement par les populations, qui supportent sans murmure les plus grands sacrifices, pourvu qu’ils soient également répartis ; mais ce moyen commode a mis entre les mains des gouvernemens ambitieux un instrument terrible dont il est facile d’abuser. Que d’hommes et de capitaux manquent aujourd’hui à la France, qui n’auraient pas disparu, si le tirage au sort avait pu être aboli, ou du moins renfermé dans de plus étroites limites !

Il est inutile d’insister sur les travaux de l’assemblée relatifs l’extinction de la mendicité et aux travaux publics, ces sujets étant de ceux qui se reproduisaient dans toutes les provinces. La question des travaux publics avait d’ailleurs bien moins d’importance pour l’Ile-de-France que pour toute autre partie du royaume à cause du privilège dont jouissaient les abords des résidences royales, Paris, Versailles, Compiègne et Fontainebleau, dont les routes étaient sous la direction immédiate de l’intendant des finances, chargé de l’administration générale des ponts et chaussées.

La Société royale d’agriculture de Paris, qui comptait parmi ses membres le duc du Châtelet, le marquis de Guerchy, M. d’Ailly et plusieurs autres, s’était empressée d’écrire à l’assemblée pour lui offrir ses services. M. de Guerchy rendit compte de l’organisation toute récente des comices agricoles que la province devait à l’intendant. Une distribution gratuite de vaches aux cultivateurs pauvres avait été organisée par les soins du même administrateur. L’assemblée exprima, sur le rapport du bureau du bien public, plusieurs vœux dans l’intérêt de l’agriculture, tels que la réduction des capitaineries pour diminuer les dégâts commis par le gibier, la suppression de la dîme sur les prairies artificielles, l’extension à l’Ile-de-France de la récente déclaration du roi qui limitait le droit de parcours en Bourgogne et en Champagne, l’extension au dessèchement des étangs de la loi qui exemptait de taille pendant vingt ans les terres nouvellement défrichées.

Sur le rapport du bureau de comptabilité, il fut décidé que les membres de l’assemblée ne recevraient aucun traitement, mais qu’il serait accordé aux officiers municipaux de la ville de Melun une somme annuelle de 2, 400 livres pour prix des logemens qu’ils voulaient bien fournir aux députés. « Le bureau, disait le rapport, n’ose même pas prononcer le nom d’honoraires pour récompenser les services de vos procureurs-syndics. Nous voyons en ce moment le mérite réuni à l’aisance ; mais cet heureux accord est rare, et nous devons prévoir que la fortune ne sera pas toujours aussi juste. Le bureau croit donc devoir vous proposer qu’il soit délivré tous les ans, sur les mandats des procureurs-syndics, une somme de 4,000 livres pour chacun, dont ils ne rendront compte qu’à eux-mêmes ; c’est offrir pour la suite une ressource aux talens sans fortune, et dans ce moment confier un dépôt à la bienfaisance. »

Aux termes du règlement spécial arrêté par le roi pour l’Ile-de-France, la province était partagée, pour la formation des assemblées secondaires, en douze départemens ; on avait jugé que la plupart des élections avaient trop peu d’étendue pour une administration particulière. L’élection de Paris formait à elle seule deux départemens dont les chefs-lieux étaient Saint-Germain et Corbeil ; les élections de Meaux et de Beauvais en formaient chacune un ; les autres avaient été groupées deux à deux et même trois à trois[3]. Chacune de ces assemblées secondaires était composée de 24 membres, plus les deux syndics, total 384 en sus de l’assemblée provinciale. Parmi les simples membres se trouvaient des personnages considérables, comme le comte de Clermont-Tonnerre, le comte de Périgord, le comte de Grasse, le duc de Cossé, etc.

