Les Historiettes/Tome 1/31

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 224-231).


M. DE GUISE, FILS DU BALAFRÉ[1].


Quand M. de Guise eut le gouvernement de Provence, après la mort du Grand Prieur, bâtard de Henri II, il trouva à Marseille une fille dont il devint amoureux. C’étoit la fille de cette belle Châteauneuf de Rieux, qui avoit été aimée par Charles IX[2], qu’Henri III avoit eu quelque envie d’épouser, et qui, après n’avoir pas voulu épouser le prince de Transylvanie (car il avoit envoyé demander une fille de la cour de France), épousa Altoviti-Castellane, capitaine de galères. Les Altoviti sont une famille de Florence, dont une branche a été transplantée dans le Comtat d’Avignon. Or, cette madame de Castellane étant accouchée à Marseille, elle fit tenir sa fille sur les fonts par la ville de Marseille même. On lui donna le nom de Marcelle, une de leurs saintes, et aussi peut-être parce que ce nom approchoit de celui de la ville. Insensiblement, quand cette fille, n’ayant plus ni père ni mère, vint demeurer à Marseille avec une de ses tantes, le peuple l’appela mademoiselle de Marseille, au lieu de mademoiselle Marcelle. C’étoit une personne de la meilleure grâce du monde, de belle taille, blanche, les cheveux châtains, qui dansoit bien, qui chantoit, qui savoit la musique jusqu’à composer, qui faisoit des vers, et dont l’esprit étoit extrêmement adroit, fière, mais civile ; c’étoit l’amour de tout le pays. Le Grand Prieur en avoit été épris ; plusieurs personnes de qualité l’eussent épousée ; elle quitta tout cela pour M. de Guise.

Sa naissance, sa grandeur, son air agréable, car il étoit, quoique camus et petit, de fort bonne mine et fort aimable, la charmèrent. Cette galanterie dura quelques années ; mais quoiqu’on crût qu’elle lui avoit accordé les dernières faveurs, elle vivoit pourtant d’un air si noble, qu’on pouvoit croire qu’elle prétendoit à l’épouser, car il étoit encore à marier. Elle eut enfin quelque soupçon, et lui du dégoût. Elle eut assez de fierté pour le prévenir et pour rompre la première. Il part et vient à la cour. Elle fit ces deux couplets de chanson, et y mit un air :

Il s’en va ce cruel vainqueur,
Il s’en va plein de gloire ;
Il s’en va méprisant mon cœur,
Sa plus noble victoire ;
Et malgré toute sa rigueur,
J’en garde la mémoire.

Je m’imagine qu’il prendra,
Quelque nouvelle amante ;
Mais qu’il fasse ce qu’il voudra,
Je suis la plus galante.
Le cœur me dit qu’il reviendra,
C’est ce qui me contente.

Pour le temps, je ne crois pas qu’on en pût trouver de meilleurs, et même aujourd’hui on ne voit guère rien de plus achevé. Voyant qu’il ne revenoit point, le chagrin la prit, elle tomba malade, et cette maladie dura un an. Elle vendit, car elle n’avoit point de bien, tout ce qu’elle avoit de bijoux ; M. de Guise en fut averti, et qu’elle cachoit sa nécessité à tout le monde ; il lui envoya offrir dix mille écus. Elle dit au gentilhomme qui disoit les avoir tout prêts, qu’elle remercioit M. de Guise, qu’elle ne vouloit rien prendre de personne, et encore moins de lui que d’un autre ; qu’elle n’avoit guère à vivre, et qu’en cet état-là elle se pouvoit passer de tout le monde. Il y a apparence que cela augmenta son mal ; elle mourut la nuit suivante, et on ne lui trouva qu’un sou de reste. La ville la fit enterrer à ses dépens dans l’abbaye de Saint-Victor. Vingt-cinq ou trente ans après, comme on regarda dans le tombeau où on l’avoit mise, on y trouva son corps tout entier ; le peuple vouloit que ce fût une sainte, quand un vieux religieux alla regarder le registre, et trouva que c’étoit la maîtresse de M. de Guise.

