Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre V

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Livre I. — Partie I. [1325]

CHAPITRE V.


Comment grand’dissension mut entre les barons d’Angleterre et messire Huon le Despensier.


Or, raconte l’histoire que ce roi d’Angleterre, père à ce gentil roi Édouard sur qui notre matière est fondée, gouverna moult diversement son royaume, et fit moult de diverses merveilles en son pays, par le conseil et l’ennort d’un mauvais chevalier monseigneur Huon que on dit le Despensier[1] qui avoit été nourri avec lui d’enfance. Et avoit tant fait celui messire Hue que il et messire Hue son père étoient les plus grands barons d’Angleterre comme de richesse, et étoient toujours les plus grands maîtres du conseil du roi et vouloient maistrier et surmonter tous les autres hauts barons d’Angleterre ; par envie de quoi et pourquoi avinrent, puis ce di, au pays et à eux mêmes moult de maux et de tourmens. Car après la grand’déconfiture d’Esturmelin où le roi Robert Bruce, roi d’Escosse, déconfit ce roi d’Angleterre et tous ses barons, si comme vous avez ouï ci devant, grand’envie et grand murmure monteplia au pays d’Angleterre entre les nobles barons et le conseil du roi, mêmement encontre Hue le Despensier ; et lui mettoient sus que, par son conseil, ils avoient été déconfits, et que, pourtant que il étoit favorable au roi d’Escosse, il avoit tant conseillé et tenu le roi d’Angleterre en négligence, que les Escots avoient reconquis la bonne cité de Bervich et ars quatre journées ou cinq par deux fois dedans leur pays, et au dernier eux tous détruits et déconfits. Et sur ce, les dits barons eurent ensemble plusieurs fois parlement pour aviser qu’ils en pourroient faire, desquels le comte Thomas de Lancastre, qui étoit oncle du roi[2], étoit le plus grand et le principal. Or, se perçut le dit messire Hue le Despensier de cette œuvre, et que on murmuroit sur lui et sur son affaire. Si se douta trop fort que mal ne l’en prit ; si y pourvey tantôt de remède moult félonneux.

  1. Hugh Spenser, qui avait succédé à Pierre Gaveston dans la faveur d’Édouard.
  2. Thomas de Lancastre n’était point fils de Henri III, mais son petit-fils, par Edmond, frère d’Édouard Ier. Il n’était douc que cousin germain d’Édouard II.