Telle est la véritable origine des départemens. L’assemblée constituante n’a inventé ni le mot, ni la chose. Cette division en départemens se retrouve dans la plupart des règlemens rendus en 1787 pour l’organisation des provinces, et partout ce nom sert à désigner une fraction intermédiaire entre la province et l’élection. Seulement les départemens de 1787 étaient plus petits que ceux de 1790, puisqu’on en avait formé douze dans la généralité de Paris, qui n’en a fourni plus tard que cinq ; mais il n’est pas sûr que la première dimension ne fut pas préférable pour une bonne administration. Le mot d’arrondissement n’était pas plus nouveau en 1789. L’article 7 du titre II du règlement royal du 8 juillet 1787 pour l’Ile-de-France était ainsi conçu : « Les vingt-quatre personnes qui composeront les assemblées de département seront prises dans six arrondissemens, entre lesquels le département sera divisé, et qui enverront chacun à l’assemblée quatre députés. » On retrouve aussi l’origine des cantons dans les subdivisions adoptées pour la même province. « Chaque paroisse, disait M. de Grillon dans son rapport sur la taille, nomme un député pour délibérer sur l’assiette de l’impôt, et pour éviter les inconvéniens d’une assemblée trop nombreuse, on a divisé chaque élection en un certain nombre de paroisses qu’on a nommées cantons et les représentans des paroisses de chacun de ces cantons choisissent un d’entre eux, qui est nommé le député du canton. »

Suivrons-nous maintenant les principaux membres de l’assemblée de l’Ile-de-France au milieu des orages de la révolution ? Nous retrouverons M. d’Ailly le premier nommé président de l’assemblée constituante, le comte de Crillon dans la minorité de la noblesse qui se réunit au tiers-état en 1789, le vicomte de Noailles donnant, dans la nuit du 4 août, le signal de l’abandon général des privilèges, et le duc du Châtelet proposant, dans la même séance, l’abolition des corvées seigneuriales. Ces actes, généreux jusqu’à l’imprudence, ne calmèrent pas la fureur du peuple de Paris. Le malheureux Bertier de Sauvigny, victime de la haine amassée depuis deux siècles contre les intendans, fut massacré quelques jours après la prise de la Bastille, avec son beau-père Foulon, comme suspect de manœuvres pour faire renchérir le prix du pain, lui qui avait consacré toute sa carrière au progrès de l’agriculture dans sa généralité. Le duc du Châtelet, condamné à mort en 1793, essaya de se tuer dans sa prison en se frappant la tête contre les murs ; il fut porté tout sanglant sur l’échafaud. Le vicomte de Noailles eut une mort plus digne de lui ; après avoir émigré en 1792, il reprit du service en 1803 et fut envoyé à Saint-Domingue avec le grade de général de brigade. Bloqué par les Anglais dans le môle Saint-Nicolas, il s’échappa par une nuit obscure avec sa petite garnison, s’empara à l’abordage d’une corvette anglaise, et reçut le coup mortel dans cette audacieuse entreprise. Ses grenadiers enfermèrent son cœur dans une boîte d’argent et l’attachèrent à leur drapeau.


IV. — ORLÉANAIS.

La généralité d’Orléans comprenait à peu près les trois départemens actuels du Loiret, d’Eure-et-Loir et de Loir-et-Cher, avec des fractions de Seine-et-Oise et de la Nièvre. Elle se divisait en douze élections, qui forment aujourd’hui autant d’arrondissemens : Orléans, Montargis, Pithiviers, Gien, Beaugency, Chartres, Châteaudun, Vendôme, Blois, Romorantin, Dourdan et Clamecy. Le nombre des membres de l’assemblée provinciale fut fixé à cinquante-deux, et son siège placé à Orléans, chef-lieu de la généralité ; cette ville avait déjà 40,000 habitans.

L’Orléanais était encore une de ces provinces formées de pièces et de morceaux, qui ne présentaient aucune unité réelle. Le duché d’Orléans, les comtés de Blois, de Vendôme, de Chartres, ont une histoire ; l’Orléanais n’en a pas. La forme même de la généralité, longue et étroite, témoignait de son origine artificielle ; des plaines fertiles de la Beauce aux montagnes forestières du Morvan, il n’y avait pas moins de cinquante lieues, et les mœurs différaient tout autant que les conditions de sol et de climat. Chacun des pays dont la réunion formait l’Orléanais avait eu autrefois ses états ; ceux d’Orléans, entre autres, ont laissé de nombreuses traces.