Au combat contre les Rochellois, le feu se prit au vaisseau de M. de Guise. Feu M. de La Rochefoucauld lui vint dire : « Ah ! monsieur, tout est perdu. — Tourne, tourne, dit-il au pilote, autant vaut rôti que bouilli. »

On conte des choses assez plaisantes de ses amourettes[3]. Il étoit couché avec la femme d’un conseiller du parlement, quand le mari arriva de grand matin à l’improviste. Le galant se sauve dans un cabinet, mais il oublie ses habits. La femme ôte vite le collet du pourpoint et ce qu’il y avoit dans les pochettes. Le mari demande à qui étoient ces habits. « Une revendeuse, lui dit-elle, les a apportés, elle dit qu’on les aura à bon marché ; regardez s’ils vous sont bons ; ils vous serviront à la campagne. » Il met l’habit, et étant pressé d’aller au palais, il prend sa soutane par-dessus et s’en va. Le galant prend ceux du mari et s’en va au Louvre. Henri IV le regarde, et M. de Guise lui conte l’histoire. Le Roi envoie un exempt ordonner au conseiller de le venir trouver. Le conseiller, bien étonné, vient ; le Roi le tire à part, lui parle de cent choses, et en causant lui déboutonnoit sa soutane sans faire semblant de rien. L’autre n’osoit rien dire ; enfin tout d’un coup le Roi s’écrie : « Ventre saint-gris ! voilà l’habit de mon cousin de Guise. »

Une autre fois il dit à feu M. de Gramont qu’il avoit eu les dernières faveurs d’une dame qu’il lui nomma (le fils lui ressemble bien). M. de Gramont, quoique grand causeur, n’en dit rien. Quelques jours après M. de Guise l’ayant rencontré, lui dit : « Monsieur, il me semble que vous ne m’aimez plus tant ; je ne vous avois dit que j’avois eu tout ce que je voulois d’une telle, qu’afin que vous l’allassiez dire, et vous n’en avez pas dit un mot. »

Une autre fois il fit bien pis, car ayant recherché une dame fort long-temps, et enfin étant couché avec elle, le matin de bonne heure il avoit de l’inquiétude et ne faisoit que se tourner de côté et d’autre ; elle lui demanda ce qu’il avoit : « C’est, dit-il, que je voudrois déjà être levé pour l’aller dire. »

Il contoit qu’un soir M. de Créqui lui donna une haquenée pour se retirer, et que cette haquenée, qui avoit accoutumé de porter son maître chez une dame, ne manqua pas d’y aller ; que là on le prit pour M. de Créqui, et que, sans trop de lumière, on le mena, son manteau sur le nez, par un escalier dérobé, dans une chambre où on le laissa ; puis que la dame y vint et qu’il profita de l’occasion. Il en donnoit un peu à garder.

Il avoit épousé la fille de M. Du Bouchage, frère de M. de Joyeuse, le favori. Elle étoit veuve de M. de Montpensier[4], dont elle n’avoit eu que feue Madame[5]. Cette madame de Guise étoit une fort honnête femme et fort dévote. Or le feu comte de Fiesque étoit un grand dévot et l’ami de madame de Guise. On demandoit un jour à M. de Guise : « Que feriez-vous si vous les trouviez couchés ensemble ? — Je ferois sonner, dit-il, toutes les cloches des environs de l’hôtel de Guise, comme si les pardons étoient chez nous. »

De Florence, où il s’étoit retiré du temps du cardinal de Richelieu, il écrivoit au maréchal de Bassompierre dans la Bastille : « Je suis ici pour n’être pas . »

Le comte de Fiesque d’aujourd’hui passant à Florence, M. de Guise lui dit : « Comte, dis un peu à M. le Grand-Duc (c’étoit en sa présence) combien il y a de lapins dans la garenne de Saint-Germain, car il ne me veut pas croire. — Mais, monsieur, dit le comte, le moyen de dire cela ? — Eh ! reprit M. de Guise, à cinq ou six près, cela n’importe. »

Il étoit grand rêveur et grand menteur. Boisrobert soutient pourtant qu’il y avoit de l’affectation, et qu’il l’y avoit surpris : en voici un exemple qui pourroit bien être de ce nombre, mais qui ne laisse pas d’être fort joli et fort obligeant. Le Fouilloux[6] avoit dit à M. de Guise une épigramme de Gombauld qui lui avoit plu extrêmement. Le duc se promène quelque temps, et puis tout-à-coup appelant le gentilhomme : « N’y auroit-il point moyen, lui dit-il, de faire en sorte que j’eusse fait cette épigramme ? »

Il avoit pourtant de qui tenir pour être rêveur, car sa mère l’étoit honnêtement. Un jour elle entendit fort louer les ouvrages de Malherbe, qui étoit nouvellement arrivé à la cour. Quelque temps après, elle vit un homme en quelque lieu qu’elle prit pour Malherbe, et le pria extrêmement de la venir voir. C’étoit un orfèvre qui crut qu’elle vouloit quelques pierreries, et lui dit qu’il lui apporteroit donc de ses ouvrages. « Monsieur, je vous en prie, » ajouta-t-elle, et lui fit bien des civilités. Cet homme va le lendemain à l’hôtel de Guise, mais il ne fut pas plus tôt dans la chambre qu’elle reconnut sa bévue.

