Les Fruits de l’instruction/04
ACTE IV
Scène PREMIÈRE
C’est la troisième visite que nous faisons aujourd’hui. C’est encore heureux que les personnes qui ont le même jour habitent le même quartier ! Auparavant, c’était le jeudi, chez vous.
On a changé ensuite pour le samedi, afin que cela tombe le même jour que chez les Gouloukine et chez les Gradé von Grabé…
Scène II
Non, je t’en prie, viens. Autrement si tu refuses et si Dodo refuse alors on ne pourra rien faire.
Je ne sais pas ; il faut absolument aller chez les Choubine. Ensuite la répétition.
Tu auras le temps ; non, je t’en prie, ne nous fais pas faux bond. Fédia en sera ; Coco aussi.
J’en ai par-dessus la tête de votre Coco !
Je pensais le trouver ici. Ordinairement il est d’une exactitude…
Oh ! il viendra sûrement.
Quand je le vois avec toi, il me semble ou qu’il vient de te demander en mariage, ou qu’il va le faire.
Pauvre Coco, il est si amoureux !
Chut ! les gens… (La jeune princesse s’assied sur un divan et chuchote avec Betsy, pendant que Grigori lui met ses galoches.)
Alors, à ce soir !
Je tâcherai.
Dites à votre papa que je ne crois à rien, mais que je viendrai tout de même voir son nouveau médium. Qu’il me fasse prévenir. Adieu, ma toute belle. (Elles s’embrassent. La princesse et sa fille sortent. Betsy remonte l’escalier.)
Scène III
Il fait des distinctions aussi, celui-là !
Nous autres, nous n’avons pas à faire de ces distinctions.
Pourquoi pas ? Ne sommes-nous pas des hommes ? Ce sont elles qui s’imaginent que nous ne comprenons rien. Lorsqu’elles bavardaient tout à l’heure, elles ont jeté sur moi un regard et ont dit : « Les gens ! »
Et qu’est-ce que ça veut dire ?
Ah ! ça veut dire : Ne parlez pas, on comprendrait ! Et pendant le dîner aussi, et moi je comprends. Vous dites qu’il y a de la différence… il n’y en a aucune…
La différence est grande pour celui qui comprend.
Scène V
Vous avez là un jeune homme audacieux !
Un garçon sans conséquence ! Il n’a pas d’aptitudes pour le service : il était garçon de bureau. Il s’est gâté. J’ai même conseillé de ne pas le prendre, mais il a plu à madame. Il a bon air quand on le voit sur le siège…
Je l’aurais placé chez notre comte, celui-ci l’aurait remis à sa place. Il n’aime pas les faiseurs d’embarras. Si tu es valet, reste valet ! Garde ton rang. Mais cet orgueil-là ne nous convient pas.
Scène V
Oui, oui. Mon second est la même chose que k ; mon tout… Oui, oui, oui. (À sa rencontre arrive Coco Klingen ; il a un lorgnon ) Ah ! mon petit Coco, d’où viens-tu ?
Non, écoute la charade. Mon premier c’est la même chose que kine ; mon second, la même chose que k, et mon tout chasse les veaux.
Je ne sais pas, et je n’ai pas le temps.
Et où vas-tu encore ?
Comment, où je vais ? Il me faut aller chez les Ivine, nous avons une répétition de chant ; ensuite chez les Choubine, et ensuite à la répétition. Toi aussi, tu dois y être ?
Certainement, je n’y manquerai pas. C’est moi qui étais le sauvage et maintenant je suis sauvage et général.
Et la séance d’hier, comment s’est-elle passée ?
C’était à se tordre ! On s’est servi d’un paysan ; et surtout ça se passait dans l’obscurité. Vovo criait comme un enfant, le professeur donnait des explications et Maria Vassilievna faisait des commentaires. C’était à se tordre ! C’est dommage que tu n’aies pas été là…
J’ai peur, mon cher ! Toi tu sais t’en tirer avec des plaisanteries ; mais moi, il me suffit de dire un mot pour qu’on le tourne de telle façon que j’aie l’air de faire une demande en mariage ! Et ça ne m’arrange pas du tout. Mais, du tout, du tout !
Et toi fais la proposition de mariage avec un verbe, et cela ne t’engagera à rien. Alors, va voir Vovo, puis nous irons ensemble à la répétition.
Je ne te comprends pas : comment peux-tu être bien avec un imbécile pareil ? Ce qu’il est bête ! Un véritable crétin.
