Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre IV

La bibliothèque libre.
Chapitre V  ►
Livre I. — Partie I. [1325]

CHAPITRE IV.


Pour quelle achoison la guerre mut entre le roi de France et le roi d’Angleterre.


Or, dit le conte que le beau roi Philippe de France eut trois fils avec cette belle fille Isabelle[1] qui fut mariée en Angleterre au roi Édouard dont j’ai parlé ci-dessus ; et furent ces trois fils moult beaux ; desquels l’aîné eut nom Louis, qui fut au vivant de son père, roi de Navarre, et l’appeloit-on le roi Hutin. Le second né eut nom Philippe le Long ; et le tiers eut nom Charles ; et furent tous trois rois de France après la mort du roi Philippe leur père, par droite succession, l’un après l’autre, sans avoir hoir mâle de leur corps engendré par voie de mariage. Si que, après la mort du dernier roi Charles, les douze pairs et les barons de France ne donnèrent point le royaume à la sœur qui étoit roine d’Angleterre, pourtant qu’ils vouloient dire et maintenir, et encore veulent, que le royaume de France est bien si noble qu’il ne doit mie aller à femelle, ni par conséquent au roi d’Angleterre son ains-né fils. Car, ainsi comme ils veulent dire, le fils de la femme ne peut avoir droit ni succession de par sa mère, là où sa mère n’y a point de droit : si que, par ces raisons, les douze pairs et les barons de France donnèrent, de leur commun accord, le royaume de France à monseigneur Philippe, fils jadis à monseigneur Charles de Valois, frère jadis de ce beau roi Philippe dessus dit, et en ôtèrent la roine d’Angleterre et son fils qui étoit hoir mâle et fils de la sœur du dernier roi Charles.

Ainsi alla le dit royaume hors de la droite ligne, ce semble à moult de gens ; parquoi grands guerres en sont nées et venues, et grand’destruction de gens et de pays au royaume de France et ailleurs, si comme vous pourrez ouïr ci-après ; car c’est la vraie fondation de cette histoire pour raconter les grands entreprises et les grands faits d’armes qui avenus en sont : car, puis le temps du bon roi Charlemagne qui fut empereur d’Allemagne et roi de France, n’avinrent si grands aventures de guerre au royaume de France qu’elles sont avenues pour ce fait-ci, ainsi que vous orrez au livre, mais que j’aie temps et loisir du faire et vous du lire. Or me veux retraire à la droite matière commencée, et taire de cette, tant que temps et lieu venront que j’en devrai parler.

  1. Isabelle, mère d’Édouard III, était fille de Philippe IV, et Philippe de Valois était petit-fils de Philippe, par Charles de Valois, frère de Philippe IV. Louis X avait laissé une fille nommée Jeanne, qui vivait encore à l’époque de la mort de Charles VI, en 1328.