Les Foules de Lourdes/Chapitre XV

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P.-V. Stock (p. 297-314).

XV


La perspective de rentrer à Paris qui est un lieu singulièrement calme en comparaison du Lourdes des pèlerinages, me délecte. Il me semble que je vais revenir dans une bonne grande ville de province où il y a encore des églises noires, des gens qui prient sans brailler, des offices liturgiques qui sont des offices.

Et cependant, tout en bouclant ma valise, je me dis qu’il faut avoir vu ces Pardons des Pyrénées et que lorsque le souvenir de tant de pieuses bousculades, de fracas de trombones et de cris s’atténuera, Lourdes m’apparaîtra dans le lointain, comme une cité de rêve où l’on vit, à l’état intense, dans une griserie traversée de courants de révoltes, mais infiniment douce, certains jours, alors que l’atmosphère paraît plus spécialement imprégnée des effluves divins des guérisons. La Vierge a voulu des foules, ainsi qu’au Moyen Age, Elle les a ; sont-ce les mêmes ? sans doute, l’âme ingénue et la foi naïve des vieilles paysannes n’a guère changé ; l’existence même que ces multitudes mènent, ici, couchant dans le Rosaire, mangeant sur les bancs et sur les pelouses, rappelle la vie des cohues d’antan, couchant dans la cathédrale de Chartres — dont le pavé s’inclinait en pente exprès pour qu’on pût le nettoyer à grande eau, le matin, — ou campant autour de la Vierge noire, en plein air, dans les plaines de la Beauce ; mais tout s’est encanaillé ; la magnificence de la cathédrale, l’attrait des costumes, l’ampleur des liturgies tutélaires ne sont plus. Lourdes, né d’hier, s’est développé dans l’insalubre berceau de notre temps et il expire le fétide relent des industries qui l’accablent ; un jour, alors qu’une des sœurs bleues de Beaune sous son hennin et son splendide habit du xve siècle, priait, agenouillée, les bras en croix, j’ai eu la transportante vision des anciens âges, mais l’arrivée de dévotes modernes, avec leurs faces confîtes, leur remuement simiesque des badigoinces, leurs maigres doigts roulant des boulettes de chapelets, leurs funèbres chapeaux et leurs robes aux teintes funestes de fonds de cheminée et de cendre, m’a rejeté dans l’implacable dégoût de mon époque et j’ai pensé que s’il était salutaire de visiter Lourdes, il ne fallait pas s’y attarder longtemps, car le côté dramatique des cures qui vous émeut furieusement tout d’abord, s’émousse à la longue et alors la hideur de tout ce qui vous entoure, de tout ce que l’on voit, domine.

En somme, les impressions que l’on emporte sont de deux sortes et elles sont hostiles, l’une à l’autre, inconciliables.

Lourdes est un immense hôpital Saint-Louis, versé dans une gigantesque fête de Neuilly ; c’est une essence d’horreur égouttée dans une tonne de grosse joie ; c’est à la fois et douloureux et bouffon et mufle. Nulle part, il ne sévit une bassesse de piété pareille, un fétichisme allant jusqu’à la poste restante de la Vierge ; nulle part encore, le satanisme de la laideur ne s’est imposé, plus véhément et plus cynique.

Oui certes, cela est bien misérable, cela incite à quitter cette ville et à n’y jamais remettre les pieds, mais c’est l’imprudent revers d’un inégalable endroit ; la face. Dieu merci, diffère.

D’abord, il y a la foi de ce peuple réuni pour exorer la Vierge, une foi qui ne jaillit, nulle part, en des laves brûlantes comme ici ; et jamais de défaillance ; aujourd’hui Notre-Dame demeure sourde aux supplications. Elle détourne la tête et se tait ; personne ne se plaint ; tous continuent de prier et de croire ; la foule se charge, pour ainsi dire, et se comprime dans l’attente, afin d’exploser dans les gerbes de flammes des Magnificat, alors que, devant le Saint-Sacrement ou au sortir des piscines, le malade, projeté debout, se dresse ; c’est un retour à la fiance résolue du Moyen Âge ; c’est aussi la fusion des classes, confondues en une unique dilection, en un unique espoir.