Moi je l’aime. J’aime Vovo. (Il entre chez Vassili Léoniditch.)
Scène VI
Vous ne vous connaissez pas ?
Non.
Le baron Klingen. (À Coco.) Pourquoi n’êtes-vous pas venu hier ?
C’est dommage, c’était très intéressant ! (Elle rit.) Vous auriez vu quelles manifestations se sont produites ! Et notre charade, ça marche ?
Oh ! oui ! Les vers pour mon second sont prêts. Nick a composé les vers et moi la musique.
Comment est-ce ? Comment ? Dites !
Permettez ! Comment ?… Ah ! oui ! Le cavalier chante à Nanna. (Il chante.)
« Que la nature est belle !
La belle Nanna
Verse l’espoir en mon âme
Na, na, na, na, na, na. »
Le second est na. Et quel est le premier ?
Et mon premier, mon premier c’est Aré, c’est le nom d’une sauvagesse.
Aré, voyez-vous, c’est une sauvagesse qui veut dévorer l’objet de son amour. (Elle éclate de rire.) Elle marche, s’arrête et chante.
Ah ! l’appétit…
Me tourmente !
Je voudrais manger quelqu’un
Je marche, je rôde…
Sans trouver rien.
Je ne sais qui manger.
Je vois au loin un radeau.
Il approche
Portant deux généraux.
Nous sommes deux généraux.
L’infortune nous a unis
Et nous a jetés sur cette île.
Et ensuite le refrain :
L’infortune nous a unis
Et nous a jetés sur cette île.
Charmant !
Comprenez donc combien c’est idiot !
Tout le charme est là.
Qui fait Aré ?
C’est moi. Je me suis fait faire un costume, mais maman dit qu’il n’est pas convenable. Il n’est pas plus inconvenant qu’une robe de bal. (À Féodor Ivanovitch.) L’homme de chez Bourdier est-il ici ?
Oui, mademoiselle, il est à la cuisine.
Et l’Aréna ?
Vous verrez cela ; je ne veux pas vous gâter le plaisir. Au revoir.
Adieu. (Ils se saluent, la dame sort.)
Allons chez maman. (Betsy et Coco montent l’escalier.)
Scène VII
Bonjour, bonjour ! (Les valets le saluent.) Vous devriez dire à Grigori Mikhaïlovitch de m’aider un peu ; je n’en peux plus. (Il sort.)
Scène VIII
C’est un bon garçon. Mais il ne plaît pas à madame. Elle trouve qu’il ne se présente pas bien. Et, pour son malheur, hier encore, tout le monde est tombé sur lui parce qu’il a laissé entrer des paysans dans la cuisine. Je crains qu’on ne lui donne son congé. Pourtant c’est un bon garçon.
Quels paysans ?
Des paysans qui sont venus de notre village, de la province de Koursk, pour acheter des terres. Il était tard, et puis ce sont des pays de notre sommelier, l’un d’eux est le père d’un garçon d’office. Alors on les a laissé entrer dans la cuisine. Par malheur on s’occupait hier, ici, à deviner des pensées : on a caché un objet à la cuisine, tous les messieurs y sont venus et madame a vu les paysans. Ça a été terrible ! Comment, a-t-elle dit, ces gens-là viennent de la rue, avec toutes sortes de contagions, et vous les mettez à la cuisine ? Elle a très peur des contagions.
Scène IX
Il ne sait jamais s’y prendre celui-là ! (Il sort.)
Scène X
Voilà encore une nouvelle mode cette contagion ! Alors, votre dame en a peur aussi ?
Plus que du feu ! En ce moment nous ne faisons que laver, enfumer, asperger !
Scène XI
Alors, allons ! Je vais chercher Coco !
C’est un idiot, ton Coco. En voilà un garçon nul ! Il ne s’occupe de rien ; il ne fait que se promener. Hein ? quoi !
Attends-moi tout de même, je prendrai congé.
Bon ! Je vais voir les chiens, dans la chambre des cochers. Il y a un lévrier si méchant que le cocher dit qu’il a failli le dévorer ! hein ? quoi !
Qui a dévoré l’autre ? Est-ce le cocher qui a mangé le chien ?
Oh ! toi toujours… (Il s’habille et sort.)
Ma…kin…toche. Oui !… oui ! (Il monte l’escalier.)
Scène XII
Il manque des tartines. Je l’avais bien dit. (Il sort.)