Voici ce qu’on lit dans l’Histoire d’Orléans, par Symphorien Guyon, imprimée en 1647 : » L’an de salut 1509 fut réformée la coutume d’Orléans pour servir de loi à tous ceux qui dépendaient du bailliage et de la prévôté d’Orléans, et pour procéder avec mûre délibération à une réformation si importante fut faite l’assemblée des trois états du bailliage d’Orléans, clergé, noblesse et tiers-état. Tous les ecclésiastiques qui avaient droit et intérêt d’entrer dans cette assemblée y furent appelés, et leur chef, Christophe de Brilhac, évêque d’Orléans, y assista. La noblesse envoya aussi ses députés, le chef desquels était Lancelot du Lac, seigneur de Chamerolles, conseiller, chambellan du roi, qui était gouverneur et bailli d’Orléans, ayant succédé à Guillaume de Montmorency en ces deux offices. Les docteurs-régens de l’université d’Orléans[4] furent aussi appelés. Finalement le tiers-état, composé des officiers de justice, des échevins et bourgeois de la ville, de tous les autres sujets des justices subalternes du bailliage d’Orléans, ne manqua pas d’assister à cette assemblée si nécessaire, qui apporta une nouvelle forme à la coutume d’Orléans, laquelle dura en cet état soixante-quinze ans. » Une nouvelle réforme des coutumes se fit en 1583, mais cette fois les gens des trois états ne furent pas les seuls à y procéder ; Achille de Harlay, premier président au parlement de Paris, et deux conseillers au même parlement avaient été envoyés par Henri III en qualité de commissaires royaux, et ne consultèrent les états que pour la forme.

Le duc de Montmorency-Luxembourg, nommé par le roi président de l’assemblée provinciale de l’Orléanais, possédait de grands biens dans le Gâtinais et la Puisaye. Il avait fait partie de l’assemblée des notables comme second pair de France et premier baron chrétien. Nommé en 1789 président de la chambre de la noblesse aux états-généraux, il fut de ceux qui combattirent le plus vivement la réunion au tiers-état ; un ordre exprès de Louis XVI put seul le contraindre à céder ; il se le fit même répéter plusieurs fois avant de l’exécuter, et donna presque aussitôt sa démission pour se retirer en Portugal. Il n’avait pas eu la même répugnance pour l’assemblée provinciale, qu’il présida très exactement. Le duc de Croï, qui avait montré le même zèle en Hainaut, donna en même temps et par les mêmes motifs sa démission de député.

La liste des membres du clergé s’ouvrait par le nom de l’évêque de Chartres, M. de Lubersac, qui devait aussi faire partie de l’assemblée nationale; l’évêque d’Orléans, M. de Jarente, à qui son grand âge n’avait pas permis d’assister aux séances, était représenté par son neveu et coadjuteur, l’évêque d’Olba. Passons quelques noms qui n’ont pas pour nous la même importance que pour les contemporains, entre autres celui de l’abbé de Bausset, grand-vicaire d’Orléans et plus tard évêque de Vannes, qu’il ne faut pas confondre avec le futur cardinal de ce nom, qui siégeait alors, comme évêque d’Alais, aux états du Languedoc, et arrivons à ceux que les événemens ultérieurs ont le plus distingués : l’abbé Louis, conseiller-clerc au parlement de Paris, chargé par Louis XVI de plusieurs missions diplomatiques, administrateur du trésor sous l’empire, ministre des finances sous deux gouvernemens, en 1815 et en 1830, et l’abbé Sieyès ou de Sieyès, car les procès-verbaux[5] lui donnent indifféremment les deux noms, alors chanoine et vicaire-général à Chartres, et qu’il suffit de nommer.