Puis, il y a la charité exaltée plus que partout sur la terre à Lourdes. Pour quelques ardélions qui regardent travailler les autres et leur distribuent, à tort et à travers, des ordres, combien de gens, au lieu d’excursionner sur les montagnes ou sur les plages, viennent passer leurs vacances dans ce bourg et les occupent à tirer des petites voitures et à baigner des infirmes ; parmi ces gens, il en est qui sont jeunes et riches et qui pourraient voyager plus joyeusement et se divertir ; il en est d’autres qui sont des commerçants et qui laissent leur négoce, pendant un mois, pour faire le métier de cheval de fiacre et de portefaix et ce sont souvent les seuls congés qu’ils puissent s’accorder ! Combien de dames, telles que cette bonne vieille accompagnant la petite aux pieds pourris par la gangrène qui abandonne sa famille et ses appartements, pour venir coucher sur un grabat et veiller, la nuit, des alités ; et tout ce monde est si tenu par sa tâche et si fatigué qu’il n’a même pas la consolation d’aller, ainsi que les autres pèlerins, autant qu’il le voudrait, prier, seul à la source ; il est à l’attache, en service et à ses frais.

Parmi même les visiteurs qui ne besognent pas dans le service des attelages et des piscines, combien, mus de pitié pour ces épaves humaines que l’on traîne devant eux, sur les routes, s’oublient complètement et implorent, de toutes leurs forces, la Madone pour elles. Il y a là le bienfait de l’omission personnelle, l’amour si rare du prochain. On a remisé le bagage de son égoïsme à la consigne. Qui sait si tout de même, il ne pèsera pas moins, quand on le reprendra ?

En résumé, à Lourdes, on assiste à un renouveau des Évangiles ; on est dans un lazaret d’âmes et l’on s’y désinfecte avec les antiseptiques de la charité ; en comparaison de ces profits sanitaires, qu’est-ce que le désarroi de la bêtise et de la laideur, la partie purement humaine des déchets ?

Enfin, il y a, ici, la Vierge, compatissante et douce, qui semble, à certains instants, plus vivante, plus près de nous, que partout ailleurs.

C’est Elle qui, par ses guérisons miraculeuses, a rendu ce pèlerinage célèbre dans l’univers entier. Le public des indifférents ou des sceptiques, inapte à comprendre ce qui ne tombe pas sous la portée de sa raison et de ses sens, ne se soucie guères des grâces spirituelles qu’Elle déverse cependant à foison, dans la grotte ; il ne peut être touché que par le visible et le palpable, par des prodiges matériels, par des suppressions de maladies et de plaies ; et la question se résume pour lui de savoir, d’abord si des guérisons s’opèrent, en effet, à Lourdes et ensuite si ces guérisons sont, comme l’affirment les catholiques, le bouleversement absolu des lois de la nature, le désaveu complet de toutes les méthodes médicales, la négation de tous les préceptes de l’hygiène et de toutes les prévisions de la science. Cela seul l’intéresse.

J’ai répondu, je crois, tout le long de ce livre, par des exemples, à ces questions. Il me reste, en présentant les objections et les réponses, à les réunir et à les récapituler, en quelques lignes.

Au début, aussitôt après les Apparitions à Bernadette, les libres-penseurs, ahuris par le mystère d’inintelligibles cures, songèrent à les expliquer par les vertus thérapeutiques de la source ; mais on fit l’analyse de l’eau et il fut reconnu qu’elle était dénuée de toute propriété médicinale ; et d’ailleurs de quel pouvoir magique n’aurait-il pas fallu que cette nouvelle fontaine de Jouvence fût douée, puisqu’au contraire de toutes les eaux thermales dont les effets se spécialisent, elle enlevait indifféremment toutes les infirmités et toutes les maladies ? c’eût été la panacée terrestre, l’unité du remède appliqué à la diversité des maux !

La nature ne nous a pas jusqu’à ce jour départi des mirobolants pareils. Ce point une fois acquis, comme il était impossible de nier la réalité de faits vus et observés par des milliers de personnes, force fut bien de chercher de nouvelles raisons et l’on adopta cette théorie que les patients étaient des névropathes, exaltés par la Foi, qui se suggestionnaient, eux-mêmes, et guérissaient parce qu’ils avaient la volonté de guérir et la certitude qu’ils seraient guéris.