M. de Guise dit un jour à son cocher : « Mène-moi partout où tu voudras, pourvu que j’aille chez M. le Nonce et chez M. de Lomenie. » Il alla d’abord chez le dernier, qu’il prit toujours pour M. le Nonce, et il ne vouloit pas souffrir que M. de Lomenie le conduisît.

Il mentoit, et souvent à force de dire un mensonge, il croyoit ce qu’il disoit. Un jour lui, M. d’Angoulême et M. de Bassompierre jouoient à qui diroit la plus grande menterie. M. de Guise dit : « J’avois une levrette qui, courant après un lièvre, se jeta dans des ronces ; une ronce coupa le corps de la levrette par le milieu, et la partie de devant alla happer le lièvre. » M. d’Angoulême dit qu’il avoit un chien courant qui arrêtoit les hérons, puis qu’on les terrassoit, et que des masses il avoit fait bâtir Gros-Bois. « Pour moi, dit M. de Bassompierre, je me donne au diable si ces messieurs ne disent vrai. »

M. de Guise étoit libéral. Le président de Chevry lui envoya par Corbinelli[7], son commis, cinquante mille livres qu’il lui avoit gagnées. Il y avoit dix mille livres en écus d’or. Quand tout fut compté, il voulut donner quelque chose à Corbinelli, et il lui donna le plus petit sac, sans songer que c’étoit l’or. Corbinelli, sur-le-champ, n’y fait pas non plus de réflexion ; mais, arrivé chez lui, il fut surpris en voyant ces écus d’or. Il retourne auprès de M. de Guise, et lui dit qu’il s’est trompé. M. de Guise lui répondit : « Je voudrois qu’il y en eût davantage ; il ne sera pas dit que le duc de Guise vous a ôté ce que la fortune vous avoit donné[8]. »

  1. Charles de Lorraine, duc de Guise, né le 20 août 1571, mort en 1640.
  2. Le comte de Tonnerre avoit fait peindre la belle de Châteauneuf sur un trône, et lui humilié devant elle qui lui mettoit le pied sur la gorge. (T.)

    Cette belle Châteauneuf ne seroit-elle pas la maîtresse de Charles IX dont Dreux du Radier a vainement cherché le nom ? (Voyez les Anecdotes des Reines et Régentes, Paris, 1808, tom. 5, pag. 30.)

  3. Je sais cela d’un parent de la dame, mais il ne l’a jamais voulu nommer. (T.)
  4. Un M. de Montpensier, aîné du père de celui-ci, mais qui n’eut point d’enfants, par je ne sais quelle bizarrerie, étant prince et marié, alloit toujours vêtu de long. (T.) C’est-à-dire en habit long, en robe et simarre.
  5. Première femme de Gaston, duc d’Orléans, et mère de mademoiselle de Montpensier.
  6. On conte de ce Fouilloux qu’étant nouveau venu de sa province de Saintonge, les filles de la Reine le prirent pour un bon campagnard ; il n’étoit pourtant pas si niais. Elles lui demandèrent bien des choses à quoi il répondit en innocent. « Eh ! ma compagne, qu’il est bon ! se disoient-elles l’une à l’autre. — Mais à quoi vous divertissez-vous dans votre voisinage ? — Eh ! dit-il, je nous entre-f..... » Les voilà toutes à fuir : depuis elles ne se jouèrent plus à lui. (T.)
  7. Raphaël Corbinelli, père de Jean Corbinelli, qui a été plus célèbre par l’amitié que lui portoit madame de Sévigné, que par les ouvrages qu’il a laissés. Raphaël, secrétaire du maréchal d’Ancre, fut enveloppé dans sa disgrâce. (Voyez le Mercure français, tom. 4, deuxième partie, pag. 205.)
  8. Variante du manuscrit : « Les gens de notre maison ne se repentent jamais de leurs libéralités. »