Dans la noblesse, le nom qui suit immédiatement le duc de Luxembourg est celui du comte de Rochambeau, né à Vendôme en 1725, lieutenant-général, gouverneur de Picardie et cordon bleu, qui avait commandé le corps auxiliaire envoyé par Louis XVI au secours des insurgés d’Amérique, et qui allait bientôt recevoir le bâton de maréchal de France. Après lui venaient trois futurs membres de l’assemblée nationale, le vicomte de Toulongeon, qui appartenait par sa famille à la Franche-Comté, mais qui possédait une terre en Orléanais, et qui, alors colonel comme M. de Tracy, devait mourir, comme lui, membre de l’Académie des Sciences morales et politiques ; le baron de Montboissier, non moins connu pour la hardiesse et la liberté de ses opinions, et le marquis d’Avaray, grand-bailli d’Orléans, grand-maître de la garde-robe de Monsieur et père de ce comte d’Avaray qui facilita l’émigration du prince et devint son ministre dans l’exil. On s’étonne au premier abord de ne pas trouver sur cette liste le nom de Malesherbes, qui possédait en Orléanais la terre dont il portait le nom et qui aimait à y séjourner; mais on s’explique son absence en songeant qu’il était alors ministre : sans aucun doute il aurait fait partie plus tard de ces assemblées, dont il avait des premiers conseillé la création[6].

Dans le tiers-état, un nom éclipse tous les autres, celui de Lavoisier. Le génie de cet homme extraordinaire comme chimiste a fait oublier ses autres qualités ; mais cette vie si bien remplie se partageait en deux moitiés égales, ses recherches de savant et ses travaux d’économiste, d’administrateur et de financier. Fermier-général, il avait étudié à fond le mécanisme des impôts et du crédit public ; propriétaire d’une grande terre aux environs de Blois, dont il dirigeait lui-même la culture, il ne connaissait pas moins l’économie rurale dans toutes ses difficultés pratiques. À ces talens universels, il joignait l’âme la plus noble, la plus bienfaisante, la plus ardemment dévouée aux intérêts de l’humanité, et ce sera l’honneur éternel du XVIIIe siècle, au milieu de bien des erreurs, d’avoir produit de pareils caractères, qu’on ne reverra peut-être plus.

La ville d’Orléans renfermait une société royale de physique et d’histoire naturelle, une société royale d’agriculture et une société philanthropique fondée par le duc d’Orléans. Ces diverses associations reçurent avec joie l’assemblée provinciale et l’aidèrent dans ses travaux. Une foule de mémoires, qui traitaient presque tous des questions agricoles, lui furent adressés. Le rapport de la commission intermédiaire fut présenté par l’un des procureurs-syndics, l’abbé Le Geard, abbé de la Cour-Dieu, dans le diocèse d’Orléans. Comme la plupart des documens du même genre, ce rapport témoignait de l’invincible défiance du peuple des campagnes. Encore de nouvelles mangeries ! s’était écrié un laboureur en apprenant l’institution de l’assemblée provinciale. C’est contre cet obstacle, habilement exploité par des meneurs, que sont venus se briser tant de nobles efforts : incrédulité naturelle sans doute, mais aveugle et sourde, châtiment d’un long despotisme, mais en même temps source redoutable de révolutions injustes et funestes.

Aucune province plus que l’Orléanais n’avait à se plaindre, car aucune n’avait souffert plus profondément. Plus pauvre et plus dépeuplée que le Berri, elle était encore plus que la Champagne écrasée par les impôts ; on y payait 28 livres 4 sols par tête, un peu plus que partout ailleurs, à l’exception des deux ou trois provinces les plus riches, et la somme annuelle de 20 millions qu’extorquait le fisc sortait encore presque tout entière de la province. La Beauce, qui vendait des grains pour Paris, pouvait du moins ramener assez de numéraire pour payer l’impôt ; mais on a peine à comprendre comment le reste pouvait y suffire. Cette surcharge datait du règne de Louis XIV, et elle n’avait pas tardé à porter ses fruits. « La production et la population ont diminué d’un cinquième depuis trente ans dans cette généralité, » écrivait en 1699 M. de Bouville, intendant d’Orléans.