Pour que cette hypothèse eût des chances d’être exacte, il aurait été nécessaire que la Vierge n’expérimentât que sur des hystériques et des névrosés, sur des monomanes de la guérison, en un mot. Ceux-là peuvent sans doute recouvrer la santé, de la sorte : mais Elle supprime des phtisies arrivées à la dernière période, des cancers, des maux de Pott, des gangrènes ; Elle redresse des pieds-bots, rend la vue aux aveugles et l’ouïe aux sourds, traite toutes espèces d’affections, aussi bien les désordres organiques que les plaies ; à moins donc d’oser affirmer que les maladies dont souffre l’humanité relèvent, toutes, sans exception, d’un détraquement du système nerveux, l’explication demeure insuffisante.

Mais j’admets même cette théorie ; j’accepte que toutes les personnes atteintes de cancer et de gangrène et sauvées à Lourdes, l’ont été par suite d’une émotion morale, par suite d’une imagination surexcitée, par suite de la puissance du désir et de l’énergie de la suggestion ; et alors, les enfants peuvent-ils l’être par ces mêmes moyens, est-ce possible ?

J’ai parlé du gamin à la gouttière de bois de Belley. Celui-là pouvait avoir de sept à huit ans. Était-il en âge de s’hypnotiser ? je veux bien encore le croire ; passons alors à de plus jeunes. Dans un volume très documenté sur Lourdes, l’abbé Bertrin a relevé au hasard des archives médicales de la clinique, des cures d’enfants plus jeunes — et qui se sont maintenues, celles-là — Fernand Balin, guéri, en 1895, d’une déviation du genou, il avait trente mois ; Yvonne Aumaître, la fille d’un médecin, guérie, en 1896, d’un double pied-bot, elle avait vingt-trois mois ; Paul Marcère, guéri, en 1866, de deux hernies congénitales, il avait juste un an ; et combien d’autres !

Dira-t-on que des enfants de cet âge étaient en état de s’autosuggestionner ? il faudrait être, on en conviendra, dément pour le prétendre.

Comment supposer, d’autre part, que l’exaltation de la foi est, à Lourdes, l’agent principal des cures ?

Pourquoi alors tant de personnes qui ont la foi, ne sont-elles pas guéries alors que tant d’autres, qui ne l’ont pas, le sont ; — car enfin, sans même citer le cas de Gargam et de tant d’autres comme celui de Lucie Fauré, de Puylaurens (Tarn) qui, le 24 août 1882, persuadée de l’inefficacité des bains, ne se plonge dans la piscine que pour faire plaisir à ses compagnes et en sort délivrée instantanément d’une luxation du fémur dont elle était affligée depuis vingt-huit ans, les preuves existent de gens ne croyant ni à Dieu, ni à diable qui ont été pourtant, grâce aux prières des assistants, guéris ; tel ce mendiant aveugle de Lille, ce Kersbilck, qui ne mettait pas les pieds dans les églises et se moquait de la Vierge des Pyrénées !

D’autres enfin, qui ont la foi et qui n’ont rien reçu, alors qu’ils la fouettaient, qu’ils l’exaspéraient par des prières et des cris, à Lourdes, s’en retournent, ne comptant plus sur un miracle, et ils sont libérés, en rentrant chez eux !

Que devient dans tout cela la foi qui guérit de Charcot, la foi qui guérit, malgré ses désirs de ne pas guérir, l’Abbesse des Clarisses de Lourdes ?

Et puis que signifient toutes les remarques de Zola et des autres, affirmant que les malades sont hypnotisés par le décor, par le saisissement de l’eau froide, par les lumières de la Grotte, par le roulement des Ave ?

Les patients sont affranchis de leurs maux — et c’est la majorité maintenant — dans des coins, tout seuls, sans se baigner, sans boire d’eau, sans être bénis par le Saint-Sacrement, sans l’aide de suppliques communes, sans cet adjuvant des invocations qui a tant frappé Zola.

