Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre XI

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Livre I. — Partie I. [1325]

CHAPITRE XI.


Comment le roi de France fit dire à sa sœur qu’elle vuidât hors de son royaume.


Encore vous dirai-je, si j’ai loisir, de quoi ce messire Hue le Despensier s’avisa. Quand il vit qu’il n’auroit garde du roi de France ni de ce côté, pour embellir et fleurir sa mauvaiseté, et retraire la roine en Angleterre, et remettre en son danger et du roi son mari, il fit le roi d’Angleterre écrire au Saint-Père[1] en suppliant assez affectueusement qu’il voulût écrire et mander au roi Charles de France qu’il lui voulût renvoyer sa femme, car il s’en vouloit acquitter à Dieu et au monde, et que ce n’étoit pas sa coulpe qu’elle étoit partie de lui, car il ne lui vouloit que tout amour et bonne loyauté, telle qu’on doit tenir en mariage. Avec ces lettres, que le dit messire Hue fit écrire par le roi d’Angleterre au pape et aux cardinaux, en lui escripvant ainsi comme vous avez ouï, et encore par plusieurs subtiles voies qui ci ne peuvent mie être toutes décrites, il envoya grand or et grand argent à plusieurs cardinaux et prélats, les plus secrets et les plus prochains du pape, et aussi messagers sages et avisés et bien idoines et taillés de faire ce message ; et mena tellement le pape par ses dons et par ses fallaces qu’ils contournèrent du tout la roine d’Angleterre et condamnèrent en son tort, et mirent le roi d’Angleterre et son conseil à son droit ; et escripst le pape, par le conseil d’aucuns cardinaux qui étoient de l’accord du dessus dit Despensier, au roi Charles de France, que, sur peine d’excommuniement, il renvoyât sa sœur la reine Isabelle en Angleterre devers son mari le roi.

Ces lettres vues et apportées devers le roi de France et par si espécial messager que par l’évêque de Xaintes en Poitou[2] que le pape y envoyoit en légation, le roi fut durement ému sur sa sœur, et dit qu’il ne la vouloit plus soutenir à l’encontre de l’église ; et fit dire à sa sœur, car jà de grand temps ne parloit-il point à li, qu’elle vuidât tôt et hâtivement son royaume, ou il l’en feroit vuider à honte.

  1. Jean XXII occupait alors le Saint-Siège. Édouard II lui écrivit le 5 décembre de cette année 1325, ainsi qu’à plusieurs cardinaux, concernant cette affaire.
  2. Thibaud de Châtillon occupait alors ce siège. Pour parler exactement, Froissart auroit dû dire, Saintes en Saintonge ; mais il lui arrive quelquefois d’agrandir une province aux dépens des provinces voisines : on en trouvera plusieurs exemples dans le cours de son histoire.