La Sologne, qui formait le quart environ de la province, fournit un des plus grands exemples connus de la puissance mortelle d’un mauvais gouvernement. Dans un mémoire de M. d’Autroche, membre de la Société royale d’agriculture d’Orléans, qui écrivait en 1786, on trouve le passage suivant: « Sous l’excellent roi Louis XII, dont on ne saurait prononcer le nom sans attendrissement, tout offrait en Sologne l’image de la richesse et de la prospérité. Une population nombreuse animait et fécondait chaque branche de culture, les coteaux étaient couverts de vignes ; plusieurs petites habitations appelées locatures, occupées par autant de ménages laborieux, entouraient chaque terre de quelque importance, et formaient comme autant de satellites. Des bestiaux abondans et bien nourris, en augmentant la masse des engrais, procuraient des récoltes heureuses, et ces récoltes, à leur tour, favorisaient la multiplication des animaux et des hommes. Et que l’on ne croie pas qu’on se fasse à plaisir un tableau chimérique ! Des états anciens du produit des dîmes et champarts ecclésiastiques prouvent que la seule production des grains était alors triple de ce qu’elle est à présent. Toutes les petites rivières qui traversent le pays étaient semées d’une foule de moulins très rapprochés les uns des autres. Depuis cent ans, les deux tiers ont disparu, et le peu qui en reste excède encore les besoins. Les petites locations ont subi le même sort, et s’il en subsiste encore un petit nombre, il touche à son anéantissement. Quant aux vignes, on ne retrouve plus que la trace de leur existence ; les bruyères ont pris la place des raisins. »

M. d’Autroche décrivait ensuite les causes qui avaient amené, selon lui, le dépérissement de la Sologne. «L’impôt de la gabelle doit être, dit-il, regardé comme la principale. Dans les pays fertiles et de grande culture, son influence a dû être bien moindre. D’après les relevés les plus exacts, la consommation du sel dans une ferme de Beauce estimée 3,000 livres coûte à peine 300 livres; l’impôt n’est dans ce cas que d’un dixième par rapport au revenu. Dans une ferme de 300 livres en Sologne, il s’en consomme pour 150 livres; la proportion devient alors comme un à deux et s’accroît d’autant plus que la ferme est plus modique. La Sologne était semée jadis d’une quantité prodigieuse de petites locatures, la consommation moyenne du sel ne pouvait y être moindre d’un quintal. Elles s’affermaient 40, 50, 60 jusqu’à 100 livres : tant que le prix du quintal de sel n’a été que de 10 livres, on avait intérêt à les conserver; mais l’impôt de la gabelle étant venu à s’accroître de manière à augmenter la dépense de chaque ménage de 10 livres, les locatures de 40 livres sont descendues à 30, celles de 50 à 40, et ainsi de suite. Le propriétaire de la locature de 30 livres n’en retirant presque plus rien, il l’abolit. Voilà une famille éteinte ou sans emploi. Par suite de la répartition de la taille, qui n’a aucun égard aux facultés et au nombre des contribuables, le taux que rapportait cette locature se trouve reversé sur les autres, nouvelle surcharge dont elles n’avaient pas besoin. Après un certain laps de temps, le prix du sel étant encore augmenté de 10 livres par quintal, la locature ci-devant de 50 livres tombe à 30. Que fait-on ? On abolit encore cette locature. Autant de familles de moins, autant de nouveaux taux de taille qui se reversent sur le restant et achèvent de les accabler. L’impôt continue à croître et à agir. Le mal dans ses effets suit, comme la chute des corps graves, une progression accélérée. Les guerres et autres besoins publics ayant nécessité des accroissemens successifs sur la taille et ses accessoires, les augmentations ont toujours été réparties d’après les anciens rôles, de sorte que dans la plupart des paroisses de Sologne le taux de la taille est de 10 sols pour livre de revenu, tandis qu’il n’est ailleurs que de 3, 4 ou 5 sols. »