Il parle « du souffle guérisseur des foules » de « la puissance inconnue des foules ». Cette puissance dont le vrai nom est la prière est indéniable, mais, je le répète, elle n’est pas indispensable au salut des malades, pas plus d’ailleurs que le cadre et le milieu ; la preuve est que des gens recouvrent la santé chez eux, sans aller à Lourdes, en faisant tout bonnement une neuvaine ; l’histoire de Lasserre, pour en mentionner une, est, à ce point de vue, typique ; il se lotionne, à Paris, chez lui, avec de l’eau expédiée de la grotte et est soudainement exonéré de sa maladie d’yeux ; et d’autres encore, sans avoir même recours à ce procédé, obtiennent, sans bouger de leurs chambres, après une communion, en invoquant simplement la Vierge de Lourdes, des grâces identiques.

L’on est donc sauvé, ici ou autre part, avec ou sans le secours des autres, avec ou sans eau, d’un coup ou lentement.

Dans ce dernier cas, il semble que la Madone soit pressée, qu’Elle se contente de donner à la nature un tour de clef qui la remet en train et lui laisse le soin, maintenant qu’elle a repris sa marche, d’achever, elle-même, la guérison.

Et la même variété existe dans la façon dont se pratiquent les cures ; les uns souffrent en guérissant, et les autres pas ; les uns sont soulevés par un mouvement de flots et lancés sur leurs pieds, d’autres sont parcourus par des frissons ou sont ventilés par des souffles chauds ou froids, alors que d’autres n’éprouvent rien ; les uns se sentent guérir ; les autres, de même que Mme Rouchel, la femme au lupus, le sont, sans s’en douter ; d’aucunes enfin, telles que cette miraculée, gardent, une fois rétablies, des cicatrices, des marques de leurs ulcères, tandis que d’autres, telles que Marie Lemarchand, n’en conservent aucune ! Expliquez cela. — La vérité est qu’il n’y a aucune règle, que la Vierge guérit qui, où et comme Elle veut.

Jusqu’à ces derniers temps, nous l’avons dit, les incrédules répondaient au mot « Miracle » par les mots « Autosuggestion et Foi qui guérit ». À l’heure actuelle, presque tous les médecins libres-penseurs qui savent combien les effets de la thérapeutique suggestive sont restreints, avouent que ces raisons de l’imagination exacerbée et de l’hypnotisme exercé sur soi-même sont insuffisantes pour résoudre le problème de prodiges semblables, par exemple, à la suppression immédiate et définitive d’un cancer et ils ont cherché à se cantonner sur un terrain plus sûr ; mais il se sont, ainsi que toujours, bornés à baptiser la difficulté d’un nouveau nom et à trouver, afin de ne pas voir le miracle, une nouvelle pierre d’autruche pour se cacher la tête.

Ces cures de Lourdes sont incompréhensibles, confessent-ils, oui, c’est entendu, mais elles sont dues « à des forces encore ignorées de la nature », elles sont « du merveilleux encore inexpliqué « et voilà tout.

Cela ferait donc deux forces opposées, contradictoires, car celles que l’on ne connaît pas sont la négation absolue de celles que l’on connaît ; nous voici, du coup, déjà en pleine incohérence. Ainsi, depuis que le monde est monde, il est certain, il est confirmé, chaque jour, par l’expérience, que la nature n’a jamais pu fermer une plaie, fût-elle d’origine nerveuse, en une minute, reformer un épiderme détruit, en une seconde, tarir, comme dans le cas de de Rudder, un foyer purulent et faire repousser un os, pendant le temps de dire une prière ; il est également établi qu’elle ne peut restaurer, en coup de foudre, sans l’ombre de convalescence, une économie ruinée par une longue maladie et des années d’inanition et voilà que, subitement, des forces ignorées interviennent et font tout le contraire.

Je le veux bien, moi ; mais alors il reste à savoir qui les dirige ces forces ; ce n’est pas nous, puisque nous ne les connaissons pas. Il faut donc que ce soit un être qui les connaisse, dont la science soit, par conséquent, supérieure à la nôtre. Or, cet être est invisible ; ce n’est donc pas un homme ou une femme ; c’est qui alors ?