Ou bien encore, chez nous, voilà l’enfant qui tombe malade. Aussitôt on l’envoie dans un hôtel, avec des bonnes, et il y est mort sans la mère.
C’est ça, ils ne craignent pas le péché ! Pour moi je crois qu’on ne peut se cacher nulle part du bon Dieu.
Je le crois aussi. (Iakov monte en courant l’escalier avec des tartines.)
Remarquez bien encore que si on était obligé d’avoir peur de tout le monde, il n’y aurait plus qu’à s’enfermer entre quatre murs, comme dans une prison, et à y rester !
Scène XIII
Bonjour ! (Les valets saluent.) Féodor Ivanovitch, j’ai deux mots à vous dire.
Voilà ! Féodor Ivanovitch, les paysans sont encore là.
Mais pourquoi ? J’ai remis le contrat à Sémion.
Pour le papier je le leur ai remis. Ce qu’ils en sont reconnaissants on ne peut le dire. Ils ne demandent plus qu’une chose : qu’on leur prenne leur argent.
Mais où sont-ils ?
Ils attendent en bas, près du perron.
Eh bien, je vais le dire.
Et puis, j’ai encore une demande à vous faire, Féodor Ivanovitch !
Quoi, encore ?
Mais, Féodor Ivanovitch, je ne puis plus rester ici, demandez qu’on me laisse partir. (Iakov entre en courant.)
Qu’as-tu ?
Demande cela à la femme de charge. (Iakov disparaît en courant.) Alors, pourquoi ça, Tania ? Mais maintenant c’est impossible.
Il n’y a pas assez d’oranges.
Porte ce qui reste. (Iakov sort.) Tu n’as pas choisi un bon moment. Tu vois quel remue-ménage !
Mais vous savez bien vous-même, Féodor Ivanovitch, que ce remue-ménage ne finit jamais ; et la chose est importante pour moi ! Puisque vous m’avez déjà fait tant de bien, Féodor Ivanovitch, soyez mon second père, choisissez un moment, dites. Autrement elle se fâcherait et ne me rendrait pas mon passeport.
Mais pourquoi donc es-tu si pressée ?
Que voulez-vous, Féodor Ivanovitch, maintenant l’affaire est arrangée. Je voudrais vite trouver ma marraine, lui annoncer la chose et me préparer, et le dimanche après Pâques, on aurait fait la noce. Parlez-lui, Féodor Ivanovitch, mon petit père !
Va, ce n’est pas ici l’endroit. (Tania sort. Du haut descend un monsieur âgé ; sans rien dire il sort avec le deuxième valet de pied.)
Scène XIV
Ah ! Féodor Ivanovitch, c’est trop fort ! La voilà maintenant qui veut me donner congé ! Toi, qu’elle dit, tu casses tout, tu n’as pas soigné Fifi, et malgré mon ordre tu as laissé entrer les paysans à la cuisine ! Vous le savez pourtant bien, que ce n’est pas ma faute ! C’est Tania qui m’a dit : Conduis-les à la cuisine ; comment pouvais-je savoir que c’était défendu.
Est-ce qu’elle te l’a dit ?
Scène XV
Sans faute, certainement ! Je suis si profondément touchée !
Si ce n’était ma santé, je serais venue plus souvent vous voir.
Je vous engage de vous adresser à Piotr Petrovitch. Il est brusque, mais personne ne vous dorlote aussi bien que lui. Pour lui, tout est si simple, si clair !
Non, je suis déjà habituée au mien.
Prenez garde !
Merci, mille fois merci.
Scène XVI
Je t’apprendrai, canaille, à me battre ! Ah ! vaurien !
Qu’est-ce que c’est ? Êtes-vous dans un cabaret !… peut-être ?
Ce goujat me rend la vie intolérable !
Mais êtes-vous devenus fous ? Ne voyez-vous pas qu’il y a du monde ! (À la comtesse.) Merci, mille fois merci ! À mardi. (La comtesse et le premier valet de pied sortent.)
Scène XVII
Qu’y a-t-il ?
Bien que je ne sois qu’un valet de chambre, j’ai mon orgueil, et je ne permettrai pas au premier paysan venu de me bousculer.
Que s’est-il passé ?
Comment ? Pourquoi ?
Je n’en sais rien !
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Il n’avait qu’à ne pas courir après elle ?
Mais que voulez-vous dire ?
Mais oui. Il veut toujours embrasser Tania, la femme de chambre, et elle ne veut pas de ça. Alors je l’ai écarté, comme ça, un petit peu.