Un autre écrivain de la même époque, M. de Froberville, secrétaire perpétuel de l’académie d’Orléans, confirme ces assertions de M. d’Autroche et en ajoute d’autres. « Le système féodal, dit-il, avait fixé en Sologne chaque propriétaire sur ses terres. Dès que les expéditions militaires ne les occupèrent plus, ils donnèrent leurs soins à l’agriculture. Vers le milieu du XVIe siècle, les grands seigneurs commencèrent à s’y plaire moins ; ils se rapprochèrent de la cour, où la politique chercha à les fixer par des charges, par des bienfaits et par la galanterie. Les désordres des guerres civiles portèrent de nouvelles atteintes à la population de la Sologne. Les petits propriétaires, qui étaient nombreux, disparurent. La plupart des titres de nos biens-fonds, composés de pièces morcelées attestent cette vérité. »

On ne trouve nulle part, dans les procès-verbaux de l’assemblée provinciale, la preuve que Sieyès ait donné un concours actif à ses travaux. Il appartenait au bureau du bien public, et tous les rapports émanés de ce bureau sont de Lavoisier. Le futur auteur de la constitution de l’an VIII n’a jamais beaucoup aimé le détail et la pratique des affaires ; plus habile à inventer des systèmes de gouvernement qu’à les exécuter, son esprit n’était vraiment à l’aise que dans le vide. Il avait fait partie, avec l’abbé de Périgord, d’un nouveau groupe de fibres penseurs, qui avaient succédé, en Sorbonne, à Turgot et à ses amis, et il affectait déjà des airs de domination et un ton d’oracle. Il avait d’ailleurs, comme tous les hommes qui surnagent dans les révolutions, un sentiment très sûr de son intérêt personnel ; les labeurs obscurs d’une assemblée provinciale ne pouvaient donner que de la peine sans profit, et il évitait l’une autant qu’il recherchait l’autre. L’abbé Louis fut moins inactif ; membre du bureau des comptes, il y travailla sérieusement, montrant cet esprit calculateur et positif qui devait faire dire de lui par M. de Talleyrand qu’il serait financier jusqu’au dernier soupir.

Mais celui qui fait tout, qui anime tout, qui se multiplie en quelque sorte, c’est Lavoisier. Son nom reparaît à chaque instant. Le plus important de ses travaux est un rapport sur l’agriculture, lu dans la séance du 1er décembre 1787, Il serait impossible, même aujourd’hui, de mieux approfondir ce grand sujet. L’auteur connaît parfaitement l’état de l’agriculture anglaise au moment où il écrit, et il en parle en termes excellens. Il insiste principalement sur l’état de la Sologne, et ce qu’il en dit est si juste qu’on y trouve à la fois le germe des progrès obtenus jusqu’à ce jour et l’indication de ceux qui restent à accomplir.

Parmi les décisions particulières à l’assemblée de l’Orléanais, on doit citer l’idée première d’une caisse d’épargne du peuple, qui devait être en même temps une caisse de retraite. Un publiciste du temps, Mathon de La Cour, dans un ouvrage ingénieux ayant pour titre Testament de Fortuné Ricard, maître d’arithmétique, avait présenté plusieurs exemples frappans de la puissance des intérêts composés. Un autre écrivain, M. de La Roque, y joignant des études sur les tables de mortalité, avait eu la pensée de caisses de retraite pour le peuple au moyen de faibles placemens dans la jeunesse et l’âge mûr. Le bureau du bien public proposa de créer une pareille caisse à Orléans sous les auspices de l’assemblée provinciale et de la Société philanthropique. L’assemblée nomma des commissaires pour préparer les moyens d’exécution, et, parmi eux, l’infatigable Lavoisier.

