Les Bains de mer/02

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Les Bains de mer
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 3 (p. 377-379).
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II.

L’ÉGLISE.


Après six jours d’ennuis et de rudes travaux
Pour le pain nécessaire et pour tant d’autres maux,
Il est doux, lorsque luit le matin du dimanche,
De voir en beau costume, habit bleu, coeffe blanche,
À la messe du bourg venir ces travailleurs :
Ils marchent sérieux par les sentiers en fleurs,
À travers les grands blés, au bord des vertes haies,
Humant à pleins poumons la senteur des futaies,
Et ravivés par l’air, l’aspect de chaque lieu,
Ils entrent sourians dans la maison de Dieu.


Pornic, c’est votre fête aujourd’hui : cent villages
Dans les terres épars ou qui longent les plages
Sont venus, et pêcheurs, campagnards et bourgeois
Encombrent le chemin et le pied de la croix ;
Les mains serrent les mains ; on cause, on s’examine :
Plus d’un œil est perçant, plus d’une langue est fine.
Chut ! la cloche a sonné, la foule entre, et chacun
Confond tous ses pensers dans le penser commun.
Voici le Kyrie, l’Épître, l’Évangile.
Tout le drame divin sur cet autel fragile
S’accomplit. Mais le prêtre ôte ses ornemens,
Monte en chaire, et de là, muet quelques momens,
Ce vieillard :

« Aimez-vous, enfans, les uns les autres,
Voilà ce que disait le plus doux des apôtres.
Après lui je dirai : Marins et paysans,
Chrétiens de toute classe, aimez-vous, mes enfans.
Ainsi vous parlerait Ève, mère des mères,
Et, serrés dans ses bras nous nommerait tous frères…
Des frères cependant séparés, différens,
Par l’orgueil insensé de nos premiers parens,
Eux qui sortis pécheurs de l’unité suprême,
Nous somment d’y rentrer par le mot divin : J’aime !
Pour le bonheur commun, ô mes fils, aimez-vous !
Plus de riche orgueilleux, plus d’ouvrier jaloux.
Toujours lorsqu’à l’autel s’élèvera l’hostie,
Elevez tous votre âme et n’ayez qu’une vie.
Préparés par l’amour, hommes de la cité,
Ayez donc le respect de l’hospitalité ;
Et vous, gens du pays, accueillez avec joie
Les frères que le ciel chaque été vous envoie. »

À ces mots, le bon prêtre ouvrit des bras tremblans,
Et chacun l’admirait sous ses beaux cheveux blancs ;
Sur lui les jeunes gens fixaient leurs yeux de flammes,
Et les vieillards pensifs, les blonds enfans, les femmes,
Tels ceux-là qu’instruisit l’apôtre bien-aimé,
Savouraient ce discours, comme un miel, embaumé.

Il reprit : « Aimez-vous avec des âmes pures,
Et surtout aimez Dieu, vous tous ses créatures.
Oh ! combien de motifs, marins et campagnards,
De tourner vers le ciel votre âme et vos regards !

Comme un père est heureux s’il a pour sa famille
Le pain qui la nourrit et le lin qui l’habille,
Lui, le père céleste, il vous a tout donné :
Le grain germe en vos champs dès que l’heure a sonné ;
Il s’élève, il mûrit, et vos granges sont pleines ;
Brebis sur vos coteaux et moissons dans vos plaines,
Tout abonde ; la mer, immense réservoir,
D’innombrables poissons pour vous sait se pourvoir ;
Vos barques sur ses flancs passent comme des reines :
Que vos bonheurs sont grands, si grandes sont vos peines !
Mais aimez le travail, c’est lui qui vous rend forts.
Tirez même un orgueil permis de vos efforts :
L’animal par instinct trouve sa nourriture,
L’homme, tel qu’un tribut, l’arrache à la nature,
Et vous, mes paroissiens d’un jour, que des ennuis
Autant que les plaisirs sur nos bords ont conduits,
Laissez-vous pénétrer par leurs charmes austères ;
Tout entiers plongez-vous dans les eaux salutaires,
Et quand de la cité vous prendrez les chemins,
Plus riches des bienfaits répandus par vos mains,
Saluez d’un adieu d’amour et d’espérances
Le grand réparateur de toutes les souffrances. »
Bientôt le saint vieillard devant l’autel chantait :
« Allez, la messe est dite ! » - Et le chœur répondait :
« Grâces à Dieu ! »

Voyez la pieuse assemblée,
Dans quel ordre parfait elle s’est écoulée !
Sous le porche ils semblaient, passant avec lenteur,
Se rappeler encor la voix de leur pasteur…
Mais, aux bras des messieurs bruyans, les demoiselles
Avec de grands éclats déployaient leurs ombrelles ;
Déjà, pendant la messe, on les vit maintes fois,
Sur leurs chaises penchés, causer à demi-voix,
Lorgner et se sourire, et c’était un scandale
Pour ceux qui gravement à genoux sur la dalle,
L’œil fixé sur l’autel, disaient leur oraison.
Et voici derechef sur ce pieux gazon,
Quand chacun prie encor pour un père, une mère,
Pour tous ceux qui sont là sous leur monceau de terre,
Qu’ils passent en dansant, tous ces couples légers !…
« Çà, que viennent ici faire ces étrangers ? »

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