Ah ! bon ! Il appelle ça m’écarter ! Il a failli m’enfoncer les côtes. Il m’a déchiré mon habit. Si vous saviez ce qu’il dit : Je suis possédé, comme hier, de la force, dit-il ! Et il s’est mis à me serrer.
Comment oses-tu te battre chez moi ?
Pas du tout ! C’est par rage, parce que j’ai découvert leurs supercheries !
Quelles supercheries ?
Mais pendant la séance. Tous les trucs d’hier, ce n’est pas Sémion, c’est Tania qui les a faits. Je l’ai vue de mes propres yeux sortir de dessous le canapé.
Quoi ? Elle sortait de dessous le canapé ?
Je peux en donner ma parole d’honneur ! C’est elle aussi qui a apporté le papier et l’a jeté sur la table. Sans elle on ne l’aurait pas signé et on n’aurait pas vendu les terres aux paysans.
Vous l’avez vue vous-même ?
De mes propres yeux. Veuillez la faire appeler, elle ne niera pas.
Scène XVIII
On ne peut pas, allez-vous-en !
Ah bah ! Nous venons pas pour faire du mal ; nous venons pour donner l’argent.
Ben sûr !… Puisqu’après la signature l’affaire est conclue, nous ne voulons que payer, et avec toute notre reconnaissance.
Attendez, attendez, avant de remercier ! Ce n’est qu’une tromperie, ce n’est pas encore fini, pas encore vendu. Léonid ! Appelez Léonid Féodorovitch. (Le Suisse sort.)
Scène XIX
Non, non ! veuillez venir ici. Je vous ai dit qu’il ne fallait pas vendre la terre à crédit, et tous vous l’ont dit ! Mais vous vous êtes laissé duper comme le dernier des idiots !
C’est à-dire ?… Et quoi ? Je ne comprends pas. Quelle duperie ?
Vous devriez en avoir honte ! Vous avez des cheveux gris et on vous trompe comme un gamin, on se moque de vous ! Vous regrettez de donner à votre fils trois cents roubles pour soutenir son rang dans la société, et vous, on vous met dedans comme un imbécile, pour des milliers.
Mais, Annette, calme-toi.
Nous voulons seulement remettre la somme ; c’est-à-dire…
Laisse-nous partir pour l’amour du Christ !
Attendez ! Attendez !
Scène XX
Il n’y a pas à nier du moment que je l’ai vue !
Dis, y étais-tu ? Avoue ! Je ne te ferai rien ; je veux seulement confondre celui-là. (Elle montre Léonid Féodorovitch.) C’est toi qui as jeté le papier sur la table ?
Je ne sais que répondre. Je ne voudrais qu’une chose : qu’on me laisse partir à la maison.
Vous voyez bien ! On vous mystifie !
Scène XXI
Laissez-moi partir, Anna Pavlovna !
Non, ma chère ! Tu nous as peut être fait tort de plusieurs milliers de roubles ! On a vendu de la terre qu’il ne fallait pas vendre.
Laissez-moi, Anna Pavlovna !
Laissez-la partir, maman ; et si vous voulez la poursuivre, poursuivez-moi aussi en même temps. C’est moi qui ai tout fait hier soir avec elle.
Oh ! si tu en étais, il ne pouvait arriver que du vilain !
Scène XXII
Bonjour, Anna Pavlovna ! Bonjour, mademoiselle ! Je viens chez vous, Léonid Féodorovitch, vous apporter le compte rendu du treizième Congrès des spirites à Chicago. Le discours de Smith est étonnant !
Ah ! très intéressant !
Et comment cela ?
Très simplement ; c’est elle qui jouait de la guitare dans l’obscurité ; c’est elle qui frappait mon mari sur la tête, et qui a fait toutes vos bêtises. Elle vient de l’avouer !
Mais qu’est-ce que cela prouve ?
Cela prouve que votre médiumnisme est une baliverne ; voilà ce que cela prouve.
Parce que cette jeune fille a eu l’envie de tromper, il s’ensuivrait que le médiumnisme est une baliverne, comme vous avez bien voulu vous exprimer ? (Souriant.) C’est une conclusion étrange ! Il se peut bien que cette jeune fille ait eu l’intention de tromper. Cela arrive souvent. Peut-être aussi a-t-elle fait quelque chose. Mais ce qu’elle a fait, c’est elle qui le fait, et ce qui était la manifestation de l’énergie médiumnique était la manifestation de l’énergie médiumnique. Il est même très probable que ce qu’a fait cette jeune fille a provoqué, sollicité, pourrais-je dire, la manifestation de l’énergie médiumnique, lui a donné une forme définitive !