Une autre commission, dont Lavoisier devait encore faire partie, fut chargée de rédiger un mémoire pour demander au roi que tous les secours recueillis pour le soulagement de l’indigence fussent réunis dans la main de l’assemblée. On s’occupa avec sollicitude du sort des enfans trouvés. Un édit récent venait de rendre les droits civils aux protestans ; on voulut y joindre des droits politiques. Le baron de Montboissier lut un mémoire sur l’admission des protestans dans les assemblées provinciales. Cet ouvrage, dit le procès-verbal, rempli d’excellentes vues, a excité les plus vifs applaudissemens. Le commerce et l’industrie ne furent pas oubliés ; on demanda l’abolition de tous les règlemens qui gênaient encore la liberté du travail, et entre autres des droits de péage perçus à l’intérieur du royaume. « Nous n’insistons pas sur ce sujet, dit le rapport, parce que nous savons que le ministère s’en occupe. » Le projet d’une caisse d’assurances mutuelles pour les récoltes donna lieu à un examen approfondi.

Le règlement de l’Orléanais, comme celui de l’Ile-de-France, groupait deux à deux les douze élections de la province pour en former six départemens. Le premier se composait des élections d’Orléans et de Beaugency, le second de Chartres et de Dourdan, le troisième de Vendôme et de Châteaudun, le quatrième de Blois et de Romorantin, le cinquième de Pithiviers et de Montargis, le sixième de Gien et de Clamecy. Ces départemens de l’Orléanais avaient en moyenne 350,000 hectares de superficie, ou à peu près l’étendue des deux départemens actuels de Vaucluse et de Tarn-et-Garonne. Le coadjuteur d’Orléans, l’évêque de Chartres, le comte de Dufort, le comte de Saint-Chamans, l’abbé de Césarges et le vicomte de Toulongeon furent nommés présidens. Parmi les procureurs-syndics, on trouve M. Dupin, procureur du roi du grenier à sel de Clamecy, qui a fait successivement partie de l’assemblée législative de 1791, du conseil des anciens et du corps législatif, qui a voulu finir sous-préfet de Clamecy comme il avait commencé, et dont les trois fils se sont de nos jours diversement illustrés.

On conserve aux archives d’Orléans le recueil complet des procès-verbaux de la commission intermédiaire de la province jusqu’au moment où elle a dû remettre l’administration à ses successeurs ; elle a tenu, du 23 décembre 1787 au 13 septembre 1790, 333 séances ou plus de 100 par an. Les mêmes archives contiennent de nombreuses liasses sur les travaux des commissions intermédiaires de département. Ces divers documens montrent quelle vie animait cette organisation qui a duré si peu. Un des argumens favoris des partisans de la centralisation administrative, c’est que les petites villes de province fourniraient difficilement des administrateurs capables et zélés : l’exemple de l’Orléanais, une des provinces les plus arriérées en 1787, prouve le contraire, et puisqu’il s’est trouvé tant d’hommes prêts à prendre partout alors la direction des intérêts locaux, on doit croire qu’il s’en trouverait au moins autant aujourd’hui.

Les membres de l’assemblée d’Orléans, comme de toutes les autres, eurent dans les événemens qui suivirent un sort très différent. Les uns suivirent la révolution, les autres y périrent. En 1788, Sieyès publia son fameux pamphlet : Qu’est-ce que le tiers-état ? Tout était faux dans les trois propositions qui résument cet écrit incendiaire ; il était faux que le tiers-état ne fût rien en 1788 ; cet ordre exerçait au contraire le pouvoir prépondérant, et Sieyès lui-même le savait parfaitement, puisqu’il avait fait partie d’une assemblée où il dominait ; il était faux que le tiers-état dut être tout dans la société régénérée, car l’expérience a prouvé qu’une nation ne pouvait pas, même quand elle le voulait, se séparer violemment de son histoire, et Sieyès lui-même l’a reconnu quand il a accepté le titre de comte sous un empereur héréditaire qui relevait pêle-mêle toutes les ruines du passé ; il était faux que le tiers-état demandât seulement à être quelque chose, car il n’a pas tardé à se constituer en maître exclusif, et Sieyès lui-même y a pris la plus grande part. Mieux eût valu travailler à la réconciliation des ordres qu’à leur division ; mais le prévoyant chanoine avait senti où était la force, il s’apprêtait à la servir et s’en servir.