La nature ? la nature des athées, la nature sans Dieu et qui se manipulerait, elle-même, et qui se manierait, en personne ? — mais voyons, c’est insensé ! — Comment, la nature se contredirait, se violerait, elle-même, et pourquoi ? parce que l’on aurait adressé des prières à une autre qu’à elle !

Car, autrement, elle ne se contrecarre pas et elle suit son cours régulier. Il faut donc pour qu’elle se détermine à se dédire qu’on invoque Dieu ou la Vierge — sans cela rien — et on peut la prier, elle, comme on prie Notre-Dame de Lourdes, et elle n’en demeurera pas moins inerte, elle n’en restera pas moins insensible. L’essai est facile à tenter, d’ailleurs ; adulez-la par tous les dithyrambes, que vous voudrez, priez-la de toutes les façons que vous concevrez et vous verrez si le cancer qui vous ronge disparaîtra !

Ces arguments ne tiennent donc pas debout et nous sommes bien obligés d’en revenir à une puissance qui la commande et à laquelle elle obéit, c’est-à-dire à Dieu et à la Vierge.

Mais, comment faire admettre la certitude de cette dynamique divine à des personnes qui ont, il sied de l’avouer, tout intérêt à la nier ?

Ces Apparitions de la Vierge, attestées par des actes inouïs, sont, en effet, très inquiétantes pour bien des gens, si l’on y songe.

Imaginez, par exemple, un homme — non un coquin dont l’âme est putride — mais un brave homme qui n’a pas la foi ou qui l’a perdue, ainsi que tant d’autres, lorsqu’à la sortie du collège, il entendit les rumeurs grandissantes de ses sens ; s’il se rappelle les enseignements du catéchisme, il les juge enfantins, s’étonne presque de la naïveté qui lui permit d’y croire. Il constate, de plus, que les quelques catholiques pratiquants qu’il peut fréquenter sont plus bêtes que les autres — et ce qui est pis — ne sont pas d’une vertu supérieure à la sienne — et son siège est établi ; la religion est bonne pour les faibles d’esprit, pour les femmes et les enfants ; tout homme instruit et intelligent doit s’y soustraire ; il vit donc parfaitement tranquille, loin d’elle ; il dort en paix sur les deux oreilles de son âme et il s’amuse sans contrainte. Il est incapable d’une mauvaise action ; il est même, si l’on veut, charitable, mais il a, comme on dit, son petit côté faible, il aime la vie large et les femmes.

Et voici que brutalement il sait, par des gens au bon sens desquels il peut se fier, que la Vierge opère des miracles à Lourdes. Elle existe donc ! si Elle existe, le Christ est Dieu et, de fil en aiguille, il lui faut reconnaître que les enseignements de ce catéchisme, qu’il estimait si puérils, ne le sont pas ; c’est alors, l’Église et tous ses dogmes qui s’imposent…

Et c’est le trouble qui commence. S’il ecoute sa conscience, il doit renoncer à un tas de plaisirs qui le séduisent, ici-bas, renverser sa vie aux pieds d’un prêtre et, s’il est célibataire, demeurer chaste. S’il ne le fait pas par respect humain, par lâcheté, c’est alors, à l’état permanent, un malaise sourd, un reproche.

Le miracle est, en somme, le coup de glas des passions terrestres ; l’on comprend pourquoi l’on n’en veut pas !

Aussi le brave homme préfère-t-il s’appliquer un bandeau sur les yeux, ne rien entendre et ne rien savoir. Que de personnes j’ai connues, ainsi ! elles étaient parvenues à se fabriquer une certaine croyance qui reposait surtout sur des négations et leur permettait de vivre à leur guise ; et ces gens ne désiraient même pas en être délogés par le spiritisme, car ils craignaient la réalité de ce surnaturel de table d’hôte qui les eût forcément incités à penser à l’autre ; ils étaient assis, placides, dans la vie… et, d’ailleurs, quelle histoire ! s’ils arrivaient à être convaincus de la divinité de l’Église, il leur faudrait donc avouer qu’ils s’étaient trompés et servir de risée à leurs amis !