Vous dites, Anna Pavlovna, que cette jeune fille, et peut-être aussi cette charmante demoiselle y ont été pour quelque chose ? Mais la lumière que nous avons tous vue ? Et l’abaissement de température dans un cas, l’élévation dans l’autre ? Et l’agitation, l’état de vibration de Grossmann ? Quoi ? Est-ce aussi cette jeune fille qui a fait tout cela ? Ce sont des faits ! Non, Anna Pavlovna, il y a des choses qu’il faut étudier et bien comprendre pour en parler. Des choses très sérieuses, trop sérieuses même !
Et le petit enfant qu’a vu très clairement Maria Vassilievna ? Et moi aussi je l’ai vu ! Cette fille n’a pu le faire, cela ?
Vous vous croyez intelligent et vous n’êtes qu’un sot !
Bon ! Je m’en vais. Alexis Vladimirovitch, allons chez moi. (Il va vers son cabinet ; le professeur le suit et hausse les épaules.)
Scène XXII
On l’a trompé comme un imbécile, et il ne voit rien ! (À Iakov.) Que veux-tu ?
Combien de couverts ordonnez-vous de mettre à table ?
Combien ? Féodor Ivanovitch, prenez-lui toute l’argenterie, et à la porte immédiatement ; il est cause de tous les malheurs. Cet homme me mettra à la tombe ! Hier il a manqué faire mourir mon petit chien qui ne lui a cependant rien fait ! Ce n’était pas assez ! C’est encore lui qui a introduit les paysans contaminés à la cuisine ! Et les voilà encore ici ! C’est lui qui a tout fait ! À la porte ! Tout de suite à la porte ! Qu’on lui donne son compte ! (À Sémion.) Et toi, si tu te permets de faire encore du bruit dans ma maison, je t’apprendrai… vilain paysan !
Mais regardez donc, il a une éruption sur le nez ! Une éruption ! Il est malade, c’est un foyer de contagion ! Je l’ai bien dit hier, qu’on ne les laisse pas entrer ! Et les voilà encore ! Chassez-les !
Alors, vous ne donnez pas l’ordre d’accepter l’argent ?
L’argent ? Prends-le ! Mais eux-mêmes, surtout celui-là, ce malade, à la porte ! tout de suite à la porte ! Il est tout à fait pourri !
Tu as tort, ma mère, je le jure ! Demande plutôt à ma vieille. Voyons, si je suis pourri ! Je suis, disons, comme du verre.
Il ose encore parler ! À la porte ! À la porte ! Ils font tout exprès ! Non, je n’en puis plus ! Envoyez chercher Piotr Petrovitch ! (Elle sort précipitamment en geignant, Iakov et Grigori sortent.)
Scène XXIV
Ce n’est rien, ce n’est rien ! Tu peux partir avec eux ; j’arrangerai cela. (Elle sort.)
Scène XXV
Mais comment faire alors, ben estimé, pour le paiement de la somme ?
Laisse-nous partir.
Si on avait su, jamais je n’aurais accepté !… Ça fait perdre plus qu’une maladie…
Conduis-les chez moi. J’ai justement là une machine à compter. Je toucherai l’argent là-haut. Allez, allez !
Allons, allons !
Remerciez Tania ; sans elle vous n’auriez pas eu les terres.
Ben sûr ! Ainsi qu’elle nous a promis, elle a tenu.
C’est elle qui nous a fait ce que nous sommes ; autrement qu’étions-nous ? Notre terre était petite, y avait même pas de place pour y lâcher une poule ! Adieu, ma fine ! Quand tu seras au village, viens manger du miel !
Attends, laisse-moi rentrer chez moi ; je me mettrai à préparer la noce et à brasser de la bière ! Viens seulement.
Je viendrai, je viendrai. (Elle pousse un cri de joie.) Sémion, voilà ce qui est bien ! (Les paysans sortent.)
Scène XXVI
Que Dieu te garde ! Eh bien ! Tania, quand tu seras en ménage et que je viendrai chez toi, me recevras-tu ?
Cher Féodor Ivanovitch, nous te recevrons comme notre père bien-aimé ! (Elle l’embrasse.)