Lavoisier a eu moins de bonheur et d’habileté. Quand l’assemblée provinciale eut terminé sa session, il ne cessa de s’occuper activement des intérêts de la province. Les intempéries de 1788 ayant amené la disette qui servit de prélude à la révolution, il prêta à la ville de Blois une somme de 50,000 fr, pour acheter des blés et en dirigea si bien l’emploi que cette ville eut peu à souffrir. En 1791, quand l’assemblée constituante voulut se rendre compte de la richesse territoriale de la France pour asseoir, un juste système d’impôt, c’est lui qu’elle chargea de ce grand travail, et il s’en acquitta admirablement. Arrêté en 1793 et condamné à mort, il demanda en vain quelque jours de sursis pour terminer des expériences utiles à l’humanité ; il fut exécuté le 8 mai 1794, à l’âge de cinquante-un ans, pendant que son ancien collègue siégeait à la convention.

L’Orléanais a fait depuis cette époque à peu près les mêmes progrès que la Champagne. On y paie aujourd’hui deux fois plus d’impôts ; mais la plus grande partie se dépense dans le pays même, et un réseau de routes de terre, de voies navigables, de chemins de fer, y porte sur tous les points cette circulation du numéraire qui manquait autrefois et qui facilite l’acquittement des charges. La consommation de Paris, ayant plus que quintuplé, étend maintenant partout son action. La rive droite de la Loire, recevant de plus près l’influence de cette immense agglomération de capitaux, peut rivaliser de richesse avec les meilleures parties du territoire ; la rive gauche, beaucoup plus en retard, porte encore le triste stigmate que deux siècles d’épuisement lui ont imprimé ; mais elle s’en dégage peu à peu. C’est là surtout qu’il faut déplorer le peu de durée de l’assemblée provinciale. Si les principes économiques et politiques de 1787 et 1789, car ce sont bien les mêmes, avaient pu être appliqués sans interruption, la Sologne aurait maintenant effacé les dernières traces de son ancienne misère. Par les pas qu’elle a faits depuis quarante ans malgré bien des circonstances contraires, on peut juger de ceux qu’elle aurait dû faire auparavant, tandis qu’elle a reculé au lieu d’avancer pendant la période révolutionnaire. Le département de Loir-et-Cher, qui figurait pour 259,000 habitans dans le dénombrement de 1790, n’en comptait plus que 227,000 dans celui de 1821.

  1. Voyez la Revue du 1er et du 15 juillet.
  2. Voir les procès-verbaux imprimés à Sens ; 1 vol. in-4o, 1788.
  3. Voici les noms des présidens nommés par le roi pour ces assemblées : Saint-Germain, l’abbé de Montagu, doyen de l’église métropolitaine de Paris ; Corbeil, le bailli de Crussol ; Beauvais, l’évêque de Beauvais ; Senlis, Compiègne et Pontoise, l’évêque de Senlis ; Dreux, Mantes et Montfort, le comte de Surgères ; Meaux, l’abbé de Saluces, grand-vicaire ; Rozoy, Provins et Coulommiers, le marquis de Montesquieu ; Melun et Étampes, le baron de Juigné ; Montereau et Nemours, le comte d’Haussonville ; Sens et Nogent, le duc de Mortemart ; Joigny et Saint-Florentin, le vicomte de La Rochefoucauld ; Tonnerre et Vézelay, l’abbé Guyot d’Ussières, abbé de Saint-Michel de Tonnerre.
  4. Cette ville avait alors une université qui attirait, dit-on, jusqu’à 5,000 écoliers. L’illustre Pothier a été un des derniers professeurs de cette université, qui n’existait plus de fait en 1789.
  5. 1 vol. in-4o, imprimé à Orléans, chez Couret de Villeneuve, éditeur du Journal d’Orléans.
  6. Les fameuses remontrances de la cour des aides, du mai 1775, écrites sous la présidence et sous la dictée de Malesherbes, finissaient par cette conclusion : « Le vœu unanime de la nation est d’obtenir des états-généraux ou au moins des états provinciaux. »