Aussi peu importe pour les sceptiques de cet acabit que les arguments invoqués contre Lourdes soient sérieux ou futiles ; ils ne tiennent pas du tout à les approfondir ; ils les prennent, ainsi qu’un paravent quelconque derrière lequel ils peuvent se réfugier, à l’abri de nouvelles objections et de nouveaux ennuis…

Cette pusillanimité de l’âme explique pourquoi la clinique du Dr Boissarie, si largement ouverte à tout le monde, est si peu fréquentée par les incrédules ; elle a contre elle, ce qu’on pourrait appeler la haine de la peur, de la peur de la Foi !

Pour en revenir à Lourdes même, c’est, je le répète, un endroit à la fois, répulsif et divin, mais il sied de l’expérimenter en personne.

Pour les malades, du moment que la science se déclare impuissante à les alléger, ils font bien de s’y rendre, car, au cas même où la Vierge n’accueillerait pas leurs prières, Elle leur paiera l’effort et la fatigue du voyage par le bienfait de la résignation et par la grâce du réconfort ; et n’est-ce pas déjà beaucoup ? — Pour les pèlerins valides, s’ils sont des intimistes ou des artistes, ils doivent s’apprêter à souffrir car ils ne pourront voir sans une sainte colère les hideurs diaboliques que la dégénérescence des hommes d’église nous inflige ; mais la Madone leur donnera, en échange, l’admirable vision de la Beauté morale, de la Beauté de l’âme illuminée par les transports de la Foi et de la Charité !

Et puis sait-on ce qu’Elle réserve à ses visiteurs ?

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Et au moment de la quitter, devant ce portrait inconnu jusqu’alors et qui depuis les révélations de Bernadette la représente, je me dis :

Tout de même, notre Mère, comme vous êtes étrange ! Ici, tout d’abord, je ne vous reconnais pas, dans cette image de fillette d’avant Bethléem et d’avant le Golgotha ; vous êtes si différente des Notre-Dame du Moyen Age et même de toutes celles que les siècles suivants nous montrèrent !

Mais, en y réfléchissant, je comprends cet avatar d’effigie, cette nouveauté d’attitude, ce renouveau des traits.

La liturgie de la fête de l’Immaculée Conception parle constamment d’Ève ; elle vous oppose l’une à l’autre et mêle vos deux noms. L’office de ses Matines semble être le développement du « Mutans Evæ nomen » de l’hymne de vos Vêpres.

Vous êtes évidemment Celle qui se promena, sous des figures, sous des noms divers, dans l’Ancien Testament ; Vous êtes — sans crèche et sans croix — la Vierge antérieure aux Évangiles.

Vous êtes la fille de l’impérissable Dessein, la Sagesse qui est née avant tous les siècles.

Vous même l’avez affirmé, dans l’Épître de vos messes : « Le Seigneur m’a possédée au commencement de ses voies, avant qu’il créât aucune chose, au début ; j’ai été établie dès l’éternité et de toute antiquité ; les abîmes n’étaient pas encore et déjà j’étais conçue. »

Vous êtes donc, sous un nouvel aspect, la plus ancienne des Vierges ; Vous êtes, en tout cas, la Vierge sage qui se décèle, à Lourdes, plus que partout ailleurs, la remplaçante de la Vierge folle, de la pauvre Ève.

De même que celle-ci fut façonnée d’un corps issu d’une terre vivante, encore impolluée, Vous, vous êtes aussi formée d’une chair que n’entacha pas le péché d’origine.

L’Immaculée Conception nous ramène, à travers la Bible, jusqu’au chaos de la Genèse et, de là en revenant sur nos pas jusqu’à l’Éden, et, forcément, je pense à Ève, devenue sainte maintenant, et, qui, désolée par les douleurs de ses descendants, par ces maladies affreuses qu’ils n’auraient pas connues, sans sa faute, se tient, là, près de Vous, et vous supplie de payer à ces malheureux sa dette, de les guérir…

Et Vous, qui ne fîtes point, ici-bas, de miracles, de votre vivant, Vous en faites maintenant, et pour elle et pour nous, Lumière de bonté qui ne connaît pas les soirs, Havre des pleure-misère, Marie des compatissances, Mère des pitiés !